octobre 15, 2014

Ludwig Von Mises (2/5), Le Libéralisme : la Liberté

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

2. La liberté

Que l'idée de liberté soit passée dans le rang et dans la chair au point que l'on n'ose plus, depuis longtemps, la contester ; que l'on ait pris l'habitude de ne parler de la liberté que pour l'approuver et la défendre et qu'il ait été réservé au seul Lénine de l'appeler un « préjugé bourgeois », c'est là ― ce que l'on oublie souvent de nos jours ― un succès du libéralisme. Le nom même de libéral ne vient-il pas de liberté, et celui du parti adverse des libéraux n'était-il pas à l'origine les « serviles » ? : les deux appellations apparaissant pour la première fois dans les luttes institutionnelles espagnoles des premières décennies du XIXème siècle. 



Avant l'avènement du libéralisme, de nobles philosophes, des fondateurs de religion et des prêtres animés des meilleures intentions, des hommes d'État aimant vraiment leur peuple avaient considéré l'esclavage d'une partie de l'humanité comme une institution équitable, d'utilité générale et bienfaisante. Il existe, prétendait-on, à côté des hommes naturellement destinés à la liberté, d'autres qui le sont au servage. Cette idée était chère non seulement aux maîtres mais à une grande partie des esclaves. Obligés de se soumettre à la force supérieure des maîtres, non seulement ils acceptaient cette servitude mais ils y trouvaient encore du bon : l'esclave n'est-il pas libéré du souci d'assurer sa pitance quotidienne, que le maître est tenu de lui fournir, même chichement ? Lorsque le libéralisme entreprit, au XVIIIème siècle et dans la première moitié du XIXe, d'abolir le servage et la sujétion de la population paysanne en Europe et l'esclavage des noirs dans les colonies d'outre-mer, il ne se trouva pas peu de sincères philanthropes pour exprimer leur opposition. Selon eux, les serfs étaient habitués au servage et ne le ressentaient pas comme un fardeau pesant ; n'étant pas mûrs pour la liberté, ils ne sauraient quel usage en faire. Ils souffriraient gravement de ce que le maître cessât de pourvoir à leurs besoins, ils ne seraient pas capables d'assurer leur subsistance, et ils succomberaient vite à la misère. D'un côté leur affranchissement ne leur apporterait aucun gain sérieux, de l'autre ils seraient gravement lésés dans leur réussite matérielle. Fait curieux : de nombreux serfs interrogés à ce sujet avancèrent de tels arguments. Pour s'opposer à de telles manières de voir, bien des libéraux pensaient devoir brosser un tableau outré de la situation, mettant l'accent sur les mauvais traitements infligés aux serfs et aux esclaves, alors qu'en réalité de tels excès étaient exceptionnels. Il en existait certes et leur existence justifiait l'abolition de ce système, mais, d'une façon générale les maîtres traitaient les serfs avec douceur et humanité.

Si l'on opposait à ceux qui, pour des raisons en général philanthropiques, étaient en faveur de l'abolition du servage que le maintien du système était aussi dans l'intérêt des valets, ils ne savaient guère quoi répliquer. Car il n'est qu'un argument à opposer aux défenseurs du servage, à savoir que le travail libre est incomparablement plus productif que le travail exécuté par des hommes asservis. Le travailleur asservi n'a aucun intérêt à employer toutes ses forces.

Il travaille avec l'empressement requis, et pas plus qu'il ne faut pour échapper aux châtiments qui s'attachent à un rendement insuffisant. Le travailleur libre, en revanche, sait qu'il gagnera d'autant plus qu'il aura accru son rendement. Il tend ses énergies à l'extrême afin d'accroître son salaire. Que l'on compare par exemple les exigences que pose au travailleur le service d'une charrue mécanique au faible déploiement d'intelligence, de force et d'application qui était jugé suffisant, il y a deux générations pour le laboureur-serf de Russie. Seul le travail libre peut garantir les accomplissements que l'on demande au travailleur de l'industrie moderne.

Des esprits bornés peuvent continuer à débattre à perte de vue sur la question de savoir si tous les hommes ont vocation et sont mûrs pour la liberté. Ils peuvent continuer à prétendre qu'il existe des races et des peuples que la nature a destinés au servage et que les peuples de maîtres ont le devoir de maintenir les valets en état d'asservissement. Le libéral ne veut pas réfuter leurs arguments parce que sa démonstration en faveur de la liberté pour tous sans distinction est d'une toute autre nature. Les libéraux que nous sommes ne prétendent pas que Dieu ou la nature a destiné tous les hommes à être libres, ne serait-ce que parce que nous ne sommes pas informés des desseins de Dieu et de la nature, et que nous nous gardons soigneusement d'impliquer Dieu et la nature dans cette controverses. Nous prétendons seulement que la liberté de tous les travailleurs constitue le système de travail qui garantit la plus grande productivité du travail humain, et que cette liberté est par conséquent dans l'intérêt de tous les habitants de la terre. Nous ne combattons pas le servage malgré son utilité prétendue pour les « maîtres » mais parce que nous sommes convaincus qu'il est en fin de compte préjudiciable à tous les membres de la société humaine, donc aussi aux « maîtres ». Si l'humanité en était restée au servage d'une partie des travailleurs ou même de tous, l'admirable épanouissement des forces économiques qui a vu le jour au cours des 150 dernières années n'aurait pas été possible. Nous n'aurions pas de voies ferrées, de voitures, d'avions, de navires, de production d'énergie et d'électricité, d'industrie chimique, toutes choses que les Grecs et les latins, en dépit de leur génie, n'avaient pas. Il suffit de mentionner ce fait pour que chacun comprenne que même les anciens maîtres d'esclaves ou de serfs auraient tout lieu d'être satisfaits de l'évolution qui s'est opérée après l'abolition de l'asservissement des travailleurs. Un travailleur européen vit, de nos jours, dans des conditions plus favorables et plus agréables que ne vivait jadis le pharaon d'Égypte, bien que ce dernier disposât de milliers d'esclaves et que le premier n'ait rien d'autre, pour assurer son bien-être, que la force et l'adresse de ses mains. Si l'on pouvait transporter un nabab de ces époques reculées dans les conditions de vie actuelles d'un simple travailleur, il déclarerait sans hésiter que sa vie a été miséreuse en comparaison de celle que peut mener, de nos jours, le citoyen le plus modeste.

Le travail libre ― et c'est là son fruit ― procure à tous plus de richesse que n'a pu en apporter jadis aux maîtres le travail de leurs esclaves.


1 commentaire:

Marc-Henri Grunert a dit…

excellent dans la veine utilitariste.

Rothbard (Hoppe à sa suite) a englobé cet utilitarisme dans une normative qui satisfait mieux le besoin d'une théorie cohérente du libéralisme.

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