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février 12, 2018

La famille du XXIe siècle entre conservatisme, extrémisme chez les socialopithèques ou Liberté ?

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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...

Merci de vos lectures, et de vos analyses. Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 
 Al, 

 PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. 
Merci



Sommaire

A) Que sera la famille au XXIe siècle ? - Anne-Catherine Masson - Evangile-et-liberté

B) Le droit de la famille au début du XXIe siècle : évolution et perspectives - Yvonne Flour - AES

C) Famille - Wikiberal

D) Famille et libéralisme - Philippe Nemo - Lumières Landaises 

E) La famille - Thierry JALLAS - son blog
 




A) Que sera la famille au XXIe siècle ?

D'après le Petit Larousse, la famille est l’ensemble formé par le père, la mère et les enfants. La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame: «La famille est l’élément naturel et fondamental de la société.»
La raison d’être majeure des familles a d’abord été la transmission de la vie, mais aussi celle des coutumes et des rites. Avec l’évolution de la société au siècle dernier, qui perd confiance en l’avenir et idéalise la liberté individuelle, les familles transmettent de moins en moins le devoir d’obéissance. L’importance prise par le présent fait perdre en partie la relation au passé, donc la religion.
La famille évolue rapidement depuis quelques dizaines d’années. Vie en couple sans mariage, divorces, familles monoparentales, remariages sont de plus en plus fréquents. Beaucoup d’enfants sont partagés entre père et mère, et vivent avec des demi-frères, demi-sœurs, beaux-parents. Cette évolution a des répercussions sur la structuration des enfants. Leur éducation subit les contrecoups de ces évolutions, et de la culpabilité que peuvent ressentir les adultes. Elle subit également les conséquences d’idées nouvelles apportées par Françoise Dolto il y a cinquante ans, pas toujours bien comprises, et qui conduisent alors à une perte de repères pour les enfants.
La famille «traditionnelle» est-elle liée à la religion? Dans Gn 1,27-28 Dieu crée le couple homme-femme et leur ordonne la procréation. Lorsqu’il cite ce texte en Mc 10,6-9, Jésus «oublie» le verset 28. Le couple existe en soi, les enfants cessent d’être un devoir pour devenir un choix gratuit, pour la joie et l’amour. «La naissance d’un enfant ne fait pas la famille; elle manifeste publiquement qu’il y avait un lien déjà là, qui avait son sens en lui-même et qui permet l’accueil d’un enfant.» (Jean-Daniel Causse, Dossiers Débats 2000, ERF). Si les catholiques ont une vision assez stricte du couple et de sa sexualité, les protestants ont des idées plus souples. Il existe pourtant des cérémonies religieuses (mariage, baptêmes) qui ponctuent la vie des familles, protestantes comme catholiques. Mais pour les protestants, optimiser l’amour et le respect de chacun est préférable à une règle rigide; ils sont donc libres de réfléchir à d’autres schémas.
Anne-Catherine Masson, pédopsychiatre et thérapeute familiale, est confrontée, dans sa vie professionnelle, à des familles déchirées, cassées, recomposées,… Elle voit des enfants en détresse, qu’elle estime de plus en plus insatisfaits, incapables de subir la moindre frustration. Elle réfléchit dans les pages qui suivent à l’évolution récente de la famille et de l’éducation. Elle explique les risques des dérives actuelles, et ses craintes pour l’avenir

Que sera la famille au XXIe siècle?

Pédopsychiatre, j’ai été étonnée de voir depuis quatre ou cinq ans une modification franche des comportements des enfants que je rencontre; subitement, en effet, depuis l’an 2000, une proportion étonnante de ces enfants de 3 à 8 ans que leurs parents m’amènent en consultation pour des raisons variées, présente des points communs précis: une grande réticence à obéir, une mauvaise tolérance de la frustration, et une incapacité à attendre. Ils veulent tout, tout de suite, font la sourde oreille ou traînent quand on leur demande de renoncer à leurs occupations, font une colère chaque fois qu’ils sont «contrariés». J’ai d’abord évoqué un biais dans mon «recrutement». Puis j’ai appris que mes collègues, les enseignants, les moniteurs de sports et enseignants artistiques, les éducateurs, étaient tous confrontés au même problème. Par exemple, un professeur des écoles, enseignant en classe de CP, me disait récemment qu’un tiers des élèves de sa classe avaient un niveau «affectif» de 4 ans, malgré un niveau intellectuel normal de 6 ou 7 ans. Cette tendance comportementale se confirmant année après année, pour les enfants nés après 1996, nous avons tenté d’en rechercher les causes.
Nous avons d’abord remarqué que cela était indépendant:
  • du travail des mères
  • du milieu social, professionnel, financier
  • du sexe de l’enfant
  • du mode d’éducation reçu par les parents: ces jeunes parents, nés autour de 1968, ont pour certains été élevés avec laxisme (le «interdit d’interdire» pour lequel s’étaient battus leurs parents), pour d’autres de manière traditionnellement autoritaire.
La séparation des parents ne semblait pas non plus une cause majeure en soi.
Les facteurs en jeu nous ont donc paru plus cachés, profondément ancrés dans les inconscients des jeunes parents. Nous allons tenter de les cerner, avant de décrire schématiquement deux types des «nouveaux enfants» qu’ils entraînent et d’imaginer quels adultes ils pourront être.

Évolution de la société.

Durant des millénaires, la société a été très stable, malgré les guerres. Les familles traditionnelles suivent, encore aujourd’hui, le même principe: le passé sert de modèle pour préparer les nouvelles générations au futur, qui paraît ainsi prévisible. La famille traditionnelle a pour fonction essentielle la transmission de la vie, des gènes, du patrimoine, mais aussi de la mémoire, des coutumes et rites, du «mythe familial». La survie du groupe repose sur l’obéissance, aux dépens des choix individuels. Les croyances religieuses fortes font espérer la possibilité du bonheur dans l’Au-delà. Puis, à partir de la Révolution française, un autre modèle de société est apparu parallèlement, visant à élaborer un futur meilleur sur terre, pour les générations suivantes, en s’appuyant sur la raison et la technologie. Dans les deux cas, le devoir est la valeur essentielle transmise par les parents aux enfants. Le respect du devoir est le prix à payer pour conserver sa place dans une communauté d’appartenance forte. C’est après la Première Guerre mondiale qu’a commencé à émerger l’idée du caractère imprévisible de l’avenir, puis, plus récemment, la disparition de la croyance dans les effets positifs du progrès. Le passé étant de plus en plus disqualifié, c’est sur le présent seul que se fondent les familles contemporaines: elles pensent souvent ne rien avoir à transmettre.
Ce sont les enfants de ces familles, apparues vers 1965 dans tous les pays occidentaux, que nous voyons arriver aujourd’hui dans nos consultations, peut être pas plus «troublés» que les autres, mais certainement autrement «troublés».
Sur le plan de la société, globalement, l’importance prépondérante accordée au présent aujourd’hui a d’autres conséquences:
  • La diminution de l’impact et des religions classiques (non extrémistes) et des rituels sociaux,
  • L’ingérence croissante de la société dans les familles, que le tissu social et familial élargi ne régule plus, société qui est devenue très sensible à toute violence.
  • Enfin, et surtout la société d’aujourd’hui semble entièrement soumise au règne de l’argent. Le capitalisme étant en train de se «mondialiser», ses défauts vont probablement s’étendre aussi. Le plus visible en est la «préconisation médiatico-publicitaire»: les médias, et la publicité dont ils sont les supports, ont créé un système pervers qui supprime l’analyse des besoins par un individu lui-même, et la remplace par la soumission à des suggestions séduisantes (souvent au sens sexuel même) qui, en apparence, sont au service du bien-être de l’individu, mais en réalité sont au service des intérêts commerciaux et financiers des entreprises. L’individu, qui se pensait libéré du Devoir, doit se créer une identité, en faisant des choix réussis, dont il est responsable.
  • Le principe central de notre société que transmettent les médias est ainsi devenu la recherche du bonheur ici et maintenant par «l’épanouissement personnel» de l’individu. Le seul péché semble de «ne pas être heureux», évoquer les devoirs des individus est devenu une transgression. Dans l’hédonisme ambiant, le milieu professionnel est de plus en plus dur, exigeant, sans pitié, après l’optimisme des «30 glorieuses»; il est marqué par une grande instabilité et des rapports superficiels qui demandent une adaptabilité, une flexibilité et une soumission majeures.

Évolution des familles

«Réussir sa famille» est devenu l’aspiration la plus fréquente, aujourd’hui.
  • La famille élargie reste importante: cependant, le mode de vie urbain a supprimé tout le support matériel, affectif et rituel qu’apportait «la parentèle». Les grands-parents sont rarement un soutien, éloignés géographiquement, pris par leur travail, leurs propres divorces et nouveaux couples, leurs propres parents très âgés (élément nouveau apporté par le gigantesque bond qu’a fait l’espérance de vie depuis 50 ans), ou considérés hors course par la rapidité de l’évolution de la société.
  • La «nouvelle conjugalité» est maintenant majoritaire dans la région parisienne. Le couple n’est plus institutionnalisé, mais contractualisé, donc précaire, même s’il est toujours souhaité par les jeunes adultes. Ceux-ci, toujours sous la pression des médias, attendent du couple le Bonheur, jour après jour. Ils pensaient échapper à la contrainte du mariage à vie, ne garder que «le meilleur» et laisser «le pire»; ils ne peuvent éviter longtemps les sacrifices qu’impose la vie à deux quand on veut en retirer une sécurité affective. L’émancipation et le travail des femmes, les «nouveaux pères» qui tiennent à être proches de leurs petits, ont beaucoup apporté à l’équilibre des enfants: ce sont les liens affectifs qui donnent un sens à l’existence. Cependant, dans les familles traditionnelles, que ce soit le père ou la mère qui dirige à l’intérieur de la maison, cela est clair pour chacun. Aujourd’hui, il y a souvent deux chefs qui se disputent le pouvoir dans la famille: cela évite le despotisme, mais majore la fragilité du couple, majore le pouvoir, la culpabilité et l’angoisse des enfants, sujets et victimes de ces conflits. Les thérapeutes familiaux ont ainsi inventé la «godille familiale»: chaque parent est le chef alternativement 8 ou 15 jours, montrant aux enfants le respect mutuel et la cohésion présents dans le couple parental. Quand le «CDD» conjugal touche à sa fin, parents et enfants ont un immense travail psychique à faire: d’abord un travail de deuil de «l’ancienne famille», tout en tâchant de constituer une famille «mono-parentale». Dans ce cas, l’enfant, souvent l’aîné, gagne une place de compagnon, de soutien de l’adulte qui a sa «garde» (souvent encore la mère). La différence de génération s’estompe, avec les risques, séduisants pour l’enfant mais fort coûteux à long terme, d’avortement d’enfance. C’est probablement ce qui explique les troubles surprenants que présentent les enfants dont les parents se remarient, après plusieurs mois de séparation.
La garde alternée, de plus en plus fréquente, est une solution moderne à un problème qui remonte à Salomon. Elle est certainement très déstabilisante chez des enfants jeunes (avant 6 ans?). Chez les plus grands, elle peut être une solution aux «conflits de loyauté» que vivent ces enfants.
Avec maintenant plusieurs décennies de recul, sociologues comme «psys» s’accordent à penser que les enfants de parents divorcés ne vont pas plus mal que les autres, à condition impérative que chacun des deux parents sache, quelles que soient sa tristesse ou sa colère contre son ex-conjoint, respecter ses enfants, et donc respecter leur autre parent, et ne pas utiliser ses enfants comme une arme contre cet ex-conjoint. La séparation des parents confronte les enfants à leurs tentatives de reconstitution d’un nouveau couple; ils sont donc souvent témoins de la sexualité, plus ou moins discrète de leurs parents, à «l’âge de latence», c’est à dire à un âge où leurs investissements scolaires et sociaux de-mandent un refoulement de leurs préoccupations sexuelles, ou à l’adolescence, où les circonstances les placent en rivalité avec leurs propres parents. 
La fréquente instabilité de ces nouveaux couples confronte les enfants à un, ou deux parents peu disponibles psychiquement, et à des ruptures itératives avec ces «ami(e)s» successifs de leurs parents, et avec les enfants de ceux-là. Au bout de quelques années, ils ne tentent même plus de s’attacher aux cohabitants de passage.
Quand un couple stable se reforme, là encore, l’adaptabilité des enfants est mise à rude épreuve. Depuis des siècles, des enfants sont soumis à des ruptures dans leurs «figures parentales»: des enfants étaient confiés à des proches ou des nourrices pour plusieurs années, puis repris par leurs parents bio-logiques. La fréquence des décès les confrontait à des beaux-parents souvent décrits comme rejetants, voire mal traitants. Les séquelles de ces ruptures successives peuvent être graves. Notre époque les confronte à une pluriparentalité simultanée: ces enfants ont en même temps un père et un (voire plusieurs) beaux-pères, une mère et une (voire plusieurs…) belles-mères. Ils ont parfois une dizaine de (beaux) grands-parents. Leur adaptabilité est aussi mise à rude épreuve autour des nouvelles fratries: entre leurs demi-frères et sœurs (et leur demi-chien…), et leurs «quasi» frères et sœurs, (enfants du premier couple de leurs beaux-parents), ils peuvent passer d’un rang d’aîné à celui de cadet, en fonction des jours… Ceux qui vont bien, à qui les adultes ont clairement expliqué la situation, se repèrent parfaitement bien dans ces généalogies psychiques et/ou biologiques. Mais n’est-ce pas trahir papa que d’accepter que le nouveau compagnon de maman fasse un foot avec moi? Chaque nouveau couple «bricole» le type de relation que va avoir le beau-parent avec les enfants du premier lit, et cette relation est souvent évolutive dans le temps, les sentiments de chacun étant très complexes. En fonction de son âge, et de son expérience de la parentalité, le nouveau conjoint aura plus ou moins envie de s’investir dans un rôle éducatif vis-à-vis de ces enfants qui ne sont pas les siens. Mais le parent biologique lui refuse parfois ce rôle, qu’il (elle) avait déjà bien de la peine à partager avec son premier conjoint. Et les enfants, tiraillés entre leur loyauté à Papa et leur loyauté à Maman, refusent souvent ce rôle au beau-parent. Souvent, le nouveau couple cède pour se faire accepter, mais jusqu’où céder? Le «nouveau» doit-il se laisser insulter pour être toléré? Cependant, mon expérience des couples recomposés après un veuvage me montre les grandes difficultés qu’ils ont aussi, en raison d’une culpabilité qui peut être encore plus vive vis-à-vis du parent décédé.
«L’homo-parentalité» est une autre facette de ces problèmes. Les quelques enfants que j’ai vus dans ce contexte, paraissaient aller bien, mais ils étaient élevés par des parents homosexuels très motivés et attentifs. La multiplication des familles homosexuelles va probablement voir augmenter le nombre des parents homosexuels fragiles psychologiquement, ou en conflits (qui paraissent fréquents et très passionnés dans ce milieu) et donc les difficultés se reporter sur les enfants.
Il semble donc que ces nouvelles familles, qui vivent avec l’illusion du libre choix, soient soumises à l’obligation d’aimer, d’être libre et heureux: cette tyrannie du désir affaiblit les liens d’appartenance familiale et majore le sentiment d’insécurité.

Évolution de l’éducation.

Que les parents forment un couple traditionnel, apparemment durable, ou un couple éphémère en fonction de leurs désirs, les principes éducatifs actuels ont beaucoup de points communs. Les quelques parents traditionnels qui tentent encore de résister s’exposent ainsi à de grandes difficultés, car ils sont amenés à se rigidifier pour maintenir leurs positions, alors que, même sans télévision, ordinateur, ni Internet, même dans des écoles religieuses «hors contrat», leurs enfants sont fascinés par ce que vivent «les autres», qu’ils idéalisent terriblement.
La majorité des jeunes parents, qu’ils aient été élevés de manière traditionnelle ou «soixante huitarde», se fient moins à ce que leur ont transmis leurs parents, ou à leurs réflexions, qu’aux médias dans leur recherche d’un modèle éducatif.
Les idées centrales en ont été énoncées par Françoise Dolto, il y a cinquante ans. Elles ont apporté des bouleversements très positifs dans l’éducation des enfants. Malheureusement, ces idées ont été schématisées, figées, et ces principes novateurs sont devenus aujourd’hui des problèmes majeurs. «L’enfant est une personne»: il est devenu un enfant roi; «il faut parler aux enfants»: les mères d’aujourd’hui parlent tellement que les enfants ne les écoutent plus, elles ne savent plus faire les gestes, utiliser les tons de voix in-dis-pensables pour se faire obéir par un jeune enfant, et donc lui apprendre à obéir.
En outre, les parents en détresse s’en autorisent pour se permettre de «tout dire» à leurs enfants: il y a beaucoup moins de secrets de famille toxiques, mais beaucoup plus de confidences, toxiques d’une autre manière…
Les nombreux magazines tournés vers les familles et les enfants ont longtemps orienté leurs articles dans le sens dominant de la société («comment l’aider à s’épanouir»). Depuis quelques mois, ils semblent revenir vers des principes éducatifs plus traditionnels («comment lui dire non»), tout en confrontant les parents, dans les publicités encartées, avec les messages subliminaux inverses («faites vous plaisir», «le temps ne compte plus»).
L’alliance de ces modifications sociales et des modifications familiales ont des conséquences majeures dans l’éducation des enfants. L’hédonisme en est devenu le repère central, les parents disant rechercher «l’épanouissement» de leur enfant en premier lieu. Ils sont de plus en plus nombreux à être terrifiés à -l’idée que leurs enfants souffrent d’inconforts minimes ou leur en veuillent, et ne les aiment plus s’ils imposent quoi que ce soit. Dans ces systèmes consensuels, les parents tentent de faire fonctionner la famille comme une démocratie, le lien adultes/ enfants paraît symétrique jusqu’au moment où les parents, qui ne veulent pas renoncer à leur épanouissement à eux, ne supportent plus, et recourent au marchandage, à la séduction ou à la force. Les explosions de colère d’un parent sont inconstamment efficaces, mais toujours très coûteuses en temps, en énergie, et en estime d’elle-même pour l’ensemble de la famille. Les enfants intègrent ces types de résolution des conflits, ce qui explique l’augmentation de la violence en milieu scolaire. Beau-coup de parents demandent devant moi à leur enfant, à la suite de notre entretien, s’il veut bien désormais accepter qu’ils lui fixent des limites, s’il veut bien qu’ils l’éduquent! Ces parents n’ont pas intégré que les conflits sont inévitables dans toute relation: les conflits n’entraînent pas la destruction du lien affectif, ils contribuent à le construire. La philosophe Hanna Arendt faisait bien la différence entre autorité, contrainte (par la force) ou la persuasion (par le raisonnement ou la séduction). L’autorité réside dans la reconnaissance de la hiérarchie, c’est--à-dire, dans une famille, dans la reconnaissance de la différence entre parents et enfants.
Une autre caractéristique de la vie enfantine actuelle est l’exposition précoce à la sexualité adulte. En effet, les parents en pleine «lune de miel» lors de leurs rencontres amoureuses après une séparation, ne préservent guère le mystère de leur intimité. La symétrie des relations pousse les parents attendris à nommer «fiancé» ou «l’amoureuse» l’ami(e) de leur enfant lorsqu’il a des amitiés fortes. La prohibition de l’inceste devient problématique dans les familles recomposées. Sur le plan de la société, la télévision et les publicités dans la rue, le métro, sur les kiosques à journaux exposent les enfants, souvent sans commentaires des parents, aux images d’adultes demi-nus dans des positions séductrices, aux protections féminines, à la Gay Pride, aux séries américaines de plus en plus suggestives, sans parler du développement de la pornographie. Enfin, en milieu scolaire, comme dans les familles mêmes, les «cours» d’éducation sexuelle, prévention du SIDA ou de la pédophilie ont forcément comme inconvénient majeur l’exposition prématurée des enfants à ce qu’il y a de plus noir dans la sexualité humaine. Il semble que parents et enfants, comme toute la société, tendent vers une adolescence interminable.

Les nouveaux enfants.

Aujourd’hui donc, les éléments sociaux d’identification des individus s’estompent, (l’on ne peut plus dire qu’on est «cheminot» ou «de son village»). Le couple devient un élément majeur pour les individus: ce poids le fragilise (plus on en attend, plus on risque d’être insatisfait), les couples sont de plus en plus instables. Le poids retombe souvent sur le ou les enfants. Ceux-ci sont de moins en moins «névrotiques» (c’est à dire souffrant de la répression de leurs désirs sous la charge de l’autorité parentale, puis du Devoir). Les nouveaux enfants sont schématiquement de deux types: tout-puissants ou «parentifiés».

Les enfants tout-puissants.

Ces enfants n’ont pas pu renoncer aux privilèges du bébé: en effet, un nouveau-né est toujours le roi. L’«obéissance» des adultes à ses besoins matériels est la condition essentielle à sa survie et leur reconnaissance de l’enfant constitue le fondement de son estime de lui-même. Puis entre deux et quatre ans, grâce aux petites frustrations que les parents «traditionnels» lui imposent, il renonce à cette toute-puissance pour intérioriser les interdits, la loi, la réalité, le respect des autres, le caractère irréversible du temps qui passe… et gagner la sécurité d’appartenir à sa famille.
Le franchissement de cette étape est devenu très inconstant aujourd’hui. Ces enfants ne supportent pas d’attente, ni de manquer. Ils veulent tout, tout de suite, leur dépendance à l’environnement est grande. Et quand l’inévitable frustration survient, ils présentent une détresse pathétique, des colères explosives qui peuvent les mettre en danger, ou des phobies durables, avec un évitement des situations problématiques (phobies scolaires, phobies des apprentissages…). En effet, un cercle vicieux s’installe entre le comportement tyrannique, et les sentiments d’angoisse et de culpabilité. Souvent, c’est l’école qui tire le signal d’alarme dès la maternelle, quand à ces signes s’associent des difficultés relationnelles avec les pairs, à type de violence plus souvent que d’évitement.
À l’adolescence, on constate chez ces individus qu’ils n’ont pas acquis de sens moral (ils s’arrêteront au feu rouge car ils voient des gendarmes, ou une voiture qui arrive, et non par respect pur). Leur fragilité narcissique les rend très dépendants de l’environnement: ils sont la cible principale des publicitaires, qui savent bien que les enfants sont devenus les principaux décisionnaires des achats familiaux. La recherche de stimulations leur permet de continuer à vivre dans le moment présent, sans passé, vécu comme aliénant, ni futur, incertain. La fragilité du lien familial dans ces familles contemporaines complique en effet les processus de séparation, particulièrement en jeu à l’adolescence. Cependant, dans cette nouvelle temporalité, tout échec est dramatisé, le risque de tentatives de suicide est donc grand.
Cependant, l’avantage de ce type d’éducation est qu’elle réduit considérablement la culpabilité. Le système consensuel de relations familiales favorise aussi la capacité des enfants à saisir les situations, à argumenter, en fonction du point de vue de l’autre.

Les enfants parentifiés.

Ils ont pu être élevés avec une logique consensuelle, mais la souffrance, voire la désorganisation psychique de leur parents ont été telles qu’en fait, ils ont accepté la réalité, et se sont éduqués eux mêmes et pris en mains, avant de prendre en main un ou deux parents, voire leurs frères et sœurs. Leurs responsabilités écrasantes les rendent hyper-anxieux, vigilants, insécurisés; ils se sentent responsables, et se culpabilisent de tout. Bien sûr, cela favorise leur autonomie, leur hyper-maturation. Les multiples recompositions familiales qu’ils rencontrent souvent leur ont appris la relativité des règles de vie, la solidarité et les apprentissages entre pairs, mais ils ne pourront en bénéficier que s’ils ont été bien accompagnés par des adultes dans ces épreuves, ce qui est rarement le cas de ces enfants parentifiés.
Tout-puissants ou parentifiés, ces enfants auront été d’abord admirés, adulés, vénérés, avant d’être descendus de leur piédestal: la déception, voire la rage des parents contre leurs enfants «pas à la hauteur de leurs espérance» seront à la mesure des attentes qu’ils avaient placées en eux.

Le futur

Nous entrons là dans un domaine spéculatif, forcément fait d’hypothèses.
Nous craignons de voir apparaître, dans vingt ans, trois grands types d’adultes:
  • des adultes névrotiques, les «normaux» d’aujourd’hui, souvent englués dans leurs conflits intérieurs,
  • des adultes insatisfaits, dépendants des choses et des gens (voire toxicomanes), dépressifs, soumis à des explosions de colères,
  • à côté d’adultes bien intégrés socialement, au cynisme efficace, privés de sens moral, ne s’intéressant aux autres que dans la mesure où ils peuvent leur être utiles, chez qui tous les moyens sont bons pour obtenir ce qu’ils désirent ( force, marchandage, ou séduction).
Le problème sera sans doute celui de nos outils de travail thérapeutiques, les anciens risquant d’être trop souvent obsolètes: les thérapies psychanalytiques aident à résoudre des conflits névrotiques, entre soi et soi-même. Les thérapies familiales, qui s’appuient sur la transmission verticales dans les familles risquent également d’être insuffisantes chez les adultes. Les médicaments et thérapies cognitives comportementales ne rendront pas le sentiment profond du respect de l’autre.

Que faire?

Aujourd’hui, seule la prévention nous est accessible. Les familles d’aujourd’hui sont donc tiraillées entre le modèle traditionnel et le modèle contemporain. Le modèle traditionnel reste encore assez idéalisé, bien que le vingtième siècle ait cherché, à tort, à en reproduire le schéma aveuglément, sans tenir compte du changement de société majeur que constitue l’énorme augmentation de l’espérance de vie. En effet, il y a deux cents, ou même cent ans, les veuvages très fréquents (dus aux décès accidentels, militaires, ou obstétriques) réduisaient considérablement la durée moyenne de la vie conjugale, qui n’était guère plus longue qu’aujourd’hui, pour d’autres raisons. En outre, ces couples «pour la vie» étaient parfois allégés par la séparation de corps (qui a même été préconisée par l’Église catholique), et par l’adultère (qui, lui, était interdit). Les structures familiales «horizontales» existaient déjà, où les enfants étaient élevés en groupes de frères, sœurs, cousins, apparentés, voire bâtards, et enfants de serviteurs, l’éducation en étant déléguée à quelques adultes (parents, tante, nourrice, ou «bonne» comme dans les ouvrages de la Comtesse de Ségur). Le schéma «père-mère-enfants», idéal du milieu du vingtième siècle, est très ponctuel dans l’histoire de l’humanité, et dans le monde. L’inconvénient majeur du modèle traditionnel est le manque de respect des particularités et de la créativité des individus, et sa faible adaptabilité à un monde qui évolue de plus en plus vite. Le modèle contemporain a pris le contre-pied, sans doute de manière trop entière.
La meilleure solution que nous puissions imaginer serait la fusion de ces deux grands modèles, faisant émerger une morale d’équilibre entre l’interdit et la libération du désir qui tienne compte des besoins très différents des adultes et des enfants, du respect des différences générationnelles. Ainsi, les membres d’une famille pourraient inventer de nouvelles règles qui permettent à leurs enfants de se construire psychiquement en étant respectés, tout en leur apprenant le respect du bien-être commun, garant de leur appartenance familiale et sociale. La multiplication des guidances parentales pourrait permettre d’aider les familles dans ce «bricolage» en attendant qu’un modèle «automatique» se mettre en place.
De toute façon, il faudra que les sociétés occidentales s’engagent dans un processus parallèle, réduisant la puissance de l’argent et du pouvoir, pour retrouver un sens moral, religieux ou humaniste. 

 Source




B) Le droit de la famille au début du XXIe siècle : évolution et perspectives


Jean-Marie Schmitz : C’est avec joie que j’ai consacré un peu de temps à réfléchir à ce que je pourrais vous dire pour vous présenter le professeur Yvonne Flour.
Avec joie parce que voilà plus de quarante ans que nous nous sommes rencontrés à l’occasion des événements de mai 68 qui ébranlèrent notre université, notre société et dont l’onde de choc est toujours présente aujourd’hui.
Comme dans toutes les périodes troublées les caractères se révélèrent.
Certains professeurs, confirmant la haute opinion que nous avions d’eux, se sont affirmés avec courage comme des défenseurs résolus de ce qu’il y avait dans la vie de l’université et d’autres, par faiblesse ou idéologie, s’abaissèrent à la démagogie jeuniste en vigueur à ce moment-là et, sans s’attirer autre chose que le mépris y compris de ceux qu’ils voulaient flatter ou amadouer, d’autres encore disparurent prudemment.
Quant à nous, ayant appris quelques petites choses des mécanismes marxistes-léninistes, nous nous efforcions de déciller les yeux de nos condisciples sur la mécanique révolutionnaire, sur les assemblées générales renouvelées jusqu’à ce que qu’une assistance devenue squelettique vote enfin une motion voulue par le noyau dirigeant et essayer de dire ce qu’il fallait faire pour éviter de contribuer, même si c’était malgré soi, au fonctionnement décervelée.

Un de nos documents d’ailleurs Le marxisme dans l’université connut un retentissement inattendu puisque, ayant rencontré des anciens de la 2e DB, on a découvert qu’il avait été diffusé et tiré à des milliers d’exemplaires.
De ces événements, vécus en commun, naquit une amitié que les années ont approfondie, élargie à la famille d’Yvonne Flour. Les hasards de la vie d’ailleurs voulurent que, parti entre temps faire mon service miliaire, je rencontre à Verdun un jeune capitaine Flour qui était le frère aîné d’Yvonne. Grâce à cette amitié, j’ai eu l’occasion de connaître ses parents, en particulier son père, le professeur Jacques Flour dont le nom était familier à tous les étudiants en droit, surtout en droit privé, mais dont l’éloquence et l’humour délicieux étaient réservés à ceux qui avaient la chance de pouvoir l’approcher.
Je vais vous faire une petite citation qui n’est pas de moi : 

« Monsieur Jaques Flour était un professeur exceptionnel, d’abord avec la conscience scrupuleuse avec laquelle il donnait son enseignement, ensuite par l’ampleur de ses connaissances et l’acuité de son jugement qui faisait de lui un héritier accompli des grands civilistes français. Enfin et surtout par le respect qu’il portait à la liberté d’esprit qu’il portait à ses étudiants, il avait des convictions mais ne les professait point comme des vérités. Son souci était d’allier la clarté, la pondération et l’équité. » 

L’auteur de ces lignes qui est Raymond Barre, qui avait été son collaborateur à l’Institut des Hautes Études de Tunis concluait ainsi ce témoignage de respect et de gratitude : 

« Je voudrais y joindre, dit-il, l’hommage du Premier ministre au service autant qu’en France autant qu’à l’étranger, Monsieur Jacques Flour a rendu à notre Université et à notre pays ». 

Bon sang ne sachant mentir et la route était tracée pour Yvonne : devenir, elle aussi, une grande civiliste. Je ne sais pas si elle sera parmi les plus grands civilistes de l’Histoire de France, mais elle est une grande civiliste.
Vingt et un an après être née à Dijon, Yvonne Flour, a déjà, une maîtrise de droit en poche, de la faculté de droit de Paris. Suivent en 1970 et 1971 un DES de droit privé, le certificat d’aptitude à la profession d’avocat et un DES d‘histoire du droit. En 1977, elle obtient le Premier Prix de thèse de Paris II et l’année suivante, à 30 ans, elle devient une de plus jeunes agrégées de droit en droit privé et sciences criminelles.
Assistante à Paris, ses activités d’enseignement vont ensuite la conduire à Reims, à Clermont-Ferrand et puis pendant douze ans à Rouen où ses collègues, conscients de ses qualités éminentes, la choisissent comme doyen, vocable pour lequel elle n’a pas tout à fait l’âge pour accéder à cette charge.
En 1993, elle revient à Paris comme professeur à l’université Paris I, Panthéon- Sorbonne, dont elle deviendra membre scientifique.
Par rapport au sujet qui, cette année, occupe notre Académie, j’ajoute que parmi les nombreuses autres responsabilités collectives qu’elle exerce ou a exercées figure celle de Membre de la Réforme du Comité du Droit de la Famille, en 1998 et 1999.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt et d’attention que nous allons l’écouter même si ce qu’elle a à nous dire n’est vraisemblablement pas de nature à ouvrir des perspectives réjouissantes pour la famille telle que nous l’avons connue et telle qu’elle nous a faits ce que nous sommes.


Yvonne Flour : Dresser le bilan d’une évolution, cela commence nécessairement par une histoire. Cette histoire, nous la ferons remonter au Code civil, et pas au-delà. Pour les juristes, le Code joue un peu le rôle du big bang pour les astrophysiciens : tout part de là, c’est la source à laquelle on est toujours ramené. Mais il se présente aussi comme une sorte de miroir, d’écran, qui nous masque l’histoire antérieure. Pour le franchir il faudrait d’autres compétences. Sans entrer ici dans le débat interminable de savoir si le Code civil s’inscrit dans une continuité ou dans la rupture, on ne peut nier qu’il constitue une véritable refondation du droit dans notre histoire.
Or, comment la famille se présente-t-elle dans le Code civil? Cette question nous renvoie immédiatement à une célèbre citation d’Ernest Renan, pour qui le Code « semble avoir été fait pour un citoyen idéal naissant enfant trouvé et mourant célibataire et sans descendance »1
! Ernest Renan, Questions contemporaines, Ed. Michel Lévy Frères, Paris, 1868, p. III

C’est dire, à s’en tenir à ce propos passablement polémique, que la famille n’y tient pas une bien grande place.
Ce point de vue quelque peu désabusé pourrait sans doute trouver un appui dans le vocabulaire de la loi. C’est en effet une remarque usuelle encore aujourd’hui que le mot même de famille ne se rencontre pas dans le Code civil, ou bien peu. À telle enseigne que, si on voulait aujourd’hui rechercher une définition légale de la famille, c’est plutôt dans le droit des étrangers que l’on pourrait en trouver l’esquisse, à travers le droit au regroupement familial. Mais la perspective est probablement biaisée par le particularisme de l’approche. Toutefois, conclure que la famille est ignorée du Code parce que le mot n’y figure pas, c’est faire du nominalisme. D’abord, parce qu’on sait qu’il n’est pas du rôle de la loi de fournir des définitions. Au demeurant, la famille n’est pas un groupement créé par le droit, comme l’est une association déclarée ou une société commerciale. Elle est une réalité sociale dont il ne dépend pas de la loi de la définir ou de dire ce qu’elle est. Mais surtout parce que, dans le Code civil, on rencontre le mari, la femme, l’enfant, les père et mère, les frères et sœurs, les ascendants, les collatéraux... Toute la famille s’y trouve. Le Code civil ne l’appréhende pas dans sa globalité comme ensemble, mais à travers les liens entre les personnes qui la composent et la structurent.
Cela étant, lorsqu’on relit le Code Napoléon avec le regard d’aujourd’hui, on est plutôt surpris de l’appréciation de Renan. Avec le recul de deux siècles, nous avons plutôt le sentiment que la famille y est très fortement affirmée et structurée. Elle se fonde sur le mariage, exclusivement : hors le mariage, il peut y avoir des liens entre des personnes, par exemple entre un enfant et sa mère ou entre l’enfant et son père, mais il n’y a pas de famille constituée comme un groupe, une organisation collective. Cette famille fondée sur le mariage s’appuie sur deux piliers : la puissance paternelle et la puissance maritale. Et donc la famille s’organise autour de son chef, qui est le mari et le père. À travers sa personne, elle parle d’une seule voix.
Il n’est pas besoin d’un long exposé pour voir que la famille d’aujourd’hui ne ressemble plus guère à ce modèle. Le trait le plus saillant, c’est évidemment le déclin du mariage. Celui-ci est en quelque sorte attaqué par ses deux extrémités: on se marie de moins en moins, on divorce de plus en plus. Mais en outre, il est désormais directement concurrencé par d’autres figures juridiques qui servent à organiser la vie de couple. Au demeurant, lorsqu’il intervient, il n’est plus que rarement situé au point de départ de la vie conjugale. En d’autres termes, il ne constitue plus ni l’acte fondateur ni le pilier central de la famille.
Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, tandis que le droit du couple se diversifie à partir de cette idée qu’il existe une diversité des modèles de la conjugalité, le droit de l’enfant s’est complètement unifié. Le point d’orgue de cette évolution réside dans l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme du droit de la filiation, qui a supprimé purement et simplement la distinction des filiations légitime et naturelle. De telle sorte qu’aujourd’hui le statut de l’enfant ne dépend en aucune manière de celui de ses parents. De ce point de vue, là non plus, le mariage n’apparaît plus comme l’institution qui fait la famille. Aux yeux de beaucoup de juristes, c’est seulement avec l’enfant que surgit la famille dans l’espace social. Mais, à la réflexion, c’est un peu étrange. En toute logique, le couple précède l’enfant. L’enfant est issu d’un couple, non le couple de l’enfant. Il y a donc une curieuse inversion de la nature des choses à dire que c’est la survenance de l’enfant qui donne naissance à la famille.
Cette distorsion entre le droit du couple et celui de l’enfant, on pourrait aussi la lire comme une sorte de déplacement de l’ordre public. Aux yeux du législateur, la vie du couple est devenue une affaire qui relève de l’intimité de la vie privée, que l’on peut laisser les personnes organiser à leur convenance sans que la société y ait son mot à dire. À l’inverse, nul jusqu’à présent ne songe à soutenir que la filiation n’intéresse pas la société tout entière ou que le lien qui unit l’enfant à ses parents pourrait être abandonné aux volontés individuelles. Pour plagier Victor Hugo, lorsque l’enfant paraît, l’ordre public apparaît avec lui. Pour autant, il n’est pas sûr que cette opposition entre un champ abandonné à la libre volonté et un autre soumis à l’ordre public ait une réelle consistance. Le droit de la filiation lui-même, comme l’ensemble du droit de la famille, est aujourd’hui envahi par la revendication des droits individuels. De sorte que l’ordre public a bien du mal à y conserver ses positions.
Quoiqu’il en soit, cette évolution parallèle mais inverse du droit du couple et du droit de l’enfant aboutit à une véritable déliaison entre des questions qui sont pourtant fondamentalement reliées entre elles. Et cette déliaison transforme complètement la signification même du mariage. Dans un remarquable article publié dans la revue Esprit en 1996, Mme Catherine Labrusse avait montré que la fonction du mariage dans la société est d’articuler entre eux les trois liens qui structurent et organisent la famille : le lien conjugal, le lien de filiation et le lien fraternel. Le mariage est spécifiquement l’institution qui articule entre eux ces liens, qui font qu’au sein de la famille chacun a une place qui lui est propre et qui n’est interchangeable avec aucune autre.
Laissons de côté le lien fraternel, qui paraît second par rapport aux deux premiers, puisqu’au fond il en découle. Dans tous les systèmes juridiques, la fonction propre du mariage est bien d’instituer la filiation, de rattacher l’enfant au couple dont il est issu. C’est l’institution qui prépare l’accueil et l’éducation de l’enfant, et qui par là conditionne la persistance de la société dans son être. Cette signification est d’ailleurs fortement exprimée par le Code civil lui- même dans un très beau texte qui a survécu à l’évolution ci-dessus décrite. C’est l’article 203 qui énonce : « Les époux contractent ensemble, dans le mariage, l’obligation d’entretenir et d’éduquer leurs enfants ». On ne saurait dire plus fortement la solidarité de l’engagement conjugal avec les devoirs dont les parents sont tenus envers les enfants qu’ils ont mis au monde. Hors l’article 203 cependant, la liaison entre droit du mariage et droit de la filiation est bien peu présente dans les textes. Certes, on en trouve trace encore dans la présomption de paternité, énoncée à l’article 312 C. civ. : « L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ». Ce texte, pivot de tout le droit de la famille, l’ordonnance du 4 juillet 2005 n’a pas voulu l’abroger, précisément en raison de sa force symbolique, mais il n’a plus guère qu’un rôle marginal. Le mariage aujourd’hui apparaît non plus comme l’institution qui donne forme à la famille, mais comme un simple contrat de communauté de vie, un statut proposé, parmi d’autres, à ceux qui souhaitent donner un cadre juridique à leur vie de couple.
Et si, sortant du droit du mariage, on tourne le regard vers son concurrent direct : le pacte civil de solidarité, cette déliaison entre le couple et l’enfant est plus visible encore. Le PACS est aussi un contrat de communauté de vie. Dans tout le chapitre au demeurant assez bref que lui consacre le Code civil, il n’est jamais question de l’enfant. Comme si la communauté de vie, dés lors que délibérément le PACS n’a pas été réservé aux couples de même sexe, n’avait pas pour conséquence naturelle, en tout cas possible, la naissance de l’enfant. Même constat encore dans le droit du divorce. Il est frappant que le chapitre qui réglait les conséquences du divorce pour les enfants ait été purement et simplement abrogé. L’ensemble des règles qui visent à organiser les conséquences de la rupture du couple parental - l’exercice de l’autorité, la résidence de l’enfant – ont été en effet déplacées dans un chapitre général qui s’applique à tous les enfants quel que soit le statut de leurs parents. Aux yeux de la loi, le seul critère pertinent est celui de la communauté de vie ou de la séparation. L’autorité parentale s’exerce différemment selon que les parents vivent ensemble ou séparément. Pour tenir compte de la diversité du statut des couples, cette question a donc été entièrement dissociée du droit du divorce. Bref, de quelque côté que l’on se tourne, la rupture entre droit du couple et droit de l’enfant est entièrement consommée.
Il faut alors se demander comment on est arrivé à ce point qui représente un renversement radical par rapport à la figure de la famille dans le Code civil. Deux sources de cette évolution peuvent, me semble-t-il, être distinguées.
En premier lieu, le droit de la famille n’avait fait l’objet que de réformes ponctuelles au cours du IXXe et dans la première partie du XXe siècle. Pendant une période d’une dizaine d’années qui s’étend entre 1964 et 1975, il a été entièrement repensé, et ce train de réformes, très cohérentes, est l’œuvre d’un homme : Jean Carbonnier, qui fut le maître d’un grand nombre de juristes contemporains. A vrai dire, il faut immédiatement nuancer quelque peu ce propos, car on observe à cette époque dans toute l’Europe des réformes à peu près semblables. Ce qui montre que le législateur ne choisit pas absolument ce qu’il décide, mais qu’il est conduit par des évolutions sociales qui sont à peu près les mêmes dans tous les pays de développement égal et de culture proche. Pour autant, dans l’œuvre de Jean Carbonnier, s’exprime une pensée directrice. Cette pensée directrice, il l’a lui-même développée dans un article intitulé : « A chacun sa famille, à chacun son droit »2

# Jean Carbonnier, Essais sur les lois, éd. Defrénois, 1979, p. 167.

La première idée est celle de la pluralité des modèles. La France est un pays divisé de croyances et de religions, divisé par les cultures qui s’inscrivent dans ces croyances, divisé aussi par les idéologies et les traditions. Un seul modèle par conséquent ne peut suffire à tous, et le rôle du législateur n’est pas de privilégier un schéma familial de préférence à un autre, mais d’ouvrir la porte à la diversité en mettant en place une sorte de législation à la carte dans laquelle chacun trouvera ce qui correspond à sa propre conception de la vie familiale. D’où le titre : à chacun sa famille, à chacun son droit.
La seconde idée directrice que souligne Carbonnier, c’est la force de l’idéologie. Le propos est très fort. « C’est l’idéologie qui emporte les digues », écrit-il. L’idéologie qui pénètre le droit de la famille au milieu du 20ème siècle, poursuit-il, « se récapitule en deux mots : liberté, égalité ». Et il conclut, un peu ironiquement d’ailleurs : « C’est la devise de la République qui pénètre à l’intérieur de la famille ». Mais la famille est-elle, peut-elle être, une société démocratique ? On peut en douter. Parce qu’elle est une communauté de personnes organisée par des liens articulés entre eux, les relations n’y sont ni égalitaires ni réversibles. Le père n’est pas la mère, l’enfant n’est pas ses parents... C’est pourquoi les principes de la démocratie, qui présupposent une certaine indifférenciation des citoyens, s’y implantent malaisément. On verra dans un instant que l’application uniforme d’un principe général d’égalité de chacun avec tous dans une société comme la famille aboutit à une sorte d’aplatissement. On ne perçoit plus la famille comme une collectivité justifiée par un intérêt commun qui dépasse celui de chacun de ses membres, mais on la voit plutôt comme un cumul d’intérêts individuels.
En second lieu, un autre facteur d’évolution, plus récent, est la pénétration du droit de la famille par la doctrine des droits fondamentaux. Le droit de la famille est en effet aujourd’hui dominé par des sources qui lui sont supérieures, j’allais dire : des métas sources. Ce sont les conventions internationales et la Constitution. Les conventions internationales, c’est pour l’essentiel la Convention européenne des droits de l’homme3, précisée et complétée par la jurisprudence extrêmement dynamique de la Cour du même nom, qui pénètre, en raison de la supériorité des traités sur la loi interne, à l’intérieur du droit de la famille. Derrière, viennent la Constitution et son préambule : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.»4.  

$ Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rome, 4 novembre 1950
4 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 10


Bien des conséquences, parfois inattendues, peuvent se déduire d’une formule aussi générale. En France, les juridictions suprêmes, le Conseil d’état d’abord puis la Cour de cassation après quelques tentatives de résistance demeurées sans suite, ont admis très vite l’applicabilité directe dans le droit national du droit européen et de la Convention européenne des droits de l’homme. En tout cas, les juridictions françaises s’alignent systématiquement sur la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Le Conseil constitutionnel a un comportement différent. Il n’a jamais admis, formellement, la supériorité de la Convention sur la Constitution. Mais il est d’autant plus préoccupé d’éviter toute contradiction avec elle. S’il ne se réfère jamais à la jurisprudence de la Cour, il s’emploie aussi à ne jamais se mettre en retard sur elle et s’empresse d’en reprendre à son compte toutes les solutions.
Quels sont donc les droits fondamentaux qui concernent la famille ? A dire vrai, il n’est pas si aisé de dire ce qu’est un droit fondamental, ou à l’inverse quels sont les droits qui ne le seraient pas. Ecartons ce débat, pour constater qu’en droit positif, deux principes tirés de la Convention européenne des droits de l’homme pénètrent de plus en plus avant dans
le droit de la famille. C’est d’abord le principe de non-discrimination5, dont l’effet le plus clair est d’interdire de favoriser un modèle familial plutôt qu’un autre. C’est ensuite le droit à une vie familiale normale, que consacre l’article 8 de la Convention. Or, cette notion de vie familiale « normale » est assez déconcertante, puisque la pluralité des modèles signifie justement qu’il n’y pas de norme. La référence à une vie normale ne renvoie donc, contrairement à ce qu’un esprit simple pourrait croire, à aucune normalité. La norme, c’est ce que chacun décide pour lui- même, et c’est le droit de voir protéger par la loi le mode de vie que l’on a choisi. La vie familiale normale ressemble ainsi à une auberge espagnole où chacun apporte la manière dont il entend vivre sa vie de couple ou de famille. Elle signifie en réalité qu’il appartient au législateur de reconnaître, organiser, protéger, les modes de vie que les individus choisissent dans la libre détermination de leur identité. Cette nouvelle approche a des conséquences importantes. Les droits fondamentaux sont par nature des droits individuels. Seuls les individus ont des droits fondamentaux. Et donc aujourd’hui, la famille ne se présente plus comme un groupe doté d’un intérêt commun qui surpasserait l’intérêt propre de chacun de ses membres. Elle se présente plutôt comme le lieu où s’épanouissent les droits individuels, jusqu’au moment où elle n’apparaît plus comme un lieu d’épanouissement mais comme un lieu de contrainte. Alors, il faut pouvoir en sortir.
Voilà ce que je voudrais démontrer. Je le ferai en reprenant successivement l’évolution du droit du couple, puis celle du droit de la filiation, puisque ces deux institutions traditionnellement liées sont désormais séparées. 

5 Art. 14

I – Le droit du couple.
Le droit du couple demeure pour l’essentiel celui du mariage. D’abord parce que le droit du mariage est évidemment le plus construit. Ensuite parce que si le mariage a perdu sa suprématie comme institution, il continue de
fonctionner assez bien comme modèle. Le PACS, le concubinage lui-même, s’ils s’en démarquent, s’en inspirent au fond pour l’essentiel. C’est donc le droit du mariage dont il faut commencer par scruter l’histoire. Celle-ci illustre de façon spectaculaire le propos ci-dessus rappelé de Carbonnier. Deux mots la résument en effet : liberté, égalité. Je commencerai par l’égalité parce que c’est elle qui apparaît comme le moteur principal de l’évolution. Tout se passe en effet comme si l’idée d’égalité était dotée d’un dynamisme propre qui lui confère une sorte d’aptitude naturelle à conquérir toujours de nouveaux domaines. 

A / L’égalité.
Appliquée au mariage, l’égalité a deux points d’application. A l’intérieur, elle commande l’égalité des époux, qui n’est d’ailleurs qu’un aspect particulier de la question plus générale de l’égalité de l’homme et de la femme dans la société. A l’extérieur, elle induit un mouvement d’égalisation du statut des couples, mariés ou non.
1°) Dans le mariage : l’égalité des époux.
L’égalité dans le mariage se présente aujourd’hui un combat largement dépassé, tant elle a été poussée dans son ultime perfection. A telle enseigne que la loi ne connaît plus ni le mari ni la femme, mais seulement les époux : chaque époux, l’un des époux ... ce qui donne un caractère aimablement abstrait au droit du mariage. Ce serait pourtant en donner une lecture tout à fait anachronique que d’imaginer que, en gommant la différenciation des sexes dans les années soixante-dix et quatre-vingt, on a cherché à préparer la voie au mariage homosexuel. Reste que, si demain on veut ouvrir l’union conjugale aux couples de même sexe, il n’y aura rien à réécrire des textes qui la régissent.
La situation présente est l’aboutissement d’une suite de réformes successives qui s’étalent depuis le début du 20ème siècle jusqu’à aujourd’hui. Il n’est pas question de retracer ici toutes les étapes de cette progression, trop techniques. L’histoire pourtant en est instructive : elle illustre ce dynamisme propre au concept d’égalité, souligné ci-dessus. Ce qui frappe le plus en effet, c’est le caractère récurrent de ces réformes : comme si, une fois engagé sur ce chemin laborieux, il n’était d’autre choix que de remettre cent fois le métier sur l’ouvrage pour faire la chasse aux séquelles, toujours renaissantes, de la discrimination. Je me contenterai de donner quelques signes de cette évolution.
Le plus caractéristique se trouve dans les versions successives de l’article 213 C. civ. En 1804 il s’énonçait ainsi : « La femme doit obéissance à son mari, le mari doit à sa femme sa protection ». Les devoirs des époux sont réciproques. Mais le contenu de ces devoirs est extrêmement différent parce que les rôles de chacun sont clairement identifiés et ne peuvent être confondus. Aujourd’hui – après diverses variations sur le thème - le même article 213 s’exprime d’une manière que l’on peut d’ailleurs juger plus sympathique : « Les époux assurent ensemble la direction matérielle et morale de la famille», ce qui veut dire qu’ils sont désormais placés sur un pied d’égalité, et assument un rôle identique dans cette direction qu’ils assurent conjointement ou chacun à leur tour selon les cas.
L’un des principaux points d’application de ce principe d’égalité concerne la gestion des biens du ménage. Question d’intendance sans doute, mais qui dans la cadre de la vie commune revêt une importance particulière compte tenu de ses applications très concrètes. Initialement, le régime de la communauté légale laissait au mari la gestion de tous les biens du couple. Après plusieurs réformes successives et depuis une loi du 23 décembre 1985 – symboliquement intitulée loi sur l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux – ils exercent l’un et l’autre des pouvoirs strictement identiques dans l’administration et la disposition de leur patrimoine.
Naturellement, l’aspiration à l’égalité ne se limite pas à ces aspects patrimoniaux. Elle a une autre manifestation, non moins centrale et encore plus significative : c’est la suppression de la puissance paternelle, remplacée par l’autorité parentale par une loi du 4 juin 1970.


Les mots ici parlent d’eux-mêmes. L’autorité – et par voie de conséquence la responsabilité de l’éducation car l’autorité parentale comporte plus de devoirs que de droits – n’appartient plus au seul père. Citons à titre d’exemple l’article 371-1 C. civ. : « L’autorité parentale appartient aux père et mère », et plus loin : « les père et mère exercent en commun l’autorité parentale » (article 372). Titularité et exercice coïncident dans une parfaite égalité. L’autorité sur les enfants est désormais partagée entre les parents, de même que la direction matérielle et morale de la famille l’est entre les époux. Ce sont au fond les deux faces d’une même réalité, à ceci près, comme on le précisera plus loin, que le partage de l’autorité parentale n’est pas cantonné aux familles fondées sur le mariage.
Pour aller au bout du propos, il faut signaler deux points qui, plus récemment, sont venus parachever cette longue marche vers l’égalité conjugale. Le premier concerne la transformation du nom de famille. C’est une loi du 4 mars 2002 qui abolit la transmission patrilinéaire du nom. Et d’ailleurs, le terme même de nom patronymique a du même coup disparu de la langue juridique, remplacé par le nom de naissance, c'est-à-dire celui qui a été attribué à l’enfant le jour de sa naissance. Les parents disposent aujourd’hui d’une totale liberté pour décider du nom qui sera transmis : celui de l’un d’entre eux ou des deux, dans un sens ou dans un autre, à leur choix. Ce système aboutit d’ailleurs à un résultat invraisemblablement compliqué. On a pu décompter jusqu’à 17 combinaisons possibles. Où l’on voit que l’égalité n’a pas de prix... Le second concerne l’âge du mariage. Tout le monde sait en effet que le Code civil différenciait nettement les hommes et les femmes sous ce rapport : selon l’article 144 dans sa version d’origine, les hommes étaient autorisés à se marier à partir de 18 ans, les femmes à partir de 15 ans. Cette différence a fini par être ressentie à son tour comme discriminatoire, et une loi du 6 août 2006 est venue uniformiser la règle. Désormais l’âge nubile est fixé à dix-huit ans pour les femmes comme pour les hommes.
Cette dernière réforme mérite entièrement d’être approuvée. Elle est loin d’être anecdotique. Elle signifie qu’aujourd’hui les jeunes filles comme les jeunes gens se marient à un âge où elles sont majeures et par conséquent n’ont plus besoin de l’autorisation de leurs parents. C’est un excellent moyen de prévenir les unions trop précoces et les mariages forcés. Cela étant, la nouvelle rédaction de l’article 144 mérite que l’on s’y attarde un instant : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». A partir du moment où la règle était unifiée, une formulation plus directe pouvait venir naturellement à l’esprit (par exemple, on ne peut contracter mariage ...). La double référence – l’homme et la femme – est donc délibérée. En droit positif, l’article 144 est la seule disposition qui fait allusion à la différence des sexes dans le mariage. Au moment où le débat sur « le mariage gay » commençait de s’imposer dans l’espace public, conserver dans les textes un énoncé explicite de la condition de différence des sexes a semblé en 2006 indispensable.
2°) Hors mariage : l’égalité des couples mariés et non mariés.
Un des axes principaux de la politique familiale depuis une quarantaine d’année réside en ceci que le législateur n’a pas de « modèle » familial à proposer ou favoriser et n’entend pas en avoir. A vrai dire, avant de pénétrer le droit civil, cette idée s’est d’abord imposée en droit social. Le droit social en effet a pour fonction de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Il s’attache par conséquent aux situations de fait et à la réalité des besoins économiques, plus qu’à leur expression juridique. Par exemple, il s’attachera à la communauté de vie, à la présence d’enfants, pour attribuer des allocations familiales ou des aides au logement. C’est ainsi que la politique familiale, lorsqu’elle a été inventée, s’est d’abord adressée aux familles fondées sur le mariage, parce qu’à cette époque la notion même de famille hors mariage se présentait comme une véritable contradiction dans les termes. Bientôt pourtant, le constat s’est imposé que ce sont d’abord les femmes élevant seules leurs enfants qui ont le plus besoin d’assistance et de soutien. Et l’aide aux familles a cessé d’être conditionnée au mariage de ses bénéficiaires. De même c’est la loi portant généralisation de la sécurité sociale qui, en 1978, a permis à la concubine d’être assurée comme ayant droit de son compagnon.
Le droit civil, parce qu’il considère les institutions, a été plus long à entrer dans cette logique d’assimilation des couples mariés et non mariés au regard des droits dont ils peuvent se prévaloir. Mais il l’a fait lui aussi à partir de situations concrètes qui appelaient une protection. C’est particulièrement net dans le droit du bail d’habitation : lorsque le locataire décède, ou tout simplement lorsqu’il quitte le local loué, le bail se poursuit d’abord au profit du conjoint si celui-ci y avait sa résidence, mais également au profit du concubin (qualifié de notoire pour éviter toute incertitude sur la preuve de la relation de concubinage), et maintenant du partenaire pacsé6.
Plus significative du mouvement de la législation est la loi du 29 juillet 1994 (révisée en 2004) qui énonce les conditions dans lesquelles est autorisé le recours à la procréation médicalement assistée. Celle-ci a pour but de répondre à la «demande parentale » d’un couple. Ce couple doit être formé d’un homme et d’une femme, tous deux vivants et vivant ensemble depuis deux ans au moins7. Peu importe qu’ils soient ou non mariés. On constate ici l’assimilation totale de l’union libre et du mariage pour caractériser le couple parental. La durée de la vie commune est perçue comme une garantie suffisante de la stabilité de ce couple et du sérieux de son projet. C’est aussi la première fois que l’on voit émerger le couple, en tant que tel, comme sujet de droits. Quel que soit son statut, il forme en soi une réalité juridique à qui il est possible d’attribuer des droits. 
  1. 6  Loi du 6 juillet 1989, art. 14
  2. 7  Article L.2141-3 C. santé publ.
 À cet égard, la loi du 4 novembre 1999 modifie de façon substantielle cet aspect de la question. D’un côté, elle apporte une consécration juridique au concubinage : il y est défini comme une situation de fait caractérisée par la communauté de vie, sans que d’ailleurs on se préoccupe d’en préciser les effets. D’un autre, elle donne naissance au pacte civil de solidarité (PACS), lui-même défini comme un contrat ayant pour objet d’organiser la vie commune entre les partenaires. L’un et l’autre sont pareillement ouverts à tous les couples, qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent. Malgré cela, le PACS se révèle en réalité plus proche du mariage que du concubinage, puisque c’est une vie de couple juridiquement organisée. Créé en 1999, il a été réformé en 2006 et la loi nouvelle a considérablement renforcé ces ressemblances. Conçu à son origine comme une organisation patrimoniale dont les effets étaient pour l’essentiel cantonnés aux biens des partenaires, il déploie aujourd’hui aussi ses effets dans leurs rapports personnels et crée entre eux des devoirs réciproques, largement calqués sur ceux qui existent entre époux. Les époux se doivent fidélité, secours, assistance. Les pacsés se doivent aide matérielle et assistance réciproque. Ce n’est pas très éloigné. Seule la fidélité manque au tableau. Au demeurant, selon les statistiques de l’INED, le Pacs est pratiqué par des couples traditionnels bien plus que par les homosexuels, et la majorité des PACS prend fin par ... le mariage des partenaires ! Le PACS est devenu en réalité une organisation juridique des fiançailles.
Corrélativement se développe l’idée qu’à ces couples vivant selon des statuts différents, la loi doit une égalité de traitement. Significative est à cet égard la jurisprudence du Conseil d’état qui énonce simultanément deux propositions dont l’équilibre est subtil. D’un côté, il n’est pas par principe discriminatoire de refuser aux partenaires d’un PACS un avantage que la loi confère aux époux : les engagements contractés par les uns et par les autres ne sont pas les mêmes ; ils ne sont donc pas placés dans des situations identiques. De l’autre, pour donner à la loi toute sa portée, ces différences de traitement doivent être corrigées dés que possible. Ainsi progresse l’idée que l’égalité entre les couples au-delà de la diversité de leur statut fait elle- même l’objet d’un droit. Ce n’est pourtant pas une évidence. S’il doit y avoir une pluralité des modèles conjugaux de manière à ce que chaque couple y trouve celui qui lui convient, pourquoi devraient-ils tous produire les mêmes effets ? Ou s’ils produisent les mêmes effets, pourquoi une diversité de statuts ? A telle enseigne que récemment les Pays-bas se sont interrogés sur l’utilité de maintenir l’institution du mariage dés lors qu’il existe en droit civil néerlandais un partenariat enregistré, à quelque chose près semblable à notre PACS.
B/ La liberté.
Le mariage a toujours été perçu comme une institution, soumise à un statut légal impératif. La liberté des époux s’exprime lors de la célébration de leur union, elle ne s’étend pas à la possibilité d’en organiser les effets : on entre en mariage, on n’en règle pas soi-même les conséquences. Il en est ainsi parce que la finalité du mariage dépasse la personne des époux pour intéresser la société toute entière. A l’inverse, les lois contemporaines sont d’inspiration individualiste et libérale. L’union conjugale est là pour assurer l’épanouissement de chacun, pour lui permettre de réaliser son aspiration au bonheur. Cet esprit de liberté s’exprime de deux façons différentes: par le recul de l’ordre public matrimonial qui ouvre un nouvel espace à la liberté des époux à l’intérieur de leur union, et surtout par l’avènement d’un véritable droit au divorce.
1°) Le contractualisme conjugal.
Le recul de l’ordre public matrimonial a pour corollaire direct une place plus large faite à la liberté contractuelle pour aménager les rapports entre époux. Ceux-ci sont désormais perçus comme des contractants comme les autres, qui ne subissent plus aucune contrainte particulière, et ne bénéficient d’ailleurs non plus d’aucune protection particulière. Au fond, le mariage ne se présente plus comme un statut impératif mais plutôt comme un cadre finalement assez souple à l’intérieur duquel les époux disposent d’une grande liberté pour aménager plus ou moins à leur guise leur vie conjugale. À cette liberté nouvelle s’ajoute l’affaiblissement des devoirs du mariage que nous avons énoncés tout à l’heure. Si on peut leur reconnaître une portée morale, l’idée qu’ils pourraient être juridiquement sanctionnés devient tout à fait incongrue. Pour ne citer qu’un exemple, la Cour de cassation a jugé, il y a déjà quelques années, que le fait pour un homme marié de consentir une libéralité à sa maîtresse ne peut être jugé ni immoral ni illicite8. Autrement dit, le devoir de fidélité n’a plus aucune portée positive. Plus généralement, c’est cet affaiblissement de la notion même de devoirs entre époux qui explique le discrédit du divorce pour faute, auquel on reproche d’exacerber les conflits au lieu de pacifier les esprits. 

8 Civ. 1ère 3 février 1999, Bull. n° 43.

2°) L’apparition d’un droit au divorce.
Le divorce a fait l’objet de deux réformes successives : par une loi du 11 juillet 1975 d’abord et plus récemment par une autre du 26 mai 2004. L’innovation majeure de la loi de 1975 fut la consécration du divorce par consentement mutuel, jusque là perçu comme inacceptable parce que représentant une sorte de privatisation du lien conjugal, qui serait ainsi laissé à la disposition des époux. La loi de 1975 renverse la perspective. Le divorce par consentement mutuel devient un modèle qui doit être favorisé parce qu’il permet de pacifier le divorce. Lorsque les époux sont d’accord, ils n’ont pas à faire connaître la cause de leur divorce. Celui-ci devient alors un droit pour eux. Il est vrai qu’ils subissent une contrepartie qui peut s’avérer plutôt lourde. Ils doivent alors régler eux-mêmes par convention l’ensemble des conséquences de la rupture du lien : la résidence des enfants et l’exercice de l’autorité parentale, les incidences financières, le partage des biens... Le juge contrôle l’équilibre de cette convention mais ne peut prendre aucune décision qui s’imposerait aux « divorçants ». Il faut donc parvenir à un accord global ce qui est souvent un obstacle difficile à franchir. Néanmoins, le divorce par consentement mutuel est aujourd’hui la voie la plus usitée : plus de 50% des divorces passent par cette procédure. La loi du 26 mai 2004 l’a grandement facilité. L’intervention du juge y est réduite à sa plus simple expression, puisqu’il n’y a plus qu’une seule comparution devant le juge.



Initialement la loi prévoyait deux comparutions successives, séparées par un intervalle de six mois, dans le double but de vérifier la persistance de la volonté de divorcer chez chacun des deux époux, et si nécessaire de préciser et corriger la convention. Aujourd’hui, le juge prononce le divorce immédiatement pourvu que la convention lui paraisse garantir suffisamment les intérêts de chacun. Il y a là tout à la fois une certaine illusion sur la qualité que présente fréquemment le consentement au divorce et un grand risque de voir réapparaître par la suite des conflits qui ne se seront pas exprimés et n’auront pas été traités en leur temps. Le juge, il est vrai, peut ordonner une seconde parution si cela lui paraît nécessaire. Mais on sait à quel point la justice est surchargée et il est permis de penser que les magistrats feront un usage parcimonieux de cette faculté.
Dés lors réapparaît la question largement débattue lors de la préparation de la loi de 2004. Peut-on concevoir un divorce sans juge ? Le rôle des tribunaux est de trancher les litiges. Si les époux sont d’accord dans leur volonté de mettre fin à leur union, il n’y a pas de litige à trancher. Pourquoi ne pas permettre un divorce par simple déclaration devant l’officier d’état-civil ? Une telle mesure aurait l’incontestable avantage de libérer la justice d’une tâche probablement peu gratifiante. Mais elle contribuerait singulièrement à la dévalorisation du lien conjugal, ramené à un simple lien de nature contractuelle laissé à la discrétion des époux.
La seconde innovation significative, apportée par la loi du 26 mai 2004, est la création d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal. Celui des époux qui veut sortir du mariage, alors même qu’il n’a aucun grief à formuler contre son conjoint et que celui-ci lui refuse son consentement, peut reprendre sa liberté. La seule condition que la loi lui impose, destinée à faire la preuve de l’altération du lien et de son caractère définitif, c’est que les époux vivent déjà séparés de fait depuis deux ans au moins. C’est en réalité une durée très courte qui, le plus souvent, sera absorbée par la procédure. Ainsi un époux a-t-il un moyen très simple d’imposer le divorce à l’autre en dehors de tout grief. Même si le mot suscite un certain malaise, on a bien le sentiment qu’on n’est pas très loin d’une répudiation.
Du même coup, la loi de 2006, si elle maintient en apparence le vieux divorce pour faute, le ramène à un rôle purement résiduel. En effet, la répartition des torts n’a plus aucune incidence sur les conséquences du divorce, notamment financières. Ainsi celui à qui incombe la totalité des torts peut malgré cela réclamer à l’autre une prestation compensatoire si l’inégalité économique entre les anciens époux le justifie. Le divorce pour altération définitive du lien conjugal parvient de façon plus simple et plus directe à un résultat qui n’est pas moins favorable. Il retire ainsi tout intérêt au divorce pour faute.
C’est donc bien un divorce unilatéral, et plus précisément un droit individuel au divorce que consacre la loi de 2004. On retrouve au fond les propos de Jean Carbonnier: la famille est justifiée dans son existence lorsqu’elle sert à l’épanouissement de ses membres. Dés lors qu’elle ne permet plus cet épanouissement, on doit avoir le droit d’en sortir. Cette vision nouvelle a sa projection sur le terrain du droit international privé. Jusqu’à la loi du 11 juillet 1975, les législations plus libérales étaient souvent jugées contraires à l’ordre public international et leur application refusée devant les tribunaux français. C’était notamment le cas de toutes celles qui connaissaient le divorce par consentement mutuel. L’idée qu’il y a un droit au divorce a conduit à un renversement complet cette position : ce sont les législations plus restrictives qui sont désormais écartées au nom de l’ordre public. Nul ne peut être contraint de demeurer dans les liens d’une union dont il ne veut plus.
Ainsi, à travers cette diversification des statuts conjugaux, se fait jour cette idée que le lien matrimonial ne dépend que de la volonté des personnes qui y sont engagées. Il ne peut en être de même du lien de filiation. 

II - Le droit de la filiation.
On peut certes admettre que les relations qui s’établissent entre deux personnes dans un couple ne relève que de leur vie privée ; il n’en est évidemment pas de même des devoirs qu’ils assument envers leurs enfants, qui intéressent la société tout entière. C’est donc à partir de l’enfant et autour de lui que la loi appréhende aujourd’hui la famille. Or, le droit de la filiation a été récemment bouleversé sous l’emprise de deux phénomènes. Le premier est juridique et évoque directement les forces que nous avons déjà vues à l’œuvre dans le droit du couple : c’est encore une fois l’aspiration à l’égalité. Le second est scientifique : ce sont les progrès spectaculaires des connaissances biologiques et génétiques.
A / L’égalité des filiations.
Le Code civil, rappelons-le, reposait sur une séparation très forte entre la filiation légitime qui s’inscrit dans la famille, et la filiation naturelle qui lui reste extérieure. L’enfant légitime est né dans le mariage. L’enfant naturel est celui qui naît hors mariage. En 1804, seul l’enfant légitime jouit de la plénitude des droits attachés au lien de filiation. L’enfant naturel a des droits mais ils sont incomplets : par exemple, il hérite de ses père et mère mais avec des droits moins étendus. Et surtout, il n’entre pas dans une famille. Pour les rédacteurs du Code civil, nous l’avons déjà vu, la famille ne peut exister en dehors du mariage. Sous la condition que la filiation soit juridiquement établie, l’enfant naturel peut être relié à sa mère d’un côté, à son père de l’autre. Il n’a pas de lien avec la famille de ses parents.
C’est une loi du 3 janvier 1972 qui a complètement modifié son statut. Elle l’a fait dans un texte à forte portée symbolique: « L’enfant naturel a les mêmes droits qu’un enfant légitime. Il entre dans la famille de son auteur ». Le renversement est total. La loi consacre désormais l’existence d’une véritable famille naturelle. Pour se relier à ce que nous avons vu en première partie, on voit bien que ce principe d’égalité des droits entre enfants quelles que soient les conditions de leur naissance contribue de façon décisive à gommer la frontière qui sépare le mariage du non-mariage. C’est un puissant facteur d’égalisation du statut des couples.
Le principe une fois posé révèle le même dynamisme propre que nous avons déjà vérifié dans le couple. Il développe ses conséquences et conquiert de nouveaux terrains. Après 1972, il a progressé dans trois directions.
1°) L’égalité successorale des enfants adultérins
La loi de 1972 avait laissé subsister des inégalités de traitement au détriment des enfants adultérins. Cette infériorité se faisait principalement sentir sur le terrain successoral. Lorsque l’enfant se trouvait en concours dans la succession de son auteur avec le conjoint, ou avec des enfants issus du mariage, il avait des droits moindres. L’idée de la loi était de protéger la foi due au mariage et surtout les personnes à qui cette foi était due. Or, ces dispositions ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 1er février 20009. Elles constituent une discrimination non justifiée et portent atteinte au droit de l’enfant qui en est victime au respect de ses biens. Par la suite, la France a donc été amenée à corriger son droit successoral pour le mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, ce qu’elle a fait dans une loi du 3 décembre 2001. A vrai dire, cette question aurait sans doute mérité un vrai débat : est-il juste, est-il opportun, est- il admissible de défendre le mariage et la famille légitime au prix d’une inégalité successorale qui sanctionne un enfant qui n’y est pour rien ? Trancher cette question n’est pas simple. Mais, justement, ce qui frappe dans cette histoire, c’est que ce débat n’a jamais été ouvert. La question a été perçue exclusivement sous l’angle de la hiérarchie des normes : la convention est supérieure à la loi ; la loi doit être corrigée dans toute la mesure où elle lui est contraire. Il n’y a rien d’autre à considérer. Approche révélatrice de la manière dont aujourd’hui fonctionne le droit. 

9 CEDH, Mazurek c. France, 1er février 2000, arrêt n° 34406/97

2°) De l’égalité de droits à l’identité de statut.
En 1972, l’égalité de droits n’est pas une identité de statuts. C’est là une perspective réaliste. L’enfant légitime est né dans un cadre familial stable. Ce n’est pas toujours le cas – ce n’est souvent pas le cas – de l’enfant naturel. De cette différence de contexte il résulte que les relations entre l’enfant et ses parents s’organisent sur des bases elles aussi bien différentes. Ainsi par exemple, les modes de preuve de la filiation ne sont-ils pas les mêmes. L’établissement de la filiation légitime découle en réalité du mariage lui- même. Dans le mariage, les époux ont accepté à l’avance les enfants à naître de leur union. Ainsi la seule indication du nom de la mère dans l’acte de naissance, auquel s’adosse la présomption de paternité, suffit-elle à relier l’enfant au couple que forment ses parents. Au contraire, la filiation naturelle n’a pas d’appui dans une relation juridique préexistante entre les parents. C’est pourquoi le lien entre l’enfant et ses père et mère s’établit distinctement à l’égard de chacun d’eux, et présuppose de leur part une manifestation de volonté spécifique. De même, l’autorité parentale, instituée comme on l’a vu par la loi du 4 juin 1970, n’était exercée en commun qu’autant que les parents étaient mariés. Sur l’enfant naturel, l’autorité était confiée à la mère à partir de cette idée tout à a fait réaliste que, lorsque les parents ne sont pas mariés, l’enfant est le plus souvent élevé par sa mère. Pour la même raison, l’autorité parentale était très généralement attribuée à la mère après divorce.
Or, progressivement, l’idée s’est développée que l’égalité de droits ne suffit pas, qu’elle doit être prolongée par l’égalité des statuts. Ce qui signifie que toutes les règles doivent être identiques, sous peine de paraître discriminatoires. C’est ainsi qu’au fil de réformes successives, les modes de preuve ont été rapprochés. L’autorité parentale conjointe a été étendue à toutes les situations familiales : aux couples mariés comme à ceux qui ne le sont pas, à ceux qui vivent ensemble comme à ceux qui vivent séparés. La loi pousse très loin cette volonté de généralisation, puisqu’elle n’hésite pas à écrire que « la séparation des parents n’a aucune incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale (article 373-2 C. civ.). Ce n’est que s’il est saisi d’un conflit entre les parents que le juge peut être amené à en organiser les modalités. Tout cet édifice légal repose sur cette idée que le couple parental survit au couple conjugal parce que les parents sont égaux dans la responsabilité qu’ils assument envers leurs enfants, et le demeurent quelles que soient les vicissitudes de leur vie sentimentale. C’est cet objectif qui conduit aussi aujourd’hui à généraliser la résidence alternée dans le but de préserver les liens de l’enfant avec ses deux parents, même après leur séparation. C’est une très belle idée qui a le mérite de rappeler la pérennité du lien de filiation et des devoirs qu’il entraîne, dont on peut craindre toutefois qu’elle n’apparaisse souvent comme un vœu pieux et se révèle en tout cas bien difficile à mettre en œuvre dans la pratique.
3°) L’unité de la filiation.
Tirant les conséquences de cette évolution, une ordonnance du 4 juillet 2005 – ratifiée depuis par une loi du 16 juillet 2009 - abroge la distinction des filiations naturelle et légitime, consommant ainsi la déliaison entre le droit de la filiation et celui du mariage. Comme le statut des enfants était déjà largement unifié, cette réforme a en réalité pour principal objet d’uniformiser les modes de preuve. Puisque le mariage n’est plus une référence, le lien de filiation ne relie plus l’enfant à un couple, mais de façon distincte à son père et à sa mère, et selon des modalités qui par conséquent ne dépendent plus, sauf exception, du statut de ce couple. Pour ne donner qu’un exemple, l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance fait désormais toujours preuve de la filiation maternelle, parce qu’il s’agit d’un simple fait qu’il s’agit seulement de constater. L’unification cependant n’est pas totale. La loi nouvelle maintient en effet la présomption de paternité, qui établit le lien entre l’enfant et le mari de sa mère lorsque celle-ci est mariée. Cette règle a paru en effet trop essentielle à la signification du mariage pour être effacée. Mais il faut reconnaître qu’elle est considérablement fragilisée. Elle n’est plus la pierre d’angle du droit de la famille qu’elle était antérieurement et fait plutôt figure de survivance.
Mais à partir du moment où la filiation est désinstituée, où elle ne trouve plus son fondement juridique dans l’institution du mariage, le seul fondement qui apparaisse incontestable est de nature biologique. C’est le lien qui rattache l’enfant à ses géniteurs.
B/ La place du facteur biologique dans le droit de la filiation.
L’impact des progrès de la génétique sur le droit de la filiation est évidemment considérable. C’est un véritable raz de marée qui ébranle tout l’édifice. La position de notre droit n’en est pas moins paradoxale car elle lui attache une portée tout à fait différente selon que la filiation en question est d’origine naturelle – comprenons selon la nature, ou résulte d’une procréation médicalement assistée.
1°) La filiation selon la nature.
Longtemps, le droit de la filiation a fait preuve d’une indifférence presque totale envers la composante biologique de la filiation. D’abord, parce qu’on ne savait pas l’identifier. A cet égard, les filiations paternelle et maternelle ne sont évidemment pas égales. Si la maternité résulte tout naturellement de l’accouchement, la paternité se présentait en soi comme un phénomène inconnaissable. Dans le Code civil, le père n’est connu que par l’intermédiaire de la mère. C’est cette médiation qu’exprime justement la présomption de paternité : le père est celui que désigne le mariage de la mère. En outre, tant que les droits des enfants ne sont pas égaux, la préoccupation principale du législateur est de faire entrer le plus grand nombre d’enfants sous le manteau protecteur de la légitimité. A cette faveur à la légitimité la présomption contribue aussi. Peu importe au fond qu’elle corresponde ou non à la réalité.
Il n’en est évidemment plus ainsi aujourd’hui. D’un côté, les progrès de la génétique permettent d’affirmer avec une certitude quasi absolue que tel homme est le père de tel enfant. D’un autre, l’avènement de l’égalité entre enfants rend superflue la faveur à la légitimité. Dés lors s’impose l’idée qu’il existe une vérité scientifique de la filiation à laquelle la biologie permet d’accéder, et que la fonction du droit est de permettre à cette vérité de s’affirmer. Par son objectivité apparente, cette vérité scientifique exerce sur les esprits, y compris sur l’esprit des juges, une sorte de fascination. Tant que la preuve biologique ne peut être qu’incertaine, la paix des familles l’emporte sur la volonté de savoir. Quand la vérité biologique devient accessible, il devient très difficile de la refouler. Elle s’impose envers et contre tout.
A l’époque de loi du 3 janvier 1972, ce phénomène n’est pas encore très perceptible parce que les preuves biologiques sont encore balbutiantes. Elles apparaissent seulement comme un facteur à prendre en compte parmi d’autres. Mais le développement des connaissances dans ce domaine crée un certain emballement du droit. La jurisprudence a ouvert de très nombreuses actions permettant de remettre en cause la filiation paternelle en démontrant que le père « légal », celui que désigne la présomption de paternité ou parfois une fausse reconnaissance, n’est pas le vrai père. La filiation paternelle en sort considérablement fragilisée. Par ailleurs, les lois récentes ont très largement ouvert l’action en recherche de paternité qui n’était autrefois admise que dans des situations précises limitées par la loi. Elle est désormais possible directement, sur la base d’une expertise génétique. La preuve scientifique sert ainsi directement à désigner le père. Et la jurisprudence de la Cour de cassation a posé en principe qu’en matière de filiation l’expertise génétique est de droit. Ici aussi se fait jour l’idée qu’il existe un droit à voir la « vraie » filiation déclarée et reconnue juridiquement. Quelques affaires spectaculaires et fortement médiatisées, telles que l’affaire Montand, l’ont illustré. Mais la biologie constitue-t-elle vraiment la vérité ultime en matière de filiation ? Cette question renvoie au célèbre dialogue de Marius et Panisse : le père est-ce celui qui donne la vie, est-ce celui qui aime ? Comment choisir ? En réalité la filiation est un lien complexe qui associe un élément biologique avec des éléments affectifs et sociaux. N’en considérer que la composante biologique en ignorant sa dimension affective et sa dimension sociale, c’est en retenir une conception singulièrement réductrice. En dépit de son apparence objective, la vérité qualifiée de scientifique se laisse facilement instrumentaliser. Elle contribue à faire de l’enfant l’objet du conflit des adultes. Le désamour qui s’installe entre les parents devient prétexte à remise en cause de la filiation de l’enfant. Cette situation est malsaine. L’enfant n’est pas un objet que l’on transporte avec soi et qui devrait changer de père toutes les fois que sa mère change de compagnon. Il n’est pas admissible qu’à l’occasion d’un tel conflit, par exemple dans le cadre d’un divorce et pour ne pas avoir à assumer une pension alimentaire, la filiation de l’enfant puisse être déniée sans précaution et sans qu’on s’interroge d’abord sur les conséquences de cette remise en cause sur la situation de cet enfant.
Le législateur a d’ailleurs pris conscience des risques d’une domination non tempérée de la vérité biologique. La loi du 16 juillet 2009 s’efforce de limiter les actions en contestation de filiation. Pour cela elle les enferme dans des délais, de façon à interdire de détruire une situation juridique installée de puis longtemps. Par exemple, une filiation juridique qui est corroborée par la possession d’état – c'est-à-dire par une situation de fait conforme au droit – ne peut être contestée au- delà de cinq ans. Ce qui signifie que, lorsque l’enfant vit dans sa famille, entre ses parents, sa filiation est définitivement à l’abri après cinq ans. Et surtout l’article 16-11 du Code civil interdit le recours à l’expertise génétique en dehors d’une procédure judiciaire tendant à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation. L’expertise n‘est donc pas laissée à la disposition des particuliers. Elle est entre les mains du juge parce que le sort de l’enfant ne peut pas dépendre de l’humeur de son entourage. Cette position est sage. Rien n’est pire en effet que la connaissance d’une réalité biologique dont on ne peut tirer aucune conséquence juridique parce qu’aucune action n’est ouverte. Cela dit, toutes ces dispositions limitent les effets potentiellement destructeurs du contentieux de la filiation, sans que le remède emporte pleinement la conviction. D’un côté, il est en réalité très facile de se procurer à l’étranger, voire sur internet, un test de paternité que l’on n’aura pas pu se procurer en France. D’un autre, la Cour européenne des droits de l’homme, déjà citée, semble considérer qu’au nom du droit à la vie familiale, la filiation « vraie » doit toujours pouvoir être juridiquement proclamée.
L’équilibre est difficile à trouver. L’instabilité des couples fragilisent le lien de filiation. En sens inverse, la stabilité de la famille ne survivra pas au soupçon sur la filiation. Et naturellement, c’est au premier chef la filiation paternelle qui est menacée dans ces différents scenarios. Ainsi cette fascination pour le tout biologique contribue- t-elle à ébranler la figure du père.
2°) La procréation médicalement assistée.
Les progrès de la science, en même temps qu’ils facilitent la preuve, ont permis le développement des techniques d’assistance médicale à la procréation. Celle ci- a été en même temps légalisée et réglementée par deux lois du 29 juillet 1994, qui ont été ensuite révisées par une loi du 6 août 2004. Or ces textes énoncent que, lorsqu’un couple décide d’un commun accord de recourir à la procréation médicalement assistée avec intervention d’un tiers donneur, le consentement qu’ils expriment fait ensuite obstacle à toute contestation de la filiation de l’enfant. Certes, on peut comprendre que le mari qui a consenti à ce que sa femme bénéficie d’une insémination artificielle à l’aide des gamètes d’un tiers s’interdise par là-même de contester à l’avenir sa propre paternité. Son consentement l’engage. Mais l’interdiction va au-delà. Elle s’applique pareillement à l’enfant lui-même, ainsi qu’au tiers donneur. Elle est à mettre en relation avec l’anonymat du donneur qui interdit à l’enfant d’accéder à l’identité de son géniteur. Et l’on sait qu’aujourd’hui nombre d’enfants issus de l’assistance médicale à la procréation, devenus adultes, contestent avec force l’impossibilité où ils sont ainsi placés de connaître leur « vrai » père. L’indifférence ici manifestée à la vérité biologique contraste singulièrement avec l’importance qu’on lui reconnaît en droit commun. Ainsi voit-on se construire un double droit de la filiation qui repose sur des principes radicalement opposés. La filiation charnelle obéit sans nuance au primat de la vérité de la filiation, entendue comme vérité biologique. Dans le cadre de la procréation médicalement assistée, apparaît une filiation purement juridique qui ne repose que sur la volonté des parents. Certes, la PMA demeure marginale. On reste cependant étonné d’un tel dualisme.
L’assistance médicale à la procréation est en l’état du droit positif est très fortement encadrée par la loi. Celle-ci y voit un instrument thérapeutique. Elle est licite lorsqu’elle a pour but de remédier à une infertilité médicalement constatée, ou encore quand elle cherche à éviter la transmission de maladies graves. En d’autres termes, le droit français se refuse jusqu’à présent à la considérer comme une technique de convenance qui serait si l’on peut dire une libre alternative à la procréation naturelle. Beaucoup de pays en ont une vision plus libérale. D’une part, parce que ce qui est techniquement possible n’a pas de raison d’être interdit. Si faible que puisse paraître cet argument, il est souvent opposé, en particulier par les scientifiques et les médecins. La légitimité même de la loi à borner la technique est contestée. D’autre part, parce que la question est vue, en particulier dans les pays anglo-saxons, comme relevant simplement de la liberté contractuelle. Dés lors qu’un accord est conclu entre les personnes concernées (le donneur, le couple receveur), il doit être respecté. Or, on sait bien qu’il existe une tendance à s’aligner sur les législations les plus permissives à partir de ce constat qu’il est délicat d’interdire dans un pays ce qui est licite à l’étranger. Cette situation engendre en effet des inégalités entre ceux qui ont les moyens de se rendre dans un pays voisin pour y obtenir ce qui leur est refusé en France et ceux qui ne le peuvent pas. L’argument est à vrai dire lui aussi assez faible. Généralisé, il conduirait à aller toujours vers le « moins disant ». Il ne vient fort heureusement à l’idée de personne de recourir à cette méthode en droit fiscal ou en droit social. Appliqué à la bioéthique, l’argument prospère néanmoins. Précisément les lois dites bioéthiques étant périodiquement révisables, il est difficile de prédire l’avenir des exigences posées par le droit français. Un assouplissement du cadre légal de l’assistance médicale à la procréation et une ouverture plus large de l’accès à ces techniques n’est certainement pas à exclure dans l’avenir. Ici encore, l’idée d’une égalité à assurer entre les couples qui peuvent avoir des enfants par les voies naturelles et ceux qui ne le peuvent pas, ou plus radicalement l’idée qu’il existerait un véritable droit à l’enfant, poussent dans cette direction.
Je voudrais conclure ces propos en venant au débat ouvert sur le mariage homosexuel.
Dans l’état actuel du droit, les juridictions qui ont été amenées à se prononcer sur la licéité d’une telle union ont opposé un barrage plus ou moins net. A la suite du célèbre mariage de Bègles, la Cour de cassation (arrêt du 13 mars 2007) a rappelé solennellement que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ». En termes plus prudents, le Conseil constitutionnel (décision du 28 janvier 2011) s’est contenté de constater « que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». Quant à la CEDH, elle reconnaît que le mariage a « des connotations » sociales et culturelles qui diffèrent largement d’une société à l’autre, et renvoie aux lois nationales la question de savoir s’il doit être ouvert aux couples de même sexe (affaire Schalk et Kopf c. Autriche du 24 juin 2010). Tel est le droit positif, mais rien ne permet de dire qu’il n’est pas destiné à évoluer très rapidement. Un seul argument, mais un argument définitif, plaide en effet à l’encontre de cette ouverture du mariage: c’est la liaison que le mariage institue entre lien conjugal et lien de filiation et qui exprime l’essence même de l’institution. C’est parce que la finalité du mariage n’est pas principalement d’assurer aux époux un statut protecteur qu’aucun principe d’égalité n’impose de l’étendre à tous les couples. C’est parce que la finalité sociale du mariage, celle qui lui donne son sens, est de préparer l’accueil de l’enfant que la différenciation des sexes en est la condition nécessaire. Dans cette perspective, le mariage entre deux personnes de même sexe est un non-sens et réalise une véritable dénaturation de l’union conjugale.
Mais précisément l’argument vaut-il encore ? Au terme de l’évolution que nous venons de parcourir ensemble, le lien qui rattachait le droit de la filiation au droit du mariage est aujourd’hui dénoué. La déliaison est consommée. Or, si le mariage n’est qu’un contrat de couple, s’il a seulement pour fonction d’organiser les rapports réciproques des époux entre eux et demeure sans incidence sur les relations des parents avec leurs enfants, pourquoi ne pas l’ouvrir à tous les couples ? Que vient faire la différence des sexes ? Comment justifier que la protection qu’assure l’union conjugale ne soit pas étendue à tous ceux qui souhaitent simplement s’engager l’un envers l’autre dans les liens d’un engagement plus intense que le pacte civil de solidarité ?
Cela étant, les projets annoncés vont bien au-delà.de ce seul constat. Derrière l’ouverture du mariage en effet, se profile immédiatement la revendication d’un droit à la parentalité : aujourd’hui par l’adoption, demain peut-être par le recours à l’assistance médicale à la procréation. La conjonction de ces deux revendications suscite le malaise. Elle témoigne d’une aptitude certaine à assumer la contradiction. On a finalement le sentiment que prenant d’abord appui sur la déliaison entre mariage et filiation pour réclamer le droit de se marier, on s’empresse de réintroduire aussitôt le lien traditionnel qui subsiste dans toutes les mémoires pour en déduire un véritable droit à l’enfant, présenté comme le prolongement naturel du droit au mariage. En bref, on récuse d’abord le lien qui rattache la filiation à l’institution conjugale pour ensuite le récupérer.
Arrivé au terme de ce parcours, on est tenté de poser une question à peine provocatrice : le droit de la famille existe-t-il encore ? A cette question, il faut hardiment répondre par la négative. Non, le droit de la famille n’existe plus tant il a été recouvert par l’accumulation des droits individuels. Entendons qu’il n’existe plus comme droit d’un groupe, d’une communauté de personnes instituée et protégée comme telle par la loi. Ce qui nous reste est un droit des individus dans la famille et parfois contre la famille.
 
Échange de vues



Le Président : Merci d’avoir relevé le défi parce que, étant donné l’ampleur du sujet que nous vous avons demandé de traiter, il l’a été de façon précise et claire,
Ma question est : est-ce qu’on peut retricoter ce qui a été détricoté? C’est un peu la question que, je pense, tout le monde a en tête. Ce qui a été défait, comment peut-on le refaire ? 

Pierre de Lauzun : Ce qui vient d’être dit pourrait être la première question. Mais ma question est une question remarque.
On voit effectivement qu’on détricote des principes posés a priori. Maintenant ce qu’il me paraît, c’est qu’on s’arrête en cours de route. Je prends un exemple : le concubinage ou le pacs ne supposent plus de sexes différents. Mais on interdit toujours l’union entre des parents proches. Et n’a-t-on pas de concubinage à 4 ou 5 ? On a supprimé le lien des relations sexuelles mais ce sont encore des relations sexuelles supposées qui empêchent par exemple un pacs entre son père et sa fille, entre son frère et sa sœur.
Mais on pourrait imaginer que, s’il s’agit de faire vivre ensemble, ce système devrait aller jusqu’à admettre en gros que cela peut s’appliquer à n’importe quelles personnes, qu’elles aient des relations sexuelles ou pas, si elles vivent ensemble, elles peuvent profiter des droits sociaux existants. Donc, il y a encore des évolutions possibles, il me semble. Dans son idéologie folle, le système s’arrête encore en cours de route. 

Yvonne Flour: Qu’il y ait encore des évolutions possibles, j’en suis persuadée. Je serais néanmoins un peu plus nuancée que vous à ce propos. Je vais prendre votre question à l’envers.
Certes il pourrait y avoir des communautés de vie sans connotation sexuelle : une simple cohabitation au sens premier du terme, bénéficiant cependant d’une reconnaissance juridique. Sans refaire l’histoire, je me souviens qu’au moment des premiers débats sur le PACS, ou sur le projet de contrat d’union civile, Jean Hauser avait proposé cela : une protection juridique de toutes les formes de vie commune.
Mais, dans le droit tel qu’il est, quand on parle de contrat de vie commune, on entend vie commune au sens où les époux se doivent communauté de vie. C’est-à-dire qu’elle inclut la dimension charnelle de la communauté de vie, ce qu’on appelle aussi, d’une formule un peu désuète, le devoir conjugal. Par conséquent, un contrat de couple, ce n’est pas seulement un contrat de cohabitation comme des colocataires occupent le même appartement. C’est bel et bien l’idée d’une vie commune comportant des relations sexuelles.
Il est vrai que cela ne répond pas complètement à votre observation parce que, après tout, lorsqu’on dit que chacun fait ce qu’il veut dans le mariage ou dans la communauté de vie, on pourrait imaginer qu’on abandonne la prohibition de l’inceste ou le principe monogamique. Si l’on prend pour point de départ cette idée que le mariage doit être ouvert à tous ceux qui s’aiment, comment le refuser au motif que ceux qui s’aiment sont déjà unis par un lien de parenté même proche, pour quoi ne pas admettre que l’on puisse aimer plusieurs femmes ou plusieurs hommes? C’est, si je l’ai bien compris, le sens des propos récents de Mgr Barbarin.
Sur ce point, il me semble que l’on peut ajouter deux éléments.
Premièrement, il y a un arrêt très récent de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui est passablement déconcertant ! C’est un arrêt qui est rendu contre l’Angleterre. Il s’agit d’un homme qui veut épouser sa belle-fille. La belle-fille a un enfant. Ces deux personnes vivent ensemble, et élèvent l’enfant ensemble. Donc l’enfant est le fils de cette femme et le petit-fils de cet homme. Le problème est que la loi anglaise interdit un mariage entre le beau-père et sa belle-fille. Selon la Cour cette interdiction constitue une atteinte au droit de se marier, une atteinte qui n’a pas de justification objective et raisonnable.
Si l’on doit aller dans ce sens, on voit bien que les prohibitions du mariage liées à la parenté ou l’alliance vont s’effacer. Elles subsisteront entre les parents les plus proches, en ligne directe, entre frères et sœurs, mais il n’est pas impossible que la prohibition de l’inceste se trouve réduite à sa dimension minimale.
En ce qui concerne le principe monogamique, j’hésite à prédire son avenir dans notre société. Cela devient une question directement politique. Si on admettait le mariage homosexuel, qui pour nos compatriotes musulmans n’a aucun sens, peut-être s’attendront-ils à ce que le mariage du droit musulman soit reconnu par la loi française. Au fond ce serait une démarche que je trouverais assez logique.
Pour le moment, dans la littérature juridique, ce qui protège le mieux la loi monogamique, c’est l’idée de l’égalité de l’homme et de la femme.
La polygamie est incontestablement contraire à l’égalité des sexes. Dans les systèmes juridiques qui connaissent la polygamie, l’homme peut épouser plusieurs femmes. Des systèmes où en sens inverse ce sont les femmes qui peuvent avoir plusieurs maris ne sont pas très répandus : cela a existé, je crois, dans le droit traditionnel de certaines tribus d’Afrique. Ce n’est en tout cas pas la position du droit musulman. 

Bernard Lacan : J’aimerais vous demander si vous pouvez nous en dire un peu plus sur la manière dont se constitue le corps de pensée de la Cour européenne des Droits de l’homme? Quels sont les modes de nomination des juges et comment les différents lobbys parviennent à s’y affronter ? Interrogation importante puisque en cette institution semble résider une autorité suprême sur laquelle les juridictions nationales viennent s’aligner tôt ou tard ? 

Jean-Marie Schmitz : Est-ce que je pourrais simplement me permettre d’ajouter : comment ces juges sont-ils désignés et par qui ? 

Yvonne Flour : Vous me prenez un peu de court parce que le droit européen, ce n’est pas du tout ma spécialité. Je m’investis quand il faut, mais j’évite d’y aller.
Comment les juges sont-ils nommés ? Selon la convention, il y a autant de juges que de parties contractantes à la convention. Donc tout pays qui a ratifié la convention dispose d’un siège à la cour. Il y en a actuellement 47. Chaque pays présente trois candidats et le choix entre eux est fait par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ils sont élus pour neuf ans, et non renouvelables. La convention précise qu’ils siègent à titre individuel et non pas en représentation de l’État auquel ils appartiennent. Cette règle a pour but, précisément, d’assurer leur indépendance. Mais bien évidemment, ils sont tributaires de leur culture propre et de leur tradition juridique.
Comment se constitue le corps de pensée ? Vraiment je ne le sais pas. Ce que je crois c’est que ils sont en quelque sorte « conditionnés » par plusieurs éléments.
D’abord la procédure qui s’applique devant la Cour européenne des Droits de l’Homme est une procédure qui est biaisée. Lorsque on se trouve devant un juge en droit interne, le juge tranche un litige. Il ne se contente pas de dire le droit abstraitement, il tranche un conflit entre des personnes, ayant des intérêts opposés. Il a ainsi devant lui des plaideurs qui soutiennent chacun une thèse. Et le juge va arbitrer entre ces thèses. Mais au moins, il a entendu les thèses opposées.
Lorsqu’on est devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, il n’y a pas deux plaideurs qui soutiennent chacun leur intérêt. Il y a d’un côté quelqu’un qui invoque son droit en disant : la loi française, l’article 760 du Code civil par exemple, porte atteinte à mes droits, dans l’exemple à mes droits successoraux. En face qui trouve-t-on ? Le gouvernement français, qui défend la position du droit français.Il n’y pas en face du requérant une personne, ayant des intérêts opposés et soutenant ses propres intérêts. Il y a le gouvernement français qui soutient le droit français et souvent le défend très mollement.



Je pense ainsi que la logique des droits de l’homme, et la logique procédurale de la Cour, conduit à ne voir les choses que sous l’angle de l’individu et à occulter complètement les intérêts collectifs et l’intérêt social.
En outre, je me souviens que mon maître, Henri Batiffol disait que, dans la règle de droit, il y a deux aspects. Il y a l’aspect rationnel : la règle énonce une vérité, quelque chose qui paraît juste ; et puis il y a l’aspect de commandement, d’imperium. C’est l’autorité de la loi, qui s’appuie sur la puissance étatique.
Ce qu’on voit, c’est que devant la Cour européenne des Droits de l’homme, dépouillée de l’imperium, la loi est nue. Et quand la loi est nue, elle est tout à coup bien vulnérable. On n’est là qu’à prétendre juger ce que dit la loi.
À mon avis la Cour européenne des Droits de l’Homme joue un rôle très utile s’il s’agit de protéger les citoyens contre l’arbitraire de l’Etat. Quand il s’agit à chaque instant d’invoquer les droits de l’individu contre la loi elle-même, je trouve que cela devient extrêmement pervers.
Je pense qu’il y a une logique qui porte ainsi à aller toujours plus loin dans l’explosion des droits subjectifs et à complètement occulter la dimension d’intérêt social qui s’exprime à travers la loi.
Quand j’aborde ces questions avec mes étudiants, il m’arrive de leur dire, avec quelque hésitation je dois l’avouer, que la Convention européenne joue dans notre système juridique le rôle de la charia ou du Coran dans le droit musulman.
Qu’est-ce en effet que le Coran ? C’est une loi divine, une loi donnée par Dieu lui-même. Et puisqu’elle est révélée par Dieu, on ne peut pas y toucher. Tout ce qu’on peut faire, c’est l’interpréter.
Eh bien ! La Convention européenne des droits de l’homme, c’est exactement la même chose. Imaginez-vous un gouvernement dénoncer la Convention européenne des Droits de l’homme. Impossible. Nous l’avons ratifiée en 1950. Je crois que, quand on l’a ratifiée, on n’avait aucune idée de ce à quoi elle nous engageait. Au demeurant, nous étions tout à fait convaincus que notre droit est parfaitement respectueux des droits de l’homme et qu’il n’y avait donc aucun risque à prendre cet engagement. Aujourd’hui, on s’aperçoit que la France est un des pays qui subit le plus souvent les foudres de la Cour européenne ! C’est maintenant le juge qui est seul habilité à interpréter la convention. Il lui fait dire tout ce qu’il veut et il n’y a aucun contrôle politique possible là-dessus.
Et nous sommes soumis à la Convention européenne des Droits de l’Homme exactement de la même manière que le droit musulman est soumis à la parole divine. 

Jean-Dominique Callies : Je voulais vous poser des questions qui ont en fait des niveaux très différents.
En droit fiscal, le couple reste très présent. Mais, autre point, l’entropie du monde irait- elle jusqu’à la famille selon Jean Carbonnier, donc jusqu’à l’individualisme forcené en fait. Et qu’en est-il par rapport au gender ?
Si on pousse le concept plus loin on irait même jusqu’à l’unicité. On l’a déjà en droit des sociétés puisqu’on va jusqu’à une personne morale unipersonnelle. Est-ce qu’on pourrait aller jusqu’à une famille « unipersonnelle » ?
Pour reprendre une question posée, à la limite pourquoi n’irait-on pas jusqu’à un droit qui mettrait contractuellement ensemble des personnes physiques ou des communautés, pas uniquement des personnes physiques ? 

Yvonne Flour : Je crois que, si l’objectif était de reconstruire, on est parti pour continuer à détricoter.
Cela m’ennuie de vous dire cela, mais je ne suis pas fiscaliste et donc je ne peux vous dire jusqu’où peut aller le droit fiscal. J’ai peur qu’il soit plus porté à réduire les avantages fiscaux des familles qu’à les étendre. En tout cas pour l’IRPP les époux sont imposés ensemble et pas les concubins. Quant aux partenaires, je pense qu’ils sont imposés ensemble aussi, mais je n’en suis pas sûre.
S’agissant des droits successoraux, il y a une grande différence entre le mariage et tous les
autres statuts de couple. Paradoxalement c’est dans la mort que la différence est la plus forte. C’est-à-dire que le conjoint marié hérite de son époux prédécédé, alors que dans le pacs il n’y a pas de droits successoraux. En revanche, si un partenaire fait un legs au profit de son co-pacsé, la fiscalité est alignée sur celle des époux. Il y a une tendance en droit fiscal à aligner le pacs sur le mariage, ce qui n’est pas le cas du concubinage. Voilà un premier élément de réponse.
Le mariage unipersonnel ? Je ne vois pas très bien quelles conclusions on pourrait en tirer. Ce que je peux dire, c’est que depuis longtemps les comptes de la nation font apparaître le ménage comme unité de compte. Et dans les comptes de la nation il y a des ménages d’une personne. Une célibataire, c’est un ménage. En préparant cette conférence, je suis allée chercher, comme je le fais souvent, les dernières statistiques de la population publiées par l’INED. Et l’INED montre que le nombre d’adultes qui ne se marient pas, qui ne vivent pas en couple mais vivent seuls, ne fait que croître. D’année en année, il y a de plus en plus de gens qui vivent seuls.
Ce n’est pas vraiment une réponse à votre question. C’est un ocnstat révélateur de la société dans la quelle nous vivons. Dans cette perspective, on pourrait évidemment penser que la mariage unipersonnel exprimerait une réalité, sauf que si je dis que je suis mariée avec moi-même, je ne sais pas très bien quel intérêt juridique je pourrais y trouver.
Quant à l’idée qu’il pourrait y avoir des communautés s’associant par le mariage ... Dans un article très intéressant, intitulé La notion de mariage civil, qui justement réfléchit sur la déliaison entre mariage et filiation que j’ai soulignée et sur ses conséquences induites, mon collègue Rémy Libchaber, professeur comme moi-même à Paris, évoque cette hypothèse. Après tout dit- il, si on ouvre le mariage aux homosexuels, pourquoi ne pas l’ouvrir aux personnes morales ? Ça va exactement dans votre sens. Parce qu’en effet, il n’est nulle part écrit dans la loi qu’il faut être une personne physique pour se marier.
Le gender : connaissant Carbonnier et connaissant ce qu’il écrit, cette idée lui était tout à fait étrangère. Je ne voudrais pas me livrer à des procès d’intention, mais je crois tout de même qu’une part importante de l’œuvre de Jean Carbonnier, qui fut un juriste remarquable, s’explique parce qu’il est protestant et d’un protestantisme profondément anti-catholique. Une grande partie du travail qu’il a réalisé entre 1972 et 1975 a été de lutter contre l’influence de l’Église dans la société française, qui lui paraissait très fortement véhiculée par le mariage, parce que le mariage est copié sur le droit canonique, ainsi que par l’influence de l’Église sur les familles.
Je ne crois pas du tout que le gender entre dans cette logique-là. À l’époque d’ailleurs on n’en parlait pas. Aujourd’hui, les revendications s’expriment à travers des associations, des associations homosexuelles qui parlent au nom des homosexuels, lesquels souvent ne demandent rien, mais enfin il y a toutes sortes d’associations qui parlent en leur nom. Il me semble qu’elles s’appuient sur la théorie du gender, pour expliquer que de le sexe n’est qu’une construction sociale et que par conséquent tout cela est interchangeable.
Cela ne nourrit pas la législation du milieu du XXe siècle, mais l’évolution actuelle du droit de façon très forte.
Il faudrait dire un mot du lobbyisme, qui s’exerce fortement auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais également dans la société française où son influence sur l’évolution de la loi est considérable ! 

Mgr Philippe Brizard : Ma question est paradoxale. Elle est du genre : poussons le système jusqu'au bout et jusqu'à l'absurde. Le droit civil français fait obligation aux catholiques de se marier civilement avant de se marier religieusement. Il existe donc une discrimination à l'endroit des catholiques (comme des protestants ou des juifs) qui, pour avoir une vie de couple selon leurs voeux doivent obligatoirement se marier civilement alors qu'il existe désormais quantité de statuts en faveur de la vie de couples.
Mgr Lustiger, que j'ai servi autrefois, disait à l'emporte-pièce : il n'y a que les catholiques qui doivent se marier ; demandons au législateur de faire en sorte que le mariage à l'Église soit une possibilité supplémentaire parmi la variété de vie en couples.
Je reconnais en sens inverse que le droit canonique est marqué par l'évolution des moeurs. Il n'y a plus de différences en droit canonique entre enfant naturel et enfant légitime ; par exemple, le fait d'être un enfant naturel ne constitue plus un empêchement pour accéder aux ordres sacrés, etc. 

Yvonne Flour : C’est une vraie question.
Une précision préalable. Vous dites que c’est une discrimination des catholiques dans notre droit, je ne crois pas. Au moins dans les textes, cela s’applique à tous les mariages célébrés religieusement.Tous les ministres du culte, à quelque religion qu’ils appartiennent, sont tenus de vérifier que les époux sont mariés civilement avant de célébrer une union religieuse. Certains disent, il est vrai, que les catholiques sont très soucieux de respecter cette règle, les autres cultes peut-être moins. Je n’en sais rien. Pour le coup, il faudrait aller voir.
Quoiqu’il en soit, le propos de Mgr Lustiger avait un sens tant que le mariage civil restait conforme à la nature du mariage.
Personnellement - c’est une opinion personnelle même si je crois qu’elle commence à se répandre dans beaucoup d’esprits - il me semble que le jour où la loi consacrera le mariage homosexuel, la dénaturation du mariage par rapport à la conception qui est la nôtre sera complète. Et, dans ce cas, la réponse logique serait de dire : puisque c’est devenu une auberge espagnole où chacun apporte ce qu’il veut, supprimons l’obligation du mariage civil avant le mariage religieux et reconnaissons un effet civil au mariage religieux, ce qui d’ailleurs existe dans beaucoup de pays. Ce qui permettra de dire : le mariage des catholiques est reconnu par la loi civile, mais il a le contenu que lui donne la conception chrétienne du mariage.
Politiquement, cela me paraît une bonne stratégie. À tous égards cela me paraît fondé.
Je ne suis pas sûre que ce sera politiquement si facile à obtenir parce que si les catholiques obtenaient cela, le mariage civil n’existerait plus. 

Nicolas Aumonier : En quoi, du point de vue du droit, l’insémination artificielle avec donneur extra conjugal, diffère-t-elle de l’adoption ? 

Yvonne Flour : Elle diffère, oui. Ce n’est pas une adoption. La filiation maternelle va résulter de l’acte de naissance, comme toute filiation maternelle et l’établissement de la filiation paternelle va résulter du consentement que le mari a donné. 

Nicolas Aumonier : Cela veut dire en fait dans les deux cas, on fait comme si ? 

Yvonne Flour : On peut avoir cette impression, mais je pense que juridiquement ce n’est pas du tout la même chose. Dans l’adoption, on ne fait pas comme si... On sait très bien qu’on a créé un lien juridique qui n’a aucun support biologique. Alors que dans l’insémination artificielle, on est à mi-chemin. On fait effectivement comme si l’enfant était celui du couple qui l’accueille. 

Jean-Paul Guitton : Il me semble avoir retenu que l’adoption, c’est donner une famille à un enfant alors que la PMA c’est donner un enfant à une famille.
Est-ce qu’on ne pourrait pas exiger la parité dans le mariage ? On nous bassine avec la parité dans les Conseils d’administration, il faut autant d’hommes que de femmes... ; est- ce que dans le mariage on ne pourrait exiger la parité ?
Je voudrais évoquer également l’inscription toute récente des familles homoparentales au programme de terminale sous la pression des associations monoparentales. Vous avez vu cela. Et l’on apprend que la notion d’homoparentalité est traitée comme telle dans les facultés de droit. Est-ce bien vrai ? 

Yvonne Flour : Moi, je n’en parle pas. 

Le Président : À Paris I peut-être mais pas à ParisII! Il faudrait une autre séance pour retricoter tout cela avec vous...

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C) Famille 

La famille est un groupe de personnes réunies par des liens de parenté et dotées d'une personnalité collective avec un ressenti de solidarité morale et matérielle destiné à favoriser leur survie tout d'abord, mais aussi leur développement social et affectif. La famille relève de la sphère privée et, à ce titre, les libéraux posent la question de la légitimité de l'intervention de l’État dans le champ de la question familiale.  

L'intervention étatique

Les hommes de l'État utilisent un sophisme non sequitur à leur convenance. Ils conçoivent qu'une famille ne peut pas vivre économiquement sans être intégrée à la collectivité. Et, comme l'État est présenté comme le garant de la sécurité (au sens large) des citoyens, il en ressort que l'État doit disposer d'une politique familiale.
Avant 1930, les associations ou les clubs de patronage assuraient cette fonction de solidarité familiale. Puis l'État-providence s'est transformé en gestionnaire de ressources humaines. En fonction de la pyramide des âges, les hommes de l'État ont désiré maintenir le renouvellement des générations en favorisant la natalité. l'État a institué un barème fiscal pour établir son système de valeurs entre les familles avec enfants et sans enfant. Et il s'est appuyé sur l'institution du mariage pour fonder son soutien à la famille.
Durant la crise économique, la politique familiale est devenue un outil de lutte contre les inégalités sociales. La contrainte des budgets sociaux l'a obligée à conditionner les prestations familiales en fonction de certains critères économiques et de seuils de ressources.
L'État perd peu à peu ses repères de famille modèle. Mais il s'insère toujours dans la sphère privée. Il accompagne l'évolution des mœurs, encourage avec force l'équité de l'homme et de la femme au sein du couple. Il reconnaît et défend les droits de l'enfant et il organise de nouvelles formes de conjugalité.

Effets pervers

Ce rite d'intervention dans la sphère familiale est un bon moyen de pression sur les citoyens, comme le justifient certains hommes de l'État. Dans une période sécuritaire, l'État culpabilise les familles défavorisées dont les enfants se conduisent mal. Il les menace de suspendre les allocations familiales, de les mettre sous tutelle voire d'expulser les familles, dans le cas de familles étrangères, si ces dernières ne remplissent pas leur fonction d'éducation.
Le modèle familial traditionnel est concurrencé par des formes familiales alternatives. Aussi, les politiques familiales sont de moins en moins lisibles et ajustées à chaque cas particulier. Le système apparaît comme injuste ou inadapté. Il occasionne des comportements d'opportunisme, de groupes de pression et de free riders. Par exemple, l'accès aux crèches est devenu inaccessible pour certains et une lutte d'influence pour d'autres.
Aujourd'hui, la politique familiale est devenue indissociable des politiques du logement, fiscales (droits de transmission), de sécurité ou d'éducation. Ceci renforce le sentiment de l'homme politique qu'il est indispensable dans la vie familiale. Il veut créer, par exemple, le revenu parental d'éducation pour que le parent qui ne travaille pas puisse élever ses enfants à la maison. Alors que la famille doit rester libre de ses choix et de ses responsabilités sans subir, sans son accord, le sort de ceux qui ont fait d'autres choix ou pris d'autres décisions.

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D) Famille et libéralisme


Dans son Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Philippe Nemo a montré que la vie politique depuis 1800 se structure en trois grandes familles, la droite, la gauche et la démocratie libérale. Les individus de chacune de ces familles ont en commun un certain modèle de la société, pas forcément explicite ; c’est à travers ce modèle qu’ils pensent la société et l’ordre social, qui garantit stabilité, prospérité et réussite. Selon les manière dont on voit l’ordre social, il y a autant de manières de voir le désordre social, les difficultés, les risques d’échec, d’horreur et de barbarie. Il y a trois grands paradigmes d’ordre social. Leurs schémas ne sont pas explicites mais sous-jacents, même quand ils sont perçus explicitement par ceux pour qui ils forment un horizon indépassable.
A l’origine, il y a la société primitive, l’ordre sacral : les choses sont ce qu’elles sont parce que les dieux en ont décidé ainsi, dans leurs dimensions cosmique et sociale : le réel est ordonné par les dieux. Si bien que ce type d’ordre ne peut être modifié, car celui qui entreprendrait cette critique se mettrait contre les dieux et serait accusé de sorcellerie par les autres membres du groupe. C’est pourquoi les sociétés primitives sont des sociétés fixistes.
Les Grecs ont fait la découverte extraordinaire qu’il y a des ordres qui ne sont pas intangibles mais variables dans le temps et dans l’espace. Ils avaient en effet colonisé la Méditerranée, rencontré nombre d’ethnies différentes ayant chacune leurs us et coutumes singuliers. Mais ils avaient vu que, sous ces ethnies différentes, il y avait une même nature humaine, des besoins identiques, des comportements communs, universels et nécessaires. Ils en avaient déduit qu'un ordre pouvait être changé, précisément parce qu’il n’était pas nécessaire et universel. Ils ont ainsi distingué ce qui était par nature de ce qui était du fait d’une création humaine, physis et nomos.
Cette distinction entre nature et artifice était un grand progrès. Mais ces deux modèles d’ordre se sont révélés insuffisants pour décrire d’autres réalités sociales. Il y a un troisième type d’ordre ni artificiel ni naturel, mais culturel : il a de commun avec l’artificiel qu’il est créé par les hommes et qu’il change dans le temps et l’espace, et il a de commun avec le naturel qu’il n’est pas modifiable à volonté par les hommes parce qu’il est le fruit de millions d’essais et d’erreurs par toute la collectivité qui finit par trouver des structures stables. One peut pas s’en écarter arbitrairement. Ce troisième type d’ordre est appelé spontané ou auto organisé. Par exemple, appartiennent à ce type d’ordre le langage et la morale, le marché et le droit, finalement toute la culture.
Les plus grands penseurs des Temps modernes sont ceux qui ont identifié ce troisième type d’ordre et qui ont compris que la liberté, c’est à dire le pluralisme, pouvait, sous certaines conditions, créer de l’ordre, alors que du point de vue de la loi naturelle tout ce qui est initiative nouvelle est désordre, car on ne peut s’écarter des exigences de la nature. De la même façon, par rapport à une conception artificialiste de l’ordre, n’est ordonné que ce qui est
pensé par l’esprit humain. Donc la liberté par rapport à ces préconceptions est perçue comme un désordre. Cela a été un vrai progrès intellectuel d’avoir compris que, dans certains cas et sous certaines conditions, la liberté, le polycentrisme, le pluralisme, étaient capables de créer de l’ordre, mais encore un type d’ordre d’une efficience sans commune mesure avec celle des ordres artificiels pensés par les hommes ni avec celle des ordres naturels.
Lorsque les grands penseurs ont décliné ce modèle sur le registre politique, cela a donné la démocratie; lorsqu’ils l’ont appliqué à la vie de la pensée et à la vie économique, cela a donné le libéralisme. Dans la vie des idées, la liberté de penser, la liberté de recherche scientifique sont causes du progrès des sciences; dans la vie économique, la liberté produit un optimum économique. Une fois posées ces bases de la démocratie libérale, on a pu assister à la révolution industrielle, à l’émergence de la modernité, à l’extraordinaire croissance scientifique, technologique, économique et démographique qui la caractérise, déterminant un bouleversement complet du visage du monde.
Face à ce bouleversement, il y a eu deux types de réactions qui ont émané de ceux qui n’avaient pas accédé à cette pensée supérieure et continuaient à penser l’ordre selon les deux vieux modèles de l’ordre naturel ou de l’ordre artificiel.
- Il y a ceux qui refusent ce monde moderne ou qui en sont effrayés : la droite. Ils pensent qu’il faut revenir à la société naturelle dont on n'aurait jamais dû s’écarter. C’est l’époque du romantisme. On idéalise cette société agricole et artisanale qu’on croit " naturelle " et l’on refuse le monde de l’industrie et de la ville.
- En face, il y a ceux qui ne pensent l’ordre qu’à travers le prisme de l’artificialisme et estiment que la liberté empêche d’organiser la société conformément à une Idée : la gauche. Ils vont réagir à cette émergence de la démocratie libérale par une fuite en avant dans l’utopie, avec la volonté de construire une société nouvelle, qui serait plus efficace et plus juste. 

La question de la famille. Position de la droite
Pour la droite, qui rêve donc du retour à une société naturelle, il faut se garder absolument de la liberté individuelle, car elle est dissolvante, et il faut, par conséquent, préserver ou reconstituer autant qu’il est possible les groupes humains ou cette liberté n’existe pas. Une solidarité, une organicité, si vous voulez, des rapports entre les hommes qui constituent un ordre. La droite, cultive le thème des " communautés naturelles " ou " corps intermédiaires " - thème constant depuis le duc de Saint-Simon ou Boulainvilliers jusqu'à Maurras ou La Tour du Pin, sans oublier Montesquieu. Ces deux expressions insistent sur deux aspects de la même chose, et se référent toutes deux aux " communautés naturelles " d’Aristote. Dans ces communautés naturelles, les membres ont des fonctions différenciées et complémentaires. Par exemple, dans la famille, il y a les parents et les enfants, le mari et la femme, les maîtres et les serviteurs.
Le monde d’Aristote est un monde fixe. L’idée est que, de la même façon qu’il y a dans la nature une hiérarchie éternelle, au sein de l’humanité il y a des communautés emboîtées les unes dans les autres d’une façon permanente et éternelle. Le bonheur, la perfection existe quand ces structures naturelles sont respectées, d’où la condamnation par Aristote du grand commerce : celui-ci permet d’amasser de très grands capitaux et déforme les proportions de chaque membre dans le corps de la cité. L’illimitation de la spéculation est un cancer de la nature familiale et civique.
Cette idée qu’il faut respecter la structure des communautés naturelles est reprise par saint Thomas, puis par les penseurs de droite. Le monde moderne est littéralement cancéreux. Les rôles sociaux sont redistribués sans mesure, tout est en désordre. D’où la doctrine qu’il faut protéger les communautés naturelles, famille, corporation (base par métier), seigneurie, province (base territoriale). La famille est vue sous un jour clanique, aristocratique (comme chez Tocqueville) : un nom, un patrimoine à conserver : d’où le droit d’aînesse (que la
" démocratie " supprime au grand dam de Tocqueville). Il faut que chacun se perçoive comme un chaînon dans la longue chaîne du clan. Tout ce qui dissout les communautés amène le néant et le malheur. 

Position de la gauche
La gauche est au contraire l’adversaire des communautés naturelles et de la famille, car le socialisme, entend recréer une unique famille, le groupe tribal en fusion. L’existence de corps intermédiaire entre l’Etat et les individus est un obstacle à la vision socialiste. Le corps intermédiaire le plus coriace, c’est la famille, et voilà pourquoi elle est la cible privilégiée de toute les théories socialistes, et ceci depuis les premières doctrines socialistes connues.
Cela commence avant Platon, au temps des Sophistes. Chez Platon même, il y a cette théorie fameuse du communisme des gardiens et de la communauté des femmes et des enfants, dûment argumentée. Il faut que les gardiens soient unis pour pouvoir veiller sur le troupeau de la cité et pour qu’il soit " un ", il ne faut pas qu’ils soient divisés en familles, car dans ce cas il y aura une vie privée, des patrimoines, des rivalités. Il faut donc que les femmes soient en commun, et les enfants aussi car on ne saura pas de qui ils sont. Pour Platon ce sera un gage d’unité. Et par conséquent la famille est supprimée.
Chez les auteurs socialistes ultérieurs, on retrouve de façon récurrente la même thèse. C’est chez eux une idée fixe. On dirait que toute leur énergie est constamment dirigée à la destruction de la famille. Quelques exemple, chez Thomas More, dans l’Utopie, chez Campanella, Cité du Soleil. More supprime la liberté des familles mais ne prône pas la communauté des femmes, alors que Campanella prône celle-ci. La famille est supprimée. Ce qui ne veux pas dire que la sexualité est libre, pas plus que chez Platon : elles est soigneusement réglée par les magistrats, comme chez Platon qui se référait à Sparte, avec un souci d’eugénisme. La suppression de la famille va avec la communauté des biens, plus de chez soi, d’espace privé. Chez Campanella, on distribue à chaque individu des maisons et des meubles mais on change tous les six mois pour qu’il ne s’attache pas à un lieu.
Marx, dans le Manifeste, dit de façon ironique que c’est le capitalisme qui a détruit la famille : les bourgeois n’achètent-ils pas les femmes ? Les mariages sont intéressés et par conséquent, c’est une logique marchande à l’œuvre et non la vieille logique de la famille. Chez Fourrier, le phalanstère est une destruction programmée de la famille: la famille enferme dans une structure et force des personnes à vivre ensemble des relations fixes. SI une seule passion est satisfaite, les autres sont sacrifiées. Il faut que toutes soient satisfaites et qu’on puisse donc " papillonner ". 
 
Dans les Temps modernes, la gauche, chaque fois qu’elle a exercé une part ou la totalité du pouvoir politique a accompli en pratique, autant qu’elle a pu, cette destruction de la famille voulue par la doctrine. Philippe Nemo raconte qu'il a eu le privilège de dîner, peu de temps avant sa mort, avec Jean Imbert, le grand spécialiste de l’histoire du droit privé. Il lui a demandé : "comment jugez-vous le monde moderne?" - "Une effroyable décadence, car nous
avons détruit le droit de la famille. Divorce pour faute grave, puis par consentement mutuel, puis par consentement d’un seul conjoint : le mariage n’a plus de valeur juridique ! La baisse de l’âge de la majorité, 18 ans maintenant alors qu’elle a été pendant très longtemps à 21 ans (chez les Romains, à 25 ans)".
La majorité, c’est l’âge de l’autonomie. Or les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents. Et l’on fait obligation aux parents de subvenir de plus en plus longtemps aux besoins de leurs enfants (notamment une loi oblige les parents à financer le logement de leurs enfants s’ils ne veulent pas habiter chez eux). Cela signifie qu’on crée une liberté sans autonomie ni responsabilité, en clair la zizanie au sein de la famille. Les parents n’ont plus d’autorité : ils ont l’obligation juridique d’entretenir leurs enfants presque sans limite dans le temps s’ils sont étudiants, mais, à 18 ans, ceux-ci peuvent faire absolument ce qu’ils veulent et d’ailleurs même avant, puisque la rumeur publique veut qu’ils soient adultes dès la puberté.
Autre mesure dont le sens est transparent quand on la voit dans l’optique de cette obsession socialiste à détruire la famille. Les infirmières scolaires sont aujourd’hui autorisées à administrer la " pilule du lendemain " aux jeunes filles sans l’autorisation des parents et même sans même que les parents soient informés. Le gouvernement Jospin a fait cela par circulaire, laquelle a été annulée par le conseil d’Etat puisque c’était contraire au droit fondamental des parents, et à leur devoir d’être responsable de la santé de leurs enfants. La pilule est un médicament et le fait d’administrer un médicaments à un enfant sans l’autorisation des parents est illégal. Qu’à cela ne tienne, les socialistes ont changé la loi. Aujourd’hui, si votre fille de 13 ans est enceinte, l’infirmière scolaire est censée s’en occuper mieux que vous. Le simple fait de faire savoir à la fille qu’elle peut aller voir l’infirmière scolaire qui sera complice contre ses parents, c’est un signal qui lui dit que ses parents sont ses ennemis. Evidemment, si une jeune fille devient enceinte sans l’avoir désiré, qui pourra mieux l’aider que ses parents, qui l’aiment certainement plus que l’institution scolaire ? C’est désagréable pour la jeune fille, pendant 5 minutes, le temps qu’elle explique la chose à ses parents mais ils sont là pour cela et il peut arriver des tas de choses à leurs enfants pire que celle là. Donc vous avez l’idée que la vraie famille des lycéens, c’est l’Etat. Ce qui est absolument monstrueux, car l’infirmière scolaire qui va aider la jeune fille à prendre la pilule du lendemain ne sera pas là pour en assumer les conséquences. l’Etat est le pire des protecteurs, comme on le voit par les abus de l’assistance sociale.
Les socialistes ont systématiquement encouragé la libération sexuelle. Quand le sida a fait son apparition, vous vous souvenez des campagnes de presse hystériques contre Le Pen parce qu’il avait dit qu’il fallait prendre des mesures prophylactiques? Avec son goût des mauvaises plaisanteries, il avait parlé de sideum ou de sidatorium... On avait conclu qu’Hitler était revenu parmi nous. La gauche a été folle de rage. Elle faisait toute sorte de campagne selon lesquelles on ne courrait aucun danger pourvu qu’on mette des préservatifs : elle a manifesté sa terreur à l’idée que les jeunes pourraient ne plus pratiquer la sexualité précoce et hors mariage.
Ce n'est pas que les gens de gauche soient plus particulièrement portés sur le sexe que les autres, mais consciemment ou pas, ils pensent que si vous avez des activités sexuelles avant mariage, cela revient à retarder celui-ci, voire à le rendre inutile. Pourquoi se contraindre subitement à un moment? Leur attitude vis-à-vis du comportement sexuel des jeunes n’est pas seulement la reconnaissance d’un fait, c’est un encouragement actif. Et les campagnes de la gauche pour la libération sexuelle n’ont été qu’un aspect parmi d’autres de l’entreprise de destruction systématique de la famille.
L’intérêt, pour la gauche, de miner peu à peu la famille par un ensemble de mesures de ce type est qu’alors les individus se retrouvent comme des électrons libres. On cherche à déloger l’électron. Mais est-ce vraiment pour le libérer ? C’est toute la question. Et c’est là que certains libéraux se sont fourvoyés. Ils ont accompagné certaines de ces mesures, parce qu’ils ont cru que cela allait dans le sens des libertés : moins on est tenu par des lois, des structures, des moeurs, des solidarités, plus on est libre. La réponse est non car en réalité l’homme est ainsi fait qu’il ne peut pas vivre seul et encore moins l'enfant. Concrètement : dès que l’électron libre est chassé il est rendu disponible pour être immédiatement embrigadé dans d’autres structures. Tous ces jeunes que l’on a chassé de leurs familles, que l’on a chassé en condamnant les mouvements de jeunesse comme les scouts, tous ces jeunes se retrouvent libres pour faire quoi ? Pour aller à la fête de la musique de Jack Lang ou aux fêtes de Delanoé,
Quand vous êtes séparé de votre famille, dès lors que vous ne pouvez pas vivre seul, vous avez vocation à entrer immédiatement dans les familles de substitution que le socialisme vous propose, qui vont de la sécurité sociale aux cliniques de la MGEN, pour les enseignants, en passant par les maisons de retraites : quand elles n’ont pas de famille et dès lors qu’elles ne peuvent plus vivre seules, les personnes âgées sont condamnées à être socialisées dans des structures collectivistes. La destruction de la famille par les socialistes ne vise pas à libérer l’individu, mais à libérer l’individu des structures traditionnelles pour qu’il soit obligé d’entrer dans ces structures utopiques qui sont le but du socialisme. 

La position des libéraux
Les libéraux, eux aussi, ont toujours travaillé à libérer les forces individuelles, entrepreneuriales, par exemple, en supprimant les corporations : c’est la grande œuvre de Turgot, supprimée après lui et rétablie par les révolutionnaires de 89, avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier... C’est parce qu’ils comprenaient la fécondité de l’économie de marché qu’ils ont libéré le travail, l’initiative économique, le commerce, la propriété. ils ont rendu mobile la propriété foncière en supprimant les derniers restes de féodalité qui liaient la propriété aux fonctions sociales de seigneurie. Les libéraux, eux aussi, ont cherché à dissoudre les communautés naturelles, parce qu’ils étaient guidés par l’idée qu’ils libéreraient des forces productives, et d’une façon plus générales, des forces créatrices. C’est vrai aussi sur le plan intellectuel : on a encouragé la liberté de pensée, d’expression, de publication par opposition au dogmatisme, à l’esprit de censure. Sur le plan intellectuel il y avait aussi de grandes " familles ", si l’on peut dire, qui étaient les Eglises. Tout le mouvement des Lumières a voulu libérer l’intellectuel, le penseur, qui pense seul et publie seul, et sous son nom, et qui n’est plus tenu d’avoir l’imprimatur ou le nihil obstat pour ses écrits. Ils ont fait route commune avec la gauche contre les communautés naturelles auxquelles la droite s’accrochait.
La question est de savoir jusqu’où les libéraux peuvent faire route commune avec la gauche dans ce sens.
Il y a une limite : on peut dissoudre les communautés naturelles, les pays, les corporations, la famille clanique. Mais il y a un butoir, la famille nucléaire, bourgeoise si vous voulez. On peut et on doit dissoudre les communautés qui sont au dessus de ce niveau ; mais lorsqu’on arrive à ce niveau, il faut s’arrêter et ne pas dissoudre ce qu’il y a au dessous, car, si on le fait, on libère des " électrons " qui vont immédiatement se réinvestir dans des familles de type socialiste.
La société de liberté suppose en effet des personnes libres. Or la famille nucléaire est le lieu où se forme cette personne libre. Si on détruit la famille, on détruit ce par quoi le libéralisme existe, c’est à dire la personne libre. Comment expliquer cela ? 

1) On peut se référer d’abord à Locke, qui a expliqué qu’il n’y a pas de liberté sans loi. En effet, l’ordre spontané c’est la société où chacun agit comme il l’entend, mais conformément à une loi, c’est-à-dire à une règle qui lui dit ce qu’il a le droit de faire et de ne pas faire. Moyennant quoi, quand j’agis librement, si je respecte la loi, je ne risque pas d’entrer en conflit avec autrui ou avec l’Etat. Il n’y a de liberté qu’avec une loi, la même pour tous, publique, stable, claire et précise. Et la loi est un guide intellectuel, non une force contraignante comme le pensait Hobbes : dès lors que je connais la loi, je sais ce que je peux faire ou ne pas faire si je ne veux pas entrer en conflit avec autrui. Pour Locke, seul peut être libre quelqu’un qui peut observer la loi.
Or seul le peut un être qui a atteint le plein développement de sa raison, ce qui, pour Locke, a lieu à 21 ans (il cite ce chiffre). Avant cette date, l’enfant ou l’adolescent n’a pas la maîtrise rationnelle de sa personnalité. Partant, il n’est pas capable de suivre la loi, il ne peut donc vivre librement dans la société de rule of law. Il ne peut arriver aux mineurs que des malheurs, devenir Hitler Jugen, aller aux fêtes de Jack Lang... Bref, ils ne peuvent faire que des bêtises ! Premier point, en citant Locke, l’acquisition de la raison. 

2) Plus profondément, c’est dans la famille que se construit la personnalité psychologique, vraiment individuelle. Ce n’est que dans la famille que l’on est une personne, Pierre, Paul ou Martin. La personnalité se forge, elle n’existe pas dans le fœtus. Comme l’ont montré les psychologues (je pense à Paul Watzlavick, Une Logique de communication, Points Seuil), la personnalité se forge par les milliers d’actes de communication par lesquelles on est confirmé dans l’identité que l’on propose aux autres. On est confirmé dans sa personnalité. On n’acquiert sa personnalité de Pierre, Paul ou Martin, que si, pendant des années, quelqu’un vous a considéré comme Pierre, Paul ou Martin. Que si l’on a eu un père et une mère qui vous ont spontanément appris, par leur exemple quotidiennement présent, ce que c‘est d’être homme, ce que c’est d’être femme. Et nous savons bien que cette construction est très fragile. La psychopathologie montre les innombrables cas où elle n’aboutit pas. C’est la preuve a contrario du fait que, pour que les hommes soient entièrement construits, il faut qu’il y ait eu cette longue période où chacun, en miroir, s’est renvoyé sa propre personnalité. Et d’ailleurs, cela continue quand on est à son tour père ou mère car c’est en ayant des enfants qu’on forge sa personnalité de père ou de mère. Et les enfants continuent à forger la personnalité de leurs parents. Tout ceci est essentiel, pour des raisons qui tiennent à la nature humaine, et ne peut pas avoir lieu dans un groupe trop grand. Ce n’est pas en allant à la fête de Jack Lang qu’on peut construire sa personnalité. Là on n'est guère que des numéros, des zombies. On n’est quelqu’un que lorsqu’on est considéré comme tel par d’autres personnes, on n’a de sens de la dignité, et de l’égalité de dignité, que lorsqu’on a eu un long commerce avec des proches, parents, frères et sœurs, pour qui l’on était quelqu’un d’unique et d’irremplaçable. Ce qui n’a lieu que dans la famille. 

3) La famille, c’est aussi le lieu où ont fait l’expérience de la propriété. Là encore, on peut discuter de la notion de patrimoine familial et on peut ne pas être d’accord avec la droite qui voulait conserver le grand patrimoine de la famille clanique avec cette notion emblématique du droit d’aînesse qui permet que le patrimoine ne soit pas divisé. Mais, même si l’on admet que chaque enfant hérite d’une partie seulement du patrimoine et le fasse fructifier à sa manière ensuite, l’idée même de patrimoine naît dans la famille. Sans famille, plus de
patrimoine. Sans patrimoine, disparaît la possibilité de prendre des initiatives économiques, avec un point de départ et la sécurité de la liberté que l’on aura de pouvoir utiliser ce patrimoine pour en faire telle ou telle chose.
Plus généralement, la famille est le lieu où on fait l’expérience d’un espace privé. Personnalité et patrimoine, c’est la vie privée, par opposition à la vie publique. C’est justement pourquoi les socialistes sont en rage contre la famille : là se développe des personnalités qui échappent à l’Etat, qui échappent au groupe, qui ont leur propre continuité et légitimité. Dans la tradition libérale, l’Etat est l’instrument que la société civile se donne pour pouvoir continuer à vivre, créer, prospérer. Pour cela, elle a besoin de la paix, de l’ordre public, et l’instrument qui la lui apporte, c’est l’Etat. Mais tous les holismes pensent qu’il n’y a qu’une seule vie, qui est celle de l’Etat. Jamais l’individu n’est opposable à l’Etat. Au contraire, pour les libéraux, l’individu existe par lui-même. Mais cela n’a de sens que s’il a une activité propre. Si dans toutes ses activités il a été soumis à l’infirmière scolaire, au programme scolaire imposé par les syndicats, comment aurait-il pu forger sa personnalité ? Il n’a jamais constitué cette base qui lui permettra de revendiquer l’autonomie de la société civile face à l’Etat. 

4) Plus généralement encore, la famille est le lieu où se transmettent des valeurs et des histoires indépendamment de l’Etat. Chaque famille a des expériences professionnelles, existentielles et cela constitue des histoires qui ont leur légitimité indépendamment de l’Etat. Il faut donc absolument protéger ce noyau de la famille, c’est-à-dire assumer la non-liberté de ses membres. Il ne faut pas qu’on puisse divorcer par simple décision individuelle. Il faut que l’enfant ne puisse pas partir faire ce qu’il veut, que les gendarmes le ramènent à la maison s'il fait des bêtises. Il y a des réalités juridiques précises quand on parle de protection de la famille. Il faut protéger la famille, c’est-à-dire assumer la non liberté de ses membres, jusqu’à ce qu’ils soient majeurs et qu’ils créent, à leur tour, s’ils le veulent, une famille. Il faut donc protéger la famille pour que la liberté soit possible. Par conséquent, toute politique qui consiste à accompagner la gauche dans son œuvre de destruction de la famille au delà du niveau butoir dont j’ai parlé est une politique imbécile, si elle se croit libérale, car elle coupe la branche même sur laquelle la liberté est établie.


Philippe Nemo

Source


E) La famille

J’ai conscience qu’il ne sera lu de bout en bout par (pratiquement) personne : son seul objet est d’offrir à quelques curieux une sorte de résumé du chapitre du compendium de la doctrine sociale de l’Eglise consacré à la famille.
Je souhaite montrer ici que, sur ce sujet  de « la famille », la doctrine sociale de l’Eglise est très libérale.
J'invite les libéraux à lire les articles 214, 240 et 241 du compendium. Ils y verront une grande convergence avec leurs idées : "La priorité de la famille par rapport à la société et à l'État doit être affirmée", "Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, mais pas les seuls. (…) Les parents ont le droit de choisir les instruments de formation correspondant à leurs convictions et de chercher les moyens qui peuvent les aider dans leur tâche d'éducateurs (...) Les autorités publiques ont le devoir de garantir ce droit et d'assurer les conditions concrètes qui en permettent l'exercice. Les parents ont le droit de fonder et de soutenir des institutions éducatives. Les autorités publiques doivent faire en sorte que « les subsides publics soient répartis de façon telle que les parents soient véritablement libres d'exercer ce droit sans devoir supporter des charges injustes. Les parents ne doivent pas, directement ou indirectement, subir de charges supplémentaires qui empêchent ou limitent indûment l'exercice de cette liberté ». Il faut considérer comme une injustice le refus de soutien économique public aux écoles privées qui en ont besoin et qui rendent service à la société civile: « Quand l'État revendique le monopole scolaire, il outrepasse ses droits et offense la justice. (...) L'État ne peut sans injustice se contenter de tolérer les écoles dites privées. Celles-ci rendent un service public et ont en conséquence le droit à être économiquement aidées ».
 Je souhaite attirer leur attention, également, sur l'importance qu'accorde la doctrine sociale de l'Eglise aux droits de l'homme et, parmi eux, aux droits de l'enfant : « Le droit à la vie dont fait partie intégrante le droit de grandir dans le sein de sa mère après la conception; puis le droit de vivre dans une famille unie et dans un climat moral favorable au développement de sa personnalité » D'autres précisions sont données aux articles 235 ("...tandis que les droits de l'enfant à naître sont évidents, enfant auquel doivent être garanties des conditions optimales d'existence, grâce à la stabilité de la famille fondée sur le mariage et la complémentarité des deux figures, paternelle et maternelle") et 244 ("Les droits des enfants doivent être protégés par des normes juridiques. (…) Le premier droit de l'enfant est celui de « naître dans une véritable famille »") du compendium.
 Je souhaite enfin m'adresser tout particulièrement aux dirigeants, adhérents et sympathisants d'Alternative Libérale. Le programme de ce parti politique, de mon parti politique, contient ou a contenu des dispositions, relatives à la famille, qui me désolent, et qui, je crois, trahissent la pensée libérale. Je pense au droit à l'avortement, à l'euthanasie, au mariage homosexuel, à l'adoption par les couples homosexuels. Je m'explique sur le premier de ces sujets, le droit à l'avortement (qui semble - je m'en réjouis - avoir disparu du programme).
Une des critiques les plus souvent adressées au libéralisme, c'est de permettre que "le fort écrase le faible" : le libéralisme, ce serait "le renard libre dans le poulailler libre". Les libéraux prétendent que, au contraire, le libéralisme, c'est la protection des plus faibles.
Dans un avortement, il y a au moins 4 protagonistes : la maman, le papa, le médecin avorteur et l'enfant à naître. Qui est le plus faible, le plus petit des quatre, le "sans-voix", sinon l'enfant à naître ? L'Eglise catholique ne conteste pas le droit de la femme à disposer librement de son corps, mais elle défend en priorité le droit à la vie de l'enfant à naître. Défendre le droit à l'avortement, au nom du libéralisme, c'est donner raison à ceux qui travestissent et attaquent le libéralisme. Je me réjouis, à cet égard, qu'un des principaux penseurs libéraux actuels, le Pr Bertrand Lemennicier, (agnostique, donc non suspect, contrairement à moi, d'être "aveuglé" par des principes religieux) arrive à la même conclusion (dans un excellent chapitre de son non moins excellent livre, "La morale face à l'économie") : l'avortement est le meurtre d'un être humain vivant et n'est donc pas conforme à la morale libérale. Pour terminer sur ce point, j'invite ceux qui en auront le courage à jeter un coup d'oeil aux 5 courtes video ("The silent scream" = "Le cri silencieux", hélas en anglais. Merci de me signaler une éventuelle version en français) du site de l'association "Droit de naître"

Le présent article est exceptionnellement long. Il fait partie d'une série exposant les grandes lignes de la doctrine sociale de l'Eglise catholique et montrant, notamment, la promotion que fait celle-ci de la liberté de chaque personne humaine. Cette série s'appuie sur le compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, dont il cite différents passages.
Le lien entre la position de l'Eglise catholique sur la famille, d'une part, et le libéralisme, d'autre part, fera l'objet d'un prochain article.
 
Article 211 : "Éclairée par la lumière du message biblique, l'Église considère la famille comme la première société naturelle, titulaire de droits propres et originels, et la met au centre de la vie sociale: reléguer la famille « à un rôle subalterne et secondaire, en l'écartant de la place qui lui revient dans la société, signifie causer un grave dommage à la croissance authentique du corps social tout entier ». En effet, la famille, qui naît de l'intime communion de vie et d'amour conjugal fondée sur le mariage entre un homme et une femme, possède une dimension sociale spécifique et originelle en tant que lieu premier de relations interpersonnelles, première cellule vitale de la société: elle est une institution divine qui constitue le fondement de la vie des personnes, comme prototype de tout ordre social."
 
Article 212 Pour la personne, la famille est importante et centrale. Dans ce berceau de la vie et de l'amour, l'homme naît et grandit:  (...) Dans le climat d'affection naturelle qui lie les membres d'une communauté familiale, les personnes sont, dans leur intégralité, reconnues et responsabilisées : « La première structure fondamentale pour une “écologie humaine” est la famille, au sein de laquelle l'homme reçoit des premières notions déterminantes concernant la vérité et le bien, dans laquelle il apprend ce que signifie aimer et être aimé et, par conséquent, ce que veut dire concrètement être une personne ».
 
Article 213 La famille, communauté naturelle au sein de laquelle s'expérimente la socialité humaine, contribue d'une manière unique et irremplaçable au bien de la société. (…) Une société à la mesure de la famille est la meilleure garantie contre toute dérive de type individualiste ou collectiviste, car en elle la personne est toujours au centre de l'attention en tant que fin et jamais comme moyen.
 
Article 214 La priorité de la famille par rapport à la société et à l'État doit être affirmée. En effet, la famille, ne serait-ce que dans sa fonction procréatrice, est la condition même de leur existence. Dans les autres fonctions au bénéfice de chacun de ses membres, elle précède, en importance et en valeur, les fonctions que la société et l'État doivent remplir. La famille, sujet titulaire de droits inviolables, trouve sa légitimation dans la nature humaine et non pas dans sa reconnaissance par l'État. Elle n'existe donc pas pour la société et l'État, mais ce sont la société et l'État qui existent pour la famille.
Tout modèle de société qui entend servir le bien de l'homme ne peut pas faire abstraction du caractère central et de la responsabilité sociale de la famille. La société et l'État, dans leurs relations avec la famille, ont en revanche l'obligation de s'en tenir au principe de subsidiarité.
En vertu de ce principe, les autorités publiques ne doivent pas soustraire à la famille les tâches qu'elle peut bien remplir toute seule ou librement associée à d'autres familles.
 
215 Le fondement de la famille réside dans la libre volonté des époux de s'unir en mariage, dans le respect des significations et des valeurs propres à cette institution, qui ne dépend pas de l'homme, mais de Dieu lui-même: « En vue du bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de l'homme. Car Dieu lui-même est l'auteur du mariage qui possède en propre des valeurs et des fins diverses ». L'institution du mariage — « communauté profonde de vie et d'amour (...) fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur »474 — n'est donc pas une création due à des conventions humaines et à des contraintes législatives, mais doit sa stabilité à l'ordonnancement divin.475 C'est une institution qui naît, notamment pour la société, « de l'acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement » et qui se fonde sur la nature même de l'amour conjugal qui, en tant que don total et exclusif, de personne à personne, comporte un engagement définitif exprimé par le consentement réciproque, irrévocable et public.
 
216 Aucun pouvoir ne peut abolir le droit naturel au mariage ni modifier ses caractères et ses finalités. En effet, le mariage est doté de caractéristiques propres, originelles et permanentes. (…) La société ne peut pas disposer du lien matrimonial, par lequel les deux époux se promettent fidélité, assistance et accueil des enfants, mais elle est habilitée à en discipliner les effets civils.
 
217 Le mariage a les traits caractéristiques suivants: la totalité, par laquelle les époux se donnent mutuellement dans toutes les composantes de la personne, physiques et spirituelles; l'unité qui fait d'eux « une seule chair » (Gn 2, 24); l'indissolubilité et la fidélité que comporte le don réciproque et définitif; la fécondité à laquelle il s'ouvre naturellement. (…) La polygamie est une négation radicale du dessein originel de Dieu, parce qu'« elle est contraire à l'égale dignité personnelle de la femme et de l'homme, lesquels dans le mariage se donnent dans un amour total qui, de ce fait même, est unique et exclusif ».
 
218 Le mariage, dans sa vérité « objective », est ordonné à la procréation et à l'éducation des enfants. L'union matrimoniale, en effet, fait vivre en plénitude ce don sincère de soi, dont les enfants sont le fruit, et qui sont à leur tour don pour leurs parents, pour la famille entière et pour l'ensemble de la société. Cependant, le mariage n'a pas été uniquement institué en vue de la procréation
 
221 La famille se propose comme espace de la communion, si nécessaire dans une société toujours plus individualiste, dans lequel il faut faire grandir une authentique communauté de personnes 490 grâce à l'incessant dynamisme de l'amour, qui est la dimension fondamentale de l'expérience humaine et qui trouve précisément dans la famille un lieu privilégié pour se manifester: « L'amour amène l'homme à se réaliser par le don désintéressé de lui-même. Aimer signifie donner et recevoir ce qu'on ne peut ni acquérir ni vendre, mais seulement accorder librement et mutuellement ».
Grâce à l'amour, réalité essentielle pour définir le mariage et la famille, chaque personne, homme et femme, est reconnue, accueillie et respectée dans sa dignité.
 
222 L'amour s'exprime aussi à travers une attention prévenante envers les personnes âgées qui vivent dans la famille: leur présence peut revêtir une grande valeur.
 
223 L'être humain est fait pour aimer et sans amour il ne peut pas vivre.
 
224 Face aux théories qui ne considèrent l'identité de genre que comme un produit culturel et social dérivant de l'interaction entre la communauté et l'individu, faisant abstraction de l'identité sexuelle personnelle et sans aucune référence à la véritable signification de la sexualité, l'Église ne se lassera pas de réaffirmer son enseignement: « Il revient à chacun, homme et femme, de reconnaître et d'accepter son identité sexuelle. La différence et la complémentarité physiques, morales et spirituelles sont orientées vers les biens du mariage et l'épanouissement de la vie familiale. L'harmonie du couple et de la société dépend en partie de la manière dont sont vécus entre les sexes la complémentarité, le besoin et l'appui mutuels ». Cette perspective fait considérer comme un devoir la conformation du droit positif à la loi naturelle, selon laquelle l'identité sexuelle est indisponible, car elle constitue la condition objective pour former un couple dans le mariage.
 
225 La nature de l'amour conjugal exige la stabilité du rapport matrimonial et son indissolubilité. (…)L'introduction du divorce dans les législations civiles a alimenté une vision relativiste du lien conjugal et s'est largement manifestée comme une « véritable plaie sociale ».
 
227 Les unions de fait, dont le nombre a progressivement augmenté, se basent sur une fausse conception de la liberté de choix des individus et sur une vision tout à fait privée du mariage et de la famille. Le mariage n'est pas un simple pacte de vie en commun, mais bien une relation ayant une dimension sociale unique par rapport à toutes les autres, dans la mesure où la famille, pourvoyant au soin et à l'éducation des enfants, se présente comme l'instrument primordial de la croissance intégrale de toute personne et de son insertion positive dans la vie sociale.
La mise éventuelle sur un pied d'égalité de la famille et des « unions de fait » au plan juridique se traduirait par un discrédit du modèle de famille, qui ne peut se réaliser dans une relation précaire entre les personnes, mais seulement dans une union permanente engendrée par le mariage, c'est-à-dire par le pacte entre un homme et une femme, fondé sur un choix réciproque accompli librement, qui implique la pleine communion conjugale orientée vers la procréation.
 
228 Un problème particulier lié aux unions de fait a trait à la demande de reconnaissance juridique des unions homosexuelles, qui fait toujours plus l'objet d'un débat public. Seule une anthropologie répondant à la pleine vérité de l'homme peut donner une réponse appropriée à ce problème (…) C'est à la lumière de cette anthropologie « qu'apparaît (...) incongrue la volonté d'attribuer une réalité “conjugale” à l'union entre des personnes du même sexe. En premier lieu s'y oppose l'impossibilité objective de faire fructifier le mariage à travers la transmission de la vie, selon le projet de Dieu inscrit dans la structure même de l'être humain. En outre, l'absence des présupposés pour cette complémentarité interpersonnelle que le Créateur a voulue, tant sur le plan physique et biologique que sur celui éminemment psychologique, entre l'homme et la femme, constitue un obstacle. Ce n'est que dans l'union entre deux personnes sexuellement différentes que peut s'accomplir le perfectionnement de l'individu, dans une synthèse d'unité et de complémentarité psycho-physique mutuelle ».
La personne homosexuelle doit être pleinement respectée dans sa dignité et encouragée à suivre le plan de Dieu avec un engagement particulier dans l'exercice de la chasteté. Un tel respect ne signifie pas la légitimation de comportements non conformes à la loi morale, ni encore moins la reconnaissance d'un droit au mariage entre personnes du même sexe, entraînant l'assimilation de leur union à la famille. « Si, du point de vue juridique, le mariage entre deux personnes de sexe différent était considéré seulement comme une des formes de mariage possible, l'idée de mariage subirait un changement radical, et ce, au détriment grave du bien commun. En mettant sur un plan analogue l'union homosexuelle, le mariage ou la famille, l'État agit arbitrairement et entre en contradiction avec ses propres devoirs ».
 
229 La solidité du noyau familial est une ressource déterminante pour la qualité de la vie sociale en commun; par conséquent, la communauté civile ne peut pas rester indifférente face aux tendances de désagrégation qui minent à la base ses colonnes portantes. Si une législation peut parfois tolérer des comportements moralement inacceptables, elle ne doit jamais affaiblir la reconnaissance du mariage monogamique indissoluble comme unique forme authentique de la famille. Il est donc nécessaire que les autorités publiques, « résistant à ces tendances qui désagrègent la société elle-même et sont dommageables pour la dignité, la sécurité et le bien-être des divers citoyens, s'emploient à éviter que l'opinion publique ne soit entraînée à sous-estimer l'importance institutionnelle du mariage et de la famille ».
La communauté chrétienne et tous ceux qui ont à cœur le bien de la société ont le devoir de réaffirmer que « la famille, bien plus qu'une simple unité juridique, sociologique ou économique, constitue une communauté d'amour et de solidarité, apte de façon unique à enseigner et à transmettre des valeurs culturelles, éthiques, sociales, spirituelles et religieuses essentielles au développement et au bien-être de ses propres membres et de la société ».
 
231 La famille fondée sur le mariage est véritablement le sanctuaire de la vie, « le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d'une croissance humaine authentique ».
 
232 La famille contribue de façon éminente au bien social par le biais de la paternité et de la maternité responsables, formes particulières de la participation spéciale des époux à l'œuvre créatrice de Dieu.
 
233 Quant aux « moyens » de réaliser la procréation responsable, la stérilisation et l'avortement, avant tout, doivent être refusés comme étant moralement illicites.
 
235 Le désir de maternité et de paternité ne justifie aucun « droit à l'enfant », tandis que les droits de l'enfant à naître sont évidents, enfant auquel doivent être garanties des conditions optimales d'existence, grâce à la stabilité de la famille fondée sur le mariage et la complémentarité des deux figures, paternelle et maternelle.(…)Éviter de recourir aux diverses formes de ce qu'on appelle la procréation assistée, substitutive de l'acte conjugal, signifie respecter — aussi bien chez les parents que chez les enfants qu'ils entendent engendrer — la dignité intégrale de la personne humaine.
 
238 À travers l'œuvre d'éducation, la famille forme l'homme à la plénitude de sa dignité sous toutes ses dimensions, y compris la dimension sociale.
 
239 La famille joue un rôle tout à fait original et irremplaçable dans l'éducation des enfants. L'amour des parents, en se mettant au service des enfants pour les aider à tirer d'eux (« e-ducere ») le meilleur d'eux-mêmes, trouve sa pleine réalisation précisément dans la tâche de l'éducation: « De source qu'il était, l'amour des parents devient ainsi l'âme et donc la norme qui inspirent et guident toute l'action éducative concrète, en l'enrichissant des valeurs de douceur, de constance, de bonté, de service, de désintéressement, d'esprit de sacrifice, qui sont les fruits les plus précieux de l'amour ».
 
240 Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, mais pas les seuls. Il leur revient donc d'exercer avec responsabilité l'œuvre éducative, en collaboration étroite et vigilante avec les organismes civils et ecclésiaux (…) Les parents ont le droit de choisir les instruments de formation correspondant à leurs convictions et de chercher les moyens qui peuvent les aider dans leur tâche d'éducateurs, notamment dans le domaine spirituel et religieux. Les autorités publiques ont le devoir de garantir ce droit et d'assurer les conditions concrètes qui en permettent l'exercice.
 
241 Les parents ont le droit de fonder et de soutenir des institutions éducatives. Les autorités publiques doivent faire en sorte que « les subsides publics soient répartis de façon telle que les parents soient véritablement libres d'exercer ce droit sans devoir supporter des charges injustes. Les parents ne doivent pas, directement ou indirectement, subir de charges supplémentaires qui empêchent ou limitent indûment l'exercice de cette liberté ». Il faut considérer comme une injustice le refus de soutien économique public aux écoles privées qui en ont besoin et qui rendent service à la société civile: « Quand l'État revendique le monopole scolaire, il outrepasse ses droits et offense la justice. (...) L'État ne peut sans injustice se contenter de tolérer les écoles dites privées. Celles-ci rendent un service public et ont en conséquence le droit à être économiquement aidées ».
 
242 La famille a la responsabilité d'offrir une éducation intégrale. (…) L'intégralité est assurée quand les enfants — par le témoignage de vie et par la parole — sont éduqués au dialogue, à la rencontre, à la socialité, à la légalité, à la solidarité et à la paix, en cultivant en eux les vertus fondamentales de la justice et de la charité.
 
244 La doctrine sociale de l'Église indique constamment l'exigence de respecter la dignité des enfants (…) Les droits des enfants doivent être protégés par des normes juridiques. (…) Le premier droit de l'enfant est celui de « naître dans une véritable famille »
 
245 La situation d'une grande partie des enfants dans le monde est loin d'être satisfaisante, car les conditions qui favorisent leur développement intégral font défaut, (…). Il s'agit de conditions liées au manque de services de santé, d'une alimentation appropriée, de possibilités de recevoir un minimum de formation scolaire et d'un logement. En outre, de très graves problèmes demeurent irrésolus: le trafic et le travail des enfants, le phénomène des « enfants des rues », l'emploi d'enfants dans des conflits armés, le mariage des petites filles, l'utilisation des enfants pour le commerce de matériel pornographique, à travers aussi les instruments de communication sociale les plus modernes et les plus sophistiqués. Il est indispensable de combattre, au niveau national et international, les violations de la dignité des enfants, garçons et filles, causées par l'exploitation sexuelle de la part des personnes qui s'adonnent à la pédophilie et par les violences de tout genre que subissent ces créatures humaines sans défense.

 Thierry Jallas



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