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mars 14, 2022

Natan Sharansky - Russie/Ukraine/Occident...

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Dix questions à Natan Sharansky par The Tablet News Desk

Tablet News Desk s’entretient avec le légendaire prisonnier politique soviétique et ministre du gouvernement israélien sur la guerre en Ukraine, les deux Vladimir et les implications pour le Moyen-Orient.

Né à Donetsk, alors appelé Staline, dans la République socialiste soviétique d’Ukraine en 1948, Natan Sharansky reste la principale voix mondiale antisoviétique, sioniste dissidente et pro-démocratie. Prodige des échecs, mathématicien, refusnik, prisonnier politique, militant des droits de l’homme et homme d’État israélien, Sharansky est un monument vivant de l’héroïsme juif du XXe siècle et est particulièrement bien placé pour analyser l’importance des ruptures de liberté, de démocratie et d’ordre mondial dans le 21. Dimanche, il s’est entretenu avec Tablet pour discuter de l’invasion russe de l’Ukraine, des deux Vladimir, des dilemmes de la diplomatie israélienne et de la sagesse du BDS pour la Russie.

 


 


Que pensez-vous de l’invasion russe de l’Ukraine, un État où vous avez grandi dans une famille juive sous l’ex-URSS, et qui est aujourd’hui dirigé par un président fièrement juif ?

Je dois dire que c’est très difficile à croire pour les Juifs, mais la question juive n’a rien à voir avec ce conflit. Le fait que Zelensky soit un juif dévoué est un fait absolument remarquable de l’histoire ukrainienne, ainsi que le fait que même Poutine, avec toutes les choses horribles qu’il fait, est unique dans l’histoire russe pour son attitude positive envers les juifs et Israël. Il n’y a pas de pogroms anti-juifs à ce stade, ni en Ukraine ni en Russie, et ce n’est pas vrai que les Juifs sont au centre de tout cela.

Quand je grandissais à Donetsk, “Juif” était la pire chose que vous pouviez avoir dans vos papiers. C’était comme être né avec une maladie, et de nombreux parents rêvaient de soudoyer des agents pour qu’ils écrivent quoi que ce soit d’autre pour leurs enfants. Aujourd’hui, lorsque les réfugiés se déplacent vers la frontière, la meilleure chose qu’ils puissent avoir sur leur carte d’identité est le mot “Juif”, car le seul pays qui envoie des représentants officiels là-bas pour amener les gens et leur donner la citoyenneté est Israël. Donc, on peut en dire beaucoup à ce sujet, mais encore une fois, si vous voulez comprendre les racines de cette horrible et barbare agression russe, ce n’est pas le point de départ.

OK, commençons ici : Quand je suis né à Donetsk, ça s’appelait alors Stalino. Quand Staline est mort, j’avais 5 ans, et je me souviens que mon père m’avait expliqué que c’était un grand jour pour nous, pour les Juifs, mais de ne le dire à personne. Et puis je me souviens de l’autre grand événement de mon enfance, en 1954, après la mort de Staline, c’était la célébration des 300 ans de l’unification volontaire de la Russie et de l’Ukraine. En 1654, lorsque Bohdan Khmelnytky gagna une guerre, cela rendit l’Ukraine indépendante de la Pologne. Nous avons donc eu une grande célébration de la fraternité des Ukrainiens et des Russes.

Plus tard, quand je suis devenu dissident, j’ai rencontré des nationalistes ukrainiens et j’ai découvert qu’il s’agissait en fait plutôt d’un asservissement russe de l’Ukraine. Mais à ce moment-là, cela n’avait plus la même importance, car en fait, Donetsk était une ville très internationale, elle comptait de nombreuses nations. C’était un centre industriel, donc depuis 100 ans, des gens venaient chercher du travail dans différentes parties de l’empire russe. Il y avait des Ukrainiens et des Russes à Donetsk, bien sûr, mais aussi des Kazakhs et des Arméniens, des Géorgiens et des Tatars. Donc rien de tout cela n’avait vraiment d’importance. Ce qui comptait vraiment, c’était : êtes-vous juif ou non ?

Tout le monde pourrait être d’accord là-dessus.

Les juifs étaient les seuls à être vraiment discriminés. Il y avait des blagues sur chaque nation, mais les vrais préjugés et la discrimination officielle étaient contre les Juifs. Maintenant, j’ai étudié dans une école russe où la deuxième langue était l’ukrainien, et il y avait beaucoup d’écoles ukrainiennes où la deuxième langue était le russe. En tant que Juif, j’ai essayé d’être le meilleur en tout, alors j’ai essayé d’être aussi le meilleur dans la littérature ukrainienne. Et ça, c’est une vraie littérature. L’Ukraine a ses propres chansons, son art, son histoire. C’est la preuve d’un peuple ukrainien que Poutine nie. Il est vrai que pendant de très courtes périodes seulement, les Ukrainiens ont joué un rôle indépendant. Mais la culture était réelle, sans aucun doute.

Quand je suis devenu militant, j’ai déménagé à Moscou à l’âge de 18 ans. Et puis j’ai commencé l’université et je suis devenu militant dans le mouvement sioniste, puis aussi dans le mouvement des droits de l’homme. Et j’ai rencontré des nationalistes ukrainiens dans le Groupe Helsinky de Moscou, en fait le deuxième groupe Helsinki a été créé à Kiev. Et plus tard, en prison, j’ai rencontré de nombreux nationalistes ukrainiens. Et il était clair pour nous alors que nous avions beaucoup d’intérêts mutuels, dans la liberté, l’indépendance et la démocratie.

En 1997, je suis revenu en tant que ministre du commerce d’Israël. Je suis venu à Kiev et j’ai signé le premier accord économique entre l’Ukraine et Israël. Beaucoup d’hommes d’affaires sont venus à mes réunions là-bas, il y avait beaucoup d’espoirs de développement économique. Cela ne s’est pas vraiment bien développé parce que l’économie n’était pas transparente, il y avait beaucoup de corruption, comme vous le savez. Mais c’était et c’est une démocratie.

Maintenant, depuis cinq ans, je suis président du conseil consultatif de Babyn Yar, ce qui ferme un cercle très important dans ma vie. Babyn Yar est pour moi le symbole de l’Holocauste. Ce n’est pas seulement le plus grand charnier de Juifs ; c’est aussi le symbole des efforts de l’Union soviétique pour effacer la mémoire de l’Holocauste, détruire notre identité et lutter contre la nation juive. J’ai donc décidé que c’était un projet extrêmement important que nous devions faire, transformer ce symbole de la destruction de la mémoire de l’Holocauste en le plus grand musée et centre d’étude de l’Holocauste en Europe.

Et pour cette raison, j’ai eu de nombreuses occasions de rencontrer le président Zelensky et son équipe. Et il a toujours été très positif et très intéressé. Et maintenant, il dirige le peuple ukrainien, à la grande surprise de Poutine, en montrant un tel attachement passionné à l’identité nationale ukrainienne et à sa liberté. Le fait qu’ils soient maintenant un exemple pour les gens du monde entier, et que celui qui les dirige et les inspire et l’homme qui est le président le plus important de leur histoire soit ouvertement juif et fier de ses racines juives et de sa connexion à Israël, c’est vraiment quelque chose. Je ne sais pas si je dois l’appeler ironique ou symbolique ou significative. Mais c’est vraiment quelque chose.

Comprenez-vous l’invasion de l’Ukraine comme un différend frontalier, ou comme un chapitre d’une attaque russe ou russo-chinoise plus vaste et plus globale contre l’ordre démocratique ? Quelle fin de partie pensez-vous que Poutine a en tête pour ce conflit ?

Poutine, que j’ai rencontré il y a 15 ou 20 ans, dans les premières années de sa présidence, est une personne très différente de ce qu’il était alors. Il a toujours été bien sûr le même officier du KGB avec la même approche et la même vision du monde, mais à l’époque, il cherchait de toute urgence à être reconnu par les dirigeants du monde – par George W. Bush, par Angela Merkel – et il a essayé très difficile de trouver des moyens de les convaincre qu’il était un nouveau type de dirigeant russe. Je pense que ce qui s’est passé avec lui, c’est qu’après 20 ans ou plus au pouvoir, il a vu tous ces dirigeants – Bushes et Merkels et Obamas et Bidens et Macrons et tous les autres – comme des pions, ils viennent et ils partent, et ils sont échangés, ils sont remplacés. Il est le seul à ne jamais être remplacé.

Il est le seul, vrai, fort leader, et il est la seule vraie figure historique – comme il se voit lui-même – et il a une mission historique. Il a dit pendant de nombreuses années que la plus grande tragédie du XXe siècle a été la destruction de l’Union soviétique. Sa mission est donc de ramener cette superpuissance russe unique. Il ne veut pas ramener l’idéologie communiste, qui ne l’intéresse pas. Poutine se considère comme remplaçant Pierre le Grand, Ekaterina [Catherine la Grande] et Staline. Ce sont trois de ses grands héros, qui ont amené les terres historiques « russes » sous une seule règle.

 


 

Donc, que ce soit la Pologne ou le Kamtchatka, il les voit tous comme un tsar – toutes les terres russes – et il voit leur retour comme sa charge historique. Pour cela, il travaille déjà depuis de nombreuses années. La Biélorussie fait pratiquement partie de la Russie maintenant. Il a essayé la Géorgie en 2008, et il a obtenu l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, qui sont maintenant en fait la Russie. La Tchétchénie aussi, bien sûr, mais avec beaucoup de sang, mais maintenant c’est le sien. Et il est actif tout le temps au Kazakhstan et dans les autres Stans.

Mais bien sûr, la clé ici a toujours été l’Ukraine. Même dans les prisons de nos dissidents, quand nous avons tous vu que l’Union soviétique allait s’effondrer, parce qu’elle était trop faible de l’intérieur, la pièce maîtresse que nous avons vue à l’époque était l’Ukraine. Dans nos rêves, l’Ukraine devenait un pays indépendant, comme la France ou quelque chose comme ça, non seulement à cause de sa grande population, mais parce qu’elle avait le blé, le charbon, la métallurgie, les missiles et tout.

Cela ne s’est pas passé exactement ainsi. À cause de la corruption et d’autres facteurs, l’Ukraine a traversé une période difficile. Mais néanmoins, une Ukraine démocratique est née. Cela a donc été un grand choc pour Poutine, et c’est pourquoi il doit déclarer ouvertement que l’Ukraine n’est pas un État et que l’Ukraine n’est pas une nation, et les traite de néo-nazis, et parle de ramener son « statut historique ».

Comment la Russie imagine-t-elle qu’elle réintégrera l’Ukraine dans un État impérial russe renaissant ?

La Russie n’est pas le pays le plus fort et Poutine n’est pas le leader le plus fort du monde. En fait, la Russie représente aujourd’hui quelque chose comme 3 % de l’économie mondiale et l’OTAN représente quelque chose de plus proche de 50 %. Et ici, il est très important de comprendre la psychologie de Poutine. De mon passage parmi les criminels en prison, je sais très bien que celui qui est le meneur dans la cellule n’est pas celui qui est physiquement le plus fort, mais celui qui est prêt à utiliser son couteau. Tout le monde a un couteau, mais tout le monde n’est pas prêt à l’utiliser. Poutine pense qu’il est prêt à utiliser son couteau et que l’Occident ne l’est pas, que l’Occident ne peut que parler, même s’il est physiquement plus fort.

Je dois vous rappeler que la première étape de ce processus ukrainien a été la Crimée. Cela a commencé après que le président Obama a tracé une ligne rouge en Syrie au sujet des armes chimiques, puis lorsqu’elle a été franchie, il n’a rien fait. C’était un signe terrible. Les résultats immédiats ont été que Poutine a amené ses armées en Syrie et y a établi une base – en fait, il a obtenu les clés de l’espace aérien syrien – puis il est allé en Crimée. Il a vérifié si l’Occident réagirait, et quand ce n’était pas le cas, il a non seulement pris la Crimée, mais il a également lancé ce mouvement séparatiste dans le Donbass, affirmant que tout cela était la Russie historique. C’était donc le début.

Maintenant, il est dans la deuxième étape, et il ressent surtout la faiblesse de l’Amérique. Je pense — je n’en suis pas sûr, mais je pense — que le retrait d’Afghanistan lui a montré qu’il serait très difficile pour ce gouvernement américain de se mobiliser pour une action militaire. Et donc il peut menacer les armes nucléaires. Il dit : « L’Ukraine n’est pas un pays, nous allons la ramener à la Russie, et ceux qui se dresseront sur notre chemin subiront des dégâts qu’ils n’ont jamais connus dans leur histoire. Alors tous ses moyens de dissuasion sont préparés.

Et la réponse américaine est d’annuler l’entraînement de leurs forces nucléaires qui était prévu depuis un an. Le Pentagone l’annule et dit : « C’est parce que nous ne voulons pas être responsables d’avoir mis en danger les États-Unis. Poutine ne pouvait donc pas obtenir un meilleur signe que sa dissuasion fonctionnait. Alors maintenant, il croit vraiment qu’il est le leader le plus fort du monde, non seulement parce qu’il est important, et non seulement parce qu’il n’a pas à s’inquiéter de choses comme ces élections occidentales stupides, mais aussi parce qu’il est prêt à menacer d’une guerre nucléaire et ses ennemis ne le sont pas. Il est prêt à utiliser son couteau.

Avait-il raison ?

Bien sûr, il y a eu quelques surprises pour lui.

Premièrement, il est plutôt isolé du monde réel, alors il s’est convaincu que les Ukrainiens conviennent qu’ils ne sont pas un peuple et qu’ils n’opposeraient donc aucune résistance sérieuse.

Deuxièmement, il avait raison de dire que l’Occident ne serait pas prêt à faire face à sa menace militaire, mais l’Occident est mobilisé par les sanctions. Alors maintenant, les sanctions sont une arme très dangereuse contre lui, et elles auront un effet pendant longtemps. Il comprend donc maintenant qu’il n’a pas beaucoup de temps – mais le temps qu’il a, il doit l’utiliser efficacement, en utilisant la menace de la guerre nucléaire pour envahir, détruire, occuper, et puis si le monde a peur , pour continuer à tester les limites.

Le calme relatif d’Israël face à l’assaut de Poutine est-il une reconnaissance sensée de la réalité de la force militaire russe en Syrie, ou renforce-t-il imprudemment les forces de la dictature et de l’illibéralisme ? Et quel rôle l’accord nucléaire relancé entre l’Amérique et l’Iran, qui est la façon dont la Russie est entrée en Syrie en premier lieu, joue-t-il là-dedans ?

Je peux vous dire ma position, mais malheureusement je suis minoritaire. Dès le premier jour de l’invasion, j’ai dit qu’il ne s’agissait pas simplement d’une lutte historique entre la Russie et l’Ukraine. Ce n’est pas simplement entre un dictateur vicieux et un leader sympathique et démocrate. C’est un effort pour changer tous les principes de base sur lesquels repose le monde libre depuis la Seconde Guerre mondiale. Le monde libre tout entier est en danger, et Israël en fait partie.

Israël ne peut pas survivre simplement en se jouant entre dictateurs. Nous devrions être les premiers à le comprendre. Donc pour nous moralement, et pour le monde publiquement, et pour la survie du monde libre, nous devons être clairement d’un côté. Stratégiquement, il ne faut pas hésiter à en parler très clairement et publiquement.

Les gens ici me disent que je ne comprends pas que l’obligation morale la plus importante d’Israël est la sécurité des citoyens israéliens, et que pour protéger cette sécurité, nous devons avoir la liberté d’opérer en Syrie. Or, sur le plan tactique, il ne fait aucun doute que nous dépendons d’un accord avec Poutine lorsque nous attaquons des bases iraniennes en Syrie. À partir de 2013, il y a eu une telle faiblesse avec l’administration Obama en Syrie, où ils n’allaient pas contester cette nouvelle présence militaire russe, puis en 2015, il y a eu un accord supplémentaire avec l’Iran, en vertu duquel l’Amérique a envoyé des milliards et des milliards de dollars à Téhéran, dont une partie en espèces. Et avec la transformation du Hezbollah en une véritable armée et la construction de nouvelles bases avec l’Iran, la Syrie et le Liban, nous n’avions d’autre choix que d’avoir une entente stratégique avec Poutine.

Nous sommes maintenant confrontés au nouvel accord avec l’Iran dans quelques jours peut-être. Ainsi, le monde libre prend de nombreuses mesures pour retirer des milliards de dollars à Poutine, et en même temps, il s’assure que l’Iran recevra des milliards de dollars – et comme dans le cas d’Obama, il ne sera lié à aucun Iranien l’obligation d’arrêter les activités terroristes dans la région ou d’abandonner leur engagement à détruire l’État d’Israël. Donc, sans aucun doute, une grande partie de cet argent neuf ira à leurs opérations en Syrie. Et Israël devra les détruire. Nous serons donc encore plus dépendants de Poutine.

Je pense que dans le cadre de la lutte du monde libre contre Poutine, il doit aussi aider Israël à lutter contre sa dépendance à son égard en Syrie. Parce qu’en général, les intérêts du peuple juif et les intérêts d’Israël, bien sûr, sont que l’agression de Poutine soit stoppée.

Aujourd’hui, nous voyons que même avec tout l’amour, la compassion et la sympathie que le monde a adressés à Zelensky et aux Ukrainiens, en fait le monde libre a déjà décidé qu’ils seraient les victimes. Il faut donc toujours être capable de se défendre.

Les boycotts et les sanctions contre la Russie, et en particulier contre des Russes individuels, sont-ils un bon moyen d’influer sur la politique russe ? Si oui, pourquoi ne sont-ils pas aussi un bon moyen d’exprimer sa désapprobation des politiques israéliennes que certaines personnes n’aiment pas ?

Cela n’a absolument rien à voir avec le BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions] d’Israël, et je vais vous expliquer pourquoi. Tout d’abord, le BDS d’Israël a été inventé non pas pour influencer la politique israélienne mais pour contribuer à la destruction d’Israël. Israël ne devrait pas exister, mais nous ne pouvons pas le détruire militairement, nous devons donc le détruire en encourageant le monde entier à le boycotter économiquement. Et deuxièmement, il est basé sur un double standard évident. Ce qui signifie, OK, vous décidez que ceux qui violent les droits de l’homme doivent être boycottés, vous définissez ce qu’est une violation des droits de l’homme, puis vous choisissez de ne pas respecter la définition ou d’appliquer le boycott partout dans le monde – au Xinjiang, etc. – sauf en Israël.

Maintenant, avec la Russie, si le monde était prêt à défier Poutine militairement, comme à envoyer ses avions et ses troupes, il n’y aurait pas besoin de sanctions. Mais parce que le monde libre n’est pas prêt à le faire et que nous cherchons des moyens de faire quelque chose sans avoir à nous battre en Ukraine, l’idée est de faire en sorte que les gens à l’intérieur de la Russie se sentent mal à propos de ce que fait Poutine et de lui faire changer de politique. . C’est donc très différent d’essayer d’isoler Israël pour le détruire ; il essaie simplement de mettre un terme à cette terrible agression. Je préférerais qu’on arrête l’agression en envoyant les avions. Mais je comprends que c’est difficile. Et Poutine ne s’attendait pas à des sanctions aussi sévères. Je pense donc qu’ils sont justifiés.

Quel effet le placement de sanctions personnelles sur la soi-disant liste Navalny des oligarques liés à Poutine, dont Mikhail Fridman et d’autres, aura-t-il sur la vie juive, à la fois en Israël et dans la diaspora ? Ces sanctions contre les individus sont-elles une bonne idée en tant que politique publique ? Sont-ils bons pour les Juifs ?

Certaines de ces personnes font de très bonnes choses pour Israël et le peuple juif, comme Mikhail Fridman, qui donne à la défense des communautés juives partout dans le monde, et apporte non seulement leur fierté d’être juif et leur générosité financière mais aussi de nouvelles idées, comme le prix Genesis et bien sûr le mémorial de Babyn Yar. Mais je dois dire que lorsque les Américains et les Européens décident de sanctions, ces choses ne doivent pas être prises en considération. Les critères devraient être de savoir si leur argent est utilisé pour aider Poutine à lutter contre la démocratie et la liberté et l’opposition, etc., ou si l’argent et les outils de ces personnes peuvent être utilisés pour saper les sanctions.

J’espère très sincèrement que ceux qui sont utiles au peuple juif ne sont pas impliqués là-dedans. Mais c’est bien sûr aux organes compétents en Amérique et en Europe d’en décider. Et je propose de ne pas mélanger ces deux choses.

Nous devrions toujours être très reconnaissants envers ceux qui font de bonnes choses pour Israël. Mais il faut aussi comprendre l’importance de ces sanctions, et j’espère qu’elles seront employées avec de vrais critères et avec de vraies actions, et pas simplement pour contribuer à cette atmosphère de haine de tous ces riches Russes.


 

https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/five-questions-for-natan-sharansky

Le Tablet News Desk couvre les actualités, Israël et le Moyen-Orient, la science et les sports.

Natan Sharansky, né Anatoli Borissovitch Chtcharanski, est l’un des plus célèbres opposants soviétiques. Anti-communiste et sioniste, Il est ancien ministre du gouvernement israélien et ancien chef de l’Agence juive. Son dernier ouvrage co-écrit avec Gil Troy: Never Alone: Prion, Politics, and My People a été publié en septembre 2020.

 

 

 

octobre 01, 2016

Géopolitique de la Culture et Liberté

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Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 




Sommaire:


A) Sacré Pierre Conesa ! - Proche&Moyen-Orient-Online - Hedy Belhassine

B) La propagande djihadiste : petit lexique des détournements de sens de Daech - Slate - Robin Verner

C) Sciences et religion n’ont rien à se dire -  huet.blog.le Monde


D) Shimon Peres, le dernier père fondateur de l’Etat d’Israël, est mort - Le Point - Danièle Kriegel

E) Terrorisme : la France muscle son budget de la défense en 2017 - la Tribune - Michel Cabirol

F) Terrorisme : faire évoluer notre Etat de droit - figarovox - Louis Vogel

G) Les racines de la violence humaine plongent dans l’arbre de l’évolution - Le Monde - Nathalie Herzberg

H) Alep : pourquoi la crise humanitaire ne bouleverse pas la donne géopolitique - Figarovox - Fabrice Balanche

I) Du « modèle » israélien - Le Monde diplomatique - Philippe Leymarie

J) Journée de l’unité allemande - ministère des affaires étrangères allemand

K) Des Américains veulent punir les sociétés françaises présentes en Iran - Boulevard extérieur - François Nicoullaud





A) Sacré Pierre Conesa ! 


Pourtant remarqué à chacune de ses interventions à la télévision, Pierre Conesa y est rarement invité. Agrégé d’histoire, énarque, ses états de service dans l’enseignement, la défense, l’armement et le renseignement auraient pu lui assurer un complément de retraite confortable dans le lobbying en tous genres s’il s’était enfin abstenu de dire ce qu’il pense. Trop savant, trop brillant, trop décontracté, il a longtemps partagé les secrets d’État, il en sait long, il décourage les candidats à la contradiction. Lorsqu’en responsabilité il lui arrivait d’être placardisé, il en profitait pour voyager dans des pays sans touristes ou écrire des livres singuliers : son petit Guide du paradis Edition de l’Aube 2011 est une friandise truculente à mettre sur toutes les tables de chevet. Cet intellectuel ne pouvait pas escamoter le débat sur l’Islam. Il n’est pas arabisant, n’a jamais mis les pieds à La Mecque mais a visité toutes les capitales du Moyen-Orient où il a observé les Altesses dans l’ombre discrète des délégations officielles; de surcroît, il n’a pas son pareil pour faire la synthèse d’une pile de documents. Avec la parution de sa dernière contribution Dr Saoud et Mr Djihad ou La diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite chez Robert Laffont, l’iconoclaste jette un pavé qui fera des vagues dans le marigot des jihadologues. Il s’agit d’une échographie du monstre à double visage qui ronge l’islam: la monarchie wahhabite saoudienne. Hubert Védrine dans une préface remarquable salut cette étude du saoudo-wahhabisme comme élément du « soft power idéologique planétaire»au même titre que celui d’Israël, de la Russie, du Vatican...et juge l’ouvrage « sévère mais documenté... qui comble une lacune de l’analyse politique»espérant au passage que le moteur auxiliaire du wahhabisme saoudien de « certains émirats » (traduire le Qatar), fera l’objet d’un indispensable complément d’enquête. La diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite est un modèle d’endoctrinement et de prosélytisme d’État au service d’une idéologie que Pierre Conesa n’hésite pas à comparer à celui des Khmers rouge et des Nazis. C’est une usine à propager le racisme , la misogynie, l’homophobie, la haine du dissemblable. Elle dispose de moyens logistiques illimités et bénéficie d’une totale impunité auprès de la communauté internationale corrompue par les achats de pétroles et les ventes d’armes. Avec la rigueur du professeur d’Université, il retrace la genèse du Royaume wahhabite en s’appuyant sur une solide documentation d’ouvrages académiques dont le plus remarquable mérite d’être inlassablement cité : « Le pacte de Nejd » par Hammadi Redissi, publié au Seuil en 2007, qui demeure l’ouvrage le plus éclairant sur l’émergence planétaire de l’islam sectaire. Conesa scrute le formidable réseau d’influence de la Ligue Islamique Mondiale, une ONG qui dispose d’un budget annuel estimé à 5 milliards de dollars soit cinq à sept fois plus que l’ex URSS et vingt fois moins que le Vatican. Cette diplomatie prosélyte de l’ombre est sans contradicteur car elle est systématiquement défendue par la diplomatie officielle. Aucun régime démocratique ne peut lutter contre contre le mal qui se déguise en bien ; contre Dr Saoud et Mr Djihad ; contre le chantage et l’argent. Et l’auteur de rappeler que le gouvernement d’union de la gauche de Mitterrand s’était résolu, au début des années 80 à contracter un emprunt de 3 milliards de dollars auprès de Riyad ; que sous la Présidence de Sarkozy, Michèle Alliot-Marie Ministre de la Défense, en visite chez son homologue le Prince Sultan , avait été proprement mise à la porte après sept minutes d’entretien pour avoir osé faire allusion aux « carences du système éducatif saoudien ». On pourra regretter que l’auteur, pourtant très informé, ne se soit pas étendu davantage sur les incroyables complaisances de la France « pays où les droits de l’homme sont mieux protégés que la population », mais d’autres livres suivront. Dans sa cartographie très complète des lieux d’influences jihadistes, il démontre comment, aux quatre coins de la planète, l’action religieuse de la monarchie saoudienne pervertit l’Islam. Ainsi, en Grande Bretagne où vivent 2,8 millions de musulmans, 100 000 enfants suivent les cours de 700 écoles coraniques. Il existe aussi des hôpitaux halal, des quartiers signalés « Sharias zone » sans alcool, sans tabac, sans femmes en cheveux, sans homosexuels... Pire, des tribunaux islamiques sont autorisés à juger selon la loi coranique les conflits en matière commerciale et civile ; y compris les querelles de couple et de voisinage. Unique protection contre l’arbitraire, les décisions de ces juridictions sont susceptibles d’appel devant la Hight Court. « Le ministère de la justice laisse faire. Peu médiatisé, la naissance de ce système d’arbitrage parallèle n’a pas suscité de réaction en Grande Bretagne » remarque sobrement Pierre Conesa. Effarant ! Pendant ce temps, mais pour combien de temps encore ?... d’autres musulmans résistent à l’hégémonie wahhabite: en Tunisie, en Algérie, au Maroc mais pas seulement. Qui leur vient en aide ? Qui dénonce le génocide saoudien au Yémen, qui relaie les cris de souffrance de la jeunesse encagée d’Arabie ? Personne ou presque. (En France, pas moins de cinq agences de conseil en communication se chargent de « corriger » l’image des Saoud dans l’opinion) L’enquête de Pierre Conesa est une contribution majeure à sélectionner en priorité sur l’étalage que consacrent les libraires à « l’édition jihadologique ». Il faut espérer que sa large diffusion réveillera les consciences. À l’avenir, nul diplomate, nul élève de l’ENA ou de Sciences Po, nul commis de l’Etat nul candidat au suffrage universel ne pourront dire qu’il ne savait pas.



 
 B) La propagande djihadiste : petit lexique des détournements de sens de Daech


«Hijrah», «Jahiliya», «Murtadd», «Tâghût», «Tawhid», cinq termes du Coran que la propagande djihadiste ne cesse de citer. Si tous ces mots sont bien connus de l'islam, il n'en reste pas moins que l'État islamique en a corrompu le sens. Deux spécialistes de l'islam nous éclairent sur cette récupération politique. Les djihadistes émettent leur propagande dans toutes les langues. Dans la longue et souvent haineuse logorrhée à laquelle nous a habitué l'Etat islamique dans des publications telles que Dabiq, Dar al Islam et, depuis peu, la revue Rumiyah, certains mots attirent particulièrement l'oeil du lecteur. Il y a d'ailleurs une bonnee raison à ça, de prime abord: ils sont écrits en arabe (mais suivant l'alphabet latin) dans des magazines pourtant rédigés en anglais ou en français, signe de leur importance théologique pour des auteurs imprégnés de références coraniques. Leur récurrence est frappante. On les trouve martelés dans chaque numéro, chaque brochure, signe cette fois de leur importance politique pour les djihadistes. Nous en avons retenu cinq, parmi les plus cités: Hijrah, Jahiliyah, Tâghût, Murtadd, Tawhid. Car comprendre leur emploi, c'est commencer à entrevoir la mécanique des détournements de sens à l'œuvre chez Daech. 

1.«Hijrah»ou le voyage détourné
L'«Hijrah», ou «Hégire» en français, désigne à l'origine le départ de Mahomet et de ses premiers compagnons de leur ville de La Mecque, où leur foi est persécutée, vers la ville de Médine, plus au nord de l'Arabie, davantage favorable à la cause de l'islam. La scène se passe en 622 et permet à la jeune religion d'échapper à la destruction. Elle présente, de fait, une grande signification pour les musulmans et fixe l'année zéro du calendrier musulman. Cependant, si les salafistes guerriers utilisent aujourd'hui jusqu'à satiété le terme d'«Hijrah», ça n'a que peu à voir avec Mahomet. Selon Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste de la langue arabe, auteur récemment du Retour du Califat mais aussi d'une Introduction à la traductologie, les djihadistes ne sont pas les premiers à s'être emparés de ce symbole: «Les musulmans considèrent que l'Hijrah originelle a permis à leur religion de ne pas disparaître et c'est par conséquent un événement si considérable symboliquement qu'on a constaté qu'ils le reprenaient lorsqu'ils se sentaient menacés. On distingue deux grands épisodes. Tout d'abord, le terme est réactualisé lors des campagnes mongoles. C'est le cas une première fois après que les Mongols ont mis à sac Bagdad en 1258. Quelques années après, Ibn Taymiyya emploie le mot. Plus tard, celui-ci est à nouveau utilisé au moment de la seconde vague des guerres mongoles mené par Tamerlan au XIVe siècle. Le deuxième épisode, c'est la guerre en Irak en 2003, date à partir de laquelle beaucoup de théoriciens musulmans appellent à l'“Hijrah”.» Mais l'Hégire promu par l'État islamique est d'une autre nature. L'organisation terroriste accole au terme depuis 2014 année au cours de laquelle Abou Bakr al-Baghdadi est proclamé calife par l'EIun sens que le concept n'avait jamais porté en plus de 1.400 ans d'histoire de l'islam. Comme l'explique Mathieu Guidère: 

«À compter de 2014, l'EI émet des fatwas dans lesquelles il enjoint les musulmans, notamment occidentaux, à quitter les territoires non-musulmans pour se rendre dans le “Dar al islam” (“pays” ou “foyer de l'islam”, comme l'EI appelle son empire). C'est une innovation majeure, car il n'y avait jamais eu d'appel semblable, même après la Reconquista” de l'Espagne par les chrétiens sur les musulmans à la fin du Moyen Âge. À présent, on n'a pas affaire à une réactualisation mais à une réinterprétation du terme.» 

Olivier Carré, sociologue et auteur de Mystique et politique Le Coran des islamistes, apporte un éclairage supplémentaire sur cette évolution qui prend à contre-pied l'histoire islamique: 

 «Normalement, faire l'“Hijrah” à partir d'un pays où l'islam est persécuté ou difficile à pratiquer est une obligation. Mais dans la tradition musulmane, on a énuméré les situations ou la résidence en terres non musulmanes étaient admises, dans la perspective d'une extension pacifique de l'islam.»  

Mathieu Guidère ajoute que l'EI a encore mêlé à l'acception d'«Hijrah» une autre modification, de nature politique: 

 «L'EI cale sa notion d'“Hijrah” sur l'“Alyajuive [c'est le nom que donnent les juifs à leur départ et à leur installation des juifs en Israël] et il ne s'en cache pas. En septembre 2014, des membres de l'EI avaient même copié des brochures vantant l'“Alya” pour promouvoir l'“Hijrah”. À ce moment, les cadres du mouvement disent qu'il faut bâtir l'État islamique par un processus de colonisation inspiré de celui d'Israël.» 

2.«Jahiliya»D'une ignorance l'autre
Lorsque Mahomet accomplit l'Hégire en 622, c'est pour échapper à la vindicte des marchands polythéistes qui dirigent alors la Mecque. Le polythéisme arabe préislamique est mal connu et presque exclusivement à travers les écrits d'auteurs musulmans postérieurs. La tradition musulmane a d'ailleurs trouvé une dénomination particulièrement négative pour cette période: la «Jahiliya», ou «Temps de l'ignorance». Mais les djihadistes contemporains entretiennent une vision très spéciale du paganisme. Il suffit, pour passer pour un tenant de la «Jahiliya», de vivre dans un pays non-musulman et de se conformer aux mœurs locales. Au-delà, la propagande islamiste a fait de cette «ignorance» le synonyme d'une période d'errements qui semble un passage attendu dans la vie de ses djihadistes à l'étranger. Cette version de la«Jahiliya»sert ainsi la communication de Daech dans le cas de terroristes dont la radicalisation a été rapide après une existence préalablement éloignée des principes islamiques (comme Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l'auteur du carnage de Nice). 

Mathieu Guidère détaille le principe: 

«La “Jahiliya” est alors associée à l'idée de “Tawda”, de repentir. C'est en quelque sorte l'équivalent islamiste du “Born again” chrétien. Cette idée de repentir après une vie mauvaise a commencé à être mise en avant par les islamistes après la guerre avec les soviétiques en Afghanistan. C'était aussi un concept mis en avant par le Groupe Islamique Armé (GIA) algérien et al-Qaïda». Olivier Carré souligne encore une autre dimension du glissement qu'a subi la notion de«Jahiliya»à l'époque moderne: «Sayid Qutbet ses successeurs se sont mis à évoquer une “Jahiliya moderne”, une idée qui n'appartient pas à la grande tradition. Pour eux, il y avait urgence à convertir cette ignorance nouvelle, y compris en terres musulmanes.» 

3.«Murtadd»Un jeu de mots lourd de menaces
Les propagandistes de l'EI prennent un malin plaisir à s'attaquer aux premiers ennemis de Daech au sein de l'univers de l'islam politique: les Frères musulmans. Pour les djihadistes, «les Frères» sont avant tout coupables d'un terrible pêché: faire de la politique. Pire, ils participent même à de nombreux scrutins électoraux à travers le monde.Mohamed Morsi avait ainsi été démocratiquement élu président par les Égyptiens avant d'être renversé par un coup d'État militaire en 2014 par les hommes du maréchal al-Sissi. Pour railler ces adversaires dont l'histoire, déjà longue, et le poids politique ne peuvent qu'agacer l'organisation terroriste, les propagandistes anglophones de l'EI ne parlent pas de «Muslim Brotherhood» (nom officiel des «Frères» en anglais) mais de «Murtadd Brotherhood», soit «Les Frères apostats». Pour l'islam, est apostat quiconque a rompu avec la religion musulmane. C'est dire si l'accusation pèse lourd quand elle est lancée à la face des islamistes tendance «Frères musulmans». Pour Mathieu Guidère, il y a dans cette injure à l'adresse de la confrérie d'origine égyptienne une forme de clin d'œil historique: «Au départ, l'islam médiéval fait la différence entre l'apostat, qui sort de la religion sans forcément renier Dieu, et le renégat, qui par définition le rejette. Mais cette distinction cesse d'exister pour les islamistes. Et le théologien égyptien Sayid Qutb a été un des premiers à opérer ce glissement de sens. Ce glissement a lancé le takfirisme, au centre de l'idéologie de l'État islamique aujourd'hui.» Sayid Qutb, dont l'influence sur les idéologues de Daech est essentielle, a d'ailleurs nourri une relation complexe avec les Frères musulmans. Après en avoir été l'un des cadres pendant de nombreuses années, sa radicalité politique finit par l'en éloigner. Sa pensée du takfirisme qui consiste à dire que la majorité des musulmans sont des apostats qui s'ignorent et sa volonté d'en revenir à la société des compagnons de Mahomet cadraient mal avec le pragmatisme politique de ses camarades de lutte. 

4.«Tâghût»«Tyran» pour les musulmans, attaque contre les régimes laïcs pour les islamistes
L'Arabie qui voit naître l'islam est tribale. Et avant même l'apparition du nouveau culte, il n'est pas rare que les chefs de tribus se servent de l'ombre commode de la divinité pour imposer leur autorité. Les moins dupes peuvent à cette occasion taxer ces charlatans d'être des «tâghût», qu'on pourrait traduire par «tyran». À présent, il suffit de parcourir une brochure de propagande djihadiste pour deviner que l'insulte a changé de destinataire. Dans n'importe quel numéro du magazine Dabiq de l'État islamique, Barack Obama, François Hollande, l'Égyptien Abdel Fattah al-Sissi ou encore Bachar el-Assad sont indistinctemment baptisés de cette manière. C'est que pour le djihadiste de notre époque, le «Tâghût» est le chef d'un régime qui applique une autre loi que la charia, la loi coranique. Le fondamentalisme chiite a ici ouvert la voie à l'extrémisme sunnite pour Olivier Carré: «Le concept de «Tâghût» a été mis en valeur par l'ayatollah Khomeini dans le contexte de la révolution islamique et du conflit avec les Etats-Unis. Mais ça n'a rien de traditionnel.» 

5.«Tawhid»Une unicité aux significations multiples
L'islam est le dernier des trois grands monothéismes. Il est aussi la foi qui insiste le plus sur le principe du Dieu unique. Au centre de la croyance musulmane se situe ainsi le concept de«Tawhid»(«unicité»). Très souvent rappelée dans le Coran, son importance est très clairement illustrée dans les quatres versets qui composent la sourate 112, dite justement «De l'unité de Dieu»: «Dis: Dieu est un. C'est le Dieu éternel. Il n'a point enfanté, et n'a point été enfanté. Il n'a point d'égal.» On voit dans cette sourate que la conception islamique de l'unicité permet à la foi de Mahomet de se distinguer de ces deux grands prédécesseurs, pourtant tous deux monothéismes revendiqués: le judaïsme et surtout le christianisme dont la Trinité passe pour une sophistication coupable. Paradoxalement, cette distinction est aussi à l'origine d'une logique du dialogue et de l'invention de l'idée musulmane de «religions du Livre»: «À l'origine, le Tawhid, fondement de l'islam, était inclusif. Les musulmans disaient aux juifs, aux chrétiens: “Vous êtes les bienvenus au sein de l'islam mais si vous souhaitez gardez votre religion, libre à vous.” Même quand les non-musulmans devaient s'acquitter d'un impôt, il s'agissait d'un accord de protection. Aujourd'hui avec l'EI, le “Tawhid” est utilisé pour exclure. Si ses membres estiment que vous ne respectez pas l'unicité divine, vous êtes bons pour la mort», analyse Mathieu Guidère. Le goût des djihadistes, à commencer par ceux de l'État islamique, pour les références au Coran, à la tradition islamique n'est plus à démontrer. Et l'idéologie qu'ils défendent est largement tributaire de divers courants islamistes modernes. Mais ces citations empruntées au corpus islamique, loin d'être un retour aux origines, sont ainsi autant de trahisons à l'histoire musulmane.

 
C) Sciences et religion n’ont rien à se dire

Le 5 mars 1616, un décret de la Congrégation de l’Index annonçait officiellement la condamnation des idées de Copernic sur le mouvement de la Terre. Cette censure ecclésiastique est devenue l’emblème d’une négation de l’autonomie de la recherche scientifique par les dogmes religieux. Aujourd’hui, la question des relations entre sciences et religions et des appels au « dialogue » entre ces deux domaines pourtant si éloignés par leurs objets et leurs méthodes refait surface.

Le thème du conflit a dominé les débats qui ont opposé depuis le XVIIe siècle les savants aux autorités religieuses sur des questions d’astronomie, de géologie, d’histoire naturelle ou sur l’origine de l’homme et des religions. Cet essai prend le contre-pied du courant actuellement dominant chez les historiens des sciences qui minimise les conflits les plus célèbres entre sciences et religions et propose une version œcuménique et édulcorée de l’histoire des rapports entre deux institutions, dont chacune tente d’imposer sa vision du monde, l’une fondée sur la nature, l’autre sur le surnaturel.

La vraie leçon de l’Affaire Galilée, c’est qu’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Ou les carottes et les patates. Ou les laboratoires et les sacristies, synagogues, mosquées et autres temples de toutes religions. Et tabarnak ! Soyons honnêtes, ces mots ne sont pas ceux qu’emploie le Québécois Yves Gingras dans son dernier ouvrage, « L’Impossible dialogue – Sciences et religions » paru aux Presses Universitaires de France (PUF, 423 pages, 21 euros). Mais ils résument son propos, certes de manière un peu cavalière. L’historien et sociologue des sciences, au début de sa carrière, ne s’attendait pas à écrire sur ce sujet considéré comme dépassé. Malgré quelques vagues « new age » dont Le Tao de la physique de Fritjof Capra constitue un exemple majeur. Puis, dans les années 1990, ont fleuri les tentatives de « dialogue« , de « convergence » et autres rapprochements entre sciences et religions. Une nécessaire conversation selon les uns, voire des retrouvailles selon les autres. 

Et mêmes des « concordances« , lorsque les exégètes prétendent faire coïncider la Bible avec la géologie et la cosmologie ou le Coran voire le bouddhisme avec la physique quantique. Trouver à toute force des accointances entre le discours rationnel et scientifique sur l’Univers matériel, les sociétés et l’histoire humaines – sans oublier psychologie et religions et celui de ces dernières. 

Des millions de dollars pour le dialogue science/religions
Ainsi, l’expression « dialogue between science and religion » dans le corpus anglais de Google Books Ngram Viewer sur la période 1939/2008 montre un pic en 2001 après une croissance fulgurante à partir de 1995. Le résultat de l’action convergente de « plusieurs courants idéologiques« , montre Gingras. Parfois sous des formes très organisées et fortement financées de fondamentalismes religieux comme l’action de la Fondation Templeton, dont l’homologue islamique pourrait être le Center for islamic studies fondé par le chimiste Muzaffar Iqbal. L’ingérence de la Fondation Templeton dans le fonctionnement même de la science et des Universités à l’aide de bourses généreuses (plus de 50 millions de dollars entre 1996 et 2013) dont bénéficient des scientifiques aux convictions religieuses comme les physiciens Paul Davies ou John Barrow se révèle très efficace (selon un mode déjà expérimenté avec succès par des lobbys industriels comme celui des cigarettiers). Mais que l’on retrouve jusque dans le travail historique universitaire lorsqu’une « microhistoire » des sciences insiste sur les opinions religieuses de tel ou tel scientifique alors que la question posée est celle de la relation entre institutions (Eglises au sens large et activités scientifiques) et que le lien supposé entre la production scientifique et la conviction religieuse des chercheurs n’est pas très heuristique quant au succès de la première. Niant le conflit, appelant à « concilier » Bible, Coran, religions et sciences, ce discours a truffé colloques savants et gazettes grand public (comme l’affirmait un directeur de la rédaction à Libération « un titre Dieu et la science, cela fait vendre ! »...). 

Dans un tel contexte, le livre d’Yves Gingras, d’une grande clarté conceptuelle, aisé à lire (1) de par son organisation rigoureuse et reposant sur une érudition maîtrisée (2), vient à point. Le lecteur y trouvera tout d’abord un retour sur « l’Affaire Galilée » bienvenu tant elle a donné lieu à des présentations trop romancées. La dernière en date est celle de l’Eglise qui, sous le mandat de Jean-Paul II, a tenté de se tirer « cette épine du pied » à son honneur. Ce qui est pour le moins compliqué et débouche sur des contorsions et des contrevérités. Qu’il s’agisse du traitement réservé au savant, cruel jusqu’à sa mort. Ou la prétention du cardinal Poupard – en 1994 ! de faire du Cardinal Bellarmin un meilleur épistémologue que Galilée alors que le scientifique italien se révèle non seulement sans rival sur ce terrain mais meilleur chrétien que le prélat, en l’avertissant qu’il prend le risque de voir l’Eglise, un jour, traiter d’hérétique celui qui niera le mouvement de la Terre autour du Soleil. Plutôt qu’un dialogue sympathique, les relations entre sciences et religions, singulièrement la chrétienne, furent surtout un conflit que certains ont vécu « à mort ». Non seulement par la fin tragique de Giordano Bruno, brûlé vif à Rome en 1600, mais surtout par le lent, graduel mais inexorable processus qui vit la science expulser la religion de domaines toujours plus vaste de la pensée humaine sur l’Univers. Physique, astrophysique, cosmologie, géologie, biologie, puis anthropologie, histoire et sciences sociales... partout Dieu est passé d’une position centrale à la « périphérie » des sciences. Comme lorsque Buffon dans son Histoire naturelle ne mentionne l’action de Dieu que comme celui qui donne « le branle » à l’Univers puis s’efface pour laisser place à la physique et ses lois. Mais le mouvement s’est poursuivi jusqu’à son expulsion. Le triomphe de l’approche rationaliste des phénomènes à éluciders’est accompagnée de«l’exclusion corrélative de Dieu du champ scientifique«, écrit Yves Gingras. Le philosophe Arthur Schopenhauer, cité par l’auteur, le dit à sa manière : 

«le savoir est une matière plus dure que la foi, si bien que, s’ils s’entrechoquent, c’est la foi qui se brise.» 

L’expulsion lente et inexorable de Dieu
Les esprits forts l’ont perçu dès le début de l’aventure. Ainsi souligne l’auteur, c’est dès 1671 que Jacques Rohault écrit : 

 « la théologie et la philosophie (la science, note de SH) ont des principes différents; la théologie est fondée sur l’autorité et la révélation et la philosophie n’est fondée que sur la raison d’où il suit que l’on peut traiter l’une sans l’autre« . Que les théologiens s’occupent du « surnaturel » et de l’extraordinaire » et qu’ils laissent les scientifiques s’occuper, plus modestement, de «l’ordinaire» et du «naturel» où les miracles n’ont pas de place. Cette séparation épistémologique va permettre l’autonomisation de la science... et ceci malgré les convictions religieuses souvent maintenues des scientifiques eux-mêmes. 

Pour autant, souligne avec ironie Gingras, l’espace absolu de Newton a été beaucoup plus utile et utilisé par les physiciens jusqu’à Einstein que son idée qu’il s’agissait là du sensorium Dei. A cette expulsion lente mais inexorable, les institutions religieuses ont résisté. L’Eglise catholique en particulier qui a usé et abusé de tous ses moyens pour « censurer » la science jusqu’au début du 20ème siècle. En 1950 encore, Pie XII, dans Humani generis semble autoriser les scientifiques catholiques à mener des recherches sur l’évolution des espèces mais «à la condition que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l’Eglise, à qui le Christ a confié le mandat d’interpréter les écritures et de protéger la foi». Pour enfoncer le clou en affirmant ensuite que l’hypothèse de la fixité des espèces est « égale » à celle de l’évolution. 

Dialogues et divagations
Avec un tel passif, Yves Gingras s’étonne que des historiens aient par la suite, et surtout depuis vingt ans, avancé l’idée que le conflit entre science et religion serait un «mythe». Quant au «dialogue» actuel, il faut bien avouer que seules les religions et leurs porte-paroles en font la demande... dans une curieuse quête de crédibilité auprès des sciences auréolées de leurs succès. En examinant un à un les composantes de ce dialogue, l’auteur les réduits à... «l’intersection vide de deux univers de discours». Et règle leurs comptes avec ironie au « principe anthropique » (dont le Prix Nobel de chimie Ilya Prigogine estimait «qu’il ne signifie rien») et autres expériences de Carmélites en méditation sous IRM censées montrer que cette méditation «n’est pas réductible à une pure activité neuronale« . Sans oublier les divagations de physiciens fondant l’immortalité de l’âme sur la physique quantique, les dérapages commerciaux habillant de « divin » le boson de Higgs et autres « mélodie secrète" mêlant physique et vision enchantée de la nature. Le paysage français sera lui, dans les années 1990 et 2000 contaminé par l’action de l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), animé par Jean Staune et abondamment financée par la fondation Templeton. Quant au discours officiel de l’Eglise catholique, Benoit XVI en revenait aux « fondamentaux », comme au rugby : soumettre la raison à la foi. Bref, le conflit entre croyances et savoirs est toujours là, comme le montrent les difficultés des archéologues américains confrontés au refus de groupes autochtones de voir des squelettes fossiles soumis à investigation. Le livre d’Yves Gingras vient donc au moment idoine pour remettre les pendules de la raison à l’heure. Passionné par frère Marie-Victorin, l’un des fondateurs de l’élan scientifique québécois dans les années 1920, Yves Gingras ne pouvait manquer de reproduire son sage conseil, d’autant plus perspicace qu’il provient d’un homme de foi, aux uns et aux autres : « laisser la science et la religion s’en aller par des chemins parallèles (3), vers leurs buts propres. » 

(1) L’ouvrage est dans l’ensemble très bien édité mais souffre de quelques rares coquilles, comme un qui à la place d’un que ou un verbe incorrectement conjugué page 89.
(2) Très bel exemple avec l’explication du personnage de Simplicio dans le « dialogue sur les deux grands systèmes du monde », qui est un hommage à Simplicius, philosophe du Vème siècle et non une pique anti-papale.
(3) dans une géométrie euclidienne où les parallèles ne se rejoignent jamais... et non dans celle de Riemann (un internaute me dit que non, il ne faut pas faire référence à Riemann, peut- être un mauvais souvenir, en tous cas, c’est correct pour la géométrie de la RG) utilisé en Relativité générale, sinon, l’image ne fonctionne pas.




D) Shimon Peres, le dernier père fondateur de l’Etat d’Israël, est mort


Ancien Premier ministre, puis président d'Israël et Prix Nobel de la paix en 1994, il décède à 93 ans au terme d'une carrière politique hors norme. Quand on lui demandait le secret de sa longévité, Shimon Peres s'amusait à répondre : gymnastique tous les jours, pas de gros repas et un ou deux verres de bon vin. Parfois, il modifiait sa recette de jouvence en parlant de ce jus de citron qu'il prenait chaque matin à jeun. Lors de son élection à la présidence, à 83 ans, il avait eu cette formule : je suis fâché avec la mort. Finalement, la grande faucheuse a eu raison de l'ultime survivant de la génération des pères fondateurs. Lorsque mardi 13 septembre, le neuvième président d'Israël fut admis à l'hôpital Tel- Hashomer à Ramat Gan, près de Tel-Aviv, tout le pays avait compris que le compte à rebours final avait commencé. L'accident vasculaire cérébral dont il a été victime ne lui laissait guère de chances de sortir debout du plus grand établissement hospitalier du pays. Il a 11 ans quand, en 1934, ses parents quittent définitivement la ville de Wisniew, alors en Pologne et aujourd'hui en Biélorussie, pour s'installer en Palestine mandataire. Plus précisément à Tel- Aviv. Quatre ans plus tard, son père l'envoie étudier au lycée agricole de Ben-Shemen. Celui qui est né Szymon Perski devient Shimon Peres et se partage entre ses études, le kibboutz Gueva où il vit et les activités de Noar HaOved (La Jeunesse travailleuse), le mouvement de jeunesse du parti au pouvoir, le Mapaï. Ce seront ses premiers pas en politique. Mais c'est dix ans plus tard que sa vie bascule. Alors que le jeune homme s'est engagé dans la Haganah, la milice clandestine d'obédience sioniste travailliste créée en 1921 et qui formera en 1948 le noyau de la jeune armée israélienne, David Ben Gourion décide d'envoyer le jeune homme à l'étranger. Sa mission : participer à la grande opération d'achat clandestin d'armes. Et c'est parti pour un destin hors norme. Fini, le jeune vacher qui, en 1945, a épousé Sonia, une fille
de son kibboutz. Place aux feux de la politique. D'abord comme bras droit de David Ben Gourion, le Premier ministre de l'époque, qui croit en lui au point de le nommer, à même pas trente ans, directeur général du ministère de la Défense. Une de ses principales tâches fut de négocier des accords militaires avec la France. Les livraisons d'avions de combat, le fameux Mirage III, les chars qui ont permis les victoires israéliennes de 1956 et 1967 et, surtout, la construction du réacteur nucléaire de Dimona. 

Un penchant pour la manœuvre politicienne
En 1959, nouveau tournant : c'est cette année-là que commence véritablement sa carrière politique, avec son élection à la Knesset, le Parlement, sur la liste du Mapaï. Il sera dès lors constamment réélu et accédera à un éventail impressionnant de fonctions ministérielles : Finances, Défense, Affaires étrangères, Immigration, Transport et, par deux fois, celles de chef du gouvernement. Un parcours de champion qui, dit comme cela, semble marqué à l'aune d'un succès sans faille. Pourtant, en près de 70 ans aux premières loges de l'histoire de son pays, Shimon Peres aura rencontré plus d'épines que de roses. À la tête du Parti travailliste, lors des législatives de 1977, 1981, 1984, 1988, il multipliera les échecs électoraux. Si bien qu'on finira par lui coller l'étiquette de l'éternel « loser » (perdant). Ses propres amis politiques participeront à la curée. Lors d'une réunion des instances travaillistes, à la fin des années 80, à sa question « Suis-je un perdant ? » l'assemblée répond en chœur : « Oui ! » Ce qu'on lui reproche par-dessus tout, c'est son penchant pour la manœuvre politicienne. Yitzhak Rabin, son archi-rival au sein du parti, ira jusqu'à le qualifier de « sale intrigant ». Pas de répit non plus à la gauche du Parti travailliste, où ses adversaires ne cessent de rappeler son parcours de « faucon » et la marque d'infamie que constitue à leurs yeux son soutien actif dans les années 70 à la colonisation naissante en territoires occupés. À droite, la haine contre lui atteint son apogée lors des accords d'Oslo de 1993. La rumeur qui court depuis des années devient vérité chez les tenants du Grand Israël : la mère de Peres serait arabe. Mais qu'importe ces avanies, au regard des triomphes qui vont suivre : la cérémonie de signature des accords d'Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche et l'octroi du prix Nobel de la paix même partagés avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. 


Président, il est un infatigable VRP de la paix
Toujours, pourtant, ce destin en forme de montagnes russes. Quelques années plus tard, après l'assassinat d'Yitzhak Rabin, et alors qu'il est devenu Premier ministre par intérim, il commet deux erreurs qui vont encore une fois le mettre à terre. Au lieu de décider immédiatement d'élections générales, ce qui lui aurait permis de gagner haut la main, il les reporte de six mois. En pleine campagne électorale, alors que sa cote de popularité est en chute libre face au tsunami d'attentats-suicides commis par le Hamas, il croit pouvoir se refaire une santé politique en misant sur le sécuritaire qui prendra la forme d'une opération militaire au Liban du Sud. Une idée qui s'avère désastreuse. Un tir de l'artillerie israélienne touche une base de la Finul dans laquelle s'étaient réfugiés des Libanais et des Palestiniens. Il y a plus d'une centaine de tués. Et les militaires rentrent en Israël sous l'opprobre du monde et la colère de la population arabe israélienne. Résultat : la victoire électorale va... à Benjamin Netanyahu, l'opposant farouche à toute concession aux Palestiniens. Celui-là même qui, du haut d'un balcon du centre de la Jérusalem juive et aux côtés d'autres dirigeants de l'opposition de droite, n'avait rien fait pour calmer la foule des manifestants nationalistes venus, au printemps de l'année précédente, clamer leur haine de Rabin et Peres, les deux traîtres. K.-O. debout ! Toutefois, ceux qui le croient fini en seront pour leurs frais. Cet homme, ce n'est ni du bois ni de la pierre, mais du Téflon. En 2001, il fait entrer les travaillistes au gouvernement d'Ariel Sharon, qui en fait son chef de la diplomatie. En 2005, c'est encore une fois la bérézina. Il perd le leadership des travaillistes. Qu'importe, il claque la porte et part rejoindre Kadima, le parti que vient de créer le Premier ministre Ariel Sharon, qu'un AVC massif, quelques semaines plus tard, en janvier 2006 plonge dans un coma irréversible. Ehoud Olmert lui succède et Shimon Peres devient numéro deux du gouvernement. Douze mois plus tard, il est enfin élu président de l'État. Sonnez les trompettes de la gloire. Elles vont retentir tout au long des sept ans de son mandat. Des années durant lesquelles cet octogénaire couronné sera un infatigable VRP d'abord de la paix, puis de la nouvelle économie, entendue sous l'angle de l'innovation technologique. Dans les grands forums économiques de la planète, à commencer par Davos, il se bat pour la voiture électrique, les nanotechnologies. Il se met aussi aux réseaux sociaux. Son entrée fracassante sur Facebook, avec un clip techno déjanté, fait le tour du monde. Viendront ensuite Tweeter, Instagram. Bref, à près de 90 ans, il est à la fête. Le monde entier le reçoit. Et dans sa résidence de Jérusalem, les célébrités de tous poils se pressent. Politiques, intellectuels, artistes, belles actrices, tout le monde adore ce vieux jeune homme élégant et dont la voix de basse raconte les légendes du siècle. Cerise sur le gâteau : les Israéliens qui l'ont tant détesté sont en adoration. Ils lui pardonnent tout, même quand il prend à contre-pied Benjamin Netanyahu en s'opposant à des frappes israéliennes sur le nucléaire iranien ou quand il clame haut et fort que Mahmoud Abbas, le président palestinien, est un partenaire à la paix. À la fin de l'année 2015, il est victime de plusieurs malaises cardiaques qui l'obligent à réduire drastiquement ses activités et le forcent à de fréquents allers et retours à l'hôpital. Mi-janvier 2016, Peres est hospitalisé pour « un léger infarctus ». On lui pose un stent. Mais le vieil homme sait qu'il vit ses derniers mois...
 

E) Terrorisme : la France muscle son budget de la défense en 2017


Le budget de la défense (hors pensions) augmente factuellement de 600 millions d'euros par rapport à celui de 2016 pour atteindre 32,7 milliards d'euros. Face à la menace terroriste et devant un environnement géopolitique instable, le gouvernement augmente une nouvelle fois le budget de la défense. Il est en hausse de 600 millions d'euros par rapport au budget 2016. En 2017, les dépenses de défense devraient représenter 1,77% du PIB de la France (contre 1,78% en 2016), pensions comprises si bien sûr le budget de la défense est consommé dans sa totalité, soit 40,84 milliards d'euros, dont 8,15 milliards au titre des pensions. Loin, encore loin des 2% claironnés sur tous les tons par l'ensemble de la classe politique, certains visant même 2% hors pensions. En attendant d'atteindre ce seuil (chimérique ?), qui fait tant rêver les militaires, le budget de la défense (hors pensions) augmente factuellement de 600 millions d'euros par rapport à celui de 2016. Il atteindra 32,7 milliards d'euros, dont 250 millions seront issus de recettes exceptionnelles (0,8% du budget), notamment générées par les cessions immobilières. Un peu moins que ce qu'avait demandé le ministère lors de la préparation du budget (33 milliards d'euros). "Nous sommes en deçà du besoin", explique-t-on à La Tribune. D'autant que le ministère devra avoir le couteau entre les dents pour ramener dans ses caisses les recettes exceptionnelles. 

Une trajectoire financière en hausse
Vu sur un autre angle, le ministère de la Défense se réjouit également d'une augmentation de 775 millions d'euros par rapport à l'annuité prévue par la loi de programmation militaire (LPM) qui avait été réactualisée en juillet 2015 : 417 millions d'euros de crédits supplémentaires et 358 millions de gains d'économies (200 millions par des gains d'indice environ, 50 millions d'économie de produits pétroliers...). Enfin, par rapport à la LPM initiale de 2013, le budget 2017 gagne plus de 1,1 milliard d'euros. Bref le message de l'Hôtel de Brienne est clair : la trajectoire financière de la LPM est augmentée dans un environnement géopolitique instable et de lutte contre la menace terroriste à très haut niveau. 

Des effectifs en croissance
La hausse des crédits sera absorbée en grande partie par la hausse des effectifs des militaires. Alors qu'il était prévu de supprimer 2.600 emplois en 2017, le ministère prévoit d'embaucher 400 personnes l'année prochaine. Soit un écart de 3.000 hommes par rapport aux prévisions. Soit au total 216 millions d'euros, dont 73 millions pour l'amélioration des infrastructures). En outre, le ministère prévoit 27 millions d'euros supplémentaires pour accompagner l'accélération de la montée en cadence de la réserve nationale (40.000 militaires à fin 2018). Enfin, les mesures d'amélioration de la condition du personnel militaire brûleront en 2017 environ 280 millions d'euros, dont 80 pour les mesures propres au ministère de la Défense et 200 millions pour les mesures intergouvernementales. Enfin, les moyens capacitaires des soldats bénéficieront d'un bonus de 270 millions d'euros, dont 80 millions serviront à rehausser les stocks de munitions, principalement de missiles et les bombes.




F) Terrorisme : faire évoluer notre Etat de droit 



Avec la possible prise de Mossoul dans les prochains mois, de nombreux terroristes de Daech pourraient revenir en France. Pour le professeur Louis Vogel, l'État de droit ne peut pas être une donnée figée et doit «coller» à son temps pour protéger la société. 

L'État de droit est, depuis quelques temps, au centre des débats politiques français concernant la lutte anti-terroriste. La question est finalement assez simple: dans quelle mesure faut-il faire prévaloir les règles de droit actuelles, dont on considère qu'elles doivent prioritairement garantir les libertés publiques, ou les faire évoluer pour lutter plus efficacement contre le terrorisme, le cas échéant en aménageant la protection des libertés publiques? 

L'État de droit est une notion empruntée à l'école juridique allemande qui désigne un système dans lequel la puissance publique doit obéir au droit. 
L'État de droit est une notion empruntée à l'école juridique allemande qui désigne un système dans lequel la puissance publique doit obéir au droit. Cette notion, qui s'est progressivement imposée comme étant le contraire de l'arbitraire et de l'absolutisme, est étroitement liée à la hiérarchie des normes. Ainsi, le juriste autrichien, Hans Kelsen, a défini l'État de droit comme «un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée». Progressivement, l'État de droit s'est imposé dans les systèmes démocratiques occidentaux, allant même jusqu'à constituer l'essence démocratique avec la séparation des pouvoirs et l'économie de marché. Les attentats massifs, commis en France depuis janvier 2015, ont abouti à l'adoption de plusieurs lois anti-terroristes qui ont visé à renforcer l'action des services de renseignements et à renforcer les outils juridiques d'investigation et de procédure nécessaires aux magistrats enquêteurs. Pour autant, force est de constater que le rythme des attentats, ou des tentatives, ne faiblit pas. Après Nice le 14 juillet dernier, il y a eu Saint-Etienne-de-Rouvray, mais également les tentatives récentes de jeunes femmes de commettre des attentats parisiens. Il est probable que nous entrions dans une période encore plus dangereuse que la parenthèse ouverte par les attentats à Charlie Hebdo en janvier 2015. Incontestablement, nous pouvons penser que les tentatives d'attentats vont se multiplier pour deux raisons. D'une part, Daech est en position défensive au Moyen- Orient, sous les bombardements de la coalition et soumis à un possible rapprochement américano-russe qui mettrait progressivement fin à la guerre syrienne. Replié dans ses retranchements, Daech développe une stratégie d'attentats en Europe pour démontrer sa force. D'autre part, la prise de Mossoul pourrait intervenir fin 2016 ou début 2017. Si cette grande ville du Nord irakien devait passer sous le contrôle de Bagdad, cela marquerait la fin des territoires conquis par Daech et le retour probable de plusieurs milliers de combattants de nationalité européenne sur le Vieux continent. Il est donc probable que nous entrions dans une période encore plus dangereuse que la parenthèse ouverte par les attentats à Charlie Hebdo en janvier 2015. Dans ce cadre, alors que plusieurs candidats à la primaire de la droite ont avancé des solutions, le débat sur l'État de droit est central. Elle trouve toute son actualité dans la question de savoir s'il faut, ou pas, incarcérer préventivement des personnes signalées par les services de renseignement comme dangereuses puisque la quasi-totalité des terroristes (à l'exception de certains terroristes de nationalité étrangère) étaient fichés par nos services de renseignement. 

Par nature, l'État de droit est évolutif et s'adapte aux circonstances.
Se résigner à la faiblesse et à l'acceptation du terrorisme sous prétexte que la mise en œuvre des mesures nécessaires ne serait pas conforme aux règles actuelles de l'État de droit n'est pas satisfaisant. L'État de droit ne peut pas être une donnée figée. Par nature, l'État de droit est évolutif et s'adapte aux circonstances, dans le cadre constitutionnel et conventionnel fixé par les textes en vigueur. En Israël, un pays démocratique et un État de droit, il est possible d'effectuer une rétention administrative préalable sur le fondement d'une enquête policière. Au-delà d'une certaine durée, le juge peut se prononcer. Sans préjuger d'une éventuelle révision constitutionnelle, une mesure privative de liberté, prise par les forces de sécurité intérieure sous le contrôle de magistrats, me semble être une mesure adéquate aux circonstances actuelles. De la même manière, la création d'un Parquet national anti-terroriste, voire d'une Cour de sûreté anti-terroriste, qui serait composée de magistrats professionnels, ne me semble pas porter une atteinte excessive à l'État de droit. Bien au contraire, c'est justement en s'adaptant que l'État de droit «colle» à son temps et offre une protection aux citoyens, à la fois contre l'arbitraire, mais également contre le terrorisme.

Professeur agrégé de Droit privé, Louis Vogel est ancien président de l'Université Paris Panthéon-Assas et ancien président de la Conférence des présidents d'Université. Depuis 2016, il est maire de Melun. 




G) Les racines de la violence humaine plongent dans l’arbre de l’évolution

Deux siècles et demi que ces deux-là s’affrontent. Que, par disciples interposés, leurs théories sur l’origine de la violence humaine déchirent philosophes et scientifiques. Thomas Hobbes contre Jean-Jacques Rousseau, le « loup pour l’homme » contre le « bon sauvage », l’humain intrinsèquement agressif envers son semblable contre l’individu pétri d’innocence, poussé au mal par une société corruptrice. Dans une étude publiée mercredi 28 septembre par la revue Nature,une équipe espagnole tranche le débat : la violence létale humaine plonge ses racines dans la théorie de l’évolution. En d’autres termes, si l’homme « descend du singe », il en va de même de ses tendances meurtrières. Pour aboutir à ce constat sans appel, José Maria Gomez, écologue à la station expérimentale des zones arides d’Almeria, et ses collègues de trois autres universités espagnoles se sont livrés à un incroyable travail d’accumulation de données. Pendant deux ans, ils ont dépouillé cinquante ans de littérature scientifique : 3 500 articles analysant la violence entre membres d’une même espèce chez les mammifères et 1 000 articles portant sur les causes de la mortalité parmi les humains. Pour ces derniers, ils ont étendu leurs sources aux analyses bio-archéologiques ou paléontologiques, aux relevés ethnographiques, aux bilans d’autopsie ou encore aux registres portant les causes de décès (à partir du XVIIe siècle). Et ils ont fait tourner les ordinateurs. Sur les 1 024 espèces de mammifères étudiées, 40 % étripent joyeusement les leurs.« Cela a été notre plus grande surprise, admet José Maria Gomez. La violence létale n’est pas concentrée dans des groupes considérés comme a priori violents, tels les carnivores. Elle sévit aussi de façon importante chez les rhinocéros, les marmottes, les chevaux... » 

« L’ÉTUDE EST FORMIDABLE »
Les scientifiques espagnols livrent un chiffre moyen : l’agression intraspécifique constitue 0,3 % des causes de mortalité chez l’ensemble des mammifères. Elle n’est « pas fréquente, mais répandue », concluent-ils. Mais c’est famille par famille que l’examen trouve toute sa richesse.«Jamais je n’avais vu un travail aussi détaillé sur la violence parmi les mammifères », s’enthousiasme Michel Raymond, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’équipe de biologie évolutive humaine de l’université de Montpellier. L’étude démontre que la position dans l’arbre phylogénétique des espèces explique fortement la tendance à tuer ses congénères. Fauves, ursidés, rongeurs : quelques familles se distinguent particulièrement. Avec une mention spéciale pour les primates nos cousins et nos ancêtres, faut-il le rappeler ? , chez qui le poids de la violence létale atteint 2 %. La raison ? « L’étude est formidable mais elle n’explique pas les causes de cette concentration, souligne Mike Wilson, anthropologue à l’université du Minnesota (Etats-Unis). Pour moi, c’est le large recours à l’infanticide chez les primates. » L’arbre de l’évolution des espèces n’explique pourtant pas tout. Là où les chimpanzés se tuent à plaisir, les bonobos, leurs plus proches parents, présentent des mœurs beaucoup plus pacifiques. Peut-être faut-il y voir la place prépondérante des femelles chez ces derniers. Les chercheurs ont, plus globalement, tenté d’isoler d’autres causes. Résultat : plus une espèce est sociale et territorialisée, plus la violence létale s’y exprime. Les disciples de Rousseau y trouveront une petite consolation. Car, pour le reste, l’examen des 600 populations humaines à travers le temps et l’espace détruit allègrement le mythe de notre innocence originelle. Les relevés archéologiques confirment en effet que la pitié pour son frère n’étouffait ni sapiens ni Neandertal : « Pour ces temps anciens, les résultats enregistrés sont conformes avec le niveau de violence attendu compte tenu de la position de l’homme dans l’arbre phylogénétique », commente José Maria Gomez. « L’homme n’a pas attendu l’accumulation des richesses au néolithique pourêtreviolent,souligne l’archéologue Jean Guilaine, professeur honoraire au Collège de France et auteur du Sentier de la guerre (Seuil, 2001). On a montré que les chasseurs- cueilleurs s’affrontaient eux aussi. » 

« DONNÉES ROBUSTES »
Il est vrai que la situation se gâte encore par la suite. L’âge du fer en Europe et en Asie (à partir de 1100) et la période dite « formative » dans le Nouveau Monde (environ 1000) connaissent une poussée importante de violence létale, nettement au-dessus des prévisions évolutives qui devraient lasituerau même niveau que celle des grands singes. Et, à en croire les données présentées par l’article, cela dure jusqu’à la fin du Moyen Age. De quoi nourrir la thèse du psychologue américain Steven Pinker : en 2011, dans un livre qui fit événement aux Etats-Unis, il avait brillamment mis en évidence le déclin de la violence depuis la période moderne. Certains ne manqueront pas de mettre en cause la fiabilité des données anciennes. Peut-on tirer une règle statistique d’une série de tombes du néolithique ou d’un cimetière médiéval ? Certes pas. Mais de centaines de cimetières, répartis dans de multiples points du continent, accompagnés parfois de témoignages écrits ou de registres : l’affaire paraît nettement plus sérieuse. « Cette partie est évidemment la plus fragile, elle sera controversée, convient Mike Wilson. Mais ils ont malgré tout fait preuve d’une grande prudence, en sélectionnant des données robustes. » L’étude de Nature va plus loin encore. Elle classe les données humaines en fonction du type de société dont elles portent le témoignage. Il apparaît cette fois que les organisations tribales ou claniques affichent un degré de violence nettement plus élevé que les sociétés étatiques. Cette fois, ce n’est plus le combat entre deux philosophes morts, mais la guerre entre deux familles d’anthropologues rivales que l’article devrait réveiller. Par exemple, les travaux de l’Américain Napoleon Chagnon sur l’extrême violence des Yanomami d’Amazonie restent aujourd’hui encore très controversés. La publication de Nature ne passera pas inaperçue dans ce milieu. Pour la primatologue Elise Huchard, ces résultats viennent rappeler que, « quelle que soit l’approche utilisée pour comprendre et expliquer l’intensité et les motifs de notre violence, il ne faut pas oublier que l’homme est un mammifère, car ce simple fait biologique contribue à expliquer notre comportement social ». Un mammifère ni plus ni moins violent que les autres. Simplement particulièrement flexible dans son agressivité, car particulièrement divers dans son organisation sociale. Et plus paisible que jamais, ce que souligne l’anthropologue Mike Wilson. « A l’heure où Donald Trump martèle que la société est violente, il est de salubrité publique de rappeler qu’on vit mieux dans une ville américaine que dans l’ancien Far West. »
Nathalie Herzberg




H) Alep : pourquoi la crise humanitaire ne bouleverse pas la donne géopolitique


Alors que la crise humanitaire s'aggrave, le régime syrien soutenu par les Russes et les Iraniens reprend du terrain. Pour Fabrice Balanche, les rebelles sont plus que jamais liés à Al-Qaïda et Moscou ne saurait être le seul responsable du chaos. 

À propos d'Alep, le politologue libanais Ziad Majed a déclaré au journal Le Monde: «Si on parle d'un point de vue de droit international, et de la convention de Genève, ce qui se passe commence même à dépasser le cadre des crimes de guerre, ce sont presque des crimes contre l'humanité». Quelle est aujourd'hui la situation humanitaire dans l'ancienne capitale économique de la Syrie?
Ziad Majed fait partie des chantres de l'opposition syrienne qui affirmaient que Bachar el Assad allait tomber en quelques semaines au début de la révolte syrienne. Il prétendait qu'il n'existait pas de problème communautaire en Syrie et que les djihadistes ne pourraient jamais s'affirmer en Syrie. Lui et tous ceux qui comparent la situation en Syrie avec la guerre d'Espagne et les jihadistes aux brigades internationales sont assoiffés de notoriété facile. Ils bénéficient de l'engouement d'une partie des médias où l'émotion domine plus que la réflexion. Enfin, je dirais que leur émotion, à géométrie variable, sert aussi à masquer leurs piètres analyses sur le conflit syrien. Il serait temps qu'ils fassent leur mea culpa, car le désastre humanitaire en Syrie est aussi la conséquence de cette irealpolitik. Tous les observateurs réalistes avaient anticipé ce qui allait se passer si les rebelles ne quittaient pas Alep-Est, comme cela leur avait été proposé par la Russie. Cela dit, il est évident que ce qui se déroule à Alep-Est est horrible pour les populations civiles qui sont sous les bombes. Ce que décrit l'ONU sur la situation humanitaire est exact: hôpitaux détruits, population terrée dans des abris, femmes et enfants prisonniers des décombres, etc. Mais tous les observateurs un peu réalistes avaient anticipé ce qui allait se passer si les rebelles ne quittaient pas Alep-Est, comme cela leur avait été proposé par la Russie. Je citerais tout simplement John Kerry au micro de la NPR le 14 septembre dernier: «Quelle est l'alternative (en Syrie)? L'alternative est-elle d'ajouter encore des milliers de morts aux 450.000 personnes qui ont déjà été tuées. Qu'Alep soit complètement envahie? Que les Russes et Assad bombardent partout indistinctement dans les jours à venir pendant que nous regardons cela impuissant? L'alternative c'est essayer d'obtenir tout de même quelque chose puisque l'Amérique ne veut pas intervenir avec ses troupes. Or, l'Amérique a pris la décision de ne pas intervenir militairement en Syrie. Le Président a pris cette décision». 

L'Armée syrienne soutenue par l'aviation russe a repris un quartier de la zone d'Alep contrôlée par les rebelles. De quels rebelles s'agit-il?
Les rebelles «modérés» ont refusé de se désolidariser du Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaïda. Son emprise n'a fait qu'augmenter depuis le printemps 2016. Les rebelles «modérés» ont refusé de se désolidariser du Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaïda. Au contraire, deux des principaux groupes rebelles d'Alep dit «modérés», la brigade al-Zinki et Suqour es-Sham, se sont même officiellement affiliés à la coalition (Jaysh al Naser) dirigée par le Front al-Nosra durant la dernière trêve. Cela indique que le Front al-Nosra domine davantage les différentes factions rebelles, y compris celles considérées comme «modérées». Le Front al Nosra n'est pas membre de Fatah Halep, la coalition des rebelles d'Alep, mais c'est lui qui sur le terrain dirige les opérations militaires. Son emprise sur Alep-Est n'a fait qu'augmenter depuis le printemps 2016, date à laquelle il a envoyé 700 combattants en renfort alors que des combattants des brigades modérées commençaient à quitter la zone avant que la dernière sortie ne soit coupée. L'ouverture provisoire d'une brèche dans le siège d'Alep, en août 2016 (bataille de Ramousseh), a encore augmenté son prestige et son emprise sur les rebelles. 

L'accord de coopération militaire américano-russe, qui portait d'abord et avant tout sur Alep, semble avoir fait long feu. Comment expliquer cet échec?
Les Saoudiens n'ont que faire des civils syriens, ils bombardent quotidiennement depuis deux ans le Yémen. L'Arabie Saoudite et autres bailleurs arabes de la rébellion syrienne n'ont aucun intérêt à voir se concrétiser l'accord entre les États-Unis et la Russie. Ils veulent que le combat continue car sinon cet accord russo-américain signifie la victoire du camp Assad en Syrie et notamment celle de l'Iran. Les Saoudiens n'ont que faire des civils syriens, ils bombardent quotidiennement depuis deux ans le Yémen sans aucune considération pour la population civile. Nous sommes dans une guerre régionale et les considérations humanitaires sont instrumentalisées sans scrupules. L'objectif pour l'Arabie Saoudite est précisément d'obliger les États-Unis à intervenir davantage en Syrie pour bloquer l'Iran et la Russie. Pour cela il faut influencer l'opinion publique, c'est-à-dire les électeurs des membres du Congrès, en vue d'infléchir la politique américaine. Cela fonctionne puisqu'Alep est devenu un mot-clé de l'élection présidentielle américaine et il faudra beaucoup de détermination au successeur de Barak Obama pour résister aux pressions interventionnistes. Sur le plan psychologique, Bachar el Assad a gagné au pire puisqu'il apparaît comme le moindre mal. Il lui reste à éliminer les rebelles. Mais revenons aux faits. Depuis le printemps 2012, date de la militarisation à outrance de l'opposition syrienne, le régime syrien utilise une stratégie classique de contre-insurrection. Il s'agit moins de gagner les cœurs que de faire plus peur que l'adversaire et de prouver qu'il est le seul capable de ramener la paix en Syrie. Après cinq années de guerre, tout ce qui compte pour l'immense majorité des Syriens c'est précisément de vivre en paix, peu leur importe qui dirige le pays. Sur le plan psychologique, Bachar el Assad a donc gagné puisqu'il apparaît, au pire, comme le moindre mal. Il lui reste à éliminer les rebelles. Pour cela il faut les séparer de la population civile dans laquelle ils se dissimulent. La technique de contre-insurrection utilisée à Alep-Est consiste donc, depuis l'hiver 2013- 2014, à bombarder sporadiquement pour faire fuir les civils, puis d'encercler le territoire rebelle. Résultat auquel l'armée syrienne est parvenue début septembre. La population d'Alep- Est est ainsi passée de plus d'un million d'habitants en 2011 à 200,000 aujourd'hui selon l'ONU, mais sans doute beaucoup moins. À titre de comparaison la partie occidentale d'Alep, sous contrôle gouvernemental, compte 800,000 habitants. 

Quel semble être aujourd'hui l'objectif du Kremlin et de Damas?
Damas considère que ceux qui restent dans Alep-Est soutiennent les rebelles car les autres ont eu le temps de fuir. C'est en partie vrai, car il s'agit pour l'essentiel des familles des combattants. Après trois années de bombardement, le camp de Bashar el Assad considère que ceux qui restent dans Alep-Est soutiennent les rebelles, car les autres ont eu tout le temps de fuir. C'est en partie vrai, car il s'agit pour l'essentiel des familles des combattants, qui sont donc payées pour rester. Désormais, la seule solution envisagée par les militaires pour les convaincre de quitter Alep-Est est de frapper aveuglément et massivement. Dans quelques jours, une trêve sera sans doute proclamée pour permettre à ceux qui le souhaitent d'être évacués. Mais encore faut-il qu'ils le puissent, car les groupes radicaux empêchent les civils de partir pour les utiliser comme boucliers humains, comme ce fut le cas à Homs. Puis les bombardements reprendront jusqu'à la reconquête totale des quartiers rebelles d'Alep. Il faut noter que c'est la première fois depuis l'été 2012, que l'infanterie est engagée pour reprendre du terrain comme le quartier de Farafirah au centre-ville, Sheikh Saïd au sud, ou l'ex camp palestinien de Handarat au nord. À Alep, les groupes radicaux empêchent les civils de partir pour les utiliser comme boucliers humains, comme ce fut le cas à Homs. Ce que j'ai décrit était annoncé. La seule façon de l'empêcher est d'entrer dans une confrontation militaire avec la Russie en abattant les avions russes et syriens. Je doute que l'Occident souhaite une escalade de ce type. Certains évoquent la distribution de missiles sol-air aux rebelles, au risque de les voir tomber dans les mains d'Al-Qaïda ou de Daesh. Par ailleurs, il n'est pas sûr que cela soit efficace, car les Russes bombarderaient de plus haut avec du plus lourd et feraient donc plus de dégâts. La Russie pourrait aussi frapper avec des missiles de croisière depuis la mer Caspienne. 

Au-delà d'Alep, le rapport de force est-il en train de changer entre le régime et les rebelles? Que change sur ce point l'intervention turque qui se poursuit tout au Nord de la Syrie?
L'exécutif américain est paralysé au moins jusqu'à la prise de fonction de la nouvelle administration en janvier 2017. La Russie ne croit plus à la possibilité d'un accord de coopération militaire avec les États-Unis. Le bombardement de l'armée syrienne à Deir ez Zor par l'aviation de la coalition internationale, le 17 septembre dernier, fut le coup de grâce donné à ses longues et laborieuses négociations. S'agit-il d'une erreur comme le prétendent les États-Unis? Ou d'une mauvaise information donnée sciemment par un membre de la coalition qui aurait intérêt à voir échouer l'accord? Erreur ou non, cet épisode risquerait d'entamer la crédibilité de la Russie si Vladimir Poutine ne réagissait pas énergiquement. En tout état de cause, le Président russe considère que les États-Unis sont incapables de convaincre leurs alliés de cesser le combat, il a donc décidé de les mettre devant le fait accompli. L'exécutif américain est paralysé au moins jusqu'à la prise de fonction de la nouvelle administration en janvier 2017. Il s'agit donc de l'emporter à Alep d'ici trois mois. Recep Teyep Erdogan, a lui, anticipé ce qui allait se passer et il a trouvé plus judicieux de négocier avec Vladimir Poutine. Il a obtenu du maître du Kremlin la création d'une zone sous influence turque au Nord-Est d'Alep pour accueillir les futurs réfugiés, tout en bloquant l'avancée des Kurdes vers l'Ouest. En échange, le Président turc a dû s'engager à réduire son soutien aux rebelles syriens. Ce qui augure mal de l'avenir de la rébellion syrienne car la Turquie est indispensable pour son soutien logistique


Agrégé et docteur en Géographie, Fabrice Balanche est maître de conférences à l'Université Lyon-2 et chercheur invité auWashington Institute. Spécialiste du Moyen-Orient, il a publié notamment La région alaouite et le pouvoir syrien(éd. Karthala, 2006) et Atlas du Proche- Orient arabe (éd. RFI & PUPS, 2010). 




I) Du « modèle » israélien
  
Au regard du débat conduit en France — depuis 2015 et la recrudescence d’attentats — à propos de l’engagement des armées sur le territoire national, avec notamment l’opération « Sentinelle », il nous a paru intéressant de faire le point sur la manière dont d’autres nations, qui ont eu à faire face à des actes ou des menaces terroristes, se sont reposées (ou non) sur les militaires pour renforcer leur dispositif. Premier volet, et pas le moins controversé, le « modèle » israélien. 

Les députés Olivier Audibert Troin et Christophe Leonard, chargés par l’Assemblée d’une mission d’information « sur la présence et l’emploi des forces armées sur le territoire national (1) », se sont saisis de cette question. D’autres rapports sont parus récemment sur ce thème, notamment, en juillet, celui des sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda sur la « “Garde nationale” : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises ». Pour compléter leur décorticage très complet de la problématique française, les députés Troin et Leonard ont été conduits à enquêter sur la situation au Royaume-Uni, en Belgique, ainsi qu’en Israël. Lire aussi Gideon Levy, «Israël ou la religion de la sécurité », Le Monde diplomatique, octobre 2016. Les rapporteurs se défendent de considérer que le cas israélien serait identique au cas français. Mais ils « ne voulaient pas s’interdire à priori d’étudier la façon dont une démocratie s’est adaptée à une menace terroriste de long terme — indépendamment de la lecture politique que l’on peut faire des causes et des motivations du recours à la lutte armée ». 

Dans la profondeur
Les députés ont d’abord constaté que l’effort principal est mis, en Israël, sur un contrôle strict des frontières et des flux, l’objectif — tel que résumé par le député israélien Omer Barlev, militaire de carrière qui a été à la tête de l’unité d’élite Sayeret Matkal, spécialisée dans la lutte antiterroriste consistant à « neutraliser les terroristes le plus loin possible des centres urbains qui sont leurs cibles » : c’est pourquoi les forces sont essentiellement concentrées aux frontières, tandis que le renseignement permet de « traiter les difficultés restantes dans la profondeur géographique du territoire urbain ». Dans ce cadre, l’aéroport international de Tel-Aviv David Ben Gourion, principale porte d’entrée du pays, fait l’objet de mesures de contrôle drastiques, très au delà des standards internationaux : périmètres grillagés, lignes de contrôle successives opérées par des gardes armés, passage au peigne fin des voyageurs et des bagages, etc. Lire aussi Abaher El Sakka & Sandra Mehl, « La cérémonie de l’humiliation », Le Monde diplomatique, septembre 2015. L’autre outil de contrôle est la «barrière de sécurité» autour de Jérusalem-Est occupée: 127kilomètres ont déjà été construits (sur 145). Ce dispositif vise à séparer la ville de Jérusalem-Ouest, proclamée capitale d’Israël en 1950, de la zone censée être placée sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne, suivant un tracé contesté (2), ne suivant ni les frontières reconnues de l’Etat israélien, ni même celles de l’annexion opérée en 1947. 

• L’« enveloppe de sécurité » ainsi organisée autour de Jérusalem est gardée par environ 1 700 hommes : 736 policiers du Magav (police des frontières), affectés principalement au contrôle des points de passage ; 565 hommes de la police militaire ; 114 agents chargés du recueil du renseignement (notamment par la surveillance vidéo aux abords de la barrière ) ; 200 gardes fournis par des sociétés privées de sécurité ; 33 agents de liaison et de coordination avec l’Autorité palestinienne.
16 points de passage sont aménagés, sous forme de postes frontière permettant le filtrage et le contrôle des véhicules et des piétons, adossés à des infrastructures de rétention, de contrôle approfondi.
La surveillance est organisée de telle sorte que tous les points de la « barrière de sécurité » font l’objet d’un contrôle visuel au moins toutes les dix minutes. Des capteurs d’intrusion et de franchissement peuvent donner l’alerte. Des patrouilles motorisées sont également déployées le long de la barrière. 

Renseignement intérieur
La communauté israélienne du renseignement comprend plusieurs services spécialisés :
• la direction du renseignement militaire (Aman) de l’« Armée de défense d’Israël » (Tsahal) ;
• le Mossad, service de renseignement extérieur (l’équivalent de la DGSE française) ;
le Shabak (plus connu sous le nom de Shin Beth), chargé d’assurer « la sûreté de l’État (type ancienne DST française, dont les fonctions ont été reprises par l’actuelle DGSI).
Le renseignement intérieur relève en premier lieu de la compétence de ce dernier service, qui compte 7 000 agents, un chiffre élevé sachant qu’Israël compte 8,4 millions d’habitants (en France, selon la norme israélienne, la DGSI serait forte de 55 600 agents, au lieu de l’actuel effectif-cible de 4 400 personnels, lequel ne sera d’ailleurs atteint qu’à la fin 2017).
« Israel Defense Forces post, Golan Heights » cc SarahTz Le Shabak doit, selon ce qui a été indiqué aux rapporteurs : • assurer la sécurité d’Israël contre les activités illégales ;
garantir la protection des hautes personnalités et des bâtiments figurant sur une liste de « symboles gouvernementaux » établie par les autorités (mais cette liste est assez restreinte) ;
et, selon ce qui a été indiqué aux députés français, le Shabak n’assure pas de protection rapprochée 24 heures sur 24 à tous les membres du gouvernement) ;
• gérer les listes d’habilitation à accéder aux informations confidentielles et à procéder aux enquêtes de sécurité nécessaires à la constitution de ces listes ;
veiller à la protection des informations classifiées contre l’espionnage ;
définir des procédures de sécurité pour protéger les administrations et les bâtiments publics (dont l’aéroport Ben Gourion) et contrôler leur mise en œuvre ;
fournir au gouvernement des analyses sur la base des renseignements acquis par le service, allant d’études de type académique à des évaluations précises du niveau de violence de tel ou tel groupe au jour le jour. 

L’organisation du service articule des directions spécialisées (opérations spéciales, contre- insurrection, cyber-renseignement, etc) et des directions territoriales compétentes pour le « centre » (Jérusalem et Cisjordanie), le « sud » (Bande de Gaza, désert du Neguev), le « nord » (du port Ashdod à la frontière libanaise, incluant Tel-Aviv). 

En immersion
Ces directions spécialisées sont largement autonomes, chacune comptant assez de personnels et de matériels pour recueillir des renseignements, les analyser, et conduire des interventions sans attendre de renforts du niveau central. Le même souci d’autonomie, relève le rapport, préside à l’organisation infra-régionale des moyens du Shabak, avec — à l’échelle de chaque agglomération — une unité antiterroriste complète, dotée de moyens étoffés d’interrogation, d’exploration de données (data mining), de renseignement d’origine humaine et électromagnétique, de gestion des ressources humaines et de conseil juridique. Selon les observateurs interrogés par les rapporteurs, les services israéliens connaissent individuellement chaque famille, voire chaque membre de la famille, dans les zones considérées comme sensibles. Le suivi de la population est très poussé, et repose notamment sur des dispositifs efficaces de renseignement d’origine humaine : certains agents sont ainsi placés « en immersion » pendant des dizaines d’années. Même s’il n’existe pas, comme en France, de coordonnateur national du renseignement, la coopération inter-services semble aller de soi en Israël, avec un « pool » d’échange automatique d’informations (3) dans le cadre d’un continuum intérieur/extérieur, le Shabak s’en remettant souvent à l’armée pour conduire les phases d’intervention des opérations de contre-terrorisme. Selon les observations recueillies par les rapporteurs, la concurrence entre les services de renseignement est d’autant plus faible en Israël que ceux du ministère de la défense ont en la matière une prépondérance très nette : « Quand la communauté du renseignement doit s’exprimer d’une seule voix, c’est généralement celle des militaires ». 

Militarisation de la police
Le rapport souligne que « si la place des armées dans le dispositif de protection du territoire israélien est limitée à la défense des frontières et à l’administration des territoires occupés, c’est, par une sorte de contrepartie, au prix d’un haut degré de “militarisation” de certaines forces de police et d’une large diffusion des armes à feu parmi les civils ». Les rapporteurs donnent l’exemple du Magav, corps d’élite rattaché à la police et chargé d’une mission de
maintien de l’ordre dans les zones les plus sensibles du territoire israélien. Le Magav est chargé notamment de la protection des lieux saints, de la garde des frontières, d’opérations en zone urbaine comme en zone rurale, de missions de maintien de l’ordre en Cisjordanie, et de la protection des abords de la ville de Jérusalem. Selon ses responsables, ce corps « multifonctions » est constitué de quatre principaux types d’unités

des unités chargées du contre-terrorisme, en uniforme ou non ;
des unités auxquelles sont confiées des missions courantes de sécurité, en uniforme militaire gris et armées de fusils d’assaut M16 ;
• des unités de patrouille spécialisées dans l’antiterrorisme ;
• des unités d’intervention qui remplissent les mêmes fonctions que les forces françaises du GIGN ou du RAID. 

Les effectifs du Magav s’élèvent à 8 800 hommes, auxquelles s’ajoutent plus 1 600 réservistes. Ce sont pour moitié des conscrits (4) ; leur formation de base est donc militaire avant tout, la mission de police n’étant dispensée que dans un second temps. 

Densité d’uniformes
L’armée israélienne n’est affectée à la sécurité « intérieure » que dans les territoires occupés de Cisjordanie et sur le plateau du Golan, annexé par Israël et placé sous un statut de « territoire militaire ». Même en Cisjordanie, elle n’administre directement que l’une des trois zones du territoire la zone C ; la zone A, qui regroupe 40 % de la population palestinienne, est placée sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, tandis que la zone B est co-administrée — par l’armée israélienne et l’Autorité palestinienne (5) Mais l’armée peut être amenée à intervenir sur le territoire israélien dans le cadre de la mobilisation de réservistes afin de prêter son concours aux autorités civiles en cas de crise sécuritaire majeure. Ce réservoir de troupes est constitué de tous les anciens appelés, hommes ou femmes, qui ont déjà effectué un (long) service militaire, mais restent mobilisables. L’armée dispose ainsi de vingt divisions territorialisées de réservistes, représentant plusieurs centaines de milliers d’hommes et de femmes susceptibles d’être rappelés. De manière générale, l’éducation à la sécurité commence très tôt en Israël : abris dans toutes les écoles, alertes aux tirs de roquettes, etc. ce qui prédispose la grande majorité de la population à respecter les mesures de précautions, à s’engager dans les forces de sécurité, ou à apporter son soutien en cas de demande des autorités. Les écoles israéliennes sont certes gardées, mais leur sécurité est confiée à des sociétés privées. En outre, bien qu’Israël ait subi des attentats dans les lieux de culte, ceux-ci ne font pas systématiquement l’objet d’un dispositif physique de surveillance. Plus largement, notent les rapporteurs, la présence policière et militaire est très peu visible à l’intérieur du territoire israélien. Le député Élie Elalouf, président du groupe d’amitié France-Israël de la Knesset, le Parlement israélien, a d’ailleurs fait remarquer à ses collègues français que la densité d’agents en uniforme est plus élevée à Paris qu’à Tel-Aviv... 

Port d’armes
Michael Oren, un autre député, a indiqué aux rapporteurs que 3 % des Israéliens étaient autorisés à porter une arme dans l’espace public (ce qui serait une hypothèse basse, selon ce qu’ont compris les parlementaires) : ramené à la population française, cela correspondrait à
près de deux millions de porteurs d’armes. Il s’agit des personnels des armées et des forces de sécurité, autorisés à porter leur arme de dotation en dehors de leur temps de service (en vertu d’une règle restaurée en octobre 2015, en réaction à une nouvelle vague d’attentats) ; des agents de sociétés privées de sécurité, le plus souvent d’anciens militaires, qui sont généralement armés ; et de particuliers disposant de port d’armes. Selon les rapporteurs, « la diffusion de l’armement est vue souvent comme une sorte de contrepartie à la faible densité de policiers et de militaires à l’intérieur du pays », et considérée comme « une réponse valable au terrorisme » : ces dernières années, un environ un quart des agresseurs auraient pu être maîtrisés directement par des civils ou des militaires hors service. M. Élie Elalouf précise que l’État songe à mettre en place un système d’alerte géolocalisée sur téléphone portable, à destination de tous les titulaires d’un permis de port d’arme, en cas d’attaque terroriste à leur proximité. Ces spécificités israéliennes sont à méditer en France, au moment où une gauche de gouvernement en difficulté se cramponne à « l’état de droit », et où une droite emportée par son élan « sécurocrate » envisage de modifier la Constitution pour permettre l’adoption de mesures de rétention préventive contre plus d’une dizaine de milliers de suspects potentiels... 

Philippe Leymarie

(1) Les conclusions en ont été déposées, en juin, sous forme d’un rapport de plus de 250 pages.
(2) Huit kilomètres font notamment l’objet de recours en justice.
(3) Ce « pool » comporte un dispositif propre à protéger les sources d’information, en cas de besoin.
(4) Le Magav vient en deuxième position dans les choix d’affectation des appelés, après la prestigieuse brigade Golani.
(5) Lire « Autonomie limitée en Cisjordanie », Le Monde diplomatique, octobre 2014. 

 


J) Journée de l’unité allemande


Message du ministre fédéral des Affaires étrangères Frank-WalterSteinmeierl’intention des missions diplomatiques et consulaires allemandes à l’occasion de la Journée de l’unité allemande 

La chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la fin de la division entre l’Est et l’Ouest de l’Europe sont des événements qui ont marqué incontestablement un tournant historique, bien au-delà des frontières de l’Allemagne. Cet élan était porté par l’espoir, ou mieux encore par l’attente que dorénavant, tout irait mieux. Certains ont également évoqué la « fin de l’Histoire ». Nous étions nombreux à croire qu’un nouvel ordre était en train de se dessiner et qu’il allait apporter la paix et la stabilité au monde entier. Aujourd’hui, vingt-sept ans après la chute du mur, force est de constater qu’il y a longtemps que le monde n’a plus été dans un tel désordre. Les crises et les conflits s’abattent sur nous avec une force et une densité que personne n’aurait pu prévoir en 1989. Les anciens et les nouveaux acteurs luttent pour l’influence dans un monde devenu confus. Nous sommes bien loin de la « fin de l’Histoire ». Même si les images des crises et des catastrophes dominent les journaux et les informations, il est important que nous nous rappelions régulièrement nos exploits. Pensons seulement à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, aux accords de Minsk au sujet de l’Ukraine, aux étapes déjà franchies dans la crise des réfugiés ou encore à l’accord de paix en Colombie qui met fin à un conflit qui semblait si longtemps dénué de tout espoir. La diplomatie demande du temps et de la patience. On ne peut pas résoudre les problèmes du monde du jour au lendemain. Les solutions sont souvent le fruit d’un travail laborieux fait de nombreuses petites étapes. C’est long et parfois frustrant. Mais ce qui compte, c’est que nous possédons les instruments nécessaires pour créer un peu d’ordre. Cela implique aussi que l’Allemagne assume sa responsabilité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons revu et renouvelé notre politique extérieure au cours de ces dernières années. L’Allemagne a également pris la présidence de l’OSCE en 2016 et se porte candidate à un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la période 2019/2020. De même, mon initiative visant à mener des entretiens communs sur le contrôle des armements avec l’Occident et la Russie s’inscrit aussi dans cette logique de responsabilité. Pour qu’un nouvel ordre puisse se constituer, il faut faire preuve de force créative. En ces temps de guerre, l’Allemagne doit donc fournir de nouvelles impulsions afin de façonner notre monde. Je suis convaincu que la patience et la volonté d’aller vers les autres nous permettront d’apporter au monde un peu plus de paix et de justice.




K) Des Américains veulent punir les sociétés françaises présentes en Iran


Aux Etats-Unis, le lobby anti-iranien n’a pas désarmé après l’accord sur le programme nucléaire passé entre Téhéran et les grandes puissances le 14 juillet 2015. Cet accord devrait permettre la suppression progressive des sanctions qui frappent l’Iran depuis le début des années 2000. L’organisation United Against Nuclear Iran ne l’entend pas ainsi. Elle se donne pour but de "punir" les sociétés étrangères, notamment françaises, qui coopéreraient avec l’Iran. Un article de François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran et analyste de politique internationale. 

Peugeot, une longue tradition en Iran
Par une fuite dans la presse [1], les Français ont récemment découvert qu’une organisation américaine, United Against Nuclear Iran (UANI), menait une campagne d’intimidation auprès de grandes sociétés françaises intéressées par le marché iranien. Dans les lettres adressées à ces sociétés, UANI souligne tous les risques liés à une présence en Iran, et annonce son intention de dénoncer les sociétés qui bénéficieraient d’argent public américain tout en faisant des affaires avec l’Iran. Quelle est cette organisation qui poursuit l’Iran de sa vindicte après l’accord de Vienne de juillet 2015, mettant fin en principe à la crise nucléaire iranienne ? Deux hommes sont à l’origine d’UANI : l’un, Mark D. Wallace, avocat et brièvement diplomate, son principal fondateur et depuis son directeur général, l’autre, Thomas Kaplan, homme d’affaires et mécène, son principal financier. Tous deux sont très liés, Mark Wallace figurant parmi les dirigeants de plusieurs des sociétés d’investissement et de commerce contrôlées par Thomas Kaplan, notamment Tigris Financial Group et Electrum Group. 

Un diplomate d’occasion
Mark Wallace, d’abord avocat à Miami et proche de Jeb Bush, gouverneur de Floride, conseille son frère, George W. Bush, lors de l’élection présidentielle de 2000 au moment clé de la vérification des votes de l’Etat de Floride. Après la victoire de ce dernier grâce à une décision de la Cour suprême, il entre dans l’administration fédérale, puis fait partie des dirigeants de son équipe de campagne lors de sa réélection en 2004. Il participera aussi à la campagne de John McCain en 2008, battu par Barack Obama. Wallace se pare volontiers du titre d’ambassadeur, ayant en effet été nommé fin 2005 ambassadeur auprès des Nations Unies, non comme chef de la mission américaine, mais comme adjoint responsable des questions administratives et financières de l’ONU. Il travaille alors en parfaite harmonie avec l’ambassadeur chef de mission, John Bolton, néoconservateur connu pour son style abrupt et ses vues radicales, et mène avec lui une politique agressive de pression sur le Secrétariat des Nations Unies. Bolton entrera plus tard au Conseil consultatif de l’UANI. Wallace ne s’entend pas avec le successeur de Bolton, Zalmay Khalilzad, beaucoup plus modéré, et démissionne début 2008. 

Un nid de « faucons »
C’est alors qu’il fonde l’association « American Coalition against a Nuclear Iran », plus connue sous le nom de « United against Nuclear Iran ». Le principal organe collégial de l’organisation, le Conseil consultatif, agrège d’anciennes figures du monde de la défense et du renseignement, américaines mais aussi britannique, allemande, israélienne, et plusieurs anciens ministres de différents pays, dont l’Espagnole Ana Palacio, passée à l’histoire pour avoir, en qualité de ministre des affaires étrangères, donné instruction à ses ambassades d’attribuer à l’ETA les attentats islamiques du 11 mars 2004 à Madrid. On y trouve encore une figure connue de la diplomatie américaine au Proche-Orient, Dennis Ross, réputé très proche d’Israël. Ce conseil est actuellement présidé par Joseph Lieberman, ancien sénateur démocrate, fervent avocat de la relation spéciale entre les Etats-Unis et l’Etat hébreu. 

« Un homme de la Renaissance »
L’autre personnalité clé d’UANI, bien qu’elle n’y occupe aucun poste, est Thomas Kaplan, qui finance à lui seul environ la moitié de son budget. Kaplan a fait fortune en investissant dans les métaux, notamment or et argent. Il est aussi, avec sa femme, un collectionneur d’art avisé, un ardent défenseur d’Israël, un militant de la cause des grands félins menacés. Il est enfin un philanthrope tourné vers la France, ayant notamment contribué à la récente création d’une librairie française sur la Cinquième avenue à New-York. En somme, « un homme de la Renaissance », si l’on en croit le discours qui a accompagné la remise de sa croix de chevalier de la Légion d’Honneur en avril 2014. Dans sa réponse, le récipiendaire évoque son engagement face aux ambitions nucléaires de l’Iran, motivé par le souvenir du sort infligé aux Juifs par le nazisme, et citant UANI, s’exprime ainsi : « certes, UANI ne dispose pas de missiles Tomahawk ou de porte-avions, mais nous avons plus fait pour mettre l’Iran à genoux que n’importe quelle initiative privée et la plupart des initiatives publiques ». De fait, UANI, à même époque, obtient l’engagement de grandes compagnies, américaines, européennes, asiatiques, de rompre toute relation avec l’Iran. UANI se flatte aussi d’avoir obtenu en juin 2013 du président Obama un décret plaçant sous sanctions toute coopération avec l’industrie automobile iranienne, où les Français étaient très présents. Dès février 2012, Peugeot avait déjà quitté l’Iran, où il contribuait à assembler près de 500.000 voitures par an, dans l’espoir de nouer un partenariat avec General Motors, elle-même sous pression d’UANI. Mais le décret de juin 2013, abrogé en 2016 après l’accord de Vienne, a mis en difficulté Renault, très actif en Iran. Au total, l’industrie automobile française, selon les représentants du secteur, a dû perdre en cette affaire au moins 5.000 emplois. 

Une amitié mal placée
A noter que Thomas Kaplan se trouve à ce jour éclaboussé par une méchante affaire de détournement d’argent d’au moins un milliard de dollars au détriment d’un fonds public malaisien voué au développement du pays. La justice américaine et la justice suisse sont en effet sur la piste d’un sulfureux playboy et homme d’affaires, se présentant aussi comme philanthrope, Taek Jho Low, qui est au cœur de ce scandale. Or Thomas Kaplan a bénéficié de placements venant de Taek Jho Low, lui a offert un siège au conseil d’administration de sa société Electrum, et lui a apporté son soutien public dans un clip promotionnel pour sa société Jynwel Capital : on y voit ainsi Thomas Kaplan, après une poignée de mains prolongée avecTaek Jho Low, le présenter comme un partenaire de totale confiance. 

Casinos et bombes atomiques
L’autre important mécène d’UANI, à hauteur d’à peu près le quart de son budget, est le milliardaire américain Sheldon Adelson, qui a fait sa fortune dans les hôtels de luxe et les casinos à Las Vegas, Macao et Singapour. Sheldon Adelson est un fervent soutien de Benjamin Netanyahou, notamment au travers du quotidien gratuit Israel Hayom, qu’il possède. Il condamne évidemment le « socialisme » d’Obama et apporte son appui à Donald Trump.
En ce qui concerne l’Iran, il s’est fait remarquer en octobre 2013, alors que se nouait la négociation avec Téhéran, en recommandant publiquement de procéder à un tir de semonce atomique dans le désert iranien, et de notifier à la République islamique qu’une seconde bombe serait envoyée sur Téhéran si elle ne se pliait pas aux exigences américaines. 

Secrets d’État
Reste à savoir s’il existe des complicités entre UANI et « l’État profond » américain : services de renseignement, néoconservateurs insérés dans l’administration et agissant en informateurs bénévoles... Un coin du voile a été brièvement soulevé lors d’un procès en diffamation et chantage qui a opposé de 2013 à 2015 un armateur grec, Victor Restis, à UANI. L’organisation accusait en effet Victor Restis de violer l’embargo américain, alors que celui- ci affirmait n’acheminer vers l’Iran que des produits agroalimentaires, exemptés de sanctions pour raisons humanitaires. Au fil de la procédure, les avocats de Victor Restis ont demandé au tribunal fédéral saisi de l’affaire d’ordonner à UANI de présenter les documents à la source de ses accusations. C’est alors qu’en un mouvement sans précédent, le Département de la Justice américain a demandé au tribunal d’écarter cette requête au nom de la protection du secret d’État. Le tribunal s’étant incliné, l’affaire a été classée sans que l’on en sache davantage sur les secrets à protéger. Mais cette intervention extraordinaire a laissé présumer qu’UANI avait accès à des informations privilégiées venant de l’appareil d’État américain, voire d’appareils d’État étrangers [2]. 

[1] Le Parisien, 4 août 2016 http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/coups-bas- contre-les-societes-francaises-en-iran-04-08-2016-6014317.php
Challenges le 29 août 2016 http://www.challenges.fr/monde/20160826.CHA2666/l-etrange- ong-americaine-qui-fait-la-chasse-aux-groupes-francais-en-iran.html
[2] Eli Clifton est le premier journaliste ayant mené une enquête approfondie sur les activités d’UANI. Ses révélations ont beaucoup apporté au présent article.
Cf notamment :http://www.salon.com/2014/08/11/billionaires_sketchy_middle_east_gamble_meet_the_man _betting_on_war_with_iran/ ethttp://lobelog.com/uani-principals-tied-to-target-of-money- laundering-investigation/



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