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octobre 25, 2018

Quel futur serait le libéralisme (par les socialopithèques, voire libéralopithèques)

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Sommaire

A) Quel avenir pour le libéralisme ? - JEAN-MARC VITTORI - Les Echos

B) De quel libéralisme Macron est-il le nom? - Jérôme Perrier et Telos - Slate

C) Libéral ou capitaliste: ce n’est pas la même chose - Xavier Landes et Claus Strue Frederiksen et David Budtz Pedersen - Slate

D) Libéralisme, ordolibéralisme, néolibéralisme … Quel fondement économique pour le marché intérieur et le droit européen de la concurrence ? - François  CURAN - Paroles de juristes (L'heure fuit, le droit demeure)
 




A) Quel avenir pour le libéralisme ?

Deux intellectuels libéraux débattent pour « Les Echos » de l'avenir du libéralisme. La crise vient-elle des excès de liberté ou est-elle inhérente au capitalisme ? L'économiste Guy Sorman en appelle au droit pour fixer de nouvelles limites. Le juriste Michel Guénaire, lui, préfère en appeler à la morale et à l'éducation.

La crise actuelle remet-elle en question le libéralisme ?
MICHEL GUÉNAIRE. L'expérience libérale des vingt dernières années débouche sur une crise d'une très grande ampleur. Nous vivons dans un monde désorganisé, privé de toute régulation politique. Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, le libéralisme n'a plus été contesté par l'alternative que représentait le socialisme _ radical à l'est de l'Europe, plus modéré à l'ouest. Ses valeurs se sont imposées dans la politique avec la démocratie libérale et ses standards _ le suffrage universel, le système représentatif et la garantie d'une Constitution _ et dans l'économie avec l'essor du droit de la concurrence et la financiarisation de la vie des entreprises. 

GUY SORMAN. Vous avez l'art du portrait en grand, comme le montre votre livre. Je suis plutôt pointilliste. Les valeurs du libéralisme se sont imposées ? C'est plus simplement que la mécanique libérale a été appliquée partout. Pour l'économiste du développement que je fus, il est fascinant de voir que la vie s'est améliorée pour des centaines de millions d'hommes et de femmes avec l'ouverture des frontières de leurs pays, le développement de la concurrence, la régulation monétaire, qui a joué un rôle essentiel en faisant disparaître l'inflation. Un monde désordonné ? Vous rêvez peut-être d'un gouvernement mondial, mais je crains fort qu'un tel gouvernement soit despotique. La victoire du libéralisme est en vérité peut-être très tempérée. Bien sûr, le monde se rallie à l'économie de marché à partir de 1989. Mais, sur le plan politique, la victoire est loin d'être acquise _ seulement la moitié du monde vit dans la démocratie.
M. G. Oui, le libéralisme économique a apporté des richesses. Mais la crise en détruit beaucoup. Oui, le libéralisme apporte la liberté. Mais chaque nation a son tempérament, son histoire, ses traditions. Il n'y a pas de modèle universel de la démocratie libérale. Les tentatives d'appliquer le même modèle partout ne pouvaient déboucher que sur une immense crise intellectuelle et morale. Le libéralisme est enraciné dans une culture, une morale. Il est né en Angleterre dès le XVIIe siècle, puis aux Etats-Unis et en France au XVIIIe siècle, dans des groupes humains prêts à assumer par leur culture et par leur morale la responsabilité de la liberté. 

La démocratie est-elle la même partout dans le monde ?
G. S. L'idée que la diversité des cultures est un obstacle à la généralisation de la démocratie est très française. Alain Peyrefitte expliquait déjà que les Chinois ne sont pas faits pour la démocratie. Mais, jusqu'au XIXe siècle, les villes chinoises élisaient leurs représentants. L'Inde a des formes locales de démocratie proches du modèle occidental. L'aspiration à la libre expression, au débat, à la reconnaissance individuelle existe partout.
M. G. J'ai au contraire l'intime conviction que nous allons vers le temps des régions du monde avec des organisations économiques et politiques qui leur seront propres, inscrites dans leur histoire. Bien sûr, il y aura des traits communs, comme la séparation des pouvoirs ou le système représentatif pour choisir ou sanctionner les dirigeants politiques. Mais nous devons sortir du rêve de principes universels inventés sur la presqu'île d'Asie qu'est l'Europe ! Le commencement de tout, c'est la culture, pas la liberté.
G. S. J'ai du mal à distinguer l'une de l'autre. Et s'il n'y a pas de modèle d'économie libérale, il existe en revanche une science économique. Turgot et Adam Smith avaient raison : l'économie qui marche, c'est l'économie de marché. On a essayé le maoïsme, l'autogestion, le système stalinien, la planification à la française... qui ont tous échoué. Certains cherchent des alternatives. Et ce n'est pas surprenant, car nous sommes ici dans un monde très imparfait. 

L'Etat va-t-il sortir renforcé de la crise ?
M. G. Ces dernières années, on a gommé le rôle de l'Etat. Les politiques étaient d'ailleurs contents eux-mêmes de laisser le vieux corps des nations géré par la loi du marché. Ils ont déréglementé et privatisé à souhait. Résultat : dans la crise, l'Etat peine à trouver ses marques, il hésite à faire les véritables choix de rupture. Nous avons besoin de retrouver un équilibre entre l'Etat et le marché.
G. S. Dans nos pays, je crois que le poids de l'Etat n'a pas diminué. Rapportées au PIB, les dépenses publiques ont augmenté. Le nombre de fonctionnaires aussi. Quand on dit qu'il y a eu retrait de l'Etat, c'est à la marge, et à la seule demande de Bruxelles.
M. G. Le poids relatif de l'Etat n'a sans doute pas diminué, mais son rôle s'est vidé de sens. L'Etat était auparavant plus présent. Il menait une politique industrielle. Il lançait de grands investissements structurants, comme le nucléaire. Dans la période récente, l'Etat a abandonné ses vraies fonctions actives et s'est rempli de fonctions inefficientes, notamment dans le domaine social.
G. S. Je suis réticent à l'idée de la politique industrielle. Nous risquons de replonger dans des mésaventures comme le plan Calcul ou Bull. Et il est devenu très difficile d'agir à l'échelon national. Dans quel secteur l'Etat pourrait-il aujourd'hui mener efficacement une politique industrielle ?
M. G. L'énergie. En proposant des perspectives de régulation du marché de l'électricité. Ou dans le gaz, en soutenant les projets qui sont susceptibles d'accroître l'indépendance nationale, comme la construction de méthaniers et d'infrastructures adaptées, pour s'émanciper de la dépendance à l'égard des gazoducs.
G. S. Je ne suis pas convaincu. Mais je ne suis pas pour autant hostile à toute intervention publique. En France, l'Etat fonctionne bien dans certains domaines qui relèvent de ses fonctions régaliennes : armée, police, sécurité. Et son modèle de protection sociale, s'il a bien des inefficacités, est plutôt un bon système quand on le compare aux autres. La « destruction créatrice " décrite par Joseph Schumpeter est formidablement efficace à condition que l'Etat organise des garanties sociales. 

Par où passe la sortie de crise ?
G. S. C'est une crise dans le capitalisme, et non une crise du capitalisme. Elle ne devrait pas nous surprendre. On ne connaît pas de capitalisme sans crise, car il est fondé sur le risque et l'innovation. Il y a toujours des innovations qui tournent mal, comme par exemple les produits dérivés. Et ces crises ont toujours une origine monétaire. C'est ce que nous a appris Milton Friedman. Une création excessive de monnaie débouche inévitablement sur une spéculation à court terme. L'origine de la crise actuelle est la débauche monétaire qui a débuté aux Etats-Unis en 2003. Les dollars créés localement et les dollars rapatriés du reste du monde ont gonflé une bulle dans l'immobilier. La source de la crise n'est pas le spéculateur mais la création des conditions d'une spéculation massive. Et la solution n'est donc pas la réglementation. L'économiste Jean Tirole l'a bien montré : c'est d'abord l'information qui a manqué. Avec les produits dérivés, les investisseurs ne savaient pas ce qu'ils achetaient. Un peu comme un malade qui aurait acheté un médicament puissant fourni sans notice d'accompagnement sur ses effets indésirables.
M. G. Cette crise est très originale. C'est la première à effet de contamination universelle, sans précédent. Maintenant, les économies ouvertes sont beaucoup plus vulnérables. Les seuls pays où les banques ont résisté à l'automne dernier étaient d'ailleurs ceux qui avaient un contrôle des changes, comme le Maroc. Le système ne peut pas continuer à fonctionner ainsi. Le prix de l'éclatement des bulles est trop élevé et les Etats n'adoptent aucune mesure pour corriger le système.
G. S. Il est très difficile d'analyser un événement quand on est dedans ! Vous savez, les économistes ne sont toujours pas d'accord sur la crise des années 1930. Mais nous en avons tout de même retenu une solution : pratiquement personne ne réclame le retour du protectionnisme. De même, nous avons retenu une leçon essentielle de la crise de 1973 : l'inflation n'est pas une réponse à la crise.
M. G. En quelque sorte, les gens devraient être encore plus libéraux pour lutter contre les excès du libéralisme... Je crois qu'il faut plutôt corriger l'expérience libérale en cours, si l'on veut sauver le soldat libéral ! Antonio Gramsci disait que « la crise est ce qui sépare le vieux du neuf ». J'attends le neuf.
G. S. Vous aspirez à la perfection. Or l'économie se prête mal à l'utopie. Elle tombe en panne tout le temps, elle est dure à réparer et plus encore à expliquer. Elle est dictée par le « hasard sauvage ", selon l'expression de Benoît Mandelbrot, qui en déduit que les marchés financiers sont un endroit très dangereux. Et pourtant, malgré ces imperfections, les progrès de la science économique sont considérables.
M. G. L'économie, ce n'est pas la fatalité des imperfections. C'est aussi l'exercice des responsabilités : la création des richesses et leur partage. Ces responsabilités ne sont plus exercées parce que les repères moraux ont disparu. Je forme le souhait que la crise nous permettra de tourner la page d'une époque où des acteurs ont saccagé impunément des entreprises et des pays pour gagner de l'argent, pour revenir à une gestion d'hommes exemplaires. Le libéralisme repose sur deux principes : la régulation des marchés et l'éducation des hommes. Je vois une sortie de la crise par ces deux principes.
G. S. La cupidité n'est pas une nouveauté. Le boulanger vend son pain par esprit de lucre, nous disait Adam Smith il y a plus de deux siècles. L'économie libérale est une façon de faire vivre ensemble des individus qui n'ont pas la même morale. Au-delà, c'est à la loi et à l'Etat de fixer les limites. Moraliser le capitalisme ? On ne peut pas plus moraliser le capitalisme que la plomberie ! Je rappelle que l'économie ne produit pas de valeurs, mais des richesses.

JEAN-MARC VITTORI - Les Echos
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B) De quel libéralisme Macron est-il le nom?

Emmanuel Macron s’inscrit pleinement dans un courant parfaitement identifiable pour l’historien des idées politiques.

À en croire ses pourfendeurs, campés aux deux extrémités de notre échiquier politique, Emmanuel Macron ne serait que l’incarnation hexagonale du libéralisme, ce virus venu de l’étranger et qui, sous diverses formes (néo- ; ultra- ; sauvage ou rampante), aurait irrémédiablement infecté la mondialisation actuelle, pour le plus grand malheur des plus démunis. L’intéressé quant à lui s’est toujours montré prudent lorsqu’on l’interrogeait sur son rapport au libéralisme ; ce qui peut fort bien se comprendre dans un pays comme le nôtre, où cette école de pensée est si volontiers caricaturée – et si largement méconnue. Pour autant, lorsqu’on lit le programme d’En Marche! et plus encore le livre Révolution, il est difficile de ne pas pleinement inclure le nouveau Président de la République française dans ce que l’historien anglais Michael Freeden appelle la «famille libérale» ; soit une vaste nébuleuse idéologique à l’intérieur de laquelle peuvent se manifester de substantielles divergences, mais dont les membres partagent néanmoins une «structure conceptuelle stable», fondée sur quelques principes intangibles, comme la défense intransigeante de la liberté, de l’initiative et de la responsabilité individuelles, ou encore le goût prononcé du pluralisme et de la tolérance, contre toutes les formes de dogmatisme.
À lire et à entendre Emmanuel Macron, il peut sembler aussi aisé de l’inclure dans cette grande famille libérale que délicat de le rattacher à un courant précis au sein de cette mouvance hétéroclite. Car s’il développe une pensée indéniablement cohérente – allant jusqu’à affirmer dans une interview récente à Mediapart qu’il essayait «de construire une pensée qui fait système» –, il n’en reste pas moins avare de références théoriques ou livresques (ce qui ne saurait nous étonner de la part d’un homme politique, s’il n’était aussi iconoclaste). De fait, même son éloge répété de Paul Ricœur, dont il fut brièvement le collaborateur, concerne davantage l’homme que la pensée (une pensée assez peu politique du reste). Et ses fréquentes références à Jean Jaurès relèvent davantage d’un lieu commun flattant à peu de frais la gauche française que d’une authentique dette spirituelle. Il n’est donc pas facile d’établir une généalogie intellectuelle précise de son projet politique, même si cela ne doit pas nous interdire des rapprochements entre certains des thèmes récurrents de son discours et un (ou des) courant(s) particulier(s) de la galaxie libérale.

L'aggiornamento idéologique que le PS n'a jamais fait

C’est ainsi par exemple que l’on est d’emblée tenté d’établir un parallèle entre le projet politique d’Emmanuel Macron et la «Troisième Voie» théorisée il y a une vingtaine d’années par le sociologue anglais Anthony Giddens, avant de fournir à Tony Blair un nouveau logiciel idéologique destiné à refonder la gauche travailliste sous les traits du New Labour. Tout se passe en effet comme si le leader d’En Marche! était en passe d’imposer à la gauche française de gouvernement cet aggiornamento idéologique que le Parti socialiste s’est jusqu’à sa tombe refusé à faire ouvertement, préférant se réfugier dans le déni jospinien de la «parenthèse» (ouverte en 1983, mais jamais officiellement refermée) puis dans la tiède synthèse hollandaise, source d’ambiguïtés et de rancœurs infinies.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Tony Blair a récemment publié dans Le Monde une tribune tressant des louanges au nouveau locataire de l’Élysée, dans lequel il ne peut s’empêcher de voir une sorte d’héritier spirituel –même si, à la différence de l’ancien Premier ministre britannique, le nouveau chef de l’État français entend imposer sa «révolution conceptuelle» en brisant le Parti socialiste en même temps que le clivage gauche-droite ; là où Blair avait pu opérer de l’intérieur du parti travailliste une mue idéologique de grande ampleur. Reste que la comparaison entre les deux entreprises politiques s’impose d’elle-même, et qu’elle dépasse largement les analogies superficielles, comme la jeunesse commune aux deux hommes (Tony Blair n’avait que 44 ans lorsqu’il est entré au 10 Downing Street) ou encore leur évident charisme (on a quelque peu oublié, après le fiasco irakien, l’espoir qu’avait pu susciter outre-Manche l’arrivée au pouvoir du New Labour en 1997).
Le parallèle entre le blairisme et ce qui deviendra peut-être un jour le macronisme est bien plus profond qu’il n’y paraît, car il touche à la synthèse que les deux hommes opèrent –chacun à leur manière– entre les préoccupations sociales traditionnelles de la gauche et un héritage libéral en partie commun. En effet, leur synthèse sociale-libérale ou libérale-sociale emprunte beaucoup à ce que l’on a appelé au tournant des XIXe et XXe siècles, le «nouveau libéralisme» [1], dans la mesure où l’un et l’autre offrent une actualisation d’un corpus d’idées largement nées avec la deuxième révolution industrielle, et qu’il s’agit aujourd’hui d’adapter aux défis de la mondialisation (parfois qualifiée de «troisième révolution industrielle»).
On peut même faire remonter les racines de cet héritage idéologique – plus ou moins conscient et assumé– jusqu’à John Stuart Mill ; un auteur tout à fait charnière dans la riche histoire de la pensée libérale. Certes, rien ne prouve qu’Emmanuel Macron l’ait lu, pas plus du reste que les divers penseurs qui à sa suite ont contribué à forger le «nouveau libéralisme»: Thomas H. Green et Leonard T. Hobhouse outre-Manche avec le New Liberalism ; Léon Bourgeois en France avec le «solidarisme» ; Carlo Rosselli et les «socialistes libéraux» en Italie ; ou encore John Dewey et Woodrow Wilson aux États-Unis avec le «progressisme», etc. Il n’en est pas moins saisissant de constater à quel point la société de mobilité et d’égalité des chances qu’entend promouvoir Emmanuel Macron s’inscrit pleinement dans un courant parfaitement identifiable pour l’historien des idées politiques.

Le libéralisme de John Stuart Mill

Né d’une inflexion majeure du libéralisme, il a été inauguré par les dernières œuvres de John Stuart Mill (qui s’est rapproché du socialisme à la fin de sa vie) et s’est ensuite prolongé jusqu’à nos jours, à travers des penseurs fort divers, mais tous attachés à réconcilier la liberté et une certaine forme d’égalité (John Rawls pourrait en fournir un bon exemple). Cette inflexion décisive du libéralisme a opéré trois mutations majeures par rapport au libéralisme classique des XVIIe et XVIIIe siècle. La première a consisté à substituer à la vision atomistique de l’individu qui dominait à l’époque des Lumières (et qualifiée par ses adversaires de «robinsonnade») une nouvelle conception, plus sociale et plus mobile. En effet, ce que Mill choisit de nommer «individualité» ne désigne plus un concept statique, mais un être social en devenir, qui entend accomplir un projet de vie, c’est-à-dire faire fructifier ses talents et exploiter au mieux ses potentialités. Or c’est là très exactement ce que ne cesse de répéter Emmanuel Macron, qui dit croire «profondément à une société du choix, c’est-à-dire libérée des blocages de tous ordres» et «dans laquelle chacun pourrait décider de sa vie». Une société où les individus seraient «en marche» en quelque sorte…
De cette première inflexion découle une deuxième, tout aussi cruciale: le passage de la «liberté négative» du libéralisme classique (ce que les anglo-saxons appellent freedom from) à la «liberté positive» du nouveau libéralisme (freedom to). Alors que le premier concevait la liberté comme une simple absence d’oppression ou de coercition ; avec le second, la liberté est conçue comme le pouvoir d’agir, comme la capacité à accomplir une tache, en exploitant pleinement ses facultés. Cette mutation est fondamentale car l’obstacle à la liberté n’est plus du tout le même. Dans le libéralisme classique, c’est l’autorité arbitraire (celle du pouvoir politique ou de l’autorité religieuse) qui opprime l’individu en le privant de son indépendance. Désormais, c’est l’absence de moyens (y compris financiers) qui l’empêche de s’épanouir librement et de faire fructifier son potentiel. D’où un rapport radicalement différent à l’État: là où le libéralisme classique y soupçonne toujours une menace, le nouveau libéralisme y voit au contraire un précieux allié pour l’individu ; cet être social en construction. Là encore, on retrouve un thème omniprésent chez Emmanuel Macron, qui n’hésite pas à vanter le rôle d’«investisseur social» de l’État, notamment lorsque celui-ci dépense pour l’éducation ou la formation permanente.
La troisième et dernière grande mutation opérée par le nouveau libéralisme concerne la conception de l’égalité, puisqu’il substitue à une stricte égalité juridique la notion d’égalité des chances qui, une fois encore, est omniprésente dans le discours macronien. Celui-ci va jusqu’à prôner une forme de discrimination positive, puisqu’il ne cesse de répéter que «l’uniformité ne signifie plus l’égalité» et que «l’égalité ne consiste pas à faire pareil pour tout le monde». Au contraire, dit-il, «l’égalité réelle» consiste à «donner plus à ceux qui ont moins», «à faire plus pour ceux qui ont moins». L’idée est amplement développée dans Révolution, mais elle a aussi trouvé une traduction concrète dans le programme du candidat Macron, sous la forme de diverses mesures-phares, comme les emplois francs destinés à encourager l’embauche des habitants des quartiers prioritaires (avec une prime de 15 000 euros sur trois ans pour le recrutement en CDI d’un habitant de ces quartiers), les classes de douze élèves en CP et CE1 en zone prioritaire, ou encore une prime annuelle de 3000 euros pour les enseignants qui accepteraient d’y être mutés, etc.

Bel et bien libéral

On peut, du reste, remarquer que la conception de l’égalité que développe le nouveau président de la République se distingue aussi bien du socialisme –qui raisonne d’abord en termes d’égalité des conditions–, que du libéralisme classique –qui raisonne exclusivement en termes d’égalité des droits. En effet, Emmanuel Macron est bel et bien un libéral puisqu’il entend simplement faire en sorte que chacun soit à égalité sur la ligne de départ (quitte à donner un coup de pouce à ceux qui souffrent d’un handicap initial), tout en laissant ensuite la compétition et l’émulation porter leurs fruits dans la mesure où les individus devront prouver leur mérite en travaillant, osant, innovant, risquant, etc. Il est peu de thème qui revienne aussi souvent sous sa plume que celui de la réhabilitation du mérite et de la réussite individuelle (un ethos devenu depuis des décennies largement étranger à une gauche française plus encline à la commisération envers les plus démunis ou à l’invective envers les plus aisés).
Pour autant, à la différence du libéralisme classique, le créateur d’En Marche ! ne se contente pas de revendiquer une stricte égalité juridique, pas plus qu’il ne renvoie l’échec à une simple faute morale, comme dans la vision spencérienne qui dominait à l’époque victorienne (et qui, aujourd’hui encore, n’est pas étrangère à un certain libéralisme conservateur). La société macronienne de la mobilité (par opposition à la société de privilèges et de statuts) et de l’égalité des chances (à rebours d’une certaine forme de darwinisme social) retrouve ainsi une logique qui a été initiée par le nouveau libéralisme il y a maintenant plus d’un siècle, avant d’être reprise notamment par la troisième voie blairiste –héritière directe du New Liberalism.
Pourtant, il existe une différence non négligeable entre celle-ci et le libéralisme d’Emmanuel Macron. En bon Français, ce dernier accorde à l’État un rôle sensiblement plus important que nos voisins britanniques. En effet, alors que Blair et Giddens imaginaient volontiers que (pour des raisons d’efficacité notamment) le secteur privé pouvait en partie se substituer à l’État en accomplissant un certain nombre de missions de service public, le candidat d’EM s’avère autrement plus réservé sur cette question.
Ainsi, dans Révolution, il ne cesse de renvoyer dos à dos la gauche conservatrice, qui attend tout de l’État, et ceux qu’il appelle les libéraux doctrinaires, qui au contraire attendent le salut du pur et simple démantèlement de la puissance publique. Dans le même esprit, le futur président écrit de l’école, de la santé (et même de la transition écologique) que si ce sont là «des domaines où l’action publique peut faire mieux» ; en revanche «personne ne peut faire sans elle». De fait, l’État conserve un rôle tout à fait essentiel dans le programme macronien, comme l’illustrent les cinquante milliards d’investissements publics annoncés, ou encore le «volontarisme lucide» prôné en matière de politique industrielle. Ce faisant, le nouveau Président de la République s’avère fidèle à la fois à un libéralisme français traditionnellement statophile et à sa formation d’énarque et d’inspecteur des Finances (deux institutions ayant toujours eu une conception de l’économie très statocentrée). De la même manière, il semble devoir rester très hexagonal dans sa conception même du pouvoir. Car si l’on se fie à sa pratique de chef de parti et de candidat, ou encore à ses premiers pas de Président élu, notre jeune monarque républicain semble développer une approche du pouvoir très verticale, centralisée, autoritaire, «jupitérienne» (pour reprendre ses propres termes). Doit-on y voir l’amorce d’une forme de volontarisme à la Bonaparte (celui du Consulat) dont la conciliation avec le libéralisme, sans être nécessairement impossible, n’en est pas moins problématique à maints égards ? Ce sera là, à n’en pas douter, une question que nous aurons à nous poser dans un proche avenir. Mais cela suppose au préalable d’accorder un peu de temps à notre Président afin de pouvoir mesurer avec précision ce qu’il entend pratiquement par un retour à «l’esprit de la Ve République» – ce qui semble être son intention profonde.

1 — À ne surtout pas confondre avec le «néolibéralisme» des années 1970 et 1980 incarné par des penseurs comme Milton Friedman ou Hayek, et qui correspond bien plutôt à une tentative de retour aux principes du libéralisme classique, qui aurait été «trahi» par Mill et ses successeurs.


Jérôme Perrier et Telos

Jérôme Perrier Agrégé et docteur en histoire
Telos Agence intellectuelle regroupant universitaires et professionnels


Emmanuel Macron est-il vraiment libéral?
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C) Libéral ou capitaliste: ce n’est pas la même chose

Capitalisme et libéralisme peuvent toujours se combiner dans les discours politiques et réalités économiques. Mais, en bout de ligne, ils désignent deux mécanismes coopératifs et deux systèmes théoriques distincts. Plus que cela, ces deux systèmes entrent souvent en conflit.

Certaines erreurs et incompréhensions ont la vie dure, en particulier en économie. Un exemple est la vision qu’ont certains politiciens ou intellectuels, en France et ailleurs, du libéralisme économique[1]. Cette vision est souvent à la fois extensive et restrictive. Elle conduit à justifier trop de dérégulation et pas assez d’intervention.

Deux erreurs sont très répandues.
La première est de confondre libéralisme économique et capitalisme. Le premier justifierait le règne de grandes multinationales dominatrices sur leur marché respectif à partir du moment où une telle situation résulterait d’une compétition (plus ou moins équitable) avec d’autres entreprises. Le concept de «néolibéralisme» illustre ce biais: la défense du libéralisme économique est assimilée à celle de multinationales. Tout au moins, on ne voit pas le problème dans la situation actuelle d’un Apple par exemple.
La seconde erreur est de minimiser le rôle joué par l’Etat moderne dans le fonctionnement des marchés. L’erreur consiste à croire que marchés et entreprises n’auraient nul besoin des institutions publiques pour être efficaces.

Le libéralisme n’est pas le capitalisme

La première erreur est courante. Elle est commise à la fois par ceux qui dénoncent le néolibéralisme[2] et par ceux qui se réclament du libéralisme (par exemple Liberal Alliance au Danemark ainsi que toute une galaxie de mouvements, clubs de pensée en Europe). Elle s’enracine dans une confusion entre défense des marchés libres et défense de certaines entités qui y opèrent: les grandes entreprises, en général multinationales.
Le capitalisme défend l’idée que l’efficience économique est fondée sur l’accumulation du capital (machines, ordinateurs, robots, etc.), la division du travail et la spécialisation des travailleurs. La manufacture d’épingles d’Adam Smith dans De la richesse des nations en est l’archétype. S’il est plus efficient d’accroître la taille des unités de production (jusqu’à un certain point où les rendements marginaux diminuent), c’est parce que l’effet de taille conduit à un abaissement des coûts de production et/ou une augmentation de la productivité, ce sont les rendements d’échelle. Ces derniers résultent de l’accumulation du capital, c’est-à-dire du fait que la productivité globale d’une entreprise est supérieure à la somme des productivités individuelles de ses employés s’ils devaient s’acquitter séparément de leurs tâches.
Ainsi, le communisme tel que pratiqué dans l’Union soviétique était un capitalisme d’Etat, n’en déplaise à certains. Le mécanisme était d’accumuler des moyens de production pour obtenir des rendements d’échelle. Bien évidemment, une différence essentielle tenait dans la propriété des moyens de production –étatique pour le communisme, privée pour le capitalisme– ainsi que dans les buts généraux du régime politique dans lequel cet arrangement productif s’insérait. Mais le mécanisme de base était le même.
De son côté, le libéralisme repose sur l’idée que l’efficience économique découle de l’échange libre entre des agents. Ces derniers peuvent entrer et sortir sans contrainte du marché, possèdent un pouvoir de marché faible (c'est-à-dire qu’ils sont incapables de déterminer les prix), ils ont une connaissance parfaite des prix, etc. (la fameuse compétition «pure et parfaite»). Ces conditions peuvent être considérées comme théoriques, voire utopiques (ce qu’elles sont), elles n’en remplissent pas moins la fonction d’idéal pour tout libéral économique qui se respecte.
Le mécanisme au cœur du libéralisme économique est l’échange mu par deux types de différences entre agents: des différences de préférences (je préfère les bananes aux pommes, vous préférez les pommes aux bananes, on a donc intérêt à échanger) et des différences de «dotations initiales» (j’ai des chaussures, vous avez des pantalons, à moins de me promener en caleçon et vous pieds nus, on a tout intérêt à échanger).
Capitalisme et libéralisme peuvent toujours se combiner dans les discours politiques et réalités économiques. Mais, en bout de ligne, libéralisme et capitalisme désignent deux mécanismes coopératifs (échange vs économie d’échelle) et deux systèmes théoriques distincts. Plus que cela, ces deux systèmes entrent souvent en conflit, car ils ne justifient pas les mêmes mécanismes économiques, politiques publiques et ne s’appuient pas sur les mêmes valeurs.



Si on ne saisit pas cette différence, on ne peut pas comprendre la raison pour laquelle Milton Friedman, monétariste et fervent libéral, considérait que la communauté des affaires et les grandes entreprises étaient les ennemis du marché.
Car grande entreprise rime avec pouvoir de marché, c’est-à-dire possibilité d’imposer ses prix aux consommateurs par exemple, d’autant plus si ceux-ci sont captifs (pratiques courantes pour des entreprises comme Apple, Microsoft ou IBM).
Des entreprises trop puissantes perturbent les lois du marché, bases du libéralisme économique. Elles peuvent bloquer l’entrée de concurrents potentiels sur leur marché. Elles ont tendance à imposer leur prix et donc violer la loi de l’offre et de la demande.
C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis, pays profondément libéral, ont promulgué dès 1890 le Sherman Antitrust Act et une série de lois contre les ententes, collusions et distorsions de marché générées par les grandes entreprises. Ces mesures sont libérales et, dans une certaine mesure, anti-capitalistes puisqu’elles visent à limiter l’accumulation du capital.

Les marchés ont besoin des institutions publiques

Outre la défense injustifiée des grandes entreprises, certains politiciens et intellectuels se réclamant du libéralisme commettent une seconde erreur. Ils conçoivent les marchés comme des institutions qui s’autorégulent. Ou alors ils assument que moins de régulation est forcément bénéfique d’un point de vue libéral.
Le problème est que les marchés ne sont pas des institutions autosuffisantes. Leur création est guidée par des institutions plus «épaisses» et moins spontanées (constitution, droit des affaires, tribunaux, police, parlement, agences publiques etc.). Leur fonctionnement est garanti par ces mêmes institutions. Les marchés ne sont pas des «institutions» au sens où la sécurité sociale, les tribunaux ou la police le sont. Ils constituent des institutions dans un sens allégorique ou trivial (c’est-à-dire qu’ils ont été «institués»).
Pour que des marchés existent et soient efficaces, un certain nombre de biens (en général) publics sont nécessaires.
Les difficultés budgétaires des Etats sont moins dues à la crise qu’à l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales et les ménages les plus aisés

Il faut qu’un système de droits de propriété soit établi par la loi, contrôlé par les tribunaux et garanti par la force. Il faut des routes pour que les biens circulent. Il faut un système de paiement (une monnaie) qui soit garanti par un acteur dont le risque de défaut est minime afin de rassurer les acteurs de marché et sortir d’une économie de troc. Il est nécessaire que les agents (consommateurs et producteurs) soient capables de lire les signaux du marché et de se livrer à des interactions qui satisfassent leurs réels besoins. En d’autres termes, les individus doivent être éduqués, tâche dont tous les Etats démocratiques se sont acquittés avec succès (il suffit de considérer l’évolution du taux d’alphabétisation dans tous les pays dotés d’un Etat providence depuis un siècle et demi). Il est également nécessaire qu’un agent garantisse l’ensemble des marchés contre les risques majeurs comme une crise financière, environnementale, sociale, etc. (tâche dont se sont plutôt bien acquittés la plupart des Etats occidentaux depuis 2007).
En bref, des institutions (des «vraies», épaisses) doivent jouer le rôle d’assureurs de dernier ressort et c’est l’Etat qui est le plus à même de s’en charger.
Penser que les marchés contemporains, complexes, régulés (afin de garantir leur stabilité, la sécurité des employés et consommateurs, la qualité des produits, etc.) peuvent être compris en recourant à des analogies du type «deux individus avec des biens à échanger se rencontrent dans la forêt et hop! Voilà! On obtient un marché» relève soit de la malhonnêteté intellectuelle soit d’une incompréhension profonde de ce qu’est une économie complexe.

Pourquoi ces questions sont importantes

Ces distinctions importent, car elles apportent de la profondeur à notre compréhension des tensions qui traversent nos sociétés, surtout depuis la crise de 2007-2008.
Tout d’abord, elles éclairent la question de l’accumulation du capital sous un jour qui devrait inquiéter les libéraux économiques. Si les récents travaux de Thomas Piketty questionnent l’accumulation du capital par les ménages les plus aisés, il y a un autre problème: celui de la concentration du capital corporatif. L’économie et la société sont actuellement malades, non seulement de la dérégulation des marchés, mais aussi des comportements d’acteurs qui y opèrent: certaines grandes entreprises.
Le problème est multiple. Dans la plupart des pays industrialisés, les grandes entreprises soit paient beaucoup moins de taxes qu’elles ne le devraient, soit n’en paient pas du tout en recourant à l’optimisation fiscale. Elles ne repaient donc pas ce qu’elles doivent à la communauté politique.
Les difficultés budgétaires des Etats sont moins dues à la crise qu’à l’évasion fiscale pratiquée à grande échelle par les firmes multinationales et les ménages les plus aisés, donc par les grands détenteurs de capital. Le problème est que l’évasion fiscale sape la production de biens et services publics (éducation, santé, infrastructures, sécurité, règne du droit, etc.) qui sont nécessaires aux marchés pour fonctionner de manière efficace.
Outre l’impact sur les budgets publics, la concentration du capital offre aussi à une poignée d’individus et d’organisations la possibilité d’influencer de manière décisive divers processus démocratiques (élections, décisions politiques, normes sanitaires et sociales, évaluation des politiques publiques) dans un sens favorable à leurs intérêts. Il s’agit d’un problème qui doit inquiéter n’importe quel libéral au niveau national, mais aussi européen. Si l’idéal libéral est celui d’une société dans laquelle les individus peuvent s’exprimer, échanger, s’associer ou entreprendre sans être soumis à l’arbitraire de qui que ce soit (entité publique ou privée), force est alors de reconnaître que la situation actuelle est très éloignée de cet idéal.
En France et en Europe, libéraux et sociaux-démocrates devraient s’asseoir à la même table et débattre de régulation. De fortes divergences de vues existent et continueront d’exister. Il n’y aura jamais de consensus. Mais, percevoir que les uns et les autres ont intérêt à se soucier de régulation permet de sortir de la fausse dichotomie entre sociaux-démocrates et autres socialistes qui seraient favorables à la régulation et libéraux qui y seraient opposée. Les deux groupes sont inclinés à réguler. Pas de la même façon, c’est certain, mais c’est de cela dont il faut débattre.
L’objectif n’est pas de lutter contre les entreprises ou le capital productif. Les PME-PMI jouent un rôle essentiel, trop souvent négligé, pour l’emploi, la production et l’innovation. Mais les grandes compagnies en sont les excroissances parfois monstrueuses. Si la taille de certaines entreprises est nécessaire au vu des investissements demandés dans le secteur en question (par exemple, transport aérien, industrie lourde), il n’en demeure pas moins que leur pouvoir, leur gouvernance ainsi que le respect qu’elles affichent des règles du jeu social (comme l’imposition) doivent faire l’objet d’un contrôle strict de la part des institutions démocratiques.


Taux moyen de taxe sur les entreprises | Source: kpmg

De ce point de vue, il est inacceptable que le taux moyen de taxe sur les entreprises soit inférieur en Europe à ce qu’il est aux Etats-Unis ou au Japon (21,34% contre 40% et 35,64%).
Par ailleurs, il serait bon de remettre à plat les niches fiscales et autres complaisances dont bénéficient les grands détenteurs de capital.
Le projet est ambitieux. En cela, il nécessite le soutien, au niveau européen, de politiques allant des socialistes aux libéraux.
De manière générale, le public ne devrait pas être dupe de l’usage qui est fait du concept de «libéralisme», à droite comme à gauche, chez certains de ses défenseurs et critiques.
Le libéralisme économique dont nombre de grandes entreprises se réclament et dont beaucoup de partis «libéraux» font l’apologie n’est en fait qu’un libéralisme «instrumental», c’est-à-dire une dérégulation de marchés où ces entreprises ont la possibilité d’acquérir une position dominante en violation directe des principes fondateurs du libéralisme économique. Du point de vue du libéralisme économique, moins de régulation étatique n’est pas forcément une bonne chose. C’est souvent le contraire!
La grande révolution néo-libérale des années 1980 a surtout été une grande révolution capitaliste et les libéraux devraient se soucier de ses conséquences.

1 — L’article porte sur le libéralisme économique, non sur sa forme politique (les liberals anglo-saxons).
2 — Il est intéressant de relever que le courant anarchiste est très fort chez les altermondialistes. En toute logique, ce courant devrait produire une critique du capitalisme, mais moins du libéralisme économique.

Xavier Landes et Claus Strue Frederiksen et David Budtz Pedersen
Xavier Landes Professeur en éthique des affaires et développement durable à la Stockholm School of Economics de Riga
Claus Strue Frederiksen Chercheur à l'université de Copenhague
David Budtz Pedersen Chercheur à l'université de Copenhague
Source



D) Libéralisme, ordolibéralisme, néolibéralisme … Quel fondement économique pour le marché intérieur et le droit européen de la concurrence ?

C’est aujourd’hui une mode, sur la scène politique notamment, que de parler de « déferlement néo-libéral », de « libéralisme à tout va de Bruxelles ». De nombreux vocables sont employés pour qualifier l’ordre économique européen dont on se plaint sur l’ensemble du spectre politique français.
          Toutefois, libéralisme et néolibéralisme sont deux notions différentes. Le libéralisme se réfère à des choses différentes selon que l’on en parle comme courant économique ou comme courant politique. Cela ne signifie pas cependant qu’il n’existe aucun liens entre ces deux notions.
          Il s’agira dans cet article de clarifier le sens de quelques-uns de ces vocables et de les distinguer. On introduira l’analyse d’un courant de pensée économique injustement méconnu : l’ordolibéralisme.  L’injustice vient du fait que ce courant, dit de l’école de Fribourg fonde le « cadre » économique européen du marché intérieur et en conséquence le moule du droit européen de la concurrence.
          Je tiens à avertir le/la lecteur/lectrice qu’il ne s’agira pas ici de dégager toutes les subtilités épistémologiques caractérisant chacun de ces courants.
 
 
          Le libéralisme s’entend le plus souvent de deux manières : le libéralisme politique et le libéralisme économique. Il est souvent reproché à ceux qui emploient le terme « libéralisme » de réduire son sens au seul champ économique. L’application au champ économique est plus tardive que l’application à l’espace économique ; c’est l’avis de Michel Guénaire, avocat et maître de conférence en droit public, dans une interview à la revue Débattitrée « Libéralisme et néolibéralisme ». Il identifie « un libéralisme qui est né du combat des hommes pour la liberté politique, à côté d’un libéralisme qui a réfléchi aux conditions de la création de la richesse des nations. (…) Ces deux libéralismes sont apparus historiquement l’un après l’autre. »[1]
Les deux libéralismes… Du politique à l’économique
          En quelques mots cet article mettra en évidence ce qui fonde le libéralisme politique et comment son influence s’est exprimée dans le champ économique.
          Le libéralisme place la liberté et son exercice, tant qu’il ne nuit pas à l’exercice de celle de son voisin, au sommet de sa hiérarchie de valeurs. A partir de là, un vaste dégradé de courants se dégage selon le degré de liberté promu. Cela va ainsi du libéral-conservatisme au libertarianisme tel qu’il existe aux États-Unis notamment. Le corollaire de cette importance de la liberté individuelle est le retrait de l’État, son effacement. Dans sa leçon du 17 janvier 1979 au Collège de France, Foucauld dit qu’il s’agit de « limiter de l’intérieur l’exercice du pouvoir de gouverner »[2]. Il s’agit de la matrice fondamentale du libéralisme : la liberté individuelle contre le pouvoir de l’État.
          Par extension, cette philosophie s’est traduite dans l’espace économique par une réduction importante de l’intervention de l’État. Les agents économiques doivent pouvoir entrer et sortir d’un marché librement, exercer librement leur activité sans faire l’objet d’une surveillance excessive de l’appareil d’État. En bref, la qualité de toute action politique se mesure à son effet sur la liberté individuelle.
          Ce principe s’est ainsi traduit en économie par la doctrine dite « du laisser-faire ». On considère alors qu’un marché s’autorégule et alloue de manière optimale les richesses qui y circulent entre les différents agents en présence. Le marché est une organisation naturelle au sens où il se met en place sans intervention extérieure. C’est au contraire l’absence d’intervention extérieure qui favorise son apparition et son efficience. Il s’agit d’une idée fondamentale à retenir notamment pour la distinction future avec l’ordolibéralisme. Les agents sont dès lors responsables des actes qu’ils posent et des choix qu’ils font et doivent en assumer les conséquences.
          Ce qui est mis en évidence suffit aux distinctions que l’on souhaite étudier dans cet article. Aussi je tiens à souligner qu’il n’y a pas volonté d’exhaustivité dans la reproduction de l’ensemble des idées véhiculées par le libéralisme.
Le néolibéralisme… un désaveu des principes libéraux ?

          Le néolibéralisme est plus souvent encore mis en cause. En quoi se distingue-t-il dès lors du libéralisme ? Comme nous l’avons vu, le libéralisme politique fonde historiquement et épistémologiquement le libéralisme économique. La thèse de Michel Guénaire, sur la distinction entre néo-libéralisme et libéralisme est à ce propos intéressante.
          Deux critères les distinguent selon lui. Le premier critère est l’inversion de hiérarchie entre liberté politique et liberté économique. Le libéralisme économique a selon lui dévoré le libéralisme politique. « Si j’osais une formule, je dirais que le néo-libéralisme, c’est le libéralisme économique sans le libéralisme politique. »[3]
          La lecture de Foucauld va dans le même sens puisque le néolibéralisme est marqué selon lui par la disparition de la distinction entre sphère politique et sphère économique. Ce courant marque le le début de l’application des principes de l’économie libérale non seulement à la sphère politique mais aussi à l’ensemble de la société. Le marché n’est plus vu comme un endroit à « l‘intérieur », sur lequel l’influence de l’État est limitée. Le marché définit un ordre social dans son ensemble. Il estime que « Le problème du néo-libéralisme, c’est, au contraire, de savoir comment on peut régler l’exercice global du pouvoir politique sur les principes d’une économie de marché. »[4]
          Le deuxième critère de Michel Guénaire est la disparition d’une éducation de l’homme à la morale de la liberté. Il s’agit de l’apprentissage de la responsabilité induite par la liberté donnée aux individus. L’accroissement de la liberté donnée aux individus accroît par voie de conséquence leurs pouvoirs d’action. Il s’en suit selon les libéraux que leur responsabilité doit aussi être à la mesure de l’importance des actes qu’ils posent. Par exemple, une banque doit pouvoir faire faillite lorsque ses placements entrainent des pertes dont elle est responsable. Les plans de sauvetage ont été critiqués par bien des libéraux comme induisant ce que l’on appelle un aléa moral. Il s’agit d’une action favorisant un comportement à risque. Les libéraux estiment ainsi que le fait pour les États de pourvoir en fonds des banques qui ont perdu les leurs en raison de leur comportement, créé cet aléa.
          Ces courants ne permettent pas de fonder le droit européen de la concurrence. En effet, la seule existence d’un droit européen de la concurrence est problématique au regard de ces analyses libérales et néolibérales.
L’ordolibéralisme, un néolibéralisme tempéré pour le marché intérieur

          On peut à présent introduire le courant qui intéresse la construction européenne et le droit européen de la concurrence : l’ordolibéralisme. Il s’agit d’un courant considéré comme étant une forme de néolibéralisme notamment par Foucauld. Il constitue en effet un renouveau des thèses libérales en réaction à l’interventionnisme keynésien. Pour faire le lien avec ce qui a été précédemment dit et aider le lecteur à situer ce courant on peut retenir que Keynes défend l’interventionnisme d’État sur des données directement économiques. L’ordolibéralisme renoue avec les thèses libérales en considérant qu’il faut passer par le marché qui est plus efficient pour allouer des ressources. De nouveau, il y a l’idée que l’État doit voir son rôle limité.
         Il s’agit d’un courant développé dans l’entre-deux guerres en Allemagne à l’école de Fribourg-en-Brisgau. Walter Eucken (1851-1950) en a pensé les principes fondateurs dans son ouvrage Die Grundlagen der Nationalökonomie publié en 1940. Sa pensée s’est déployée toutefois en rupture avec quelques points du libéralisme traditionnel. En effet, il défend l’importance d’une harmonie sociale face à la seule liberté du marché. Ainsi, par comparaison avec le libéralisme, au sommet de sa hiérarchie de valeurs se place l’harmonie sociale et non pas la liberté. A l’origine il y a une sincère ambition sociale influencée par un certain catholicisme social.
          Dans un article titré « L’ordolibéralisme et la construction européenne » Michel Dévoluy, économiste et professeur à l’université de Strasbourg, dégage trois principes essentiels de l’ordolibéralisme[5] :
Des prix libres sont un bon indicateur pour les choix des agents économiques. Il s’ensuit que les « dérives oligopolistiques » doivent faire l’objet d’un contrôle par les Etats.
Lorsque le système économique est efficace, alors les acteurs sont en sécurité. Cette efficacité est conditionnée par l’existence d’une faible inflation et par la maîtrise des finances publiques.
L’État doit soutenir les citoyens les plus défavorisés, l’auteur d’ajouter : « Mais la réalisation de ce commandement n’est pas toujours en phase avec les deux normes précédentes. »[6]
 
          Le point d’origine du droit européen de la concurrence est le premier de ces principes. En rupture avec le libéralisme, le marché n’est plus vu comme étant un ordre naturel optimal. Il doit être construit et protégé par les autorités.
          Dans l’ouvrage cité plus haut, M. Foucauld estime que ce qui caractérise l’ordolibéralisme est la défense d’une « politique de cadre ». Il entend par là une action « sur les données qui ne sont pas directement des données économiques, mais qui sont des données conditionnantes pour une éventuelle économie de marché. » (opus cité p146)
          Hans von der Groeben, diplomate allemand très marqué par l’ordolibéralisme, est le premier commissaire à la concurrence avec l’entrée en vigueur du Traité de Rome en 1957. Il déclare plus tard en 1967 : « La politique de la concurrence ne signifie pas laisser-faire, mais réaliser un ordre fondé sur des normes juridique. »[7]Le pont est alors fait entre l’ordolibéralisme et le droit de la concurrence.
          Cependant l’application du droit européen de la concurrence fait l’objet d’une bataille économique entre l’ordolibéralisme et le néolibéralisme de l’école dite de Chicago. A titre d’exemple, l’École de Chicago défend l’intérêt d’une entorse au droit de la concurrence en matière d’entente lorsque celle-ci se fait au profit du consommateur. Ce type d’argument a pris de l’importance entre la fin des années 90 et 2009. Mais la CJUE a finalement affirmé son opposition à cette rhétorique dans une décision GlaxoSmithKline[8]. La structure concurrentielle du marché doit être protégée pour elle-même. La raison en est la lutte contre les situations dans lesquelles une entreprise détiendrait un trop grand pouvoir de marché.
         On peut achever cet article sur une définition qui nous servira de base pour les prochains. Le droit européen de la concurrence est l’ensemble des règles qui protègent et encadrent le fonctionnement concurrentiel du marché intérieur.
 
François  CURAN



[1] « Libéralisme et néolibéralisme », Revue Débat, 2014 n°78 p 52 à 61
[2]   Naissance du biopolitique, Michel Foucauld, Gallimard, 2004 p 29
[3] « Libéralisme et néolibéralisme », Michel Guénaire, Revue Débat, 2014 n°78 p 52 à 61
[4]  Naissance du biopolitique, Michel Foucauld, Gallimard, 2004 p 137
[5] « L’ordolibéralisme et la construction européenne », Michel Dévoluy, Revue internationale et stratégique, 2016 N°3 p 26 à 36
[6] Ibid.
[7]   « L’ordolibéralisme et la construction européenne », Michel Dévoluy Revue internationale et stratégique, 2016 N°3 p 26 à 36
[8] CJCE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline c/ Commission ; les règles de concurrence protègent « non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché, et ce faisant, la concurrence en tant que tel (…) »


L'heure fuit, le droit demeure

Source

 

octobre 31, 2014

Globalisation - Mondialisation 3/8 (Protectionnisme...)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


L'économie mondiale a beau être en expansion, il n'empêche : les travailleurs et les gouvernements qui les représentent ressentent une inquiétude croissante face au libre-échange. La plupart des changements survenus sur le lieu de travail qui aboutissent à des suppressions d'emplois sont attribuables aux progrès technologiques, mais ce sont les importations qui sont le plus souvent mises au banc des accusés. S'engager dans la voie du protectionnisme, c'est se fourvoyer. Il existe de meilleures solutions à la portée des gouvernements qui veulent apaiser les craintes des travailleurs.

Apaiser les craintes des travailleurs relatives à la libéralisation des échanges

Le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, M. Pascal Lamy, a exhorté la communauté internationale à donner un second souffle aux négociations du cycle de Doha parce qu'il craint que l'échec de ces négociations ne compromette le régime commercial multilatéral fondé sur des règles. Le nœud du problème dépasse les questions concrètes qui sont en jeu dans les négociations. Dans les pays industriels comme dans les pays en développement, l'idée selon laquelle l'intégration économique mondiale apporte des avantages sociaux est de plus en plus souvent remise en question. Dès lors, le recours aux pratiques discriminatoires et à effet de distorsion sur le commerce, à titre d'outil de politique discrétionnaire, est devenu une pratique de plus en plus fréquente dans un grand nombre de pays.

 L'adoption de mesures antidumping, l'application à titre temporaire de droits de douane ou de contingents en cas d'une très forte augmentation des importations, l'octroi de subventions à la production et la mise en place d'une réglementation qui entraîne la distorsion des échanges se comprennent facilement quand la croissance économique stagne. Lorsqu'une économie en expansion ne parvient pas à créer facilement des débouchés pour absorber rapidement la main-d'œuvre disponible dans les autres secteurs, les concessions commerciales et les chocs économiques, seuls ou conjugués, peuvent entraîner des pertes dans les entreprises exposées à la concurrence des importations, en particulier parmi les travailleurs dont les compétences et l'expérience sont spécifiques à leur emploi actuel. De telles mesures peuvent servir à préserver le statu quo.
 
Toute contraction rapide, où qu'elle se produise dans un secteur tant soit peu étendu, s'accompagne d'un coût politique, mais l'érosion de la confiance dans l'ouverture des marchés à travers le monde et dans les règles multilatérales peut surprendre quand la croissance économique est dans l'ensemble robuste. La clé du mystère réside dans l'accélération des mutations technologiques.
 

Les mutations technologiques et l'inquiétude des travailleurs

Ces soixante dernières années, nous avons été témoins d'importantes innovations techniques qui économisent de la main-d'œuvre. Dans la plupart des pays industriels, la productivité affiche une hausse moyenne de 3 à 5 % par an depuis 1950. Dans le même temps, l'emploi dans le secteur industriel n'a guère progressé, quand il n'a pas reculé. Du coup, la proportion des salariés qui travaillent dans le secteur industriel a diminué au profit du secteur des services.
 

Par ailleurs, la baisse mondiale des coûts de transport contribue à l'augmentation du volume des produits industriels qui sont vendus sur le marché mondial, et, depuis une période relativement récente, l'externalisation amène les entreprises dans de nombreux pays à restructurer leurs opérations.

Les changements structurels se produisent à la même vitesse dans bien des pays en développement à mesure que les villes se développent et que l'agriculture traditionnelle et l'industrie artisanale cèdent du terrain à la spécialisation dans la perspective du marché mondial.

Tous ces chocs font qu'un nombre croissant de secteurs de l'économie se sentent menacés par la concurrence internationale, réelle ou potentielle, point de vue qui est courant dans des pays à divers stades de développement économique.
 

Une deuxième question, connexe, a trait à la crainte que l'accroissement des échanges entre les pays développés et ceux moins développés du monde ne soit la cause principale du creusement de l'inégalité des revenus aux États-Unis et du taux élevé de chômage en Europe. Pourtant, comme M. Paul Krugman, professeur d'économie à l'université Princeton, et d'autres encore le font remarquer, la cause probable de ce phénomène est la baisse de la demande interne de main-d'œuvre non qualifiée, cette baisse étant liée aux mutations technologiques qui favorisent les travailleurs très qualifiés. L'intégration économique internationale a peut-être légèrement influencé la cadence des mutations sur le marché du travail, mais celles-ci se seraient produites de toute façon.
 

Pour autant, l'angoisse que suscite la précarité de l'emploi se cristallise sur la libéralisation des échanges en partie parce que les suppressions d'emplois s'avèrent souvent coûteuses dans les branches d'activité qui se heurtent à une forte concurrence face aux importations. Toutefois, il ne faut pas que les États réagissent à cette insécurité en abandonnant leur attachement raisonné à l'ouverture sur le marché mondial et en s'appuyant plus lourdement sur le protectionnisme administratif et d'autres mesures visant à favoriser des entreprises ou des secteurs précis de l'économie.
 

Les écueils d'une solution protectionniste

La concurrence la plus importante qui se livre à l'intérieur d'un pays oppose non pas des entreprises nationales à des rivales étrangères, mais des entreprises nationales entre elles qui se disputent une main-d'œuvre et des capitaux en quantité insuffisante. Les barrières commerciales et les subventions nationales parviennent peut-être à accroître la production, l'emploi et les bénéfices dans certains branches d'activité, mais elles le font au détriment d'autres entreprises nationales qui ne sont pas avantagées par les subventions ni par les mesures de protection. Et si les bénéfices des entreprises favorisées proviennent de la hausse des prix sur le marché national plutôt que de l'accroissement de la productivité, cela signifie que des tiers dans le pays y perdent de leurs deniers. Autrement dit, le revenu national n'augmente pas.
 

De telles mesures dressent les consommateurs et les entreprises importatrices d'intrants intermédiaires contre les fabricants de produits concurrents des importations, lesquels ont souvent des relations politiques haut placées. Souvent opaques et issues de travaux menés dans les coulisses, les mesures protectionnistes élargissent le rayon d'action des groupes de pression. Cette recherche de bénéfices excessifs, improductive sur le plan social, a souvent pour effet de redistribuer le revenu au détriment des habitants les plus démunis et de détourner des ressources, maigres au demeurant, des secteurs susceptibles d'encourager fortement la croissance économique.
 

Un avantage de l'ouverture aux échanges, c'est que les prix sur le marché mondial nous renseignent mieux sur la pénurie des denrées que les prix déformés par l'intervention de groupes de pression. De même, ils incitent davantage les consommateurs et les entreprises du pays à utiliser les ressources de manière à maximiser la valeur du revenu national. Dans les pays dont l'économie est plus ouverte, entreprises et consommateurs ont souvent une plus grande gamme de choix de biens de meilleure qualité, et la diffusion des technologies se produit à une cadence plus rapide si celles-ci sont intégrées à des intrants importés ou à des investissements étrangers.
 

Un autre avantage, c'est que l'ouverture aux échanges diminue l'emprise sur le marché que les industries nationales à forte concentration ont dans leur pays. L'ouverture est une politique de la concurrence très efficace. Cette remarque s'applique particulièrement aux pays en développement de petite taille dans lesquels beaucoup de branches d'activité ne comptent qu'une ou deux grandes entreprises.
 

Quelle est la meilleure façon de réagir ?

Dans les pays au secteur public bien développé, on peut s'attaquer à la précarité de l'emploi en mettant en place un certain nombre de programmes. D'anciens outils, tel le programme d'aide élargie à l'ajustement commercial, qui octroie des ressources au recyclage professionnel des travailleurs licenciés pour des raisons commerciales, peuvent mieux faire accepter les accords commerciaux par des corps législatifs sceptiques. Malheureusement, de tels programmes pèchent par leur complexité administrative, et ils n'atteignent pas toujours les travailleurs qui ont le plus besoin d'aide ou qui pâtissent le plus de la conjoncture commerciale. Les programmes les plus susceptibles de revitaliser la libéralisation des échanges sont ceux qui s'attaquent directement aux causes de l'inquiétude des travailleurs et qui touchent le plus grand nombre d'entre eux.
 

Dans un document d'orientation de l'Institut Peterson d'économie internationale, Mme Lori Kletzer, de cet institut, et M. Robert Litan, de l'Institut Brookings, prônent la mise en place d'un nouveau filet de sécurité pour tous les travailleurs licenciés. Une assurance-salaire et une assurance-maladie subventionnée en faveur des travailleurs qui sont réembauchés forment les deux piliers de leur proposition. Même si celle-ci s'applique aux États-Unis, l'idée de la fourniture d'une assurance sociale visant à protéger les travailleurs contre leurs plus grandes craintes quand ils perdent leur emploi a de quoi séduire. L'assurance-chômage actuelle ne fait rien pour atténuer la peur de la diminution de salaire qui accompagne les réembauches, et le versement des indemnités uniquement au moment de la reprise des travailleurs aurait tendance à raccourcir la durée du chômage et à accélérer l'acquisition de nouvelles compétences sur le lieu de travail.
 

Une autre formule consiste à élargir le recours aux incitations fiscales à l'appui du recyclage. Les entreprises pourraient étaler les coûts de la formation sur plusieurs années, et les travailleurs pourraient bénéficier de déductions ou de crédits d'impôt pour les dépenses éducatives associées à leur participation à des programmes qui remplissent les conditions nécessaires.
 

Dans un grand nombre de pays en développement, le secteur public a le bras beaucoup moins long, et il y a clairement des mesures auxquelles le gouvernement devrait accorder un plus haut rang de priorité qu'il ne le fait pour la politique industrielle ou la gestion du commerce extérieur. L'une de ces mesures devrait être l'élaboration d'une législation fiscale judicieuse et dépourvue d'ambiguïté et dont l'application relèverait d'un appareil judiciaire indépendant et impartial de manière à faciliter la perception des recettes fiscales dans un souci d'efficacité et d'équité. En outre, l'élargissement de l'assiette de l'impôt permettrait aux États de percevoir davantage de recettes tout en allégeant la fiscalité, notamment par le biais de la diminution des droits de douane élevés sur les importations et des impôts également élevés sur les revenus, les lourdes ponctions fiscales incitant à la fraude et à la corruption des agents publics.
 

Une saine base des recettes fiscales donnerait aux pouvoirs publics des pays en développement les moyens d'entreprendre de nombreuses tâches qu'ils sont seuls à pouvoir assumer. Les jeunes ont besoin d'un cadre de base pour progresser dans leur scolarité, en particulier aux niveaux primaire et secondaire. L'avantage comparatif est un objectif mobile et, au vu de la rapidité des mutations survenues dans un passé récent, les travailleurs devront avoir des compétences polyvalentes qui leur permettront d'exercer une activité salariée dans un grand nombre de branches d'activité tout au long de leur vie professionnelle. Un plus grand nombre de personnes doivent avoir accès à des soins médicaux de base pour que leur vie active ne soit pas compromise par des maladies chroniques faciles à éviter. Enfin, toute personne devrait pouvoir compter sur un filet de sécurité sociale de base pour que l'angoisse en matière d'emploi ne tourne pas à la phobie des changements nés du marché mondial.
 

M. Pascal Lamy pourrait bien voir juste. Il y a effectivement un risque que l'échec des négociations de Doha ne déclenche l'adoption d'une série de mesures de repli, voire de tactiques du « chacun pour soi  », tels les dévaluations de surenchère et l'accroissement des barrières protectionnistes. Ceci dit, l'avenir de l'intégration économique mondiale pourrait se jouer non pas tant à la table des négociations mondiales qu'en fonction de la réponse des pays face à l'inquiétude de leurs travailleurs.

2007 



Protectionnisme

De Wikiberal
Le protectionnisme est une pratique politique selon laquelle l'État réglemente l'économie pour « protéger » l'industrie nationale, le commerce national, etc. On qualifie souvent des pratiques isolées de protectionnistes sans que cela engage une politique générale.
C'est l'une des erreurs économiques courantes dénoncées avec le plus d'ardeur par les libéraux, qui rappellent que seuls en bénéficient les producteurs « protégés », au détriment de tous les autres qui paient plus cher indûment les mêmes produits ou services. 
Le protectionnisme peut être « défensif » (dirigé contre l'arrivée de produits étrangers importés dans le pays) ou « offensif » (cherchant à favoriser les exportations en faussant le marché extérieur). Le protectionnisme défensif s'exerce soit de façon forte (interdiction d'entrée sur le territoire des produits visés), soit de façon dissuasive, fiscalement, en imposant des taxes supplémentaires sur les produits.
On peut dire que le protectionnisme est un monopolisme nationaliste, mis en œuvre autant par la droite que par la gauche, la droite (dans la tradition colbertiste), le voyant comme une façon de renforcer l'industrie nationale, la gauche de protéger l'emploi contre les pays à bas salaires.

Les différentes formes du protectionnisme

Les États prétendent protéger les productions nationales de la concurrence étrangère. Aussi, il est important de vérifier les points suivants :
  • les prescriptions en matière d'enregistrement,
  • les redevances et impositions à la frontière : les droits de douane (barrières tarifaires)
  • les licences d'importation : les quotas d'importation ou appelés aussi les restrictions quantitatives (barrières non tarifaires)
  • les obstacles techniques au commerce
  • les normes nationales
  • l'exception culturelle
  • la "préférence nationale" (par exemple le Jones Act aux États-Unis interdit la pratique du cabotage maritime aux navires ou équipages non américains)
  • les autorisations administratives
  • les réglementations sanitaires et phytosanitaires
  • les subventions à l'exportation
  • les politiques publiques concernant le trafic en transit
  • le régime d'investissement direct
  • les aides diverses, directes et indirectes
  • les questions de propriété intellectuelle
  • les menaces directes[1]

Le protectionnisme : une erreur économique et une erreur morale

Pourquoi les libéraux sont-ils opposés au protectionnisme ?
  • pour des raisons morales : le protectionnisme est l'expression de la loi du plus fort, celle de l'État, qui favorise arbitrairement certains producteurs aux dépens d'autres (étrangers ou non) ;
  • pour des raisons économiques : contrairement à ce que beaucoup pensent naïvement, le protectionnisme ne profite pas aux pays qui le pratiquent. Son seul effet, résultant de la fermeture du marché, est d'augmenter les coûts des produits dans le pays protectionniste, et ceci au profit de quelques producteurs qui s'enrichissent indûment.
Dans sa version agressive, c'est à dire quand il s'exerce hors des frontières, le protectionnisme oblige certains pays étrangers à commercer exclusivement avec le pays protectionniste, par la force ou par des prix artificiellement bas (compensés par des subventions étatiques aux producteurs) ; dans ce dernier cas, ce sont les contribuables du pays protectionniste qui sont volés au bénéfice des producteurs de ce même pays.
Il est faux d'affirmer que le protectionnisme est pour un pays une façon de s'enrichir tant qu'on n'a pas cherché qui s'enrichit ainsi : ce qui se passe le plus souvent est une redistribution à l'intérieur du pays, aux dépens des uns (consommateurs ou contribuables selon les cas) et au bénéfice des autres (producteurs).
Un produit de bonne qualité, ou offrant un bon rapport qualité/prix, n'a pas besoin de mesures protectionnistes pour se vendre. Le protectionnisme n'est qu'une tentative de changer par la force une situation commerciale défavorable.
Le seul cas où le protectionnisme peut enrichir un pays est celui où un pays est assez puissant pour imposer ses vues aux autres pays et les contraindre à acheter ses produits au prix qu'il souhaite : ce n'est pas autre chose en ce cas qu'une spoliation des autres pays, mais elle a aussi un coût politique, diplomatique et fiscal (plus ou moins caché).
Tout l'art du politicien promoteur des mesures protectionnistes consiste à faire croire qu'une telle politique s'exerce, quand il ne s'agit pas de nationalisme pur et simple, au nom de "l'intérêt général", ce cache-sexe habituel des intérêts privés.

Description

Parmi les doctrines protectionnistes, citons la réciprocité commerciale, la balance du commerce, l'indépendance nationale, les industries stratégiques, l'exception culturelle, etc.
La pensée libérale s'oppose, en règle générale, au protectionnisme. En effet, l'échange est considéré comme étant une action positive car les participants à cette action fondamentale échangent par intérêt, car sinon cette action n'aurait pas de sens, pas lieu d'exister : chacun y gagne. De cette définition de l'échange, selon laquelle elle est une action volontaire qui découle de la libre initiative des individus, la pensée libérale estime que tout protectionnisme, car celui-ci ne pouvant être qu'imposé, s'oppose au libéralisme.
Examinons les différentes formes que peut prendre le protectionnisme. Tout d'abord il existe un « protectionnisme des idées ». Ce protectionnisme soutient la censure et le non-respect de la liberté d'expression. Il s'agit, pour les personnes qui mettent en place ce type de protectionnisme, de protéger une pensée, une parole, contre une autre car cette dernière est jugée néfaste, nuisible pour la société, ou pour le groupement d'individus qui forment la communauté. Cette forme de protectionnisme a largement été utilisée par les régimes nazis et communistes pour manipuler l'opinion publique. Le but étant de former la population, d'en faire des moutons bien dociles, et de limiter la liberté d'expression des moutons noirs en les enfermant, en les avertissant, et au pire des cas en les tuant. Ainsi, la pensée libérale stipule un respect total de la liberté d'expression. En effet, un des pouvoirs, dont dispose l'individu critique, réside justement dans cette liberté de penser, de publier des idées qui, si elles peuvent heurter la sensibilité de certains, expriment la pensée de l'individu et donc sa liberté de penser. Dans cette vision, le libéralisme s'oppose aux susceptibles, aux partisans de la pensée unique. Le libéralisme est donc un mouvement fortement humaniste puisque le libéral accepte toutes les pensées dès lors que ces pensées ou ces actions ne violent pas les libertés individuelles.
Le protectionnisme s'exprime aussi dans la sphère économique : en effet, l'État est un champion du protectionnisme. Tout d'abord sur le plan interne, de par les subventions, les aides qu'il accorde à des activités, les impôts qui handicapent l'échange… Cette forme de protectionnisme est presque plus néfaste que la précédente puisqu'elle se justifie par l'intérêt général, celui-ci étant jugé supérieur à l'intérêt individuel. Le protectionnisme stipule donc fondamentalement le collectivisme, ou plus précisément un collectivisme inconscient. Or, on peut se demander si son but principal n'est pas de défendre la classe dirigeante et les privilèges dont celle-ci dispose, et non un intérêt général fictif. Adam Smith ne pensait-t-il pas qu'un des rôles de l'État est de défendre les riches contre les pauvres ?
Enfin, le protectionnisme peut être extérieur : il s'agit de protéger le marché intérieur du commerce extérieur (droits de douane, accords d'autolimitation…). Il se justifie donc aussi par l'intérêt général : l'intérêt que les nations ont à protéger leurs industries. Or, en réalité la protection ne concerne pas l'intérêt général mais bien l'intérêt des industriels qui cherchent à défendre leurs activités. Plusieurs penseurs, comme Friedrich List (Système national d'économie politique, 1841) estiment qu'il faut protéger les industries « naissantes » contre la concurrence extérieure. En effet, les industries à leur naissance ne peuvent pas lutter contre la production internationale. Ainsi, le commerce international ne peut être bénéfique qu'entre nations ayant un niveau de développement comparable. J-M. Jeanneney pense que l'Europe subit une mutation aussi importante que celle qui justifiait la position de List au XIXe siècle, du fait de l'émergence de la Chine par exemple. Plus généralement, les nations appliquent le protectionnisme de manière visible ou plus camouflé en se référant à la doctrine japonaise: « les affaires c'est la guerre ».
Le protectionnisme, sous toutes ses formes, a donc largement été utilisé par toutes les formes de pouvoir, d'autorité, qui cherchent à limiter les libertés individuelles. L'intérêt général, ou les intérêts d'un groupe, étant largement sa justification première. Or, l'intérêt général est une fiction non mesurable, une utopie qui ne peut que conduire au totalitarisme.
Est-ce que vous percevez le protectionnisme tous les jours?

Position libérale

Les économistes libéraux ont depuis la Richesse des nations d'Adam Smith (1776) beaucoup critiqué les théories mercantilistes des protectionnistes. Selon les libéraux, le protectionnisme est une imposture intellectuelle qui ne sert qu'à favoriser des groupes d'intérêt aux dépens du plus grand nombre et du bien public. Lire par exemple les Sophismes Économiques de Frédéric Bastiat (1845), et sa Pétition des fabricants de chandelle.
Alors que le libre marché est une démocratie de consommateurs, le protectionnisme est le socialisme des producteurs, qui consiste à faire peser sur le contribuable la protection politique de secteurs économiques défaillants. Défendre le protectionnisme, c'est cautionner la raréfaction autoritaire des marchandises et la hausse artificielle des prix. Cela revient donc à gruger le consommateur, obligé de se contenter de biens et services moins bons ou plus coûteux quand l'accès aux biens ou services qui l'intéressent lui est interdit. Des patrons de sociétés qui demandent des aides à l'État ne sont pas de vrais entrepreneurs, mais des confiscateurs de richesses.
Comme toute intervention étatique, le protectionnisme a des effets positifs, mais qui ne concernent qu'une minorité et sont financés par l'impôt ou par les consommateurs, c'est-à-dire par des effets négatifs pesant sur les autres. La propagande étatique montrera les effets positifs (« on protège l'emploi » en achetant « national », on « sauvegarde nos industries », etc.) et dissimulera soigneusement les effets négatifs (renchérissement des biens et services, perte de qualité et de compétitivité, alourdissement de la charge fiscale).
D'un point de vue économique, l'erreur du protectionnisme est de croire qu'il n'y a pas de relation entre importations et exportations, et qu'on peut agir sur les unes, supposées néfastes (les importations), sans conséquence sur les autres, supposées favorables (les exportations). Il n’y a pas d’exemple dans l'histoire d’un pays qui ait été ruiné par le libre échange, alors que le protectionnisme appauvrit tout le monde, tant le pays qui l'instaure que les pays émergents auxquels on refuse ainsi le droit de se développer.
Un des arguments parfois avancés par les partisans du protectionnisme est celui de la symétrie : « notre pays doit se protéger, parce que les autres pays en font autant et protègent leur marché intérieur ». C'est un non sequitur : si les autres pays décident de renchérir le prix des produits importés par des mesures protectionnistes, ils sont les premiers perdants, et il n'y a aucune raison pour les imiter dans leurs erreurs. Le protectionnisme motivé par des raisons exclusivement politiques (comme le fut le Blocus continental napoléonien de 1806 à 1814) relève d'un masochisme absurde, un jeu perdant-perdant : on est prêt à s'appauvrir en espérant qu'en contrepartie cela appauvrisse également l'ennemi.
Certains libéraux assimilent le protectionnisme à un racisme qui ne dit pas son nom : faire du commerce avec les nationaux serait bien, tandis que faire du commerce avec les étrangers serait mal, car « cela détruit des emplois nationaux ».
Le mensonge central du protectionnisme consiste à faire croire qu'il désavantage les étrangers et profite aux seuls nationaux, et notamment aux entreprises nationales. Or le protectionnisme viole non seulement les droits des consommateurs, mais aussi ceux de nombreux producteurs. Il nuit automatiquement à toutes les entreprises autres que celles qu'il privilégie en amputant le pouvoir d'achat général, et plus directement à celles qui dépendent d'approvisionnements étrangers pour maintenir leur compétitivité, ainsi qu'aux exportateurs qui ont besoin que l'étranger vende dans le pays pour avoir les moyens d'acheter des produits du pays.

Psychologie du protectionnisme

Le protectionnisme a un avantage psychologique sur le libre-échange : il a des partisans, ceux qui en bénéficient directement (entrepreneurs protégés) ou indirectement (politiciens, nationalistes), tandis que ceux qu'il désavantage ne comprennent pas de quelle façon ils sont dépouillés :
Même si on démontrait d'une façon tout à fait évidente que la protection entraîne toujours une destruction de richesse, si on arrivait à l'enseigner à tous les citoyens, tout comme on leur apprend l'ABC, la protection perdrait un si petit nombre de partisans, le libre-échange en gagnerait si peu, que l'effet peut en être à peu près négligé, ou complètement. Les raisons qui font agir les hommes sont tout autres. (Vilfredo Pareto, Manuel d'économie politique))

Erreur courante : « protéger l'emploi »

L'argument central en faveur du protectionnisme qu'avancent ses partisans est le plus souvent la préservation des emplois nationaux : un pays à haut niveau de vie et salaires élevés ne pourrait soutenir la concurrence de pays où les salaires sont beaucoup plus bas, et par conséquent où les produits et services sont moins chers. Des droits de douane (droits d'entrée pour les marchandises importées) ou des quotas d'importation seraient donc nécessaires pour rétablir l'équilibre vis à vis de cette concurrence « déloyale ».
En réalité, le protectionnisme accélère le déclin. Il permet certes de sauver temporairement quelques emplois et industries, mais en réduisant le niveau de vie et le revenu des consommateurs de produits étrangers (car ce sont eux qui payent les droits de douane !), en augmentant les coûts de production interne (les producteurs employant des produits du secteur protégé, plus chers), en rendant par conséquent moins compétitifs les producteurs au niveau international. Finalement, il diminue l'attractivité du pays pour les étrangers qui, ne pouvant y vendre leurs produits, ne disposent pas en retour de fonds dans la monnaie du pays protectionniste.
Le résultat est que, pour sauver quelques emplois inefficaces, un bien plus grand nombre d'emplois efficaces sont détruits ou non créés. Au lieu de profiter de la loi des avantages comparatifs en se spécialisant dans des secteurs à forte valeur ajoutée, le pays préfère prolonger la survie de secteurs non rentables.
Les politiciens protectionnistes ne mettront évidemment en exergue que les côtés positifs, visibles (« on a sauvé des emplois ») sans insister sur les côtés négatifs (voir aussi la parabole de la vitre cassée). Quand le coût des emplois « sauvés » devient excessif et ne peut plus être assumé, on assiste à des reconversions douloureuses : le protectionnisme n'a servi qu'à repousser le problème à un peu plus tard, au bénéfice des politiciens du moment.
Si la logique protectionniste était poussée jusqu'au bout par les politiciens, on aboutirait à des pays qui vivraient en autarcie totale et emploieraient des techniques complètement dépassées : n'aurait-il pas fallu protéger l'emploi des charrons, sabotiers, forgerons, conducteurs de diligence, vendeurs de bougies, porteurs d'eau, allumeurs de réverbères, etc. Le rêve secret du protectionniste, c'est d'aboutir à un monde figé pour toujours, en contradiction avec toute réalité[2]. Le protectionniste est un réactionnaire !
Il est d'ailleurs étonnant de voir resurgir, de la part de certains intellectuels (par exemple Emmanuel Todd, et avant lui Maurice Allais), la préconisation d'instaurer un "protectionnisme continental", cela plus de deux cents ans après le Blocus Continental napoléonien qui avait réussi à appauvrir davantage le continent...
Si le but affiché du protectionnisme est d'entraver les importations étrangères et de favoriser l'exportation des produits nationaux (mercantilisme), on peut dire que le protectionnisme est contradictoire puisqu'il va à l'encontre même de ce but, les étrangers ne disposant pas de suffisamment de monnaie nationale pour acheter les produits nationaux (du fait de la barrière protectionniste qui les empêche de vendre leurs produits). Le protectionniste, méconnaissant la nature de l'échange économique, croit qu'exportations et importations sont déconnectées, et qu'on peut agir sur les unes sans impact en retour sur les autres.

Interventionnisme

De Wikiberal
L'interventionnisme désigne un type de politique par laquelle l'État s'ingère dans l'économie ou dans les structures sociales d'un pays à des fins diverses.  
L'interventionnisme est intrinsèquement lié à la raison d'être de la politique et de l'État. Il s'agit pour cette organisation d'accorder des faveurs à telle ou telle corporation au détriment des droits des individus (notamment, au travers de la taxation, de la règlementation, ou d ela subvention).
Toutes les activités humaines sont susceptibles d'être perturbées par les interventions de l'État, depuis la production de la sécurité (monopole policier, judiciaire et militaire) jusqu'à l'industrie du divertissement (ex: les litanies sur l' « exception culturelle ») en passant par le secteur de l'alimentation (fixation du prix du pain) ou le marché immobilier (contrôle des loyers), etc. La liste pourrait s'allonger indéfiniment.
L'interventionnisme est le plus souvent d'ordre domestique, mais il peut aussi se traduire par des actions dirigées vers des zones extérieures à la juridiction habituelle de l'État; pensons aux politiques bellicistes. Chaque fois, la liberté des administrés s'en voit réduite, tandis que ces politiques bénéficient à quelques privilégiés, amis du pouvoir.
L'interventionnisme social-démocrate s'exerce avec le plus de vigueur dans le domaine de l'économie, par la subvention, le protectionnisme, les réglementations en faveur de certains acteurs économiques, etc. Comme le disait Jean-Baptiste Say, dans son Traité d'économie politique: "S'il y a quelque bénéfice à retirer d'une entreprise, alors elle n'a pas besoin d'encouragement; s'il n'y a point de bénéfice à en retirer, alors elle ne mérite pas d'être encouragée."
On parle parfois d'"ingénierie sociale" pour désigner tous les "efforts" que la technocratie (les "ingénieurs sociaux") déploie pour "améliorer" la société, efforts qui n'aboutissent qu'à l'aggravation de la situation :
En apparence, il semble à beaucoup que le libre marché est un endroit chaotique et anarchique, alors que l'intervention du gouvernement impose des valeurs d'ordre et de communauté à cette anarchie. En fait, la praxéologie - l'économie - montre que la vérité est tout à fait l'inverse. (Murray Rothbard)

La théorie de Murray Rothbard : l’intervention binaire et triangulaire

Rothbard invente des catégories d'analyse originales pour comprendre les effets économiques de l'intervention de l'État. Il fait la distinction entre l’intervention binaire dans laquelle l'envahisseur force un sujet à un échange ou à un don unilatéral d'un bien ou d’un service, et l’intervention triangulaire dans laquelle l'envahisseur force ou prohibe un échange entre un couple de sujets.
Tous les types d'intervention sont des cas de relation hégémonique, où entrent en relation l'ordre et l'obéissance :
  • le type binaire entre envahisseur et sujet,
  • le type triangulaire entre envahisseur et au moins deux sujets. Les interventions binaire et triangulaire sont des types de relation qui comportent l'échange de biens ou de services, la première entre deux personnes incluant l'envahisseur (l'envahisseur et le sujet), la deuxième entre deux personnes n’incluant pas l'envahisseur (un couple de sujets qui échangent).
Dans le premier cas, il y a un échange qui, autrement, ne se serait jamais produit sans intervention. Dans le second cas, s'insère un échange qui se produirait autrement dans des conditions différentes. En focalisant son attention sur l'intervention de l'État dans l'économie, Rothbard considère comme cas d'intervention binaire le budget du gouvernement, la taxation, les frais de fonctionnement du gouvernement, l'inflation ; et comme cas d'intervention triangulaire le contrôle des prix et des produits, dans lequel il fait même rentrer les analyses du monopole.

Les raisons profondes de l'interventionnisme étatique

L'interventionnisme est inséparable de l'étatisme :
  • contrairement à une entreprise, l’État n'a aucune exigence de rentabilité, le coût de ses actions n'est jamais évalué et les politiciens sont irresponsables, ne subissant jamais les conséquences de leurs actes : quelle que soit la décision politique, les décideurs ne sont pas les mêmes que les payeurs, qui ne sont pas les mêmes que les bénéficiaires ;
  • n'importe quelle intervention trouve toujours une justification, les politiciens s'ingéniant à cacher les conséquences négatives de leurs actions pour ne se prévaloir que des conséquences positives (parabole de la vitre brisée) ; la justification la plus courante, outre le prétendu "intérêt général", est la prétendue défaillance du marché ;
  • l'existence de l'État découlant de la loi du plus fort, rien ne peut entraver son action (si ce n'est une dette publique excessive, la désincitation causée par un impôt excessif ou une révolte politique des spoliés) : l'interventionnisme est donc extrêmement difficile à freiner ;
  • comme l'explique la théorie du choix public, l'interventionnisme permet aux élus et fonctionnaires de justifier leur existence en favorisant certains groupes sociaux au détriment d'autres : il y a toujours une clientèle pour l'interventionnisme, l'illusion fiscale empêchant les spoliés de prendre conscience de leur statut.

Mécanisme général de l'interventionnisme étatique

Thomas Sowell décrit ainsi les 3 phases successives qu'emprunte tout interventionnisme étatique :
  1. invoquant une "défaillance du marché", les hommes de l’État ou leurs intellectuels idéologues identifient un "problème" causé par ce "dysfonctionnement" du marché ;
  2. ils proposent une solution à ce problème, solution qui passe par un interventionnisme accru, qui leur permettra par la même occasion d'accroître leur pouvoir et leur richesse ;
  3. devant les nouveaux dégâts induits par l'intervention, les hommes de l’État expliquent que leurs idées n'ont pas été appliquées correctement ou trop timidement ; ils ont un nouveau plan pour faire face aux nouveaux dysfonctionnements (retour à la première étape).
Cette description rejoint le "principe des calamités" énoncé par Michel de Poncins : une calamité d'origine publique conduit toujours à une autre calamité publique pour soi-disant corriger la première.

Exemples

Un exemple en bande dessinée

Dans Obélix et Compagnie, bande dessinée parfois prise à tort pour une critique de la spéculation capitaliste[1], les Romains décident de corrompre les irréductibles Gaulois en leur achetant à prix fort des menhirs, dans l'espoir que la richesse les transforme en "décadents" et qu'ils cessent ainsi d'être une menace[2]. Attiré par la perspective de devenir "l'homme le plus important du village", Obélix se transforme en un riche entrepreneur fabricant de menhirs. Le village change rapidement d'aspect et s'organise selon une nouvelle division du travail tirée par la "demande" romaine. Astérix et Panoramix décident de prendre les Romains à leur propre piège en suscitant une concurrence dans le village en matière de fabrication de menhirs. Jules César et l'État romain se trouvent submergés de menhirs et s'emploient à les revendre à Rome, en créant une demande chez les Romains par une astucieuse campagne de marketing (d'autant plus remarquable que le menhir n'a aucun usage pratique). La forte demande de menhirs qui s'ensuit suscite une nouvelle concurrence à Rome même ("achetez le menhir romain"), ce qui fait chuter les prix. Le résultat final est que l’État romain s'est appauvri davantage sans être parvenu à réaliser aucun des buts initiaux de son interventionnisme.
Cet album illustre brillamment plusieurs caractéristiques de l'interventionnisme étatique :
  • l'action vise un but très douteux, voire irréalisable (s'il était réalisable et utile, il se produirait sans interventionnisme, étant pris en charge par la société civile et les entreprises) ;
  • les coûts de cette action sont, soit ignorés, soit largement sous-estimés (la politique est conduite sans qu'on se préoccupe de son coût) ;
  • l'interventionnisme a des effets indéniables à court terme (notamment des effets d'aubaine), qui s'estompent rapidement car l'interventionnisme, absurdité économique, devient insoutenable pour l’État (qui ne dispose pas de ressources infinies) ;
  • l'échec inévitable ou les conséquences négatives de l'action étatique se heurtent à l'irresponsabilité institutionnelle des gouvernants (les décideurs ne sont pas les payeurs, les payeurs ne sont pas les bénéficiaires) ;
  • quand on tire le bilan de l'intervention, on n'a abouti qu'à une destruction nette de richesse (voir aussi la loi de Bitur-camember).
Notes :
  1. Dans l'album, contrairement à ce qui se passe dans la spéculation ordinaire, c'est l'État romain (en fait son représentant, Caius Saugrenus) qui décide complètement des prix et de la demande (du fait qu'il ne peut ni canaliser l'offre ni empêcher la concurrence, sa stratégie échoue : revanche de l'économie sur la politique).
  2. L'idée de corrompre les Gaulois revient à un "néarque", Caius Saugrenus, sorti de la « Nouvelle École d'Affranchis », caricature de l'ENA. Uderzo a d'ailleurs donné à Saugrenus les traits de Jacques Chirac, premier ministre de l'époque (1976).

Mercantilisme

De Wikiberal
Le mercantilisme est une doctrine économique qui prône le développement économique par l'enrichissement des nations au moyen du commerce extérieur. Elle se situe historiquement à la fin du Moyen Âge. Elle marque aussi la fin de la prééminence des doctrines de l'Église (la chrématistique) dans l'organisation sociale.
Le mercantilisme constitue un système simple dans la mesure où l'analyse du système social n'est pas prise en compte. Les écrits mercantilistes développent une problématique triviale : celle de l'enrichissement. Son élaboration s'est faite de la fin du XVe siècle jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Sur une telle période les hypothèses ont bien sûr évolué, rendant la doctrine assez vague. Elle se répandra dans la plupart des nations d'Europe en s'adaptant aux spécificités nationales.
On distingue ainsi parfois le bullionisme (ou « mercantilisme espagnol »), le colbertisme (ou « mercantilisme français », voire « industrialisme ») et le commercialisme (ou « mercantilisme anglais »). 

Les principaux concepts

  • La richesse est constituée de métaux précieux qu'il faut thésauriser.
  • L'accumulation de la richesse des nations découle du solde positif des échanges extérieurs. D'où les efforts de chaque nation pour drainer les excédents monétaires dérivés du commerce international et de l'exploitation coloniale.
  • Mise en place de mesures pour garantir une balance commerciale positive, notamment en stimulant ou créant des productions nationales.
  • En taxation des importations, et protection du marché intérieur pour les manufactures locales, au bénéfice de monopoles de production. Et destruction des productions concurrentes des nations dominées.
  • Subsides à l'exportation, aux monopoles, commandes publiques.
  • Affaiblissement des corporations et du petit producteur indépendant au profit des manufactures dans les villes portuaires ou sous la protection spéciale du roi.
  • L'économie est un jeu à somme nulle dont la mise est le stock de métaux précieux. Tout le monde ne pouvant gagner, ce que certains gagnent, d'autres le perdent.


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