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juin 01, 2019

Crise - Implosion du système - Révolution - Stratégie - X. Guilhou

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Sommaire:

A) Vous vouliez une « transition », vous avez une « révolution » !

B)1«Ainsi va le monde...et c’est ainsi depuis toujours!» De la crise de modèle à l’implosion du système





A) Vous vouliez une « transition », vous avez une « révolution » !  

La bataille des images fait rage sur les écrans et les réseaux sociaux autour de symboles profanés. Les commentateurs ouvrent allègrement des boites de Pandore en parlant d’insurrection et de guerre civile sans savoir ce que c’est réellement. Pendant ce temps la France glisse dans la confusion, la sidération et l’émotion. Il y a 10 ans, quand j’ai écrit « Quand la France réagira... »1, j’avais évoqué, comme le ferait un médecin de façon préventive, trois symptômes pour qualifier la gravité de la crise qui caractérise notre pays à savoir :

 Le symptôme argentin du fait de la courbe de la dette et de la faillite des politiques publiques qui permettent de masquer le déclassement du pays et de bloquer toute transformation de notre société afin de maintenir l’illusion d’un train de vie.  
Le symptôme yougoslave avec l’émergence d’un divorce profond entre la population et les élites qui provoque une implosion de la « Res-Publica » et une fractalisation des cohérences et cohésions territoriales. Le symptôme libanais avec des centaines de zone de non-droit qui se sont enkystées partout dans les périphéries de nos villes et agglomérations avec des logiques communautaristes et religieuses qui sont devenues les nouvelles références autour de la propagation rampante d’un islam radical qui s’est imposé progressivement en termes de gouvernance.  

Beaucoup se sont amusés de ce diagnostic. Aujourd’hui les mêmes « rient jaune » avec les évènements de ces dernières semaines qui viennent déstabiliser leurs certitudes intellectuelles et leur confort financier... Entre temps la dette a explosé du fait de la crise de 2008 et surfe sur la crête des 100% du PIB (selon les critères de Maastricht). Tous les spécialistes tremblent à l’idée d’une hausse des taux et surtout d’une nouvelle crise bancaire qui nous mènerait sur des pentes vertigineuses dans les prochains mois. Le déficit public est pour sa part devenu insoutenable et le déclassement de la France est tel en termes de compétitivité que les quelques contrats d’armement ou d’avions ne suffisent plus pour cacher la misère de notre comptabilité nationale. Nous pouvons toujours dire que c’est de la faute des autres, des allemands, de l’Europe, du prix du pétrole ... une chose est certaine, notre pays connait des difficultés chroniques pour garder son rang et surtout pour créer de la vraie richesse...A force d’avoir désindustrialisé et délocalisé nos actifs à forte valeur-ajoutée, il faut bien finir par admettre qu’il y a un prix à payer notamment sur le plan social. Certes il est facile, avec de l’argent quasiment gratuit, de développer une économie consumériste avec des retours sur investissements rapides, mais ces choix ne contribuent pas à créer des emplois et n’enrichissent pas un pays2. Tout a déjà été écrit sur ce sujet et les experts n’ont cessé d’alerter sur ces dérives, mais l’autisme réciproque des français et de leurs dirigeants est catastrophique. Tout le monde a privilégié l’illusion d’un pseudo train de vie à la promotion de l’effort, de l’innovation et de l’excellence. A l’arrivée il n’y a plus assez d’argent dans les caisses et chacun y va de sa rhétorique totalement infantile ! 

1 Xavier Guilhou - « Quand la France réagira... » Eyrolles – 2007  
2Voir à ce sujet les excellentes analyses de l‘économiste Claude Sicard, dont son dernier article du 5 décembre : « La France en révolte : faut-il compatir à la jacquerie des gilets jaunes ? » https://entrepreneurs-pour-la-france.org/Les-impasses/La-fuite-sociale/article/La-France-en-revolte-faut-il-compatir-a-la-jacquerie-des-gilets-jaunes 

 Quant au lien Etat-Nation, le constat de tous les experts est unanime : Il est en implosion totale. Beaucoup dissertent sur l’absence actuellement de relais crédibles et de médiateurs légitimes. Mais tout a été fait pour appauvrir ces relais qui permettent un vivre ensemble intelligent et durable. La baisse du niveau éducatif et culturel à tous les niveaux, la suspension du service militaire obligatoire, le pouvoir des réseaux d’influences, des lobbies, la médiocrité des médias et l’irruption des réseaux sociaux... tout a contribué à tirer vers le bas les relations entre les citoyens et ceux qui les représentent. Cette évolution de fond est très grave. Dans l’Histoire ces processus se terminent toujours mal avec au mieux des formes de résistances civiques au travers de l’émergence de collectifs plus ou moins homogènes, voire des formes d’insurrections révolutionnaires autour des injustices sociales et fiscales, comme nous sommes en train de connaitre, au pire des guerres civiles lorsque le vivre ensemble devient impossible et insoutenable, comme en Ex-Yougoslavie où les populations se sont entretuées pendant dix ans sur des questions identitaires, religieuses, communautaires. La question la plus préoccupante reste celle de la libanisation des marges violentes de nos sociétés où les référentiels ne sont plus ceux de la République et encore moins ceux de la Démocratie. Soyons clair, l’Islam n’est pas soluble dans ces principes politiques et sociétaux que nous avons progressivement mis en place au cours des siècles dans notre pays. Aujourd’hui Il n’y a plus beaucoup de marges de manœuvre pour sauvegarder le vivre ensemble sur ces espace-temps qui se sont affranchi de tout, à commencer par l’autorité de l’Etat et de ses substituts sur le terrain. Cela se traduit d’ores et déjà par des logiques de ghettos que nous connaissons trop bien. Les événements avec les émeutes urbaines de 2005, dont peu de nos dirigeants ont tiré les véritables enseignements, sont ceux d’une volonté de franchise territoriale et d’autonomie politique. D’ores et déjà, dans certains quartiers, nous ne sommes plus sur des questions de respect de l’état de droit mais sur l’imposition de fait d’une forme d’Etat quasi islamique à la place de l’Etat français avec la charia comme cadre juridique. Depuis 3 semaines, toutes ces réalités ont explosé sur les écrans de télévision avec des manifestation émaillées d’émeutes, puis d’insurrections suffisamment violentes et préoccupantes pour déboucher sur une situation d’urgence pour la sauvegarde de nos institutions. Malheureusement Il n’y a aucune surprise dans le surgissement de cette forme de catharsis sociétale et dans l’expression de ces violences protéiformes et hétérogènes de tous les corps de la société. Nous avions déjà les germes en 2005 avec les banlieues, en 2009 avec « la lutte contre la profitassion » dans les Antilles, les crises récurrentes autour des prix du carburant, les bonnets rouges contre l’écotaxe, la question de la ZAD de Notre Dame des Landes ... Tous ces micros évènements ont constitué autant de laboratoires dans lesquels nous retrouvons tous les ingrédients qui se coagulent et démultiplient actuellement. Alors pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel niveau de colère, de haine et de dégâts alors que tout a été diagnostiqué depuis longtemps et que tous les symptômes auraient pu être traités très en amont ? La réponse est simple : Il n’y a eu aucune anticipation stratégique des vraies questions depuis 30 ans... La responsabilité première incombe aux politiques, comme aux dirigeants du monde économique, qui savaient exactement quels étaient les risques d’un non traitement sur le fond des questions posées depuis les années 1975, dont la fameuse transition écologique pour sortir de l’emprise des énergies fossiles, jusqu’aux migrations de population...Ils savent tous depuis un demi-siècle quels sont les rendez-vous et ce sur quoi il fallait anticiper pour mettre nos pays à l’abri de tragédies collectives. Rien n’a été fait ! En revanche ils ont tous préféré faire de l’argent en surfant sur les « dividendes de la paix » et faire de la politique politicienne au jour le jour en redistribuant l’argent public à tous les raquetteurs qui avaient parfaitement compris l’usage qu’ils pouvaient en faire. Cette forme d’imposture collective a finalement mis l’Etat en faillite. De fait les corps intermédiaires se retrouvent d’eux-mêmes totalement décribilisés, à commencer par les syndicats, mais aussi toutes les organisations représentatives du monde économique et autres agences gouvernementales, qui ont bien vécu sans apporter de véritable valeur ajoutée à notre économie et à notre société. Ils ont tous contribué depuis 30 ans à cet affaissement de notre économie et à l’appauvrissement des relations sociales en se cachant derrière une langue de bois et des pratiques qui valent les meilleures heures du soviet suprême. Mais ne nous leurrons pas, Il y a aussi la population qui s’est satisfait pour une bonne part de cette situation facile où la réversion de la main invisible publique lui assurait une fausse quiétude et prospérité. Malheureusement elle se retrouve aujourd’hui avec des enfants de plus en plus incultes et démunis face aux exigences de la mondialisation et des services régaliens dégradés, il suffit de regarder dans quel état se retrouve nos armées, notre justice etc. A l’arrivée tous les ingrédients de ces symptômes argentins, yougoslaves et libanais finissent par s’agréger pour constituer un mélange explosif. Le déclencheur des insurrections en cours tient en grande partie à cette impasse démocratique qui a permis à une minorité de profiter de la dislocation des blocs politiques, sous prétexte de « dégagisme », pour ramasser le pouvoir. Lors de la dernière élection présidentielle il n’y a eu aucun débat sur le fond. Ce ne fut que des parades séductrices avec des coups de menton. De fait le débat se joue en ce moment dans la rue avec une troisième mi-temps qui ne peut-être que violente. Les populations viennent de découvrir à leurs dépens la face cachée des feuilles de route de l’exécutif en place... qui auraient été aussi celles de leurs concurrents s’ils avaient pu prendre le pouvoir étant donné qu’il n’y a plus rien dans les caisses.... Dès lors 80% de la population vient enfin de comprendre que l’Etat est en faillite, qu’il n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire et qu’il a besoin de se renflouer d’urgence sur le plan financier en ayant recours à l’arme fiscale dans un pays qui est devenu le champion des pays de l’OCDE en termes de prélèvements obligatoires3 (46,2% du PIB) ... Ceux qui ont pris le pouvoir sont incontestablement les plus intelligents et brillants de la classe. Mais leurs préoccupations et orientations politiques sont devenues totalement inaudibles pour les opinions. Leurs décisions se comprennent sur un temps long qui aurait dû être celui de leurs prédécesseurs au cours de ces 50 dernières années en termes d’anticipation stratégique. Mais la population ne voit que la courbe immédiate de la pression de la fiscalité directe, et surtout indirecte, qui monte sans cesse au point de poser désormais un problème budgétaire vital à des pans entiers de la société. Du fait de l’appauvrissement et du déclassement du pays beaucoup ont en effet glissé dans la précarité. Plus grave, ce qui contribue à alimenter la colère sourde et la violence irrationnelle du mouvement des gilets jaunes, beaucoup ont désormais peur de se retrouver aussi dans les prochains mois ou années dans cette situation.


Certes il est louable et souhaitable de sauver l’Etat. Nous savons ce que donne un pays livré au chaos total faute d’une colonne vertébrale. Mais l‘Etat ne doit pas tuer la France et spolier les français. Dans le contexte actuel qui peut déboucher sur une révolution convulsive et mortifère, les français ne sachant pas gérer leur contrat social, la seule chose à faire est de remettre à plat le cadre fiscal et de retrouver équilibre et justice. C’est vital. Des petits moratoires fiscaux ne servent à rien sinon à entretenir et nourrir les prochaines révoltes sociales. Mais la transformation du pays ne peut s’envisager qu’avec du temps, ce qui est incompatible avec les urgences sociales et l’impression d’injustice sociétale qui s’expriment depuis 20 jours. La véritable question qui se pose désormais est celle de l’autorité politique pour arbitrer ce moment crucial où les urgences et les priorités sont confondues dans un maelstrom de revendications, de haines et de peurs.Quels que soient les astuces pour calmer les exigences des gilets jaunes ou l’expression de la fermeté utilisée par l’exécutif pour endiguer la volonté de destruction de nos institutions ou la tentation de pillage de nos centres-villes, il faudra bien expliquer à un moment donné aux français que la « fête est finie » et que nous allons entrer dans une autre temporalité où tout le monde devra faire preuve de bon sens, d’intelligence et de frugalité pour remettre les comptes en ordre et le pays en état de marche. Cela va supposer de prendre des mesures drastiques, courageuses et douloureuses, comme l’ont fait les canadiens en leur temps, et d’arrêter cet effet de ciseau pervers, et désormais catastrophique pour le pays, qui est celui de l’emballement de la dette et de l’addiction au déficit public. Tous les autres discours sur la transition sont cosmétiques et idéologiques. La véritable révolution ne consiste pas à destituer violemment à la Ceausescu notre monarque républicain, à rêver de 1791, à piller les magasins et à discourir sur les plateaux de télévision sur une VIème République. La véritable révolution, puisqu’il faudra bien la faire, nous n’avons plus le choix face à la pression des évènements, devra être celle d’un nouveau pacte fiscal et d’un véritable contrat social. Pour cela il faut retrouver à tous les niveaux le langage du bon sens et de la responsabilité afin de ne pas tomber dans l’insoutenable et le drame avec des insurrections qui déboucheraient sur une guerre civile...Ceux qui ont vécu Beyrouth et Sarajevo savent ce que cela signifie. Nous ne sommes plus comme en 68 : le monde de cette époque révolue revendiquait le partage de la cagnotte et ne risquait rien. Aujourd’hui il n’y a plus de cagnotte et nous risquons tout !  

Xavier Guilhou  
7 décembre 2018




B)1«Ainsi va le monde... et c’est ainsi depuis toujours!» De la crise de modèle à l’implosion du système

2006 : crise des matières premières, le brut surfait autour des 150 $ le baril. Les meilleurs experts spéculaient allègrement à l’époque sur des hypothèses à 200 $, 400 $... Un baril autour des 50 $ n’était absolument plus imaginable compte tenu de la pression de la demande des BRICS, soit quasiment un milliard de nouveaux entrants, qui ont rallié notre modernité de façon spectaculaire en 25 ans. Pour autant, ce transfert de modèle n’a concerné qu’une minorité de classes moyennes émergentes au sein de ces pays, ce qui laisse actuellement 5 milliards d’individus en dehors des critères de prospérité et de développement portés par notre vieil Occident... Ce dernier qui ne représente plus que 7,5 % de la population et à peine 40 % de la création de richesse1 mondiale s’est depuis enfermé dans une crise de décroissance et une implosion de gouvernance qui ont contribué à déstabiliser son hégémonie sur le monde en une décennie... Pourtant, les signaux faibles étaient là depuis longtemps, annonciateurs d’une remise en cause de notre modèle matérialiste reposant au cours du XXème siècle sur la surenchère des énergies carbonées...
2008 : crise des crédits hypothécaires américains, connue sous le nom des « subprimes ». Greenspan, qui a été le concepteur avec Clinton de cette superbe supercherie bancaire, destinée à faire croire au bas de la classe moyenne américaine qu’elle deviendrait enfin et rapidement riche, a réussi à faire exploser l’économie mondiale en quelques semaines suite aux tensions sur les taux d’intérêts qui étaient liées à l’envol des prix des matières premières. Suite aux spectaculaires faillites bancaires, Greenspan devant le Congrès a avoué que « jamais il n’aurait imaginé un tel effondrement du modèle... ». Pourtant, il a fait partie de ces apprentis sorciers adulés par toute la sphère financière et politique qui a neutralisé intentionnellement toute forme de contrôle et régulation politique pour faire du profit rapide et facile. Sans tomber dans la psychose du complot, on ne peut ignorer la responsabilité de tous ces cercles cyniques qui se sont enrichis de façon outrancière et sans scrupule en manipulant les opinions. De nouveau les signaux faibles étaient là annonciateurs d’une crise systémique beaucoup plus grave que la crise de modèle révélée par la crise des matières premières deux ans auparavant. Mais au « royaume des aveugles les borgnes sont rois », surtout quand la cupidité et l’avidité remplacent la lucidité et l’honnêteté...




1 Le G7 (EtatsUnis, Canada, Royaume Uni, Allemagne, France, Italie, Japon) lors de sa dernière réunion à Malbey au Canada a représenté 750 millions d’habitants soit 8 % de la population mondiale, 35000 milliards de $ de PIB (PPA) soit 32 % du PIB mondial, mais 900 milliards de $ en termes de financement des budgets de défense des coalitions militaires (dont 600 milliards pour les seuls USA) soit 75 % des dépenses militaires mondiales.

Depuis, les effets induits de cette double spéculation sur les matières premières et sur les produits financiers ont généré une crise sans précédent de notre modèle urbain, énergétivore et consumériste qui a assuré à un petit milliard d’individus paix, prospérité et bien‐être pendant quasiment 7 décennies. Il est vrai qu’aujourd’hui nous mourons plus facilement d’obésité et souffrons plus de « burn‐out » dans nos sociétés opulentes que de famines ou de guerres fratricides... Cela s’est traduit par des successions d’effondrements économiques dans les secteurs de l’immobilier et de la construction, de l’automobile mais aussi et surtout des activités financières et bancaires avec notamment la révélation des opérations Sponzi autour des produits dérivés des Hedge Funds. Dix ans après, tout le monde a oublié les ravages de ces effets dominos, pour recommencer de plus belle...
Pour tenter de maitriser la situation nos grands argentiers ont inondé le monde de liquidités avec la stratégie des « quantity‐easing »2 initiée par la FED américaine. Au lieu de se mobiliser sur une transformation du modèle en profondeur pour le rendre plus robuste, et d’investir une fois pour toutes dans une nouvelle société moins énergétivore et plus résiliente, le système financier et politique n’a fait que développer et multiplier de nouvelles bulles spéculatives3. La plus extravagante étant celle des Bitcoins... Ces bulles s’avèrent actuellement pires et plus folles encore que celles de 2006/2008 sur les marchés obligataires et sur les marchés actions, avec en toile de fond une explosion des dettes, qu’elles soient souveraines (en Europe) domestiques (Etats‐Unis) ou privées (Chine)4. Pour autant, les banquiers nous assurent encore aujourd’hui que tout est sous contrôle alors que tous savent et affirment en coulisse que le prochain krach sera beaucoup plus grave et intense que celui de 2018. De nouveau « il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut rien entendre... » Le déni de réalité est total !

2 Les « QE » correspondent à la stratégie de banques centrales de recourir à la « planche à billet » pour injecter des liquidités dans l’économie.
cf.
https://abceconomie.banquefrance.fr/quantitativeeasing
3 Cf. Livre de Marc Touati Un monde de bulles – Bitcoin, Bourse, dettes, immobilier...10 ans après le Krach de 2008, comment éviter une nouvelle crise ? Editions Bookelis sept 2018.
4 Depuis le début de la crise en 2007, la dette mondiale est passée de 57 000 milliards de dollars à 233 000 milliards (source : FMI). Le Japon a le taux d'endettement le plus élevé au monde, soit environ 500 % du PIB, tous secteurs confondus. Neuf pays dans le monde ont un ratio de dette publique supérieur à 300 % et 39 % des pays ont un ratio supérieur à 100 %. La Fed a augmenté son bilan de presque 1 000 milliards de dollars fin 2008 au niveau actuel de 4 500 milliards... mais le PIB nominal n'a augmenté que de 2 700 milliards. Environ 900 milliards de dollars ont été investis sur les marchés financiers et ont provoqué un triplement du prix des actions américaines.

Les modes de résolution de cette crise systémique, déjà testés au Japon qui a servi de laboratoire dans les années 2000, n’ont fait que générer depuis dix ans des logiques déflationnistes, contribuer à la montée d’un chômage structurel et fissurer la cohésion occidentale. Ce fut le cas en particulier en Europe sur les questions énergétiques où tout a volé en éclats aux lendemains de Fukushima avec l’abandon radical du nucléaire par l’Allemagne et l’envolée des stratégies carbonées. Comment imaginer un budget, une diplomatie ou une défense commune quand nous n’avons pas été capables de nous acorder à minima sur une simple stratégie de coordination de nos intérêts énergétiques quand il le fallait... Depuis, nous sommes pris en otage par les stratégies russes avec leurs gazoducs sur la Baltique et sur la Méditerranée orientale et par celles des américains avec leur LNG issus de leurs schistes bitumineux. Pauvre Europe ! Si riche et si impuissante... Progressivement nous sommes entrés dans une crise profonde de la social‐démocratie avec la montée des partis extrémistes et l’affirmation de postures égoïstes au sein des jeux d’acteurs qui privilégient désormais des replis stratégiques et le retour brutal de la « realpolitik » (USA, Allemagne, Italie, UK avec le Brexit, pays du groupe de Višegrad, Pologne, etc.). 
 
De la défiance visvis des élites à l’effondrement de l’autorité des Etats 

L’effondrement de la légitimité et de la crédibilité des exécutifs qui en a résulté sur les dernières consultations depuis 2016 n’est que la résultante de l’implosion globale du système de vie que nous n’avons pas su transformer au cours des 30 dernières années. Pourtant tous les indicateurs et analyses nous invitaient à faire preuve d’audace créatrice dès les années 70/80, notamment en termes d’évolution de nos modèles de vie et de gouvernance5. Jamais les élections n‘ont connu un tel niveau de désaveu et d’indifférence des populations. Les scores atteints par l’abstention, notamment en Europe, révèlent partout des décrochages considérables en termes d’adhésion entre les populations et les élites qui portent des programmes politiques. Les effets de séduction propres aux consultations électorales se dissipent vite et la plupart des politiciens retombent très vite sur leurs socles très marginaux de supporters qui ne représentent chaque fois qu’un faible pourcentage de la population. Les mêmes phénomènes de défiance et de rejets se développent vis‐à‐vis des médias et des « experts accrédités » qui véhiculent inconsciemment les pathologies collectives et les paradoxes de nos sociétés. La défiance s’est installée à tous les étages. Elle n’est que la traduction d’un profond décrochage des opinions vis‐à‐vis de ce que les élites dénomment « la mondialisation heureuse »... Elle traduit un sentiment de trahison et de mépris des populations qu’il ne faut plus sous‐ estimer !

5Cf : Thierry Gaudin 2100, récit du prochain siècle Grande bibliothèque Payot Voir aussi le site Fondation 2100 : https://2100.org/fondation/

Désormais, les effets de surprise, pour ceux qui ne veulent rien voir, se multiplient ici et là, alors que tout est si évident pour ceux qui vivent au contact de nos sociétés. Ce fut le Brexit, puis l’élection de Trump, la réélection de Poutine, d’Erdogan et de Rohani, ainsi que les référendums d’autonomie et d’indépendance sur le maillon faible que constitue l’Europe. Ces consultations jugées « populistes » font sourire nos chroniqueurs qui ne voient que l’expression de « farces politiques » alors que nos constitutionnalistes tremblent en voyant s’ouvrir un peu partout des boîtes de Pandore nationalistes. Ce sont les coups de boutoir des pays du groupe de Višegrad, rejoints par l’Italie, face à une Allemagne divisée sur la question des migrations. Ce sont les coups de menton de la Pologne et de la Lituanie, sur cet « intermarium » cher à Pilsudski6, face à la Russie. C’est l’OTAN qui instrumentalise ces montées de tension pour essayer de relégitimer sa signature sur l’Europe orientale alors que l’Union européenne est devenue quasiment inaudible, si ce n’est inexistante face au réveil des pulsions identitaires et aux chocs sécuritaires qui secouent nos vieilles démocraties. Ne parlons pas de son impuissance chronique face aux ultimatums de Donald Trump qui exige qu’elle devienne plus responsable sur le partage du fardeau militaire au sein de l’Alliance atlantique... Mais ce sont aussi les « mal élus » français et allemands, actuellement en baisse de popularité, qui essaient tant bien que mal, de sommets en sommets, ou de déclarations en déclarations parfaitement scénarisées, de réveiller une institution quasi moribonde. L’Europe est bien morte à Pristina avec les opérations sur le Kosovo en 1999 et suite aux accords sur le référendum d’autodétermination qui justifient désormais toutes les transgressions du droit international en interne et sur les marges de l’UE7. Il n’y a que les technocrates de Bruxelles qui ne l’ont toujours pas compris, à moins qu’ils ne simulent volontairement une forme d’autisme politique afin de gagner du temps.
Nos exécutifs, en perdant la relation de confiance avec les populations, ont favorisé la fractalisation territoriale à laquelle nous commençons à assister. Elle sera longue et conflictuelle comme toujours dans l’Histoire quand l’autorité de l’Etat se dilue face aux revendications identitaires locales. L’exemple catalan face à l’Etat central madrilène n’en n’est que la première illustration. En France, les poudrières Calédonienne et Corse attendent en embuscade la bonne fenêtre de tir. Les Etats mettent tout en œuvre pour résister à cette régression quasi systémique qui ramène la carte de l’Europe à une configuration similaire à celles des XIIIème et XVème siècles. Il en va de leur survie et de la continuité du modèle westphalien qui n’en finit pas de mourir. Mais rien ne pourra entraver cette régression collective car il n’y a plus de projets ou de référentiels qui font véritablement sens pour les populations. Le couple Etat/Nation est en crise profonde et contribue à ce processus de suicide collectif qui parait désormais irréversible au niveau européen. Ce ne sont pas les quelques parodies électorales peu convaincantes des candidats pour les prochaines échéances européennes qui modifieront l’issue de ce processus d’autodestruction. La crise financière et politique italienne en cours finira par achever cette lente agonie et permettra aux allemands de prononcer ce « germanxit » qu’une partie de l’électorat opposé à Angela Merkel souhaite désormais. 

6 Maréchal Josef Pidulski, créateur de l’armée et père de l’indépendance polonaise au XXème siècle.
Lire à ce sujet « Et si l’Europe avait écouté Josef Pidulski » par Alexandra Viatteau, écrivain conférencière à l’Université de Marne
la Vallée (avril 2005) https://www.diploweb.com/forum/pilsduski.htm
7 Cf. « de Jacques Hogard : « l’Europe est morte à Pristina » Hugo § Cie 2014

Implosion de l’Europe et reconfiguration des hégémonies mondiales 

Comme personne n’a pu résoudre la crise de modèle, celle‐ci se transforme en une crise systémique de gouvernance où chacun se recroqueville sur ses propres intérêts. Cela se traduit, sur un fond de menaces majeures de crise financière et bancaire, par des endettements considérables qui enlèvent aux Etats centraux toute crédibilité politique et aux politiques qui ont œuvré dans ce sens, toute légitimité. L’effondrement de l’autorité des Etats est proportionnel au désenchantement des populations, notamment des classes moyennes, principal objet de convoitise des technocraties qui ont pris ici et là le pouvoir. Ce mouvement de fond génère partout des votes de rejets vis‐à‐vis des élites qui représentent ces minorités financières arrogantes et ces technocraties européenne omniprésentes qui sont contestées de partout (cf. les élections en Tchéquie avec Babel, l’arrivée de Kurtz en Autriche qui promeut le retour d’une gouvernance habsbourgeoise, la méthode d’Orban qui accorde la citoyenneté hongroise à toutes les minorités qui ont subis le démantèlement de la grande Hongrie par Clémenceau, les démonstrations antieuropéenne du gouvernement polonais, le programme antieuropéen de la coalition italienne, etc.).
Ces postures contestataires anti‐européennes, improprement qualifiées de « populistes », très hétérogènes dans leurs constitutions et démonstrations de force, contribuent à fractaliser le peu de cohésion et de cohérence du monde occidental. Alors que les Etats‐Unis se replient derrière les slogans de Trump « America First », que la chine se déploie « China First », que la Russie essaie de s’affirmer sur le nœud eurasien aux cotés de l’Iran et de la Turquie pour contrôler le nœud énergétique mondial et que l’Inde monte en puissance pour devenir le pivot de l’avenir du monde à horizon 2050, nous sommes désormais en Europe en pleine implosion socio‐politique. Même l’Allemagne, dont tout le monde pensait le modèle social‐démocrate indestructible, se retrouve désormais confrontée à ses vieux démons.
La situation est pathétique. Elle ressemble étrangement à celle du Titanic qui a heurté l’iceberg mais dont l’équipage demande à l’orchestre de jouer plus fort afin que les premières classes ne se rendent compte de rien. Tout le monde connait la suite : le bâtiment qualifié d’insubmersible a sombré sur une fissure horizontale qui a remis en cause les stratégies assurantielles des caissons verticaux. C’est exactement ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. La défiance et la fractalisation territoriale défient la verticalité de nos Etats et centralités technocratiques. Comme dans le Titanic, chacun joue sa partition et affirme « ce qui est juste » pour lui afin de négocier sa place légitime et ses intérêts immédiats, quand il ne s’impose pas par la force sur le canot de sauvetage. Les actuelles discussions et régulations entre acteurs concernés de l’hémisphère nord, tant européens, américains que russes, autour des questions migratoires et sécuritaires sont assez éloquentes sur le niveau de désagrégation des solidarités. Peu de gens connaissent
véritablement les niveaux de brutalités, qui sont actuellement mis en œuvre en coulisse. 
Tout ceci se déroule dans un climat de confusion intellectuelle et morale qui révèle le vide sidéral sur les plans philosophiques et spirituels dans lequel nous nous complaisons depuis 30 ans.
Nous allons bientôt célébrer allègrement le centenaire de la fin de la première guerre mondiale (1918‐2018) alors que nous sommes confrontés depuis 5 ans à une remise en cause de tous les protocoles et avenants du traité de Versailles. Cette virtualité médiatique est portée par des politiques qui adorent les commémorations (en France, nous en sommes à 27 par an, ce qui est à psychanalyser...) mais qui sont complètement déconnectés du retour de la « realpolitik » et de l’exaspération des populations sur le terrain. Orban en Hongrie, comme Erdogan en Turquie, remettent en cause de façon explicite les traités de Sèvres et de Lausanne. La Pologne demande le rattachement de la Galicie à l’Ukraine. L’Autriche revendique la Padanie. La Russie, la Turquie et l’Iran posent dans leurs réunions à Astana « la nouvelle question d’Orient »8 et enterrent les vieux accords Sykes‐Picot9 sans nous associer à un redécoupage du Moyen Orient. Le Royaume‐Uni est confronté, suite au Brexit, aux revendications d’indépendance de l’Ecosse et de l’Irlande, etc. Tous les « experts accrédités » passent leur temps à sous‐estimer la colère sourde des populations. Celles‐ci rejoignent de plus en plus les quêtes identitaires, territoriales et religieuses, seuls sauf‐ conduits pour sortir de l’étreinte gloutonne des Etats en crise et de leurs sponsors, notamment financiers, qui ne cessent d’enfoncer notre pseudo bien être mondialisé, mais surendetté, vers un krach monumental. Beaucoup ont vu dans les soubresauts des printemps multicolores des révoltes emblématiques comme sur les places Tahir au Caire, Maïdan à Kiev, Taksim à Istanbul... Beaucoup ont cru à l’avènement d’une société mondiale plus démocratique et égalitaire. C’est l’inverse qui a jailli de ces pulsions naïves avec l’affirmation de régimes autoritaires, dictatoriaux (voire quand il n’y a plus d’Etats de mouvements radicaux qui sèment partout leurs graines de haine et de mort).

8 Lire l’excellent ouvrage de Georges Corm La nouvelle question d’Orient, aux éditions La découverte 2017.  
9 Les accords SykesPicot – voir https://www.mondediplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102

La mode désormais, dans les colloques, et dans les tribunes des journaux est de disserter sur la « nouvelle dangerosité » du monde, sur « l’instabilité » des relations internationales et sur « l’irrationnalité » des jeux d’acteurs. Comme si Donald Trump et Kim Il Jung étaient des cinglés alors que nous avons affaire aux dirigeants les plus rationnels et les plus déterminés qui soient sur le plan géostratégique pour imposer au monde une nouvelle partition, celle qui permet à leurs intérêts de s’imposer contre tous les autres. C’est ce qu’ils ont fait le 12 juin à Singapour, après avoir créé un brouillard politico‐médiatique pendant un an, permettant ainsi à leurs services secrets réciproques de faire leur travail en toute discrétion et d’entretenir tous nos « experts accrédités » sur de fausses pistes. C’est exactement ce qu’avaient fait de façon époustouflante Reagan et Georges Bush avec Andropov puis avec Gorbatchev avec la « guerre des étoiles » pour déboucher sur la rencontre de Reykjavik les 11 et 12 octobre 1986 et la déconstruction du protocole de la guerre froide issue de Yalta, là aussi entre services secrets... Utiliser la crédulité, voire la stupidité de nos chroniqueurs, n’a pas de prix, surtout quand cela permet de surprendre, de « renverser la table » sur le plan géostratégique et, comme le disait Mac‐Namara lors de la crise de Cuba, « d’inventer un nouveau jeu ». Qu’est‐il sorti de la rencontre d’Helsinki entre Trump et Poutine le 18 juillet, rencontre qui relève exactement des mêmes processus entre diplomaties secrètes ? Tous sont en train de préparer des grands rendez‐vous stratégiques sur les 4 à 5 prochaines années, ce qui correspond en termes de fenêtre de tir à leurs mandats respectifs. Trump verrouille ses alliances et fait payer le prix d’un alignement sans concession en réactivant l’arme douanière propre aux puissances maritimes, Poutine finalise ses prises de gage territoriales et revendique sa place dans les prochaines conférences internationales, Xi Jinping multiplie les effets d’annonce autour de son projet de route de la soie10 et impose au monde une autre lecture du retour de l’empire chinois après «le siècle de mépris occidental », Narendra Modi suggère aux uns et aux autres de ne pas oublier la route des Indes... Chacun y va de sa rhétorique plus ou moins guerrière en sachant que 2019/2020 seront des années décisives de bascule sur le plan des rapports de force en termes de pouvoir et de puissance.11 Toutes les diplomaties secrètes sont prêtes pour les grands rendez‐vous géostratégiques qui vont s’enclencher après les élections américaines de mi‐ mandat en novembre 2018 ...

10Cf. le numéro 90 de la revue Diplomatie : Les nouvelles routes de la soie, forces et faiblesses d’un projet planétaire.
11 Selon le FMI la Chine aurait déjà dépassé en PIB/PPA les USA en 2014.
https://www.lesechos.fr/24/11/2017/LesEchosWeekEnd/00100003ECWE_quandlachinedeviendratellelapremiereeconomiemondiale‐‐.htm
Quant à l’Inde elle est devenue sixième puissance économique mondiale et serait troisième en 2030. https://www.latribune.fr/economie/unioneuropeenne/commentlindeveutdevenirla3epuissanceeconomiquemondialeen2030468073.html

« Realpolitik » et sortie de crise 

Toutes ces erreurs d’évaluation vis‐à‐vis de ces moments historiques que nous vivons révèlent le désarroi de nos équipes dirigeantes, particulièrement en France, quels que soient leurs niveaux de formation et d’information, depuis plusieurs décennies. Elles se sont mises en dehors des réalités pour profiter de la vie, cultiver une philosophie du bien‐être portée par une mondialisation débridée, faire de l’argent facile et rapide à partir d’une financiarisation exubérante et acheter la paix sociale et civile à la petite semaine. Cette vacuité de la responsabilité devant l’Histoire et cette lâcheté collective sont à la base de cette implosion globale de nos systèmes de vie et de décision qui apparait chaque jour un peu plus au travers des coups de boutoir que nos sociétés, notamment européennes, subissent dans tous les domaines qu’ils soient économiques, financiers, migratoires ou sécuritaires. Comment en sortir ? Par plus de dettes, la fuite en avant de ces 30 dernières années n’ayant pas suffi...? Par plus de fiscalité, en dépossédant, voire en ruinant les classes moyennes pour continuer à nourrir des Etats incapables d’inventer un autre mode de « vivre ensemble » ? Par plus de populisme en instrumentalisant les facteurs identitaires, voire religieux, et en régressant sur une nouvelle féodalité territoriale ? Par la soumission et l’abdication sous prétexte que le monde est devenu multiculturel et global, en cédant notre place aux nouveaux entrants, ces puissances centrales d’hier qui revendiquent désormais le rôle de nouveau gendarme du monde à la place des modèles ultralibéraux et maritimes anglo‐saxons ? Messieurs Poutine avec ses agents du FSB, Erdogan avec ses janissaires et Rohani avec ses pasdarans sont sûrement les meilleurs dirigeants que nous pourrions imaginer à moyen terme pour nous assurer un bien‐être démocratique... Pourtant, beaucoup de nos éditorialistes sont sous le charme de ces dirigeants ; ils opposent souvent les vertus apparentes de l’autoritarisme parfaitement scénarisé de ces dirigeants vis‐à‐vis de leurs peuples, pour les maintenir sous le joug, avec la perte pathétique d’autorité des nôtres qui font parfois sourire pour ne pas en pleurer de honte... Il reste la solution de céder nos actifs aux Chinois et aux Indiens dont les prétentions hégémoniques à moyen terme (avec la valorisation de la route de la soie et la réouverture de la route des Indes) sont indéniablement supérieures aux Gafa12 un peu trop sûrs de leurs pouvoirs transverses et virtuels sur le fonctionnement numérique du monde. Tout le monde sait que leurs constructions, notamment boursières et financières, peuvent s’effondrer du jour au lendemain. Les grands empires ont toujours disparu sur leurs spéculations financières, leurs surenchères guerrières et sur leurs dettes. C’est ce qui constitue actuellement la menace principale pour les Etats‐Unis, comme pour ses alliés. En revanche les civilisations se sont toujours imposées par l’émergence d’un nouveau modèle de vie et par l’affirmation de nouveaux modes de gouvernance. L’Occident en est‐il de nouveau capable13 ?

12 GAFA: acronyme pour définir les géants du numérique soit une quinzaine d’acteurs mondiaux de l’Internet.
13 Cf. interview d’Andrew Sheng « l’Occident n’a pas d’idées pour gérer les enjeux essentiels » 27 avril 2018 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/04/27/2000220180427ARTFIG00359andrewshengloccidentnapasdideespourgererlesenjeuxessentiels.php
https://som.yale.edu/blog/interviewwithandrewsheng

La réponse est sûrement du côté de la démographie qui reste l’élément dimensionnant de toute réflexion géostratégique. Pour notre vieil Occident, y compris pour les Etats‐Unis, comme pour la Sainte Russie, les courbes sont impitoyables. Elles sont négatives et nous sommes confrontés à des processus de submersion, voire de remplacement sur les prochaines décennies en termes de modèles de sociétés et de civilisation du fait du vieillissement de nos populations. Il en sera de même pour la Chine assez rapidement, ce qui n’est pas neutre dans son actuelle confrontation avec les Etats‐Unis en termes d’hégémonie sur les 20 prochaines années14. Ce phénomène conduit sur le court terme à un repli grégaire de nos pays de l’hémisphère nord derrière des murs. Nos sociétés s’enferment sur des peurs convulsives qui sont compréhensibles. Mais elles ont pris de mauvaises habitudes. Elles ne souhaitent surtout pas renoncer aux plaisirs jouissifs offerts par la société de consommation qui les infantilise du matin au soir, et de fait elles sont prêtes à n’importe quelle compromission pour faire durer le plaisir. Elles ne vivent plus pour contribuer à un destin collectif, porter une espérance et une universalité comme ce fut le cas pendant plusieurs siècles, notamment avec le Christianisme. Elles n’ont plus envie de se battre pour inventer et imposer un autre avenir. Seuls les Etats‐Unis ont, et pour combien de temps encore, cette volonté d’exister et de durer. Ce qui n’est plus le cas de l’Europe. Nous pouvons nous poser la question pour la Russie malgré le patriotisme, et ce côté « village Potemkine »15 entretenu en particulier par Poutine avec le mondial, pour montrer que son pays n’est pas qu’une puissance régionale16 et qu’il a encore un rôle salvateur à jouer sur le plan mondial, notamment pour la chrétienté. Quand nous nous complaisons dans la déconstruction des référentiels et des valeurs qui ont assis notre pouvoir et nos facteurs de puissance depuis le XVème siècle, comment imaginer que le petit milliard d’hommes que pourrait constituer une coalition de l’hémisphère nord (Etats‐Unis, Canada, Europe, Russie, Corée, Japon) puisse faire face à tous les prétendants et logiques émergentes sur l’hémisphère sud17 qui compte 6 milliards d’habitants actuellement, 10 milliards en 2050 ? Ne rêvons pas, ces derniers veulent tout simplement prendre notre place, récupérer nos richesses et nous imposer leurs modèles de société, avec pour la plupart un mépris total vis‐à‐vis de notre indolence et de nos états d’âmes. Il en a toujours été ainsi dans l’Histoire : les civilisations sont mortelles et les faibles ont toujours été remplacés par des forts. La vision multiculturelle d’un monde parfait et idéal n’est qu’une vision de « bobos » riches et incultes déconnectés des réalités du monde.
 
14 Cf. d'Isabelle Attané : La Chine à bout de souffle (Fayard 2016), 
15 L'expression « village Potemkine » désigne un trompel'œil à des fins de propagande. Elle fait référence à une opération où le façades des villes et villages traversés lors de la visite de l'impératriceCatherine II en Crimée en 1787 avaient été érigées à base de cartonpâte afin de masquer la pauvreté. 
16 Cf. déclaration d’Obama en mars 2014 : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/larussieestunepuissanceregionaleenpertedinfluenceselonobama_1503285.html 17https://www.sciencesetavenir.fr/sante/quelsserontlespayslespluspeuplesen2050_116673


Plus personne n’attend le vieux monde occidental pour répondre aux défis du XXIème siècle. C’est trop tard, nous avons 30 ans de retard en termes de réponses sur la transformation des matrices de vie et de gouvernance. Nous avons trop profité de la vie et trop joué avec les profits. Nous n’avons pas assez investi sur le futur et pensé les nouveaux modèles sociétaux. Les Etats‐Unis de Donald Trump, qui font rire nos chroniqueurs incultes, essaient tant bien que mal de rester « America first and great again », mais soyons lucides, même avec une logique de coalition entretenue aux forceps sur l’ensemble de l’hémisphère nord pour contenir les pressions migratoires et économiques à venir de l’hémisphère sud, même avec une nouvelle alliance avec la « Sainte Russie », si tant est que les successeurs de Poutine ne soient pas tentés de basculer vers une autre alliance avec la Chine et vers les « mers chaudes », rien n’empêchera une transformation à très grande vitesse des rapports de force 
mondiaux. Si les Etats‐Unis échouent dans leurs tentatives de maintenir leur hégémonie face à la Chine, ne nous faisons aucune illusion, le monde qui viendra reposera sur l’affirmation d’autres formes de pouvoirs qui seront plus autocratiques, voire dictatoriaux, que ceux qui assurent actuellement d’abord le suicide de l’Europe puis le déclassement progressif de l’Occident.
Quand tout nous oppose sur les plans identitaires, philosophiques et spirituels, où se situe la porte étroite d’une éventuelle sortie de crise ? Là est la vraie et la seule question qui compte désormais. Il y a actuellement parmi nos élites une fascination qui prévaut dans les esprits avec l’avènement de « l’Intelligence artificielle ». Le sujet est devenu la nouvelle marotte des cercles éclairés... Elle constituerait l’antidote qui permettrait de transformer notre crise de modèle. L’avenir ne s’écrit pas avec une petite boîte à outils technologiques et avec quelques remèdes économiques vendus par nos nouveaux apothicaires des temps modernes. Il faut des convictions profondes et une vision plus aboutie pour prétendre mener et transformer le destin des peuples. Cela suppose d’abord un réel réveil philosophique et spirituel, avec un autre niveau culturel de nos dirigeants. C’est la véritable bataille à mener pour les générations futures, celle de l’exigence, du courage et de la probité intellectuelle afin de nourrir et d’incarner une vision stratégique. C’est un tout autre défi que celui de l’agitation médiatique et de l’abrutissement des masses comme nous le subissons depuis plusieurs décennies avec tous ces imposteurs et petits technocrates qui entretiennent actuellement la confusion et l’illusion à tous les niveaux. N’oublions jamais ce mot d’Alain « Toutes les passions, comme le nom l’indique, viennent de ce que l’on subit, au lieu de gouverner »18.

18 Cf. Alain : Mars ou La guerre jugée / De quelquesunes des causes réelles de la guerre entre nations civilisées Gallimard 17 novembre 1917
  
Le « chant du cygne »19 de l’Occident est encore imperceptible pour beaucoup, il suffit pourtant de prêter l’oreille et d’observer tous les signaux faibles autour de la redistribution des cartes en termes de pouvoir et de puissance pour pressentir assez rapidement la nouvelle cartographie des rapports de force qui se dessine entre les civilisations. Les effets d’annonce, les coups de menton, les prises de gage, les effets de surprise, le déclassement des uns, l’émergence des autres constituent les marqueurs des grands jeux en cours. Ils sont normaux pour les historiens qui réfléchissent à l’échelle du temps long. Finalement ce qui se déroule sous nos yeux n’a rien de surprenant. L’Histoire a toujours montré qu’il n’y a que des dominants et des dominés avec parfois quelques médiateurs ou régulateurs astucieux. Maintenant rien n’est irréversible dans les jeux d’acteurs en cours, tout est toujours négociable ! C’est ce que nous démontrent quotidiennement tous ces dirigeants que nous
prenons pour des « fous ». Ils ne sont en fait que la caricature de leur propre Histoire. Cow‐ boy, tsar, sultan, fils du ciel... ils ont juste envie de réécrire de nouvelles partitions à leur manière. Comme nous n’avons plus envie de dominer ils remettent brutalement en cause les règles du jeu du vieil ordre mondial westphalien que nous avons créé il y a quatre siècles. C’est ainsi, et il en a été toujours ainsi depuis le début de l’humanité... Les faibles laissent inexorablement la place aux forts. Comme l’écrit Machiavel : « pour prévoir l’avenir, il faut connaitre le passé, car les évènements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par des hommes animés des mêmes passions, ces évènements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats...20». 


19 « Le chant du cygne » est une expression qui aurait été utilisée par Socrate, lorsqu’il a été condamné à mort pour impiété, afin d‘expliquer à ses amis combien sa pensée est similaire à cet instant au chant d’adieu de cet oiseau d’Apollon qui revêt une valeur divinatoire avant de mourir. http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/le_chant_du_cygne_ou_la_mort_selon_socrate
 20 cf. Nicolas Machiavel – Le Prince 

Xavier Guilhou
Septembre 2018
Source

Xavier Guilhou propose aux exécutifs des Etats, des grandes administrations, des grands réseaux vitaux et des entreprises de s'appuyer sur son expérience opérationnelle et sur le fruit de ses réflexions dans trois domaines d'expertise:




La plupart des organisations possèdent une culture de base en terme de gestion des risques et maîtrisent les obligations relatives aux contraintes environnementales liées à leurs métiers. Pour autant elles doivent faire face désormais à des ruptures majeures qui peuvent mettre leur fonctionnement en difficulté. De nombreux exemples illustrent cette évolution que ce soit sur le plan de la réglementation, sur le plan de la communication et de l’image et de façon plus systématique sur le plan de la mise en cause de la responsabilité des dirigeants. Dans ce contexte Xavier Guilhou aide les équipes en charge de ces problématiques à clarifier leur politique générale et à remettre à niveau leurs plans d’action. A cet effet il procède à des audits sur le terrain afin d’évaluer la cartographie des risques, de dresser un bilan en terme de management et d’adapter en conséquence l’organisation de l’entreprise.





Il ressort des analyses des crises récentes qu’en quelques heures la nature des problèmes à traiter se déplace très vite des champs matériel, technique, opérationnel couverts par les experts pour se resituer sur des champs psychologiques, émotionnels, existentiels et sur des logiques de gouvernance complexes. Les modes de management réfléchis à partir d’une organisation stéréotypée sont vite contournés et neutralisés par les dynamiques humaines et virtuelles engendrées par les nouveaux contextes. Désormais la conduite des situations de crise appelle des impulsions majeures moins pour dérouler de façon indifférente des processus que pour engager les réseaux d’acteurs dans des dynamiques de progrès et de forte responsabilisation. Face à ces enjeux Xavier Guilhou aide les équipes dirigeantes à travailler leur compréhension des crises émergentes et à mieux se préparer en terme de pilotage. Il travaille en particulier sur les postures individuelles et collectives qui permettent de faire face à des situations qui s’avèrent de plus en plus déstabilisantes et « hors cadres ». Il s’appuie sur une grande pratique du terrain, sur un réseau de praticiens, et surtout sur le retour d’expérience des crises majeures les plus récentes au niveau international.





Sur bien des fronts, notre monde est marqué par des mutations extravagantes qui ne cadrent plus du tout avec nos repères habituels tant en terme de vitesse, qu’en terme de contenus. Fort d’une pratique pluridisciplinaire et atypique des rapports de force géostratégiques, Xavier Guilhou accompagne depuis trente ans de nombreuses structures de haut niveau sur le décryptage des signaux des environnements internationaux, sur les intentions des décideurs ainsi que sur les jeux d’acteurs sur le plan tactique. Sa pratique de l’intelligence stratégique lui permet de se projeter rapidement sur les enjeux court et moyen terme des ruptures en cours. Elle lui permet aussi d’aider les directions concernées à reconsidérer les performances de leurs systèmes d’information et la politique de sécurisation de leurs intérêts stratégiques tant en défensif qu’en offensif.

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