décembre 04, 2014

Des mégapoles mondiales en concurrence !

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Centres de pouvoir politique, entités aux commandes de l’économie mondiale, pôles diversifiés de la culture planétaire, les villes mondiales se développent sur tous les continents. Leur puissance se mesure désormais à la variété et au nombre de leurs connexions. Partenaires et/ou rivales, les villes mondiales ont toutefois des identités diverses. Chacune est une combinaison de fonctions économiques spécifiques et de connexions globales particulières.

Notion délicate à cerner et relevant d’une terminologie floue, le concept de la ville mondiale se voit appliquer, depuis une dizaine d’années, un nombre croissante de définitions destinées à la caractériser.

Des appellations multiples

Dans un article intitulé "La ville mondiale : une histoire de représentations"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales n°60, mars-avril 2013), Anne Bretagnolle explique comment « certaines villes se sont, dès l’Antiquité, pensées comme centre de monde, un monde à leur dimension et à leur portée. Leur acte de fondation en témoigne : Babylone, Pékin, Alexandrie, Athènes ou Rome s’étendent autour d’un site symbolique (…) Paris, qui n’a jamais été qualifiée par les historiens de centre de l’économie-monde, atteint un tel rayonnement culturel qu’elle est qualifiée de "ville mondiale" par Goethe en 1797. »

L’auteure dresse un inventaire exhaustif des appellations proposées pour définir la ville mondiale. Concernant la notion de « métropole mondiale », « il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que des polarisations d’échelle mondiale soient évoquées. Les métropoles sont alors définies par Halford MacKinder et Paul Vidal de la Blache comme permettant l’articulation du local et du global grâce aux réseaux de transport mécaniques modernes, qui leur assurent une "nodalité" exceptionnelle. (…) Le terme "mégalopolis" est proposé en 1961 par le géographe français Jean Gottmann, à partir de l’observation de la région urbaine de la côte Est des États-Unis. Il qualifie une région urbaine s’étendant de manière continue sur plusieurs centaines de kilomètres de Boston à Washington, rassemblant plusieurs dizaines de millions d’habitants (…). »

Les concepts d’« archipel mégalopolitain mondial » ou d’« économie en archipel » (…) « insistent surtout sur les liens horizontaux tissés entre les villes d’envergure mondiale (…) qui parviennent à occuper des positions stratégiques dans les flux mondiaux. (…) Le terme world city, apparu sous la plume de Paul Geddes au début du XXe siècle, désigne (…) des conurbations, formes urbaines tentaculaires nées de l’étalement de très grandes villes grâce aux chemins de fer. (…) À partir des années 1980, les descriptions d’une nouvelle économie globale insistent sur le rôle des métropoles mondiales et font état de villes "mondiales" ou "globales" et de "systèmes de villes mondiales ". (…) Les puissantes économies d’agglomérations et les rendements croissants qui les caractérisent leur  permettent de se développer constamment pour devenir plus grandes et former des "global megalopolitan regions". (…)

Depuis le XXe siècle, la croissance urbaine affecte fortement les pays en développement et privilégie les très grandes villes. (…) Les mégapoles, dont la taille est sans commune mesure avec celle des autres villes du pays, ne constituent pas forcément des nœuds de l’archipel mégalopolitain mondial. Ainsi Bogota ou Le Caire, peuplées de respectivement de 8 et 12 millions d’habitants en 2007 selon l’ONU, concentrent 15 à 20 % de la population de leur pays. Elles ne figurent pourtant qu’au 55e et 59e rang des métropoles les plus connectées en 2000 dans le classement du Globalization and World Cities research network …. »

La course à la verticalité

cône architecturale du XXe siècle, le gratte-ciel garde aujourd’hui toute sa vitalité. Céline Bayou en fait la démonstration dans un article intitulé "La ville-debout : le gratte-ciel au XXIe siècle"*1. En effet, « le lien entre la tour et la projection de puissance de la ville qui s’en dote reste fort »,  alors que « la course vers le ciel traduit l’aspiration constante à l’élévation, spirituelle comme temporelle. (…)Apparus à la toute fin du XIXe siècle, les gratte-ciel ont d’abord été l’apanage de quelques grandes villes américaines, avant que l’Europe n’entre dans la course à la hauteur. Aujourd’hui, la compétition a changé de rivages, la prolifération de tours construites en Asie et les records de hauteur détenus par le Moyen-Orient bouleversant la carte des villes verticales. Réponse à la croissance urbaine mais, plus encore, symbole de richesse et de pouvoir, le gratte-ciel est un outil marketing qui, par l’image qu’il projette, continue d’incarner la ville moderne. Curieusement malgré les coûts qu’il induit  – de construction comme d’entretien – et alors que l’époque se prête plus volontiers aux discours sur le développement durable et la ville verte, il semble triompher de l’essoufflement du capitalisme mondial. »


Se positionnant en tant que nouveaux acteurs mondiaux, les villes participent de la globalisation contemporaine et apparaissent comme les ancrages territoriaux urbains de la mondialisation.

Quels critères pour classer une ville ?

Dans un texte intitulé "Comment se vendre sur le marché mondial ?"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique (Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, "Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août 2011), les auteurs montrent que « les métropoles adoptent des stratégies de communication pour développer leur attractivité mondiale, notamment quand elles sont très spécialisées. Elles visent à diversifier leur portefeuille d’activités pour faciliter une sortie de crise (Liverpool ou d’autres villes marquées par la première révolution industrielle) ou anticiper une crise à venir (les villes du Golfe, menacées par le déclin prévisible de la rente pétrolière). Il faut attirer le tourisme international, les firmes, les investisseurs. Le city marketing fait appel à des cabinets de consultants internationaux et s’appuie souvent sur des partenariats public-privé, relayés dans des grandes villes par des agences de promotion, comme pour DubaiTourism. Les discours convergent : on met en avant le patrimoine de la ville, les aménités du site, la qualité de sa gouvernance (propreté et sécurité). Ils sont assortis d’icônes ou de slogans simples et faciles (city branding), orientés vers la culture à Liverpool, le luxe à Dubai. »

le top 10 des villes qui comptent dans le monde selon les classements mondiaux

Le top 10 des villes qui comptent dans le monde selon les classements mondiaux
Indicateur des différents classements

Rang
Global
Network
Connectivity
Index 2008
Global
Network
Connectivity
Index 2000
Image
2009
Attractivité
2009
Investissements
2008-2009
1
Londres
Londres
Londres
Londres
Londres
2
New York
New York
New York
Bombay
Shanghai
3
Hong Kong
Hong Kong
Paris
New York
Hong Kong
4
Paris
Paris
Shanghai
Shanghai
Paris
5
Singapour
Tokyo
Hong Kong
Paris
Pékin
6
Tokyo
Singapour
Bombay
 
Moscou
7
Sydney
Chicago
Singapour
 
Barcelone
8
Milan
Milan
Tokyo
 
Madrid
9
Shanghai
Los Angeles
Pékin
 
Tokyo
10
Pékin
Toronto
Sydney
 
New York

Indicateur des différents classements (Suite)

 Rang
Global
Power
City Index
2011
Global
Cities
Index
2008
Master
Card
Index
2008
Cities of
Opportunities
2010
World
Cities
Survey
2010
1
New York
New York
Londres
New York
New York
2
Londres
Londres
New York
Londres
Londres
3
Paris
Paris
Tokyo
Singapour
Paris
4
Tokyo
Tokyo
Singapour
Chicago
Tokyo
5
Singapour
Hong Kong
Chicago
Paris
Los Angeles
6
Berlin
Los Angeles
Hong Kong
Toronto
Bruxelles
7
Séoul
Singapour
Paris
Sydney
Singapour
8
Hong Kong
Chicago
Francfort
Tokyo
Berlin
9
Amsterdam
Séoul
Séoul
Hong Kong
Pékin
10
Francfort
Toronto
Amsterdam
Stockholm
Toronto


Sources : tableau établi à partir de GaWC Bulletin Research, no 300 ; Paris-Île-de-France Capitale économique & KPMG, 2010 (colonnes 4, 5 et 6) ;
Institute for Urban Strategies. The Mori Memorial Foundation, 2012 ; A. T. Kearney and the Chicago Council on Global Affairs, 2008 ; MasterCard,
2008 ; PriceWaterCoopers, 2010 ; Knight Frank & City Bank, 2010.

Expression spatiale de la globalisation

« Aujourd’hui, les six cents plus grandes métropoles planétaires représentent plus d’un tiers de la richesse mondiale. Ce phénomène est favorisé par une urbanisation croissante : depuis 2008, il y a dans le monde plus de citadins que de ruraux, et cette évolution devrait se poursuivre jusqu’en 2050. D’ici là, la population urbaine mondiale pourrait croître de 200 000 habitants en moyenne par jour », note la rédaction de la revue Problèmes économiques dans  un numéro consacré aux "Villes dans la globalisation" *2 (n° 3093, La Documentation française, août 2014).

Mais au-delà d’une certaine uniformisation réductrice que produit inévitablement la globalisation, Lise Bourdeau-Lepage affirme dans un article intitulé "Un monde polycentrique et métropolisé" *1 (publié dans "Les villes mondiales", Questions internationales, n° 60, mars-avril 2013, La Documentation française) que « le rôle que joue une métropole dépend d’une multitude de facteurs. Il n’existe donc pas d’archétype de métropoles globales, mais plutôt des métropoles globales qui se différencient les unes des autres, formant des réseaux urbains variés au sein desquels les villes qui comptent dans le monde interagissent. Ces réseaux peuvent être économiques – par exemple financiers, commerciaux –, de recherche, mais aussi politiques – comme celui reliant les villes capitales –, culturels, sociaux, écologiques, etc. Un monde multicentrique et métropolisé émerge ainsi, dans lequel chaque métropole présente une combinaison d’atouts qui lui est propre et lui permet de s’insérer dans cet archipel urbain global où la complémentarité semble prendre le pas sur la concurrence. »



Ce qui caractérise avant tout les villes mondiales, c’est leur capital démographique et leur densité. La hiérarchie des grandes agglomérations mondiales, pour sa part, est un compromis entre critères démographiques et économiques.

La domination de l’Asie

Dans un article intitulé "Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales n°60, mars-avril 2013), François Moriconi-Ébard et Cathy Chatel affirment que « les historiens s’accordent sur le fait qu’aucune ville n’avait jamais pu dépasser le seuil de 1 à 1,2 million d’habitants jusqu’au début du XIXe siècle. C’est en Europe que ce seuil fut pour la première fois dépassé. Pionnière de la révolution industrielle, l’Angleterre voit en effet sa capitale franchir les 2 millions d’habitants dès 1842. Paris la suit en 1863, puis New York (1875), Berlin (1892), Chicago (1893), Manchester (1903), Vienne (1906), Tokyo (1908) et Philadelphie (1911).  À la veille de la Première Guerre mondiale, cinq des huit plus grandes villes du monde sont donc européennes et une seule asiatique. (…)

En 2010, la Chine abrite les deux agglomérations de loin les plus peuplées au monde : Shanghai – qui englobe également Nanjing et Hangzhou – et Shenzhen – comprenant Guangzhou (Canton), Macao et la partie nord des New Territories de Hong Kong. Au 14e rang mondial, on trouve également une troisième agglomération chinoise, Pékin (Beijing). (…) Seul autre pays à dépasser le milliard d’habitants, l’Inde compte quatre agglomérations de plus de 10 millions d’habitants. Les États-Unis, le Brésil, le Japon et le Pakistan en possèdent deux. Au seuil minimum de 10 millions d’habitants, tous les grands pays sont représentés, à l’exception notable de l’Allemagne. La domination de l’Asie, où vivent les deux tiers de l’humanité, est écrasante.

Les agglomérations de plus de 10 millions d’habitants

Les agglomérations de plus de 10 millions d’habitants
 
Agglomération
Pays
Nombre d’habitants
(en milliers)
Superficie urbanisée
(en km2)
Densité
(en h/km2)
Année des
dernières
sources
1
Shanghai
Chine
94 500
22,630
4,176
2010
2
Shenzhen
Chine
44 409
5,321
8,346
2010
3
Tokyo
Japon
39 800
4,201
9,474
2010
4
 New York
États-Unis
27 764
20,388
1,362
2010
5
Delhi
Inde
23 300
1,411
16,513
2011
6
Jakarta
Indonésie
22 551
2,199
10,255
2010
7
Séoul
Corée
20 500
1,179
17,388
2010
8
Manille
Philippines
20 078
1,092
18,386
2010
9
Karachi
Pakistan
19 589
807
24,274
2010
10
São Paulo
Brésil
18 890
2,008
9,407
2010
11
Mexico
Mexique
18 050
1,746
10,338
2010
12
Cochin
Inde
17 950
9,033
1,987
2011
13
Calcutta
Inde
17 200
1 852
9 287
2011
14
Pékin
Chine
16 700
2 400
6 958
2010
15
Bombay
Inde
16 500
465
35 484
2011
16
Le Caire
Égypte
15 691
1 328
11 816
2006
17
Dhaka
Bangladesh
15 680
1 077
14 559
2011
18
Los Angeles
États-Unis
15 449
7 099
2 176
2010
19
Osaka
Japon
14 500
2 900
5 000
2010
20
Bangkok
Thaïlande
14 160
3 150
4 495
2010
21
Moscou
Russie
14 009
1 901
7 369
2010
22
Hô Chi Minh-Ville
Vietnam
13 750
3 000
4 583
2009
23
Istanbul
Turquie
13 460
1 126
11 954
2011
24
Téhéran
Iran
12 135
1 917
6 330
2011
25
Rio de Janeiro
Brésil
11 350
1 568
7 239
2010
26
Buenos Aires
Argentine
11 200
2 500
4 480
2010
27
Lagos
Nigeria
10 590
863
12 271
2006
28
Paris
France
10 518
1 867
5 634
2009
29
Londres
Roy.-Uni
10 223
2 190
4 668
2011
30
Lahore
Pakistan
10 000
367
27 248
2008
 
Ensemble
 
610 496
109 585
5 571
2010
 
Reste de la planète
 
6 220 091
135 890 415
46
2010

Date de référence : 1er juillet 2010.
Source : d’après e-Geopolis.

Mais un deuxième indicateur est également étroitement corrélé au sommet de la hiérarchie : c’est le trafic des ports maritimes. Shanghai est devenue depuis 2009 le plus grand port au monde (650 millions de tonnes de fret en 2010) et, en additionnant les trafics des ports de Shenzhen et de Guangzhou, la conurbation de la rivière des Perles atteint 621 millions de tonnes. Suivant le même calcul, la baie de Tokyo arrive au 3e rang en additionnant le trafic des quatre ports de Yokohama, Kawasaki, Tokyo et Chiba. 

Cet indicateur rappelle l’importance fondamentale des échanges de biens matériels dans le processus de formation des agglomérations urbaines. À l’opposé, le déclassement spectaculaire des agglomérations d’Europe est la conséquence de la désindustrialisation rapide du continent au cours des trois dernières décennies. »

Le revers de la médaille ?

La croissance des villes mondiales est leur force, mais peut aussi révéler leur fragilité et contribue à la création d’inégalités, à l’échelle infra-métropolitaine. « Et si la ségrégation socio-spatiale était la rançon à acquitter pour demeurer une ville mondiale ? », s’interroge Stéphane Leroy dans un article intitulé "La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales" *1.

En effet, « les conséquences de la mondialisation sur l’espace interne des métropoles sont considérables. La tertiarisation généralisée et l’hyperspécialisation économique des plus grandes villes ont bouleversé les fragiles équilibres socio-spatiaux. La division sociale de l’espace urbain s’est recomposée au profit des populations plus qualifiées et plus aisées qui peuvent choisir leur localisation résidentielle, se regrouper entre elles et mettre à distance les plus défavorisées. »

Dans un texte intitulé "Des métropoles inégalitaires"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique (Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, "Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août 2011), les auteurs expliquent qu’« évaluer les inégalités intra-urbaines est possible grâce à un indicateur très utilisé à l’échelle des États, le coefficient de Gini. (…) Si, à l’échelle mondiale, le Brésil arrive en tête des pays les plus inégalitaires pour la population totale, à l’échelle des villes, ce sont trois métropoles sud-africaines – East London, Johannesburg et East Rand – qui présentent les plus forts contrastes socio-économiques (…). Dans leur ensemble, les métropoles africaines présentent les plus fortes inégalités dans le monde …. »

La mondialisation et l’urbanisation croissante qui l’accompagne, si elle « engendre de nombreuses externalités positives, comme un meilleur accès à l’éducation, à la santé, à l’information, etc., (…) provoque aussi (…) de multiples effets négatifs », notamment « une bidonvillisation galopante. *2» (Problèmes économiques, n° 3093 consacré aux "Villes dans la globalisation" (La Documentation française, août 2014).)

 

Anne Bretagnolle est professeur de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, unité mixte de recherche « Géographie-cités ».

1. La notion de ville mondiale est-elle typique des XXe et XXIe siècles ou n’a-t-elle pas toujours existé ?

Cette notion est très en vogue depuis les années 1990, même si les expressions employées sont variables : en France ou dans les pays francophones, on parle généralement des métropoles mondiales, tandis que les pays anglo-saxons évoquent plutôt la notion de ville-monde (world city, global city). L’objet géographique renvoie pourtant à une réalité beaucoup plus ancienne, qui peut être analysée selon deux grilles de lecture.

La première est celle de la ville mondiale comme capitale d’un territoire-monde, faisant appel à une vision hiérarchique et verticale des fonctions urbaines. Dès l’Antiquité, des villes comme Babylone, Pékin, Alexandrie ou Rome se sont pensées comme centre du monde, même si ce monde ne constituait pas encore la totalité du globe terrestre. Elles ont d’ailleurs largement mis en scène cette centralité mondiale par leur symbolique monumentale et urbanistique. Au Moyen Âge, avec les progrès de la navigation, des villes comme Venise, Amsterdam ou Londres ont tour à tour dominé un vaste réseau de villes et de comptoirs. La République maritime de Venise ressemble à un véritable empire colonial, composé d’îles, de villes, de places fortifiées ou de ports, en Méditerranée, dans l’Atlantique nord et au Moyen Orient.

La deuxième vague de mondialisation des échanges, au XIXème siècle, a largement contribué à développer une nouvelle représentation de la ville mondiale, plus horizontale, renvoyant à l’idée d’un espace planétaire organisé par des nœuds inter-connectés, liés par des relations de compétition et de complémentarité. New York ou Londres sont décrites par Paul Vidal de la Blache ou Halford Mackinder comme des super-nœuds, maritimes et ferroviaires, des interfaces entre le local et le global dominant chacune de vastes portions du monde. Mais c’est surtout avec la phase actuelle de la mondialisation des échanges, débutant aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, que la vision horizontale et réticulaire s’impose, notamment avec les travaux de Peter Hall ou Saskia Sassen. On a là un système monde, constitué d’un archipel de nœuds extrêmement bien connectés les uns aux autres et assurant par leurs interdépendances le fonctionnement de l’ensemble du système productif mondial et de la finance globalisée. Les villes mondiales d’aujourd’hui sont celles qui dominent l’économie-monde et ne doivent pas être confondues avec les mégapoles des pays en développement, démesurément grandes par leur taille mais économiquement dépendantes des premières.

2. Pourquoi est-ce important pour une métropole d’accéder au statut de ville mondiale aujourd’hui ?

Il serait illusoire de penser qu’on peut "accéder" au statut de ville mondiale à grands coups d’opérations médiatiques, par exemple en construisant le gratte-ciel le plus haut du monde, l’hôtel ou le centre commercial le plus luxueux, ou bien encore en accueillant des événements sportifs ou culturels d’ampleur mondiale. Il s’agit là de stratégies développées par certaines villes de pays émergents pour attirer plus d’entreprises transnationales, de touristes ou de travailleurs qualifiés, voire par d’anciennes métropoles industrielles européennes ou américaines pour redynamiser leur image. Même les métropoles mondiales qui s’imposent actuellement dans les pays d’Asie (Shanghai, Hong Kong, Singapour, etc.) partagent avec leurs homologues d’Europe ou d’Amérique du Nord deux caractéristiques fondamentales : la diversité de leurs fonctions, qui leur permet de traverser les crises liées à des fins de cycle ou des bouleversements mondiaux, et l’accumulation historique de leur richesse, à la fois mobilière et immobilière. Ces deux caractéristiques ne s’acquièrent pas en quelques années….

3. Quelle est la pertinence des critères retenus pour classer les villes mondiales ? Et pour qui ces hiérarchies ont-elles un sens ?

Il est extrêmement difficile de proposer une liste des villes mondiales, et cela pour deux raisons. Tout d’abord, on manque de bases de données fiables et comparables à l’échelon du monde, par exemple sur la richesse produite par les villes (Produit urbain brut) ou sur les caractéristiques des firmes transnationales dans chaque grande ville du monde (nombre et importance des sièges sociaux, densité et taille des réseaux de filiales ou sous-traitants). Ensuite, même lorsqu’on s’intéresse à un indicateur qui paraît simple en apparence, celui de l’accessibilité dans les réseaux d’échanges aériens mondiaux, les choix dans le type de données et leur traitement sont multiples et amènent à des classements divergents. Enfin, chacun des trois critères proposés aboutit à une hiérarchie différente des villes mondiales. Sur les 10 premières déterminées par chacun des critères pour les années comprises entre 2008 et 2010, seules 4 apparaissent simultanément (New York, Londres, Tokyo et Paris), tandis que 14 des 20 répertoriées ne sont citées que dans l’un des trois classements. Il est néanmoins important de continuer à travailler sur ces critères et ces hiérarchies, pour enrichir les bases de données et mieux comprendre la dynamique particulière des villes mondiales.

4. Cette compétition entre les villes ne contribue-t-elle pas à accroître les inégalités la fois entre les villes et en termes d’habiter, à savoir pour les populations de ces villes ?

Il est clair, que même s’il est difficile de proposer une liste précise des villes mondiales, l’étude de leur richesse, de leur accessibilité dans les réseaux d’échanges et de leurs fonctions économiques ou culturelles montre un creusement des écarts avec la situation de la plupart des autres villes. Le renforcement actuel des processus de mondialisation économique rend ce phénomène de décrochage extrêmement inquiétant, non seulement pour les petites villes qui, pour la plupart, participent de moins en moins aux dynamiques mondiales (sauf à en subir les effets), mais aussi pour les populations qui vivent à l’intérieur des métropoles mondiales.

On observe aujourd’hui des tensions de plus en plus fortes, liées notamment à la présence de cadres hyperqualifiés qui travaillent dans les sièges sociaux des firmes transnationales mais aussi dans tout ce qui gravite autour (consultants, experts, analystes, chercheurs…). On a là une dissociation croissante avec les classes sociales plus modestes, dont la présence reste nécessaire au fonctionnement des entreprises, des services urbains, des services à la personne, etc. Or les villes mondiales se caractérisent par des prix fonciers extrêmement élevés, en raison de la présence de ces cadres mais aussi de mécanismes spéculatifs, ce qui entraîne ou accentue des processus de ségrégation socio-spatiale. Ces processus sont assez préoccupants car, historiquement, l’un des rôles majeurs joué par les grandes villes est de mettre en contact une diversité d’activités économiques et de catégories sociales et ethniques, favorisant ainsi l’innovation et de la créativité. On évoque par exemple beaucoup la créativité des banlieues aujourd’hui, qu’il ne faut certes pas nier, mais on doit aussi se rappeler que c’est bien la centralité qui fait la ville et que les banlieues sont, par définition, éloignées du centre et peu reliées les unes aux autres. En outre, elles sont de plus en plus homogènes socialement et favorisent de ce fait assez peu les rapprochements entre les catégories.


*1:
DossierLes villes mondiales
Ouverture. Mondialisation et villes mondiales (Serge Sur)
La ville mondiale : une histoire de représentations (Anne Bretagnolle)
La banalisation d’un modèle urbain (Marc Dumont)
La ville debout : le gratte-ciel au XXIe siècle (Céline Bayou)
La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales (Stéphane Leroy)
Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement (François Moriconi-Ébrard et Cathy Chatel)
Mondialisation et gouvernance des métropoles (Christian Lefèvre)
Tourisme, salons, congrès, composantes incontournables des villes mondiales (Hélène Pébarthe-Désiré)
Un monde polycentrique et métropolisé (Lise Bourdeau-Lepage)
Les principaux Encadrés du dossier
– New York, LA ville mondiale par excellence ? (Marie-Fleur Albecker)
– Los Angeles, une métropole fragmentée (Renaud Le Goix)
– Le rôle des transports ferroviaires (Marie Delaplace)
– La montée en puissance des villes mondialisées asiatiques (Frédéric Bouchon)
– Les villes-mémoires mondialisées, entre conflits et nouveau régime patrimonial (Géraldine Djament-Tran)
– Les villes mondiales  : quelques éléments chronologiques (Questions internationales)
Chroniques d’actualité
Premières leçons de l’intervention française au Mali (Renaud Girard)
John Kerry ou les habits neufs de la diplomatie américaine (André La Meauffe)
Questions européennes
Les tiraillements de la politique extérieure de la Suisse (Hervé Rayner)
Regards sur le monde
Corée du Sud : les défis de la nouvelle présidence (Perrine Fruchart Ramond)
Histoires de Questions internationales
Paris, capitale des exilés de l’Europe centrale après 1945 ? (Antoine Marès)
Les questions internationales sur Internet
Abstracts


*2:
Actrices majeures d’un monde globalisé, les grandes villes se livrent entre elles à une compétition acharnée. La Documentation photographique propose ici une réflexion originale et utile sur ce phénomène et ses conséquences, inscrits désormais au programme de géographie de quatrième.
Les grandes villes jouent désormais aussi un rôle majeur dans la mondialisation. Métropoles du Nord et métropoles émergentes se livrent une compétition sur tous les fronts : l’économie, l’innovation technologique, la culture ou le marketing urbain. Les habitants des centres urbains ont à subir eux-mêmes les impacts de la globalisation : accroissement des inégalités urbaines, transformation des centres-villes, surenchères foncières. Les auteurs de ce dossier proposent une réflexion renouvelée sur ces enjeux, en lien avec le nouveau programme de géographie de quatrième de la rentrée 2011. Comme tous les dossiers de la Documentation photographique, ce numéro offre une iconographie de qualité, accompagnée de cartes, d’encadrés, d’indications statistiques...



décembre 03, 2014

L'espace l'enjeu !!

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Les débuts de la conquête spatiale furent largement marqués par les préoccupations stratégiques liées à la guerre froide. Avec le développement des satellites, les utilisations de l’espace, d’abord militaires, s’orientèrent ensuite vers des usages civils. De nos jours, la conquête et l’utilisation civile comme militaire de l’espace extra-atmosphérique restent plus que jamais un enjeu primordial des relations internationales.


Que recouvrent les termes d’exploration spatiale et de missions spatiales ?

Le terme générique de mission spatiale englobe toutes les missions à destination de l’espace extra-atmosphérique. La plupart d’entre elles sont désormais considérées comme banales, à l’instar de la mise en orbite géostationnaire de satellites commerciaux. L’exploration spatiale recouvre quant à elle deux domaines. D’une part, l’exploration du système solaire ou planétaire. D’autre part, les missions d’exploration humaine, hier sur la Lune, demain sur Mars, dans lesquelles les objectifs scientifiques sont pour les États moins importants que la démonstration de puissance. Dans cette catégorie, le projet le plus ambitieux à l’heure actuelle est celui que la Maison- Blanche a fixé à la NASA d’envoyer un homme sur un astéroïde en 2025. L’objectif de cette mission est de préparer aux vols habités de très longue durée, notamment vers Mars. Pourtant, le contexte budgétaire actuel aux États-Unis n’est pas favorable à un voyage habité vers Mars, qui durerait dix mois à l’aller et dix mois au retour et coûterait au minimum 200 milliards de dollars.

On connaît la prépondérance américaine dans les activités spatiales. Peut-on coopérer de façon équilibrée avec la NASA ?

Du fait de la puissance budgétaire dont elle dispose et de l’avance scientifique qui est la sienne en de nombreux domaines, la NASA bénéficie d’une indépendance absolue. À ce titre, elle n’a sur le principe aucun besoin impératif de coopérer. Elle trouve cependant un intérêt financier à le faire ponctuellement afin de faire baisser la facture de certains projets. La majeure partie des coopérations actuelles concerne la délivrance d’instruments scientifiques. C’est ainsi que le rover Curiosity actuellement sur Mars est équipé d’un laser français et d’un capteur météo espagnol.

La mission Cassini-Huygens, qui est la première mission spatiale consacrée exclusivement à l’exploration de Saturne, est un exemple de coopération entre l’Europe et les États-Unis souvent mis en avant. Lancée en 1997, elle est menée par la NASA, qui a réalisé le module orbital Cassini, et l’Agence spatiale européenne (ESA) qui a fourni la sonde Huygens. Après un périple de sept ans, la sonde et le module se sont insérés en orbite de Saturne le 1er juillet 2004. Le 14 janvier 2005, la sonde Huygens a plongé dans l’atmosphère du principal satellite de Saturne, Titan, et s’est posée à sa surface. Grâce à la coopération américano-européenne, Titan est ainsi devenu le cinquième astre et le plus lointain sur lequel l’homme a réussi à faire atterrir un engin spatial, après la Lune, Vénus, Mars et l’astéroïde Éros. L'orbiteur doit collecter jusqu'en 2017 des données sur la structure et l’environnement de Saturne et de ses satellites.

En termes de collaborations et de coopérations spatiales, les États-Unis demeurent néanmoins très prudents. Ils redoutent en effet de voir leurs technologies leur échapper ou, pire, se retourner contre eux. Même si l’administration américaine a récemment dressé une liste de partenaires fiables, qui facilite les relations entre Américains et Européens, un cadre bureaucratique très contraignant continue d’alourdir et de ralentir les échanges pourtant généralement fructueux qui existent entre les responsables de projet et les chercheurs.

La Station spatiale internationale (ISS) ne représente-t-elle pas un grand succès en matière de coopération spatiale internationale ?

Ce programme, lancé en 1998 et piloté par la NASA et développé conjointement avec l'agence spatiale fédérale russe (Roscosmos) avec la participation des agences spatiales européenne, canadienne et japonaise, peut en effet être considéré comme un succès en termes de coopération spatiale. Si l’ISS est incontestablement une réussite technologique, le bilan apparaît toutefois plus nuancé en matière scientifique, la Station permettant surtout d’acquérir l’expérience des longs séjours habités en orbite.

L’actuelle crise en Ukraine met en avant la manière dont les enjeux géopolitiques pèsent sur la Station. Depuis l’arrêt des vols de la navette américaine en 2011, les Russes sont en effet les seuls à pouvoir envoyer des astronautes vers la Station. Une dégradation des relations diplomatiques entre Washington et Moscou pourrait remettre en cause l’accès des Américains à la Station.

Qu’en est-il des nouvelles puissances spatiales que sont la Chine et l’Inde ? Ces pays ont-ils des velléités de coopération avec les puissances spatiales traditionnelles ou se posent-ils ouvertement en compétiteurs ?

Les deux grandes puissances émergentes que sont la Chine et l’Inde ont en commun de mener chacune un programme spatial ambitieux et multiplient la mise en orbite de satellites. En termes de missions scientifiques, deux récents succès sont à noter. L’agence spatiale indienne (Indian Space Research Organisation, ISRO) a réussi le 5 novembre 2013 le lancement d’une sonde, Mangalyaan, conçue et produite en un temps record avec un budget réduit. Le succès de la mission – la sonde mettra près d’une année pour atteindre Mars – pourrait contribuer à affermir la réputation technologique de l'Inde. Quant au programme spatial chinois, il a effectué une grande avancée en réussissant à poser un rover, baptisé Yutu (« lapin de jade »), sur la Lune le 14 décembre 2013. Les autorités chinoises envisagent aussi le développement à court terme d'une station spatiale en orbite basse. L’impressionnante couverture médiatique de ces deux événements dans chacun des deux pays montre, s’il en était encore besoin, l’importance que représente la conquête de l’espace pour la perception de la puissance d’un État.

Pour l’heure, Pékin ne mise pas sur les coopérations internationales pour son programme spatial. Ce pays a la volonté de développer ses propres technologies, de réaliser avec ses propres ingénieurs ses propres expériences, mêmes si celles-ci ont déjà été effectuées par d’autres États. De son côté, Delhi a manifesté plus d’ouverture avec notamment la réalisation de deux missions conjointes entre le CNES et l’ISRO. À la différence de la NASA ou de l’ESA, les agences indienne et chinoise ne communiquent que très peu sur les résultats de leurs programmes et de leurs missions spatiales.

Francis Rocard est planétologue au Centre national d’études spatiales (CNES).
 
Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro 67 de Questions internationales, "L’espace – un enjeu terrestre", mai-juin 2014, La Documentation française.



Si l'homme observe les astres depuis des dizaines de milliers d'années, c’est seulement depuis un demi-siècle qu’il a les moyens technologiques d’aller à leur rencontre. La conquête spatiale remonte aux années 1960 et s’est développée autour de quatre enjeux principaux : le vol spatial habité, le secteur de la défense, les missions scientifiques et, plus récemment, les applications liées à l’usage des satellites.

Nouvelles découvertes, nouvelles conquêtes

L'idée de voyager dans l'espace, d'atteindre une autre planète ou la Lune est en fait très ancienne. Dans un texte consacré à « Des nouvelles de la planète Vermeer » ("La différence". Espace(s). Le cahier de laboratoire de l’observatoire de l’espace du CNES, mars 2013), Christine Lapostolle s’interroge  sur deux toiles peintes par Johannes Vermeer, L’Astronome (1668) et Le Géographe (1669). Le sujet commun des deux toiles, un savant dans son cabinet d'étude, renvoie à la soif de découverte des mondes nouveaux, qu'ils soient terrestres ou célestes, à la mesure scientifique et à la représentation graphique de ces espaces :

« Qui a posé ? Vermeer lui-même ? Un de ses fils ? Un ami ? On a pensé à Anthonie van Leeuwenhoek, naturaliste, géomètre, qui habitait à quelques rues de chez les Vermeer. (…) Que fait cet homme exactement ? Pourquoi est-il immortalisé dans deux instants ? (…) Qui a prêté les instruments, les livres, les cartes ? C’est un homme qui étudie, disposant d’un matériel moderne mais sans plus. (…) En 1668, l’année où est peint le premier des deux tableaux, l’astronome Christiaan Huygens publie sa découverte de Titan, le plus gros satellite de la planète saturne. La même année commencent les travaux de l’Observatoire de Paris. A Dantzig, Johannes Hevelius publie sa Cometographie (…) Il me reste à prouver qu’il y a des Mondes infinis dans un Monde infini (…). Ainsi parle le Philosophe dans L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac, un des premiers romans de science-fiction, qui s’écrivait à l’époque où Vermeer peignait ses tableaux. »

Trois siècles après, entre 1961 et 1981, l’homme se lance dans une nouvelle conquête, la plus grande jamais entreprise, celle de l’espace.

Le vol habité, marqueur de la puissance d’un État

Dans un article consacré à "Quelques pistes d’avenir pour l’activité spatiale", Gilles Ragain explique que « l’histoire du vol habité est dominée par les premiers succès soviétiques, la contre-attaque américaine avec le programme Apollo et les premiers pas de l’homme sur la Lune. (…) Moins d’une décennie sépare [en effet] le discours de John F. Kennedy (25 mai 1961) du premier pas sur la Lune (21 juillet 1969). Ces huit années ont permis de passer de la page blanche à la réussite la plus complète. Le budget du programme est à la hauteur du défi. En 1966, plus de 5 % du budget fédéral américain était consacré à l’espace, et le budget total [de la mission Apollo] [entre] 1959 et 1970, ramené en équivalent du budget fédéral américain actuel, serait supérieur à mille milliards de dollars. Tel était le prix pour démontrer la suprématie du système américain sur le communisme autrement que par un conflit armé. Qu’importe si le programme a été sans lendemain du point de vue scientifique et technique. Là n’était pas son objectif. (…)

Après la Lune, les États-Unis se focalisent sur la construction d’une Navette spatiale. Les Soviétiques se concentraient quant à eux sur les stations spatiales. La Navette devait (…) enclencher un cercle vertueux avec des coûts de lancement drastiquement réduits puisqu’elle était réutilisable. Les opportunités de lancement devaient augmenter ainsi que la fiabilité et la sécurité des vols. Or, les coûts n’ont cessé de croître tandis que le nombre de lancements stagnait. Il a fallu près de quarante ans et deux accidents terribles – Challenger en 1986 et Columbia en 2003 – pour que les Américains décident finalement d’arrêter ce qui fut l’un des engins les plus complexes jamais construits par l’homme.

Depuis les années 1990, le programme spatial américain de vol habité apparaît plus hésitant. Les présidents américains successifs ont certes fait des annonces –Mars ou les astéroïdes –, mais celles-ci sont à ce jour toutes restées sans lendemain.

Dans les faits, une révolution a récemment eu lieu aux États-Unis. La NASA (National Aeronautics and Space Administration) décide de confier à des opérateurs privés la desserte de la Station spatiale internationale (ISS), et ceci est un succès. Pour moins d’un milliard de dollars et en cinq ans, deux nouveaux entrants – les sociétés SpaceX (Space Exploration Technologies Corporation) et Orbital Sciences Corporation – ont réussi à développer deux systèmes de desserte de l’ISS. SpaceX s’impose désormais dans le domaine du service de lancement [de satellites]. Ces nouveaux types de partenariats entre la NASA et des investisseurs privés semblent donc promis à un bel avenir (…). »


Les usages civils en constant développement

« Parallèlement à la conquête de la Lune s’est mis en place un autre type d’activité spatiale, le lancement et l’exploitation des satellites. En moins de douze ans, les évolutions ont été majeures, de l’envoi des premiers satellites de météorologie en 1959 à ceux de télécommunication en 1960 en passant par la mise en orbite des premiers satellites de télécommunication géosynchrone (1972) ou d’observation de la Terre (1960). La création des organismes consacrés à l’usage civil des satellites a suivi : Intelsat (1964), Eutelsat (1977), Landsat (1972), Spot Image. Dans ce domaine, l’Europe s’est distinguée avec la création d’Arianespace en 1980 (privatisation du service de lancement), puis celle, en 1985, de la Société européenne des satellites (SES), l’un des premiers opérateurs privés.

La télédiffusion par satellite a depuis envahi la planète et tout le monde peut, enfin, regarder les mêmes feuilletons. Le système de géopositionnement GPS (Global Positioning System) devient un outil quotidien. Les services de météorologie s’appuient sur une flotte internationale de satellites. Google Earth® rend accessible à tous l’image satellite. (…) Une industrie privée s’est mise en place, allant de la construction des satellites jusqu’aux opérateurs et aux utilisateurs finaux. Cette émergence de l’industrie des télécommunications spatiales a entraîné la croissance des services de lancement auxquels l’Europe prend une large part. Près de 50 % des satellites placés à ce jour en orbite géostationnaire l’ont été par un lanceur de la famille Ariane. »


Une "puissance spatiale" est un État qui a prouvé sa capacité à placer des satellites en orbite à l'aide de ses propres lanceurs et qui peut conduire en toute autonomie l'activité spatiale de son choix. 

Dans un article consacré à "Un nouveau ‘club’ des puissances spatiales"  Isabelle Sourbès-Verger dresse un panorama des puissances spatiales reconnues :

Les États-Unis occupent une place hégémonique en termes d’activités spatiales, tant d’un point de vue civil que militaire. Ils « dépensent à eux seuls dans l’espace plus du double du total des autres budgets spatiaux réunis. Cette disparité est d’autant plus écrasante qu’elle se maintient globalement depuis plus de cinquante ans. La place des financements privés est tout aussi disproportionnée, les États-Unis bénéficiant d’une place unique dans le domaine des satellites de télécommunications, le secteur le plus rentable de l’activité spatiale.

Depuis le milieu des années 2000, le nombre de lancements américains augmente régulièrement sans pour autant atteindre celui des lancements russes mais en se situant, depuis 2010, au niveau des lancements chinois. (…)

L’Europe est la deuxième puissance spatiale en termes de budget, mais avec moins du cinquième de celui des États-Unis. Plusieurs facteurs contribuent à cette situation et, en premier lieu, l’absence d’activité spatiale militaire significative. (…) Nul doute que l’absence de programme autonome européen de vols habités ne participe aussi à cet écart. » Concernant les satellites, « les lancements depuis Kourou et l’installation d’un deuxième pas de tir pour le lanceur Soyouz à côté d’Ariane sont symboliques d’une position tournée vers le marché international et la mise en orbite de satellites de pays tiers. »

 La Russie est un cas particulier. « Les vols habités sont une composante forte du secteur, et les programmes militaires reprennent progressivement de l’importance, alors que  le budget, en croissance depuis 2010, ne se situe désormais plus très loin du budget européen avec près de 6 milliards d’euros. (…) Le secteur des lancements figure dans les priorités. (…) En 2014, les vaisseaux Soyouz sont les seuls à assurer la desserte de la Station spatiale internationale depuis le dernier vol de navette américaine en 2011. »

 

Le Japon présente une situation qui « ressemble assez à celle de l’Europe. On retrouve une place quasi exclusive des activités civiles traduisant (…) une volonté d’autonomie et [de] présence dans les recherches sur l’environnement et l’exploration scientifique. (…) Le nombre de tirs annuels reste limité et le budget spatial stagne (…). »

« La Chine est souvent présentée comme le nouveau compétiteur des États-Unis. » Son budget spatial est estimé entre 4 et 5 milliards d’euros par an. « Les réalisations dans le domaine des vols habités et les récentes missions lunaires s’inscrivent dans une volonté de démonstration de compétences [technologiques] nationales » et de puissance. Les programmes satellitaires sont également de plus en plus développés, comme dans les télécommunications ou l’observation de la Terre.

« Dès le début de son programme spatial, l’Inde a posé comme priorité fondamentale l’usage des satellites pour son développement national en s’imposant un principe strict d’économie, d’où un budget qui atteint seulement, en 2012, un milliard de dollars. Dans ce cadre, l’Inde a privilégié les satellites d’application, utilisant sa position de pays non aligné pour multiplier les coopérations aussi bien avec l’Europe et les États-Unis qu’avec l’Union soviétique, puis  la Russie. (…) Ses ambitions dans le domaine de l’exploration et des vols habités sont récentes.

L’Iran possède depuis très longtemps un programme de fusées-sondes, entamé sous le régime du Shah dans le cadre d’une coopération avec les États-Unis.  (…) [Le pays] possède plusieurs satellites lancés par la Russie et dispose d’une expérience scientifique et ponctuellement industrielle non négligeable. »

Concernant la Corée du Nord, « les besoins spatiaux portent davantage sur l’observation à des fins de renseignement que sur la volonté de mise en valeur d’un territoire (…). En revanche, la signification symbolique du lancement d’un satellite doit davantage être perçue comme à finalité nationale qu’internationale. »

Quant à la Corée du Sud, son ambition « de démonstration d’excellence technologique est à vocation régionale et vise à conférer au pays une position reconnue entre le Japon et la Chine. Propriétaire de satellites à la construction desquels elle participe, [la Corée du Sud] fait également appel à des coopérations variées. »


Si l’utilisation militaire de l’espace commence en 1960, la mondialisation de l’espace militaire est elle en marche depuis les années 1990. L’espace devient une composante indissociable des activités militaires, notamment en matière de renseignement.

L’indispensable satellite

Dans un article consacré à "La militarisation de l’espace", Jacques Villain affirme que depuis la guerre froide, « les satellites deviennent progressivement les outils indispensables des activités militaires » (…) répondant à deux principaux besoins :

« - tout d’abord le renseignement. Il s’agit d’obtenir des images de sites ou d’objectifs, (…) de localiser avec précision des objectifs et de réaliser la cartographie de régions présentant un intérêt stratégique. Sont aussi concernées  l’interception et l’écoute des liaisons radioélectriques (….) », tout comme « la surveillance des océans et de l’espace aérien, la détection des explosions nucléaires dans l’espace ou sur Terre ;
- les opérations militaires proprement dites avec l’alerte avancée pour détecter les lancements de missiles balistiques, voire le décollage des avions adverses, la météorologie, les communications, la navigation des moyens mobiles terrestres, aériens et maritimes, la géodésie pour connaître de façon précise le géoïde terrestre et améliorer ainsi la navigation des sous-marins et le guidage des missiles mais aussi le calibrage des radars installés au sol. »


Quels nouveaux défis ?

Jacques Villain souligne que « si une vingtaine de pays (….) ont investi l’espace en y envoyant des satellites à vocation militaire, essentiellement à des fins de renseignement, seuls trois pays sont actuellement capables d’y mener des opérations armées : les États-Unis, la Russie et la Chine. (…)

Pour l’heure, les enjeux militaires et sécuritaires liés à l’espace tournent autour de la question de la protection des satellites de télécommunication et de navigation militaires et civils, en cas de conflit ou même face au terrorisme. Il s’agit, en effet, d’envisager de protéger ces satellites contre :

– leur destruction ou leur neutralisation à partir du sol à l’aide de faisceaux lasers ou électromagnétiques de grande puissance ;
– le brouillage des liaisons montantes ou descendantes entre un satellite et le sol. Cette menace figure parmi les plus sérieuses du fait de la facilité de sa mise en œuvre. De nombreux exemples de brouillage volontaire et involontaire ont en effet déjà été rencontrés dans le cadre de l’exploitation des satellites civils de télécommunication et lors d’opérations militaires récentes ;
– les actions de destruction au sol des stations de contrôle et de réception des satellites ;
 l’utilisation et/ou la prise de contrôle frauduleuse d’un satellite à l’insu de son exploitant par un groupe terroriste ou un pays hostile. Cette menace vise essentiellement des satellites de télécommunication et de transmission de données. Al-Qaïda a ainsi échoué dans plusieurs tentatives de prise de contrôle frauduleuse d’un satellite depuis l’Afghanistan ces dernières années ;
– la neutralisation ou la destruction d’un satellite par l’action d’un satellite hostile s’approchant à faible distance.

Comme l’ont souligné les récents conflits en Irak ou en Libye, il est désormais acquis que toute opération militaire de grande envergure ne peut être lancée et se dérouler sans l’apport des satellites. Les satellites militaires permettent aussi en temps de paix d’identifier les menaces potentielles. Alors qu’hier les satellites à capacités militaires n’étaient pas exportés par les deux superpuissances, n’importe quel État peut dorénavant en acheter et les faire lancer par un autre pays disposant de capacités de lancement. C’est ainsi que Israël ou l’Égypte utilisent les services de lancement de la Russie.

Si une telle opération commerciale est pour le moment possible pour les satellites de renseignement, elle est toutefois peu probable pour ce qui concernerait le déploiement d’armes dans l’espace. Seuls des États capables de maîtriser l’ensemble de la chaîne spatiale, de la réalisation du satellite et du lanceur au lancement et au contrôle des opérations tout au long de la vie opérationnelle du système pourraient y parvenir. Et ils ne sont pas prêts de partager cette prérogative. »

 

1957
4 octobre : la première mise en orbite d’un satellite artificiel par l’URSS, Spoutnik 1, marque le début de l'histoire du vol spatial et attise, en pleine guerre froide, la compétition entre les États-Unis et l’URSS.
1958
1er février : les États-Unis mettent en orbite le premier satellite à vocation scientifique, Explorer et, en décembre, le premier satellite de télécommunications, Score.
1959
2 janvier : le lancement de la sonde soviétique Luna 1 inaugure les voyages interplanétaires.
1961
12 avril : le Soviétique Youri Gagarine devient le premier homme à effectuer un vol dans l’espace.
1962
12 septembre : le président américain John F. Kennedy prononce un célèbre discours dans lequel il confirme le lancement d’un programme spatial – baptisé par la suite programme Apollo – dont l’objectif est d’envoyer un Américain sur la Lune avant la fin de la décennie.
1965
18 mars : le cosmonaute soviétique Alexeï Leonov est le premier homme à réaliser une sortie extravéhiculaire dans l’espace.
1967
27 janvier : signature du Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (dit Traité de l’espace) qui entre en vigueur le 10 octobre 1967.
1969
21 juillet : alunissage réussi d’Apollo 11. Les Américains Neil Armstrong et Edwin Aldrin sont les premiers hommes à poser le pied sur la Lune.
1970
La sonde spatiale soviétique Venera 7 réussit à atterrir avec succès sur Vénus et à transmettre des informations jusqu’à la Terre.
1971
19 avril : les Soviétiques mettent sur orbite la première station spatiale, Saliout.
1975-1976
Au terme d'un voyage de moins d'un an, les sondes américaines Viking se posent sur Mars.
1977
Lancement des deux sondes spatiales américaines du programme Voyager qui vont survoler les planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune ainsi que 48 de leurs lunes.
1979
24 décembre : premier lancement depuis le centre spatial guyanais de Kourou d’une fusée Ariane, conçue conjointement par le Centre national d’études spatiales (CNES) français et l’Agence spatiale européenne (ESA).
1986
28 janvier : la navette spatiale américaine Challenger se désintègre au moment de son décollage entraînant la mort des 7 membres d’équipage présents à son bord.
1986-2001
La station spatiale russe Mir, occupée par une série d'équipages effectuant des séjours de longue durée, devient la première station spatiale permettant le vol spatial habité à long terme.
1990
25 avril : mise en orbite du télescope spatial Hubble, développé par la NASA avec la participation de l’ESA, qui permet des découvertes de grande portée dans le domaine de l'astrophysique.
1998
Début de l’assemblage en orbite de l’International Space Station (ISS, Station spatiale internationale), une station orbitale issue de la collaboration des États-Unis, de la Russie, du Canada, du Japon et de l’Europe – dont dix États de l’ESA.
2003
1er février : après onze jours passés en orbite, la navette spatiale américaine Columbia se désintègre lors de son entrée dans l’atmosphère, entraînant la mort des 7 astronautes présents à son bord.
15-16 octobre : en envoyant pour la première fois un taïkonaute dans l’espace, la Chine rejoint la Russie et les États-Unis dans le club très fermé des pays ayant effectué des vols habités.
2005
La sonde européenne Huygens se pose sur Titan, satellite de Saturne. Titan est le premier corps du système solaire lointain (au-delà de la ceinture d’astéroïdes) et le premier satellite d’une autre planète que la Terre sur lequel un objet terrestre s’est posé.
2013
5 novembre : lancement de Mangalyaan, la première sonde interplanétaire de l’Inde à destination de Mars.
14 décembre : alunissage de l’astromobile chinois Yutu (« lapin de jade »).
2014
La NASA annonce la découverte de 715 nouvelles planètes situées hors du système solaire (exoplanètes) grâce au télescope spatial Kepler – ce qui porte à près de 1 700 le nombre des exoplanètes confirmées.

 

2014
Comme chaque année depuis 2003, le présent rapport d'information a pour objet d'analyser les conditions de l'exécution des crédits du budget de la Défense. L'année 2013 a été marquée d'une part par la publication, le 29 avril, d'un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale définissant les principes, les priorités, les cadres d'action et les moyens qui assureront dans la durée la sécurité de la France, d'autre part par la promulgation de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, destinée à mettre en oeuvre les orientations de la politique de défense française pour les six prochaines années. Les rapporteurs ne se limitent pas à l'examen de la seule exécution des crédits, abordant des thématiques plus spécifiques : dissuasion nucléaire ; cyberdéfense ; recettes exceptionnelles liées aux cessions de bandes de fréquence et de biens immobiliers, dont l'importance est accrue dans la nouvelle loi de programmation militaire ; niveau jugé insuffisant de crédits prévus pour faire face aux besoins en titre 2, en dépit de la poursuite de la baisse des effectifs ; modalités spécifiques de budgétisation et financement du surcoût des opérations extérieures (OPEX).

Auteur(s) :
GOSSELIN-FLEURY Geneviève, VITEL Philippe
FRANCE. Assemblée nationale. Commission de la défense nationale et des forces armées 
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2014
La Cour des comptes rend public un rapport sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires. Dans un précédent rapport, en 2004, la Cour avait constaté que la crise de disponibilité des matériels observée au début de la décennie 2000 s'expliquait par la baisse des crédits de MCO à la fin des années 1990, et par des causes structurelles liées notamment à l'organisation du ministère de la défense. Si les crédits ont progressé depuis lors, et si le ministère de la défense a réorganisé le MCO en profondeur, des difficultés persistent néanmoins, caractérisées par une disponibilité insuffisante et un coût croissant. Dans un contexte de mobilisation des armées françaises, un MCO efficace, à même de garantir une disponibilité optimale des matériels militaires, est une exigence légitime, estime la Cour.
 
Auteur(s) :
FRANCE. Cour des comptes
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