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juillet 31, 2016

Philosophie libertarienne, les critiques et la réponse !!

Ce site n'est plus sur FB, alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes, comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci.

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.


Sommaire

A) La Philosophie Libertarienne par Marilee Haylock - http://libertariens.chez.com

B) Qu’est-ce que le libertarianisme ? - Libertarianisme.fr

C) Libertarianisme de Wikiberal

D) La philosophie libertarienne de Robert Nozick - par JLR dans l'Arbre@Palabre

E) Le libertarianisme est il une philosophie éthique ou politique par Alexander Mc Cobin ?Damien Theillier via institut Coppet et Contrepoints

F) Les 12 posts sur le sujet comme la critique sur l'Université Liberté - AG

G) Une critique: La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d'une utopie libérale par Sébastien Caré - Denis Clerc - Alternatives Economiques n° 283 - septembre 2009

H) Une critique: 5 raisons de rejeter le libertarianisme - MM - leboncombat.fr - Article original publié sur le blog Nil Nisi Verum.

I) La réponse aux critiques: Six mythes au sujet du libertarianisme. Par Murray Rothbard - Institut Coppet




A) La Philosophie Libertarienne

Le Libertarianisme est une nouvelle philosophie politique. Bien que ses racines puissent être retracées à travers toute l'histoire des idées, ce n'est que depuis 20 ans qu'elle se présente comme une philosophie bien définie. Cette politique se base sur une idée nouvelle en ce qui concerne le rôle précis du gouvernement au sein d'une société libre.
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où pratiquement tous les pays se heurtent semble-t-il, vers une forme ou autre d'étatisme, qu'elle soit communiste ou celle de l'État-providence. De tout côté, on nous informe que le monde est devenu trop compliqué pour permettre à l'individu de diriger lui-même sa propre vie. Même l'idée de l'individu devient de plus en plus démodée et désuète.
 
Le Libertarianisme s'oppose à la prémisse de base de l'orientation mentionné ci-haut, ce point de vue qui voudrait que l'État puisse disposer des droits de l'individu pour lui imposer ceux qu'il estime conformes au "bien commun" - et ce, particulièrement en ce qui suit : dans le domaine des droits civils, on appuie toutes les libertés civiles et on s'oppose à toute tentative du gouvernement de refaçonner la vie personnelle de ses citoyens. Dans le domaine de l'économie, on met à défi le droit du gouvernement de limiter de quelque façon que ce soit, ou d'obliger le citoyen à supporter par des taxes des projets qu'il ne supporterait pas volontairement sur le marché libre. 

Les Libertariens ne perçoivent pas le gouvernement comme étant sacro-saint, qui ne peut pas être mis en question, mais plutôt comme une simple agence qui détient le monopole de l'usage de la force de la loi. Les Libertariens se concernent alors avec une seule question de base: "Où repose la justification qui permets au gouvernement l'usage abusif du pouvoir ?" La réponse Libertarienne en est que le pouvoir du gouvernement devrait se limiter à protéger l'individu de l'agression et de la fraude. 

Depuis quelques centaines d'années, la civilisation occidentale accepte l'idée que la société ne devrait pas être assujettie aux désirs arbitraires d'un Souverain; et malgré le fait que nous avons éliminé le "droit divin des rois", il semble que nous l'avons simplement substitué par le "règne absolu de la majorité". Mais les individus peuvent aussi bien être réprimés sous une dictature que dans une démocratie socialisante. Contrairement à l'idée libertarienne qu'à chaque individu appartient sa propre vie, dans toute société orienté vers l'État, l'individu appartient à l'État à un degré plus ou moins élevé. 

Le principe que l'État, représentant la société en son entier, peut agir sur la vie du citoyen comme si elle lui appartient en toute propriété, explique la raison d'être de beaucoup des lois aujourd'hui en vigueur au Canada. L'État contrôle ses citoyens afin de réaliser ses propres objectifs. L'État se permet de juger quels livres sont appropriés pour le citoyen, et à quel prix le citoyen pourra échanger ses services ou vendre son produit. L'État oblige le respect des congés religieux qu'il juge à propos. L'État redistribue les fortunes des individus, pénalise l'individu s'il achète un produit d'un autre pays, exproprie l'individu pour prendre sa propriété s'il estime en trouver une meilleure utilisation et finalement, oblige l'individu de faire la guerre même si cela devra lui coûter la vie. Naturellement, tous ces gestes sont posés au nom de l'intérêt national ou public. 

Aujourd'hui, la propriété des droits de l'individu n'étant plus reconnue, les groupes de pression viennent décider de l'intérêt public. Les Libertariens choisissent de ne pas participer à la course des faveurs que chacun recherche pour son groupe en particulier, plutôt, les Libertariens demandent une fin à toute subvention gouvernementale, tout prêt, tout tarif ou autre, car de telles mesures ne servent qu'à favoriser certains individus et groupes aux dépens des autres. Ce favoritisme, nous dit-on, est pour rétablir l'égalité, la "justice sociale". La doctrine libertarienne dicte que le gouvernement devrait offrir l'égalité aux citoyens, non pas une "égalité de paie, d'habitation ou de bien-être", mais plutôt l'opportunité non-obstruée de gagner, de façon honnête, toute chose par transactions volontaires. 

Quoique la philosophie Libertarienne soit idéaliste dans sa vision et dans ses fondements, elle n'est pas utopique. Elle ne cherche pas à refaire les hommes selon une vision libertarienne d'un bien commun. Elle voudrait que chaque individu soit libre de réaliser pour lui-même son propre bonheur, sans que le gouvernement vienne s'ingérer dans les arrangements entre hommes. Nous croyons qu'une société gouvernée pour maintenir à chacun la liberté de poursuivre son bonheur dans le respect de la personne et de la propriété de son concitoyen réaliserait le plus grand bonheur de tous ses citoyens. 

Depuis bien des années, les gens disent que le socialisme est un "bel idéal" qui n'est pas réalisable "en pratique". En fait, depuis maintenant une centaine d'années, l'idéal socialiste se répand partout dans le monde. Les résultats sont connus : plus l'État applique le socialisme, plus la société s'appauvrit. Les Libertariens ne croient pas que ceci résulte du fait que l'idéal est difficilement réalisable. Plutôt, ils croient que cet idéal, tel qu'exercé par l'État, ne respecte pas la nature de l'humanité. Il est évident que les pays où les droits et libertés de l'individu sont les plus protégés sont les pays où l'on retrouve la plus grand prospérité. En fait, le socialisme n'est ni pratique, ni moral. 

Il est intéressant à noter que le principe de base de la philosophie libertarienne (soit le droit de l'individu de poursuive ses intérêts sans contrainte ni coercition) est accepté par la plupart d'entre nous. La seule exception est en ce qui concernent le gouvernement. La plupart des gens acceptent toujours que le gouvernement puisse ainsi limiter les droits et libertés des citoyens en autant qu'il proclame, appuyé d'une logique quelconque, que c'est pour le bien commun.. Ce que recherchent les Libertariens, c'est de pouvoir appliquer les mêmes règles de bons sens au gouvernement, afin de prévenir l'ingérence dans les transactions entre individus. 

Les Libertariens croient fermement que le pouvoir grandissant de l'État au Canada nous étouffe tous. Mais ce n'est pas nécessairement le gouvernement en tant que tel qui est le plus grand coupable dans cette affaire: c'est plutôt l'idée que tous nos problèmes peuvent être réglés par le gouvernement. Afin d'aller à l'encontre de cette croyance, les Libertariens veulent promouvoir une nouvelle idée - l'idée d'une liberté personnelle. Notre bataille sera une bataille éducative, et son succès n'est pas garanti. Il semble bien indiqué, par contre, que cette philosophie libertarienne soit appropriée à notre époque.

Marilee Haylock (1942-1982) fut Présidente du Parti Libertarien de l'Ontario de 1976 à 1979. "What is Libertarianism?" a été écrit en 1977. La traduction de l'original fut réalisée par Michel Champagne, Coordonateur Régional pour le Québec.
http://libertariens.chez.com




B) Qu’est-ce que le libertarianisme ?

Le libertarianisme est une philosophie politique basée sur l’idée que les hommes ont trois droits fondamentaux :
  • la vie
  • la liberté
  • la propriété
Cela signifie que votre voisin n’a pas le droit de vous tuer, de vous enfermer dans une cave ou de vous voler. Par contre la liberté ne signifie pas « je suis libre de m’emparer de la voiture de mon voisin » car ce serait violer sa propriété. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez avec ce qui vous appartient, tant que vous respectez les droits des autres. Cela implique donc une totale liberté économique (marché libre) mais aussi une totale liberté concernant votre vie privée (sexualité, drogues, etc.) et une totale liberté d’expression.
Les libertariens considèrent donc que le seul rôle légitime de l’État est de protéger ces droits, c’est-à-dire de s’occuper de la justice, mais doit pour le reste laisser les individus entièrement libres.

Ce n’est pas une morale

Si vous dites des méchancetés sur votre voisin, un libertarien dira que c’est votre liberté d’expression, et donc que devriez avoir le droit légalement de le faire, mais il peut penser que c’est immoral de parler ainsi de quelqu’un (mais cette question ne relève pas de la philosophie libertarienne). Un libertarien est quelqu’un qui pense que la loi ne devrait pas être utilisée pour forcer les gens à agir bien, pas quelqu’un qui pense que tout comportement est moral.
De même un libertarien considérera qu’il doit être légal de regarder de la pornographie, de fumer du cannabis ou de ne pas mettre sa ceinture de sécurité mais pourra penser par ailleurs que la pornographie est immorale et que c’est une mauvais idée de fumer du cannabis. Simplement il s’interdira d’imposer par la force (la réglementation) ses choix aux autres.

C’est de droite ou de gauche ?

Ça dépend pour quoi. Dans le domaine économique, les libertariens ont souvent des idées qu’on retrouve chez la droite en ce qui concerne l’économie comme :
  • des impôts faibles (idée : les gens doivent choisir eux-mêmes ce qu’ils font de leur propriété)
  • la suppression des monopoles d’État (droit de produire ce qu’on veut)
  • l’absence de réglementation sur le travail comme le salaire minimum, le nombre d’heures de travail maximum (car droit de passer librement des contrats)
  • le libre-échange entre les pays sans taxes (liberté d’échanger avec tous)
  • ne pas imprimer d’argent en plus au profit de l’Etat, causant de l’inflation (car cela fait perdre de la valeur à l’argent existant et est donc une forme de vol)
Mais pour ce qui ne concerne pas l’économie, ils sont plutôt d’accord avec la gauche :
  • liberté d’expression totale
  • légalisation du cannabis (chacun est responsable de sa santé)
  • droit d’immigrer (mais attention cela n’implique pas le droit de vivre d’aides sociales dans le pays d’accueil pour autant)
  • droit d’avoir les relations sexuelles avec tout personne majeure consentante
Le point commun, dans tous les cas, est de défendre un maximum de liberté, avec comme principe que les gens peuvent interagir comme ils veulent du moment que c’est librement choisi, et font ce qu’ils veulent de leur propriété. Voir aussi : Le diagramme de Nolan

Libertarien = libéral ?

Version courte : Oui, à peu près.
Version longue :
Souvent quand on dit de quelqu’un qu’il est libéral, on pense à l’économie (comme dans “il est pour le capitalisme libéral”), mais on ne pense pas forcément à la légalisation du cannabis, au droit de choisir son orientation sexuelle, au droit de traverser les frontières.
Aux USA, on a le problème inverse, “liberal” veut en gros dire de gauche. Si vous votez pour le Parti Socialiste en France vous direz à un américain “I am liberal”. (Ne lui dites pas “I am socialist” ou il va sortir son fusil en vous prenant pour un adepte de Staline)
Pourtant, à l’origine, “libéral” désignait les deux types de libertés (économiques et individuelles) et était un mot en bon français (venant du latin liberalis), puis suite au changement de sens, les libéraux américains ont inventé le terme “libertarian” en s’inspirant du mot français “libertaire”, pour ne pas qu’on les confonde avec les “liberals” qui sont pour l’intervention de l’Etat dans l’économie. Mais “libertaire” en français ne voulant pas dire exactement la même chose, le terme “libertarian” a été francisé en “libertarien” (avec un “e”). C’est donc un mot français anglicisé puis francisé.
Au final les libertariens français préfèrent parfois s’appeler simplement “libéraux” ou « libéraux classiques » (en expliquant que ce n’est pas que le libéralisme économique) alors que les québécois utilisent plus le mot libertarien.

Libertarianisme.fr




C) Libertarianisme de Wikiberal

 Le libertarianisme (ou, rarement, libertarisme) est une philosophie tendant à favoriser au maximum la liberté individuelle, que celle-ci soit conçue comme un droit naturel ou comme le résultat du principe de non-agression. De ce fait, ses partisans, les libertariens, s'opposent à l'étatisme en tant que système fondé sur la coercition, au profit d'une coopération libre et volontaire entre individus. 
Le mot libertarien découle du mot anglais "libertarian".
Les libertariens sont des libéraux radicaux, opposés à l'État dans sa forme contemporaine. Pour eux, les pouvoirs de l'État devraient être extrêmement restreints (minarchisme), ou même supprimés (anarcho-capitalisme). Contrairement à l'idée libertaire, les libertariens ne sont pas pour une société gérée en commun, mais pour une société où les interactions entre les individus découlent de contrats librement consentis, conformément au Droit naturel et à l'axiome de non-agression.
Le terme anglais de libertarian (libéral) a un sens plus étendu que le terme français "libertarien", qui ne désigne à strictement parler que les minarchistes et les anarcho-capitalistes.
Cherchant à tout prix à insérer les libertariens dans une échelle droite/gauche on utilise parfois, pour les désigner, des expressions plus douteuses, comme "libéraux libertaires", ou des expressions inexactes, comme "anarchistes de droite". Ce que précisément ces expressions montrent, en fait, est que les libertariens échappent au clivage habituel droite/gauche.

Historique

D'après Bertrand Lemennicier, la philosophie politique libertarienne naît avec les Levellers au milieu du XVIIe siècle pendant la révolution anglaise. En 1646, dans la prison de Newgate, Richard Overton, un des leaders parmi les levellers, écrit le pamphlet célèbre An arrow against all Tyrants. Cet écrit affirme haut et fort le concept de propriété de soi-même :
To every individual in nature is given an individual property by nature not to be invaded or usurped by any. For every one, as he is himself, so he has a self-propriety, else could he not be himself; and of this no second may presume to deprive any of without manifest violation and affront to the very principles of nature and of the rules of equity and justice between man and man. Mine and thine cannot be, except this be. No man has power over my rights and liberties, and I over no man's. I may be but an individual, enjoy my self and my self-propriety and may right myself no more than my self, or presume any further; if I do, I am an encroacher and an invader upon another man's right — to which I have no right.
Dans son Traité du gouvernement civil (1690), Locke affirme de la même façon :
§ 27. Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes. (traduction de David Mazel, en 1795)
Les libertariens sont les héritiers directs des libéraux classiques dont ils prolongent le libéralisme sans concession envers l'étatisme.

Origine du terme

L'histoire du mot « libertarien » est intéressante, car c'est la traduction en français de l'anglais « libertarian », lui-même traduction anglaise du français « libertaire ».
Déjà au début du siècle, le liberal party anglais, au pouvoir, avait dérivé vers de plus en plus d'étatisme, et de moins en moins de libéralisme. Ce changement de cap fut entériné dans les années 1920, où le très étatiste économiste Keynes se réclama comme liberal, en référence à la politique du parti liberal, et en rejetant explicitement la tradition de pensée libérale. Dans les années 1950, pour éviter le McCarthysme, les socialistes américains se sont massivement réclamés comme liberal, en reprenant la tradition keynésienne. Le mot liberal, aux États-Unis en étant venu à dire « socialiste », les libéraux américains (au sens original du terme) ont repris à leur compte le mot libertarian, qui aux États-Unis n'avait pas la connotation de gauche qu'il a en France.
H. L. Mencken et Albert Jay Nock s'affirmaient déjà comme libertarians, et c'est finalement Leonard Reed qui crée la première organisation authentiquement libertarienne, la Foundation for Economic Education (FEE), précédant la Société du Mont-Pélerin qui s'en est inspiré.
Le mot libertarian s'est depuis implanté en Grande-Bretagne (où il avait une connotation de gauche, comme en France), fort de toute la littérature libertarian déjà existante (ils n'allaient quand même pas ajouter à la confusion en créant un terme distinct en Grande-Bretagne !).
Cependant, à la même époque, dans les années 1970, Henri Lepage (Demain le capitalisme, 1978[1]), en traduisant le terme libertarian, et en l'absence de littérature libertarian francophone, n'a pas voulu risquer l'amalgame avec les anarchistes socialistes, et a donc préféré utiliser « libertarien » plutôt que « libertaire » (le mot était déjà employé par les Canadiens francophones[2]) :
Même s'ils défendent une conception "capitaliste" d'organisation des rapports sociaux, les libertariens se distinguent des courants conservateurs "complices" du grand capital et du pouvoir des grandes entreprises. Comme les gauchistes, ils ne craignent pas de dénoncer les "puissances d'argent" et tout ce qui représente le "capitalisme monopolistique", responsable à leurs yeux de la croissance du pouvoir d'oppression de l’État moderne. (Henri Lepage, 1978)
Pour ajouter à la confusion, certains gauchistes ont néanmoins traduit libertarian par « libéral-libertaire », cependant que quelques rares libéraux revendiquent le mot « libertaire ». Les libertarian francophones du Québec, dans un pays où tout le monde est bilingue, ont repris le terme « libertarien », phonétiquement proche de l'américain libertarian, en France l'ADEL en a fait de même puisqu'il s'agit bien de l'association des Libertariens.
Le mot anglais libertarian, quant à lui, est attribué à Leonard Read, fondateur de la Foundation for Economic Education, pour se distinguer des néoconservateurs et des liberals socialistes.

Libéralisme, libertarianisme, libertarisme, libéral / libertarien

Le mot « libertarien » donne lieu au néologisme « libertarianisme »[3] - mot si inutilement compliqué que même ceux qui se revendiquent « libertariens » préfèrent parler de libéralisme pour nommer leur philosophie (ce en quoi certains libéraux non libertariens sont en désaccord). Certains utilisent aussi le terme « libertarisme », mais ce dernier mot est revendiqué également par les libertaires[4].
A noter que les autres langues latines (italien, espagnol, portugais) utilisent indifféremment les termes libertario / libertariano (libertarien) et libertarismo / libertarianismo (libertarisme).
Certains auteurs français utilisent indifféremment les termes libéral et libertarien (François Guillaumat, Bertrand Lemennicier, etc.), d'autres n'utilisent que le terme libéral (Pascal Salin). Tout semble dépendre de la volonté ou non de se différencier des politiciens "libéraux" français (traditionnellement centristes, peu suspects d'extrémisme et peu enclins à une certaine cohérence idéologique...), ou de revendiquer résolument le terme de libéral en se rattachant à la lignée libérale française des siècles passés, elle-même à l'origine même du courant "libertarien" contemporain.
Le Petit Larousse illustré 2014 accepte le terme et le définit ainsi[5] :
libertarien, enne
n. et adj. (angl. libertarian). Partisan d’une philosophie politique et économique (princip. répandue dans les pays anglo-saxons) qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’État.
adj. Relatif à cette philosophie.
Il semble donc justifié de distinguer entre libéraux et libertariens, les libertariens étant des libéraux mais les libéraux n'étant pas tous des libertariens. Le libertarien se réclame de grands principes a priori (propriété de soi-même, axiome de non-agression, droit naturel...) alors que le libéral non libertarien se préoccupe de la liberté de façon plus empirique.
Il faut ainsi aborder les textes anglais avec de grandes précautions, car liberal et libertarian ne peuvent être traduits en français de façon univoque par "libéral" et "libertarien". Ainsi la phrase suivante : "Liberal critiques of libertarianism matter because libertarians claim to be liberals"[6], quasiment intraduisible en français[7], emploie le terme liberal dans le double sens de "progressiste" et de "libéral".
On aura donc les équivalences suivantes, en fonction du contexte :
  • liberal : 1. progressiste (voire socialiste)[8] ; 2. libéral (dans son acception ancienne) ;
  • libertarian : 1. libéral (classique) ; 2. libertarien ; 3. libertaire (dans son acception ancienne) ;

Politique

Le libertarisme a une existence politique dans les pays anglo-saxons (libertarian party). Il échappe à un positionnement politique classique de par ses thèses qui le situent à la fois à gauche au plan des libertés individuelles (usage libre des drogues, liberté d'expression, liberté d'immigration, liberté sexuelle...) et à droite au plan des libertés économiques (respect de la propriété privée, libre-échange, suppression ou diminution drastique de la fiscalité...). Comme le dit Murray Rothbard : le libertarien ne voit aucune incohérence à être « de gauche » dans certains domaines et « de droite » dans d’autres. Au contraire, il considère que sa position est quasiment la seule qui soit cohérente du point de vue de la liberté individuelle.
Les libertariens sont inclassables, et les personnes non averties (au moins en Europe, où les thèses libertariennes sont encore peu répandues) ont tôt fait de les classer, par ignorance, tantôt à l'extrême-gauche (anarchisme, refus des lois, défense intransigeante des libertés), tantôt à l'extrême-droite (liberté du port d'armes, défense intransigeante de la propriété et de l'entreprise privée, refus de l'assistanat étatique). Le libertarisme est en réalité anti-politique, pour lui la politique ne diffère pas de l'esclavagisme.

En quoi les libertariens diffèrent des libéraux

Même si le socle philosophique est commun, les divergences avec les libéraux sont nombreuses, et portent sur le rôle de l'État, du service public, la conception de la politique et de la démocratie, l'impôt, la loi, l'immigration, le droit pénal, etc. (les articles cités explicitent les différences). Les libéraux considèrent habituellement les libertariens comme des libéraux "radicaux" voire extrémistes, les libertariens considèrent les libéraux non libertariens comme des "compagnons de route" qui ne sont pas allés jusqu'au bout de la logique libérale (en raison d'un trop grand respect envers l'État, ou d'une conception incomplète de ce qu'est le droit). Les libertariens ont une vision pessimiste de l’État, les libéraux une vision optimiste : « pour un libéral, l'État minimal est le plancher ; pour un libertarien, il est le plafond. » (Patrick Smets).
Les libertariens, en comparaison avec les libéraux, ont de par leur logique propriétariste des idées très arrêtées sur ce que devrait être le droit dans une société libre, alors que les libéraux seront moins catégoriques sur le rôle de l'État et plus hésitants sur la réalité de la lutte des classes que dénoncent les libertariens, ou sur le principe de non agression que les libertariens érigent en règle générale. Les libertariens voient le libéralisme classique comme un compromis incohérent entre le principe de non-agression et l'approbation de l'existence d'un État minimum, qui par définition repose sur l'agression.
Il est cependant impossible de tracer une frontière claire entre libertariens et libéraux (aux États-Unis, on emploie d'ailleurs le même terme dans les deux cas : libertarian). La différence est peut-être une question d'attitude : les libertariens déduisent leur position sur tout sujet de grands principes a priori tels que la non-agression, la propriété de soi-même ou le concept de droit naturel, avec le risque de tomber dans un certain dogmatisme (Rothbard est souvent cité comme l'exemple-type) ; les libéraux, eux, sont davantage attachés aux conséquences et adoptent un point de vue empirique (Hayek) ou utilitariste sans a priori. Comme le remarque un peu cruellement Virginia Postrel (an 18th-century brain in a 21st-century head) : la tradition déductive a défini l'identité libertarienne et son dogme, tandis que la tradition empirique a réalisé ses buts.
Certains "tests" essaient de cerner les différences fondamentales entre libéraux et libertariens, par exemple : Libéral ou libertarien ? Faites le test !.

Points de désaccord entre libertariens

Même si les points de vue sur la réduction du rôle de l’État et l'importance des droits individuels et de la non-agression font l'unanimité, il existe plusieurs points de désaccord entre libertariens :

Libertariens "de droite" et libertariens "de gauche"

Certains auteurs, tels Peter Vallentyne, se fondent sur le désaccord quant à l'appropriation des ressources naturelles pour distinguer un libertarisme "de droite" et un libertarisme "de gauche" ([1]). Ainsi, Rothbard et Kirzner seraient des libertariens d’extrême droite, car ils admettent que n'importe qui peut s’approprier des ressources non encore appropriées. Nozick serait seulement "de droite", car il admet le proviso lockéen. Les libertariens georgistes (Henry George, Hillel Steiner) admettent l'appropriation des ressources naturelles non encore appropriées en contrepartie d'une location versée à un fonds social. Enfin les libertariens "égalitaristes" tels Peter Vallentyne exigent en outre le paiement d'un impôt sur tous les avantages reçus de cette appropriation ("taxation complète des avantages").
Les libertariens agoristes se considèrent également comme des libertariens de gauche, voire d'extrême gauche, parce qu'ils se considèrent comme "anti-establishment", aussi bien contre le socialisme que contre le conservatisme.
Aux États-Unis on parle également de conservatisme libertarien[9], résultant d'une convergence entre deux courants politiques proches, les conservateurs étant souvent en faveur d'un gouvernement limité et les libertariens ne rejetant pas les "valeurs conservatrices" ; Ron Paul ou Gary Earl Johnson seraient ainsi des "conservateurs libertariens", ou des "libertariens conservateurs".

Les réalisations libertariennes

Alors que les hommes politiques traditionnels s'emploient à créer des privilèges et de faux droits, les libertariens cherchent à mettre en œuvre leurs idées de façon concrète directement dans la société civile (et non par la coercition étatique) en créant des services utiles aux personnes, visant à promouvoir l'autonomie individuelle. On peut citer les exemples suivants :
  • Wikipédia est une encyclopédie coopérative d'inspiration libertarienne, créée par Jimmy Wales ; c'est une bonne illustration du concept contre-intuitif d'ordre spontané ;
  • Bitcoin est une monnaie virtuelle décentralisée, créée par des libertariens partisans de la concurrence monétaire ;
  • plus généralement, le processus technique de "blockchain" qui est à l’œuvre dans Bitcoin est cyberlibertarien dans sa nature, car il peut être généralisé pour réaliser toutes sortes d'échanges entre les individus, sans intermédiaire ni entité centrale
  • les projets d’États libertariens, encore utopiques, pourraient un jour aboutir à des réalisations concrètes, soit par la voie politique (Free State Project), soit ex nihilo (seasteading, villes privées) ;
  • l'activisme libertarien (Ron Paul, Rand Paul, Edward Snowden, Hannah Giles, etc.) dénonce les pratiques politiques abusives des États ;
  • certains libertariens se sont spécialisés dans le survivalisme et partagent leurs expériences ;
  • les philanthropes libertariens (par exemple Peter Thiel) financent divers projets liés à la cause libertarienne.

Un pays pour les libertariens

Aucun pays existant ne pouvant convenir aux libertariens, ces derniers ont le choix entre militer dans leur propre pays pour davantage de liberté, ou, quand c'est possible, partir pour des pays plus libres (comme certaines micronations en Europe, Amérique ou Asie), ou encore construire à partir de zéro un tel pays. Les projets ont été très nombreux, mais aucun n'a encore véritablement abouti. Parmi les anciens projets :
  • la Principauté de Minerva, fondée en 1971 par un activiste libertarien de Las Vegas, Michael Oliver, sur les récifs de Minerva, à 500 km au sud-ouest du royaume de Tonga. Cependant, en 1972, les îles Tonga ont annexé Minerva. Le territoire est actuellement revendiqué par la Principauté de Minerva (gouvernement en exil) ainsi que par les îles Fidji.
  • la Principauté de Freedonia, créée en 1992. Le but ultime était de créer une nation libertarienne souveraine. Après un essai infructueux en Somalie en 2001, le projet a été abandonné.
  • Oceania, The Atlantis Project, projet libertarien de ville flottante, abandonné en 1994. Son auteur s'est tourné vers un projet humanitaire plus ambitieux, Lifeboat Foundation.
  • la Principauté de Sealand (ancienne plate-forme militaire de l'armée britannique, construite au large de l'estuaire de la Tamise dans les eaux internationales) est un exemple de micronation réussie (mais non libertarienne, et de plus extrêmement minuscule) dont les libertariens pourraient s'inspirer dans leurs projets futurs.
  • le projet Limón REAL fut un projet de province autonome libertarienne au Costa Rica, conduit par Rigoberto Stewart.
  • Liberland (nom officiel : "Free Republic of Liberland") est une enclave de 7 km² entre Serbie et Croatie sur la rive du Danube, proclamée république par Vít Jedlička le 13 avril 2015. Ce territoire (appelé aussi "Gornja Siga") résulte d'une querelle de frontière entre Serbie et Croatie qui aboutit à en faire une "terra nullius".
À ce jour, le projet le plus abouti est le Free State Project, qui vise à regrouper 20000 libertariens dans l'État du New Hampshire, de façon à exercer une pression politique forte en direction du libertarisme. Une variante du projet a choisi l'État du Wyoming. Leur clone européen, "European Free State", a été pour le moment abandonné.
Le seasteading est vu comme une possibilité futuriste d'établir des communautés libertariennes en-dehors des États, sur des territoires très grands et non encore étatisés : les eaux internationales. Il n'y a pas de projet concernant les territoires terrestres inoccupés[10]

D) La philosophie libertarienne de Robert Nozick


 Dans Distributive Justice, Nozick entend présenter la théorie libertarienne de la propriété. La thèse défendue est celle-ci :

il n’y a aucunement besoin d’une intervention étatique dans les transferts privés de richesses pour assurer la justice de la distribution

. Voilà qui caractérise précisément la minarchie, le pouvoir minimal de l’Etat. Cette position libertarienne est défendue en trois moments. D’abord, Nozick expose ce qu’on peut traduire par une « théorie de l’habilitation », selon laquelle il n’est pas besoin, pour garantir à chacun son dû, d’organiser une redistribution « artificielle » des richesses pour respecter une certaine norme de distribution. Ensuite, il montre qu’une théorie libertarienne de la propriété inspirée par Locke peut assurer une distribution juste indépendamment d’une intervention extérieure au marché. Enfin, il conforte sa position dans une critique de l’égalitarianisme de Rawls.

La critique de la distribution standardisée
 
Nozick appelle « distribution standardisée » une distribution des richesses qui répartit les biens entre les biens entre les personnes selon une certaine règle :
« let us call a principle of distribution patterned if it specifies that a distribution is to vary along with some natural dimension »

Ceci caractérise selon Nozick l’Etat-Providence. Les distributions standardisées posent problème, parce qu’elle ne se posent pas la question de savoir comment en est-on arrivés à telle situation, comment par exemple une situation d’inégalité est survenue entre les richesses des personnes ; elles se contentent de redistribuer les richesses comme si, par exemple, la distribution initiale était injuste parce qu’inégale. Au contraire, l’intérêt de considérer l’« historicité » de la distribution est de savoir si la situation d’un individu convient à la personne de cet individu – c’est la notion de mérite : 

« we think it relevant to ask whether someone did something so that he deserved to be punished, deserved to have a lower share.
 (…) Historical principles of justice hold that past circumstances or actions of people can create differential entitlements ». 
 
Ceci explicite clairement que la possibilité d’une inégalité juste est au fondement du libéralisme et de son pendant libertarien. La distribution standardisée est donc foncièrement injuste, parce qu’elle est aveugle au mérite, mais aussi parce qu’elle entre continuellement en interférence avec la liberté des individus quand à leurs possessions. Ceci a deux conséquences : d’une part la liberté individuelle n’est pas respectée, d’autre part il est impossible de respecter le standard puisque l’action économique des individus bouleverse à chaque instant la forme de la distribution. Cette dernière conséquence affecte évidemment la distribution égalitarienne chère à Rawls : « any distributional pattern with an egalitarian component is overturnable by the voluntary actions of individuals ». Rejetant les standards, Nozick ne peut pas pour autant se passer d’un critère pour juger de la justice des propriétés et des distributions. Pour ce faire, il emprunte à Locke une certaine clause de sa théorie de la propriété.

L’interprétation de la propriété lockéenne :

S’interrogeant sur ce qui peut fonder la légitimité de la propriété, Nozick affirme qu’une propriété est juste si elle ne dégrade pas la situation des autres – « the crucial point is whether appropriation of an object worsens the situation of others ». C’est ici qu’est introduite la clause lockéenne : « Locke’s proviso that there be ‘enough and as good left in common for others’ is meant to ensure that the situation of others is not worsened ». Selon une interprétation forte, une appropriation serait illégitime au sens de Locke si elle interdisait aux autres toute appropriation future. Cependant, le nombre de choses à approprier étant fini , il est clair qu’arrivera le cas où quelqu’un ne pourra pas accéder à la propriété, rendant illégitimes toutes les appropriations antérieures ayant mené à cette situation d’impasse. La clause n’est donc opératoire selon Nozick que dans son interprétation faible, à savoir : il est possible de ne laisser à autrui aucune opportunité d’appropriation ; est seulement interdit de ne lui laisser aucune possibilité d’user des choses inappropriées. Cette interprétation permet de soutenir le principe de la libre concurrence – en tant que concurrence permise à tous – comme principe fondamental de la justice de la distribution au sens libertarien, même dans la situation où le champ des choses qu’il est possible d’approprier est fini . Ce principe est nécessaire et suffisant : il n’y a pas besoin de l’action d’un Etat pour assurer le respect de la clause lockéenne – « I believe that the free operation of a market will not actually run afoul of the lockean proviso (…). If this is correct, the proviso (…) will not provide a significant opportunity for future state action ». On est libre d’entendre ici un lointain écho de l’idée chère à Adam Smith d’une « main invisible » qui règlerait le marché, et la justice de la distribution, en dehors de toute ingérence volontariste. La critique de la conception égalitarienne de la justice distributive permet de démontrer négativement la pertinence de cette position.


La critique de l'égalitarianisme :
Le système de la liberté naturelle entend opérer une distribution juste en laissant se développer les talents des personnes. Ceci mène à une situation d’inégalité, puisque tout le monde n’a pas les mêmes talents naturels . Rawls condamne ici une situation d’injustice, puisque la dotation est arbitraire : « the initial distribution of assets is strongly influenced by natural and social contingencies ». Le différentiel de richesse est alors injuste parce qu’immérité : « his character [c’est à dire la propension d’un individu à développer par l’effort ses aptitudes naturelles] depends in large part upon (…) social circumstances for which he can claim no credit ». L’égalitarianisme entend opérer une redistribution pour corriger l’injustice du système de la liberté naturelle. L’essentiel de la critique de cette thèse par Nozick porte sur le fait de faire de l’égalité une norme de la distribution. Pour lui, une telle norme renvoie au système de la distribution standardisée dont il a déjà montré le caractère injuste du point de vue de la liberté. Reste à comprendre comment ce sont précisément les atouts naturels qui justifient l’inégalité juste de la distribution non standardisée. L’idée centrale est que chacun est habilité à posséder ses atouts naturels : on peut avoir quelque chose, par exemple les atouts naturels, de manière légitime, sans qu’il soit besoin pour lui de mériter au pont de vue moral cette chose. La dotation naturelle a beau être arbitraire, elle n’est pas injuste. On peut alors écrire l’argument par lequel une théorie de l’habilitation justifie une distribution à partir de la dotation des atouts naturels :
  1 – Les personnes sont habilitées à leurs atouts naturels.
2 – Si A est habilité à x, A est habilité à ce qui provient de x.
3 – Les richesses des personnes proviennent de leurs atouts naturels. Donc :
4 – Les personnes sont habilitées à leurs richesses.
 
Et Nozick de faire ce constat : 
 
« we have found no cogent argument to (help) establish that differences in holdings arising from differences in natural assets should be eliminated or minimized ». 
 
L’absence de cet argument justifie la minimalisation de l’Etat : il suffit que la distribution soit opérée par les individus en respectant ses principes lockéens pour que soit garantie sa justice. L’injustice n’est donc pas intrinsèque à la distribution libertarienne ; elle n’est le fait que d’accidents perpétrés par des individus. Ici, il y a une place pour l’Etat en tant que rectificateur de ces injustices ; mais tout pouvoir prescriptif lui est interdit.

Critique :
On peut penser que les interprétations fondatrices que Nozick propose de la propriété lockéenne et de la dotation naturelle des atouts n’est pas pleinement satisfaisante. Tout d’abord, on ne voit pas explicitement ce qui motive Nozick à ne retenir que l’interprétation faible de la clause lockéenne. En effet, la lettre de Locke met au principe le droit que chacun doit avoir à l’appropriation ; c’est le sens de l’exigence qui est faite de laisser à autrui des opportunités d’appropriation. Au niveau économique, cela s’appelle la libre concurrence. Cependant, Nozick, en biaisant cette clause, c’est à dire en permettant que certains ne soient jamais propriétaires, est en contradiction avec cette exigence. Au niveau économique, cela autorise les situations de monopole . Or, quoi de plus contraire au droit à concurrence que le monopole ? La clause lockéenne interdit précisément le monopole, car qui accroît ses richesses en jouant le jeu de la libre concurrence est malhonnête s’il interdit aux autres de suivre son chemin. Se reconnaît ici la place que la théorie lockéenne de la propriété accorde à l’égalité, à savoir quelque chose comme une « égalité des chances ». Si la théorie de la propriété ne la respecte pas, elle est injuste.
 
 
On peut alors proposer l’objection que Nozick a montré que l’inégalité des atouts naturels, qu’on peut entendre finalement comme une « inégalité des chances », n’a rien d’illégitime. Certes, elle n’est pas illégitime ; mais cela ne la rend pas légitime. En outre, ce n’est pas parce qu’elle est naturelle que nous devons nous interdire de la régler . La situation naturelle des atouts n’est certes pas une situation d’injustice, puisqu’il n’y a pas de juste et d’injuste ailleurs que dans l’état civil. C’est une situation d’ a-justice. Or, la justice positive n’entend pas, quand elle règle la distribution naturelle, réparer une injustice, mais seulement instituer de la justice là où il n’y en a pas . Il serait ici particulièrement intéressant que Nozick discute ce point de la théorie de Rawls, selon lequel les contractants d’un contrat social, ne pouvant avoir la prescience de la situation qui sera la leur dans la société future, ont intérêt à instituer un système de justice qui maximise la situation du plus pauvre ; parce que le plus pauvre, ce pourrait bien être chacun d’entre eux. Ceci nous amène à penser que le libertarianisme ne peut être défendu « après coup » que par le groupe des individus les plus riches (et qui leur en voudra ?) car il garantit leur différentiel de richesses . Contre cela, Nozick affirme au contraire que la situation de la propriété n’est pas un jeu à somme constante : l’accroissement de la richesse des plus riches ne signifie pas la diminution de celles des plus pauvres. Remarquons pourtant que Nozick a reconnu qu’il n’y avait pas une infinité de choses à approprier – c’est le sens de son interprétation faible de la clause lockéenne. Il faudrait alors qu’il expose explicitement comment il tient ensemble l’idée que le nombre de choses à approprier est fini et l’idée que l’appropriation par A d’une chose x ne constitue pas pour B une dégradation au moins potentielle de sa liberté d’appropriation. 
 
En définitive, ces remarques succintes nous mettent sur la voie que l’Etat n’est pas si dispensable pour réaliser la justice distributive. Cette critique de ce qu’il faut bien appeler un ultra-libéralisme ne doit rien avoir d’idéologique – il faut rendre hommage à la grande pertinence de nombre des remarques proposées par Nozick. Pourtant, l’interaction de l’Etat dans la distribution des richesses paraît nécessaire pour la simple raison que le champ d’appropriation n’est pas infini. Cette donnée simple rend difficilement applicable la clause lockéenne dans son interprétation forte : si tout le monde doit en droit pouvoir approprier, et si tout le monde ne peut pas en fait approprier, il nous semble y avoir là une injustice, non pas extérieure à la théorie libérale, située dans des déviances individuelles, mais intrinsèque à une interprétation du libéralisme lockéen qui insiste sur la liberté d’appropriation sans retenir que la lettre lockéenne la bride doublement par l’exigence de quelque chose comme une égalité des chances et l’interdiction des monopoles, qui doivent faire en sorte que tout le monde puisse entrer en concurrence. Et même si on voulait faire la fleur aux libertariens de leur accorder que cette injustice n’est pas intrinsèque à leur théorie, on ne pourrait pas céder sur le fait que celle-ci favorise structurellement la perpétration d’injustices au niveau individuel – pour les plus riches, le monopole ; pour les plus pauvres, le vol. Autant d’injustices qu’un Etat fort (puisque les injustices seront nombreuses et graves) aura devoir de rectifier . Si cela est juste, le libertarianisme ne peut pas assurer la justice distributive. l’Etat doit donc constamment organiser la redistribution, peut-être selon une norme égalitarienne, la liberté individuelle dût-elle s’en trouver limitée.
 
Par JLR  - l'Arbre@Palabre



E) Le libertarianisme est il une philosophie éthique ou politique par Alexander Mc Cobin

 Dans un article intitulé « The Political Principle of Liberty », Alexander McCobin, président-fondateur de l’organisation Students for Liberty, aborde la question de la nature du libertarianisme. 

Ce terme est le nom contemporain qui désigne aux États-Unis le libéralisme classique. Nous avons choisi ici de conserver ce néologisme pour en préciser les contours. Je vais donc résumer cet article fort intéressant mais pas encore traduit pour le lecteur français.
 
Le libertarianisme, nous dit McCobin, n’est pas une philosophie globale qui aurait réponse à tout, qui nous donnerait le sens de l’existence, de la vérité, de l’art et de l’amour. C’est une philosophie sociale et politique qui cherche à expliquer comment les gens devraient se comporter les uns vis-à-vis des autres. C’est une philosophie politique et juridique, non une philosophie éthique. L’éthique nous dit comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique nous dit comment être justes à l’égard des autres. Elle se préoccupe donc des lois, de leur objet, de leur nature et de leurs limites.

Ainsi, on peut condamner quelqu’un pour sa conduite scandaleuse, immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les droits d’autrui.

La liberté est donc un principe qui rend possible la coexistence de nombreuses philosophies de la vie et de l’éthique, dans un cadre d’interactions sociales volontaires où personne ne vole personne. Les individus peuvent adopter le libertarianisme en raison de philosophies de la vie ou de valeurs tout à fait divergentes : l’épanouissement humain, l’autonomie, la raison, le bonheur, les préceptes religieux, la sympathie ou l’équité.
Tout comme il peut y avoir plusieurs types de justifications d’un principe, il peut y avoir également des variations entre les libertariens sur les politiques à mener, c’est-à-dire sur la manière d’appliquer le principe de la liberté.
Il y a ainsi des débats ouverts entre libertariens sur de nombreux sujets :

– les brevets et les droits d’auteur (sont-ils des droits de propriété fondés sur la créativité ou des monopoles cachés ?) ;
– la peine de mort pour les meurtriers (est-elle une juste rétribution ou un pouvoir dangereux ?) ;
– l’avortement (y a-t-il deux sujets de droits impliqués, ou seulement un seul ?) ;
– la fiscalité (est-elle purement et simplement du vol, ou des frais à payer pour des services utiles comme la défense ? ) ;
– et même le mariage gay (l’État devrait-il empêcher la discrimination contre les homosexuels, ou devrait-il tout simplement laisser le mariage au marché libre ?).
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de politiques libertariennes : les lois contre l’assassinat, le viol et l’esclavage sont fondamentales à tout système juridique civilisé. Elles devraient même s’appliquer à tous les gouvernements. Néanmoins, il n’est pas toujours évident de savoir quelles politiques spécifiques sont nécessaires pour faire respecter ces lois générales. Là encore, des gens raisonnables peuvent être en désaccord. Par exemple, la façon dont un gouvernement doit garantir la sécurité contre le terrorisme fait l’objet de débats.

Conclusion
Les libertariens sont des gens issus de toutes les confessions religieuses ou philosophiques, partisans d’une grande variété de modes de vie, d’origines ethniques et de groupes linguistiques divers. Le libertarianisme ne nécessite pas l’unanimité sur tout. La raison pour laquelle une personne défend le principe de la liberté égale pour tous peut varier. Un libertarien peut également être en désaccord avec un autre sur les prescriptions politiques les plus appropriées pour faire appliquer ce principe dans le monde. Mais tous souscrivent au principe commun de la liberté égale pour tous. Tous sont unis pour combattre les lois sur les crimes sans victime, s’opposer à la tyrannie, défendre la liberté du commerce et de l’entreprise, s’opposer à la violence agressive.

Damien Theillier,

Le livre d’où est extrait cet article d’Alexander McCobin, Why liberty , est une introduction générale et multidisciplinaire à la puissance transformatrice de la liberté pour l’individu comme pour la société. Il traite de la liberté non seulement d’un point de vue politique, mais aussi au travers du prisme de la culture, de l’entrepreneuriat, de la santé, de l’art, de la technologie et de la philosophie.
Table des matières du livre :
1.Why Be Libertarian, by Tom Palmer
2.There Ought NOT to Be a Law, by John Stossel
3.Libertarianism as Radical Centrism, by Clark Ruper
4.The History and Structure of Libertarian Thought, by Tom Palmer
5.“The Times, They Are A-Changin’”: Libertarianism as Abolitionism, by JamesPadilioni, Jr.
6.The Political Principle of Liberty, by Alexander McCobin
7.No Liberty, No Art: No Art, No Liberty, by Sarah Skwire
8.The Humble Case for Liberty, by Aaron Ross Powell
9.Africa’s Promise of Liberty, by Olumayowa Okediran
10.The Tangled Dynamics of State Interventionism: The Case of Health Care, by Sloane Frost
11.How Do You Know? Knowledge and the Presumption of Liberty, by Lode Cossaerand Maarten Wegge
12.The Origins of State and Government, by Tom Palmer
Télécharger le livre en anglais
Télécharger le 1er chapitre : Why be libertarian?



F) Les  12 posts sur le sujet comme la critique sur l'Université Liberté 

Thierry, libertarien néo-Suisse a trouvé la clef de Fa sans " bémol " sur Lausanne

 

Robert Alexandre Nisbet: sociologie conservatisme/libertarianisme

La vision libertarienne de la société est atomique par Paul Makamea?

Droits naturels ou DROIT NATUREL ?

L'État pense à Vous, ne l'oubliez pas, volez à son secours l'État vous rendra grâce

Connaissez-vous le libéralisme "intégral" de Beigbeder et le libertarianisme de Masse ?

Les libertariens sont les économistes que nous qualifions souvent d'ultralibéraux. Ils pensent que le marché concourt mieux que tout autre mécanisme à faire que la recherche par chacun de son intérêt personnel débouche sur le meilleur intérêt général qui se puisse concevoir. Pour eux, l'Etat est l'ennemi toutes les fois qu'il empiète sur la liberté personnelle au nom d'un pseudo-intérêt général. L'auteur consacre ce livre - issu d'une thèse de doctorat - à la genèse et à la conceptualisation de ce courant d'analyse économique (le libertarianisme) aux Etats-Unis. Il en montre la diversité: les fondements sont parfois néoclassiques (Milton Friedman, David Friedman, James Buchanan), "autrichiens" (Ludwig von Mises, Friedrich von Hayek, Murray Rothbard), voire philosophiques (Ayn Rand et Robert Nozick), débouchant sur des analyses bien plus différentes qu'on ne le croit. Les uns s'attachent à un Etat minimal, les autres pensent qu'il est possible de s'en passer et que tout Etat porte avec lui prédation et arbitraire.

Contrairement à ce que beaucoup croient, Hayek est "l'un des plus modérés libertariens", parce qu'il justifie la légitimité de certains services publics. Le trait commun de ce courant de pensée est davantage de vouloir ouvrir le champ des possibles en permettant à chacun de vivre comme il l'entend que de bâtir une société, ce qui suscite le jugement suivant de l'auteur (mais à la fin d'un volume tout entier pénétré de sympathie critique à l'égard de ce courant de pensée): "Les libertariens ne donnent au fond aucun sens au vivre ensemble et ne reconnaissent l'existence d'aucun bien commun."

Ce livre permet de comprendre un peu mieux la diversité et la démarche de ce courant, analysées avec une précision remarquable. On regrettera seulement qu'il n'y soit rien dit de ses représentants français. Et, curieusement, la préface de Claude Mossé annoncée sur la couverture est absente. Par désaccord?

La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d'une utopie libérale, par Sébastien Caré
Ed. PUF, 2009, 356 p., 34 euros.

Alternatives économiques



H) Une critique: 5 raisons de rejeter le libertarianisme

En parcourant la théologie systématique de John Frame (Systematic Theology: An Introduction to Christian Belief, p. 825-831), je suis tombé sur une critique du libertarianisme. L’auteur y expose 15 points utiles.

Il commence par la définition que R.K. McGregor Wright donne du libertarianisme : la croyance que la volonté humaine possède le pouvoir inhérent de choisir avec une égale facilité entre des alternatives. Ceci est communément appelé “le pouvoir de choix contraire” ou la “liberté d’indifférence”.

Cette croyance ne prétend pas qu’aucune influence ne puisse s’exercer sur la volonté, mais elle souligne que, normalement, la volonté peut surmonter ces facteurs et choisir malgré eux. En fin de compte, la volonté est libre de tout lien de causalité nécessaire. En d’autres termes, elle est autonome de toute détermination extérieure.

Le libertarianisme suppose qu’il existe une partie de la nature humaine que nous pourrions appeler : la “volonté” (en français, on utilise aussi le mot “arbitre”, comme dans “libre arbitre”). Cette volonté est indépendante de tous les autres aspects de notre être et est en mesure de prendre des décisions contraires à toutes motivations.

Il est nécessaire de maintenir ce niveau de liberté parce que c’est la seule liberté qui peut faire que nous puissions être tenus responsables de nos actions. Ce point de vue a une longue histoire dans la théologie chrétienne et une partie significative de l’église primitive y a adhéré (ou bien à quelque position semblable) jusqu’au temps d’Augustin, lors de la controverse Pélagienne.

Bien que la position libertarienne ait gagné en popularité dans les milieux évangéliques modernes, les calvinistes modernes doivent continuer à s’y opposer. Frame souligne à juste titre que cette vue est l’objet de critiques très sévères.

Il donne plus de détails dans son livre, mais voici une liste de ces critiques qu’il prend plusieurs pages à exposer :

  1. L’Écriture ne l’enseigne d’aucune façon explicite.
  2. L’Écriture n’établit jamais la responsabilité humaine sur la “liberté libertarienne” (c’est à dire, la liberté version “libertarienne”) ou, d’ailleurs, quelque autre forme de liberté.
  3. L’Écriture n’indique pas que Dieu donnerait une quelconque valeur positive à la liberté libertarienne (ni même n’admet qu’elle existe).
  4. L’Écriture ne juge jamais la conduite de quelqu’un par rapport à sa liberté libertarienne.
  5. Dans les tribunaux civils, nous ne supposons jamais que la liberté libertarienne soit une condition de la responsabilité morale.
  6. Les palais de justice assument normalement le contraire du libertarianisme, à savoir, que le comportement des criminels découle de motifs divers et variés.
  7. L’Écriture contredit l’idée que seules les décisions sans cause sont moralement responsables.
  8. L’Écriture nie aussi que nous avons l’indépendance exigée par la théorie libertarienne.
  9. Le libertarianisme, par conséquent, viole l’enseignement biblique concernant l’unité de la personnalité humaine dans le cœur.
  10. Si la liberté libertarienne est nécessaire à la responsabilité morale, alors Dieu n’est évidemment pas moralement responsable, car il n’est pas libre d’agir contre son propre caractère saint.
  11. Le libertarianisme est essentiellement une généralisation très abstraite du principe “la capacité limite la responsabilité”.
  12. Le libertarianisme est incompatible non seulement avec la prédestination divine de toutes choses, mais même avec sa connaissance des événements futurs.
  13. De même que les théistes ouverts Pinnock et Ricer, les libertariens ont tendance à faire leur point de vue sur la volonté libre une vérité centrale non négociable, avec laquelle toutes les autres déclarations théologiques doivent être rendues compatibles.
  14. Les défenses philosophiques du libertarianisme font souvent appel à l’intuition comme groupe de croyance au libre arbitre: chaque fois que nous sommes confrontés à un choix, nous pensons que nous pourrions choisir d’une façon ou d’une autre, même contre notre désir le plus fort.
  15. Si le libertarianisme est vrai, Dieu a quelque peu limité sa souveraineté, afin de ne pas accomplir tout ce qui va arriver.
 Article traduit par Matt Massicotte

Article original publié sur le blog Nil Nisi Verum.


I) La réponse aux critiques: Six mythes au sujet du libertarianisme. 

Le libertarianisme est aujourd’hui le credo politique dont la progression est la plus rapide aux États-Unis. Avant de juger et d’évaluer les mérites du libertarianisme, il est essentiel de comprendre ce qu’il est, et surtout ce qu’il n’est pas. En particulier, il convient de réfuter un certain nombre d’idées fausses répandues (notamment auprès des conservateurs) à son sujet.  Dans cet essai, je vais énumérer, et soumettre à la critique, les mythes les plus répandus au sujet du libertarianisme. Une fois ces mythes réfutés, les lecteurs seront en mesure de discuter du libertarianisme, libres de l’influence des idées fausses ; il sera alors possible de débattre de cette philosophie, d’en évaluer les mérites et les démérites.

Mythe 1 : Les libertariens croient que les individus sont des êtres socialement isolés, hermétiques, insensibles aux influences extérieures
Pour fréquente que soit cette critique, elle n’en reste pas moins surprenante. Au cours de mes lectures, je n’ai jamais rencontré un auteur libéral soutenant une telle position. La seule exception étant le fanatique Max Stirner, un individualiste allemand du milieu du XIXe siècle, qui n’eut cependant qu’une influence minime sur le mouvement libertarien. En outre, la philosophie de Stirner selon laquelle « la Force Fait le Droit [Might Makes Right] » et son rejet de tous les principes moraux, quels qu’ils soient, y compris celui des droits individuels, qu’il qualifia d’ « illusion mentale », ne permettent guère de l’inclure parmi les penseurs libéraux. Hormis Stirner, cependant, aucun auteur libéral n’a soutenu une opinion ressemblant, même de loin, à cette accusation fréquente.

Les libertariens, il est vrai, sont individualistes, politiquement et méthodologiquement. Ils soutiennent que seuls les individus pensent, préfèrent, agissent et choisissent. Ils croient que les individus sont propriétaires de leur corps, et qu’ils ont le droit de n’être pas victimes d’intrusion violente. Mais aucun individualiste ne nie que les gens s’influencent les uns les autres, que ce soit à propos de leurs buts, leurs valeurs, leurs désirs ou leurs occupations. Comme F.A. Hayek le souligna dans son remarquable article, « Le sophisme de l’effet de dépendance », la critique de la libre entreprise que J.K. Galbraith énonça dans The Affluent Society, reposait sur cette proposition : la science économique fait l’hypothèse que les individus établissent seuls leurs préférences, qu’ils ne sont pas influencés par d’autres. Au contraire, comme Hayek le souligna, tout le monde sait que les gens ne déterminent pas seuls les valeurs auxquelles ils sont attachés, mais qu’ils sont influencés dans leur choix. Aucun libertarien ne nie que les individus s’influencent constamment les uns les autres. Il n’y a rien à objecter à cette tendance inévitable. Les libertariens ne s’opposent pas à la persuasion volontaire, ni à la coopération et à la collaboration entre individus. Ils s’opposent à l’imposition violente de valeurs par le biais du pouvoir politique, et à la pseudo « coopération » imposée par l’État.

Mythe 2 : Les libertariens sont libertins. Ils sont hédonistes et courent après les modes de vie alternatifs
Irving Kristol a récemment défendu une telle position. Kristol prétend que l’éthique libertarienne est hédoniste, et que les libertariens « vénèrent la société de consommation et tous les modes de vie alternatifs que la prospérité capitaliste met à disposition des hommes. » En réalité, le libertarianisme n’est pas, et ne prétend pas être, une théorie morale ou esthétique ; il n’est qu’une théorie politique, un sous-ensemble de la théorie morale qui traite du rôle de la violence en société.  La théorie politique traite du rôle de l’État, de ce qu’il doit faire ou ne pas faire ; l’État se distinguant des autres groupes sociaux en ce qu’il organise la violence. Le libertarianisme soutient que seule l’autodéfense peut justifier le recours à la violence, et que l’emploi de la force devient illégitime, injuste et criminel lorsqu’il dépasse cette limite. Le libertarianisme, par conséquent, stipule que les violations des droits individuels sont illégitimes et qu’une personne devrait être libre d’agir comme bon lui semble à condition qu’elle respecte les droits d’autrui. La façon dont une personne se comporte à l’intérieur de ces limites est d’une importance cruciale, mais ne concerne pas le libertarianisme.

Il n’est donc pas surprenant que certains libertariens soient hédonistes, adeptes de modes de vies alternatifs, alors que d’autres adhèrent fermement à la moralité bourgeoise et conventionnelle. Certains libertariens sont libertins ; d’autres sont très attachés à la discipline imposée par les doctrines religieuses. D’autres encore n’ont pour morale que celle imposée par l’axiome de non-agression. Autrement dit, le libertarianisme, en lui-même, ne prescrit aucune théorie morale générale ou personnelle. Il n’offre pas de sagesse de vie ; ce qu’il offre, c’est la liberté, de sorte que chacun puisse être libre d’agir selon ses propres principes moraux. Les libertariens s’accordent avec Lord Acton lorsqu’il affirme que « la liberté est la plus haute des fins politiques », mais pas nécessairement la fin la plus haute sur l’échelle de valeurs de tous les individus.

En revanche, il n’est pas contestable que les économistes libertariens, partisans de la libre entreprise, soient ravis lorsque le marché libre accroît l’éventail de choix à la disposition des consommateurs, et augmente ainsi leur niveau de vie. Sans aucun doute, l’idée que la prospérité est plus souhaitable que la misère est une proposition morale, et a trait au champ plus large de la théorie morale ; c’est malgré tout une proposition à laquelle je crois fermement.

Mythe 3. Les libertariens ne croient pas aux principes moraux ; ils se limitent à des analyses coûts-avantages en supposant que l’homme est toujours rationnel.
Ce mythe est, bien sûr, lié à l’accusation précédente d’hédonisme, et l’on peut en partie y répondre de la même façon. Il existe en effet des libertariens, en particulier les économistes de l’école de Chicago, qui refusent de croire que la liberté et les droits individuels sont des principes moraux ; et qui évaluent les politiques publiques à l’aune de leurs prétendus coûts et avantages sociaux.

Tout d’abord, la plupart des libertariens sont “subjectivistes” en économie, c’est-à-dire qu’ils croient que le bien-être des individus ne peut être ni mesuré ni additionné. De ce point de vue, les concepts de coûts ou d’avantages sociaux sont illégitimes. De surcroît, l’existence de principes moraux, du droit naturel sur sa personne et sa propriété, est centrale dans l’argumentation de la plupart des libertariens. Par conséquent, les libertariens soutiennent que la violence agressive, c’est-à-dire la violation de ces droits, est absolument immorale, quels que soient les personnes ou les groupes à l’origine de cette violence.

Loin d’être immoraux, les libertariens appliquent simplement une éthique humaine universelle à l’État, de la même manière que la plupart des gens appliqueraient cette éthique à toutes les autres personnes ou institutions sociales. En particulier, comme je l’ai souligné ci-dessus, le libertarianisme, en tant que philosophie politique, applique sans crainte à l’État une croyance éthique que la plupart d’entre nous entretenons à l’égard de la violence. Les libertariens ne font aucune exception à la règle d’or lorsqu’il s’agit de l’État. Les libertariens soutiennent qu’un meurtre reste un meurtre, et qu’il ne peut pas être justifié par la raison d’État s’il est commis par le gouvernement. Nous croyons qu’un vol reste un vol et qu’il ne devient pas légitime si une bande organisée de criminels le renomme « impôt ». Nous croyons que l’esclavage reste l’esclavage même si l’institution qui l’applique l’appelle « conscription ». En résumé, la clé de la théorie libertarienne, c’est qu’elle applique à tous son éthique universelle, et ne fait pas d’exception pour l’État.

Les libertariens sont donc loin d’être indifférents ou hostiles à l’égard des principes moraux. Au contraire. Ils sont les seuls prêts à étendre leur application aux activités de l’État lui-même.

Il est vrai que les libertariens permettent à chaque individu de choisir ses valeurs et d’agir en accord avec elles. Autrement dit, les libertariens accordent à chaque personne le choix de se comporter de façon morale ou immorale. La libertarianisme s’oppose fermement à l’imposition à qui que ce soit (groupe ou individu) de credo moraux par la violence, sauf, bien sûr, la prohibition morale à l’égard de la violence elle-même. Mais nous devons prendre conscience qu’aucune action ne peut être dite vertueuse sans être entreprise librement, en l’absence du consentement volontaire de l’individu. Comme le souligne Frank Meyer,
Ni la liberté ni la vertu ne peuvent être imposées aux hommes. Dans une certaine mesure, il est vrai, l’on peut les forcer à simuler la vertu. Mais la vertu est le fruit de la liberté bien comprise. Et aucune action entreprise de force ne peut être dite vertueuse (ou vicieuse).

Si un individu doit, par la contrainte, agir d’une certaine façon, cela n’est plus un choix moral de sa part. Une action ne peut être morale que si elle est librement entreprise ; une action ne peut guère être dite « morale » si l’on est forcé de l’entreprendre à la pointe d’un fusil. L’on ne peut donc pas prétendre que l’imposition de conduites morales, ou l’interdiction de conduites immorales, répandent de quelque façon que ce soit la vertu ou la morale. Au contraire, la coercition atrophie la moralité car elle ôte la liberté de choix individuelle, la liberté d’agir de façon morale ou immorale. Paradoxalement, donc, la coercition prive les individus de l’opportunité de se comporter de façon morale.

Il est donc particulièrement grotesque de vouloir mettre entre les mains de l’État (qui n’est rien de moins que l’organisation qui regroupe les policiers et les soldats) la garde légale de la morale. Donner à l’État la responsabilité d’assurer l’ordre moral revient à donner à un renard la charge d’un poulailler. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir des personnes à la tête de l’État (en charge d’organiser la violence en société), l’on doit reconnaître qu’elles ne se sont jamais distinguées par leur probité morale ou par leur soin à appliquer les principes moraux.

Mythe 4. Le libertarianisme est athée et matérialiste. Il néglige la spiritualité humaine.
Il n’existe aucune connexion nécessaire entre la position que l’on adopte à l’égard du libertarianisme et ses propres opinions religieuses. Certes, la plupart des libertariens contemporains sont athées, mais cela doit être mis en perspective avec le fait que la plupart des intellectuels, quelles que soient leurs tendances politiques, sont également athées. Beaucoup de libertariens sont croyants : juifs ou chrétiens par exemple. L’on compte de nombreux croyants parmi les penseurs libéraux, ancêtres du libertarianisme : de John Lilburne, Roger Williams, Anne Hutchinson, et John Locke, pour le dix-septième siècle, à Cobden et Bright, Frédéric Bastiat et les libéraux français, et enfin l’illustre Lord Acton.

Les libertariens croient que la liberté est un droit naturel, une composante centrale de la loi naturelle en accord avec l’essence de l’homme. L’origine – naturelle ou divine – de cet ensemble de lois naturelles est une question importante du point de vue ontologique, mais elle n’est pas pertinente pour la philosophie politique ou sociale. Comme le dit le Père Thomas Davitt, « Si le terme « naturel » est signifiant, il se rapporte à la nature humaine, et lorsqu’il est accolé au mot « loi », le mot « naturel » renvoie à un ordre manifesté dans les inclinations de la nature humaine. Par conséquent, il n’y a rien d’intrinsèquement religieux ou théologique dans la notion de « Loi Naturelle » de Thomas d’Aquin. » Ou, comme D’Entrèves l’écrit à propos du juriste protestant hollandais du XVIIe siècle Hugo Grotius :

« La définition que donne Grotius de la loi naturelle [natural law] n’a rien de révolutionnaire. Lorsqu’il soutient que la loi naturelle est l’ensemble des règles que l’homme est capable de découvrir par l’usage de sa raison, il ne fait rien d’autre que reformuler l’idée scolastique selon laquelle l’éthique aurait un fondement rationnel. En fait, son but est même de réhabiliter cette idée, menacée par l’Augustinisme extrême de certaines écoles de pensée protestantes. Lorsqu’il affirme que ces règles sont intrinsèquement valides et indépendantes de la volonté divine, il reprend une thèse déjà énoncée par les penseurs de l’École. »

Les libertariens ont été accusés d’ignorer la nature spirituelle de l’homme. Mais on peut facilement parvenir à des conclusions libertariennes en partant de prémisses religieuses ou chrétiennes : mettre en évidence l’importance de l’individu, de son libre arbitre, des droits naturels et de la propriété privée. Mais on peut également parvenir à ces propositions en adoptant une approche areligieuse, fondée sur la loi naturelle [natural law], édictant la croyance que l’homme peut parvenir à une compréhension rationnelle de la loi naturelle [natural law].

De plus, historiquement, il n’est en aucun cas certain que la religion soit un fondement plus solide pour parvenir à des conclusions libertariennes. Comme Karl Wittfogel le rappelle dans son livre Oriental Despotism, l’alliance du trône et de l’autel a permis pendant des siècles d’asseoir le règne du despotisme sur la société. Historiquement, l’alliance de l’Église et de l’État a été, dans bien des cas, une coalition tyrannique réciproque. L’État s’est servi de l’Eglise pour sanctifier et prêcher l’obéissance à sa loi prétendument divine ; l’Eglise s’est servie de l’État pour obtenir des ressources financières et des privilèges. Les anabaptistes ont exercé une autorité collectiviste et tyrannique sur le Munster au nom de la religion chrétienne. Et, plus proche de nous, le socialisme chrétien et le catéchisme social ont joué un rôle majeur dans l’émergence de l’étatisme. Quant au rôle apologétique de l’Eglise orthodoxe dans la Russie soviétique, il n’est plus à prouver. Certains prêtres catholiques en Amérique Latine ont même prétendu que le Salut ne pouvait venir que du marxisme ; et, si j’étais impertinent, je soulignerais que le Révérend Jim Jones, non content d’être léniniste, a également prétendu être la réincarnation de Jésus.

Par ailleurs, maintenant que l’échec du socialisme a été prouvé politiquement et économiquement, les socialistes font désormais appel à des arguments moraux et spirituels. Le socialiste Robert Heilbroner, au cours d’une argumentation visant à justifier le caractère nécessairement coercitif du socialisme et l’imposition d’une morale collective à la société, affirme que « la culture bourgeoise n’est concernée que par la réussite matérielle des individus. La culture socialiste, elle, doit être concernée par leur réussite morale et spirituelle. » Curieusement, Dale Vree, l’auteur conservateur et chrétien de la National Review, a totalement approuvé la position de Heilbroner. Selon Vree :

Heilbroner reprend en vérité une thèse soutenue depuis vingt-cinq ans par la plupart des contributeurs de la National Review : la liberté et la vertu sont inconciliables. Traditionnalistes, prenez-en note. Malgré sa terminologie discordante, Heilbroner s’intéresse à la même chose que vous : la vertu.

Vree est également fasciné par la position d’Heilbroner selon laquelle une culture socialiste doit « promouvoir la primauté du collectif », plutôt que « la primauté de l’individu. » Il cite l’opposition que Heilbroner dresse entre la réussite « morale et spirituelle » du socialisme et la réussite « matérielle » bourgeoise, et ajoute fort justement : « cette affirmation a des accents familiers ». Vree applaudit ensuite l’attaque que Heilbroner lance contre le capitalisme parce que la notion de « bien » est étrangère à ce système économique, et qu’il « laisse les adultes consentants se comporter comme bon leur semble ». Contrairement à cette liberté permissive et cette diversité, Vree note que « la position de Heilbroner est séduisante. La notion de « bien » est consubstantielle au socialisme, et une société organisée selon ces principes ne tolèrera pas tous les comportements ». Parce que selon lui « le collectivisme économique et l’individualisme culturel sont incompatibles », Vree défend une nouvelle alliance du socialisme et du traditionalisme, un collectivisme à tous les niveaux.

Il faut souligner ici que le socialisme devient particulièrement despotique lorsqu’il entend remplacer les incitations matérielles et économiques par de prétendues incitations morales, quand il prétend promouvoir la « qualité de vie » (quel que soit le sens que l’on donne à cette expression) plutôt que la prospérité économique. Lorsque l’on considère la croissance des salaires réels, l’on se rend compte que les individus jouissent de plus de liberté et d’un niveau de vie plus élevé. En réalité, la dévotion altruiste que le people voue à la mère patrie socialiste doit régulièrement être réaffirmée par le fouet. Mettre l’accent sur les incitations individuelles matérielles revient inéluctablement à mettre l’accent sur la propriété privée, et sur le caractère sacré du fruit de ses efforts. Cela, en retour, renforce la liberté personnelle, comme l’illustre le contraste entre la Yougoslavie et la Russie soviétique ces trois dernières décennies. Le plus effroyable despotisme que la terre ait porté ces dernières années fut sans aucun doute celui de Pol Pot, et le régime cambodgien alla si loin dans sa haine du matérialisme qu’il décida d’abolir l’usage de la monnaie. L’abolition de la monnaie et de la propriété privée rendirent les individus entièrement dépendants des rations de subsistance que l’État leur versait, et la vie devint un enfer. Nous devrions être prudents lorsque nous méprisons la vie et les objectifs matériels.

L’accusation de matérialisme dirigée à l’encontre de l’économie de marché ignore le fait que toutes les actions humaines, quelles qu’elles soient, nécessitent la transformation d’objets matériels par l’utilisation de l’énergie humaine, en accord avec les idées et les buts de l’individu qui agit. Il est absurde de séparer le « mental » ou le « spirituel » du « matériel ». Toutes les grandes œuvres d’art, les grandes émanations de l’esprit humain, sont nées de l’utilisation d’objets matériels : toiles, brosses et peintures ; papier et instruments de musique ; pierres et matières premières pour construire les églises. En réalité il n’y a pas d’opposition entre le « spirituel » et le « matériel », et par conséquent, le despotisme qui paralyse la production matérielle doit paralyser la production spirituelle.

Mythe 5. Les libertariens sont des utopistes. Ils croient que tous les individus sont vertueux, et que, par conséquent, le contrôle étatique n’est pas nécessaire. Les conservateurs ajoutent souvent que, puisque l’Homme est naturellement malveillant (au moins partiellement), une forte régulation étatique est socialement nécessaire.
 
Cette croyance à propos du libertarianisme est fort répandue. Il est pourtant difficile d’en comprendre l’origine. Rousseau, le principal défenseur de l’idée que l’homme est bon par nature mais corrompu par ses institutions, n’était guère libertarien. Hormis les écrits romantiques de quelques anarcho-communistes, que je ne considérerais en aucun cas comme libertariens, je n’ai jamais rencontré d’auteurs libertariens (ou libéraux classiques) qui aient défendu cette idée. Au contraire, la plupart des auteurs libertariens soutiennent que l’homme est à la fois moralement bon et mauvais, et que, par conséquent, il est important pour les institutions sociales d’encourager les conduites morales et de décourager les conduites immorales. L’État est la seule institution sociale capable d’utiliser la violence pour obtenir son revenu et sa richesse ; toutes les autres doivent soit vendre des produits ou des services sur le marché, soit recevoir des dons volontaires. L’État est également la seule institution capable d’utiliser les ressources provenant du vol organisé pour réguler la vie économique et contrôler la propriété des individus. Par conséquent, l’institution étatique est, pour les escrocs,  un moyen sanctifié et socialement légitimé de commettre des vols légalisés et d’exercer un pouvoir dictatorial. L’étatisme exhorte donc l’immoralité et le caractère criminel de l’homme. Comme Frank Knight l’a dit d’un ton incisif : « la probabilité que les gens au pouvoir soient des individus averses à la possession et à l’exercice du pouvoir est à peu près équivalente à la probabilité qu’une personne extrêmement affectueuse et attentionnée ait pour fonction de fouetter les esclaves dans une plantation. » Une société libre, ne mettant pas de moyens légitimés à disposition des hommes pour commettre des exactions, décourage les tendances criminelles de la nature humaine et encourage les échanges pacifiques et volontaires. La liberté et l’économie de marché découragent le racket et encourage l’harmonie sociale et les bénéfices mutuels des échanges volontaires, qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels.

Puisqu’un système de liberté encouragerait les échanges volontaires, découragerait les actes criminels, et supprimerait la seule voie légitimée pour commettre des crimes et des agressions, nous pourrions nous attendre à ce qu’une société libre soit moins affectée par les crimes et la violence que nos sociétés actuelles, bien que l’on ne puisse pas affirmer qu’ils disparaîtraient complètement. Ce n’est pas de l’utopie, c’est la conséquence, relevant du bon sens, du changement de ce qui est perçu comme socialement légitime et du changement de la structure sociale des récompenses et des punitions.

Envisageons notre thèse sous un autre angle. Si tous les hommes étaient bons et qu’aucun d’eux n’avait de penchants criminels, l’État serait superflu, comme les conservateurs le reconnaissent. Mais si, à l’inverse, tous les hommes étaient malveillants, alors, la défense de l’État n’en serait pas moins délicate : pourquoi supposer que les membres du gouvernement, ceux qui détiennent les armes et le pouvoir d’agression, seraient-ils par extraordinaire exempts de ces vices ? Tom Paine, un libertarien classique, dont les positions sur la nature humaine sont souvent considérées comme naïvement optimistes, a réfuté l’argument reposant sur la malveillance humaine avancé par les conservateurs pour justifier un État fort. Selon lui « Si la nature humaine est corrompue, il est superflu de renforcer la corruption en mettant sur le trône une succession de rois, qui, quelle que soit leur légitimité sociale, sont désignés pour gouverner » Et Paine d’ajouter : « Aucun homme depuis la Chute n’a été suffisamment vertueux pour assumer la charge du pouvoir. » Et comme le libertarien F.A. Harper l’écrivit un jour :

« Le principe selon lequel l’autorité politique est nécessaire en raison de la malveillance humaine implique que cette autorité soit étendue à toutes les sphères de l’activité humaine. La société entière serait ainsi dirigée par un seul homme. Mais qui officierait alors en tant que dictateur ? Puisque tous les individus sont malveillants, il n’y a aucune raison pour que le dictateur ne le soit pas, quelles que soient les procédures qui le désignent. La société serait alors dirigée par un tyran totalement malveillant, entre les mains duquel seraient concentrés tous les pouvoirs. Comment serait-il alors possible que cet arrangement n’engendre pas de déplorables conséquences ? En quoi un arrangement de cette sorte pourrait-il être meilleur qu’une société sans aucune autorité politique ? »

Enfin, puisque, comme nous l’avons vu, les hommes sont en vérité à la fois bons et mauvais, une société libre encourage le bien et décourage le mal, tout du moins au sens où le volontaire et le mutuellement bénéfique sont bons, et où le criminel est mauvais. Aucune théorie de la nature humaine, qu’elle suppose la vertu, le vice, ou un mélange des deux, ne peut justifier l’étatisme. Le penseur libéral F.A. Hayek, au cours d’une argumentation visant à nier son conservatisme, souligna que : « L’attrait principal de l’individualisme, [que défendaient Adam Smith et ses contemporains] est d’être un système au sein duquel les hommes mauvais peuvent le moins nuire. C’est un système social dont le bon fonctionnement ne dépend pas de la valeur morale des hommes qui le composent, mais qui fait usage des hommes dans toute leur variété et leur complexité.

Il est important de souligner ce qui différencie les libertariens des utopistes (au sens péjoratif du terme). Le libertarianisme n’a pas pour but de remodeler la nature humaine. En revanche, l’un des objectifs principaux du socialisme est de créer (en pratique en utilisant des méthodes totalitaires) l’Homme Nouveau acquis au socialisme, un individu dont la fin ultime serait de travailler avec diligence et altruisme au service du collectif. Le libertarianisme est une philosophie politique qui affirme que, quelle que soit la nature humaine, un système politique moral et efficace ne peut être fondé que sur la liberté.  Le libertarianisme, autant que n’importe quel autre système politique, sera bien sûr d’autant plus efficace que les gens qui le composent seront pacifiques et peu enclins aux activités criminelles ou agressives. Les libertariens, comme la plupart des gens, aimeraient vivre dans un monde sans criminel et peuplé d’individus bienveillants. Mais cela n’est pas l’élément constitutif de la doctrine libertarienne, qui affirme que, quelque moral ou immoral que puisse être l’homme, la liberté est préférable.

Mythe 6. Les libertariens croient que les individus sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts.
Tout comme l’accusation précédente soutenait que les libertariens croient que tous les hommes sont parfaitement bons moralement, ce mythe accuse les libertariens de croire que tous les individus sont parfaitement raisonnables. Dans la mesure où la plupart des gens ne le sont pas, les critiques du libertarianisme affirment donc que l’État doit intervenir.

Mais les libertariens ne supposent pas plus la sagesse absolue qu’ils supposent la perfection morale. Certes, affirmer que la plupart des gens sont meilleurs juges que des tiers de leurs propres besoins et de leurs propres objectifs relève du bon sens. Mais le libertarianisme ne suppose pas que cela soit toujours le cas. Les libertariens soutiennent plutôt que tous les individus devraient avoir le droit de poursuivre leur propre intérêt comme ils l’entendent. Les libertariens défendent la liberté d’action dans la limite du respect des droits de propriété d’autrui, mais n’affirment pas que toutes les actions sont nécessairement raisonnables.

Il est vrai, en revanche, que sur le marché libre, les gens sont libres de s’orienter vers des experts capables de leur donner des conseils sur la façon dont poursuivre au mieux leurs intérêts. Comme nous l’avons vu plus haut, les individus ne sont pas des êtres socialement isolés, hermétiquement séparés les uns des autres. Car sur le marché libre, si les individus doutent de ce que pourrait être leurs propres intérêts, ils sont libres d’embaucher ou de consulter des experts, qui, en raison de leurs compétences, seront capables de les orienter. Sur le marché libre, les individus peuvent faire appel à ces experts, et continuellement tester la justesse et l’utilité de leurs conseils. Par conséquent, sur le marché, les individus tendent à se tourner vers les experts dont les conseils sont les plus efficaces. Le marché libre récompensera les bons médecins, les bons avocats, les bons architectes, et dévalorisera les moins compétents. L’expert de l’État, en revanche, acquiert ses revenus par l’imposition des contribuables. Aucun filtre marchand n’existe pour évaluer sa capacité à conseiller chacun dans le sens de ses véritables intérêts. La seule compétence qu’il doit posséder, c’est celle qui consiste à obtenir le soutien de l’appareil coercitif de l’État.

L’expert privé aura d’autant plus de succès qu’il satisfera les besoins des gens, alors que l’expert de l’État aura d’autant plus de succès qu’il parviendra à obtenir des faveurs politiques. Par ailleurs, l’expert de l’État n’a aucune raison d’être plus vertueux que les autres ; sa seule supériorité résidant dans ses capacités à obtenir les faveurs de ceux qui exercent le pouvoir politique. Mais il existe une différence cruciale entre les deux : des incitations pécuniaires poussent l’expert privé à prendre soin de ses clients ou de ses patients. Aucune incitation de cette sorte n’existe pour l’expert de l’État ; il obtient ses revenus quels que soient ses résultats. Par conséquent, pour le consommateur individuel, le marché libre est un arrangement économique préferable.

J’espère que cet essai a contribué à réfuter les mythes et les idées reçues qui entourent le libertarianisme. Les conservateurs (et les autres) doivent comprendre que les libertariens ne croient pas que les individus sont tous moralement bons ou meilleurs juges de leurs propres intérêts, ni qu’ils sont socialement isolés les uns des autres. Les libertariens ne sont pas nécessairement hédonistes ou libertins, ils ne sont pas non plus forcément athées ; ils croient à l’existence de principes moraux. Procédons désormais à un examen précis du libertarianisme, tel qu’il est réellement, sans que notre jugement soit biaisé par ces mythes et ces légendes. Examinons objectivement les arguments en faveur de la liberté. Je crois fermement que, lorsque cela sera fait, cette philosophie verra le nombre de ses adhérents croître de façon importante.


Notes
  1. John Kenneth Galbraith, The Affluent Society (Boston: Houghton Mifflin, 1958); F. A. Hayek, « The Non-Sequitur of the ‘Dependence Effect,’ » Southern Economic Journal (Avril, 1961), pp. 346-48.
  2. Irving Kristol, « No Cheers for the Profit Motive, » Wall Street Journal (21 Fev., 1979).
  3. Pour une defense de l’application des critères éthiques universels à l’État, voir Pitirim A. Sorokin et Walter A. Lunden, Power and Morality: Who Shall Guard the Guardians? (Boston: Porter Sargent, 1959), pp. 16-30.
  4. Frank S. Meyer, In Defense of Freedom: A Conservative Credo (Chicago: Henry Regnery, 1962), p. 66.
  5. Thomas E. Davitt, S.J., « St. Thomas Aquinas and the Natural Law, » in Arthur L. Harding, ed., Origins of the Natural Law Tradition (Dallas, Tex: Southern Methodist University Press, 1954), p. 39
  6. A. P. d’Entrèves, Natural Law (London: Hutchinson University Library, 1951), pp. 51-52.
  7. Karl Wittfogel, Oriental Despotism (New Haven: Yale University Press, 1957), esp. pp. 87-100.
  8. Sur ce sujet et sur la question des sectes chrétiennes en général, voir Norman Cohn, Pursuit of the Millenium (Fairlawn, N.J.: Essential Books, 1957).
  9. Dale Vree, « Against Socialist Fusionism, » National Review (8 décembre, 1978), p. 1547. L’article de Heilbroner se trouve dans Dissent, été 1978. Pour davantage d’informations au sujet de l’article de Vree, voir Murray N. Rothbard, « Statism, Left, Right, and Center, » Libertarian Review (Janvier 1979), pp. 14-15.
  10. Journal of Political Economy (December 1938), p. 869. Cité in Friedrich A. Hayek, The Road to Serfdom (Chicago: University of Chicago Press, 1944), p. 152.
  11. « The Forester’s Letters, III, »(orig. in Pennsylvania Journal, Apr. 24, 1776), in The Writings of Thomas Paine (ed. M. D. Conway, New York: G. P. Putnam’s Sons, 1906), I, 149-150.
  12. F. A. Harper, « Try This On Your Friends », Faith and Freedom (Janvier, 1955), p. 19.
  13. F. A. Hayek, Individualism and Economic Order (Chicago: University of Chicago Press, 1948). Hayek a mis à nouveau l’accent sur ce point dans son essai « Why I Am Not a Conservative, » The Constitution of Liberty (Chicago: University of Chicago Press, 1960), p. 529.
Traduction de Geoffroy Le Gentilhomme, Institut Coppet
Par Murray N. Rothbard - Institut Coppet