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La concurrence reçoit
tous les noms d’oiseaux, qui la discréditent et expriment tous les
méfaits qu’elle engendrerait. Sauvage, elle crée le chômage
en cassant les prix. Déloyale elle conduit au dumping, qu’il soit
fiscal, social, environnemental. Imparfaite, elle permet aux grandes
entreprises de nouer des ententes et d’imposer leurs
conditions sur le marché. Inégale, elle avantage les pays émergents
par rapport aux pays développés. Dommageable, elle freine la croissance.
La concurrence, c’est
la faute de l’autre. Les uns veulent donc l’abandonner, les autres la
réglementer pour instaurer une concurrence saine et
« praticable ». Pas de concurrence sans harmonisation.
La concurrence pure et parfaite
Dans la théorie
classique de la concurrence, un marché peut être dit concurrentiel quand
il présente cinq caractéristiques : polycité (un grand
nombre d’entreprises en présence), atomicité (aucune n’a une taille
suffisante pour imposer ses conditions), homogénéité (tous les
concurrents offrent un même produit), fluidité (l’entrée et la
sortie du marché sont ouvertes), transparence (tous les prix et les
coûts sont connus). L’énumération de ces exigences montre qu’il est
impensable d’avoir un marché qui puisse y satisfaire.
Pourtant cette approche est celle qui inspire habituellement le
droit de la concurrence et en particulier le fameux article 85 du traité
de Rome, qui prohibe tout monopole, toute discrimination,
toute position dominante, et toute entente ou tout cartel entre
concurrents.
D’autre part,
l’économiste Alfred Marshall a vulgarisé l’idée qu’un marché
concurrentiel trouve par lui-même son équilibre en longue période, car
les courbes de coûts des entreprises tendent à s’aligner les unes
sur les autres, de sorte que l’offre serait rigoureusement égale à la
demande, pour un prix unique. La concurrence serait
« parfaite », on aurait la quantité optimale au juste prix.
L’égalité entre concurrents
Evidemment,
l’approche classique n’a rien à voir avec la réalité. Elle est même au
départ incohérente, puisque la concurrence met en évidence la
différence entre compétiteurs. Pour organiser une course à pied,
doit-on s’assurer que tous les athlètes sont capables des mêmes
performances ?
Pourtant, c’est ce
que l’on prétend quand on exige l’égalité entre concurrents. Toutes les
entreprises n’ont pas les mêmes coûts, ne subissent pas
les mêmes charges fiscales et sociales : on va crier au dumping
fiscal. Elles n’emploient pas les salariés aux mêmes conditions : on va
crier au dumping social. Elles ne sont pas
soumises aux mêmes réglementations qui limitent la pollution ou
l’usage de l’énergie ou des ressources naturelles : on va crier au
dumping environnemental. Elles ne passent pas leurs
contrats dans la même monnaie : on va crier aux dévaluations
compétitives.
Le rôle de la
compétition est précisément de faire en sorte de faire apparaître ce
qu’il y a de meilleur. Planifier la production, comme cela s’est
fait en URSS, c’est niveler par le bas. Qui en supporte les
conséquences ?
Le libre choix des consommateurs
En fait, la première
erreur a consisté à ne voir la concurrence que du côté des producteurs,
alors qu’elle a pour raison d’être le meilleur service
des consommateurs. Ce sont eux qui ont avantage à payer le moins
cher les biens et services de la meilleure qualité. Mais les classiques
étaient obnubilés par les courbes de coûts, comme si elles
étaient données une fois pour toutes, et par l’équilibre, comme s’il
devait s’établir durablement. En fait, le consommateur exerce une
pression constante sur les producteurs, de sorte que les
prix et les parts de marché se modifient sans cesse.
Sous la pression des
clients, les entreprises vont chercher non seulement à s’améliorer de
l’intérieur, mais aussi à faire pression sur leur
environnement, et notamment sur leur gouvernement, pour obtenir les
conditions d’une bonne compétitivité. Les unes vont le faire dans le
sens de la protection (lutte contre les
« dumpings », subventions, discriminations), les autres dans le sens
de la libération (baisse de la fiscalité et des charges, stabilité
monétaire, déréglementation). La mondialisation a
pour effet de mettre les Etats eux-mêmes en concurrence, puisque les
décisions politiques influent sans cesse sur la compétitivité.
La concurrence, un processus de découverte
La deuxième erreur
des classiques aura été de juger de la concurrence en fonction de la
situation instantanée du marché. Or, la concurrence n’est
pas un état stationnaire. Comme l’a magistralement démontré Israël
Kirzner, la concurrence est un processus de découverte. Elle permet aux
entreprises d’exploiter les informations que livrent les
signaux des prix et des profits. Mis en éveil par le marché,
l’entrepreneur va chercher à répondre à des besoins aujourd’hui négligés
ou mal satisfaits. Comme l’économie elle-même, le marché
n’est pas en équilibre, il est en évolution.
L’exemple de
l’innovateur est révélateur. Quand il propose une nouveauté, il détient
au moins pour un temps un monopole, puisqu’il est le seul à
savoir et à savoir faire. S’il rencontre l’accord des clients, il
réalisera de grands profits, ce qui l’encouragera à persévérer, mais ce
qui attirera aussi de nouveaux compétiteurs sur ce marché
qui vient de s’ouvrir. Ainsi opère la concurrence. Et le processus
n’a pour limites qu’un niveau élevé des coûts d’entrée (gros
investissements de départ par exemple – mais ce cas est de moins en
moins important parce que l’industrie est elle-même moins
importante) ou une interdiction artificielle d’entrer sur le marché. Les
véritables ennemis de la concurrence sont les monopoles publics,
que personne ne peut menacer. Voilà pourquoi pour de nombreuses
activités il ne peut y avoir de concurrence sans privatisation
préalable.
Etre en avance d’une idée
Mais la concurrence
ne va-t-elle pas « tuer la concurrence » ? La bataille engagée par les
entreprises ne va-t-elle pas se solder par
une disparition partielle ou totale des compétiteurs ? Cette
objection ne tient pas compte du fait que la baisse des prix élargit
sans cesse le marché, et que ce que les entreprises perdent
sur leur marge, elles le récupèrent sur la quantité. De plus, et
c’est ici l’argument décisif, les entrepreneurs savent bien que la
meilleure stratégie consiste à être toujours à la pointe de
l’innovation, à être sans cesse « en avance d’une idée ». Il ne faut
pas « s’endormir sur le mol oreiller du profit » (Schumpeter), il faut
faire preuve de vigilance,
(l’alertness de Kirzner). Mais l’entrepreneur n’y sera
incité que s’il a la promesse de garder pour lui, au moins pour un
temps, le salaire de son innovation. Toute traque fiscale au
profit et à la réussite dénature et détruit en effet la concurrence.
En revanche, la concurrence aboutit à une véritable « harmonisation »,
puisque les producteurs vont peu à peu
s’aligner sur les meilleurs du moment. L’harmonisation n’est pas le
préalable de la concurrence, c’en est le résultat provisoire, en
attendant d’autres progrès.
Source: Libres.org , Aleps par
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