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Sans rentrer dans le fond de la discussion, et sans poser la question de leur valeur objective, je voudrais parler du bon usage des idées communautariennes en milieu libéral,. Un peu à la manière de Pascal qui parlait du bon usage des maladies. Il y a un usage homéopathique qui permet de guérir le mal libertarien par le mal communautarien. Cet usage curatif des idées communautariennes peut s’observer à trois niveaux.
Du fait que les communautariens n’ont pas la même répulsion que les libéraux devant ce qui est collectif, public et étatique - en milieu libéral, la seule prononciation de ces mots provoque un malaise - ils nous invitent à une conception un peu moins primitive du rôle de l’Etat et à admettre une certaine légitimité étatique qu’un trop long combat contre le socialisme ou l’excès d’Etat a fait perdre de vue à la plupart des libertariens.
Premier aspect donc : une certaine relégitimation du rôle de l’Etat dont les libertariens ont, à mon sens, bien besoin.
Deuxième niveau : les idées communautariennes invitent les libertariens à une révision épistémologique déchirante, puisqu’il s’agit d’intégrer dans leur champ scientifique les phénomènes collectifs. Là aussi, il y a des mots qu’il est difficile de prononcer en milieu libéral. J’ai même vu des gens se reprendre lorsqu’ils prononçaient le mot société parce qu’il ne renvoie pas nécessairement à une réalité estampillée par tous les douaniers libertariens. A cause de cette difficulté à employer certains mots, on est sur le point de créer une novlangue libérale alors que la novlangue n’appartient pas a priori à la terre libérale.
Troisième niveau : les communautariens invitent les libertariens à réinvestir une plus juste conception des rapports entre l’individu et la société, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, entre le bien propre et le bien commun dans la ligne d’une théorie politique classique. Sur le premier point je voudrais prendre un exemple qui nous incite à adopter une vison plus juste de l’Etat.
Je cite un libertarien, James Bidinotto qui révise un peu ses conceptions sur l’Etat. Dans la revue The Freeman de décembre 1994, il a écrit un petit article intitulé « The real enemy of liberty » :
« Selon les sondages, la criminalité est une des principales préoccupations du public, mais curieusement le problème a été peu examiné par les tenants d’un système de libre marché. A lire des journaux libertariens, on aurait l’impression que les problèmes de criminalité seraient créés artificiellement par l’intervention des réglementation étatiques et l’illégalité de la drogue. En l’absence de telles interventions, le crime disparaîtrait. »
Il précise que
« les gens ne commettent pas de crimes à cause de lois stupides qui les forcent à les commettre ou à cause de facteurs environnementaux. La criminalité est la simple conséquence de valeurs choisies et, aujourd’hui, les vagues de crimes sont le résultat de décades de destruction des valeurs culturelles et morales fondamentales. »
Pourquoi avons-nous si peu de libertariens qui examinent le problème du crime ? Selon Bidinotto, la raison tient au fait qu’ils appliquent à l’examen de la violation des droits individuels un double standard. Les partisans du libre marché pensent le gouvernement comme l’ennemi des droits individuels et de la liberté. Bien sûr, un Etat illimité est certainement le pire ennemi des droits individuels (comme l’histoire sanglante du XXème siècle l’a prouvé), mais à dénoncer avec véhémence les violations gouvernementales du droit, les libertariens en viennent à ignorer les maux mêmes que les gouvernements ont pour objet d’éradiquer, à savoir les violations individuelles des droits privés. Il ajoute :
« Comme les Pères Fondateurs le savaient, le gouvernement a un rôle légitime, c’est de répondre à la force à toute tentative de coercition. Mais beaucoup de partisans du laissez-faire, habitués à voir le gouvernement comme l’ennemi en soi, n’ont pu admettre qu’il y avait place pour une forte intervention gouvernementale contre les violations privées des droits individuels. »
C’est l’usage des idées communautariennes que je voulais citer : il s’agit d’aider les libéraux à admettre une légitimité du rôle de l’Etat. D’autant plus légitime qu’il sera concentré sur ses missions fondamentales et qu’il sera moins corrompu dans son fonctionnement.
La novlangue libertarienne
Deuxièmement, d’un point de vue épistémologique, on a assisté en milieu libertarien à une certaine dérive, parce que les libertariens ont rendu absolu un principe vrai relativement. Je fais référence au libéralisme ontologique d’une certaine pensée libertarienne qui va au-delà de l’individualisme méthodologique. Elle en est venue à défendre une conception tronquée du réel qui vise à substituer au langage habituel, même philosophique, une quasi novlangue. Des termes sont proscrits, d’autres sont tolérables ou ne le sont pas selon l’oukase du censeur libéral. Je cite les mots « social », « collectif », « société », « entreprise » (il n’y a pas d’entreprises, il n’y a que des entrepreneurs, entend-on volontiers). La société n’existerait pas plus que l’entreprise, la ville, la rue, la France (toutes ces expressions étant prises dans un sens métonymique). Le marché lui-même d’ailleurs serait alors une fiction, tandis qu’il est une réalité, non pas substantielle, mais collective par définition. Je dirais même qu’il représente le collectif libéral à l’état pur. Si on exclut du champ épistémologique toutes ces entités collectives, on ne voit pas comment il pourrait y avoir un objet de la psychologie collective : comment Le Bon pourrait analyser la psychologie des foules (1895) ?
N’ayant pas peur des mots « famille », « communauté », « religion », « sentiment », « nation », qui renvoient à l’expérience sociale de l’individu, les communautariens invitent à leur réintégration dans le domaine de l’admissible et à l’adoption d’une pensée plus subtile que celle de certains libéraux contemporains. Ces derniers sont en cela des infidèles héritiers d’une tradition aristotélo-thomiste à laquelle ils empruntent néanmoins le principe de l ’individualisme méthodologique. Certes, l’individu est le « proton on » (l’être premier) chez Aristote (selon, cette fois, sa Métaphysique), c’est-à-dire qu’il existe d’abord et certes, pour Saint-Thomas, il n’est pas de société qui existe en dehors des individus, mais pour les deux philosophes, la société existe ... sous la catégorie « accidentelle » de la relation, comme réseau de relations dans lequel l’individu n’est qu’un noeud, dont l’existence est plus passagère que le tout dans lequel il s’insère.
La société existe
En ce sens, je tiens à affirmer que la société existe, mais pas substantiellement comme l’individu. Les libéraux doivent appréhender la réalité plus subtilement : il y a des entités morales et collectives, des réseaux relationnels et nous ne pouvons nous concevoir en dehors de ces réalités. L’entreprise existe : il y a donc un bien commun de l’entreprise en dehors du bien de son dirigeant. La nation existe et son intérêt ne se confond pas avec celui de General Motors. De ce fait, les communautariens réintégrant le social spontané (par exemple la famille très nécessaire à l’individu) et le social artificiel (par exemple l’association) donnent un autre aperçu sur l’excès contemporain d’Etat. Les communautariens ont une explication de ce phénomène qui me parait intéressante en milieu libéral. J’en donne un exemple à partir d’un autre article de Klein tiré du Freeman de la même date qui s’intitule « Du libertarianisme comme communautarisme ». (Entre nous, il n’y a pas de meilleur modèle libéral que le monastère en fait puisqu’il est une organisation fondée sur l’engagement volontaire par lequel on se soumet librement à une discipline stricte, voire très stricte. Le modèle libéral que je propose à mes amis libéraux et libertariens, c’est le monastère. C’est un modèle libéral (bien que communiste) parce que volontaire, beaucoup plus permanent que Woodstock ou l’assemblée générale de la Société du Mont Pèlerin.
Etzioni, cité par Klein, dit : « le lien des membres d’une communauté lui permet de rester indépendante de l’Etat. » L’ancrage des individus - l’encastrement est peut-être une traduction un peu forte d’ « embeddedness » - dans des familles viables, les réseaux d’amitié, les communautés de foi, les réseaux de voisinage, bref dans des communautés concrètes, les soutient et leur permet de résister aux pressions de l’Etat. C’est peut-être l’absence de ces fondements sociaux qui isole les individus et les soumet à des pressions totalitaires. Cette explication nous renvoie effectivement à la pensée des corps intermédiaires des contre-révolutionnaires qui analysent une réalité qu’ils ont sous les yeux - la destruction du monde des corporations par le décret d’Allarde et l’interdiction des associations par la loi Le Chapelier - et donc ils voient des individus désolidarisés, en déshérence sociale, perdus. On verra par la suite, et à cause de cette destruction, les liens communautaires se reconstituer artificiellement par l’intermédiaire du socialisme. Je pense qu’on ne peut rejeter leur analyse sous le seul prétexte de leur engagement contre- révolutionnaire au XIXème siècle ; la preuve en est que le terme de corps intermédiaires qui était considéré il y a quinze à vingt ans comme réactionnaire a été incorporé dans toute la sociologie positive contemporaine.
L’homme comme animal politique
Le troisième niveau du bon usage des idées communautariennes consiste en ce qu’elles invitent les libertariens à la réappropriation d’une théorie politique plus classique fondée sur une définition de l’homme comme animal politique. Ce n’est pas parce que qu’elle est classique que cette théorie est plus intéressante ; mais parce qu’elle est plus juste, plus profonde et plus explicative de la réalité si on se place d’un point de vue phénoménologique - c’est-à-dire tel que nous pouvons la vérifier nous-mêmes expérimentalement. Un retour sur la réalité de l’essence de l’homme, des rapport des individus à la société, de l’intérêt général et de l’intérêt particulier - qui sont les termes modernes du bien commun et du bien propre - nous invite à dépasser l’opposition un peu sommaire de modèles de philosophie politique eux-mêmes un peu primaires, que sont l’individualisme d’une part et le collectivisme d’autre part : philosophies qui mènent à cette confrontation un peu stérile du libéralisme et du socialisme comme doctrines politiques.
Pour le collectivisme, modèle de philosophie politique sous-jacente au socialisme, seule la société existerait réellement et l’individu n’existerait pas ou ne devrait pas exister. L’intérêt individuel est donc absorbé par l’intérêt général. Pour l’individualisme ontologique, le seul qui vaille, seuls les individus existeraient, en conséquence de quoi l’intérêt général se ramène à la somme des intérêts individuels. Si on prend au sérieux la définition de l’homme comme animal politique, ces constructions ne résistent pas à la critique. Si l’homme est un animal politique et social (la traduction de Saint-Thomas de l’animal politique d’Aristote est l’animal politique et « civil »), ma perfection individuelle passe par « l’épanouissement » social de ma personne. L’homme se réalise dans son essence individuelle lorsque toutes ses potentialités d’animal social sont actualisées, à savoir lorsqu’il est bon fils, bon mari, bon patron, bon ouvrier, bon professionnel, bon dirigeant politique, etc. En revanche, l’individu ne se réalise pas pleinement indépendamment, et comme à l’écart de tous ses rôles, de toutes ses dimensions sociales et de toutes ses communautés, y compris de la société politique dans laquelle s’insèrent et dont dépendent d’une certaine manière toutes les collectivités d’ordre inférieur, lesquelles sont influencées par les lois positives déterminées au niveau de la société politique.
On pourrait dire que « je » va bien lorsque sa vocation sociale est accomplie sous toutes ses facettes et que, privé de cet accomplissement « je » s’étiole et se déssèche. « Je » est bien avec autrui lorsque cela va bien avec autrui.
Comment peut-on dépasser ce double modèle primaire de l’individualisme et du collectivisme ? En voyant que le bien commun et le bien propre, loin de s’exclure et de s’opposer, s’incluent et se complètent. Le bien commun est au coeur de mon bien propre et j’ai besoin de la satisfaction du bien commun de toutes les sociétés auxquelles je participe, pour être bien moi- même. Cela donne du sens à mon action : mon perfectionnement apporte aux sociétés auxquelles je participe : leur perfectionnement concourt à mon propre bien. Bien propre et bien commun sont (réciproquement) solidaires (même si
Le troisième niveau du bon usage des idées communautariennes consiste en ce qu’elles invitent les libertariens à la réappropriation d’une théorie politique plus classique fondée sur une définition de l’homme comme animal politique. Ce n’est pas parce que qu’elle est classique que cette théorie est plus intéressante ; mais parce qu’elle est plus juste, plus profonde et plus explicative de la réalité si on se place d’un point de vue phénoménologique - c’est-à-dire tel que nous pouvons la vérifier nous-mêmes expérimentalement. Un retour sur la réalité de l’essence de l’homme, des rapport des individus à la société, de l’intérêt général et de l’intérêt particulier - qui sont les termes modernes du bien commun et du bien propre - nous invite à dépasser l’opposition un peu sommaire de modèles de philosophie politique eux-mêmes un peu primaires, que sont l’individualisme d’une part et le collectivisme d’autre part : philosophies qui mènent à cette confrontation un peu stérile du libéralisme et du socialisme comme doctrines politiques.
Pour le collectivisme, modèle de philosophie politique sous-jacente au socialisme, seule la société existerait réellement et l’individu n’existerait pas ou ne devrait pas exister. L’intérêt individuel est donc absorbé par l’intérêt général. Pour l’individualisme ontologique, le seul qui vaille, seuls les individus existeraient, en conséquence de quoi l’intérêt général se ramène à la somme des intérêts individuels. Si on prend au sérieux la définition de l’homme comme animal politique, ces constructions ne résistent pas à la critique. Si l’homme est un animal politique et social (la traduction de Saint-Thomas de l’animal politique d’Aristote est l’animal politique et « civil »), ma perfection individuelle passe par « l’épanouissement » social de ma personne. L’homme se réalise dans son essence individuelle lorsque toutes ses potentialités d’animal social sont actualisées, à savoir lorsqu’il est bon fils, bon mari, bon patron, bon ouvrier, bon professionnel, bon dirigeant politique, etc. En revanche, l’individu ne se réalise pas pleinement indépendamment, et comme à l’écart de tous ses rôles, de toutes ses dimensions sociales et de toutes ses communautés, y compris de la société politique dans laquelle s’insèrent et dont dépendent d’une certaine manière toutes les collectivités d’ordre inférieur, lesquelles sont influencées par les lois positives déterminées au niveau de la société politique.
On pourrait dire que « je » va bien lorsque sa vocation sociale est accomplie sous toutes ses facettes et que, privé de cet accomplissement « je » s’étiole et se déssèche. « Je » est bien avec autrui lorsque cela va bien avec autrui.
Comment peut-on dépasser ce double modèle primaire de l’individualisme et du collectivisme ? En voyant que le bien commun et le bien propre, loin de s’exclure et de s’opposer, s’incluent et se complètent. Le bien commun est au coeur de mon bien propre et j’ai besoin de la satisfaction du bien commun de toutes les sociétés auxquelles je participe, pour être bien moi- même. Cela donne du sens à mon action : mon perfectionnement apporte aux sociétés auxquelles je participe : leur perfectionnement concourt à mon propre bien. Bien propre et bien commun sont (réciproquement) solidaires (même si
nous ne le voulons pas). A défaut de cette compréhension, individualisme et
collectivisme apparaissent comme deux erreurs par excès, symétriques et
inverses. Et libéralisme absolu et socialisme peuvent encore longtemps
continuer leur débat hémiplégique.
Le bien commun et l’intérêt général
Dernière remarque hérétique : le bien commun et l’intérêt général
existent-ils ? En milieu libéral, cette question est audacieuse, la réponse, toute
prête, fuse immédiatement: l’intérêt général n’existe pas. Je pense au contraire
que l’intérêt général existe à sa manière (et donc pas comme une chose) et que
l’on doit critiquer son dévoiement par un certain nombre d’intérêts particuliers
qui en font une interprétation innocemment ou volontairement trompeuse ou
abusive. Le bien commun et l’intérêt général, qui est sa formulation moderne,
existent. La preuve en est que si une critique libérale d’une société et de son
organisation positive est menée, c’est bien parce qu’elle présuppose que le
droit positif existant prive la société d’un bien supérieur qu’elle pourrait
atteindre et dont, pour les raisons déjà invoquées, « je » pourrait profiter et
d’autres aussi et la société française tout entière. C’est pour cela que les
libéraux entrent légitimement en « politique » et non seulement pour
maximiser leur intérêt individuel et leur profit personnel (ou bien je n’en suis
plus). Voilà ce que je voulais dire du bon usage homéopathique des idées
communautariennes en milieu libéral, à mes risques et périls.
Par Bernard CHERLONNEIX
Dans mon métier je m'occupe de "noter" les entreprises, nous sommes en
effet une grande agence de rating, je prends le pouls de l'économie
locale chaque mois et je m'occupe des difficulté financières des
particuliers. A la croisée des mondes banques, administrations,
organismes publics comme OSEO,entreprises,consulaires, nous sommes
idéalement placés pour créer de la valeur par la mise en relation des
acteurs et la valorisation de nos informations statistiques.
Je suis universitaire et chercheur en économie à temps partiel, conférencier et auteur d'articles pour des revues d'économie ou des revues d'idées (Commentaire, Sociétal, Revue Politique et Parlementaire).
Je viens d'écrire plusieurs chroniques politiques dans La Croix autour du thème du principe de subsidiarité par exemple, mais aussi sur le sujet du désendettement et de la place de l'éthique dans une bonne gouvernance.
Mon Blog : http://bernardcherlonneix.wordpress.com/
Je suis universitaire et chercheur en économie à temps partiel, conférencier et auteur d'articles pour des revues d'économie ou des revues d'idées (Commentaire, Sociétal, Revue Politique et Parlementaire).
Je viens d'écrire plusieurs chroniques politiques dans La Croix autour du thème du principe de subsidiarité par exemple, mais aussi sur le sujet du désendettement et de la place de l'éthique dans une bonne gouvernance.
Mon Blog : http://bernardcherlonneix.wordpress.com/
LE DEBAT
Philippe NATAF :
J’ai été intrigué par ce qu’a dit Bernard Cherlonneix à l’instant au sujet
de Bidinotto. Il se trouve que je connais très bien Bidinotto, et il n’est
certainement pas communautarien. C’est un libéral classique qui critique le
libertarianisme à tendance anarchiste. A part cela, Bidinotto est aussi
libertarien que les autres. Il ne faut pas croire qu’il est communautarien.
Alain de BENOIST :
Dans cette discussion il y a un fond philosophique que l’on ne va pas
aborder, car cela nous entraînerait trop loin. Alain Laurent disait à juste titre
qu’il ne faut pas caricaturer le libéralisme. Il est possible que certains auteurs
communautaristes l’aient fait. Pour moi, qui ne suis pas un libéral, le problème
est souvent celui du vocabulaire ou de l’orientation. Il est vrai que « libéral »
aux Etats-Unis signifie pratiquement le contraire du « libéral » au sens
européen. C’est un paradoxe, mais il y a à cela des raisons historiques.
D’autre part, comme l’a remarqué Alain Laurent, il y a des nuances et
des écoles libérales ; l’utilitarisme par exemple n’est qu’une variante parmi
d’autres qui n’est pas identique aux autres, tant s’en faut. De ce point de vue,
notre discussion est riche d’enseignements car, sauf erreur de ma part, j’ai
entendu au moins trois variétés de libéralisme ce soir, rigoureusement
antagonistes les unes par rapport aux autres. Je ne prends qu’un exemple : la
nature humaine existe ou n’existe pas ; les deux points de vue ont été défendus.
Le discours réconciliateur de Bernard Cherlonneix a introduit encore d’autres
nuances dans l’affaire.
Lorsqu’on voit les différentes variétés de libéralisme qui existent, l’on
se demande qu’est-ce qui permet de considérer que, en dépit de leur variété, ils
sont tous des libéralismes ? Quel est le point commun ?
Il ne faut pas tomber dans la démarche inverse et caricaturer le
communautarisme en le rapprochant indûment de toute une série de
phénomènes d’apparence communautaire que l’on rassemblerait sous le
paradigme du holisme, pour reprendre la distinction excellente de Louis
Dumont. On peut le faire, bien entendu, au sens de l’idéal-type pour voir
comment le macro-modèle du holisme s’oppose à celui de l’individualisme.
Cela dit, une fois qu’on le rapporte à l’histoire, on se rend compte qu’il y a des
différences considérables. Si l’on fait une catégorie fourre-tout où l’on met
l’Ancien Régime, les camps du communisme stalinien, la Contre-révolution
française et les communautariens américains, l’ensemble ne sera pas très
pertinent au plan de sa signification politico-historique concrète.
Ainsi, lorsque Alain Laurent dit que le communautarisme n’est pas
nouveau, il a raison. Or l’on ne peut pas dire que ce soit la même chose qui
revient tout le temps. On a cité les noms de Bonald, de Maistre, de Maurras ...
La comparaison est justifiée lorsqu’il s’agit des contre-révolutionnaires
français ; dans le cas de Maurras, cela me paraît beaucoup plus douteux.
Maurras est surtout un nationaliste. Or ce qui frappe dans le communautarisme
tel que nous le discutons aujourd’hui, c’est qu’il est fondamentalement anti-
nationaliste. A certains égards, il rejoindrait même certains libertariens.
Prenons un exemple de l’actualité politique française immédiate. Question : doit-on reconnaître officiellement l’existence d’un « peuple corse » ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Autre exemple : la communauté maghrébine en France doit-elle se voir reconnaître une existence en tant que telle dans la sphère publique (et non seulement sa différence culturelle, ethnique, religieuse, etc) ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Faisons attention à ne pas transposer des exemples que nous connaissons, et ne croyons pas non plus que le communautarisme est de droite. Il est possible de trouver des éléments proches du communautarisme dans le marxisme, par exemple. Et n’oublions pas que le communautarisme dont nous parlons est américain. Toute cette discussion n’a de sens que rapportée dans une large mesure à la problématique américaine : problème du multiculturalisme, des communautés aux Etats-Unis, la discussion extraordinaire suivant la publication de l’ouvrage de John Rawls dont l’ampleur n’est pas bien perceptible en Europe, puisque nous n’en avons eu qu’un écho relativement abouti.
En ce qui concerne les communautariens américains, il ne faudrait pas non plus caricaturer leur discours. D’abord, les communautés américaines ne sont pas nécessairement des communautés d’origine. C’est là une grande différence par rapport à la pensée sociologique européenne qui a souvent été une pensée à forte impregnation historico-ethnique. Aux Etats-Unis, ce sont des communautés d’habitat qui à bien des endroits sont parfaitement multiraciales. En second lieu, représenter l’idée communautarienne, ou même l’idée de communauté tout court, comme porteuse d’une sorte de menace castratrice d’assignation à résidence, ou d’alignement obligatoire, ne correspond pas à la réalité.
Je suis autant qu’Alain Laurent attaché à l’esprit critique et hostile à la morale de troupeau. Les communautariens américains admettent parfaitement que l’on parte de sa communauté ou que l’on soit en dissidence avec elle. Les communautariens ne prétendent pas que nous sommes enfermés dans nos appartenances et que la dimension individuelle n’existe pas. Ils disent simplement qu’il existe une pondération forte de ce contexte dans lequel nous sommes pris. Je peux parfaitement dire que j’exècre la France, que c’est un pays peuplé d’imbéciles et que je préfère de loin les Italiens ou les Anglais ; or les communautariens vont dire que je tiens ce discours en tant que Français. L’idée communautariste est que nous avons trop mis l’accent sur l’individu, que la dimension de l’appartenance collective est devenue indiscernable et qu’il faut la réhabiliter parce qu’elle répond à un besoin humain.
Prenons un exemple de l’actualité politique française immédiate. Question : doit-on reconnaître officiellement l’existence d’un « peuple corse » ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Autre exemple : la communauté maghrébine en France doit-elle se voir reconnaître une existence en tant que telle dans la sphère publique (et non seulement sa différence culturelle, ethnique, religieuse, etc) ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Faisons attention à ne pas transposer des exemples que nous connaissons, et ne croyons pas non plus que le communautarisme est de droite. Il est possible de trouver des éléments proches du communautarisme dans le marxisme, par exemple. Et n’oublions pas que le communautarisme dont nous parlons est américain. Toute cette discussion n’a de sens que rapportée dans une large mesure à la problématique américaine : problème du multiculturalisme, des communautés aux Etats-Unis, la discussion extraordinaire suivant la publication de l’ouvrage de John Rawls dont l’ampleur n’est pas bien perceptible en Europe, puisque nous n’en avons eu qu’un écho relativement abouti.
En ce qui concerne les communautariens américains, il ne faudrait pas non plus caricaturer leur discours. D’abord, les communautés américaines ne sont pas nécessairement des communautés d’origine. C’est là une grande différence par rapport à la pensée sociologique européenne qui a souvent été une pensée à forte impregnation historico-ethnique. Aux Etats-Unis, ce sont des communautés d’habitat qui à bien des endroits sont parfaitement multiraciales. En second lieu, représenter l’idée communautarienne, ou même l’idée de communauté tout court, comme porteuse d’une sorte de menace castratrice d’assignation à résidence, ou d’alignement obligatoire, ne correspond pas à la réalité.
Je suis autant qu’Alain Laurent attaché à l’esprit critique et hostile à la morale de troupeau. Les communautariens américains admettent parfaitement que l’on parte de sa communauté ou que l’on soit en dissidence avec elle. Les communautariens ne prétendent pas que nous sommes enfermés dans nos appartenances et que la dimension individuelle n’existe pas. Ils disent simplement qu’il existe une pondération forte de ce contexte dans lequel nous sommes pris. Je peux parfaitement dire que j’exècre la France, que c’est un pays peuplé d’imbéciles et que je préfère de loin les Italiens ou les Anglais ; or les communautariens vont dire que je tiens ce discours en tant que Français. L’idée communautariste est que nous avons trop mis l’accent sur l’individu, que la dimension de l’appartenance collective est devenue indiscernable et qu’il faut la réhabiliter parce qu’elle répond à un besoin humain.
André BERTEN :
Le communautarisme américain est lié à des orientations idéologiques
et politiques importantes. Un article récent de Ronald Dworkin concernant la
jurisprudence de la Cour Suprême fait état de deux tendances : l’une, libérale,
vise à donner une extension de plus en plus universelle à la notion de droits
(exemple des droits civiles, ou des droits des homosexuels) ; l’autre, soutenu
par les communautariens, i fait appel à la tradition des Pères fondateurs. Je ne
pense pas que ce soit simplement la reconnaissance de communautés de quartier
etc, mais cela touche les questions telles que l’avortement, le divorce, les
minorités.
Dworkin a fait une série d’articles sur la pornographie, et l’on peut évidemment discuter du rôle des féministes, mais quelles que soient les positions prises, l’argument communautaire consiste à dire que la pornographie ne fait pas partie de notre culture, et que par conséquent elle ne doit pas être autorisée.
Alain de BENOIST :
C’est vrai que les communautariens sont probablement un peu moins pernicieux. Cela dit, certains auteurs se bornent à dire que, si une communauté décide qu’elle ne veut pas de pornographie pour une raison ou une autre, elle a le droit de la bannir. A l’inverse, si une autre communauté veut autoriser la pornographie, pourquoi pas ? Le point fort de l’argumentation communautarienne est le désir de reconnaissance d’une identité collective en tenant compte évidemment de la multi-appartenance. Alain Laurent donnait un exemple très judicieux en parlant de la Nation : est-ce que ma nation a toujours raison ? Quoique sympathisant avec les communautariens, je réponds non.
Alain LAURENT :
Il y a certainement dans l’histoire des idées des « pré- communautariens » de gauche. Je pense à Pierre Leroux, inventeur de la notion de communisme. Il faudrait sans doute s’intéresser aux interférences entre communisme et communautarisme ; je me demande parfois si le dernier n’est pas une forme résurgente du premier.
En ce qui concerne la Corse, il est évident qu’un nationaliste français ne sera pas d’accord avec les revendications des Corses. Or les nationalistes corses seraient alors des communautariens, puisqu’ils sont prêts d’expulser tous les malheureux qui ne sont pas « indigènes ».
Sur les communautariens américains, il est vrai que le terme « community » renvoie à une appartenance de base, mais avec des aspects terrifiants, notamment le contrôle social et le conformisme qui peuvent exister. Pour les Américains, dans la tradition, oser dissimuler quoi que ce soit de la vie familiale aux autres est quelque chose d’odieux : il doit y avoir un regard communautaire et une transparence. Au point de se demander si la vie privée et
Dworkin a fait une série d’articles sur la pornographie, et l’on peut évidemment discuter du rôle des féministes, mais quelles que soient les positions prises, l’argument communautaire consiste à dire que la pornographie ne fait pas partie de notre culture, et que par conséquent elle ne doit pas être autorisée.
Alain de BENOIST :
C’est vrai que les communautariens sont probablement un peu moins pernicieux. Cela dit, certains auteurs se bornent à dire que, si une communauté décide qu’elle ne veut pas de pornographie pour une raison ou une autre, elle a le droit de la bannir. A l’inverse, si une autre communauté veut autoriser la pornographie, pourquoi pas ? Le point fort de l’argumentation communautarienne est le désir de reconnaissance d’une identité collective en tenant compte évidemment de la multi-appartenance. Alain Laurent donnait un exemple très judicieux en parlant de la Nation : est-ce que ma nation a toujours raison ? Quoique sympathisant avec les communautariens, je réponds non.
Alain LAURENT :
Il y a certainement dans l’histoire des idées des « pré- communautariens » de gauche. Je pense à Pierre Leroux, inventeur de la notion de communisme. Il faudrait sans doute s’intéresser aux interférences entre communisme et communautarisme ; je me demande parfois si le dernier n’est pas une forme résurgente du premier.
En ce qui concerne la Corse, il est évident qu’un nationaliste français ne sera pas d’accord avec les revendications des Corses. Or les nationalistes corses seraient alors des communautariens, puisqu’ils sont prêts d’expulser tous les malheureux qui ne sont pas « indigènes ».
Sur les communautariens américains, il est vrai que le terme « community » renvoie à une appartenance de base, mais avec des aspects terrifiants, notamment le contrôle social et le conformisme qui peuvent exister. Pour les Américains, dans la tradition, oser dissimuler quoi que ce soit de la vie familiale aux autres est quelque chose d’odieux : il doit y avoir un regard communautaire et une transparence. Au point de se demander si la vie privée et
l’individualisme existent réellement aux Etats-Unis.
Alain de BENOIST :
Oui, mais une communauté traditionnelle de Calabre ne répond pas à la définition de « community » américaine, par exemple.
Angelo PETRONI :
Cela dépend ; il y a tellement de Calabrais aux Etats-Unis ... La Calabre est effectivement un modèle excellent de communauté (autodéfense etc) ...
Alain LAURENT :
Prenons le fait qu’on parle désormais de la « communauté homosexuelle » ou de la « communauté des Beurs ». Cela signifie qu’à partir d’une certaine particularité (ethnique ou sexuelle par exemple) l’individu est tenu comme solidaire d’un ensemble artificiellement constitué. Si j’étais homosexuel ou Beur, je protesterais avec la dernière énergie contre le fait de vouloir m’assigner à priori tel comportement ou telle solidarité uniquement à partir d’un trait particulier qui existerait par hasard. On sait d’ailleurs que pour un certain nombre de jeunes immigrés, le fait d’être catalogués comme « Beurs » les fait réagir d’une façon négative. Ils se veulent comme libres individus et ne désirent pas traîner telle ou telle étiquette à vie derrière eux.
Alain de BENOIST :
En effet, le milieu maghrébin déteste l’appellation de « Beurs ». L’exemple est très bon, car il existe des Maghrébins qui ne se reconnaissent pas dans cet ensemble et qui veulent en sortir, ce qui est leur droit. Mais il s’agit de savoir si l’on est prêt à reconnaître l’existence collective de ceux qui ont fait le choix inverse.
Alain LAURENT :
Et comment va-t-on reconnaître dans la rue les « immigrés communautaires » ? Le langage actuel revient à les assimiler tous de force comme appartenant à cette communauté. A partir du moment où l’on pose comme préalable la liberté de l’individu de se déterminer, le fait de jouer sur une particularité quelconque, affectée d’autorité de l’extérieur, revient à une assignation. Lorsqu’on parle de la « communauté maghrébine de France », de qui parle-t-on ?
Oui, mais une communauté traditionnelle de Calabre ne répond pas à la définition de « community » américaine, par exemple.
Angelo PETRONI :
Cela dépend ; il y a tellement de Calabrais aux Etats-Unis ... La Calabre est effectivement un modèle excellent de communauté (autodéfense etc) ...
Alain LAURENT :
Prenons le fait qu’on parle désormais de la « communauté homosexuelle » ou de la « communauté des Beurs ». Cela signifie qu’à partir d’une certaine particularité (ethnique ou sexuelle par exemple) l’individu est tenu comme solidaire d’un ensemble artificiellement constitué. Si j’étais homosexuel ou Beur, je protesterais avec la dernière énergie contre le fait de vouloir m’assigner à priori tel comportement ou telle solidarité uniquement à partir d’un trait particulier qui existerait par hasard. On sait d’ailleurs que pour un certain nombre de jeunes immigrés, le fait d’être catalogués comme « Beurs » les fait réagir d’une façon négative. Ils se veulent comme libres individus et ne désirent pas traîner telle ou telle étiquette à vie derrière eux.
Alain de BENOIST :
En effet, le milieu maghrébin déteste l’appellation de « Beurs ». L’exemple est très bon, car il existe des Maghrébins qui ne se reconnaissent pas dans cet ensemble et qui veulent en sortir, ce qui est leur droit. Mais il s’agit de savoir si l’on est prêt à reconnaître l’existence collective de ceux qui ont fait le choix inverse.
Alain LAURENT :
Et comment va-t-on reconnaître dans la rue les « immigrés communautaires » ? Le langage actuel revient à les assimiler tous de force comme appartenant à cette communauté. A partir du moment où l’on pose comme préalable la liberté de l’individu de se déterminer, le fait de jouer sur une particularité quelconque, affectée d’autorité de l’extérieur, revient à une assignation. Lorsqu’on parle de la « communauté maghrébine de France », de qui parle-t-on ?
Alain de BENOIST :
Prenons un exemple où l’appartenance n’est pas visible, celui de la
communauté juive. Celle-ci regroupe des gens qui se reconnaissent comme
membres d’une communauté. D’autres, aussi juifs que les premiers, ne veulent
rien savoir de cette communauté, ce qui est leur droit le plus strict. Il y a donc
deux démarches, mais le fait est que certains juifs français veulent appartenir et
se déclarer solidaires d’une appartenance à la communauté juive ; c’est
également leur droit le plus strict. Il ne s’agit d’aucune façon d’enfermer qui
que ce soit ou d’assigner de force à quelqu’un une appartenance. C’est de
reconnaître - et la reconnaissance est le fond du raisonnement de Taylor - à tort
ou à raison le droit de ces gens de se sentir solidaires d’une communauté.
Alain LAURENT :
En quoi la société libérale empêche-t-elle ce phénomène ?
Alain de BENOIST :
Je dirais - et ce n’est pas une boutade - que ce qui empêche les communautariens de s’organiser aussi facilement que l’on voudrait, ce sont peut-être les mêmes contraintes de structure qui empêchent les libertariens aux Etats-Unis d’en faire autant.
Angelo PETRONI :
Je suis d’accord qu’il y a probablement tant de communautariens que l’on peut choisir les significations que l’on veut. Mais il ne faut pas non plus pousser le relativisme. Monsieur Berten a parfaitement raison. Vous faites de la communauté un concept trop simpliste, car transversale et sans territoire. Or il existe des territoires communs. C’est tout le problème de la vaine pâture : je ne veux pas de pornographie dans ma communauté, soit. Mais si je veux bannir la pornographie de mon quartier ou de ma région, d’autres problèmes vont se poser. Et il en va de même pour la ségrégation ou l’intégration raciale.
Alain de BENOIST :
Oui, mais nous connaissons le résultat en ce qui concerne les Etats- Unis : il y a des quartiers blancs et des quartiers noirs. Ce n’est pas l’assignation : c’est le résultat soit du choix volontaire, soit du poids de facteurs sociologiques. Il y a un habitat préférentiel. Il ne faut pas envisager les choses d’une manière nécessairement antagoniste.
Lorsque ce débat a démarré aux Etats-Unis, on avait l’impression d’observer deux camps tout à fait tranchés. Or dans les ouvrages publiés actuellement, avec une qualité de débat que l’on aurait du mal à trouver en France, très souvent ces livres essaient de trouver des voies de dialogue et de dire que les libéraux, les libertariens et les communautariens ont des points communs et des ennemis communs. Certains communautariens s’ouvrent aux arguments libéraux ; certains libertariens s’interrogent pour savoir s’il y a des éléments communautariens à retenir. Je ne voudrais pas essayer de masquer l’existence de divergences philosophiques fortes, mais rapporté à l’état actuel du débat l’on se rend compte qu’il ne s’agit pas de deux camps qui s’opposent d’une façon rigoureuse.
Alain LAURENT :
En quoi la société libérale empêche-t-elle ce phénomène ?
Alain de BENOIST :
Je dirais - et ce n’est pas une boutade - que ce qui empêche les communautariens de s’organiser aussi facilement que l’on voudrait, ce sont peut-être les mêmes contraintes de structure qui empêchent les libertariens aux Etats-Unis d’en faire autant.
Angelo PETRONI :
Je suis d’accord qu’il y a probablement tant de communautariens que l’on peut choisir les significations que l’on veut. Mais il ne faut pas non plus pousser le relativisme. Monsieur Berten a parfaitement raison. Vous faites de la communauté un concept trop simpliste, car transversale et sans territoire. Or il existe des territoires communs. C’est tout le problème de la vaine pâture : je ne veux pas de pornographie dans ma communauté, soit. Mais si je veux bannir la pornographie de mon quartier ou de ma région, d’autres problèmes vont se poser. Et il en va de même pour la ségrégation ou l’intégration raciale.
Alain de BENOIST :
Oui, mais nous connaissons le résultat en ce qui concerne les Etats- Unis : il y a des quartiers blancs et des quartiers noirs. Ce n’est pas l’assignation : c’est le résultat soit du choix volontaire, soit du poids de facteurs sociologiques. Il y a un habitat préférentiel. Il ne faut pas envisager les choses d’une manière nécessairement antagoniste.
Lorsque ce débat a démarré aux Etats-Unis, on avait l’impression d’observer deux camps tout à fait tranchés. Or dans les ouvrages publiés actuellement, avec une qualité de débat que l’on aurait du mal à trouver en France, très souvent ces livres essaient de trouver des voies de dialogue et de dire que les libéraux, les libertariens et les communautariens ont des points communs et des ennemis communs. Certains communautariens s’ouvrent aux arguments libéraux ; certains libertariens s’interrogent pour savoir s’il y a des éléments communautariens à retenir. Je ne voudrais pas essayer de masquer l’existence de divergences philosophiques fortes, mais rapporté à l’état actuel du débat l’on se rend compte qu’il ne s’agit pas de deux camps qui s’opposent d’une façon rigoureuse.
Angelo PETRONI :
Tout à fait d’accord. Il existe des ouvrages montrant que le libéralisme
est mieux à même de défendre des communautés, comme la communauté
indienne aux Etats-Unis, par exemple.
André BERTEN :
Un des grands reproches faits aux libéraux par les communautariens
est que leur définition de la justice est purement formelle, qu’elle manque de
substance. Alain Laurent a dit que les libéraux avaient au contraire une
conception substantielle de la liberté et de la justice ; mais il a ajouté que le bien
commun consiste pour chacun à pouvoir choisir sa propre définition de la vie
bonne. Or, les communautariens rétorquent que cette possibilité de choix est
justement formelle et non pas substantielle. J’ai été par la suité intrigué par ce
qu’a dit Bernard Cherlonneix sur le bon père de famille, le bon patron, le bon
ouvrier etc, car ces catégories supposent l’existence d’un modèle concret. Ainsi,
je ne vois pas comment les libéraux peuvent revendiquer la notion d’une liberté
substantielle.
Alain LAURENT :
Il me semble que les communautariens interprètent le terme
« substantiel » trop à la manière d’un contenu bien déterminé. J’aurais
tendance à prendre le mot « substance » au sens étymologique, c’est-à-dire
quelque chose qui se tient d’une manière ferme sous les apparences. Par
conséquent, une valeur forte me paraît être en elle-même substantielle : elle
n’est pas vide de contenu. Elle n’est pas non plus purement procédurale.
De même, je ne suis pas d’accord avec le procès intenté contre Kant
par les communautariens : la philosophie kantienne me paraît être en elle-même
substantielle. Kant, comme les libertariens, pose que l’être humain par nature
est une fin en soi. La querelle porte sur l’interprétation du terme « substantiel »
que je trouve être beaucoup trop déterminant dans la phraséologie
communautarienne. Dans le monde libéral ou libertarien, le fait que l’individu
dispose du droit de s’autodéterminer a une consistance substantielle.
Individu
De Wikiberal
L'individu est un être considéré comme une unité distincte, indépendante (un "in-dividu" ne peut être ni partagé ni divisé).
L'individualisme libéral met l'individu au centre de l'éthique, du droit
et de l'économie, comme primordial par rapport à toute formation
sociale. L’individu doit être considéré comme un fin en soi et non comme
un moyen, ce qui minimise l’action possible de l’État ; la pleine propriété de soi donne alors à la responsabilité toute son effectivité.
Même les socialistes
reconnaissent à présent le rôle primordial et l'importance qu'il faut
donner à l'individu. Dans un forum intitulé "les socialistes et
l'individu"[1],
ils écrivent que l’individu « ne peut s’entendre comme un
atome isolé mais un être social, fraternel ». Constatant « l’aspiration
indéniable à une plus grande prise en compte des situations personnelles
dans les politiques publiques », les rapporteurs soulignent que « le libéralisme
ne conteste ni l’importance du lien social ni la nécessité d’une
régulation politique de l’économie de marché » et opèrent un distinguo
avec « le néolibéralisme,
destructeur ». Bien que cette distinction soit inopérante, il s'agit
tout de même d'une évolution notable de la part d'un parti précédemment collectiviste.
Objection fréquente
- La notion d'individu, disent les critiques, est une abstraction vide de sens. L'homme réel est nécessairement toujours le membre d'un ensemble social. Il est même impossible d'imaginer l'existence d'un homme séparé du reste du genre humain et non relié à la Société. L'homme, comme homme, est le produit d'une évolution sociale. Son caractère éminent entre tous, la raison, ne pouvait émerger qu'au sein du cadre social de relations mutuelles. Il n'est pas de pensée qui ne dépende de concepts et de notions de langage. Or le langage est manifestement un phénomène social. L'homme est toujours le membre d'une collectivité. Comme le tout est, tant logiquement que temporellement, antérieur à ses parties ou membres, l'étude de l'individu est postérieure à l'étude de la société. La seule méthode adéquate pour le traitement des problèmes humains est la méthode de l'universalisme ou collectivisme.
Il s'agit d'une objection étudiée, et réfutée, par Ludwig von Mises dans L'Action humaine (Première partie — L'Agir humain,
Chapitre II — Les problèmes épistémologiques des sciences de l'agir humain) :
- Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de la municipalité. (...) Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies par des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions de l'ensemble collectif. Car une collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus.
- Comme être pensant et agissant l'homme émerge de son existence préhumaine déjà un être social. L'évolution de la raison, du langage, et de la coopération est le résultat d'un même processus ; ils étaient liés ensemble de façon indissociable et nécessaire. Mais ce processus s'est produit dans des individus. Il a consisté en des changements dans le comportement d'individus. Il n'y a pas de substance dans laquelle il aurait pu survenir, autre que des individus. Il n'y a pas de substrat pour la société, autre que les actions d'individus.
- Le fait qu'il y ait des nations, des États et des églises, qu'il existe une coopération sociale dans la division du travail, ce fait ne devient discernable que dans les actions de certains individus. Personne n'a jamais perçu une nation sans percevoir ses membres. En ce sens l'on peut dire qu'un collectif social vient à l'existence par la voie des actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu soit antécédent dans le temps. Cela signifie seulement que ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif.
- Il n'est pas besoin de discuter si le collectif est la somme résultant de l'addition de ses membres ou quelque chose de plus, si c'est un être sui generis, et s'il est ou non raisonnable de parler de sa volonté, de ses plans, de ses objectifs et actions, et de lui attribuer une « âme » distincte. Ce langage pédantesque est oiseux. Un ensemble collectif est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel, une chose réelle qui détermine le cours d'événements.
- Il est illusoire de croire qu'il est possible de visualiser des ensembles collectifs. Ils ne sont jamais visibles ; la connaissance qu'on peut en avoir vient de ce que l'on comprend le sens que les hommes agissants attachent à leurs actes. Nous pouvons voir une foule, c'est-à-dire une multitude de gens. Quant à savoir si cette foule est un simple attroupement, ou une masse (au sens où ce terme est employé dans la psychologie contemporaine), ou un corps organisé ou quelque autre sorte d'entité sociale, c'est une question dont la réponse dépend de l'intelligence qu'on peut avoir de la signification que les gens assemblés attachent à leur présence. Et cette signification est toujours dans l'esprit d'individus. Ce ne sont pas nos sens, mais notre entendement — un processus mental — qui nous fait reconnaître des entités sociales.
Citations
« J'ai toujours haï toute nation, profession et communauté ; et tout mon amour va aux individus. »
— Jonathan Swift
« L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction un tantième de la société, parce qu'il est plus que cela : son unicité s'insurge contre cette conception qui le diminue et la rabaisse. »
— Max Stirner
« Si je suis finalement devenu sociologue (comme l’indique mon arrêté de nomination) c’est essentiellement afin de mettre un point final à ces exercices à base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d’autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut procéder que des actions d’un, de quelques, ou de nombreux individus séparés. C’est pourquoi elle se doit d’adopter des méthodes strictement "individualistes". »
— Max Weber, Lettre à l’économiste marginaliste Lietman, 1920 (citée en exergue du Dictionnaire critique de la sociologie)
« L’historicisation de la notion d’individu est une idée qui semble étrange dès qu’on prend la peine de s’y arrêter, bien qu’elle soit fort répandue. L’être humain n’a-t-il pas le souci de soi et des siens dans toute société ? Le grand sociologue français Durkheim n’éprouve aucun doute sur ce point : « L’individualisme ne commence nulle part », écrit-il : il est de tout temps. Ce qui signifie simplement que les hommes ont de tout temps jugé les institutions (au sens large du terme) à un trébuchet : leur contribution au bien-être des individus. »
— Raymond Boudon
Relativisme
De Wikiberal
Le relativisme est une position philosophique qui soutient qu'il n'existe pas de vérité absolue.
Relativisme et philosophie
Friedrich Nietzsche est considéré comme le type-même de philosophe relativiste. On lui doit les deux formules suivantes :
- Ce qui a besoin d'être démontré ne vaut pas grand chose.
- Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations.
Il faut noter que le relativisme est une opinion paradoxale, si ce
n'est auto-contradictoire : l'affirmation que toute vérité est relative
est-elle elle-même relative, ou absolue ? Luc Ferry[1]
dénonce le "double discours" des relativistes, que leur relativisme
n'empêche pas par ailleurs d'énoncer certaines vérités ou de porter des
jugements moraux.
Karl Popper
souligne que l'attrait du relativisme tient à ce qu'on le confond
souvent avec une vérité importante : la faillibilité ("l'erreur est
humaine"), qui a joué un rôle important d'un point de vue historique et
épistémologique dans la connaissance humaine. Mais du point de vue de la
recherche de la vérité, la faillibilité en aucune manière ne peut justifier le relativisme.
Applications du relativisme
La position relativiste s'applique à différents domaines de la connaissance :
- philosophie et épistémologie (sophistique grecque, scepticisme, criticisme, empirisme, pragmatisme) : il n'existe pas de vérité préexistant à toute théorie scientifique ; ou bien, aucune vérité définitive ne peut être connue ;
- culture et sociologie (relativisme culturel, historicisme) : il n'y a pas de culture meilleure qu'une autre, ni de comportement ou d'action meilleurs que les autres ; la morale n'est ni absolue ni universelle, elle émerge de coutumes sociales et d'autres institutions humaines ; toutes les opinions se valent ;
- ethnologie : toutes les civilisations se valent, même le nazisme aurait pu apparaître comme une grande civilisation (Lévi-Strauss) ; "le barbare, c'est l'autre" ;
- logique : la rationalité n'existe pas, le mode de raisonnement dépend de la personne (polylogisme)
- morale : toutes les valeurs morales sont équivalentes ("à chacun sa vérité").
Relativisme et politique
Le relativisme ne doit pas être confondu avec la tolérance,
car il ne tolère aucune critique ni aucun argument rationnel, puisqu'il
les réduit à des assertions elles-mêmes relativistes. Tout énoncé n'est
plus que le reflet de la situation sociale, du milieu, de la culture,
des préjugés, etc., de la personne qui le formule.
De cette façon, le relativisme ouvre paradoxalement la voie à l'interventionnisme politique. Par exemple, la liberté d'expression
peut être réprimée : puisque tous les arguments se valent, on peut en
interdire certains, il suffit de décréter que celui qui les émet est
motivé par la "haine". Puisqu'une opinion en vaut une autre, la seule
chose qui compte finit par être les rapports de force et la loi du plus fort, et sa traduction politique du moment.
Le relativisme se présentant comme une théorie irréfutable, qui
n'apporte rien et qui n'explique rien, il ouvre la voie à l'irrationnel
et à l'arbitraire politique tel qu'il existe dans les sociétés collectivistes : « la fin justifie les moyens », « tout est politique ». Il n'y a pas de vérité unique, mais des façons de penser différentes : c'est le polylogisme,
qui implique que l'on puisse attribuer a priori, à différents
individus, différents modes de raisonnement, divers processus
rationnels, ou d'inégales capacités logiques, selon leur appartenance à
des catégories déterminées. Mises explique comment le marxisme
procède de ce genre d'idées (ce qui n'empêche pas les marxistes
d'affirmer que leurs "enseignements" sont objectivement vrais) :
« Marx et les marxistes et au premier rang d'entre eux le philosophe prolétaire Dietzgen ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement déductif ; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les mérites des théories physiques ; ils dévoilent simplement l'origine « bourgeoise » des physiciens. Les marxistes ont eu recours au polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées. Le succès de ce stratagème marxiste fut sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par supercherie logique du polylogisme que l'étatisme pouvait s'implanter dans les esprits modernes. »
— Ludwig von Mises, Le Gouvernement omnipotent, De l'État totalitaire à la guerre mondiale, Troisième partie — Le nazisme allemand, VI. Les caractéristiques particulières du nationalisme allemand, 6. Polylogisme
Mises explique que les Nazis
utilisent de la même façon le polylogisme, préparé pour eux par les
marxistes. Les opinions qu'ils rejettent sont dites fausses, parce que
juives ou non-aryennes, de même que pour les marxistes est faux ce qui
est "bourgeois" ou non-prolétaire. Les dissidents appartiennent à deux
catégories : les étrangers (membres d'une classe non prolétaire, ou
d'une race non aryenne) et les traîtres (à leur classe, ou à leur race).
Le relativisme poussé à l'extrême aboutit ainsi au nihilisme et au totalitarisme :
« C'est une attitude de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. »
— Mises
Libéralisme et relativisme
Une conséquence du relativisme moral est que "tout est permis",
puisqu'il n'y a pas de critère fiable permettant d'apprécier une action.
Le libéralisme n'est en aucune façon un relativisme moral, contrairement à ce que prétendent certains qui se fondent sur l'individualisme qui est à la source du libéralisme pour en tirer des conclusions hâtives.
Tout comportement, toute action peuvent être jugés comme conformes ou non à l'éthique libérale, qui repose sur l'axiome de non-agression, et un tel jugement s'applique à n'importe quel type de culture ou de société. Pour les libéraux et les libertariens, il s'agit bien d'un critère objectif, qui permet de juger aussi bien une politique donnée, qu'une religion
ou une philosophie, non pas en elles-mêmes (le libéralisme n'a pas
cette prétention), mais dans les rapports sociaux qui en découlent.
En revanche, le libéralisme accepte profondément la différence, et, tant que l'axiome de non-agression est respecté, il n'a aucun problème à reconnaître la diversité des cultures, des moeurs, des religions, des éthiques personnelles, des opinions, etc.
Les libertariens jusnaturalistes sont les plus grands adversaires du relativisme, qui pour eux règne dans les sociétés contemporaines à travers le positivisme juridique et le droit positif.
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