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Centres de pouvoir politique, entités aux commandes de l’économie
mondiale, pôles diversifiés de la culture planétaire, les villes
mondiales se développent sur tous les continents. Leur puissance se
mesure désormais à la variété et au nombre de leurs connexions.
Partenaires et/ou rivales, les villes mondiales ont toutefois des
identités diverses. Chacune est une combinaison de fonctions économiques
spécifiques et de connexions globales particulières.
Notion délicate à cerner et relevant d’une terminologie
floue, le concept de la ville mondiale se voit appliquer, depuis une
dizaine d’années, un nombre croissante de définitions destinées à la
caractériser.
Des appellations multiples
Dans un article intitulé "La ville mondiale : une histoire de représentations"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales
n°60, mars-avril 2013), Anne Bretagnolle explique comment « certaines
villes se sont, dès l’Antiquité, pensées comme centre de monde, un monde
à leur dimension et à leur portée. Leur acte de fondation en témoigne :
Babylone, Pékin, Alexandrie, Athènes ou Rome s’étendent autour d’un
site symbolique (…) Paris, qui n’a jamais été qualifiée par les
historiens de centre de l’économie-monde, atteint un tel rayonnement
culturel qu’elle est qualifiée de "ville mondiale" par Goethe en 1797. »
L’auteure dresse un inventaire exhaustif des appellations
proposées pour définir la ville mondiale. Concernant la notion de
« métropole mondiale », « il faut attendre la fin du XIXe siècle pour
que des polarisations d’échelle mondiale soient évoquées. Les métropoles
sont alors définies par Halford MacKinder et Paul Vidal de la Blache
comme permettant l’articulation du local et du global grâce aux réseaux
de transport mécaniques modernes, qui leur assurent une "nodalité"
exceptionnelle. (…) Le terme "mégalopolis" est proposé en 1961 par le
géographe français Jean Gottmann, à partir de l’observation de la région
urbaine de la côte Est des États-Unis. Il qualifie une région urbaine
s’étendant de manière continue sur plusieurs centaines de kilomètres de
Boston à Washington, rassemblant plusieurs dizaines de millions
d’habitants (…). »
Les concepts d’« archipel
mégalopolitain mondial » ou d’« économie en archipel » (…) « insistent
surtout sur les liens horizontaux tissés entre les villes d’envergure
mondiale (…) qui parviennent à occuper des positions stratégiques dans
les flux mondiaux. (…) Le terme world city, apparu sous la plume de Paul Geddes au début du XXe
siècle, désigne (…) des conurbations, formes urbaines tentaculaires
nées de l’étalement de très grandes villes grâce aux chemins de fer. (…)
À partir des années 1980, les descriptions d’une nouvelle économie
globale insistent sur le rôle des métropoles mondiales et font état de
villes "mondiales" ou "globales" et de "systèmes de villes mondiales ".
(…) Les puissantes économies d’agglomérations et les rendements
croissants qui les caractérisent leur permettent de se développer
constamment pour devenir plus grandes et former des "global
megalopolitan regions". (…)
Depuis le XXe
siècle, la croissance urbaine affecte fortement les pays en
développement et privilégie les très grandes villes. (…) Les mégapoles,
dont la taille est sans commune mesure avec celle des autres villes du
pays, ne constituent pas forcément des nœuds de l’archipel
mégalopolitain mondial. Ainsi Bogota ou Le Caire, peuplées de
respectivement de 8 et 12 millions d’habitants en 2007 selon l’ONU,
concentrent 15 à 20 % de la population de leur pays. Elles ne figurent
pourtant qu’au 55e et 59e rang des métropoles les plus connectées en 2000 dans le classement du Globalization and World Cities research network …. »
La course à la verticalité
cône architecturale du XXe siècle, le gratte-ciel garde aujourd’hui toute sa vitalité. Céline Bayou en fait la démonstration dans un article intitulé "La ville-debout : le gratte-ciel au XXIe siècle"*1. En effet, « le lien entre la tour et la projection de puissance de la ville qui s’en dote reste fort », alors que « la course vers le ciel traduit l’aspiration constante à l’élévation, spirituelle comme temporelle. (…)Apparus à la toute fin du XIXe siècle, les gratte-ciel ont d’abord été l’apanage de quelques grandes villes américaines, avant que l’Europe n’entre dans la course à la hauteur. Aujourd’hui, la compétition a changé de rivages, la prolifération de tours construites en Asie et les records de hauteur détenus par le Moyen-Orient bouleversant la carte des villes verticales. Réponse à la croissance urbaine mais, plus encore, symbole de richesse et de pouvoir, le gratte-ciel est un outil marketing qui, par l’image qu’il projette, continue d’incarner la ville moderne. Curieusement malgré les coûts qu’il induit – de construction comme d’entretien – et alors que l’époque se prête plus volontiers aux discours sur le développement durable et la ville verte, il semble triompher de l’essoufflement du capitalisme mondial. »
Se positionnant en tant que nouveaux acteurs mondiaux, les
villes participent de la globalisation contemporaine et apparaissent
comme les ancrages territoriaux urbains de la mondialisation.
Quels critères pour classer une ville ?
Dans un texte intitulé "Comment se vendre sur le marché mondial ?"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique (Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, "Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août 2011), les auteurs montrent que « les métropoles adoptent des stratégies de communication pour développer leur attractivité mondiale, notamment quand elles sont très spécialisées. Elles visent à diversifier leur portefeuille d’activités pour faciliter une sortie de crise (Liverpool ou d’autres villes marquées par la première révolution industrielle) ou anticiper une crise à venir (les villes du Golfe, menacées par le déclin prévisible de la rente pétrolière). Il faut attirer le tourisme international, les firmes, les investisseurs. Le city marketing fait appel à des cabinets de consultants internationaux et s’appuie souvent sur des partenariats public-privé, relayés dans des grandes villes par des agences de promotion, comme pour DubaiTourism. Les discours convergent : on met en avant le patrimoine de la ville, les aménités du site, la qualité de sa gouvernance (propreté et sécurité). Ils sont assortis d’icônes ou de slogans simples et faciles (city branding), orientés vers la culture à Liverpool, le luxe à Dubai. »
le top 10 des villes qui comptent dans le monde selon les classements mondiaux
Indicateur des différents classements
| |||||
Rang
|
Global
Network Connectivity Index 2008 |
Global
Network Connectivity Index 2000 |
Image
2009 |
Attractivité
2009 |
Investissements
2008-2009 |
1
|
Londres
|
Londres
|
Londres
|
Londres
|
Londres
|
2
|
New York
|
New York
|
New York
|
Bombay
|
Shanghai
|
3
|
Hong Kong
|
Hong Kong
|
Paris
|
New York
|
Hong Kong
|
4
|
Paris
|
Paris
|
Shanghai
|
Shanghai
|
Paris
|
5
|
Singapour
|
Tokyo
|
Hong Kong
|
Paris
|
Pékin
|
6
|
Tokyo
|
Singapour
|
Bombay
|
Moscou
| |
7
|
Sydney
|
Chicago
|
Singapour
|
Barcelone
| |
8
|
Milan
|
Milan
|
Tokyo
|
Madrid
| |
9
|
Shanghai
|
Los Angeles
|
Pékin
|
Tokyo
| |
10
|
Pékin
|
Toronto
|
Sydney
|
New York
| |
Indicateur des différents classements (Suite)
| |||||
Rang
|
Global
Power City Index 2011 |
Global
Cities Index 2008 |
Master
Card Index 2008 |
Cities of
Opportunities 2010 |
World
Cities Survey 2010 |
1
|
New York
|
New York
|
Londres
|
New York
|
New York
|
2
|
Londres
|
Londres
|
New York
|
Londres
|
Londres
|
3
|
Paris
|
Paris
|
Tokyo
|
Singapour
|
Paris
|
4
|
Tokyo
|
Tokyo
|
Singapour
|
Chicago
|
Tokyo
|
5
|
Singapour
|
Hong Kong
|
Chicago
|
Paris
|
Los Angeles
|
6
|
Berlin
|
Los Angeles
|
Hong Kong
|
Toronto
|
Bruxelles
|
7
|
Séoul
|
Singapour
|
Paris
|
Sydney
|
Singapour
|
8
|
Hong Kong
|
Chicago
|
Francfort
|
Tokyo
|
Berlin
|
9
|
Amsterdam
|
Séoul
|
Séoul
|
Hong Kong
|
Pékin
|
10
|
Francfort
|
Toronto
|
Amsterdam
|
Stockholm
|
Toronto
|
Sources : tableau établi à partir de GaWC Bulletin Research, no 300 ;
Paris-Île-de-France Capitale économique & KPMG, 2010 (colonnes 4, 5
et 6) ;
Institute for Urban Strategies. The Mori Memorial Foundation, 2012 ; A. T. Kearney and the Chicago Council on Global Affairs, 2008 ; MasterCard,
2008 ; PriceWaterCoopers, 2010 ; Knight Frank & City Bank, 2010.
Institute for Urban Strategies. The Mori Memorial Foundation, 2012 ; A. T. Kearney and the Chicago Council on Global Affairs, 2008 ; MasterCard,
2008 ; PriceWaterCoopers, 2010 ; Knight Frank & City Bank, 2010.
Expression spatiale de la globalisation
« Aujourd’hui,
les six cents plus grandes métropoles planétaires représentent plus
d’un tiers de la richesse mondiale. Ce phénomène est favorisé par une
urbanisation croissante : depuis 2008, il y a dans le monde plus de
citadins que de ruraux, et cette évolution devrait se poursuivre
jusqu’en 2050. D’ici là, la population urbaine mondiale pourrait croître
de 200 000 habitants en moyenne par jour », note la rédaction de la
revue Problèmes économiques dans un numéro consacré aux "Villes dans la globalisation" *2 (n° 3093, La Documentation française, août 2014).
Mais au-delà d’une certaine uniformisation réductrice que produit
inévitablement la globalisation, Lise Bourdeau-Lepage affirme dans un
article intitulé "Un monde polycentrique et métropolisé" *1 (publié dans "Les villes mondiales", Questions internationales,
n° 60, mars-avril 2013, La Documentation française) que « le rôle que
joue une métropole dépend d’une multitude de facteurs. Il n’existe donc
pas d’archétype de métropoles globales, mais plutôt des métropoles
globales qui se différencient les unes des autres, formant des réseaux
urbains variés au sein desquels les villes qui comptent dans le monde
interagissent. Ces réseaux peuvent être économiques – par exemple
financiers, commerciaux –, de recherche, mais aussi politiques – comme
celui reliant les villes capitales –, culturels, sociaux, écologiques,
etc. Un monde multicentrique et métropolisé émerge ainsi, dans lequel
chaque métropole présente une combinaison d’atouts qui lui est propre et
lui permet de s’insérer dans cet archipel urbain global où la
complémentarité semble prendre le pas sur la concurrence. »
Ce qui caractérise avant tout les villes mondiales, c’est
leur capital démographique et leur densité. La hiérarchie des grandes
agglomérations mondiales, pour sa part, est un compromis entre critères
démographiques et économiques.
La domination de l’Asie
Dans un article intitulé "Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales
n°60, mars-avril 2013), François Moriconi-Ébard et Cathy Chatel
affirment que « les historiens s’accordent sur le fait qu’aucune ville
n’avait jamais pu dépasser le seuil de 1 à 1,2 million d’habitants
jusqu’au début du XIXe siècle. C’est en Europe que ce seuil
fut pour la première fois dépassé. Pionnière de la révolution
industrielle, l’Angleterre voit en effet sa capitale franchir les 2
millions d’habitants dès 1842. Paris la suit en 1863, puis New York
(1875), Berlin (1892), Chicago (1893), Manchester (1903), Vienne (1906),
Tokyo (1908) et Philadelphie (1911). À la veille de la Première Guerre
mondiale, cinq des huit plus grandes villes du monde sont donc
européennes et une seule asiatique. (…)
En 2010, la Chine abrite les deux agglomérations de loin les plus
peuplées au monde : Shanghai – qui englobe également Nanjing et Hangzhou
– et Shenzhen – comprenant Guangzhou (Canton), Macao et la partie nord
des New Territories de Hong Kong. Au 14e rang mondial, on trouve
également une troisième agglomération chinoise, Pékin (Beijing). (…)
Seul autre pays à dépasser le milliard d’habitants, l’Inde compte quatre
agglomérations de plus de 10 millions d’habitants. Les États-Unis, le
Brésil, le Japon et le Pakistan en possèdent deux. Au seuil minimum de
10 millions d’habitants, tous les grands pays sont représentés, à
l’exception notable de l’Allemagne. La domination de l’Asie, où vivent
les deux tiers de l’humanité, est écrasante.
Les agglomérations de plus de 10 millions d’habitants
Agglomération
|
Pays
|
Nombre d’habitants
(en milliers) |
Superficie urbanisée
(en km2) |
Densité
(en h/km2) |
Année des
dernières sources | |
1
|
Shanghai
|
Chine
|
94 500
|
22,630
|
4,176
|
2010
|
2
|
Shenzhen
|
Chine
|
44 409
|
5,321
|
8,346
|
2010
|
3
|
Tokyo
|
Japon
|
39 800
|
4,201
|
9,474
|
2010
|
4
|
New York
|
États-Unis
|
27 764
|
20,388
|
1,362
|
2010
|
5
|
Delhi
|
Inde
|
23 300
|
1,411
|
16,513
|
2011
|
6
|
Jakarta
|
Indonésie
|
22 551
|
2,199
|
10,255
|
2010
|
7
|
Séoul
|
Corée
|
20 500
|
1,179
|
17,388
|
2010
|
8
|
Manille
|
Philippines
|
20 078
|
1,092
|
18,386
|
2010
|
9
|
Karachi
|
Pakistan
|
19 589
|
807
|
24,274
|
2010
|
10
|
São Paulo
|
Brésil
|
18 890
|
2,008
|
9,407
|
2010
|
11
|
Mexico
|
Mexique
|
18 050
|
1,746
|
10,338
|
2010
|
12
|
Cochin
|
Inde
|
17 950
|
9,033
|
1,987
|
2011
|
13
|
Calcutta
|
Inde
|
17 200
|
1 852
|
9 287
|
2011
|
14
|
Pékin
|
Chine
|
16 700
|
2 400
|
6 958
|
2010
|
15
|
Bombay
|
Inde
|
16 500
|
465
|
35 484
|
2011
|
16
|
Le Caire
|
Égypte
|
15 691
|
1 328
|
11 816
|
2006
|
17
|
Dhaka
|
Bangladesh
|
15 680
|
1 077
|
14 559
|
2011
|
18
|
Los Angeles
|
États-Unis
|
15 449
|
7 099
|
2 176
|
2010
|
19
|
Osaka
|
Japon
|
14 500
|
2 900
|
5 000
|
2010
|
20
|
Bangkok
|
Thaïlande
|
14 160
|
3 150
|
4 495
|
2010
|
21
|
Moscou
|
Russie
|
14 009
|
1 901
|
7 369
|
2010
|
22
|
Hô Chi Minh-Ville
|
Vietnam
|
13 750
|
3 000
|
4 583
|
2009
|
23
|
Istanbul
|
Turquie
|
13 460
|
1 126
|
11 954
|
2011
|
24
|
Téhéran
|
Iran
|
12 135
|
1 917
|
6 330
|
2011
|
25
|
Rio de Janeiro
|
Brésil
|
11 350
|
1 568
|
7 239
|
2010
|
26
|
Buenos Aires
|
Argentine
|
11 200
|
2 500
|
4 480
|
2010
|
27
|
Lagos
|
Nigeria
|
10 590
|
863
|
12 271
|
2006
|
28
|
Paris
|
France
|
10 518
|
1 867
|
5 634
|
2009
|
29
|
Londres
|
Roy.-Uni
|
10 223
|
2 190
|
4 668
|
2011
|
30
|
Lahore
|
Pakistan
|
10 000
|
367
|
27 248
|
2008
|
Ensemble
|
610 496
|
109 585
|
5 571
|
2010
| ||
Reste de la planète
|
6 220 091
|
135 890 415
|
46
|
2010
|
Date de référence : 1er juillet 2010.
Source : d’après e-Geopolis.
Source : d’après e-Geopolis.
Mais un deuxième indicateur est également étroitement
corrélé au sommet de la hiérarchie : c’est le trafic des ports
maritimes. Shanghai est devenue depuis 2009 le plus grand port au monde
(650 millions de tonnes de fret en 2010) et, en additionnant les trafics
des ports de Shenzhen et de Guangzhou, la conurbation de la rivière des
Perles atteint 621 millions de tonnes. Suivant le même calcul, la baie
de Tokyo arrive au 3e rang en additionnant le trafic des quatre ports de Yokohama, Kawasaki, Tokyo et Chiba.
Cet
indicateur rappelle l’importance fondamentale des échanges de biens
matériels dans le processus de formation des agglomérations urbaines. À
l’opposé, le déclassement spectaculaire des agglomérations d’Europe est
la conséquence de la désindustrialisation rapide du continent au cours
des trois dernières décennies. »
Le revers de la médaille ?
La croissance des villes mondiales est leur force, mais peut
aussi révéler leur fragilité et contribue à la création d’inégalités, à
l’échelle infra-métropolitaine. « Et si la ségrégation socio-spatiale
était la rançon à acquitter pour demeurer une ville mondiale ? »,
s’interroge Stéphane Leroy dans un article intitulé "La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales" *1.
En
effet, « les conséquences de la mondialisation sur l’espace interne des
métropoles sont considérables. La tertiarisation généralisée et
l’hyperspécialisation économique des plus grandes villes ont bouleversé
les fragiles équilibres socio-spatiaux. La division sociale de l’espace
urbain s’est recomposée au profit des populations plus qualifiées et
plus aisées qui peuvent choisir leur localisation résidentielle, se
regrouper entre elles et mettre à distance les plus défavorisées. »
Dans un texte intitulé "Des métropoles inégalitaires"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique
(Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo,
"Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août
2011), les auteurs expliquent qu’« évaluer les inégalités
intra-urbaines est possible grâce à un indicateur très utilisé à
l’échelle des États, le coefficient de Gini. (…) Si, à l’échelle
mondiale, le Brésil arrive en tête des pays les plus inégalitaires pour
la population totale, à l’échelle des villes, ce sont trois métropoles
sud-africaines – East London, Johannesburg et East Rand – qui présentent
les plus forts contrastes socio-économiques (…). Dans leur ensemble,
les métropoles africaines présentent les plus fortes inégalités dans le
monde …. »
La mondialisation et l’urbanisation croissante qui l’accompagne, si elle
« engendre de nombreuses externalités positives, comme un meilleur
accès à l’éducation, à la santé, à l’information, etc., (…) provoque
aussi (…) de multiples effets négatifs », notamment « une bidonvillisation galopante. *2» (Problèmes économiques, n° 3093 consacré aux "Villes dans la globalisation" (La Documentation française, août 2014).)
Anne Bretagnolle est professeur de géographie à l’université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, unité mixte de recherche
« Géographie-cités ».
1. La notion de ville mondiale est-elle typique des XXe et XXIe siècles ou n’a-t-elle pas toujours existé ?
Cette
notion est très en vogue depuis les années 1990, même si les
expressions employées sont variables : en France ou dans les pays
francophones, on parle généralement des métropoles mondiales, tandis que
les pays anglo-saxons évoquent plutôt la notion de ville-monde (world city, global city).
L’objet géographique renvoie pourtant à une réalité beaucoup plus
ancienne, qui peut être analysée selon deux grilles de lecture.
La
première est celle de la ville mondiale comme capitale d’un
territoire-monde, faisant appel à une vision hiérarchique et verticale
des fonctions urbaines. Dès l’Antiquité, des villes comme Babylone,
Pékin, Alexandrie ou Rome se sont pensées comme centre du monde, même si
ce monde ne constituait pas encore la totalité du globe terrestre.
Elles ont d’ailleurs largement mis en scène cette centralité mondiale
par leur symbolique monumentale et urbanistique. Au Moyen Âge, avec les
progrès de la navigation, des villes comme Venise, Amsterdam ou Londres
ont tour à tour dominé un vaste réseau de villes et de comptoirs. La
République maritime de Venise ressemble à un véritable empire colonial,
composé d’îles, de villes, de places fortifiées ou de ports, en
Méditerranée, dans l’Atlantique nord et au Moyen Orient.
La deuxième vague de mondialisation des échanges, au XIXème
siècle, a largement contribué à développer une nouvelle représentation
de la ville mondiale, plus horizontale, renvoyant à l’idée d’un espace
planétaire organisé par des nœuds inter-connectés, liés par des
relations de compétition et de complémentarité. New York ou Londres sont
décrites par Paul Vidal de la Blache ou Halford Mackinder comme des
super-nœuds, maritimes et ferroviaires, des interfaces entre le local et
le global dominant chacune de vastes portions du monde. Mais c’est
surtout avec la phase actuelle de la mondialisation des échanges,
débutant aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, que la vision
horizontale et réticulaire s’impose, notamment avec les travaux de Peter
Hall ou Saskia Sassen. On a là un système monde, constitué d’un
archipel de nœuds extrêmement bien connectés les uns aux autres et
assurant par leurs interdépendances le fonctionnement de l’ensemble du
système productif mondial et de la finance globalisée. Les villes
mondiales d’aujourd’hui sont celles qui dominent l’économie-monde et ne
doivent pas être confondues avec les mégapoles des pays en
développement, démesurément grandes par leur taille mais économiquement
dépendantes des premières.
2. Pourquoi est-ce important pour une métropole d’accéder au statut de ville mondiale aujourd’hui ?
Il
serait illusoire de penser qu’on peut "accéder" au statut de ville
mondiale à grands coups d’opérations médiatiques, par exemple en
construisant le gratte-ciel le plus haut du monde, l’hôtel ou le centre
commercial le plus luxueux, ou bien encore en accueillant des événements
sportifs ou culturels d’ampleur mondiale. Il s’agit là de stratégies
développées par certaines villes de pays émergents pour attirer plus
d’entreprises transnationales, de touristes ou de travailleurs
qualifiés, voire par d’anciennes métropoles industrielles européennes ou
américaines pour redynamiser leur image. Même les métropoles mondiales
qui s’imposent actuellement dans les pays d’Asie (Shanghai, Hong Kong,
Singapour, etc.) partagent avec leurs homologues d’Europe ou d’Amérique
du Nord deux caractéristiques fondamentales : la diversité de leurs
fonctions, qui leur permet de traverser les crises liées à des fins de
cycle ou des bouleversements mondiaux, et l’accumulation historique de
leur richesse, à la fois mobilière et immobilière. Ces deux
caractéristiques ne s’acquièrent pas en quelques années….
3. Quelle est la pertinence des critères retenus pour classer les villes mondiales ? Et pour qui ces hiérarchies ont-elles un sens ?
Il
est extrêmement difficile de proposer une liste des villes mondiales,
et cela pour deux raisons. Tout d’abord, on manque de bases de données
fiables et comparables à l’échelon du monde, par exemple sur la richesse
produite par les villes (Produit urbain brut) ou sur les
caractéristiques des firmes transnationales dans chaque grande ville du
monde (nombre et importance des sièges sociaux, densité et taille des
réseaux de filiales ou sous-traitants). Ensuite, même lorsqu’on
s’intéresse à un indicateur qui paraît simple en apparence, celui de
l’accessibilité dans les réseaux d’échanges aériens mondiaux, les choix
dans le type de données et leur traitement sont multiples et amènent à
des classements divergents. Enfin, chacun des trois critères proposés
aboutit à une hiérarchie différente des villes mondiales. Sur les 10
premières déterminées par chacun des critères pour les années comprises
entre 2008 et 2010, seules 4 apparaissent simultanément (New York,
Londres, Tokyo et Paris), tandis que 14 des 20 répertoriées ne sont
citées que dans l’un des trois classements. Il est néanmoins important
de continuer à travailler sur ces critères et ces hiérarchies, pour
enrichir les bases de données et mieux comprendre la dynamique
particulière des villes mondiales.
4. Cette compétition entre les villes ne contribue-t-elle pas à accroître les inégalités la fois entre les villes et en termes d’habiter, à savoir pour les populations de ces villes ?
Il est clair, que
même s’il est difficile de proposer une liste précise des villes
mondiales, l’étude de leur richesse, de leur accessibilité dans les
réseaux d’échanges et de leurs fonctions économiques ou culturelles
montre un creusement des écarts avec la situation de la plupart des
autres villes. Le renforcement actuel des processus de mondialisation
économique rend ce phénomène de décrochage extrêmement inquiétant, non
seulement pour les petites villes qui, pour la plupart, participent de
moins en moins aux dynamiques mondiales (sauf à en subir les effets),
mais aussi pour les populations qui vivent à l’intérieur des métropoles
mondiales.
On observe aujourd’hui des tensions de plus en
plus fortes, liées notamment à la présence de cadres hyperqualifiés qui
travaillent dans les sièges sociaux des firmes transnationales mais
aussi dans tout ce qui gravite autour (consultants, experts, analystes,
chercheurs…). On a là une dissociation croissante avec les classes
sociales plus modestes, dont la présence reste nécessaire au
fonctionnement des entreprises, des services urbains, des services à la
personne, etc. Or les villes mondiales se caractérisent par des prix
fonciers extrêmement élevés, en raison de la présence de ces cadres mais
aussi de mécanismes spéculatifs, ce qui entraîne ou accentue des
processus de ségrégation socio-spatiale. Ces processus sont assez
préoccupants car, historiquement, l’un des rôles majeurs joué par les
grandes villes est de mettre en contact une diversité d’activités
économiques et de catégories sociales et ethniques, favorisant ainsi
l’innovation et de la créativité. On évoque par exemple beaucoup la
créativité des banlieues aujourd’hui, qu’il ne faut certes pas nier,
mais on doit aussi se rappeler que c’est bien la centralité qui fait la
ville et que les banlieues sont, par définition, éloignées du centre et
peu reliées les unes aux autres. En outre, elles sont de plus en plus
homogènes socialement et favorisent de ce fait assez peu les
rapprochements entre les catégories.
*1:
Dossier… Les villes mondialesOuverture. Mondialisation et villes mondiales (Serge Sur)
La ville mondiale : une histoire de représentations (Anne Bretagnolle)
La banalisation d’un modèle urbain (Marc Dumont)
La ville debout : le gratte-ciel au XXIe siècle (Céline Bayou)
La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales (Stéphane Leroy)
Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement (François Moriconi-Ébrard et Cathy Chatel)
Mondialisation et gouvernance des métropoles (Christian Lefèvre)
Tourisme, salons, congrès, composantes incontournables des villes mondiales (Hélène Pébarthe-Désiré)
Un monde polycentrique et métropolisé (Lise Bourdeau-Lepage)
Les principaux Encadrés du dossier
– New York, LA ville mondiale par excellence ? (Marie-Fleur Albecker)
– Los Angeles, une métropole fragmentée (Renaud Le Goix)
– Le rôle des transports ferroviaires (Marie Delaplace)
– La montée en puissance des villes mondialisées asiatiques (Frédéric Bouchon)
– Les villes-mémoires mondialisées, entre conflits et nouveau régime patrimonial (Géraldine Djament-Tran)
– Les villes mondiales : quelques éléments chronologiques (Questions internationales)
Chroniques d’actualité
Premières leçons de l’intervention française au Mali (Renaud Girard)
John Kerry ou les habits neufs de la diplomatie américaine (André La Meauffe)
Questions européennes
Les tiraillements de la politique extérieure de la Suisse (Hervé Rayner)
Regards sur le monde
Corée du Sud : les défis de la nouvelle présidence (Perrine Fruchart Ramond)
Histoires de Questions internationales
Paris, capitale des exilés de l’Europe centrale après 1945 ? (Antoine Marès)
Les questions internationales sur Internet
Abstracts
*2:
Actrices majeures d’un monde globalisé, les grandes villes se livrent entre elles à une compétition acharnée. La Documentation photographique propose
ici une réflexion originale et utile sur ce phénomène et ses
conséquences, inscrits désormais au programme de géographie de
quatrième.
Les
grandes villes jouent désormais aussi un rôle majeur dans la
mondialisation. Métropoles du Nord et métropoles émergentes se livrent
une compétition sur tous les fronts : l’économie, l’innovation
technologique, la culture ou le marketing urbain. Les habitants des
centres urbains ont à subir eux-mêmes les impacts de la globalisation :
accroissement des inégalités urbaines, transformation des
centres-villes, surenchères foncières. Les auteurs de ce dossier
proposent une réflexion renouvelée sur ces enjeux, en lien avec le
nouveau programme de géographie de quatrième de la rentrée 2011. Comme
tous les dossiers de la Documentation photographique, ce numéro offre une iconographie de qualité, accompagnée de cartes, d’encadrés, d’indications statistiques...
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