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mai 26, 2015

Rapport qui concerne le compte personnel de prévention de la "pénibilité" - Dossier complet (en cours)

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"Avec ces mesures fortes et immédiates, le gouvernement répond aux principales inquiétudes des entreprises par une profonde simplification et sécurisation du dispositif, sans remettre en cause les nouveaux droits créés pour les salariés concernés par des situations de travail pénibles".
Manuel Valls
Le 26 mai 2015



COMPTE PERSONNEL DE PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ : PROPOSITIONS POUR UN DISPOSITIF PLUS SIMPLE, PLUS SÉCURISÉ ET MIEUX ARTICULÉ AVEC LA PRÉVENTION


Prévu par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, le compte personnel de prévention de la pénibilité est entré en vigueur pour une partie des facteurs d’exposition à la pénibilité depuis le 1er janvier 2015.
Il permet aux salariés fortement exposés à certains des dix facteurs de pénibilité (au-delà de seuils d’intensité et de durée) définis par décret d’acquérir des points leur donnant des droits à la formation professionnelle, au temps partiel et à un départ anticipé à la retraite.
Il représente donc une avancée majeure pour les salariés, dont l’espérance de vie peut être réduite en raison de cette forte exposition.
Compte tenu des inquiétudes exprimées par de nombreux chefs d’entreprise sur la mise en œuvre de ce dispositif, deux missions ont été confiées par le Premier Ministre à des personnalités qualifiées afin de faciliter la mise en place de cette réforme importante : 

- l’une à MM. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, et Gérard Huot, Président honoraire de la Chambre de commerce et d’industrie de l’Essonne (cf. lettres de mission du 8 janvier 2015 en fin de rapport), avec pour objectifs : 

o de simplifier le dispositif, à la fois au niveau de l’appréciation de l’exposition des salariés à la pénibilité (ce qui suppose notamment de trouver un équilibre entre la définition et le suivi individuel de l’exposition aux facteurs de pénibilité et des appréciations plus collectives des situations de pénibilité, moins individualisées mais plus simples à suivre pour les entreprises, sans aller jusqu’à une approche par métier néanmoins) et au niveau des impacts économiques, administratif, informatiques et organisationnels dans l’entreprise, de la création des comptes pour les salariés exposés à la pénibilité ;
o d’enassurerlasécuritéjuridique,
o d’assurer sa bonne articulation avec les actions de prévention des entreprises,
l’objectif étant de favoriser les actions de prévention,
o étant précisé qu’une attention toute particulière devra être apportée aux très petites et moyennes entreprises. 

- l’autre à M. Michel Davy de Virville, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, consistant à accompagner les branches pour préparer l’utilisation et la sécurisation juridique de modes d’emploi de branches pour l’année 2015 et pour préparer la mise en place des facteurs de pénibilité entrant en vigueur en 2016(cf. lettre de mission renouvelée le 17 février 2015 en fin de rapport).
Les propositions issues de ces deux missions devaient permettre au Gouvernement de préparer les règles d’application pour les facteurs qui entreront en vigueur le 1er janvier 2016 et d’apporter les précisions et améliorations utiles pour les facteurs entrés en vigueur au 1er janvier 2015.

Afin de travailler en bonne intelligence, les missionnés, qui ont reçu un appui de l’IGAS1, ont décidé d’auditionner ensemble les organisations syndicales et patronales, ainsi que les trente principales branches concernées par le dispositif. Après cinquante heures d’audition, ils ont décidé de réunir leurs propositions dans le présent rapport.
Ce dernier montre le caractère novateur du dispositif du C3P, qui marque une nouvelle étape dans la compensation de la pénibilité au travail pour les salariés (1), explique les raisons pour lesquelles ce dispositif a pu susciter des inquiétudes du côté des employeurs (2) et propose des pistes pour simplifier, sécuriser et mieux articuler le dispositif avec la prévention (3).
  1. 1 Par lettre du 25 février 2015, les directeurs de cabinet des ministres chargés des affaires sociales et du travail ont demandé au chef de l’IGAS d’aider MM Sirugue et Huot dans la conduite de leurs travaux et d’en faciliter l’articulation avec ceux de M. de Virville. Cette mission a été confiée à Cécile Waquet, membre de l’IGAS.

SYNTHESE
Créé par les articles 7 à 17 de la loi du 21 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite, le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est partiellement entré en vigueur le 1er janvier 2015. Il a pour objectif de permettre à tout salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité à des niveaux élevés d’intensité et de durée (seuils définis par décret) de bénéficier de l’ouverture de droits à la formation professionnelle, au temps partiel ou à un départ anticipé à la retraite. Chaque trimestre d’exposition permet d’acquérir un point, le maximum étant fixé à cent points. Chaque point permet d’acquérir 25 heures de formation professionnelle. Dix points financent un trimestre de travail à mi-temps ou un trimestre de majoration de durée d’assurance et permettent d’anticiper l’âge légal de départ à la retraite d’un trimestre.
Ce nouveau dispositif de protection sociale s’inscrit dans la continuité des réflexions menées depuis le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) d’avril 2003 sur la nécessité de prendre en compte, dans les droits à la retraite, la réduction de l’espérance de vie résultant de l’exposition à la pénibilité, et cela de manière non pas catégorielle ou collective, mais individuelle. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a ainsi conduit les partenaires sociaux à esquisser dans un texte de 2008, non signé mais qui a ensuite servi de référence, dix facteurs de pénibilité : trois facteurs liés au rythme de travail (travail de nuit, équipes alternantes, travail répétitif), quatre facteurs liés à l’environnement (milieu hyperbare, bruit, températures extrêmes, agents chimiques dangereux), trois contraintes physiques marquées (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques). La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a établi un premier lien entre ces facteurs et la retraite, mais dans des conditions limitées et reposant sur une appréciation médicale de la situation du bénéficiaire. 

Le compte personnel de prévention de la pénibilité mis en place en 2014 est doublement ambitieux.
D’une part, dans un souci d’égalité et afin d’éviter une approche catégorielle, il se place dans le cadre du régime général de retraite de la sécurité sociale. Il se cumule ainsi avec divers dispositifs mis en place par les employeurs et les branches pour compenser la pénibilité. Ces avantages de nature conventionnelle ne sont en effet pas « solubles » dans l’avantage légal ouvrant des droits à la retraite, à la formation et au temps partiel que constitue le compte pénibilité.
D’autre part, et précisément parce qu’il ouvre des droits à la retraite de base de la sécurité sociale, il prétend mesurer la pénibilité de l’ensemble des activités de façon homogène et transversale à la diversité des secteurs. Or les risques inhérents à la pénibilité sont directement imbriqués dans les spécificités des activités productives caractéristiques des branches et des métiers. Un décret du 9 octobre 2014 a en conséquence défini des seuils précis d’exposition aux facteurs de pénibilité, ne laissant en principe qu’une faible marge d’appréciation aux employeurs des différents secteurs professionnels.
Ce dispositif est aussi particulièrement novateur dans le droit de la sécurité sociale. En effet, pour la première fois la loi permet l’ouverture de droits à plusieurs prestations (retraite, formation professionnelle, temps partiel) sur la base d’un seul fait générateur. En outre, pour la première fois ce droit est ouvert non pas sur la base d’un fait générateur objectif déclaré par un tiers, mais sur la base d’une appréciation, par l’employeur lui-même, de l’exposition à un facteur de risque que ce dernier peut lui-même réduire par une politique de prévention.
Il n’est donc pas très surprenant que ce dispositif ait connu des débuts pour le moins difficiles ayant conduit le Gouvernement à différer d’un an l’application de six critères sur dix et à demander aux auteurs du présent rapport de proposer des mesures permettant d’en faciliter la mise en œuvre. Le diagnostic et les propositions qui suivent sont le résultat de plus de cinquante heures d’auditions des organisations syndicales et patronales, ainsi que des trente principales branches concernées par le dispositif. Il est apparu tout au long de ces entretiens que le dispositif était perçu par les entreprises comme un frein important à leur développement. Les employeurs n’en contestent néanmoins pas la nécessité sociale et souhaitent par conséquent le rendre applicable mais sécurisé juridiquement et le moins coûteux possible. 



Le principal problème posé est celui de l’application complexe de certains des critères d’exposition à la pénibilité, en particulier dans les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME).
Si certains facteurs sont faciles à apprécier (travail de nuit, équipes alternantes, température ou bruit), d’autres supposent une connaissance individuelle précise des différents types d’activités réalisées dans l’entreprise (notamment les facteurs ergonomiques: manutention, postures et vibrations). Or les entreprises, et en particulier les TPE – PME, n’ont que très rarement procédé à un diagnostic formalisé des facteurs de risques de pénibilité : seuls 20% des salariés des entreprises de moins de 20 salariés étaient en 2010 couverts par un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER), pourtant obligatoire depuis 2001. La mise en œuvre du dispositif est ainsi perçue par beaucoup comme nécessitant un suivi analytique des facteurs sur la base de procédures d’enregistrement de l’exposition aux différents facteurs.
Les entreprises craignent, au-delà des contraintes et des coûts induits par cette complexité, un fort risque de contentieux. Dès lors que l’appréciation de l’exposition repose sur un travail difficile à réaliser, et dans la mesure où le dispositif ouvre des droits à la protection sociale, les salariés non déclarés pourront en effet chercher à réclamer la reconnaissance de leur exposition. Quant à ceux qui auront été déclarés, la réception de la fiche d’exposition pourrait leur permettre de demander réparation des éventuels préjudices liés à cette exposition (sur la base notamment d’une faute inexcusable de l’employeur), que le compte personnel de prévention de la pénibilité n’a pas pour objectif d’indemniser.
Dans l’idéal, pour que les entreprises puissent facilement mettre en œuvre ce dispositif et être épargnées d’un suivi analytique fastidieux, il aurait fallu que soient précisées les situations visées par le décret du 9 octobre 2014. Mais c’est un travail qui, compte tenu du degré de détails nécessaires, ne peut être réalisé que par les branches professionnelles, voire les métiers ou secteurs au sein des branches ou par de grandes entreprises. Il s’agit en effet de décrire l’activité de chacun dans un langage professionnel pratiqué par l’ensemble des acteurs. C’est un travail en outre significatif puisqu’il suppose de réaliser une évaluation sur le terrain des situations de travail exposées aux différents facteurs de pénibilité. Si des accords de branche ou des référentiels professionnels sont aujourd’hui prévus par les textes, ils ne sont pas opposables pour les entreprises. Or les professions ne pourront vraiment entrer dans cette démarche que si elles ont la certitude que les documents qu’elles produiront seront appliqués et que si les entreprises sont incitées à suivre le mouvement. 

La première orientation du présent rapport consiste précisément à replacer le compte personnel de prévention de la pénibilité dans un processus global plus large de diagnostic et de prévention de la pénibilité afin de mieux articuler le dispositif de réparation avec les efforts de prévention des entreprises.
L’objectif d’une politique de pénibilité est en effet d’abord de développer chaque fois que cela est possible une politique de prévention (protections individuelles, collectives, mécanisation, automatisation, organisation, formation). Or, qu’il s’agisse de déclarer les salariés exposés à la pénibilité pour ouvrir le C3P ou qu’il s’agisse de prévenir la pénibilité, un recensement préalable des facteurs d’exposition à la pénibilité est indispensable dans l’entreprise. Le rapport propose donc d’inciter les entreprises à développer le diagnostic et la prévention de l’exposition à la pénibilité.
A cet effet, il importe que soit organisé un véritable volet pénibilité du DUER qui constitue en quelque sorte le pendant au niveau de l’entreprise du référentiel professionnel au niveau de la branche, du secteur ou du métier. Ce volet recensera les groupes homogènes d’exposition à la pénibilité. Les mesures de prévention permettant de réduire cette pénibilité seront décrites dans le cadre du plan de prévention qui lui est associé. La cohérence de ces documents avec la déclaration de l’exposition jouera un rôle décisif dans le cadre des contrôles et du traitement des recours amiables.
Des aides financières devront être accordées aux entreprises qui se seront investies dans cette démarche de diagnostic et de prévention.
Enfin, dès lors que l’entreprise appliquera un accord de branche étendu ou un référentiel professionnel homologué, le volet pénibilité du DUER devra être élaboré en cohérence avec celui- ci et en sera en quelque sorte l’adaptation au niveau de l’entreprise. Ces deux documents auront pour objectif d’identifier les risques mais aussi de mettre en évidence l’effet réducteur des mesures de prévention de la pénibilité. Ainsi, la finalité du présent rapport est bien d’accélérer les efforts de prévention des facteurs d’exposition à la pénibilité, que ce soit au niveau des branches à travers les référentiels ou au niveau des entreprises à travers le volet pénibilité du DUER. 



Afin que les branches et les entreprises se mobilisent en ce sens, le rapport propose également de sécuriser les accords de branche étendus et les référentiels professionnels homologués.
De même que les accords de branche sont étendus par arrêté ministériel, les référentiels professionnels seront homologués par les ministres chargés du travail et des affaires sociales, après instruction par l’INRS ou l’OPPBTP et après avis du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT). En cas de contentieux, les employeurs appliquant un référentiel ne pourront pas être pénalisés financièrement. Cela signifie que le poids du dispositif ne pèsera plus seulement sur les entreprises mais que l’administration prendra sa part de responsabilité dans la mise en place du dispositif. Un tel changement suppose de modifier la loi. Les employeurs resteront cependant libres d’appliquer eux-mêmes les critères d’exposition fixés par le décret s’ils le préfèrent ou s’ils ne sont couverts ni par un référentiel professionnel ni par un accord de branche.
Les référentiels professionnels permettront d’établir une relation opérationnelle entre la diversité productive des branches et des métiers et l’instrument de mesure homogène et transversal que constituent les dix facteurs. En combinant une caractérisation des activités individuelles, des activités collectives et de certaines caractéristiques de l’organisation des entreprises, ils définiront des groupes homogènes ou situations types d’exposition marqués par des niveaux moyens d’exposition à chacun des facteurs (intensité, densité temporelle). Le profil de mission de chaque salarié qui répartit son temps de travail annuel entre ces groupes homogènes permettra, si nécessaire, d’individualiser l’exposition à la pénibilité de celui-ci. Mais ces référentiels ne seront pas de simples listes des situations professionnelles exposées à la pénibilité : ils contiendront en effet également les mesures de prévention individuelles et collectives permettant de réduire les expositions. Les modes d’emploi de branche constitueront ainsi un compromis constructif orienté directement vers la prévention. 

La troisième orientation du rapport réside dans la simplification des modalités déclaratives des expositions aux facteurs de pénibilité.
Afin de simplifier la procédure d’établissement de la fiche d’exposition, il est proposé que l’employeur déclare, une fois par an, les facteurs d’exposition à la CNAV (ou CARSAT ou MSA) via le logiciel de paie dans le cadre de la DSN (ou DADS pour l’année 2015). Les informations contenues dans cette déclaration seront adressées au service de santé au travail et au salarié, qui recevra chaque année de la CNAV/CARSAT/MSA un relevé de points mentionnant la période, les facteurs d’exposition et les employeurs étant à l’origine de cette exposition, ce relevé pouvant aussi être consulté sur internet. Des adaptations des logiciels de paie ont été prévues et sont en cours pour permettre ces évolutions, qui supposent également d’adapter la loi.
Ces propositions sont de nature à atténuer les craintes des organisations patronales, sans pour autant modifier l’économie générale du dispositif : les dix facteurs d’exposition sont maintenus ; les modalités d’acquisition des points restent les mêmes ; le salarié et le médecin du travail seront toujours informés chaque année des expositions du salarié aux facteurs de pénibilité. 


Le rapport propose d’autres aménagements du dispositif visant à le sécuriser et à le simplifier.
Afin de limiter le risque contentieux, l’employeur qui respecte les dispositions d’un référentiel professionnel ne pourra être redevable des pénalités financières prévues par les textes. En outre, la loi préciserait que la déclaration d’exposition ne peut constituer une présomption de manquement à l’obligation de sécurité de résultat. Enfin, le délai d’action contentieuse du salarié serait réduit de trois à deux ans (à compter du 30 juin suivant l’année d’exposition) afin de garantir une plus grande proximité temporelle avec la situation d’exposition. Le délai de contrôle par les caisses passerait quant à lui de cinq à trois ans.
Le rapport propose aussi des évolutions sur deux facteurs (bruit et manutentions), des compléments par la publication de l’arrêté sur les agents chimiques dangereux et des précisions par circulaire sur d’autres facteurs (notamment sur le travail de nuit, le travail en équipe et le travail répétitif).
Les questions déjà ouvertes et celles que ne manqueront pas de susciter l’homologation des référentiels professionnels et leur usage feront l’objet d’une doctrine administrative qui se précisera au fil de la mise en œuvre du dispositif.
Enfin, compte tenu des difficultés dans la mise en œuvre du dispositif, l’administration devra s’abstenir de tout contrôle spontané les deux premières années. 

RAPPORT AU PREMIER MINISTRE

ÉTABLI PAR CHRISTOPHE SIRUGUE DÉPUTÉ DE SAÔNE ET LOIRE
GÉRARD HUOT PRÉSIDENT HONORAIRE DE LA CCI DE L’ESSONNE
MICHEL DAVY DE VIRVILLE CONSEILLER-MAÎTRE HONORAIRE À LA COUR DES COMPTES
26 MAI 2015
 
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