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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...
Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Al,
Sommaire:
A) Ordonnances sur le Code du travail : un vrai progrès qui en appelle d'autres - Agnès Verdier-Molinié - IFRAP
B) Christiane tire sur le code ! - Christiane Chavane - Delanopolis
C) En finir avec les privilèges de l'aristocratie d'Etat - Gaspard Koenig - Les Échos
D) Gouverner ou taxer, il faut choisir - Les Arvernes - Atlantico
E) L'ordre de la dette - Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché - Benjamin LEMOINE - La découverte
F) Du public au privé : le grand manège des hauts fonctionnaires -
Benoît Collombat - France Inter
G) Concurrence à deux niveaux: mettre un terme aux oligopoles - Johan Hombert - HEC Paris
H) L’impôt, c’est le vol - Richard Hanlet - Contrepoints
I) Loi travail : analyse d’un little Bang - Anna Christina Chaves - Guillaume Brédon - Fondation Concorde
I) Loi travail : analyse d’un little Bang - Anna Christina Chaves - Guillaume Brédon - Fondation Concorde
A) Ordonnances sur le Code du travail : un vrai progrès qui en appelle d'autres
Beaucoup ont loué l'avancée que
représentent les cinq ordonnances sur le Code du travail du gouvernement
Philippe. Ceux-là ont eu raison, car ces ordonnances vont dans le bon
sens. Ils ont néanmoins omis de dire que la réforme progresse tout
doucement et que beaucoup d'angles morts subsistent.
Les mesures explosives à adopter, on
les connaît bien en France : redéfinir la cause réelle et sérieuse du
licenciement ; repousser les obligations liées au passage de certains
seuils quant au nombre de salariés ; réduire le nombre de salariés
protégés ; assouplir les conditions d'utilisation du CDD ; supprimer le
monopole de présentation des syndicats au premier tour des élections
professionnelles ; supprimer les 35 heures. Bref, une tâche herculéenne
de transformation - le mot est à la mode - de notre Code du travail.
Sur la question de la définition de la
cause réelle et sérieuse, le premier projet de loi El Khomri avait
montré des velléités d'agir, puis le gouvernement de l'époque avait
reculé. Il s'était en définitive contenté d'élaborer un barème indicatif
pour les indemnités de licenciements jugés abusifs. Il aurait été
souhaitable, cette fois-ci, de reconsidérer ce motif réel et sérieux
pour permettre aux entreprises réorientant leurs activités de pouvoir
l'invoquer. Le gouvernement Philippe a préféré fixer un plafond aux
indemnités de licenciements jugés abusifs. Mais ce plafond est très
proche du barème indicatif institué l'an dernier. Ce barème recommandait
24 mois d'indemnités pour 30 ans d'ancienneté. Or le gouvernement
plafonne maintenant à 20 mois d'indemnités en pareil cas. Le juge
fera-t-il du maximum la règle ? La jurisprudence le dira.
On pouvait légitimement espérer, par
ailleurs, que la durée légale du travail ne soit plus fixée à 35 heures.
Or il faudra se contenter d'une inversion limitée de la hiérarchie des
normes : la possibilité, pour l'employeur, de négocier en direct avec
les salariés à la majorité des deux tiers… mais uniquement dans les
entreprises jusqu'à 20 salariés et à condition qu'il n'y ait pas de
délégué du personnel. Entre 20 et 50 salariés, il faudra négocier avec
un salarié mandaté. Et dans les grandes entreprises, exit le référendum à
l'initiative de l'employeur, alors que le programme d'Emmanuel Macron
le prévoyait pour toutes les entreprises, grandes ou petites. S'agissant
des entreprises au-delà de 50 salariés, pour pouvoir espérer modifier
le temps de travail, les primes ou les rémunérations, il faudra donc
signer des accords majoritaires avec les syndicats, ce qui est loin
d'être aisé.
En matière de seuils sociaux, on peut
regretter que les ordonnances renforcent encore le caractère repoussoir
du seuil de 50 salariés. Ce dernier est déjà une cause de l'absence de
développement des PME. Or, en lieu et place de la réforme des seuils
sociaux, le gouvernement engage la fusion des instances représentatives
(comité d'entreprise, délégués du personnel et comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail) dans un comité social et
économique (CSE). On ne sait pas encore si ce changement permettra de
faire baisser le nombre d'heures de délégation. Ce sera le sujet d'un
décret très attendu à l'automne. Au total, le secteur privé compte
600.000 salariés protégés. Diminuer ce nombre est essentiel.
Plutôt que d'assouplir les conditions
d'utilisation du CDD dans le Code du travail, le gouvernement a choisi
d'autoriser un recours plus large au contrat de chantier. À ce jour, le
contrat de chantier est uniquement utilisable dans le secteur du BTP. Ce
contrat à durée indéterminée - sans date de fin précise, contrairement à
un CDD - s'arrête au terme de la mission pour laquelle le salarié est
engagé. Mais le recours plus large au contrat de chantier, quoique
désormais possible sur le papier, reste soumis au feu vert des
partenaires sociaux. Des accords de branche seront nécessaires pour
l'instituer dans d'autres secteurs que le BTP. Ce n'est pas gagné.
La loi prévoit qu'un CDD dans le privé
ne peut pas être utilisé pour un emploi lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise. Le CDD ne peut être renouvelé que 2 fois
pour une durée maximale de 2 ans (et dans certaines conditions). Dans le
public, un CDD peut être signé pour 3 ans et durer jusqu'à 6 ans. Or
les Italiens, eux, ont modifié leur Code du travail pour permettre aux
entreprises de leur pays d'embaucher en CDD sans avoir besoin de motiver
le recours au contrat à durée déterminée. Ces CDD peuvent être
renouvelés 5 fois pour une durée maximale de 3 ans.
Quant aux super-accords de compétitivité
qui permettent à une entreprise de modifier des paramètres aussi
importants que les salaires, la durée du travail et son organisation
«afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise
ou en vue de préserver ou de développer l'emploi», nul ne peut prédire
s'ils seront plus efficaces que les accords de maintien dans l'emploi
prévus par l'accord national interprofessionnel 2013, qui ont fait
pschitt.
Autre angle mort de ces ordonnances :
nul ne sait ce qui a été conclu en sous-main avec FO et qui expliquerait
la bienveillance de ce syndicat. On peut craindre que le gouvernement
ait promis de compenser intégralement l'augmentation de 1,7 point de CSG
pour les agents publics, alors que ces derniers ne cotisaient ni à
l'assurance-chômage ni à l'assurance-maladie. Pour le budget, un tel
cadeau aurait un coût de 4 milliards d'euros par an. Peut-être aussi le
gouvernement a-t-il promis de ne toucher que très à la marge aux régimes
spéciaux de retraites des agents publics…
Nous serons sans doute fixés en 2018. Un
élément de l'échange est certain : un engagement de campagne d'Emmanuel
Macron, la création du chèque syndical - titre de paiement émis par
l'employeur à destination du salarié, qui peut l'utiliser pour financer
un syndicat de son entreprise sans obligation d'adhésion -, était
mentionné noir sur blanc dans la loi d'habilitation. Or il a disparu et
ne figure pas dans les ordonnances. Le sujet du financement et de la
représentativité de nos syndicats demeure pourtant crucial. Espérons que
le dossier est simplement reporté et non enterré.
B) Christiane tire sur le code !
Christiane Chavane est de plus en plus fatiguée des réformettes macroniennes ...
LA REVOLUTION EN MARCHE (LREM)
Euh… C’est vite dit.
La Macronette du jour ce sont les ordonnances de la loi travail et la réforme (tte) du RSI.
On se demande comment les syndicats peuvent râler et les patrons applaudir… du moins sauf ceux du CAC 40 pour lesquels toute entrave à la liberté d’entreprendre limite les concurrents potentiels.
Quelques mesures phares nous éclairent :
- Simplification de la procédure de reconversion pour les salariés licenciés, bon OK, c’était une usine à gaz, ça deviendra une usine à pétrole.
- Plafonnement des indemnités prud’homales, mais en échange augmentation de 25 % des indemnités légales de licenciement. Le patron obligé de faire un plan de licenciement économique va le sentir passer, il n’a plus qu’à fermer directement, par contre les patrons voyous prendront moins de risques.
- Passage obligé par les conventions collectives, ce qui plaît à FO mais beaucoup moins aux TPE qui n’ont pas de représentation dans les instances « collectives » et n’ont donc pas voix au chapitre.
Et le RSI dans tout ça ? C’est bien de supprimer cette instance de bandits de grands chemins, mais adosser le régime des indépendants au régime général reviendra à leur faire payer des charges supplémentaires, notamment les Assedic, alors que jusqu’ici ils avaient la possibilité de prendre des assurances chômage privées plus intéressantes. Et puis c’est désormais l’Urssaf qui se chargera de récolter les fonds. Notez que c’était déjà l’Urssaf qui faisait les calculs pour les innommables agents du RSI. Les erreurs étaient nombreuses. Elles vont le rester puisque c’est le même logiciel. Mais si le RSI est un interlocuteur imbuvable, vous allez adorer l’Urssaf…
Cerise sur le rata : le plafond de CA des auto-entrepreneurs va doubler. Les artisans qui facturent la TVA vont adorer. Alors qu’il aurait été si simple d’en faire un démarrage d’activité et de mettre tout le monde au même diapason.
REVOLUTION REPUBLICAINE
Oui les électeurs voulaient se débarrasser d’une classe politique indigente pour faire place à des nouveaux issus de la société civile.
Le résultat est époustouflant. Outre le fait que la moitié des nouveaux députés LREM sont des minables grenouillant dans les instances du PS sans arriver à faire leur trou (et pour cause), nous avons droit à une cannibale qui mord les taxis et maintenant un bas du front juste bon à massacrer son interlocuteur à coups de casques. On savait que les discussions parlementaires étaient parfois animées, mais la bagarre, c’est nouveau sous la 5e. Et l’acharnement jusqu’à envoyer l’autre en soins intensifs, pas à dire, pour l’esprit de la démocratie, on repassera. Ça c’est du renouvellement ou je ne m’y connais pas.
BAISSE DES CHARGES
La hausse de la CSG pour les salariés, les transactions financières et les riches retraités de plus de 1200 euros par mois, c’est tout de suite. La baisse des charges salariales, c’est pour quand on pourra, donc aux calendes grecques, et la transformation du CICE en baisse de charges patronales, on n’en parle même plus.
Les retraités selon Macron sont des nantis, d’ailleurs ils sont habillés à l’œil en Vuitton, alors…
Du coup une vielle dame se fait attaquer en allant se recueillir sur la tombe de son mari, et se retrouve avec le col du fémur cassé parce que son agresseur pensait que les vieux étaient riches. Il a trop regardé BFMTV et écouté Macron. Cette pauvre femme avait une retraite de 800 euros/mois.
Mais les étudiants aussi sont riches puisqu’il faut leur sucrer 5 euros d’APL. Du coup Macron, qui ose tout, demande aux proprios de baisser le loyer de 5 euros. Il a dû oublier que ça représente au moins 3 euros de perte d’impôts. N’est pas financier qui veut. Apparemment faisander chez Rothschild est insuffisant. Pourtant il connaît les difficultés des étudiants : ne disait-il pas que lorsqu’il faisait sa prépa, il avait dû se serrer la ceinture avec 1000 euros par mois d’argent de poche ?
Euh… C’est vite dit.
La Macronette du jour ce sont les ordonnances de la loi travail et la réforme (tte) du RSI.
On se demande comment les syndicats peuvent râler et les patrons applaudir… du moins sauf ceux du CAC 40 pour lesquels toute entrave à la liberté d’entreprendre limite les concurrents potentiels.
Quelques mesures phares nous éclairent :
- Simplification de la procédure de reconversion pour les salariés licenciés, bon OK, c’était une usine à gaz, ça deviendra une usine à pétrole.
- Plafonnement des indemnités prud’homales, mais en échange augmentation de 25 % des indemnités légales de licenciement. Le patron obligé de faire un plan de licenciement économique va le sentir passer, il n’a plus qu’à fermer directement, par contre les patrons voyous prendront moins de risques.
- Passage obligé par les conventions collectives, ce qui plaît à FO mais beaucoup moins aux TPE qui n’ont pas de représentation dans les instances « collectives » et n’ont donc pas voix au chapitre.
Et le RSI dans tout ça ? C’est bien de supprimer cette instance de bandits de grands chemins, mais adosser le régime des indépendants au régime général reviendra à leur faire payer des charges supplémentaires, notamment les Assedic, alors que jusqu’ici ils avaient la possibilité de prendre des assurances chômage privées plus intéressantes. Et puis c’est désormais l’Urssaf qui se chargera de récolter les fonds. Notez que c’était déjà l’Urssaf qui faisait les calculs pour les innommables agents du RSI. Les erreurs étaient nombreuses. Elles vont le rester puisque c’est le même logiciel. Mais si le RSI est un interlocuteur imbuvable, vous allez adorer l’Urssaf…
Cerise sur le rata : le plafond de CA des auto-entrepreneurs va doubler. Les artisans qui facturent la TVA vont adorer. Alors qu’il aurait été si simple d’en faire un démarrage d’activité et de mettre tout le monde au même diapason.
REVOLUTION REPUBLICAINE
Oui les électeurs voulaient se débarrasser d’une classe politique indigente pour faire place à des nouveaux issus de la société civile.
Le résultat est époustouflant. Outre le fait que la moitié des nouveaux députés LREM sont des minables grenouillant dans les instances du PS sans arriver à faire leur trou (et pour cause), nous avons droit à une cannibale qui mord les taxis et maintenant un bas du front juste bon à massacrer son interlocuteur à coups de casques. On savait que les discussions parlementaires étaient parfois animées, mais la bagarre, c’est nouveau sous la 5e. Et l’acharnement jusqu’à envoyer l’autre en soins intensifs, pas à dire, pour l’esprit de la démocratie, on repassera. Ça c’est du renouvellement ou je ne m’y connais pas.
BAISSE DES CHARGES
La hausse de la CSG pour les salariés, les transactions financières et les riches retraités de plus de 1200 euros par mois, c’est tout de suite. La baisse des charges salariales, c’est pour quand on pourra, donc aux calendes grecques, et la transformation du CICE en baisse de charges patronales, on n’en parle même plus.
Les retraités selon Macron sont des nantis, d’ailleurs ils sont habillés à l’œil en Vuitton, alors…
Du coup une vielle dame se fait attaquer en allant se recueillir sur la tombe de son mari, et se retrouve avec le col du fémur cassé parce que son agresseur pensait que les vieux étaient riches. Il a trop regardé BFMTV et écouté Macron. Cette pauvre femme avait une retraite de 800 euros/mois.
Mais les étudiants aussi sont riches puisqu’il faut leur sucrer 5 euros d’APL. Du coup Macron, qui ose tout, demande aux proprios de baisser le loyer de 5 euros. Il a dû oublier que ça représente au moins 3 euros de perte d’impôts. N’est pas financier qui veut. Apparemment faisander chez Rothschild est insuffisant. Pourtant il connaît les difficultés des étudiants : ne disait-il pas que lorsqu’il faisait sa prépa, il avait dû se serrer la ceinture avec 1000 euros par mois d’argent de poche ?
Christiane Chavane
Source blog de Serge Federbusch
C) En finir avec les privilèges de l'aristocratie d'Etat
Les désormais célèbres ordonnances sur le Code du travail favorisent incontestablement le licenciement, en plafonnant les indemnités (...)
Les désormais célèbres ordonnances sur le
Code du travail favorisent incontestablement le licenciement, en
plafonnant les indemnités prud'homales, en autorisant des ruptures
conventionnelles collectives ou en simplifiant l'obligation de
reclassement. La littérature économique n'offre aucune conclusion claire
sur le lien entre droit du travail et taux de chômage (pour une analyse
contre-intuitive, on pourra relire un rapport du CAE signé...
D) Gouverner ou taxer, il faut choisir
Alors que le nouveau
pouvoir a passé le cap des 100 premiers jours, un moment essentiel se
profile : l’élaboration du Projet de Loi de Finances pour 2018.
Essentiel, car au-delà de la communication, l’adoption du budget est le
cœur de la démocratie représentative. De la Charte des Barons
britannique imposée à Jean-sans-Terre en 1215, en passant par les Etats
Généraux du Royaume de France, et jusqu’à la « partie de thé » de Boston
en 1773, la démocratie représentative s’est bâtie autour d’un fil
rouge, résumé par la formule américaine « pas de taxation sans
représentation ».
Cette
formule rappelle que le gouvernant ne se voit déléguer le pouvoir
politique – et donc celui de prélever l’impôt – par le gouverné, que
pour tant que ce dernier est bien représenté. Elle place ainsi l’impôt
au cœur du processus démocratique.
La
réalité, malheureusement, est bien différente. En fait de grand débat
démocratique, la rationalisation du parlementarisme a largement confiné
le Parlement à un rôle d’enregistrement des décisions de l’Exécutif. De
même, le temps est loin où l’impôt, dont Benjamin Constant disait qu’il
était « d’autant plus odieux qu’il s’exécut(ait) avec les solennités de la loi »,
était rare, peu élevé, et décidé après des débats de fond. Les semaines
récentes l’ont encore illustré. Quelques dixièmes de pourcentage
manquent pour atteindre 3% de déficit ? L’on s’empresse, par un moyen
que l’Exécutif admet « peu intelligent », de rogner les aides au
logement. La taxe sur les dividendes a été déclarée non conforme par la
CJUE ? L’on envisage un tour de passe-passe pour trouver quand même le
moyen de faire payer « une taxe temporaire » supplémentaire aux grandes
entreprises.
Disons-le tout net : avoir une administration fiscale
honnête et efficace, est un atout pour la France, et l’une des raisons
pour lesquelles en dépit de son impéritie, les marchés lui font encore
crédit. Tout autre est la question de la montée continue de la pression
fiscale, qui a poussé notre taux de prélèvement obligatoire autour des
45%. Les effets pervers d’une telle situation sont connus – quoique
soigneusement ignorés : désincitation au travail (fuite des cerveaux que
l’on nie, courbe de Laffer), complexité insupportable pour le citoyen
d’une fiscalité kafkaïenne, incapacité à faire de l’impôt la cause de
tous et donc un lien citoyen (moins de la moitié des ménages acquittent
l’impôt sur le revenu). Qu’il soit permis de s’attarder ici sur deux
autres effets particulièrement nocifs du recours systématique à l’impôt.
Premièrement, le recours trop aisé à l’impôt,
autorisé par la docilité du Parlement, l’efficacité de l’administration
fiscale, et le civisme patient d’une partie essentielle des Français,
rend superfétatoire l’établissement d’une véritable stratégie
économique. Bien sûr, l’on sait depuis Keynes que l’économie étant un
circuit, une politique économique mêle politique de l’offre et politique
de la demande. Le moment dans le cycle économique détermine l’endroit
où placer le curseur, parfois du coté de l’offre, parfois du coté de la
demande. Pourtant, de Jacques Chirac à François Hollande en passant par
Nicolas Sarkozy, notre pays se distingue par une incapacité durable à
définir une ligne économique claire. Le pilotage à vue prévaut. Les
raisons sont nombreuses. Mais la « facilité » offerte par le recours
permanent et – apparemment – sans douleur à l’impôt, jumeau noir de la
politique budgétaire du rabot, en est l’une des raisons fondamentales.
C’est la raison pour laquelle l’un des rares fils rouges de la politique
économique française depuis trente ans a été l’augmentation continue de
la pression fiscale.
Deuxièmement, le recours à la facilité qu’autorise l’impôt est
contraire à l’esprit des politiques publiques. Les politiques publiques,
contrairement aux intérêts privés dont les objectifs de rentabilité
prévalent sans que cela soit péjoratif, arbitrent entre des finalités
contradictoires. Ainsi, politique de santé et éthique donnent lieu à des
arbitrages difficiles quand il s’agit de concilier vie en bonne santé
et espérance de vie. De même, fermer une maternité en milieu rural
conduit à arbitrer entre l’aménagement du territoire (qui suggère de
maintenir des maternités) et la protection des enfants et des mères (le
risque périnatal explosant sous un certain seuil d’accouchements à
l’année).
Le
recours à l’impôt, par sa facilité, assèche les politiques publiques en
dispensant de se pencher sur la complexité des phénomènes. C’est
particulièrement le cas quand une dimension morale vexatoire ajoute à la
brutalité de l’impôt. Que l’on songe ici à la question du tabagisme,
très largement traitée à coup d’augmentation de prix et de mesures
moralisantes (paquet neutre). Pourtant, en la matière, l’expérience
devrait inciter à mieux peser les effets de telles politiques.
L’expérience récente d’un pays tel que l’Australie, où l’introduction du
paquet neutre doublée d’une massive augmentation de prix n’a pas eu les
effets escomptés, incite à penser que la lutte contre le tabagisme, que
l’on peut soutenir au nom de la santé publique, n’est pas servie par de
telles mesures. Plus près de nous, le cas de l’Allemagne, où les
cigarettes sont accessibles à moindre coût qu’en France, et où le
tabagisme recule, contrairement à la France, prouve également, pour
reprendre l’aphorisme de Montesquieu, que les mœurs sont souvent plus
fortes que la loi, même fiscale.
Au total, s’il n’est pas de taxation sans représentation, il n’est
pas de démocratie qui fonctionne si la politique se résume à l’impôt.
Les Arvernes
Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de
professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à
intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.
Composé
de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut
l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la
campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance
PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité
dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.
E) L'ordre de la dette - Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché
Pourquoi la dette publique occupe-t-elle une
telle place dans les débats économiques contemporains, en France et
ailleurs ? Comment s’est-elle imposée comme la contrainte suprême qui
justifie toutes les politiques d’austérité budgétaire et qui place les
États sous surveillance des agences de notation ?
À rebours de ceux qui voient la dette comme une fatalité et une loi d’airain quasi naturelle, Benjamin Lemoine raconte dans ce livre comment, en France, l’« ordre de la dette » a été voulu, construit et organisé par des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et des banquiers, de gauche comme de droite – parmi lesquels François Bloch-Lainé, Charles de Gaulle, Antoine Pinay, Valéry Giscard d’Estaing, Michel Pébereau, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn… Autrement dit, il fut le fruit d’un choix politique.
Ce livre reconstitue la généalogie détaillée de ce choix stratégique, et prend la mesure de la grande transformation de l’État dans l’après-guerre. On réalise alors à quel point les nouveaux rapports entre finance privée et finances publiques sont au cœur des mutations du capitalisme, dans lequel l’État est devenu un acteur de marché comme les autres, qui crée et vend ses produits de dette, construisant par là sa propre prison.
« Ce qui est mis en cause dans ce livre, c’est l’évidence même de la dette. » André Orléan.
À rebours de ceux qui voient la dette comme une fatalité et une loi d’airain quasi naturelle, Benjamin Lemoine raconte dans ce livre comment, en France, l’« ordre de la dette » a été voulu, construit et organisé par des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et des banquiers, de gauche comme de droite – parmi lesquels François Bloch-Lainé, Charles de Gaulle, Antoine Pinay, Valéry Giscard d’Estaing, Michel Pébereau, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn… Autrement dit, il fut le fruit d’un choix politique.
Ce livre reconstitue la généalogie détaillée de ce choix stratégique, et prend la mesure de la grande transformation de l’État dans l’après-guerre. On réalise alors à quel point les nouveaux rapports entre finance privée et finances publiques sont au cœur des mutations du capitalisme, dans lequel l’État est devenu un acteur de marché comme les autres, qui crée et vend ses produits de dette, construisant par là sa propre prison.
« Ce qui est mis en cause dans ce livre, c’est l’évidence même de la dette. » André Orléan.
Version papier : 22 €
Version numérique : 14,99 €
Préface. Le résultat d’une volonté délibérée, par André Orléan
Introduction. Une histoire oubliée
I / Une histoire à (re)prendre : la mise en marché de la dette
1. Quand l’État a l’avantage : de la possibilité d’un financement hors marché
Couvrir autrement le déficit
Circuit du Trésor et marquage public de l’argent
Un prince de la République
Les banques sous contrainte
L’État, au-dessus du marché
Transgression avec l’orthodoxie et menace inflationniste
Le rappel à l’ordre monétaire
L’adoption du modèle britannique : le marché en rémission du « péché monétaire »
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing
Un tremblement de terre : au nom de la démocratie des marchés
Un point de non-retour
2. La gauche au pouvoir se plie à l’ordre de la dette
Stopper la « ruine » de l’épargnant : donner aux investisseurs plutôt que les « frapper »
La relance Chirac
L’orthodoxie de Raymond Barre
L’inconcevable réhabilitation des finances publiques « actives »
Renoncer définitivement à la tentation monétaire
« Une saison en enfer »
« Merci de m’aider à comprendre »
« Une France qui vit au-dessus de ses moyens »
Pierre Bérégovoy : plus royaliste que le roi
« Ce système-là, on va le casser »
Interpréter l’extinction d’un régime économique : « préhistoire » de la modernité financière ou expérience critique ?
3. La nourriture terrestre dont les marchés ont besoin
Sur le modèle américain
Les dealers de proximité
Mise en scène du « sacrifice » et gains durables des banques
Lier les mains de l’État et rendre impossible tout retour en arrière
Quand Fabius créée une agence « à la française »
La police des conduites administratives
Les obligations DSK : le Trésor parie sur la désinflation
L’autodiscipline de l’État
II / La dette entre dans le débat public
4. Discipliner les États : le rôle de l’Europe
Une « numérologie arbitraire » ?
Opération Juppé : l’« affaire » France Télécom
Derrière le cas France Télécom, l’enjeu des retraites
Les gardiens du temple comptable contre l’« opportunisme » des États
Obtenir les meilleures statistiques possibles
Jospin : le « faux rebelle »
La discipline « brute » de la dette : pleins feux sur les passifs de l’État
L’enjeu des retraites : quand on tire le fil, tout vient
L’éclosion d’un nouvel acteur : les générations futures
5. Le rapport Pébereau : coup médiatique et pédagogie économique
Briser un tabou
Trouble dans les rangs des experts
La contre-offensive des keynésiens
« Il n’y a pas d’alternative »
Quand le ministre en fait un peu trop...
La chasse gardée du Trésor
6. La présidentielle de 2007 verrouillée ?
Une évaluation « objective »
Un « déconomètre »
Bayrou se fond dans le script de la dette
Une version dégradée du débat politique ?
La mise en scène de l’héroïsme présidentiel
Le « keynésianisme » de la dépense fiscale
François Fillon : « à la tête d’un État en faillite »
7. Et si toutes les dettes se valaient ?
Sauver les banques
Traquer l’État derrière la forme juridique
L’invention de la dette nette
L’« inéluctable » baisse des retraites
L’ordre politique des agences de notation
L’implacable « acceptation sociale »
L’obturation de l’avenir
La dette financière contre la dette sociale
Promesses de l’État et « lutte de classes »
Conclusion. Percer les boîtes noires de la dette
Politique de la (re-)structuration.
Introduction. Une histoire oubliée
I / Une histoire à (re)prendre : la mise en marché de la dette
1. Quand l’État a l’avantage : de la possibilité d’un financement hors marché
Couvrir autrement le déficit
Circuit du Trésor et marquage public de l’argent
Un prince de la République
Les banques sous contrainte
L’État, au-dessus du marché
Transgression avec l’orthodoxie et menace inflationniste
Le rappel à l’ordre monétaire
L’adoption du modèle britannique : le marché en rémission du « péché monétaire »
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing
Un tremblement de terre : au nom de la démocratie des marchés
Un point de non-retour
2. La gauche au pouvoir se plie à l’ordre de la dette
Stopper la « ruine » de l’épargnant : donner aux investisseurs plutôt que les « frapper »
La relance Chirac
L’orthodoxie de Raymond Barre
L’inconcevable réhabilitation des finances publiques « actives »
Renoncer définitivement à la tentation monétaire
« Une saison en enfer »
« Merci de m’aider à comprendre »
« Une France qui vit au-dessus de ses moyens »
Pierre Bérégovoy : plus royaliste que le roi
« Ce système-là, on va le casser »
Interpréter l’extinction d’un régime économique : « préhistoire » de la modernité financière ou expérience critique ?
3. La nourriture terrestre dont les marchés ont besoin
Sur le modèle américain
Les dealers de proximité
Mise en scène du « sacrifice » et gains durables des banques
Lier les mains de l’État et rendre impossible tout retour en arrière
Quand Fabius créée une agence « à la française »
La police des conduites administratives
Les obligations DSK : le Trésor parie sur la désinflation
L’autodiscipline de l’État
II / La dette entre dans le débat public
4. Discipliner les États : le rôle de l’Europe
Une « numérologie arbitraire » ?
Opération Juppé : l’« affaire » France Télécom
Derrière le cas France Télécom, l’enjeu des retraites
Les gardiens du temple comptable contre l’« opportunisme » des États
Obtenir les meilleures statistiques possibles
Jospin : le « faux rebelle »
La discipline « brute » de la dette : pleins feux sur les passifs de l’État
L’enjeu des retraites : quand on tire le fil, tout vient
L’éclosion d’un nouvel acteur : les générations futures
5. Le rapport Pébereau : coup médiatique et pédagogie économique
Briser un tabou
Trouble dans les rangs des experts
La contre-offensive des keynésiens
« Il n’y a pas d’alternative »
Quand le ministre en fait un peu trop...
La chasse gardée du Trésor
6. La présidentielle de 2007 verrouillée ?
Une évaluation « objective »
Un « déconomètre »
Bayrou se fond dans le script de la dette
Une version dégradée du débat politique ?
La mise en scène de l’héroïsme présidentiel
Le « keynésianisme » de la dépense fiscale
François Fillon : « à la tête d’un État en faillite »
7. Et si toutes les dettes se valaient ?
Sauver les banques
Traquer l’État derrière la forme juridique
L’invention de la dette nette
L’« inéluctable » baisse des retraites
L’ordre politique des agences de notation
L’implacable « acceptation sociale »
L’obturation de l’avenir
La dette financière contre la dette sociale
Promesses de l’État et « lutte de classes »
Conclusion. Percer les boîtes noires de la dette
Politique de la (re-)structuration.
Benjamin LEMOINE est sociologue, chercheur au CNRS et à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO – université Paris-Dauphine). Sa thèse a été primée par l’Association française de science politique.
F) Du public au privé : le grand manège des hauts fonctionnaires
Alors que la campagne présidentielle est lancée, enquête sur les hauts fonctionnaires et les conseillers ministériels qui partent dans le privé, souvent dans la finance.
Pantouflage, mode d’emploi
Un millier de fonctionnaires
d’Etat par an sont concernés par le "pantouflage", c’est-à-dire par le
fait de passer du secteur public au secteur privé. À l’origine, cette
expression est utilisée par les Polytechniciens. Dans le jargon de
Polytechnique, il y a ceux qui choisissent « la botte », c’est-à-dire le
public, et ceux qui choisissent « la pantoufle », le secteur privé. Le «
pantouflage » existe depuis longtemps, mais il s’est accéléré ces
dernières années. Frédéric Lemaire, cofondateur du site Pantoufle watch peut citer une dizaine d'exemples de conseillers de l'Elysée partis vers le privé :
-Julien Pouget, conseiller économie de François Hollande, parti travailler pour Total
- Xavier Piechaczyk, conseiller transport et environnement de François Hollande, a rejoint le directoire de RTE (Réseau de transport d’électricité), où il s’occupe des réseaux clients et des territoires
-David Kessler, ancien conseiller culture et communication, est parti travailler pour Orange studio
- Benoît Loutrel, le numéro deux de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) recruté par Google France.
- Xavier Piechaczyk, conseiller transport et environnement de François Hollande, a rejoint le directoire de RTE (Réseau de transport d’électricité), où il s’occupe des réseaux clients et des territoires
-David Kessler, ancien conseiller culture et communication, est parti travailler pour Orange studio
- Benoît Loutrel, le numéro deux de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) recruté par Google France.
- Les banques à l’Elysée
S’il y a
bien un milieu que les hauts fonctionnaires affectionnent tout
particulièrement, c’est celui de la finance. On peut citer le cas du
directeur général de l’Agence des participations de l’Etat (APE), David Azéma recruté par l’une des plus grandes banques d’affaires américaines : Bank of America - Merryl Lynch. Ou encore, Jean-Jacques Barbéris, conseiller pour les affaires économiques de François Hollande. À peine nommé… déjà parti dans le privé : recruté par une société de gestion d’actifs liée au Crédit agricole et à la Société générale.
Avant lui, ce poste de conseiller économique à l’Elysée était occupé
par Laurence Boone (qui n’est pas haut fonctionnaire), passée par
Barclays et Bank of America - Merril Lynch, avant de repartir en 2016
comme chef économiste pour la compagnie Axa.
- Un phénomène structurel
Ce "pantouflage" concerne autant la droite que la gauche. Si on remonte dans le passé, on peut citer le cas de Gilles Grapinet, conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, directeur de cabinet du ministre des Finances Thierry Breton, recruté par le Crédit agricole. Pierre Mariani est également concerné. Il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au Budget, avant de rejoindre BNP-Paribas et de prendre la direction de la banque Dexia (qui a fait naufrage en 2011).
- La valse des « Rétro pantouflages »
Le
"pantouflage" fonctionne aussi dans l’autre sens. De plus en plus de
hauts fonctionnaires partis dans le privé reviennent ensuite dans le
public. C’est ce qu’on appelle le « rétro-pantouflage
». On parle également de « portes tournantes » (« revolving doors » en
anglais) pour qualifier ces allers-retours incessants entre public et
privé. L’un des cas les plus connus est celui du candidat à la
présidence de la République, Emmanuel Macron, inspecteur des finances parti travailler dans la banque Rothschild, avant d’être nommé secrétaire adjoint de l’Elysée, puis ministre de l’Economie. On peut également citer Nicolas Namias, passé par la direction du Trésor, la Banque Populaire Caisse d’Epargne, il devient conseiller du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Puis il repart dans le privé, comme directeur de la stratégie de la banque d’affaire Natixis.
- « Le pouvoir et l’argent »
Comment
expliquer de tels allers-retours ? Il y a d’abord un contexte
historique et économique qui a évolué en défaveur de l’Etat, analyse le
sociologue Paul Lagneau-Ymonet
« Le rapport de force entre l’ordre économique et l’ordre
politique a bougé en faveur de l’ordre économique. À l’échelle
individuelle, les opportunités de carrière offertes à d’anciens hauts
fonctionnaires dans le privé sont incomparables. Autrefois, vous pouviez
décider de servir l’Etat parce que vous vouliez avoir le pouvoir, puis
vous alliez dans le privé parce que vous vouliez l’argent. Aujourd’hui,
vous pouvez avoir le beurre et l’argent du beurre, dans un temps très
réduit. »
Ainsi, le salaire d’un haut fonctionnaire qui va « pantoufler » dans la banque peut être multiplié par dix, voire plus.
- Un pantouflage encouragé par l’Etat
En
théorie, un haut fonctionnaire sert l’Etat pendant dix ans, dont quatre
juste après son diplôme, sous peine de rembourser « la pantoufle »,
c’est à dire une partie du coût de ses études payé par l’Etat. Mais dans
la pratique, les délais pour "pantoufler" sont de plus en plus courts,
spécifiquement pour certains corps de l’Etat, comme les Inspecteurs des
Finances. Selon le sociologue François Denord,"les sorties vers le privé s'effectuent relativement tôt" et elles concernent également des cadres de Bercy, où le MS3P (Mission suivi personnalisé et parcours professionnel) s’occupe de recenser les offres de recrutement venues du privé :
"75 % des inspecteurs des finances vont pantoufler au cours de
leur carrière, dont un bon tiers de manière durable ou définitive."
- Un directeur du Trésor recruté par un fonds franco-chinois
Exemple spectaculaire de ces "pantouflages" encouragés par l’Etat : l’ancien directeur du Trésor, ex-directeur général des Finances publiques, Bruno Bézard, a été recruté par un fonds d’investissement franco-chinois, Cathay Capital. Son prédécesseur au Trésor, Ramon Fernandez, a lui été recruté par Orange.
- « Un petit lutin » dans la tête des hauts fonctionnaires
Ces
passerelles avec la finance finissent par déteindre sur l’état d’esprit
de certains hauts fonctionnaires. C'est l'explication de Christophe Nijdam, ancien banquier et ex-secrétaire général de l’ONG Finance Watch :
«
Quand vous êtes au Trésor, vous savez que si vous voulez par la suite
faire une carrière mieux rémunérée, vous allez le faire dans le secteur
bancaire. Vous avez toujours un petit lutin à l’arrière de votre cerveau
qui vous dit que ce n’est peut-être pas très malin d’aller à l’encontre
des désirs du secteur bancaire… au cas où. »
- Un ancien de la Société Générale à Bercy
Autre exemple : la nomination, en juillet 2016, de Thierry Aulagnon, comme directeur de cabinet du ministre des Finances. Cet énarque, ancien du Trésor, a déjà dirigé le cabinet de Michel Sapin, au début des années 1990 avant d’être recruté par l’assureur Gan. Il a ensuite fait toute sa carrière à la Société Générale, puis, il est revenu à Bercy. Cette nomination pose question puisque les Finances
sont en lien direct avec le secteur bancaire et les assurances. De
plus, le gouvernement s'interroge sur la fiscalité accordée à la Société Générale dans l’affaire Kerviel.
Pour tenter de couper court aux critiques, Michel Sapin indique avoir consulté la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et avoir donné des consignes strictes pour éviter tout conflit d’intérêt. Thierry Aulagnon a l’interdiction de traiter certains dossiers, comme ceux de la Société Générale.
- Permis de « pantoufler »
Ces pantouflages sont censés être encadrés par une Commission de la déontologie de la Fonction publique.
Les avis de cette Commission ne sont pas publics mais un rapport est
publié chaque année. Les fonctionnaires ont l’interdiction pendant trois
ans d’aller travailler dans une entreprise avec laquelle ils ont eu un
lien. La grande majorité des demandes de pantouflages sont validées par
cette Commission de déontologie. Seuls 2% d’avis négatifs sont rendus.
Selon Roland Peylet, président de la Commission de déontologie de la Fonction publique, la loi pénale est strictement appliquée :
«
Bien sûr, il y a une marge d’appréciation. Il n’est pas toujours facile
de se faire une opinion juste sur la part qu’a pu prendre un
fonctionnaire dans une prise de décision concernant une entreprise. Des
allers et venues sont non seulement possibles, mais à priori encouragées
par le législateur, entre la fonction publique et l’exercice
d’activités privées. Si le législateur prend une orientation contraire,
nous ferons ce que veut le législateur. »
Plus de 50 % des autorisations de "pantoufler" sont assortis de conditions, émises par la Commission de déontologie. Par exemple, Bruno Bézard a obtenu le feu vert de la Commission à condition de ne pas avoir de contacts avec la direction du Trésor. Mais le contrôle de ces réserves reste difficile à appliquer.
- L’affaire Pérol, symbole du « pantouflage » à la française
Dans l’affaire François Pérol, en 2009, la Commission de déontologie a été contournée. Cet ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, a accompagné la fusion de l’entité Banque Populaire Caisse d’épargne (BPCE) avant d’en prendre la direction. François Pérol a d'abord été directeur de cabinet adjoint de Francis Mer puis de Nicolas Sarkozy, à Bercy, en charge de la création d’une filiale des Caisses d’épargne. Il a par la suite conseillé la banque Rothschild à ce sujet. Jérôme Karsenti, avocat de l’association Anticor résume l'affaire :
On reproche à François Pérol d’avoir préparé le fauteuil dans lequel il s’est assis par la suite.
Poursuivi pour « prise illégale d’intérêt », François Pérol a été relaxé en première instance. Son procès en appel doit se tenir en mars 2017.
« Ce qui est bon pour la banque est bon pour la France »
L’actuel secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet, est un bon exemple de ces pantouflages : il a successivement été directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin, directeur du Trésor, président de Barclays-France, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, dans le gouvernement de François Fillon, président de l’Autorité des marchés financiers, puis directeur général de la Caisse des dépôts et consignations… Agnès Rousseaux, journaliste au site Basta !, s'interroge :
« Comment quelqu’un qui a fait des allers-retours entre le
secteur privé et le secteur public, qui a travaillé dans le secteur
financier, peut être nommé dans l’instance de régulation du secteur
bancaire ? »
- Une fausse loi bancaire
La
loi dite de séparation bancaire en juillet 2013 reste très timide. Elle
ne sépare pas réellement les activités spéculatives des banques, des
activités de crédit. Thierry Philipponnat, directeur du think tank Institut Friedland, ancien secrétaire général de l’ONG Finance Watch considère que le lobby bancaire pèse sur le législateur :
« Cette loi bancaire a été adoptée parce que les responsables des
grandes institutions financières ont convaincu ceux qui avaient le
pouvoir politique que ce texte devait avoir l’apparence de la réforme.
Mais en réalité, cette loi n’a pas changé grand-chose… »
- « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
L’actuelle directrice générale de la Fédération bancaire française, Marie-Anne Barbat-Layani
connait bien les rouages de l’Etat. Inspectrice des Finances, passée
par le Trésor, elle a conseillé le ministre PS des Finances Christian Sauter, avant de retourner dans le privé, comme directrice générale adjointe de la Fédération nationale du Crédit agricole. En 2010, elle est nommé directrice adjointe du cabinet du Premier ministre François Fillon, avant de défendre aujourd’hui les banques françaises. L'ancien banquier et ex-secrétaire général de Finance Watch, Christophe Nijdam, explique :
«
Il y a une sorte de verrouillage et d’endogamie qui bloque ou de limite
la régulation bancaire. On se comprend, on parle le même langage. Nous
sommes des experts. On va présenter des intérêts comme étant dans
l’intérêt général. Circulez, il n’y a rien à voir ! »
- Sous l’influence de la finance ?
La nomination du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, par François Hollande, en septembre 2015, a été très critiquée par de nombreux observateurs. Polytechnicien, inspecteur des finances, énarque, il a été directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn, à Bercy, puis directeur délégué de la banque BNP-Paribas, avant d’être nommé à la tête de la Banque de France. Pour Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférence à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, cela pose problème :
« Quelle voix est portée ? C’est nécessairement une voix
influencée par la culture acquise dans le secteur bancaire et financier.
»
Entendu le 29 septembre 2015, devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, François Villeroy de Galhau a assuré qu’il assumerait sa mission en toute indépendance :
«
J’ai lu parfois que je risquais d’être prisonnier de la finance si
j’étais nommé. C’est extrêmement mal me connaître. Je suis un homme
libre, un homme droit et donc je déciderai seulement en fonction de ce
que je crois être bon pour notre pays et son économie. »
Mais
s’agit-il vraiment d’une question de personne ? Les questions posées
par cette nomination renvoient plutôt à la façon dont l’Etat considère l’oligopole bancaire. Pour Michel Crinetz, ancien superviseur financier, le problème est "plus structurel que personnel" :
"On ne soupçonne pas le gouverneur de la Banque de France de
défendre les intérêts de BNP-Paribas. Il va défendre les intérêts des
banques, en général, au lieu de les superviser. Il considère qu’il est
là pour favoriser les champions nationaux, que ce qui est bon pour la
BNP ou pour la Société générale est bon pour la France. Il ne faut
surtout pas les critiquer, ni les sanctionner."
Un rapport confidentiel de l’OCDE
daté de 2009, fait le même constat en Australie, en Belgique, au
Canada, en Irlande, en Nouvelle-Zélande, et au Royaume-Uni. Là encore,
l’OCDE s’inquiète des conséquences du pantouflage et des « portes
tournantes » sur les autorités de régulation.
Extrait du rapport de l'OCDE en 2009 :
«
Les relations proches entre, d’un côté, les régulateurs et le pouvoir
politique, et de l’autre, l’industrie de la finance et ses lobbyistes,
sont alimentées par le recyclage régulier de personnel entre ces deux
univers. (…) S’attaquer aux portes tournantes constitue le début d’un
processus indispensable afin de restaurer la confiance des citoyens dans
le système politique et le fonctionnement des marchés financiers. »
La Commission européenne, royaume des « portes tournantes »
Ce
système des portes tournantes entre politiques et secteur financier se
retrouve également à l’échelle européenne. On a pu le constater, en
septembre 2016, lorsque l’ancien président de la Commission européenne
(2004-2014), Manuel Barroso a été recruté par la banque Goldman Sachs.
- Une pétition des fonctionnaires européens
Ce recrutement de Manuel Barroso par Goldman Sachs a provoqué une onde de choc. Une pétition lancée par des fonctionnaires européens a recueillie plus de 150 000 signatures.
Un porte-parole des fonctionnaires européens, qui tient à rester
anonyme, explique son sentiment de trahison et la nécessité de réagir :
«
Nous avons l’impression d’avoir été trahis de voir que ce président de
la Commission pour qui nous avons travaillé, rejoigne une banque
impliquée dans le scandale des subprimes, et qui a aidé la Grèce à
maquiller ses comptes et à spéculer sur ses malversations. »
Selon les règles de l’Union européenne, ce pantouflage de Manuel Barroso
n’a pourtant rien d’illégal. En effet, les commissaires européens
doivent respecter un délai de 18 mois avant de "pantoufler" dans le
privé. C’est ce qu’a fait Manuel Barroso. La Commission européenne propose
désormais de faire passer ce délai à deux ans, trois ans pour les
anciens présidents. Pour les députés européens, en revanche, il n’y a
aucun délai légal pour "pantoufler", alors que leurs collaborateurs,
eux, doivent respecter une période de deux ans.
- Un comité d’éthique pas vraiment indépendant
Un
comité d’éthique peut se prononcer sur ces "pantouflages". Mais ses
avis ne sont pas contraignants. L’article 245 du traité de l’Union européenne prévoit seulement «
un devoir d’honnêteté et de délicatesse de la part des commissaires
dans l’acceptation de fonction, à l’issue de leur mandat. » Ce
comité d’éthique, nommé par le collège des commissaires européen, n’est
pas vraiment indépendant. Il est composé de trois membres : un ancien
juge néerlandais à la Cour de justice de l’Union européenne, un
social-démocrate allemand, ex-membre du Parlement européen, et un ancien haut responsable autrichien à la Commission. Dans le cas de Manuel Barroso,
le comité d’éthique a conclu qu’il y avait « sans doute, un manque de
jugement » de la part de l’ex-président de la Commission européenne,
mais « pas d’infraction ».
- Une enquête sur le pantouflage de Barroso
Une
plainte a été déposée par le collectif d’employés des institutions
européennes à l’origine de la pétition auprès du médiateur européen,
l’irlandaise Emily O’Reilly :
« Je vais faire une enquête. Je vais interroger la Commission et
le comité d’éthique. J’ai le pouvoir d’examiner n’importe quel document
qui puisse m’aider dans ma réflexion. Puis, je ferai des
recommandations. »
Le médiateur européen n’a pas de pouvoir
de sanction, mais il peut mener des investigations et faire des
propositions de réformes.
- Goldman Sachs cible « le vrai pouvoir »
Une autre enquête
est actuellement menée par la médiatrice. Elle concerne, cette fois,
les liens entre le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, et le Groupe des Trente, un cercle de banquiers et de financiers. Mario Draghi a, lui aussi, travaillé pour Goldman Sachs, tout comme Peter Sutherland, un ancien commissaire à la concurrence, directeur général de l’Organisation mondial du commerce, devenu président de Goldman Sachs de 2005 à 2015.
- Bruxelles, temple du lobbying
À Bruxelles, 15 000 lobbyistes sont à l’œuvre. Des commissaires européens sont ainsi régulièrement recrutés
par des entreprises avec lesquelles ils sont en contact. C’est le cas
de la néerlandaise Nelly Kroes, ancienne commissaire à la concurrence et
à l’Economie numérique, embauché par Bank of America - Merryl Lynch et par la société Uber. On retrouve son nom dans l’affaire des Bahamas Leaks, par le biais d’une société off-shore qu’elle dirigeait. Autre exemple : l’ex-commissaire européenne au climat, et ancienne ministre de l’énergie danoise, Connie Hedegaard, recrutée… par Volkswagen.
- La tactique des « ouvreurs de porte »
Tous ces pantouflages sont suivis de près à Bruxelles, par l’ONG, Europe Corporate Observatory. Pour Martin Pigeon, porte-parole de Europe Corporate Observatory, "ces anciens commissaires sont des ouvreurs de porte" :
"Il est très difficile de leur refuser un rendez-vous, parce qu’ils ciblent leurs anciens subordonnées."
C’est ce qu’a fait, par exemple, l’ancien commissaire au marché intérieur, l’irlandais Charlie Mc Creevy pour le compte de la compagnie aérienne Ryanair. Alors qu’il était responsable de la régulation bancaire, Charlie Mc Creevy a également rejoint le conseil d’administration d’une banque.
- 50 % des ex-commissaires devenus lobbyistes
Un rapport publié par l’ONG Transparency International
permet de prendre la mesure de l’importance de ces pantouflages
européens. 30 % des anciens députés du parlement européen travaillent
pour des organisations inscrites au registre des lobbyistes de l’Union
européenne. Plus de 50 % des ex commissaires européens sont devenus
lobbyistes. Daniel Freund, responsable de Transparency International en Belgique, donne un exemple :
« L’ancienne présidente de la Commission des affaires financières
économiques a rejoint la Bourse londonienne. Au bout de quelques
semaines, des responsables européens quittent leurs fonctions pour des
agences de lobbying. »
- Une régulation européenne torpillée par le lobby bancaire
Comme en France, ces pantouflages ont donc un impact direct sur la régulation bancaire. Ainsi, lorsque Michel Barnier,
le commissaire européen chargé des services financiers et du marché
intérieur, a tenté d’imposer des règles plus strictes pour les activités
à risque des banques, il s’est heurté à un mur. Le gouverneur de la Banque de France, à l’époque, Christian Noyer, a clairement désavoué la volonté de régulation du commissaire Barnier :
«
Les idées qui ont été mises sur la table par le commissaire Barnier
sont, je pèse mes mots, irresponsables et contraires aux intérêts de
l'économie européenne. J’espère que ce projet restera enterré et qu'il
n'aura aucune suite. »
Une quarantaine de texte a finalement été adopté mais sur l’essentiel, Michel Barnier n’a pas été suivi. Jean-Michel Naulot, ancien banquier, ex-régulateur à l’Autorité des marchés financiers appelle cela "le temps des lobbys" :
"Aux Etats-Unis, le président Obama avait demandé au secrétaire
au Trésor Paul Volcker de réformer les banques. On est passé d’un texte
de 39 pages… à 950 pages ! Les textes sont dénaturés. Michel Barnier
avait fait un excellent travail. Mais on en a fait des confettis."
Le britannique Jonathan Hill a succédé à Michel Barnier en 2014. Il était auparavant lobbyiste pour le milieu bancaire…
- Des « experts » proches de la banque
Après la crise financière de 2007-2008, le président de la Commission européenne, Manuel Barroso
a fait appel à un groupe d’ « experts » pour rendre un rapport censé
réformer « la supervision financière ». Mais la plupart de ces « experts
» étaient liés au secteur bancaire (Citygroupe, Morgan Stanley,
BNP-Paribas…). Jacques de Larosière, ancien directeur
général du Fonds monétaire international (FMI), ex-gouverneur de la
Banque de France, conseiller de la banque BNP-Paribas et auteur d’un rapport sur la régulation et la supervision des banque, se souvient :
« Lorsque Monsieur Barroso m’a appelé, j’avais officiellement
quitté BNP-Paribas la veille. J’ai accepté de me remettre au travail.
Mais je l’ai fait avec la considération de l’intérêt public. Je n’ai pas
regardé si c’était intéressant pour BNP, cette idée ne m’a même pas
effleuré… »
- Une « capture intellectuelle »
Outre
« l’expertise », l’autre argument avancé par le lobby bancaire est
celui d’une régulation qui serait préjudiciable à l’activité économique.
Selon Sébastien de Brouwer, porte-parole de la
Fédération européenne des banques, "les institutions européennes doivent
connaitre l’impact des décisions qu’elles prennent" :
Pour connaitre cet impact, elles ont besoin d’être informés par
des experts. C’est le rôle que nous jouons. Nous sommes attentifs à
l’impact de ces décisions sur le financement de l’économie."
- Ne pas mordre la main qui pourrait te nourrir…
Au sein du Parlement européen, certains députés tentent de résister à cette « capture intellectuelle », comme par exemple Philippe Lamberts, eurodéputé Vert belge :
Il ne faut pas venir me raconter des salades !
« Le travail de lobbyistes financiers n’est pas très difficile,
parce que bien souvent avec des arguments bateaux, ils parviennent à
emporter le morceau. J’ai passé 22 ans dans le secteur privé, dans une
multinationale américaine, j’ai constaté les ravages de la
financiarisation. Malheureusement, la plupart des décideurs politiques
n’ont aucune expérience de terrain. Ou alors, ils ne veulent pas mordre
la main qui pourrait un jour les nourrir. »
- Une administration Goldman Sachs
Aux Etats-Unis, ces pantouflages ont pris une ampleur considérable. De nombreux anciens membres de Goldman Sachs se retrouvent à des postes clés de l’administration du président américain Donald Trump. C'est le cas du conseiller du président, Steve Bannon ou du secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin. Conséquence : Donald Trump vient d’annuler toute une série de régulations bancaires. Les « portes tournantes » sont désormais bien dans toutes les têtes.
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Références bibliographiques :
- Le concert des puissants de Paul Lagneau-Ymonet, Editions Raisons d'agir
- Le livre noir des banques, de Agnès Rousseaux, Editions Les liens qui libèrent
- Que sont les énarques devenus ? de François Denord
- Blabla banque, de Jézabel Couppey-Soubeyran, Editions Michalon
- La banque. Comment Goldman Sachs dirige le monde, de Marc Roche, Ed. Albin Michel
- Eviter l’effondrement, de Jean-Michel Naulot, Editions du Seuil
- Parlons banque en 30 questions, de Jézabel Coupey-Soubeyran, Editions la documentation française
Source
G) Concurrence à deux niveaux: mettre un terme aux oligopoles
Comment obtenir des marchés concurrentiels quand les entreprises qui y vendent un bien final maîtrisent aussi les facteurs de production (comme c'est le cas avec les poids lourds de la téléphonie mobile en France) ? Pour Johan Hombert et ses co-auteurs, la solution ne peut pas se résumer à forcer les firmes intégrées à fournir les facteurs de production à d'autres firmes isolées.
Johan Hombert et ses co-auteurs se sont intéressés à la concurrence
sur les marchés où les firmes sont intégrées verticalement : elles
produisent à la fois le facteur de production – le réseau qu'elles
possèdent dans le cas de la téléphonie mobile – et le bien final – les
forfaits qu'elles proposent. “Nous avions en tête l'industrie des
télécoms quand nous avons commencé ce travail, autour de 2007, au moment
où l'Internet à haut débit se développait en France, car il y avait
beaucoup de questions de régulation et de politique de la concurrence
qui se posaient : comment faire pour développer les télécoms et pour que
les prix ne soient pas trop élevés pour le consommateur final ?,
explique Johan Hombert. À l'époque et encore maintenant, ce marché était
vraiment oligopolistique car il y a très peu d'acteurs. Mais cela peut
s'appliquer à de nombreuses autres industries.
ENCOURAGER LES NOUVEAUX ENTRANTS : INSUFFISANT !
Le secteur qui illustre le mieux cette recherche reste celui de la
téléphonie mobile en France : avant l'arrivée de Free fin 2011, il
existait trois opérateurs qui possédaient une infrastructure de réseau
et des licences de téléphonie mobile – SFR, Bouygues Telecom et Orange.
“Ce que voulait faire le régulateur depuis plusieurs années, et la
Commission européenne a aussi beaucoup poussé dans cette direction,
c'est d'avoir plus de concurrents. Mais l'entrée sur ce type de marchés
est très coûteuse car il faut développer une nouvelle infrastructure de
réseau, mettre des antennes… L'idée du régulateur a donc été de faire
entrer de nouvelles firmes sans leur demander de construire leur propre
réseau. Il s'agissait de forcer les opérateurs existants à sous-louer
leur réseau à ces nouveaux entrants et donc de créer de la concurrence
sans investissements.” Ainsi sont nés les MVNO (pour Mobile Virtual
Network Operators) comme Virgin Mobile, Auchan ou Budget.
COMPRENDRE LA PERSISTANCE DES OLIGOPOLES
Les travaux de Johan Hombert et de ses coauteurs montrent néanmoins
que cette solution n'aboutit pas à une concurrence digne de ce nom. “Les
opérateurs existants ont peu d'incitations à aider leurs concurrents à
produire des biens qui vont concurrencer les leurs”, estime-t-il. Les
firmes intégrées verticalement tirent leurs profits de deux sources : en
vendant des forfaits à leurs clients finaux, mais aussi en sous-louant
une partie de leur réseau aux MVNO. “Il va donc y avoir une tension en
permanence : d'un côté, elles vont avoir envie de baisser les prix sur
les forfaits pour capturer plus de parts de marché ; mais en faisant
cela, elles vont tuer les MVNO et réduire leur autre source de profit.
Les opérateurs ont peu d'incitations à aider leurs concurrents à produire des biens qui vont concurrencer les leurs.
Elles peuvent également essayer de faire beaucoup de profits en
sous-louant leur réseau à un maximum de concurrents, mais ce faisant
elles augmentent la concurrence sur le marché des forfaits et réduisent
leur profit de ce côté. En fait, à chaque fois qu'une firme intégrée
veut être un peu plus agressive sur l'un des deux marchés, elle impacte
négativement son autre source de profit. Au final, elles n'ont envie de
faire baisser les prix sur aucun de ces deux marchés.” Cela explique que
la grosse trentaine de MVNO français n'est jamais parvenue à capter
plus de 6-7% de parts de marché…
ACCROITRE LA CONCURRENCE
Quelles sont les solutions alternatives ? La plus brutale consiste à
imposer aux opérateurs mobiles le prix de location du réseau aux MVNO.
“C'est très difficile à mettre en place dans la téléphonie mobile car le
régulateur subit des pressions importantes de la part des gros
opérateurs”, explique Johan Hombert. Il est aussi possible de plafonner
les prix: ni trop bas pour ne pas décourager l'investissement, ni trop
haut pour permettre aux MVNO d'entrer sur le marché. “C'est également
difficile car le régulateur ne connaît pas bien les coûts de
maintenance, d'entretien et de développement des réseaux, ce qui rend sa
tâche plus compliquée.” Une troisième solution consiste à forcer des
structures intégrées à se séparer en deux, comme cela a été fait dans
d'autres industries et notamment le rail, puisque Réseau Ferré de France
loue ses rails à la SNCF et à d'autres sociétés. “La SNCF n'aurait
jamais accepté de louer son réseau à des concurrents, ou alors à des
tarifs très élevés, poursuit Johan Hombert. Et c'est encore plus
compliqué dans la téléphonie mobile : il y a plus de synergies entre la
vente de forfaits et l'opération de réseaux.” Dernière solution, et
c'est précisément celle qui a été retenue sur ce marché : l'arrivée d'un
nouveau concurrent qui possède une infrastructure de réseau, même
réduite. Car s'il loue une partie de son réseau à Orange, Free couvre
d'après Johan Hombert une grande partie du territoire avec son propre
réseau, contre 0 % pour les MVNO. “On est en train de voir que les prix,
qui se situaient à un niveau très stable, se sont effondrés
brutalement, se réjouit-il. Ce qui se passe confirme les prédictions de
notre modèle : seule la présence d'un opérateur qui n'est pas totalement
dépendant de ses concurrents crée une vraie situation de concurrence
sur le marché.”
D'après une interview de Johan Hombert, professeur de finance, et l'article “Upsteam competition with vertically integrated firms” (Journal of Industrial Economics , vol. 59, No 4, décembre 2011, pp 677-713), coécrit avec Marc Bourreau, Jérôme Pouyet et Nicolas Schutz.
Johan Hombert a rejoint HEC Paris en 2010 après avoir travaillé pour l'INSEE et enseigné à l'ENSAE (Ecole Nationale de la Statistique et de l'Administration Economique), dont il (...) Voir le CV
H) L’impôt, c’est le vol
La notion de justice fiscale est une illusion
Monsieur Macron
n’échappe pas au rituel : les augmentations d’impôts sont pour tout de
suite, les baisses pour plus tard ou… pour les calendes grecques. Et
comme à chaque fois qu’il est question d’impôt, les avis contradictoires
sur la notion de justice fiscale fusent.
« L’impôt progressif est juste parce qu’il frappe plus les riches ». « Mais non, c’est la flat tax qui est juste, parce qu’elle frappe tout le monde de la même façon… » De même pour la TVA, « injuste parce qu’elle frappe identiquement le riche et le pauvre ». « Oui mais le riche dépense plus, et achète des choses plus chères, donc il en paye plus… »
Débats moraux stériles
Ces débats moraux sont parfaitement stériles, parce que
l’impôt vous prenant votre argent contre votre volonté, il s’agit donc
d’un vol. Légal sans doute, mais un vol quand même. Et comme il n’y a
pas de façon éthique de voler, toute tentative de justification morale
est vaine. Les arguments ne peuvent être qu’idéologiques, et donc
politiques.
C’est comme si on demandait à quelqu’un quelle est la meilleure façon de tuer sa mère : la seule réponse morale est que « il ne faut pas tuer sa mère… »
Les scénaristes ne s’y trompent d’ailleurs pas. Dans les films qui
commencent par un hold-up, et se poursuivent par une lutte pour le magot
entre les voleurs, les billets finissent généralement dans un incendie,
une rivière en crue ou ventilés par les pales d’un hélicoptère ! Parce
qu’il n’y a pas plus de façon morale de s’attribuer le produit d’un vol,
que de le voler…
Morale et taxe
Cela compris, on peut discuter de la façon la plus
intelligente de taxer, de celle qui ne pousse pas certains à s’exiler,
qui décourage le moins la production de richesses, qui tond sans
arracher la peau, qui ne force pas à liquider une entreprise quand son
patron meurt, etc. ; mais la morale n’a rien à voir là-dedans.
Enfin on peut se demander si au-delà de police, justice,
armée et diplomatie, les hommes de l’État ont légitimité pour
redistribuer les fruits de notre travail et de notre épargne à une
myriades d’autres activités. C’est sans doute la question la plus
fondamentale. C’est probablement pour cela qu’on ne l’aborde jamais…
Richard Hanlet
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