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octobre 20, 2014

Henri LEPAGE pour la renaissance de certains libéraux/libertariens occultés.

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Il y a un peu plus d’un an (le 11 Janvier 2007) se tenait à l’ancienne Ecole Polytechnique un colloque organisé par l’Institut d’Histoire de l’Industrie, sur le thème : « Modernité des pères fondateurs de la science économique française ». Ce fut l’occasion de revenir sur les contributions d’un certain nombre d’auteurs libéraux. Pour ma part, j’y ai présenté une communication sur deux auteurs de la Restauration, auxquels je m’intéresse depuis longtemps, et dont je considère qu’ils restent injustement méconnus, même de ceux qui aujourd’hui multiplient les contributions sur l’histoire du libéralisme en France. Il s’agit de Charles Comte et Charles Dunoyer. Ceci est le texte des notes à partir desquelles j’ai fait mon exposé. J’ai la faiblesse de penser qu’il s’agit d’un texte qui n’est pas inintéressant pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées libérales de notre pays.
 
Mon intention est de jeter un coup de projecteur sur l’épopée du Censeur européen et de ses deux fondateurs : Charles Comte (1802-1835) et Charles Dunoyer de Segonzac (1806-1869). Une épopée relativement courte : 1814-1820, mais qui exerça une influence très importante sur les débats intellectuels et politiques de la Restauration.

Trois raisons justifient qu’on en parle aujourd’hui:
 
1/ - Il s’agit d’abord de redresser une injustice . Sauf pour quelques spécialistes de l’histoire des idées, Comte et Dunoyer figurent généralement parmi les auteurs libéraux de la Restauration oubliés de nos contemporains. Ce qui est paradoxal dans la mesure où la notoriété dont ils bénéficièrent à l’époque fut immense; mais aussi parce que l’épopée du Censeur européen marque à bien des égards l’acte d’établissement de l’école libérale radicale française, qui s’incarnera plus tard dans la création de la Société d’économie politique(1842). Aujourd’hui, on redécouvre Say ou Bastiat ; mais Comte et Dunoyer restent oubliés. 

2/ - Ils anticipent, plus d’un siècle auparavant, les approches de l’Ecole moderne dite des” choix publics”. On trouve dans leurs écrits une façon de penser l’Etat et le politique centrée sur le concept de la “capture réglementaire”, qui anticipe sur les travaux contemporains d’auteurs économiques influents, comme les professeurs James Buchanan et Gordon Tullock. 

3/ - Ils occupent une position charnière dans l’histoire des idées politiques et économiques modernes. S’ils sont par certains égards les ancêtres des anarcho-capitalistes anglo-saxons d’aujourd’hui, leur pensée joue aussi un rôle paradoxal dans la genèse de l’idéologie socialiste en raison de leur association avec le comte Henri de Saint Simon (période 1814-1817), mais aussi du fait de leur proximité avec Auguste Comte (le cousin de Charles). 

La richesse de la Restauration
Il y a deux manières d’aborder l’histoire de la pensée libérale au 19ème siècle. 

1. la première se situe du point de vue de l’histoire des idées politiques. C’est celle que l’on trouve de manière classique dans des ouvrages comme celui d’André Jardin : Histoire du Libéralisme politique de la crise de l’absolutisme à la constitution de 1875 (Hachette 1985), dans Louis Girard : Les libéraux français 1815-1875 (Aubier 1985), ou encore René Rémond : L’histoire des droites en France (1954).
On y parle souvent de Constant, de Mme de Staël, de Guizot, des doctrinaires, de Tocqueville, mais les libéraux « radicaux » comme Say, Tracy, Augustin Thierry, Comte et Dunoyer sont le plus souvent négligés, ou ne sont mentionnés qu’au détour d’une phrase. 

2. la seconde se place au niveau de l’histoire des idées économiques. On y étudie les physiocrates, les « idéologues » (Say, Tracy); puis on saute à Bastiat et au Journal des économistes de la période 1840-1850. De la période de la Restauration on ne retient que Sismonde de Sismondi et la naissance de la préoccupation « sociale » (cf l’ouvrage de Francis Paul Bénoît). A la rigueur on y trouve une mention du Traité de la Propriété (1840)de Charles Comte, ainsi que des échos de sa. polémique avec Proudhon. Mais Dunoyer (L’industrie et la morale reconsidérées dans leur rapport avec la liberté, 1825; Nouveau traité d’économie sociale, 1830;La liberté du travail, 1844), lui, est bien souvent oublié. 

Depuis quelques années, on assiste cependant à un retour d’intérêt pour le libéralisme de la Restauration. Jusqu’à une époque récente, si l’on s’intéressait à la pensée politique de cette période, c’était pour étudier soit les « conservateurs » défenseurs de la restauration monarchique (de Bonald, Chateaubriand), soit les socialistes « utopiques » comme Saint Simon et Auguste Comte. On étudiait surtout ces derniers en tant que précurseurs du socialisme scientifique de Marx, développé après la Révolution de 1848. 

Depuis une décennie on assiste à une prise de conscience de ce que la Restauration fut en réalité une période cruciale pour l’émergence en France du libéralisme en tant que théorie politique moderne. On note la multiplication de livres sur B. Constant, sur Tocqueville (cf la collection de Commentaires), sur Guizot (cf Rosanvallon), et même Bastiat.
Dans son ouvrage sur Guizot, Rosanvallon soutient que « La Restauration constitue un véritable âge d’or de la réflexion politique ». Elle constitue « le moment libéral » par excellence de la pensée politique française. Mais les « libéraux radicaux » que furent Comte et Dunoyer en restent exclus. Alors même qu’ils bénéficiaient à leur époque d’une très forte notoriété. 

Qui étaient Comte et Dunoyer ?
Charles Comte est né en Lozére en1782; Charles Dunoyer en 1786, à Turenne. Ils appartiennent à une génération qui avait en gros 10 ans en 1795, 20 ans en 1805, 30 ans en 1815.
Ils font partie d’une génération née juste avant la Révolution française qui, lorsqu’elle se retrouve au lycée, adhère pleinement aux « principes de 1789 », mais reste profondément marquée par les excès jacobins de la Terreur. Adolescents à l’époque du Directoire, ils absorbent le libéralisme des philosophes modérés, de Condorcet et des Girondins, mais rejettent le Rousseauissme et sa variante politique, le Jacobinisme. Lycéens au moment de l’arrivée de l’Empire, ils bénéficient des réformes du système éducatif français mises en oeuvre par les « idéologues » et qui incorporent les grands principes de base du libéralisme, malgré le rejet final de « l’idéologie » par Napoléon. Etudiants à Paris (où Dunoyer arrive en 1803), ils assimilent la tradition du droit naturel, selon Pufendorf et Grotius (donc Locke). A l’Athénée, ils suivent les cours, alors très populaires, de J.B. Say, dont Charles Comte deviendra le gendre. A Paris, ils fréquentent le salon de cet autre grand « idéologue » qu’est Destutt de Tracy. 

Charles Comte et Charles Dunoyer se rencontrent à Paris en 1807. En 1814, lors de la première Restauration, ils créent ensemble Le Censeur, un journal initialement publié sous forme hebdomadaire - qui deviendra Le Censeur européen en 1816. Pendant la période 1815-1820, leur journal s’impose comme la publication indépendante d’analyse et de réflexion la plus influente du microcosme parisien. Ils assoient leur notoriété sur un combat acharné pour la liberté d’expression et contre la censure. Une censure dont ils seront eux-mêmes victimes à plusieurs reprises, et qui obtiendra finalement leur peau en 1820, au terme d’un affrontement judiciaire qui les rendra célèbres, mais conduira Comte à l’exil (dont il reviendra en 1825), et Dunoyer en prison pour quelques mois. 

Leur maître à penser est Benjamin Constant, qui termine sa carrière comme chef de file incontesté du journalisme libéral au début de la Restauration. Leurs travaux se situent alors dans le «main stream » de la pensée politique libérale de l’époque. Il s’agit d’imaginer des solutions politiques « constitutionnelles » permettant d’éviter les excès dictatoriaux que le pays a connu sous l’Empire, puis sous la Restauration des Bourbons. Leur journal milite pour la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté des cultes, la souveraineté de l’Etat de droit, l’établissement d’une constitution écrite, la reconnaissance des droits individuels, une justice administrée par des magistrats et des jurés indépendants, le libre échange, la fin des subventions et des monopoles, une fiscalité minimale… 

Qu’est-ce qui fait leur originalité ?
A partir de 1817, devant l’échec des efforts déployés pour ‘libéraliser’ les institutions politiques, leurs analyses deviennent de plus en plus “radicales”. Ils s’opposent autant aux « conservateurs » à la Guizot ou à la Royer Collard (constitutionnalistes, mais suspicieux de la démocratie, défenseurs du suffrage censitaire, et surtout qui acceptent un certain interventionnisme économique de l’Etat) qu’aux libéraux « indépendants » à la Constant (le « centre gauche » de l’époque, surtout préoccupés de la liberté de la presse, et de l’affirmation des droits civiques). 

Leur grande préoccupation est de « comprendre ». Comprendre comment les grands idéaux des encyclopédistes et de 1789 ont pu déboucher sur le retour du despotisme, avec son cycle infernal de dictature populaire, militaire, réactionnaire. Comprendre pourquoi tous les espoirs fondés sur La Charte ont à nouveau pu être déçus. Comprendre comment on peut y mettre fin. (Ce sont en quelque sorte « les nouveaux philosophes » de la Restauration)
La réponse, ils la trouvent dans une démarche de type « métahistorique », dans la recherche d’une sorte de continuité historique dont le vecteur serait l’industrialisme - concept qu’ils empruntent à Jean-Baptiste Say, avant qu’il ne soit accaparé (et détourné) par Saint Simon et ses disciples. 

La liberté par l’industrie
Pour Comte et Dunoyer, la libération des peuples passe par « l’industrie », c’est à dire par ce que nous appellerions aujourd’hui le marché, le libre échange, le laissez-faire, ou encore même la mondialisation, car c’est l’essence même de l’industrie et de la liberté du commerce que de favoriser l’essor de vertus individuelles (calcul, rationalité, responsabilité, risque, donc précaution) propices à l’affirmation d’une attitude de liberté. Malheureusement les croyances et les valeurs n’évoluent pas au même rythme que l’industrie. Alors que celle-ci se répand et concurrence les anciennes manières de faire, les attitudes, les valeurs, les institutions, elles, restent liées à l’ancien ordre des choses (le mercantilisme). C’est dans ce décalage, expliquent-ils, que réside la source de l’échec des idéaux de l’Encyclopédie et de la Révolution à faire obstacle au retour du despotisme. 

Comment y mettre un terme ? Ce ne sont pas les efforts déployés pour mettre au point des solutions constitutionnelles qui permettront d’en sortir si les gens continuent d’adhérer à des valeurs qui leur font accepter volontairement leur servitude ? Le seul espoir réside dans la poursuite, l’accélération du progrès industriel lui-même. Autrement dit, c’est le « développement économique » et le libre-échange, produits de la libération de l’économie des monopoles mercantilistes, qui doivent libérer les gens de leurs croyances, donc de leur propre servitude, et ainsi rendre possible la réforme politique. Le constitutionalisme met la charrue avant les boeufs. Il faut d’abord changer les structures mentales avant d’avoir des chances d’agir avec succès sur les structures politiques; et cela seul le développement économique peut permettre de l’obtenir. (Débat très moderne que l’on a retrouvé dans certains pays de l’Est avant la chute du mur de Berlin - par exemple en Pologne -, ou qui dure encore comme en Chine). 

La lutte des classes
Leur analyse se fonde sur une conception « dialectique » de l’histoire qui est celle d’un processus conçu comme le produit d’une confrontation permanente entre deux classes, d’un côté celle des dirigeants et oppresseurs, de l’autre celle des opprimés et exploités. C’est l’approche que développe par exemple Augustin Thierry dans sa fameuse histoire des révolutions anglaises (1817), ainsi que dans son histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands (1825, mais dont les premiers éléments ont été publiés dans le Censeur européen dès 1819). 

L’histoire y est vécue comme un combat constant entre exploités et exploiteurs. Pour Thierry, il s’agit d’un combat entre Tiers Etat et Noblesse, le Tiers Etat luttant à travers les siècles pour assurer la reconnaissance et la sécurité de ses droits de propriété, ainsi que l’élargissement continu de ses opportunités industrielles et commerciales. Pour Comte, l’opposition la plus significative est celle qui oppose les oisifs, bénéficiaires de rentes de l’Etat mercantiliste, et ceux qui travaillent, qui entreprennent et qui produisent (les producteurs). 

Cette approche en termes de conflit entre « classes » n’est pas totalement nouvelle. On en trouve déjà les prémisses dans la théorie physiocratique de la production avec l’opposition entre une « classe productive » et une « classe stérile ». Mais alors que chez les Physiocrates la première s’identifie au monde agricole, à tout ce qui cultive la terre, et la seconde à tout ce qui ne vit pas de la terre, chez Comte et Dunoyer l’opposition se fait d’un côté entre ceux qui travaillent et entreprennent, quelque soit le secteur d’activité auquel ils appartiennent (on retrouve là tout l’apport de la théorie libérale de Say), et de l’autre ceux qui détiennent le pouvoir et les privilèges - c’est à dire l’Etat et les classes privilégiées qui lui sont liées.
Cette approche débouche donc sur une vision où l’histoire de la civilisation s’analyse d’abord et avant tout comme un processus de « libération » des classes exploitées par l’émergence d’une économie et d’une culture marchande (l’industrie) qui se fait aux dépens des anciennes contraintes de l’Etat mercantiliste, avec ses clientèles, ses monopoles et cloisonnements corporatistes. 

 Un libéralisme radical
Cette approche les amène à une conception de l’action politique où le rôle du politique n’est pas seulement d’aménager des poids et contrepoids (checks and balances) constitutionnels pour limiter les abus du pouvoir; mais d’accompagner, de faciliter ce mouvement « historique » dans son inévitable achèvement. Comment ? En introduisant une séparation radicale entre la « société civile », paisible et productive, et le monde de l’Etat qui est celui des privilèges et de leur exploitation par ce que l’on appellerait aujourd’hui les « lobbies ». C’est à dire en « dépolitisant » le contenu des relations sociales et économiques. 

« Après avoir longuement analysé comment les classes sociales « exploiteuses » se sont maintenu au pouvoir à travers les siècles, raconte David Hart, ils ont entrepris d’en tirer des leçons, des prévisions pour l’avenir de la société française. Pour Dunoyer en particulier, celui-ci passait par une dépolitisation croissante de la société française, voire la disparition complète de l’Etat, pour laisser place à une situation où tous les aspects de la vie sociale et économique seraient régulés par l’interaction des forces de l’offre et de la demande et la loi des contrats sur un marché libre. A certains de leurs moments d’euphorie libérale, Comte et Dunoyer sont même allés jusqu’à suggérer la possibilité - bien avant Gustave de Molinari (dans son célèbre opuscule “les soirées de la rue Saint Lazare” de 1849) - d’une société où même les fonctions de police et de défense seraient soit devenues inutiles, soit reprises par le marché. Mais, ajoutaient-ils, cette société authentiquement «libérale» ne pourra se réaliser que le jour où le développement du « régime industriel » aura si complètement modifié les attentes de l’opinion publique à l’égard de l’Etat que les politiques mercantilistes auront perdu toute légitimité aux yeux des français ». 

Leur interrogation sur le pourquoi des événements et des déceptions qu’ils viennent devivre les conduit ainsi à développer une perspective libérale poussée à l’extrême dulaissez-faire et de l’Etat minimum. D’où leur qualificatif de « libéraux radicaux ».C’est cette tradition radicale qui servira d’armature aux activités de la Société d’économie politique (fondée en 1842, et dont Charles Dunoyer fut le premier président) et que l’on retrouvera dans les colonnes du journal de la Société ( Le Journal des Economistes), ainsi que sous la plume de Frédéric Bastiat ou de Gustave de Molinari.
C’est cette tradition qui, après une éclipse d’un siècle, nous revient des Etats-Unis à travers les ouvrages de ceux qu’on appelle « les libertariens », ou « anarcho-capitalistes ». Ce qu’on nous présente comme une importation anglo-saxonne, soit disant totalement étrangère à la culture française, a en réalité de solides racines françaises . Et ce sont des anglo-saxons (les historiens américains Leonard Liggio et Ralph Raico par exemple, l’Australien Hart) qui nous font aujourd’hui redécouvrir ce qui fut en son temps une tradition libérale française fort
influente et respectée, mais largement oubliée par la suite. 



Une pensée charnière
Que retenir de cette histoire ? Pourquoi reparler aujourd’hui de ces gens-là ? Je citerai principalement trois raisons. 

1. D’abord en raison d’une série de paradoxes inattendus. Je viens d’en évoquer un : le retour de leur tradition via le monde anglo-saxon.
L’Ecole libérale de Manchester généralement citée comme l’école fondatrice du libéralisme économique moderne, n’est en réalité qu’une école parmi d’autres. Il y a une tradition libérale française authentique, fondée sur des concepts, des approches radicalement différentes. Celle-ci est philosophiquement plus proche de Godwin, de Mackintosh et de Paine (les “radicaux” britanniques qui considèrent que, face au système politique, la Déclaration des droits est un artifice insuffisant pour assurer la garantie des droits naturels), que de Bentham, Malthus et Ricardo qui dénoncent déjà les ‘défaillances’ du marché (cf la théorie des crises de surproduction à laquelle répond la ‘loi des débouchés’ de Say) . C’est là quelque chose qu’on a oublié, et qu’oublient encore le plus grand nombre de ceux qui remettent aujourd’hui les auteurs de la Restauration à la mode (Constant, Guizot, Tocqueville). 

Mais le plus énorme des paradoxes est bien entendu la filiation qui relie cette école de pensée « ultra-libérale » à la genèse des idées socialistes, et même marxistes, qui viendront plus tard.
Les concepts de « classe sociale », de « mode de production », de « structure de production », d’ « exploitation », de « mouvement historique » sont exactement ceux qui seront « retournés » et utilisés pour servir de fondement au développement de la pensée socialiste. D’abord les socialistes « utopiques » de la première génération, puis ceux de la génération marxiste. 

Le lien de filiation se fait par l’intermédiaire du comte Henri de Saint Simon et d’Auguste Comte (un cousin de Charles Comte, qui restera très longtemps en contact épistolaire étroit avec Charles Dunoyer). Si, sous l’influence d’Auguste Comte (qui devient son secrétaire en 1817, en remplacement d’Augustin Thierry), Saint Simon rompt avec ses amis du Censeur européen, c’est qu’en fait il ne donne pas les mêmes réponses aux questions qu’ils se posent. L’aristocrate ne croît guère à l’amélioration spontanée des moeurs sous l’influence des disciplines de « l’industrie » naissante. D’une vingtaine d’années plus âgé (il est né en 1760, il décède en 1825), il n’a pas le temps d’attendre l’effet du temps. Il croît davantage à la « rééducation » par la prise en main du processus de développement par une nouvelle élite dirigiste d’ingénieurs et de banquiers ayant pour objectif de promouvoir ce qu’on appellerait aujourd’hui « la croissance ». 

En 1827, dans un article publié par la Revue encyclopédique (”Notice historique sur l’industrialisme”), Charles Dunoyer se livrera à une analyse et une critique approfondies des thèses et prétentions “scientistes” présentées par les saint-simoniens dans leur journal Le producteur. Mais ils partent de prémisses largement identiques. Ce sont les inventeurs de « la sociologie historique ».
Dans une large mesure, l’un des actes de fondation du mouvement socialiste est la grande diatribe que mène Proudhon contre le livre de Comte sur la propriété (Traité de la Propriété, 1834). Diatribe à laquelle Comte n’a malheureusement pas pu répondre puisqu’il est mort en 1837, soit trois ans avant la parution des deux ouvrages de Proudhon sur le sujet.
C’est vraisemblablement par l’intermédiaire de Proudhon que Marx a eu connaissance indirecte des travaux de Comte et Dunoyer. Bien que de manière plutôt méprisante, il les évoque à plusieurs reprises dans sa correspondance. 

Les ancêtres du Public Choice
2. Le second motif tient à leur mode de représentation de l’Etat et du politique qui est extrêmement moderne si on le compare à la façon dont les économistes appréhendent aujourd’hui le fonctionnement du marché politique. 

Derrière leur théorie des classes sociales, on retrouve un schéma qui nous est aujourd’hui devenu familier : l’idée de la « capture » réglementaire. A savoir que l’existence d’une réglementation ou d’un contrôle économique quelconque induit nécessairement l’émergence d’une « classe » de gens pour qui la jouissance des privilèges liés à leur fonction devient rapidement une fin en soi, et donc un objectif de pouvoir politique. 

Conclusion : la seule manière de débarrasser le monde de l’exploitation d’une classe par une autre consiste à détruire le mécanisme même qui rend cette exploitation possible : le pouvoir de l’Etat de distribuer et de contrôler la propriété et la répartition des avantages qui y sont liés. 

Dans un passage du Nouveau Traité Dunoyer attaque l’idée que le citoyen devrait obligatoirement sacrifier ses intérêts à ceux de la communauté politique ou de l’Etat. La pierre fondatrice du pouvoir politique, note-t-il, est la croyance qu’il existe un code d’obligations morales pour le citoyen, et un autre pour l’Etat et ses représentants. Dunoyer rejette cette dichotomie. S’il est immoral d’user de la force contre la personne ou la propriété d’une autre personne, fait-il remarquer, il est tout aussi immoral pour un homme ou une communauté politique d’en faire autant. 

Dunoyer note aussi l’étrange transformation qui frappe les individus selon qu’ils agissent en tant que personnes privées ou membres de communautés politiques. La majorité des individus, fait-il remarquer, semblent comprendre que le vol et la violence sont un mal lorsqu’ils sont commis par un individu contre un autre. Mais dès qu’ils agissent en tant que membre d’une communauté ou d’un corps politique, ils acceptent le bien fondé de ces mêmes actes au nom de ce qu’ils sont commis par l’Etat ou ses représentants, contribuant ainsi à leur propre asservissement. On ne peut atteindre la vraie liberté, conclue Dunoyer, que si les individus rejettent ce divorce entre morale publique et morale privée, et s’accordent tous à respecter la propriété ainsi que la liberté personnelle de tous. 

Derrière ce langage très “normatif”, on trouve en réalité une approche méthodologique des fonctionnements de ce que l’on appellerait aujourd’hui “le marché politique” très proche, bien que encore très frustre, des concepts qui inspirent les travaux de l’école néo-libérale contemporaine des choix publics. Comte et Dunoyer ambitionnent de donner une étude “scientifique” de l’Etat et de son développement. Ils ont une façon de penser le politique qui en fait, à bien des égards, les précurseurs d’auteurs comme James Buchanan et Gordon Tullock. 

Le lien n’est pas purement fortuit. James Buchanan reconnait lui-même que c’est en Italie, lors d’un séjour sabbatique à Rome, dans les années 1950, qu’il découvrit les intuitions qui allaient orienter de manière déterminante son champ de recherche. Or il faut relever que c’est précisément chez les économistes et universitaires italiens du 19ème siècle que l’école française d’économie politique a entretenu la postérité la plus féconde et la plus durable lorsque son influence s’est mise à décliner sérieusement sur le sol français, à partir des années 1870. 

Les initiateurs du paradigme anarcho-capitaliste.
3. Au total, Comte et Dunoyer considèrent l’Etat comme la source même des privilèges et des injustices, plutôt que comme l’instrument par lequel ces problèmes peuvent être résolus. 

C’est ce qui les oppose fondamentalement non seulement aux démocrates rousseauistes de l’époque, aux socialistes, mais aussi aux conservateurs qui, à l’inverse, veulent utiliser le pouvoir étatique pour créer une société plus juste et meilleure en réglementant plus ou moins strictement le contenu de la propriété privée. 

Comte et Dunoyer rompent complètement avec les traditions de l’humanisme civique, de la démocratie à la Rousseau et du conservatisme orthodoxe qui demandent que l’individu se soumette à la communauté politique, à la ” volonté générale “, qu’elle soit exprimée par un type d’institutions ou un autre. Ils ne demandent rien de la sorte aux individus. 

Dans leur vision d’une société libérale et industrielle, souligne David Hart, il n’y aurait aucun service militaire obligatoire puisqu’on aurait aboli les armées permanentes, et que l’échange commercial remplacerait la guerre comme forme normale d’interaction entre les nations. Il n’y aurait aucune obligation de voter puisque l’Etat serait minimal ou inexistant. Dans une société comme celle imaginée par Dunoyer, il n’y aurait aucun devoir civique, puisqu’il n’y aurait aucun Etat ni « civitas » pour imposer l’obéissance. Les seules obligations qui s’imposeraient aux individus seraient des règles morales choisies par chacun, qui évolueraient progressivement avec l’émergence de sociétés industrielles, modifiant ou « perfectionnant » la manière de penser et de faire des gens. Parmi ces obligations volontaires figurent en premier lieu le devoir de respect mutuel de la propriété et de la liberté de tous ceux qui participent à l’échange, ainsi que le renoncement à toute violence. 

Murray Rothbard, le pape de l’anarcho-capitalisme moderne, n’éprouverait sans doute rien à redire à une telle vision. En fait, Rothbard lui-même a subi l’influence des écrits de Comte et Dunoyer. Non pas directement - car il ne lisait pas le français - mais indirectement, par l’intermédiaire de son proche ami le professeur Léonard Liggio (aujourd’hui à George Mason University)´qui a publié en 1977, dans le Journal of Libertarian Studies, un long article (Charles Dunoyer and French Classical Liberalism) qui reste encore la source d’information et d’étude la plus documentée sur le rôle joué par le Censeur européen et ses animateur au sein de l’école libérale française du 19ème siècle. Dans un texte de 1974 (Egalitarianism as a Revolt against Nature), Murray Rothbard présente une interprétation de l’histoire moderne, avec une vision du socialisme présenté comme une idéologie authentiquement “réactionnaire”, qui s’inspire très directement de celle présentée un siècle et demie plus tôt par Charles Comte et Charles Dunoyer dans les pages du Censeur européen.

Les oubliés du libéralisme français

Par  Henri LEPAGE  (voir son blog ici)

Ajouter une légendehttps://www.youtube.com/watch?v=nqqjVXfnsV0

La Concurence - Conférence d'Henri Lepage 

 Cliquez le lien vidéo ici ou sous l'image ci-dessus

La concurrence est-elle applicable à tous les domaines ? Comment ont été justifiés les monopoles historiques ? L'oligopole permet-il de concilier les avantages de la concurrence et du monopole ? Comment garantir la concurrence ? Autant de questions aux quelles Henri Lepage répond, à l'aide d'exemples historiques.

Alain Madelin a lancé fin novembre un cycle de conférences intitulé "à la découverte de l'économie" qui a lieu toutes les semaines dans le 17ème arrondissement de Paris. Une conférences sur deux est donnée par lui-même et les autres par des intervenants de renom.

Pour aller plus loin :

http://www.wikiberal.org/wiki/Monopole
http://www.wikiberal.org/wiki/Cartel
http://www.wikiberal.org/wiki/Concurr...

Henri Lepage

De Wikiberal
 
Henri Lepage, né le 21 avril 1941, est un économiste français. De tendance minarchiste, avec une réelle ouverture à l'égard de l'anarcho-capitalisme qu'il relaie régulièrement, il est connu pour ses ouvrages Demain le capitalisme et Demain la propriété. Il est l'actuel président de l'Institut Turgot
Diplômé de l'Institut d'Études politiques de Paris, il poursuit des études d'économie à la London School of Economics et à l'université du Colorado. A partir de 1965, il collabore à la revue Entreprise. Au milieu des années 70, il décide d'enquêter sur la nouvelle pensée économique en essor aux États-Unis. De ce travail d'enquête approfondi sortira Demain le capitalisme (1978), dans lequel il évoque autant les travaux de Milton Friedman ou Gary Becker que, brièvement, l'anarcho-capitalisme. Son essai connaît un retentissement qui ne sera pas sans effet sur le regain d'intérêt pour le libéralisme que connaîtra la France au tournant des années 80.

Fort de ce succès, il va rédiger un deuxième essai, plus important encore: Demain le libéralisme (1980), dans lequel il proposera une vulgarisation des nouvelles théories de la concurrence et de la règlementation. Surtout, ce livre va contribuer à faire enfin connaître aux lecteurs francophones Friedrich von Hayek. Mais son maître-ouvrage reste sans aucun doute Pourquoi la propriété (1985), traitant cette question tant d'un point de vue historique que philosophique, juridique que, bien sûr, économique. Lepage y parle aussi bien des risques liés à la participation dans l'entreprise que des vertus du capitalisme pour résoudre les problèmes de pollution ou encore des aspects éthiques du droit de propriété. En 1990, il poursuit sa production intellectuelle dans La Nouvelle Economie industrielle. Henri Lepage analyse les limites et les défauts scientifiques des arguments généralement utilisés pour justifier l'intervention des pouvoirs publics.

Au début des années 1990, il lance avec Alain Madelin l'institut Euro 92, qui constitue une réserve inestimable d'articles portant sur des sujets aussi variés que la monnaie, l'environnement, la santé, ou encore l'histoire des idées libérales. Il collabore aussi à la revue Politique internationale. Certaines des interviews qu'il réalise pour ce support seront reprises dans Vingt économistes face à la crise.
Depuis le début des années 2000, Henri Lepage participe à une nouvelle aventure libérale, celle de l'Institut Turgot. Il en prend la présidence en 2008, remplaçant Guy Millière.

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