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« La transition de l’anarchie économique vers un régime visant délibérément à contrôler et diriger les forces économiques dans l’intérêt de la justice et de la stabilité sociale présentera d’énormes difficultés à la fois techniques et politiques. Je suggère néanmoins que la véritable mission du nouveau libéralisme est de leur trouver une solution ».
John Maynard Keynes, « Suis-je un libéral ? » (1ère éd. 1925), in La Pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002
(souligné par nous).
Ce diagnostic de Keynes sonne étonnamment contemporain [1].
Le
monde occidental sort de trente ans de politique économique
dominée par le néolibéralisme qui ont conduit certes à une plus grande
prospérité mondiale, mais aussi à une crise financière d’une
très grande gravité, parfaite illustration de l’anarchisme
économique que fustige Keynes et qu’il avait expérimenté en première
ligne, avec la dépression de 1929. Mais si la dérégulation des
forces du marché a conduit le capitalisme au bord du précipice,
les modèles alternatifs, communisme et socialisme, ont été, eux,
largement frappés de discrédit depuis la chute du mur de Berlin,
comme ils l’étaient déjà pour Keynes. Comme les gouvernements
sociaux-démocrates actuels, Keynes refusait de voir dans le socialisme
un remède aux maux du laissez faire. Quant au
retour au protectionnisme, qui, rappelons-le, n’était pas un dogme
pour Keynes, même s’il est une tentation, il est un moyen infaillible
de transformer la récession en dépression, puisqu’il
aggrave l’effondrement de la demande mondiale.
Vers quelle théorie se tourner si l’ultralibéralisme comme le
socialisme ont été déconsidérés ? Telle est la question urgente qui se
pose à tous les
gouvernements modérés en 2009. Mais c’était également la question
que se posaient au tournant du XXe siècle les auteurs libéraux
progressistes qui, hostiles aussi bien au libéralisme orthodoxe
de l’École de Manchester [2] qu’au socialisme, ont influencé Keynes. Ce sont ces auteurs, ainsi que leur politique économique et sociale, qui
font l’objet de cette étude de ce qu’on a appelé le New Liberalism en Angleterre. [3]
La naissance du « nouveau » libéralisme au tournant du XXe siècle
D’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées
Le libéralisme connaît des transformations remarquables en
Angleterre au tournant du XXe siècle. Il cesse progressivement d’être la
formation politique dominante
et est évincé après 1922 par le parti socialiste, le Labour Party,
devenant de plus en plus minoritaire et éloigné du pouvoir en raison du
bipartisme qui caractérise la politique
anglaise. Mais il acquiert et développe également, pendant la même
période, une influence intellectuelle et une stature morale sans
commune mesure avec sa représentation politique. Il passe
d’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées, forgeant ce
qu’on a appelé le « nouveau » libéralisme qui s’éloigne considérablement
des positions du libéralisme classique. Son
renouveau intellectuel est animé par des philosophes, des
économistes, des politologues, des sociologues, essayistes ou
universitaires, mais aussi des journalistes, qui sont parfois également
des hommes politiques et qui ont un prestige et une influence
considérables auprès des classes dirigeantes. Ces auteurs se confrontent
aux textes classiques du libéralisme comme aux positions
du parti libéral pour les critiquer et les remanier sous des
angles extrêmement variés, donnant son nouveau visage au libéralisme.
Il faut ajouter que ces auteurs ont eu un rayonnement
international et que des mouvements comparables au New Liberalism ont
existé en France, comme le
« solidarisme » de Charles Renouvier (1815-1903), Alfred Fouillée
(1838-1912), Léon Bourgeois (1851-1925), Charles Gide (1851-1925) et
même Émile Durkheim (1858-1917) [4]. En Italie, le libéralisme classique représenté par le célèbre économiste Vilfredo Pareto [5]
(1848-1923) a suscité les réactions d’intellectuels opposés au fascisme
comme Benedetto Croce (1866-1952),
fondateur du parti libéral italien, l’économiste Luigi Einaudi
(1874-1961) et l’historien du libéralisme, Guido de Ruggiero
(1888-1948), inspirées par le « nouveau » libéralisme et sa
critique du libéralisme économique ou liberismo. Quant au
« socialisme libéral » de Carlo Rosselli (1899-1937) [6], il a
marqué durablement la tradition politique italienne [7]. En Allemagne, Wilhelm Dilthey (1833-1911) et Max Weber (1864-1920) [8]
incarnent les espoirs du libéralisme ainsi que ses échecs et son
incapacité à prendre pied dans un contexte idéologique hostile. Aux
États-Unis, le « progressisme »
américain est l’équivalent du « nouveau » libéralisme et sa
nouvelle éthique démocratique et égalitaire s’exprime dans le magazine The New Republic,
avec son fondateur
Herbert Croly (1869-1930), Walter Lippmann (1889-1974), son
publiciste le plus célèbre, ainsi que le philosophe John Dewey
(1859-1952) qui, tous, puisent leur inspiration dans la philosophie de
William James (1842-1910). Notons que l’un de ses grands
intellectuels, Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), professeur de sciences
politiques à Princeton, fut président des États-Unis de 1913 à
1921.
Le libéralisme en Angleterre (1870-1920)
Quelle est la situation spécifique du libéralisme en Angleterre ?
En 1870, au moment de son apogée, le parti libéral est divisé en deux
courants principaux.
Le premier courant, plus conservateur, est l’hériter des Whigs des
XVIIe et XVIIIe siècles, grands propriétaires terriens alliés à la
bourgeoisie d’affaires pour des raisons tactiques afin de
défendre leurs privilèges contre la dynastie des Stuarts et la
monarchie absolue. Les éléments les plus conservateurs du parti se sont
séparés des libéraux en 1832 sur la question du
libre-échange, mais aussi de la réforme électorale et de
l’élargissement du droit de vote, et rejoignent un nouveau parti qui se
substitue aux Tories, le parti conservateur. Les libéraux
conservateurs qui restent au parti, dont les représentants sont
Richard Cobden, John Bright, et surtout le premier ministre William
Gladstone, sont partisans du libre-échange contre les
conservateurs protectionnistes et impérialistes, dont le leader
est Benjamin Disraeli.
En face d’eux, et en position de plus en plus dominante, les
libéraux réformateurs et « radicaux » influencés par l’utilitarisme se
préoccupent avant
tout d’améliorer le bien-être (welfare) des classes
laborieuses et de lutter contre la pauvreté, en intervenant dans des
secteurs jusque-là réservés à la charité privée. Ils sont
également hostiles à l’impérialisme britannique et au coût des
guerres coloniales. Ces préoccupations les amènent à critiquer les
dogmes du libéralisme économique et à prôner au contraire
l’intervention de l’État dans la vie sociale et économique.
Mais, malgré ces conflits, on peut dire que le consensus libéral
résiste aux crises économiques et sociales beaucoup plus longtemps
qu’ailleurs. Le libéralisme
continue de nourrir une image idéalisée du capitalisme et de son
fonctionnement. Il comprend la nouvelle société qu’il voit se former
sous ses yeux dans les mêmes termes individualistes que
jadis, attribuant le chômage et la misère avant tout à des défauts
de « caractère » ou à la malchance. Incapable de saisir les causes de la crise sociale, il cherche à en
guérir les symptômes : pauvreté, insécurité, chômage. Il n’établit aucun lien entre la pauvreté croissante du prolétariat et le capitalisme.
C’est la montée du socialisme, sous la forme du travaillisme, qui
change la situation et radicalise l’aile réformatrice du parti libéral.
Mais le travaillisme,
qui donne naissance en 1906 au Labour Party, bien loin
d’être influencé par le socialisme révolutionnaire et le marxisme comme
en Europe continentale, a ses sources morales dans le
libéralisme modéré et dans le protestantisme libéral, le
méthodisme en particulier [9].
C’est
seulement en 1918 qu’il cesse d’être un allié politique des
libéraux et qu’il devient un opposant politique du parti libéral, lui
ravissant la première place aux élections en 1922. Entre 1906
et 1911, avec l’aide des travaillistes, les libéraux réformateurs
ont fait voter une législation sociale très avancée : indemnités en cas
d’accident de travail, repas gratuits dans les
écoles, réglementation du travail des enfants, limitation du
travail à 8 heures dans les mines, protection des syndicats dont les
pouvoirs sont accrus, revenu garanti pour toute personne âgée
de plus de soixante-dix ans, début de la démolition des taudis et
amélioration des logements ouvriers. Enfin, le National Insurance Act, voté en 1911, met sur pied le premier système
d’assurance-chômage et maladie. Les prémisses du Welfare State sont donc l’œuvre des libéraux, appuyés par les travaillistes [10].
Mais cette radicalisation conduit, en 1916, à l’éclatement du
parti entre radicaux (comme Lloyd George), modérés (comme Lord Asquith)
et conservateurs, partisans
de l’Empire au moment de la guerre des Boers. Le parti libéral
perd ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la position
dominante qu’il occupait dans la vie politique anglaise, au
profit du parti travailliste.
Les sources intellectuelles du « nouveau » libéralisme
Derrière les transformations du parti libéral, son éclatement et
la naissance du parti travailliste pendant cette période, il faut voir
l’action indirecte, mais
parfois aussi directement politique, d’un nouveau mouvement
intellectuel qu’on a appelé New Liberalism, né dans les
universités d’Oxford ou de Cambridge. Ce mouvement a exercé une
influence très importante sur les élites et les hommes politiques,
mais a su également trouver des journalistes et des écrivains pour
diffuser plus largement ses vues.
L’héritage de John Stuart Mill (1806-1873)
Ce « nouveau » libéralisme a, tout d’abord, ses sources
intellectuelles dans les écrits de John Stuart Mill. Sous l’influence de
Wilhelm von Humboldt
(1767-1835), représentant du libéralisme allemand du Sturm und Drang [11],
Mill a développé une nouvelle conception de l’individu qui doit beaucoup au concept hégélien et humboldtien de Bildung,
terme ambigu qui signifie à la fois la formation de l’individu,
son éducation ou ce que Mill appelle « la culture de soi ». Disons
qu’à la conception abstraite et non historique de l’individu libéral du
XVIIIe siècle, Mill substitue une conception
beaucoup plus riche, évolutive et dynamique de l’individu comme
résultat d’un processus d’individualisation : l’individualité. Dans De la liberté
(1859), le manifeste du
libéralisme moderne, il affirme que l’individualité est un des
éléments essentiels du bien-être et donc une valeur centrale du
libéralisme.
En conséquence, la société a un rôle central à jouer dans la
formation de l’individualité et la nature sociale de l’individu est
affirmée. Mill refuse toute
opposition tranchée entre individu et société. Le but du
libéralisme est d’indiquer « la nature et les limites du pouvoir que la
société peut légitimement exercer sur l’individu […] ce
contrôle extérieur n’étant justifié que pour les actions de chacun
qui touchent à l’intérêt d’autrui ». Indiquer clairement les limites de
l’action de la société sur l’individu permet de
lutter contre les contraintes inacceptables et injustifiées
qu’elle risque d’imposer au développement individuel, contre l’autorité
abusive qu’elle fait peser sur les individus et leur
créativité. Mais le libéralisme ne refuse certainement pas l’idée
que la société ait une influence sur la formation de l’individu et « la
culture (Bildung) de soi ». Le libre
développement de l’individu est un élément essentiel du progrès
social, mais, sans l’aide et la contribution des autres, ce
développement serait impossible.
Liée à cette conception de l’individualité, Mill développe une conception pluraliste
de la société, mais aussi de la connaissance et de l’éthique, là
encore en opposition avec les tendances monistes de l’idéologie
des Lumières. Il insiste sur le fait que la pluralité des opinions est
absolument nécessaire à la découverte de la vérité (De
la liberté, chapitre II) comme à la liberté de l’individu de choisir son propre chemin, la voie de son développement personnel.
Mais c’est surtout en tant qu’homme politique – il est candidat socialiste aux élections de 1868 – et économiste – ses Principes d’économie politique
de
1848 ont un énorme succès parce qu’il y apparaît plus soucieux de
la classe ouvrière qu’aucun économiste avant lui – que Mill inspire
l’évolution du mouvement libéral vers une conscience de
plus en plus aiguë des questions sociales et ce sont surtout ses
derniers écrits sur le socialisme, sur les droits des femmes et sur le
gouvernement représentatif qui constituent les sources du
nouveau paradigme.
Du « nouveau » libéralisme au travaillisme : T.H. Green, L.T. Hobhouse et John
Hobson
Le penseur le plus important du nouveau libéralisme est
certainement le philosophe d’Oxford Thomas Hill Green (1836-1882) [12]
dont l’enseignement a un rayonnement extraordinaire bien après sa mort
sur tout le personnel politique de l’époque, sans oublier sur Keynes
lui-même qui, s’il ne le cite pas,
s’en inspire [13].
Green développe les idées de Mill, mais va beaucoup plus loin que lui
dans la dénonciation de la liberté des contrats et de la liberté
économique, et ses thèses sur la nature
sociale de l’individu sont très proches de celles de Durkheim dont
il est le contemporain [14].
Green est remarquable par sa lecture de Rousseau, qu’il admire, et
des philosophes idéalistes allemands, Kant, Hegel, Humboldt, qu’il
essaye de concilier avec l’héritage libéral anglais et
écossais. Suivant Kant, il rejette l’utilitarisme qui était la
doctrine morale préférée des libéraux et affirme, au contraire, que le
lien social ne résulte ni d’un contrat à la manière de
Locke ni de l’utilité à la manière de Bentham, mais de la
reconnaissance par chacun de la personne de l’autre comme d’une fin en
soi et des intérêts des autres comme constitutifs de l’intérêt
personnel. Il critique ainsi l’individualisme atomiste du XVIIIe
siècle et lui substitue la vision, inspirée de celle de Mill, d’une
individualité qui se développe et se perfectionne grâce à
l’apport constant des autres, fondant ainsi un droit de l’individu
vis-à-vis de la société qui lui doit les moyens de la
réalisation de son potentiel, réalisation essentielle pour le
bien-être et le progrès de tous. Cette idée est notamment reprise
dans le « solidarisme » de Léon Bourgeois et son concept de la « dette
sociale ». À la suite d’Aristote et
de Hegel, Green appelle « bien commun » cette interaction entre
intérêt individuel et intérêt commun et en fait le fondement de la
morale et de l’obligation politiques [15].
Green est à la source de quatre innovations dans le programme libéral. Tout d’abord, il distingue radicalement la liberté négative du « vieux »
libéralisme, celle des droits individuels, et la liberté positive
du « nouveau libéralisme », celle des droits-créances, des moyens
sociaux et économiques que la société
fournit à l’individu pour permettre le développement de ses
potentialités. Il amorce ainsi un débat entre liberté positive et
liberté négative qui devient central dans l’idéologie libérale du
XXe siècle et qui suscite la célèbre défense de la liberté
« négative » par Hayek dans La Constitution de la liberté
(1960). Ensuite, il réaffirme la nature sociale de
l’individu dont le développement est tributaire de l’apport des
autres et de la société. Puis, il fait la critique du libéralisme
économique en soutenant que le marché est une institution
sociale comme une autre qui doit donc être régulée pour
fonctionner à l’avantage de tous et non pas seulement de certains.
Enfin, il soutient la légitimité de l’intervention de l’État et de la
législation dans les domaines de l’éducation, de la santé
publique, de la propriété privée et du droit du travail pour neutraliser
les effets pervers des excès de la liberté
individuelle.
À la suite de Green, Leonard T. Hobhouse (1864-1929) [16]
condamne le libéralisme économique qui conduit à creuser l’écart
entre riches et pauvres et propose un programme sévère de taxation des
profits des entreprises. Il défend le rôle de l’État qui
doit réguler la vie sociale et soutient que les réformes sociales
peuvent être compatibles avec le respect de l’individu. La nouvelle
citoyenneté devrait inclure les droits sociaux et pas
seulement les droits politiques. Il se rapproche ainsi du
travaillisme naissant et de la Fabian Society. Celle-ci, qui existe toujours, a servi de premier think tank
au parti
travailliste et compte parmi ses membres fondateurs Béatrice et
Sidney Webb, George Bernard Shaw et H. G. Wells. Elle défendait
l’intervention de l’État dans la société, grâce à une
bureaucratie efficace et honnête, le collectivisme et la
méritocratie, tout en se considérant comme l’héritière du libéralisme [17].
Le nouveau libéralisme est également l’œuvre d’économistes, pas
seulement de philosophes ou d’essayistes. Ainsi l’harmonie entre
efficacité économique et réformes
sociales est-elle le credo des travaux de l’économiste Alfred
Marshall. Quant à John Hobson, le disciple de Green et Hobhouse et
l’auteur de The Evolution of Modern Capitalism (1894)
et d’Imperialism (1902), il rejoint, comme Hobhouse
lui-même, les rangs du parti travailliste après la Première Guerre
mondiale, quand le courant impérialiste du parti libéral rend
impossible tout effort de réformes sociales.
John Maynard Keynes (1883-1946)
Il est impossible d’évoquer le « nouveau » libéralisme en Angleterre sans évoquer la figure de Keynes [18].
Confondant Keynes et le keynésianisme, on a souvent présenté
Keynes comme antilibéral. En réalité, il est bien l’héritier des idées
du « nouveau » libéralisme. Il s’oppose à une
certaine version du libéralisme, celle, dogmatique et
conservatrice, de l’École de Manchester et du parti libéral au début du
XXe siècle, ou celle des conceptions économiques
« orthodoxes » du Trésor avec lequel il a tellement de conflits,
mais certainement pas au « nouveau » libéralisme dont il est, au
contraire, le continuateur [19].
On peut dire, tout d’abord, que Keynes a parachevé le nouveau
paradigme libéral en donnant à l’État administratif la dernière
justification qui lui manquait
encore : celle de l’expertise économique, et non plus seulement
sociale, comme c’était le cas pour l’État social allemand de Bismarck.
La pauvreté et les problèmes sociaux sont dus, selon
lui, à la mauvaise gouvernance économique, à l’incompétence et à
la mauvaise gestion de l’économie par les gouvernements, à leur
« bêtise », dit-il souvent, se référant à ses
innombrables démêlés avec les responsables du Trésor et avec les
tenants du free market à tout prix, plutôt qu’aux défauts de
caractère des « pauvres ». La nouvelle science
économique doit permettre de résoudre les crises économiques en
changeant les paramètres et en comptant sur l’intervention de l’État
pour les mettre en œuvre, par exemple par une politique de
grands travaux dont l’inspiration se trouve, avant Keynes, chez
les économistes américains institutionnalistes. Keynes complète, plutôt
qu’il ne transforme, le libéralisme pour y faire entrer
des idées nouvelles, celles de risque, d’incertitude,
d’anticipation, de probabilités ainsi que l’importance des phénomènes
macro-économiques. Comme il le fait remarquer, non sans vanité, de
même que la théorie de la relativité d’Einstein intègre comme un
phénomène particulier valable pour des vitesses inférieures à la vitesse
de la lumière les équations de Newton, de même sa
théorie générale intègre les conceptions classiques et
néo-classiques de l’économie libérale comme des cas particuliers.
On peut constater, ensuite, qu’en raison de son pragmatisme – ne
proclame-t-il pas fièrement : « Quand les faits changent, je change
d’avis » –
Keynes évolue par rapport au « nouveau » libéralisme et trouve une
alternative aussi bien au protectionnisme d’une partie de la droite
qu’à la politique interventionniste et
redistributive de la gauche, à savoir la possibilité de réguler
les cycles économiques et les politiques de l’emploi tout en favorisant
la croissance économique. Dans sa conférence de 1924,
publiée en 1926 sous le titre La Fin du Laissez faire [20],
il explique ses positions pragmatiques en faveur de l’intervention de
l’État. Ce texte
aurait pu servir de point de départ au grand débat avec Hayek qui
n’a jamais eu lieu en raison de la mort de Keynes en 1946. Dans un texte
de 1925, « Suis-je un
Libéral ? » [21],
Keynes précise encore davantage sa position à l’égard du « nouveau »
libéralisme. Il part d’une
théorie non marxiste des étapes du développement économique,
proposée par l’économiste américain institutionnaliste J. R. Commons (Institutional Economics, 1934) [22].
Celui-ci distingue trois stades du développement : 1) le stade de la
rareté, 2) le stade de l’abondance et de l’individualisme, 3) le stade
de la stabilisation et de
la régulation, après les grandes crises du capitalisme.
Dans ce dernier stade, la réduction de la liberté individuelle est
liée aux interventions gouvernementales, mais surtout à des
interventions économiques à partir
de l’action concertée secrète ou semi-ouverte, ou d’arbitrage des
associations, corporations, syndicats et autres mouvements collectifs
des patrons du commerce ou de l’industrie, des banques,
mais aussi des syndicats de travailleurs, ouvriers et paysans. À
ce stade, les libertés sont menacées par le fascisme et le bolchévisme.
Le socialisme n’offre pas d’alternative parce qu’il
raisonne comme si l’ère d’abondance existait toujours. L’avenir du
« nouveau » libéralisme est de chercher à résoudre les immenses
difficultés de cette ère de stabilisation, de
contrôle et de régulation des forces économiques en vue de créer
la justice et la stabilité sociale. Quant au parti travailliste, bien
que « stupide » (« silly »,
dit Keynes), il devra être attelé au programme du libéralisme.
Keynes, comme le « nouveau » libéralisme, soutient la compatibilité
entre socialisme et libéralisme. Cependant, il
rejette le socialisme comme remède économique aux maux du laissez
faire parce qu’il défend des politiques économiques inefficaces,
l’interférence avec les libertés individuelles, et qu’il se
veut révolutionnaire, défendant une idéologie de classe et un
anti-élitisme jugé absurde. Il reste le parti libéral, pourtant
clairement incapable de renouvellement en 1925 en raison de ses
divisions internes et de ses échecs électoraux. Les « jeunes
libéraux », comme William Beveridge, ne reviendront au pouvoir qu’après
la guerre, en 1944, avec un programme qui
s’inspire des idées de Keynes. Mais « le parti libéral demeure le
meilleur instrument de progrès – si seulement il avait une direction
forte et un bon programme ».
Dans sa Théorie générale (1936), Keynes développe certes
des conceptions assez différentes de celles du « nouveau » libéralisme.
Il ajoute la
stabilisation macroéconomique au programme libéral d’avant-guerre
et lui donne la priorité. L’instabilité à court terme du capitalisme est
pour lui un danger plus grand que l’injustice à long
terme dans la distribution de la richesse et des revenus. Les plus
grands maux économiques sont le risque, l’incertitude et l’ignorance.
Le rôle de l’État est de les minimiser grâce à sa
politique monétaire et d’investissements en grands travaux,
équipements sociaux, etc. Keynes déplace le problème de la justice
sociale de la microéconomie vers la macroéconomie. L’injustice
devient un problème d’incertitude, la justice une affaire de
prédictibilité contractuelle. Contrairement à ce que l’on pense
généralement, la redistribution joue un rôle mineur dans sa
philosophie sociale, comme une partie de la machinerie de la
stabilisation macroéconomique, certainement pas comme un moyen vers une
fin idéale. Son étatisme et surtout son élitisme le
différencient des « nouveaux » libéraux d’avant-guerre qui
valorisaient la démocratie comme une fin en soi, alors que Keynes
souhaite plutôt un État gestionnaire et technocrate. Il ne
faut pas oublier non plus la différence de style intellectuel
entre le « nouveau » libéralisme d’Oxford, teinté d’hégélianisme, et les
économistes de Cambridge qui ont été les maîtres
de Keynes. À distance des nouveaux libéraux, Keynes en est resté
malgré tout un compagnon de route.
Une nouvelle conception de la liberté et de l’État
De la liberté négative à la liberté positive
La première transformation accomplie par les libéraux réformateurs
concerne la conception de la liberté libérale. Rappelons les termes du
débat.
Pour le libéralisme classique, la liberté était essentiellement
conçue comme le droit à un espace privé inviolable, comme la protection
vis-à-vis des autorités
abusives, que ce soit le pouvoir exercé par autrui, par le groupe
et la société, la coercition de l’État et des lois ou l’autorité des
églises. C’est ce qu’on a appelé la liberté
négative ou défensive. Mais, pour le « nouveau » libéralisme, la liberté est également positive :
c’est le pouvoir d’agir au mieux de ses intérêts ou de ses
valeurs sans en être empêché par quiconque ou par quoi que ce
soit, sauf si l’on nuit à autrui. C’est la conception qui était déjà
défendue par Mill :
« Personne ne soutient que les actions doivent être aussi libres que les opinions […] Les actes de toute nature qui, sans cause justifiable, nuisent à autrui peuvent être contrôlés […] La liberté de l’individu doit être contenue dans cette limite : il ne doit pas nuire à autrui. Et dès qu’il s’abstient d’importuner les autres et qu’il se contente d’agir selon son inclination et son jugement dans ce qui ne concerne que lui […] il doit être libre de mettre son opinion en pratique à ses propres dépens » (De la liberté, 1861, p. 145-146).
T. H. Green reprend et développe cette distinction entre freedom from, liberté à l’égard des contraintes, et freedom to,
liberté active, ou
liberté-puissance. Une telle distinction est cruciale puisque les
obstacles ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour la première,
l’obstacle se situe dans l’autorité arbitraire, politique
ou religieuse et dans la contrainte. Pour la seconde, l’obstacle
est l’absence des moyens d’agir et de réaliser les projets de vie de
l’individu. On peut très bien vivre sous le règne des
institutions de la liberté et souffrir d’un manque de liberté si
l’on ne dispose pas des conditions sociales et économiques nécessaires
au développement de son potentiel : éducation,
santé, logement, salaire décent, etc. Les droits socio-économiques
sont donc aussi importants que les libertés personnelles et politiques
pour la liberté. C’est sur ce point que les débats avec
le « nouveau » libéralisme vont faire rage pendant tout le XXe
siècle. En effet, où se situe dorénavant la différence avec le
socialisme ?
Le libéralisme classique avait toujours considéré que les
institutions politiques (gouvernement représentatif, séparation des
pouvoirs, contrepouvoirs, contrôles
de constitutionnalité, décentralisation, etc.) étaient en première
ligne pour protéger les droits et les libertés des individus. Pour le
socialisme, au contraire, ces institutions ne peuvent
pas jouer pas de rôle effectif puisque ce sont les conditions
socio-économiques qui sont cruciales pour la « vraie » liberté. La
justice sociale est pour le socialisme le seul moyen
de l’épanouissement de l’individu et il ne peut y avoir de liberté
sans les moyens de la liberté pour tous. Le « nouveau » libéralisme
tente de combiner ces deux conceptions. Si l’on
comprend les soi-disant droits « naturels » comme des allocations
sociales et comme des moyens positifs d’agir, des pouvoirs, et non pas
seulement des protections
« passives », comme disait Benjamin Constant, la liberté
individuelle n’est plus menacée par la justice sociale, elle en résulte,
ce qui est un retournement complet des thèses
libérales : « La liberté ne devient pas tant un droit de
l’individu qu’une nécessité de la société » (Hobhouse, Liberalism, 1911).
Une nouvelle conception de l’État
En 1886, Woodrow Wilson, alors jeune professeur de sciences
politiques à Princeton, admirateur de Hegel et de la conception
allemande bismarckienne de l’État
social, publie son livre L’État, qui argumente en faveur
d’un plus grand pouvoir de l’exécutif au sein du gouvernement central.
Ce livre, qui devient rapidement un classique des études
en sciences politiques, marque un changement total dans l’attitude
du libéralisme vis-à-vis de l’État qui, jusque-là, avait été perçu
comme un péril pour les libertés individuelles.
Le livre Liberalism de Leonard T. Hobhouse, publié en
1911, représente en Angleterre la meilleure formulation de cette
nouvelle approche. Il prône le
rôle de l’État pour réguler la vie sociale et mettre en œuvre des
réformes compatibles avec le respect de l’individu, une nouvelle
citoyenneté qui inclut les nouveaux droits sociaux et qui se
fonde sur la croyance dans l’harmonie possible entre liberté
individuelle, efficacité économique et réformes sociales, espoir qui
n’est pas sans éveiller de nombreux échos pour les libéraux
comme les socialistes au début du XXIe siècle…
On peut dater de ce moment la révolution dans la conception de
l’État qui substitue aux contrôles traditionnels des contre-pouvoirs,
des checks and
balances et de la Constitution, le nouvel État administratif,
compétent, efficace et tout entier dévoué au bonheur de tous. Sous
l’influence de ce « nouveau » libéralisme, un
changement de paradigme s’opère et l’on passe de la théorie du
gouvernement limité à celle de l’État au service de la société et du
bonheur des citoyens. L’un des fondements du libéralisme
classique s’écroule alors : la méfiance à l’égard des
interventions de l’État.
Les missions nouvelles de l’État
Pour répondre à des crises, à des injustices d’un type et d’une
ampleur nouveaux, le « nouveau » libéralisme appelle à l’intervention de
l’État dans
l’économie après la crise de 1929 et à accepter son rôle pour
domestiquer les excès du capitalisme et du marché. Le champ d’action de
l’État s’étend maintenant à toutes sortes de domaines qui
étaient en dehors de sa juridiction. La tâche de l’État n’est plus
seulement « négative » – protéger les individus contre les atteintes à
leur liberté –, mais consiste à faire leur
bonheur en stabilisant l’économie et en régulant le marché
mondial.
Sont également acceptées les interventions dans la sphère privée
et la société civile : la famille (politiques démographiques), la santé
et l’éducation, le
chômage, les entreprises et le monde du travail, le syndicalisme,
etc. De menace, l’État devient un vecteur du Bien puisque son rôle est
désormais de satisfaire les besoins de ses citoyens. Le
welfare devient la responsabilité du gouvernement et non
plus de la société civile, des associations privées religieuses ou
laïques de charité et de solidarité.
Des moyens nouveaux : l’État administratif
Cette nouvelle conception de l’État justifie l’existence de
nouveaux moyens d’action pour l’État administratif, c’est-à-dire le
développement d’agences d’experts
non élus pour résoudre les problèmes sociaux et économiques. Elle
justifie l’abandon du principe fondateur, pour Locke et Montesquieu, de
la séparation des pouvoirs puisque le pouvoir
administratif devient de plus en plus autonome, un « quatrième
pouvoir » sans véritable contrôle. Il dépend seulement indirectement de
l’exécutif et il n’est pas responsable devant
les citoyens puisque les parlements n’ont plus aucun droit de
regard dès qu’une agence administrative est créée. C’est ce point qui
est probablement le plus problématique dans le
« nouveau » libéralisme. En effet, comme la séparation des
pouvoirs est un obstacle à l’efficacité des gouvernements dans leur
action sociale, on assiste à l’abandon de la doctrine
libérale de la non-délégation des pouvoirs qui permet l’apparition
d’agences administratives indépendantes (National Health Service en Angleterre, Sécurité Sociale en France,
Security and Exchanges Commission aux États-Unis pour la
régulation des marchés financiers, d’autres agences similaires pour
contrôler les médias, le commerce, la sécurité intérieure).
Il s’agit de pouvoirs non élus et placés sous le contrôle de
l’exécutif, sans que les parlementaires puissent les évaluer, sauf en
cas de crise. L’accroissement de la taille et de l’influence
des bureaucraties d’État non responsables devant les citoyens
s’effectue parallèlement à l’augmentation de la bureaucratie dans les
gigantesques consortiums multinationaux. Comme l’avait déjà
vu Max Weber au début du siècle, la bureaucratie devient la menace
la plus sérieuse à l’égard des libertés individuelles [23].
Pour
cette raison, le libéralisme a été associé aux États-Unis et en
Angleterre au big government et c’est l’un des thèmes sur lesquels,
depuis l’administration Reagan, les républicains ont fait
campagne contre les idées libérales.
Conclusion
« Le fait que le libéralisme accorde une réelle valeur à l’expérience a entraîné une réévaluation continuelle des idées d’individualité et de liberté, lesquelles idées sont étroitement dépendantes des changements affectant les relations sociales » (John Dewey, « The Future of Liberalism », in Later Works, 1935).
Ce qui frappe dans cet épisode du « nouveau » libéralisme, c’est
l’étonnante capacité de réinvention du libéralisme en fonction des
transformations
sociales, point sur lequel Dewey insiste dans cette citation.
L’explication en est certainement que, par rapport aux idéologies
concurrentes, socialisme ou conservatisme, le libéralisme est
beaucoup moins rigide et doctrinal et que sa « tolérance
structurale » et sa « flexibilité diachronique », pour reprendre les
termes des brillantes analyses de Michael
Freeden, sont remarquables. Malgré ces transformations, en effet,
la structure conceptuelle du libéralisme est restée la même. Nous
retrouvons dans le « nouveau » libéralisme tous les
concepts-clés de souveraineté de l’individu, de liberté des
Modernes, de l’État de droit. Mais cette structure a été modifiée parce
que la relation entre ses concepts-clés et ses concepts
adjacents et périphériques s’est transformée. En particulier, ses
concepts adjacents de démocratie, d’égalité, d’État et de bien commun
ont influencé en profondeur ses concepts-clés. En
définitive, ses valeurs de base –liberté individuelle, esprit
d’entreprise, tolérance, refus du système et du dogmatisme, capacité
d’autocritique – inspirent un style, une forme
intellectuelle qui lui sont spécifiques et qui donnent à sa
famille de concepts beaucoup plus de flexibilité et d’ouverture que dans
d’autres idéologies. La maison « libéralisme » a
certainement ses portes et ses fenêtres plus largement ouvertes
sur le monde qu’aucune autre.
En effet, que voudrait dire la doctrine de la liberté si ce projet
était compatible avec le dogmatisme et l’esprit de système généralement
attribués aux
idéologies politiques ? Par définition, le libéralisme ne peut
inspirer des doctrines dogmatiques et sectaires. C’est pourquoi, par
exemple, le néolibéralisme de Milton Friedman, repris
par les gouvernements Thatcher et Reagan, est difficilement
intégrable dans le camp libéral car il bascule très vite dans le
conservatisme par la forme de son argumentation, souvent
sectaire et dogmatique, tout autant que par le contenu de ses
idées. Au contraire, en appliquant la tolérance à la philosophie
elle-même, pour reprendre la formule de John Rawls
(Libéralisme politique, p. 34) le libéralisme
contemporain se manifeste dans des constellations d’idées et de valeurs
qui, si elles contiennent un noyau dur, sont toujours susceptibles
de réorganisations différentes comme celles accomplies par John
Stuart Mill ou tous les auteurs du « nouveau » libéralisme que nous
avons mentionnés.
On pourra certes objecter que l’éclectisme n’est pas une bonne
formule politiquement et qu’intellectuellement c’est en général un signe
de faiblesse. En réalité,
c’est pour une idéologie politique une force qui lui permet de se
rénover, de s’adapter aux circonstances nouvelles de manière remarquable
et de permettre la coopération politique entre des
forces sociales opposées. Mais ce qui est possible pour un courant
intellectuel l’est sans doute beaucoup moins pour un parti politique.
C’est pourquoi le rayonnement du « nouveau »
libéralisme a plus été celui d’un mouvement intellectuel que d’un
programme de parti. Il n’en demeure pas moins que la capacité de
transformation, de réinvention et d’adaptation est inscrite
dans la nature même du libéralisme, dans sa conscience de soi en
tant que doctrine de la liberté humaine en train de s’accomplir.
par Catherine Audard [29-04-2009]
Catherine Audard, ancienne élève de l’ENS (Ulm-Sèvres), professeur
agrégée de philosophie, enseigne la philosophie morale et politique à la
London School of Economics (Department of Philosophy)
depuis 1991. Elle a publié en anglais John Rawls (Acumen Press, Londres, 2006) et en français une Anthologie historique et critique de l’utilitarisme (PUF, 1999), Le
respect (ed. Autrement, 1993), Individu et justice sociale (en collaboration, Le Seuil, 1988) ainsi que des traductions des oeuvres principales de John Rawls, de John Stuart Mill et
de nombreux articles de philosophie politique et morale. _ Son livre le plus récent est Les Enjeux du libéralisme. Éthique. Politique. Société. à paraître chez Gallimard en septembre
2009. Elle prépare une version française de son John Rawls pour les Éditions Grasset.
Notes
[1] Cette présentation est un résumé du chapitre IV
de mon livre, Les Enjeux du libéralisme, à paraître chez Gallimard, septembre 2009.
[2]
L’École de Manchester, représentée par Richard
Cobden, le fondateur en 1839 de la ligue contre les droits sur les
grains (Anti-Corn Laws League) et du parti libéral anglais, est typique
du « vieux » libéralisme qui se concentre
surtout sur la défense du libre-échange, la non-interférence de
l’État dans la vie économique, la diminution des dépenses publiques et
des impôts, la stricte liberté des contrats. Il présente ces
valeurs comme bénéfiques pour toute la société sans pour autant
gagner le soutien de la classe ouvrière, influencée par le mouvement
chartiste puis par le travaillisme.
[3] Sur le New Liberalism, on pourra consulter
Michael Freeden, The New Liberalism, Oxford, Clarendon Press, 1978, Liberalism Divided, Oxford, 1986, et Ideologies and Political Theory, Oxford, 1996 ; le numéro
spécial de la revue Social Philosophy and Policy : Liberalism, Old and New, vol. 24, n°1, hiver 2007 ; James T. Kloppenberg, Uncertain Victory. Social Democracy and
Progressivism in European and American Thought, 1870-1920, Oxford, Oxford University Press, 1986 ; Richard Bellamy, Liberalism and Modern Society, Cambridge, Polity Press,
1992 ; Gilles Dostaler, Keynes et ses combats, Paris, Albin
Michel, 2009 (1ère éd. : 2005), p.198-203 et 218-245 sur les grandes
réformes libérales et Keynes. Sur le socialisme
libéral, voir Serge Audier, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2006, et Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati (dir.), Le Socialisme libéral. Une anthologie, Paris,
Esprit, 2003.
[4] Voir Marie-Claude Blais, La Solidarité.
Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007 et Jean-Fabien Spitz, Le Moment républicain, Paris, Gallimard, 2005.
[5] Si Pareto fut un défenseur du libéralisme
démocratique pendant sa jeunesse, il devint de plus en plus cynique et finit par soutenir la montée du fascisme.
[6] Carlo Rosselli, militant italien antifasciste
réfugié à Paris, mourut assassiné par des miliciens en 1937.
[8] Sur Max Weber et le libéralisme, voir David
Held, Models of Democracy, Cambridge, Polity Press, 1996 (chap. 5) ; James T. Kloppenberg, op.cit. (chap. 8), Richard Bellamy, op.cit. (chap. 4).
[9] Voir, par exemple, Gilles Dostaler, op.
cit., p. 215-216 ; James T. Kloppenberg, op. cit., p. 201-205.
[10] Voir Gilles Dostaler, op. cit., p.
218-221 et James T. Kloppenberg, op. cit., p. 273-274.
L’influence de la législation de Bismarck a certainement marqué cette
législation de même qu’elle joue un rôle dans le
« progressisme » américain de la même période.
[11] Sur Humboldt, voir Louis Dumont,
L’idéologie allemande, Paris, Gallimard, 1991 (chap. 6).
[12]
Le texte le plus représentatif de sa pensée
est « Liberal Legislation and Freedom of Contract », 1880, dont on
trouvera des extraits dans Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati
(dir.), op. cit.
[13] Voir Gilles Dostaler, op. cit., p.
200.
[14] Steven Lukes in Monique Canto-Sperber et
Nadia Urbinati (dir.), op. cit., p. 159-161.
[15] Voir The Principles of Political
Obligation, 1880, publiés en 1895. Sur T. H. Green, voir Michael Freeden op. cit., et James T. Kloppenberg, op. cit. (chap.4), M. Richter, The Politics of
Conscience, Londres, 1964 ; Gilles Dostaler, op. cit., p. 198-201 ; Serge Audier, op. cit., p. 14-15.
[16] La présentation des thèses du
« nouveau libéralisme » par Hobhouse se trouve dans Liberalism (1911). Sur Hobhouse, voir Serge Audier, op. cit., p. 16-22 ; Gilles Dostaler, op. cit.,
p. 199-200 ; James T. Kloppenberg, op. cit., p. 305-311.
[17] Voir Steven Lukes, op. cit., p.
156-157.
[18] Nous suivrons ici la biographie magistrale
de Keynes par Robert Skidelsky, John Maynard Keynes 1883-1946, Londres, MacMillan, 2003, ainsi que Gilles Dostaler, op. cit.
[19] Gilles Dostaler, op. cit., p.
165-245 et surtout p. 198.
[20] The End of Laissez Faire, Londres,
1926, traduction française : Éditions Agone, 1999.
[21] « Am I a Liberal ? » (1925),
traduction français dans : La Pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002.
[22] John R. Commons (1862-1945) a été l’un des
critiques américains les plus sévères du laissez-faire dans les années 1920. Voir Gilles Dostaler, op. cit., p. 186-187.
[23] Voir Richard Bellamy, op. cit.
(sur Max Weber, p. 184-190) et sur les dangers de la bureaucratie étatique comme industrielle pour les idées libérales.
John Maynard Keynes
De Wikiberal
John Maynard Keynes (5 juin 1883 - 21 avril 1946)
était un économiste et un mathématicien britannique, fondateur de la
doctrine économique à laquelle il a laissé son nom, le keynésianisme,
qui encourage l'intervention de l'État pour assurer le plein emploi.
Critiques de Keynes
Les critiques de Keynes et des politiques qu'il a inspirées ont toujours soutenu qu'on n'a nul besoin de mettre en cause la capacité des marchés à ajuster les offres aux demandes pour rendre compte du chômage, que les politiques publiques, qui le subventionnent (Rueff), punissent l'embauche par des taxes, ou interdisent le plein emploi des ressources, notamment en imposant des prix (New Deal) et surtout des salaires minimum, suffisent à l'expliquer. Que dans ces conditions, accroître la demande globale, a fortiori pour les produits finis, n'est qu'un expédient temporaire pour tourner ces contraintes, qui doit faire monter les prix. Ceux, notamment les syndicats, qui veulent imposer des rémunérations incompatibles avec le plein emploi, finiront par s'en apercevoir, et manipuler la demande ne réussira plus à résorber l'offre excédentaire.Les théoriciens des anticipations rationnelles ont démontré que ces politiques ne pouvaient avoir d'effet que si elles réussissaient à tromper les agents économiques sur les effets qu'elles auraient, notamment sur les taux d'intérêt et les salaires réels — et cela indépendamment de leurs conceptions parfois irréalistes de l'incertitude[1].
C'est dans les années 1970 que le problème de la « stagflation » — une inflation croissante sans réduction du chômage, conjonction qu'elle déclarait implicitement impossible — a finalement conduit à remettre en cause l'approche macroéconomique de Keynes — d'où, peut-être, le Prix Nobel d'économie attribué en 1974 aux interprétations de la conjoncture de type autrichien de Friedrich Hayek. Cependant, l'économiste suédois G.Myrdal partagea cette année le prix Nobel avec Hayek, alors même qu'il fût l'un des apôtres de la social-démocratie et un fervent défenseur de l'intervention de l'État en matière économique. Hayek avait entrepris de réfuter spécifiquement la Théorie générale dès sa parution en 1936, mais la guerre, qui devait le rapprocher de Keynes, puis sa mort en 1946, avait interrompu ce projet, dont on peut en trouver les premières ébauches dans Profits, Interest and Investment (1939) et The Pure Theory of Capital (1941) — il offrait aussi comme substitut la Theory of Prices d'Arthur Marget.
Logiquement, c'est-à-dire si l'on écarte les explications circulaires de la hausse des prix du genre « inflation par les coûts » (car ces « coûts » ne sont eux-mêmes rien d'autre que des prix), la stagflation ne peut exister que si la demande est simultanément en excédent ici, et en défaut là ; on ne peut donc en rendre compte que si on sort de la macroéconomie proprement dite, laquelle n'envisage par hypothèse qu'un défaut, ou un excédent global de la demande.
Or, justement, la critique autrichienne de Keynes prétend réfuter l'approche macroéconomique en tant que telle[2] : pour elle, les désajustements entre offres et demandes sont forcément locaux. Ce qui lui permet d'insister sur la réaction à la politique monétaire des prix relatifs des actifs échangés en amont du consommateur, dans la "structure de production", comme éléments essentiels de la conjoncture — à ce titre, la notion d'"inflation des actifs", admise dans les années 1980, est une première prise en compte de cette approche.
Ensuite, ces écarts entre les demandes et les offres ne peuvent être que le produit d'erreurs de prévision : si les gens prévoyaient parfaitement la demande pour leurs services, ils ne se retrouveraient jamais avec une demande plus faible (d'où sous-emploi) ou plus forte (d'où hausse des prix) qu'ils ne l'envisageaient. On retrouve une conclusion des anticipations rationnelles, mais dans une approche qui y ajoute une analyse réaliste des conditions dans lesquelles les gens acquièrent l'information.
En effet, ces erreurs-là, les critiques de la macroéconomie affirment que la politique de conjoncture ne peut que les aggraver, en ajoutant ses propres sources d'incertitude à celles qu'engendrent les choix faits sur les marchés.
- tout d'abord elle ne peut être qu'aveugle, puisque par hypothèse elle ne cherche même pas à identifier ces désajustements spécifiques. Comment en attendre alors qu'elle y distingue en outre, comme elle devrait théoriquement le faire s'agissant d'une « conjoncture », ceux qui ne sont dus qu'à des changements mal prévus des préférences et des techniques, et qu'il n'y aurait en principe jamais lieu de compenser par une manipulation de la demande, a fortiori globale ?
- ensuite, en centralisant les décisions en-dehors des marchés, la politique macroéconomique concentre les erreurs, qui se compenseraient en partie autrement, et les diffuse, pour reprendre l'expression même de Keynes,
« d'une manière que pas un homme sur un million n'est capable de comprendre. »Pour l'analyse autrichienne, donc, les institutions qui affectent la demande globale, notamment le monopole d'émission de la monnaie, sont la cause des crises économiques et financières évitables, et ne peuvent pas y porter remède. Plus généralement, elle affirme que les planificateurs étatiques ne peuvent pas connaître l'information nécessaire à la réalisation de leurs projets par les hommes, mais ne font au contraire que fausser son acquisition parce qu'ils ne subissent pas les conséquences de leurs choix, alors qu'ils privent de leur pouvoir de décision les seuls qui auraient véritablement intérêt à s'informer de façon adéquate, ceux qui les subiront effectivement.
Ces considérations, partagées au-delà de l'École autrichienne — Milton Friedman aussi reconnaît qu'on n'a pas besoin de banque centrale, ont inspiré des politiques, notamment monétaires, qui prétendaient davantage être prévisibles que régler la conjoncture.
Critique libertarienne
La critique libertarienne du keynésianisme ne s'attache pas seulement aux concepts économiques sophistiques (tels que le multiplicateur keynésien, la confusion de l'épargne avec la thésaurisation, la prétention de produire de la richesse à partir de la dépense étatique), ce qui est reproché principalement au keynésianisme est sa justification de l'interventionnisme étatique dans tous les cas de figure, d'où sa qualification par certains de marxism on the rocks. Le keynésianisme est une erreur en économie mais une réussite en politique, car il permet à une classe politique incompétente et corrompue d'envelopper son ignorance et son goût pour la dépense dans de belles théories économiques :- Quelque chose a changé avec la publication de la Théorie générale. Keynes a fourni aux gouvernements du monde des arguments d’apparence scientifique pour accomplir ce qu’ils voulaient accomplir de toute façon. L'intervention du gouvernement a été mieux acceptée à l’échelle mondiale en tant que théorie économique officielle. (Ron Paul, Liberty Defined)
Les résultats pratiques du keynésianisme
- les idées keynésiennes de politique de relance, de dette publique et de taux d'intérêt artificiellement bas existaient bien avant Keynes : elles furent déjà appliquées en Grande-Bretagne en 1815[3], et l'on peut même soutenir qu'en France Calonne, contrôleur général des finances de Louis XVI, en fut un précurseur par ses politiques de "relance" et de "stimulation" de la croissance économique.
- la politique américaine du New Deal (interventionnisme, lancement de travaux publics massifs...), même si elle ne se réfère pas explicitement au keynésianisme (la Théorie générale de Keynes n'est publiée qu'en 1936), tout en partageant beaucoup de ses points de vue, n'a pas sorti les États-Unis, comme on le croit trop souvent, de la Grande Dépression des années 30, qui fera sentir ses effets jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
- le nazisme appliqua trois plans de relance entre 1934 et 1936, avec subvention massive des entreprises, embauche de millions de travailleurs, grands travaux (construction d'autoroutes). Les historiens parlent d'un "New Deal hitlérien". Le résultat fut la quasi-faillite de l’État allemand (avec une dette de 40 milliards de Reichsmarks en 1939) qui précipita l'entrée du pays en guerre.
- au Japon, le résultat des politiques keynésiennes, outre une stagnation économique sans précédent, a été de faire passer la dette publique de 60 % au début des années 1990, à 130 % en 2001, et à environ 200 % de son produit intérieur brut en 2011.
- après la crise financière de 2007-2008 (d'origine étatique pour une très large part), les États (notamment les États-Unis et l'Europe) ont opté pour des "remèdes" keynésiens : injection dans l'économie de centaines de milliards d'argent public, multiplication des plans de relance budgétaire, politiques monétaires très souples, etc., ceci en pure perte, le résultat étant une augmentation sans précédent de leur dette publique.
- 4 Citations
- 5 Citations sur Keynes
- 6 Notes et références
- 7 Publications
- 8 Littérature secondaire
- 9 Voir aussi
- 10 Liens externes
- 10.1 En anglais
-
Marx and Keynes - Paul Mattick (1955)
- Classical economy, whose beginning is usually traced to Adam Smith, found its best expression and also its end in David Ricardo. Ricardo, as Marx wrote, “made the antagonism of class-interest, of wages and profits, of profits and rent, the starting-point of his investigation, naively taking this antagonism for a social law of nature. But by this start the science of bourgeois economy had reached the limits beyond which it could not pass,” for a further critical development could lead only to the recognition of the contradictions and limitations of the capitalist system of production. By doing what could no longer be done by bourgeois economists, Marx felt himself to be the true heir, and the destroyer as well, of bourgeois economy.The further development of economic theory supported Marx’s opinion. Though bourgeois economy was indeed unable to advance, it was able to change its appearance. Classical economics had emphasized production and the system as a whole. Their followers emphasized exchange and individual enterprise. Although there arose no serious doubt that the capitalist system is natural, reasonable, and inalterable, yet the early confidence of bourgeois economy was slowly destroyed by a growing discrepancy between liberal theory and social reality. The increasing economic difficulties which accompanied the accumulation of capital developed an interest in the business cycle, in the factors that make for prosperity, crisis and depression. The neo-classical school, whose best-known proponent was Alfred Marshall, attempted to transform economy into a practical science, that is, to find ways and means to influence market movements and to increase both the profitability of capital and the general social welfare. But the increasing length and violence of depressions soon changed a new optimism into even deeper despair, and the sterility of bourgeois economics led economists once more to embrace the less-embarrassing security of “pure theory” and the silence of the academies.
In the midst of the Great Depression, bourgeois economic theory was suddenly raised from the dead by the “daring” theories of John Maynard Keynes. His main work, The General Theory of Employment, Interest and Money, was hailed as a “revolution” in economic thought and led to the formation of a school of “Keynesian economics.” While persistent “orthodox” economists opposed this new school as “socialistic” or “illusionary,” so-called socialists attempted to blend Marx with Keynes, or rather, to accept Keynes’ theories as the “Marxism” of our time. Marx’s scepticism with regard to the future of bourgeois economy was now said to indicate only his inability or unwillingness to criticize the classicists constructively. Of Keynes it was said that he made real Alfred Marshall’s aspirations for a reformed and improved capitalism. These endeavors, as well as the great popularity of the “Keynesians,” both generally and in academic circles, and also their insistence upon the practical applicability of their economic reasoning and their apparent political influence, make it both advisable and interesting to investigate their claims and to review the work of their deceased master in the light of the actual development and the recognizable trend of present-day society. This invites a comparison of the Keynesian with the Marxian point of view.
II
Until the publication of the General Theory, Keynes was regarded as an economist of the neo-classical school whose marginal language was also his own. Economic categories were decked out in psychological terms, presumably derived from “human nature.” Individual anticipations and disappointments determine economic life and Keynes even spoke of the money-making and money-loving instincts of individuals as the main motive force of the economic machine. He believed that it is a “psychological law” that individuals tend to consume progressively smaller portions of their income as their incomes increase. When aggregate real income increases, consumption increases, too, of course, but not by so much as income. Assuming that all investment ultimately serves consumption needs and that an increase of income increases consumption by less than income, savings will increase faster than investments. With this, aggregate demand declines and the level of employment falls short of the available labor supply. This happens in a “mature” society because of the already existing large stock of capital, which depresses the marginal efficiency or profitability of capital and therewith expectations with respect to future capital yields. And this, in turn, creates a psychological attitude on the part of the wealth-owners to hold their savings in money-form rather than to invest in enterprise promising little or no reward.Economic stagnation and large-scale unemployment was at the center of Keynes’ interest. Traditional economic theory was bound to the imaginary conditions of full employment and to Say’s “law of the market” — to the belief, that is, that “supply creates its own demand.” Like Say, Keynes saw in present and future consumption the goal of all economic activity, but, in distinction to the French economist, he no longer held that supply brings forth sufficient demand to maintain full employment. The refutation of “Say’s law” is hailed as the most important aspect of the Keynesian theory, particularly because it defeats this “law” on its own ground by showing that just because of the “fact” that production serves consumption, supply does not create its own demand.
Almost seventy-five years earlier, Marx had already pointed out that only an accelerated capital expansion allows for an increase of employment, that consumption and “consumption” under conditions of capital production are two different things, and that total production can rise only if it provides a greater share of the total for the owners and controllers of capital. The “dull and comical ‘prince de la science’, J.B. Say,” Marx did not find worth overthrowing, even though “his continental admirers have trumpeted him as the man who had unearthed the treasure of the metaphysical balance of purchase and sales” [1]. For Marx, Say’s law of the market was sheer nonsense in view of the growing disequilibrium between the profit needs of capital expansion and the rationally considered productive requirements of men, between the “social demand” in capitalism and the actual social needs; and he pointed out that capital accumulation implies an industrial reserve army.
III
When Keynes at such late hour, approached Marx’s position, it was not in order to point to an inherent contradiction of capital production but to hail the disparity between employment and investment as a great accomplishment. In his view only “a wealthy community will have to discover much ampler opportunities for investment if the saving propensities of its wealthier members are to be compatible with the employment of its poorer members” [2]. However, short of closing the gap between income and consumption it follows from Keynes’ theory that “each time we assure today’s equilibrium by increasing investments we are aggravating the difficulties of securing equilibrium tomorrow” [3]. For the next future, however, he thought these difficulties surmountable through government policies which diminished “liquidity-preference” and increased “effective demand” by controlled inflation, reduced interest-rates and lowered real wages, thus promoting inducements to invest. If these are not sufficient, the government can increase economic activity by public works and deficit-financing. With full employment the criterion, the effectiveness of various interventions into the market-economy can be tested experimentally. Anything that does not lead to full employment is not enough. Because increased employment by way of “pump-priming” may lead to “secondary employment” in additional branches of production, it was assumed that it will lead to such employment. And if all should fail, there is still the possibility of a direct control of investments by government.It is not necessary to agree with Keynes as to the cause of unemployment to recognize that the policies he suggested to combat it have been the policies of all governments in recent history whether they were aware of his theories or not. They had made their historical debut long before their theoretical expression. All the monetary and fiscal innovations had already been tried: public works, inflation and deficit-financing are as old as government rule and have been employed in many a crisis situation. In modern times, however, they have been regarded as exceptions to the rule, excusable in times of social stress but disastrous as a permanent policy.
IV
For Marx, the inherent contradictions of capital production are not of an “economic” character in the bourgeois sense of the term. He is not concerned with the supply and demand relations of the market but with the effect of the social forces of production upon the capitalist social relations of production, that is, with the results of the increasing productivity of labor upon the production of value and surplus-value. Celebrated as the product of capital itself, bourgeois theory separates growing productivity from its social implications. For Marx, it is the independent variable that determines all the other variables in the system of economic relationships.The special importance of labor and its increasing productivity in Marx’s scheme of reasoning led to his discovery of a definite developmental trend in capital accumulation, which revealed qualitative changes in the wake of quantitative ones. He could show that the capitalist “equilibrium mechanism” must itself change in the course of capital expansion and that it is the latter which determines and modifies the market forces of supply and demand, since market laws have to assert themselves within a larger frame of a developing “disequilibrium” between the social forces of production and the capitalist relations of production.
The increase of productivity, of surplus-value and the accumulation of capital are all one and the same process. It implies a more rapid growth of capital invested in means of production than that invested in labor power. It involves what Marx called a “rising organic composition of capital.” As profits are calculated on the total invested capital, they must show a tendency to decline as that part of the total which alone yields surplus value becomes relatively smaller. Of course, the process also implies an increasing ability to extract more surplus-value, thus nullifying the “tendency” of profits to decline, and constituting the reason for the process itself. Leaving aside all the intricacies of Marx’s exposition, his abstract scheme of capital expansion shows that apart from competition as the driving force of capital expansion in the market reality, the production and accumulation of surplus-value already finds in the two-fold character of capital production — such as exchange and use value — a limiting element, to be overcome only by the continuous expansion and extension of the capitalist mode of production. In order to forestall a falling rate of profit, accumulation must never rest. More and more surplus-value must be extracted and this involves the steady revolutionizing of production and the continuous extension of its markets. As long as accumulation is possible, the capitalist system prospers. If accumulation comes to a halt crisis and depression set in.
Both Marx and Keynes, then, though for different reason, recognize the capitalist dilemma in a declining rate of capital accumulation. Keynes diagnoses its cause as a lack of incentive to invest. Marx, looking behind the lack of incentive, finds the reason for it in the social character of production as a production of capital. Keynes does not regard crisis and depression as necessary aspects of capital formation; they are such only under laissez-faire conditions, and then only in the sense that the economic equilibrium does not include full employment. For Marx, however, a continuous capital accumulation presupposes periods of crises and depression, for the crisis is the only “equilibrium mechanism” which operates in capitalism with regard to its development. It is in the depression period that the capital structure undergoes those necessary changes which restore lost profitability and enable further capital expansion.
V
Marx’s theory of accumulation anticipated Keynes’ criticism of the neo-classical theory through its criticism of classical theory. In its essentials, then, Keynes’ “revolution” consists in a partial re-statement of some of Marx’s arguments against the capitalist economy and its theory. Keynes did not study Marx, and he did not feel the need for doing so because he identified Marx’s theories with those of the classicists. By opposing the classical theory Keynes thought he was opposing Marx as well. In reality, however, he dealt with neither of these theories but with the neo-classical market theory which had no longer any significant connection with the ideas of Smith and Ricardo. Marx’s critique of classical economy, however, resembles Keynes’ criticism of the neo-classicists, although it cuts deeper than Keynes’ because the classicists had been profounder thinkers than their apologetic emulators, and because Marx was not a bourgeois reformer.Although Keynes wished to “knock away the Ricardian foundations of Marxism,” in order to do so, he had first of all to post himself on these very foundations. He accepted the theory of value in the Ricardian sense, in which labor as the sole factor of production includes “the personal services of the enterpreneur and his assistants.” Like Marx he dealt in economic aggregates, but while in Marx’s system the analysis in terms of economic aggregates was to lead to the discovery of the basic trend of capital accumulation and to no more, in the Keynesian system it was to serve the formulation of a policy able to support the trend without doing damage to the capitalist relations of production. Expressed in simplest terms, Keynes’ model represents a closed system divided into two departments of production; one producing consumption goods and the other producing capital goods. The total money expenditure in terms of wage-units (based on the working hour) for both consumption and capital goods constitutes total income. When the aggregate demand, that is, the demand for consumption and capital goods, equals total income and implies that total savings equal investments, the system is supposed to be in equilibrium. A decline of aggregate demand, implying a discrepancy between savings and investments, reduces total income and produces unemployment. In order to alter this situation the aggregate demand must be increased to a point where total income implies full employment.
In Marx’s system of economic aggregates constant capital is the property of the capitalist class, variable capital the social equivalent of labor-power, and surplus-value the accumulation and income source of the ruling class. It is here not a question of “social income” and “social output” and their relation to each other, but a question of the capitalist exploitation of labor power.
VI
Until the second world war, Keynes’ theories enjoyed only small verification. He had a perfect alibi, however — either his suggestions were not carried out or they were too meagerly applied. But with the beginning of war production, Keyness was confident that his theory would be fully confirmed. Now it would be seen “what level of total output accompanied by what level of consumption is needed to bring a free, modern community . . . within the sight of the optimum employment of its resources” [4]. War-time policies, however, were quite independent of Keynesian ideology, being neither different from those employed in the First World War, nor different between various governments, some of which did not adhere to the Keynesian “revolution.” All the innovations associated with the commandeered economy of the second world war, such as a money and credit inflation, price controls, labor controls, priorities, forced savings, rationing and so forth had been current in the first debacle despite the then prevailing “orthodox” approach to economics.If the war economy “proved” the validity of Keynes’ theory, it did so to such a degree that the theory itself had to be put in reverse. Although unsuccessful in increasing the “propensity to consume” during the depression, it was a “brilliant success” in cutting it down during the war. Unable to increase investments up to the point of full employment, it led to labor shortages through the destruction of capital. Although suspended during the war, Keynes’ theories would hold good again with the return to “normalcy.” The war itself only proved to him that technically any economic system could have full employment if it so wished; it fid not occur to him that under present conditions war and preparation for war may be the only way to full employment. It did occur to others; generally, however, the Keynesian spirit is best represented by such adherents of the welfare-state as William Beveridge, who, near the end of the second world war, proposed a full employment program based on the “socialization of demand without the socialization of production” [5]. Built on Keynesian principles and choosing budgetary means for its realization, it was to carry the full employment of war into the conditions of peace.
Fears that large-scale unemployment would return in the wake of the second world war proved to be exaggerated. A clear distinction between war-production and peace-time production no longer existed and no need arose to adopt the Beveridge or any other plan for a fuller utilization of productive resources. Since the inception of the “Keynesian revolution,” then, no real opportunity has arisen to test its practical validity. Yet, government intervention during the depression increased employment to some extent. It may then be said that the theory proved itself in a very general way wherever it was employed, and to the degree in which it was applied. In this sense, however, Keynesianism would be just another name for governmental depression policies, and would exhaust itself in the suggestion that the government should take care of the anticipatory aspects of capital formation wherever private initiative begins to slacken. While production is still production for private gain, its expansion is the government’s responsibility — a logical extension of the credit-system by a shift from private to governmental financial control.
Not only from the Keynesian, but from any realistic point of view, government intervention is now regarded as an inescapable necessity. An increasing amount of “welfare-economics” is advocated by the proponents both of the “welfare-state” and of private enterprise. But even though nobody seems to doubt that government control is here to stay, the question of its character remains controversial. The Keynesians are generally for more government intervention, but as the consistent increase of government regulation and deficit-financing is synonymous with the transformation of the private into a state-capitalism system, it is often opposed as a form of “creeping socialism.” Because Keynesianism may also be regarded as a transitory state towards a completely government-regulated capitalist economy, it has become the theory of social reform within the capitalist system. It stands thus in strictest opposition to Marxism which concerns itself not with social reform but with the abolition of the capitalist system.
Western Socialist, Boston, USA, November-December 1955
1. A Contribution to the Critique of Political economy, Chicago, 1904, p. 123.
2. The General Theory, p. 31.
3. The General Theory, p. 105.
4. J. M. Keynes in The New Republic, July 29, 1940.
5. Full Employment in a Free Society, 1945, p. 29.
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