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Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal démocratique moderne émerge à l'aube du
XVIIIe siècle
d'une nouvelle conception de l'Homme: libre et doué de volonté
autonome, celui-ci n'est plus soumis à la divine
Providence. La liberté est définie comme une faculté inhérente à la
personne humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de
droits naturels, inaliénables et sacrés. Cette
conception, qui ébranle la société d'ordres et de privilèges de
l'Ancien Régime, est solennellement affirmée dans la Déclaration des
droits de l'Homme et du citoyen de 1789, qui proclame que
«les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit».
Une doctrine libérale
Les grands principes d'organisation du pouvoir - fondés sur une définition restrictive du peuple, sur le système représentatif et sur le caractère exclusivement politique de la démocratie - auxquels se référaient les premières démocraties relèvent d'un large courant intellectuel issu de Locke et de Montesquieu.
Les grands principes d'organisation du pouvoir - fondés sur une définition restrictive du peuple, sur le système représentatif et sur le caractère exclusivement politique de la démocratie - auxquels se référaient les premières démocraties relèvent d'un large courant intellectuel issu de Locke et de Montesquieu.
Une démocratie parlementaire
Selon la doctrine de la
démocratie libérale, le peuple souverain ne s'identifie nullement avec
la réalité sociologique de l'ensemble des individus. En
effet, dans le souci de n'accorder des droits politiques qu'à des
individus jouissant d'une autonomie réelle, donc détachés des
contraintes matérielles (tels les propriétaires ou les personnes
payant un impôt) et des liens de dépendance sociale, les pères
fondateurs des institutions américaines comme les révolutionnaires
de 1789 vont prôner le suffrage censitaire. Si en France le
suffrage universel masculin est admis dès 1848, les Etats-Unis n'ont
renoncé qu'en 1964 au système des «poll-taxes», qui maintenait dans
certains Etats un cens électoral. Par
ailleurs, à la notion de «peuple», la doctrine libérale substitue
celle de «nation», conçue comme un être abstrait, indépendant des
contingences économiques et sociales (Sieyès). Erigée en
souverain, la nation ne peut s'exprimer que par l'intermédiaire de
représentants.
Dans le système de
démocratie représentative adopté par les sociétés modernes, les citoyens
n'exercent donc qu'indirectement le pouvoir. Par
l'intermédiaire d'élections aux modalités diverses, ils désignent
ceux qui seront chargés d'exprimer leur volonté. Les rapports entre les
individus et le pouvoir sont ainsi médiatisés. Les
représentants élus déterminent la loi imposée à tous. Dès lors, la
démocratie libérale prend la forme d'une démocratie parlementaire, où
tout un ensemble de mécanismes institutionnels -
séparation des pouvoirs (conformément à la théorie de Montesquieu),
soumission des gouvernants à la loi, élections libres, respect des
droits de l'Homme - protège la société contre l'arbitraire
du pouvoir.
Une démocratie politique
Enfin, l'action du pouvoir
libéral se limite à la sphère politique, qui est nettement dissociée du
champ économique et social. Pour les libéraux, la
démocratie a pour finalité de garantir l'épanouissement des droits
inhérents à la personne humaine: le pouvoir doit assurer par des moyens
légaux le respect des libertés afin que les relations
sociales entre les individus, juridiquement égaux, se développent
librement. Les individus ne doivent compter que sur eux-mêmes pour
réaliser leur destinée. Contrairement à la démocratie
américaine, très attachée dès sa naissance à la vie associative, au
lendemain de l'Ancien Régime, caractérisé par ses corporations et ses
confréries, les groupements et associations sont
interdits en France. Mais les bouleversements socio-économiques du
XIX e siècle infléchiront
considérablement la doctrine de la démocratie libérale.
S'appuyant sur la méthode
expérimentale, Montesquieu définit les lois comme des «rapports
nécessaires qui dérivent de la nature des choses»; elles expliquent
rationnellement les rapports constants de la création divine, de la
physique, de la vie animale, mais aussi des hommes, même si la nature
passionnée, l'ignorance et la liberté humaines conduisent à
leur violation et à la révision des lois morales, politiques et
civiles.
A la différence de Hobbes, Montesquieu croit à une sociabilité naturelle et considère qu'avec les sociétés commence la formation de lois positives, distinctes selon leurs objets: le droit des gens, qui règle les rapports des nations, le droit politique, qui établit les rapports entre gouvernants et gouvernés, et le droit civil, qui organise les rapports entre les citoyens. En énonçant des rapports, les lois inscrivent l'infinité des cas particuliers dans un système rationnel général. Elles sont ainsi relatives au physique d'un pays, à son climat, à ses mœurs, à son économie, à la religion qu'il pratique, aux valeurs, et, surtout, à la nature et au principe de son gouvernement. Cet ensemble de rapports forme l'«esprit des lois», qui doit être en harmonie avec la nature et la liberté humaines.
A la différence de Hobbes, Montesquieu croit à une sociabilité naturelle et considère qu'avec les sociétés commence la formation de lois positives, distinctes selon leurs objets: le droit des gens, qui règle les rapports des nations, le droit politique, qui établit les rapports entre gouvernants et gouvernés, et le droit civil, qui organise les rapports entre les citoyens. En énonçant des rapports, les lois inscrivent l'infinité des cas particuliers dans un système rationnel général. Elles sont ainsi relatives au physique d'un pays, à son climat, à ses mœurs, à son économie, à la religion qu'il pratique, aux valeurs, et, surtout, à la nature et au principe de son gouvernement. Cet ensemble de rapports forme l'«esprit des lois», qui doit être en harmonie avec la nature et la liberté humaines.
Les systèmes de lois
La liberté par la modération
La liberté politique,
relative au rapport entre le citoyen et la Constitution, et la liberté
civile, qui concerne le rapport entre le citoyen et les lois,
forment l'objet essentiel de De l'esprit des lois. Affirmant que
«tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser», Montesquieu tente
de trouver les moyens par lesquels «le pouvoir arrête le
pouvoir» et de garantir par là la liberté des citoyens. La
Constitution de l'Angleterre, établie sur la séparation des pouvoirs,
fournit un modèle de gouvernement modéré dont le but est la
liberté.
La distribution des pouvoirs
Montesquieu distingue le
pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, mais il attache aussi une
importance capitale à la distribution des pouvoirs de l'Etat:
pour éviter qu'une partie de la société ne craigne une autre partie,
chacune d'elles doit disposer au moins d'un pouvoir; d'autre part, il
convient d'établir des liens fonctionnels entre
législatif, exécutif et judiciaire. C'est pourquoi chaque pouvoir
aura une double faculté: celle de statuer et celle d'empêcher. Ainsi,
aucun d'eux ne saurait statuer sans être en même temps
empêché par le contrepoids de l'un des autres. En fait, c'est leur
collaboration qui réalise la sécurité des hommes et qui les protège
contre les abus du pouvoir.
Le libéralisme politique
Mais l'opposition inaugurée
par Montesquieu entre pouvoir et liberté, qui fait de lui l'un des
fondateurs du libéralisme politique, ne se réduit pas à la
séparation des pouvoirs. Dans la lignée de Locke, il considère que
la représentation politique offre «la meilleure espèce de gouvernement
que les hommes aient pu imaginer». Exécutif et législatif
forment deux partis parmi les citoyens libres et jaloux de leur
indépendance. Pour conserver celle-ci, les citoyens équilibrent la
puissance des deux partis. Ainsi placés dans une haine
réciproque impuissante, les pouvoirs se maintiennent sans jamais
nuire à la liberté. Le principe de modération se traduit dans ce modèle,
d'une part, par la distribution des pouvoirs de l'Etat,
d'autre part, par la représentation de citoyens libres. En
recherchant «la tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que
chacun a de sa sûreté», qui définit la liberté politique,
Montesquieu découvre la capacité des lois à garantir la liberté.
La liberté de tous
Dans la conception libérale
du magistrat, la liberté signifie le droit non pas de tout faire mais
«de faire tout ce que les lois permettent; et si un
citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de
liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir».
Inscrite dans la légalité, la liberté se définit négativement,
par l'absence d'empiétement sur les libertés d'autrui. Elle est la
conséquence non pas d'un régime politique spécifique mais de la
modération des gouvernements qui règle la liberté d'indépendance
et les excès du pouvoir. Montesquieu étudie donc avec une attention
particulière les lois pénales et fiscales qui portent sur la situation
du citoyen dans la vie civile et qui permettent au
gouvernement d'assurer la liberté de tous.
L'esprit général d'une nationMontesquieu est autant
un sociologue qu'un penseur politique et un philosophe de l'histoire.
L'écrivain politique attribue une influence déterminante
aux facteurs géographiques sur la mentalité d'une nation et sur
l'esprit des lois. Il inaugure ainsi une théorie des climats et des
terrains, selon laquelle les sociétés humaines varieraient en
fonction de facteurs physiques dont les conséquences doivent être
contrebalancées par les législateurs: les lois ont à lutter contre les
tendances négatives générées par la chaleur ou le froid
asiatiques, mais elles sont appelées à conserver les effets bénéfiques
du climat tempéré. Montesquieu établit ainsi une opposition entre
l'Asie et l'Europe, dont les climats respectifs font de la
première le terrain d'élection de la servitude et de la seconde celui
de la liberté.
Cette hypothèse inédite,
ancrée dans l'esprit des Lumières, selon laquelle les différences
géographiques et le niveau d'exploitation des terres
participeraient au degré de liberté des peuples, à l'évolution de
leurs mœurs et à la formulation des lois civiles, s'inscrit dans une
théorie, plus globale, de «l'esprit général d'une nation»,
que Montesquieu définit tout à la fois par «le climat, la religion,
les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées,
les mœurs, les manières».
L'économie
L'économie est un moyen
fondamental des sociétés pour modérer le pouvoir politique. Ainsi, le
commerce et la monnaie, bannis des sociétés despotiques mais
favorisés par les gouvernements modérés, constituent une forme de
communication entre les nations: ils adoucissent les mœurs et
contribuent à la paix, dans la mesure où ils rapprochent les
peuples en tenant compte de leurs intérêts réciproques.
L'histoire et l'esprit des nations
Montesquieu, pour qui la
grande diversité des lois et de la nature des gouvernements tient à la
variété des faits sociaux qui les déterminent, est un
philosophe de l'histoire, ni fataliste ni relativiste. Dans le
tableau qu'il dresse de l'histoire des peuples, des institutions et des
mœurs, l'ensemble des facteurs qui forment l'esprit général
des nations obéit à une causalité rationnelle, déjà perceptible dans
les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur
décadence. Selon lui, il règne un équilibre entre les
diverses causes: « Quand les unes agissent avec force, les autres leur cèdent d'autant .»
Aussi
reconnaît-il aux hommes la capacité d'infléchir et de corriger
toutes les tendances qui s'écartent du principe des gouvernements
modérés et qui conduisent au despotisme.
Montesquieu
De Wikiberal
Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un
philosophe et magistrat français du siècle des Lumières né le 18
janvier 1689 à la Brède (Gironde), et mort à Paris le 10 février 1755.
Certains ont voulu le réduire, à l'image d'un doctrinaire univoque du libéralisme, mais en fait il fut l'inspirateur le plus lucide avec John Locke des principes d'organisation politique et sociale sur lesquels nos sociétés modernes s'appuient.
« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les
particuliers raisonnent bien ou mal: il suffit qu'ils raisonnent; de là
sort la liberté, qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements ».
Il est le père de la théorie de la séparation des pouvoirs afin d'en neutraliser les abus. Montesquieu voit dans le législatif le pouvoir le plus susceptible d'abuser de son autorité. Toutefois, Montesquieu ne désirait rien d'autre que de voir évoluer la monarchie française vers le modèle britannique, alors que les pères fondateurs de la Révolution française (excepté Mounier) fuyaient au contraire ce modèle gangrené par la corruption.
Fils de Jacques de Secondat, baron de Montesquieu (1654-1713) et de
Marie-Françoise de Pesnel, baronne de la Brède (1665-1696), Montesquieu
naît dans une famille de magistrats, au château de la Brède (près de
Bordeaux) dont il porte d'abord le nom et auquel il sera toujours très
attaché. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain afin qu'il
se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères[1].
Après une scolarité au collège de Juilly et des études de droit, il devient conseiller du parlement de Bordeaux en 1714. En 1715,
il épouse à 26 ans Jeanne de Lartigue, une protestante issue d'une
riche famille et de noblesse récente qui lui apporte une dot importante.
C'est en 1716, à la mort
de son oncle, que Montesquieu hérite d'une vraie fortune, de la charge
de président à mortier du parlement de Bordeaux et de la baronnie de
Montesquieu, dont il prend le nom. Délaissant sa charge dès qu'il le
peut, il s'intéresse au monde et au plaisir.
À cette époque l'Angleterre s'est constituée en monarchie
constitutionnelle à la suite de la Glorieuse Révolution (1688-1689) et
s'est unie à l'Écosse en 1707 pour former la Grande-Bretagne. En 1715,
le Roi Soleil Louis XIV s'éteint après un très long règne et lui
succèdent des monarques plus faibles. Ces transformations nationales
influencent grandement Montesquieu ; il s'y référera souvent.
Il se passionne pour les sciences et mène des expériences
scientifiques (anatomie, botanique, physique...). Il écrit, à ce sujet,
trois communications scientifiques qui donnent la mesure de la diversité
de son talent et de sa curiosité : Les causes de l'écho, Les glandes
rénales et La cause de la pesanteur des corps.
Puis il oriente sa curiosité vers la politique et l'analyse de la
société à travers la littérature et la philosophie. Dans les Lettres
persanes, qu'il publie anonymement (bien que personne ne s'y trompe) en
1721 à Amsterdam, il dépeint admirablement, sur un ton humoristique et
satirique, la société française à travers le regard de visiteurs perses.
Cette œuvre connaît un succès considérable : le côté exotique, parfois
érotique, la veine satirique mais sur un ton spirituel et amusé sur
lesquels joue Montesquieu, plaisent.
En 1726, Montesquieu vend sa charge pour payer ses dettes, tout
en préservant prudemment les droits de ses héritiers sur celle-ci. Après
son élection à l'Académie française (1728), il réalise une série de
longs voyages à travers l'Europe, lors desquels il se rend en Autriche,
en Hongrie, en Italie (1728), en Allemagne (1729), en Hollande et en
Angleterre (1730), où il séjourne plus d'un an. Lors de ces voyages, il
observe attentivement la géographie, l'économie, la politique et les
mœurs des pays qu'il visite. Avant 1735, il avait été initié à la
franc-maçonnerie en Angleterre[2].
De retour au château de la Brède, en 1734, il publie une
réflexion historique intitulée Considérations sur les causes de la
grandeur des Romains et de leur décadence, monument dense, couronnement
de ses années de voyages et il accumule de nombreux documents et
témoignages pour préparer l'œuvre de sa vie, De l'esprit des lois.
D'abord publié anonymement en 1748 grâce à l'aide de Mme de Tencin, le
livre acquiert rapidement une influence majeure alors que Montesquieu
est âgé de 59 ans. Ce maître-livre, qui rencontre un énorme succès,
établit les principes fondamentaux des sciences économiques et sociales
et concentre toute la substance de la pensée libérale. Il est cependant
critiqué, attaqué et montré du doigt, ce qui conduit son auteur à
publier en 1750 la Défense de l'Esprit des lois. L'Église catholique
romaine interdit le livre - de même que de nombreux autres ouvrages de
Montesquieu - en 1751 et l'inscrit à l'Index (La partie religion avait
été écrite au même titre que les autres). Mais à travers l'Europe, et
particulièrement en Grande-Bretagne, De l'esprit des lois est couvert
d'éloges.
Dès la publication de ce monument, Montesquieu est entouré d'un
véritable culte. Il continue de voyager notamment en Hongrie, en
Autriche, en Italie où il demeure un an, au Royaume-Uni où il reste 18
mois. Il poursuit sa vie de notable, mais reste affligé par la perte
presque totale de la vue. Il trouve cependant le moyen de participer à
l'Encyclopédie, que son statut permettra de faire connaître, et entame
la rédaction de l'article Goût : 'il n'aura pas le temps de terminer,
c'est Voltaire qui s'en chargera.
C'est le 10 février 1755 qu'il meurt d'une fièvre inflammatoire.
http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/presentation/ |
Montesquieu possède une édition des œuvres latines de Hobbes (1668, Catalogue, no 1473) et les traductions françaises du De cive par Sorbière (1651, Catalogue, no 2394) et par Du Verdus (1660, no 2393). Nous ignorons s’il a lu ou consulté le Léviathan dans sa version anglaise. Montesquieu fréquente aussi le Droit de la nature et des gens, où Hobbes est très longuement cité, paraphrasé et critiqué par Pufendorf.
Du Traité général des devoirs (1725) à la Défense de l’Esprit des lois (1750), l’attaque est constante contre le « système terrible » de Hobbes (Défense) qui risque de « gâter » le lecteur comme ce fut le cas pour le duc d’Orléans (Spicilège, no 505).
La critique explicite concerne les principes de la morale et du droit
et se maintient sans changements significatifs de 1725 à 1748. Cependant
certains thèmes essentiels de L’Esprit des lois (la différence
entre le gouvernement despotique et le gouvernement monarchique,
l’éloge de la modération politique, l’éclipse de la souveraineté, le
refus de couper les hommes du reste de la nature) ouvrent des nouveaux
fronts avec Hobbes ou tout au moins, puisqu’il n’est plus nommé,
révèlent l’éloignement des deux auteurs.
Lecteur de Pufendorf,
Montesquieu connaît la complexité des thèses de Hobbes sur les lois
naturelles : Hobbes est moins « outré » que Spinoza (Pensées, no 1266 ; transcrit entre 1734 et 1739), il sait que les pactes doivent être observés (Pensées, no 224 ;
antérieur à 1731). Pufendorf jouait de cette complexité pour écarter
les thèses les plus sulfureuses, dissocier Hobbes de Spinoza et le
réintégrer dans la tradition du droit naturel. Ce n’est pas le point de
vue de Montesquieu : « beaucoup moins outré » que Spinoza, Hobbes « est,
par conséquent, beaucoup plus dangereux » (Pensées, no 1266).
Débarrassé de ses complexités, ramené à l’essentiel, Hobbes « me dit
que la justice n’est rien en elle-même, qu’elle n’est autre chose que ce
que les lois des empires ordonnent et défendent » (ibid.). De même, selon la relation par la Bibliothèque française de la communication faite par Montesquieu des premiers chapitres d’un Traité général des devoirs (OC, t. VIII, p. 429-439), « l’auteur, dans les chapitres iv et v,
fait voir que la justice n’est pas dépendante des lois humaines […]
Cette question conduit à la réfutation des principes de Hobbes sur la
morale ». Ce thème est repris dès le premier chapitre de L’Esprit des lois : au lieu de « dire avec Hobes
qu’il n’y a rien de juste ou d’injuste que ce qu’ordonnent les lois
positives […] il faut [...] avouer des rapports d’équité anterieurs à la
loi positive qui les établit » (EL, I, 1 ; OC, t.
III, p. 7). Notons cependant que Montesquieu admet avec Hobbes (sans
expliciter ce point d’accord) que les rapports d’équité sont établis
par les lois positives. Montesquieu a biffé cette première référence à
Hobbes : peut-être sait-il que ce dernier ne se laisse pas si facilement
réduire à ce positivisme sans nuance et que cette manière de le
critiquer est peu originale. Quand Hobbes entre directement en scène au
chapitre qui suit, Montesquieu expose la critique qui lui est propre,
qu’il a formulée bien plus tôt (Pensées, no 1266 ; transcrit entre 1734 et 1739, mais « n’ayant pu entrer dans le Traité des devoirs »,
de 1725) et qui sera ensuite reprise et développée par Rousseau : avant
l’établissement des sociétés, les hommes sont proches de l’animalité,
raisonnables seulement en puissance, poussés par la crainte à se fuir et
ensuite à se regrouper et non à se faire la guerre pour la domination.
Or cette critique est préparée par la distance prise au préalable avec
le rationalisme du droit naturel moderne. Si les bêtes « ont des lois
naturelles, parce qu’elles sont unies par le sentiment » (EL,
I, 1), on ne peut plus, comme Grotius et Pufendorf, réduire la loi
naturelle à la loi de raison propre aux animaux raisonnables. De même
les premières lois naturelles, selon l’ordre temporel, procéderaient
pour les hommes du sentiment et de l’instinct, et non de la raison.
C’est dans ce mouvement où l’actualisation de la raison dépend du
développement de la société que Hobbes se voit reprocher d’attribuer
« aux hommes, avant l’établissement des sociétés, ce qui ne peut leur
arriver qu’après cet établissement […] » (EL, I, 2). On pourra
donc user du concept d’état de guerre (là encore Montesquieu tait ce
qu’il emprunte à Hobbes) si on cesse de le confondre avec l’état de
nature qui devient ainsi le point de départ d’une histoire hypothétique
de l’humanité. L’annihilation fictive de l’État et du droit, que Hobbes
jugeait nécessaire à la démonstration génétique des principes du droit
politique, est ainsi historicisée comme c’était déjà le cas chez Locke
ou Pufendorf et comme cela le sera encore plus chez Rousseau.
L’état de guerre entraîne
le droit à la défense naturelle. Grotius et Pufendorf condamnent
l’attaque préventive, sauf si on a la certitude que l’autre a le pouvoir
et la volonté de vous attaquer (Droit de la guerre et de la paix, II, 22, § 5). Selon un texte qui n’a pu entrer dans le Traité général des devoirs
et qui est consacré à la conception hobbésienne du droit naturel, « il
est faux que la défense entraîne nécessairement la nécessité
d’attaquer » (Pensées, no 1266).
C’est une position encore proche de celle de Grotius. En 1748, Hobbes
n’est plus cité et l’accent est différent : l’état de guerre qui
subsiste entre les États (et non au sein de chacun d’eux) fait que « le
droit de défense naturelle entraîne quelquefois la nécessité
d’attaquer » (EL, X, 2). La référence grotienne à une intention
avérée de nuire ou d’attaquer disparaît : il suffit que l’attaque soit
le seul moyen d’empêcher l’autre de vous détruire.
Avant 1731, et la critique
est de nouveau peu originale, Hobbes, selon Montesquieu, « a oublié son
principe du droit naturel », l’obligation de respecter les pactes, en
affirmant « que, le peuple ayant autorisé le prince, les actions du
prince sont les actions du peuple, et, par conséquent, le peuple ne peut
pas se plaindre du prince, ni lui demander aucun compte de ses actions,
parce que le peuple ne peut se plaindre du peuple » (Pensées, no 224). C’est amalgamer des arguments de 1642 et de 1651, l’idée que, dans une monarchie, « le roi est le peuple » (De cive, chap. xii,
§ 8) et l’argument selon lequel « celui qui se plaint d’un tort commis
par le souverain se plaint de ce dont il est lui-même l’auteur » (Léviathan, chap. xviii) : dans l’argument reconstitué, c’est le peuple et non, comme dans le Léviathan,
chaque particulier qui autorise le prince. Comme d’autres avant lui (et
en particulier Pufendorf), Montesquieu refuse de placer le souverain à
l’extérieur de la convention qui l’établit : le prince a un pacte à
honorer. De même le fait que le prince représente le peuple, qu’il soit
son délégué – Hobbes parle bien d’un trust, d’une mission de
confiance qui lui est confiée – est retourné contre l’absolutisme,
l’idée d’une autorisation sans limites. Ce texte n’est pas repris dans L’Esprit des lois :
Montesquieu préfère critiquer l’absolutisme sur un autre terrain, en
développant positivement la théorie politique qui lui est propre :
éclipse de la souveraineté au profit du gouvernement (voir l’article
« Souveraineté » du présent dictionnaire), distinction de la monarchie
et du gouvernement despotique (ce qui revient à l’évidence à s’opposer à
la manière dont Hobbes récuse la distinction entre royauté et tyrannie
et, plus généralement, la distinction aristotélicienne du politique et
du despotique).
Au-delà de la morale, des
principes du droit et de la politique, il y a des raisons philosophiques
qui expliquent que Hobbes, beaucoup plus que Spinoza, soit un
adversaire : son artificialisme, son volontarisme exagéré, sa manière de
séparer (brutalement selon Montesquieu) l’homme du reste de la nature.
Comme pour préparer la critique de Hobbes qui suit immédiatement,
Montesquieu déclare dans un passage biffé du manuscrit de L’Esprit des lois que « c’est surtout chez eux [les animaux] qu’il faut aller chercher le droit naturel » (I, 2 ; OC,
t. III, p. 8) ; « Hobbes dit que la curiosité est particulière à
l’homme ; en quoi il se trompe, chaque animal l’ayant dans la sphère de
ses connaissances » (Pensées, no 288).
Il ne s’agit pas d’une divergence mineure : la curiosité est pour
Hobbes ce qui manifeste la spécificité de l’animal humain, l’arrachement
au présent qui détermine sans cesse de nouveaux désirs, ce que
Montesquieu refuse de manière d’autant plus significative qu’il emprunte
à Hobbes (peut-être par Locke interposé) l’idée que le comble de la
félicité consiste à « former toujours de nouveaux désirs et les
satisfaire à mesure qu’on les forme » (Pensées, no 69).
Terrel Jean , « Hobbes, Thomas »,
dans
Dictionnaire Montesquieu [en ligne], sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, ENS de Lyon,
septembre 2013.
URL : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1377671021/fr
Bibliographie
Simone Goyard-Fabre, « Montesquieu adversaire de Hobbes », Paris, Minard, 1981, « Archives des Lettres modernes », 72 pages.
Benoît Le Roux, « Hobbes et Montesquieu », Analyses et réflexions sur Montesquieu De L’Esprit des lois, Paris, Ellipses, 1987, p. 162-168.
Annamaria Loche, « Le ragioni di una polemica : Montesquieu e Hobbes », Oxford, Voltaire Foundation, SVEC 190 (1980), p. 334-343.
Si Hobbes avait été juriste, il aurait su qu' un contrat, stipule toujours un consentement à un ou plusieurs objet DEFINITS (un de voir de faire, de ne pas faire ou de payer, à un moment précis).
RépondreSupprimerLe "pacte" avec le prince est un mythe, il n'y a rien de tel. On est dans le pouvoir politique absolut et rien d'autre.