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Loi de la majorité et droits de la minorité
À première vue, les principes de 'loi de la majorité' et de 'protection des droits des individus et de la minorité' peuvent sembler contradictoires. En fait, ce sont les deux piliers sur lesquels repose le mode de gouvernement démocratique.
La loi de la majorité est un moyen d'organiser la vie publique et de faire les choix qu'elle suppose ; ce n'est en rien une forme d'oppression. Aucun groupe autoproclamé n'a le droit d'opprimer les autres et aucune majorité, même dans une démocratie, n'est fondée à supprimer les libertés et les droits fondamentaux de la minorité ou des individus.
Qu'elles reposent sur des questions ethniques, religieuses ou géographiques, ou qu'elles résultent d'inégalités de revenu, ou qu'elles viennent seulement d'une défaite à des élections ou dans un débat d'idées et de programmes politiques, les minorités jouissent des droits de l'homme fondamentaux garantis par la loi, dont aucun gouvernement, aucune majorité, élue ou non, ne saurait les priver.
Les minorités doivent avoir la certitude que les pouvoirs publics protégeront, quoi qu'il arrive, leurs droits et leur identité. Lorsqu'elles ont cette confiance fondamentale, elles se sentent libres de participer aux institutions démocratiques de leur pays et d'apporter leur contribution.
Les droits de l'homme fondamentaux que tout gouvernement démocratique doit protéger sont notamment la liberté de parole et d'expression, la liberté de religion et de croyance, le respect de l'État de droit, c'est-à-dire l'application de la loi selon les procédures prévues, une égale protection de tous par la loi et la liberté de chacun de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir une opinion différente et de participer pleinement à la vie publique de la société.
Les démocraties savent que la protection du droit des minorités à conserver leur identité culturelle et leurs pratiques sociales et à jouir de la liberté de conscience et de pratique religieuse est un de leurs premiers devoirs.
L'acceptation et le respect de groupes ethniques et culturels pouvant sembler étranges voire étrangers à la majorité constituent l'une des plus grandes difficultés auxquelles est confronté tout gouvernement démocratique. Mais les démocraties savent que la diversité d'une population peut constituer un formidable atout. Elles considèrent donc ces différences d'identité, de culture et de valeurs comme un défi susceptible de les renforcer et de les enrichir et non comme une menace.
Il y a de multiples façons de résoudre le problème posé par les différences d'opinions et de valeurs des minorités, mais une chose est sûre : seuls le principe démocratique de tolérance, la pratique du débat et l'acceptation de compromis peuvent permettre aux sociétés de forger des ententes reposant sur les deux piliers que sont la loi de la majorité et les droits de la minorité.
Tolérance
De Wikiberal
La tolérance, du latin tolerare
(soutenir, supporter), définit le degré d'acceptation face à un élément
contraire à une règle morale, civile ou physique. Plus généralement,
elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec
laquelle il n'est pas en accord. Et par extension, l'attitude d'un
individu face à ce qui est différent de ses valeurs.
La notion de tolérance s'applique à de nombreux domaines :
- la tolérance sociale : attitude d'une personne ou d'un groupe social devant ce qui est différent de ses valeurs morales ou ses normes,
- la tolérance civile : écart entre les lois et leurs applications et l'impunité,
- la tolérance selon Locke : « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer »,
- la tolérance religieuse : attitude devant des confessions de foi différentes.
La tolérance comme moyen libéral dans la recherche de la vérité
Cette attitude a constitué l'apport libéral en vue de résoudre les crises issues des guerres de religion. Plusieurs auteurs, de Grotius à Pierre Bayle,
ont développé la thèse suivant laquelle des individus de confessions
différentes pouvaient coexister sans heurts tout en conservant leur foi
propre. A noter que cette thèse était généralement admise en Orient
depuis fort longtemps : ainsi l'édit n° XII du roi Asoka (273 av. J.-C. -
232 av. J.-C.) affirmait : « On ne devrait pas honorer seulement sa
propre religion et condamner les religions des autres sans motif
valable ; ce faisant, on fait du tort autant à sa propre religion qu'à
celle des autres. Le contact entre les religions est une bonne chose ».
XVIIe siècle
Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, tourmentée par les conflits religieux et politiques, les Levellers ont également défendu la liberté de croyance et de culte. Pour l'un d'eux en particulier, William Walwyn, auteur notamment d'un libelle intitulé Toleration justified and Persecution condemned (1646), l'État ne peut contraindre quiconque à suivre la religion
majoritaire. Se fondant sur saint Paul, pour lequel tout ce qui ne
vient pas de la foi est péché, il estime qu'obliger un individu à
adhérer à une foi à laquelle il ne croit pas revient à le transformer en
menteur et en hypocrite, donc en pécheur. En outre, la persécution
religieuse est vaine, car seuls les arguments rationnels, et non la
force coercitive, sont aptes à convaincre autrui de la vérité. A ceux
qui avancent que la diversité religieuse engendre le chaos, Walwyn
réplique que c'est bien plutôt l'uniformité forcée qui crée le désordre.
Cet argument sera utilisé à la même époque par certains sociniens
(disciples de Lelio et Fausto Sozzini, rejetant la Trinité, et en
particulier la nature divine du Christ). Mais, surtout, usant d'un
argument anticipant ceux de Hayek
en d'autres domaines, Walwyn insiste sur la faillibilité humaine. Si
bien qu'il est téméraire et présomptueux d'oser obliger des individus à
adhérer à une foi qui, au final, peut se révéler être dans l'erreur ! Le
"Niveleur" conclut que, derrière la défense de la persécution, se cache
moins la quête de la vérité qu'une volonté de puissance politique.
Pour John Locke,
la tolérance se justifie sur deux plans: en premier lieu, le magistrat
civil n'est habilité qu'à s'occuper de protéger la vie, la liberté et propriété,
il ne lui revient donc pas de gouverner les âmes. Ensuite, du point de
vue même de la foi, le salut ne peut advenir qu'à ceux qui embrassent
sincèrement la foi. Il est donc immoral et contraire aux préceptes
chrétiens de contraindre quiconque à observer la religion du prince.
Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il détaille son argumentation de la façon suivante :
«[...]Ce qu'il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c'est qu'en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu'il ordonne de suivre soit le plus conforme à l'Évangile, malgré tout cela, si je n'en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n'en est pas plus assuré. Je n'arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. (...) Quelques doutes que l'on puisse avoir sur les différentes religions qu'il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être ni véritable ni profitable pour moi. C'est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes: si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l'embrasseront d'eux-mêmes; et s'ils ne la croient pas telle, ils ont beau s'y joindre, leur perte n'en est pas moins assurée. En un mot, quelque zèle que l'on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux; et, après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. »
— John Locke, Lettre sur la tolérance
Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance.
C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait,
ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la
transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques,
telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur voeu
d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).
Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :
«Ceux qui nient l'existence de Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir parole; et que, si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale. »
— John Locke, Lettre sur la tolérance
XVIIIe siècle
A la suite de Locke, face aux excès de l’État et de l’Église, la
tolérance est une revendication essentielle des philosophes et
encyclopédistes du XVIIIe siècle et des Lumières françaises. Voltaire notamment publie en 1763 son Traité sur la tolérance.
XIXe siècle
Au XIXe siècle, un catholique libéral comme Charles de Montalembert
a développé l'idée suivant laquelle il fallait distinguer dogmatisme
théorique et tolérance civile, car ils ne se situent pas sur le même
plan. Du reste, celle-ci ne contredit pas celui-là, dans la mesure où
être tolérant ne consiste pas à croire que chacun détient sa part de
vérité (ce qui supposerait que la vérité objective n'existe pas), mais à
comprendre que la recherche de la vérité ne peut se dérouler
pacifiquement que si l'on laisse les adeptes d'obédiences diverses
pratiquer librement leur culte. Combattre l'erreur par la force, c'est
courir le risque de réprimer également la vérité. En voulant vaincre par
le glaive politique de fausses doctrines, on détruit aussi ce que le
libéral catholique nomme la "liberté du bien". Il justifie ainsi sa
position :
« Demander la liberté pour les autres en la demandant pour soi, ce n'est pas accorder des droits à "l'erreur", car là n'est pas la question; c'est admettre "les exigences inévitables et invincibles de ses adversaires; mais demander la liberté pour soi, en déclarant qu'on s'en servira pour la refuser aux autres, c'est perdre d'avance sa cause et la perdre en la déshonorant. »
Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de
nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus
intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la
liberté :
« Les libéraux portent en ce moment, dans toute l'Europe, la peine d'avoir combattu ou méprisé la religion, d'avoir cru qu'ils pouvaient se passer de force spirituelle, et ne tenir aucun compte de l'ordre surnaturel. Les catholiques commettraient à leur tour une faute, qu'un prompt châtiment viendrait atteindre, s'ils voulaient abandonner la liberté. »
Dans le même ordre d'idées, peu de temps avant Montalembert, Benjamin Constant, protestant pour sa part, estimait que l'athéisme était tellement indigent qu'il s'éteindrait de lui-même si la liberté
de croyance était réellement respectée. Sa grande idée est que le seul
moyen d'affaiblir une opinion erronée est d'établir son libre examen, et
non de la censurer. Pour lui :
« L'intolérance en plaçant la force du côté de la foi a placé le courage du côté du doute. »
— Benjamin Constant, Principes de politique
Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des
croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de
la vérité.
XXe et XXIe siècles
Pour les libéraux, la tolérance ne signifie donc nullement
approbation de ce qu'autrui croit ou affirme, mais prône seulement la
résolution pacifique et rationnelle des querelles doctrinales et
morales. La tolérance se situe, par conséquent, aux antipodes du nihilisme ou du relativisme.
On notera que l'organisation de nos social-démocraties
se situe à l'exact opposé de ce point de vue, puisque la multiplicité
des modes de vie et de pensée y est présentée comme une source
potentielle de conflits, devant être canalisée par un contrôle permanent
de l'État (pensons à la laïcité obligatoire en France, à l'intervention des pouvoirs
publics dans les programmes d'enseignement scientifique, etc.) D'une
certaine manière, la social-démocratie a repris à son compte la célèbre
formule datant de la paix d'Augsbourg (1555) et que Louis XIV s'appropriera avec la Révocation de l'Edit de Nantes (1685): Cujus regio, ejus religio (en clair : la religion du prince dicte celle du pays) de sorte que, l'État souverain étant aujourd'hui « laïque », tels doivent être les citoyens en s'abstenant d'exprimer publiquement leur foi. La liberté religieuse, combat libéral contre l'absolutisme politique, est donc loin d'être acquise de nos jours.
Les libéraux contestent donc ce que Ron Paul appelle « un
interventionnisme social influencé par l’intolérance des habitudes et
des modes de vie différents », qu'il s'agisse de paternalisme d'état ou de l'imposition d'une morale particulière ou d'un modus vivendi particulier :
« Pour beaucoup de gens, l’idée erronée que la tolérance revient à approuver certaines activités les motive à demander à incorporer dans la législation des normes morales qui ne devraient être du ressort que des individus eux-mêmes, effectuant leurs propres choix. »
— Ron Paul, Discours d’adieu au Congrès, 14 novembre 2012
La Tolérance : limitation de la souveraineté étatique
A ce titre, Émile Faguet notait dans son Libéralisme (1902) que l'État (français en particulier) n'avait jamais aimé la religion, car il l'avait toujours perçue comme un gouvernement des âmes susceptible de le concurrencer et de le déstabiliser.
« Rien ne limite l'État comme une Église car il est incontestable qu'elle limite le gouvernement lui-même, puisqu'elle partage avec lui. »
C'est pourquoi, au final, la liberté religieuse
est toujours la plus menacée, explique Faguet. Elle l'a été sous les
Romains comme sous la monarchie anglaise ou française. Et d'ajouter :
« L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer que comme religion véritable. Tâchons cependant de ne point exagérer, mais disons que l'État a quelque tendance à ne pas aimer beaucoup même la morale. »
Libre arbitre
De Wikiberal
Le libre arbitre décrit la propriété qu’aurait la volonté humaine de se déterminer librement — voire arbitrairement — à agir et à penser, par opposition au déterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qui l’y nécessitent. Se déterminer à ou être déterminé par : tel est tout l’enjeu de l’antinomie du destin et du libre arbitre.
L’origine augustinienne du concept
L’expression française de « libre arbitre » rend insuffisamment compte du lien indissoluble qui l’unit à la notion de volonté, lien apparaissant clairement dans les expressions anglaise (Free will) et allemande (Willensfreiheit), qui présentent cependant le désavantage de dissoudre la notion d’arbitre ou de choix essentielle au concept. « Libre arbitre » (liberum arbitrium en latin) est la contraction de l’expression technique : « libre arbitre de la volonté ». De ce concept
forgé par la théologie patristique latine, il n’est pas exagéré
d’écrire qu’il fut inventé pour disculper Dieu de la responsabilité du
mal en l’imputant à sa créature. Ceci apparaît avec clarté dans le
traité De libero arbitrio d’Augustin d'Hippone, fondé sur le dialogue d’Evodius et d’Augustin. Evodius pose le problème en des termes abrupts : « Dieu n’est-il pas l’auteur du mal ? ». Si le péché est l'œuvre des âmes et que celles-ci sont créées par Dieu, comment Dieu n’en serait-il pas, in fine, l’auteur ? Augustin répond sans équivoque que « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».
Grâce au libre arbitre, Dieu reste impeccable : sa bonté ne
saurait être tenue pour responsable d’aucun mal moral. Mais n’est-ce pas
déplacer le problème sans le résoudre ? Pourquoi Dieu nous a-t-il
conféré la capacité de pécher :
d’où vient que nous agissons mal ? Si je ne me trompe, l’argumentation a montré que nous agissons ainsi par le libre arbitre de la volonté. Mais ce libre arbitre auquel nous devons notre faculté de pécher, nous en sommes convaincus, je me demande si celui qui nous a créés a bien fait de nous le donner. Il semble, en effet, que nous n’aurions pas été exposés à pécher si nous en avions été privés ; et il est à craindre que, de cette façon, Dieu aussi passe pour l’auteur de nos mauvaises actions (De libero arbitrio, I, 16, 35).
La réponse d’Augustin est que la volonté est un bien, dont l’homme
peut abuser certes, mais qui fait la dignité de l’homme. Qui voudrait ne
pas posséder de mains sous prétexte que celle-ci servent parfois à
commettre des crimes ? Or, cela est plus vrai encore du libre arbitre :
si on peut vivre moralement en étant privé de l’usage de ses bras, on ne
saurait jamais accéder à la dignité de la vie morale sans libre
arbitre :
la volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner(ibid., II, 18, 48).
Mais le paradoxe d’Augustin, qui fait aussi sa richesse et qui explique pourquoi il a pu inspirer, au sein du christianisme, des théologies tellement divergentes, tient à la diversité de ses adversaires. S’il affirme, dans le traité De libero arbitrio, l’existence du libre arbitre contre les manichéens qui attribuaient au divin la responsabilité du mal, il tend, contre les Pélagiens, à en minimiser le rôle dans l'œuvre du salut, sous prétexte que l’homme a, par le péché originel, perdu l’usage de cette faculté : « amissa libertas, nulla libertas » (« liberté perdue, liberté nulle »). Seule la grâce, gratuitement octroyée par Dieu, peut accomplir l'œuvre du salut. Gardons en mémoire cette position paradoxale, qui fait que les Réformateurs et les catholiques pourront, sans contradiction, se revendiquer d’Augustin dans les controverses au sujet du rôle respectif de la grâce et du libre arbitre dans l'œuvre du salut.
L’élaboration scolastique
La scolastique a considérablement élaboré ce concept inventé par Augustin, en s’appuyant sur Aristote.
Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n’ayant pas la notion de volonté
mais plutôt celle d’acte volontaire, étudiée au troisième livre de l’Éthique à Nicomaque.
Dans ce livre, Aristote définit le volontaire par l’union de deux facultés : la spontanéité du désir
(agir par soi-même), dont le contraire est la contrainte, et
l’intentionnalité de la connaissance (agir en connaissance de cause),
dont le contraire est l’ignorance. Ainsi, j’agis volontairement quand :
- a/ j’agis spontanément (je trouve le principe de mes actes à l’intérieur de moi-même, contrairement à l’individu qui est emmené pieds et poings liés par des ravisseurs), et
- b/ j’agis en sachant ce que je fais (contrairement à celui qui administre à un patient un poison en croyant sincèrement lui administrer un remède, parce que le pharmacien a interverti les étiquettes).
Le volontaire suppose ainsi l’union de la spontanéité et de l’intentionnalité ; il est la condition de la responsabilité
morale de l’individu (je ne saurais être tenu pour responsable du fait
d’avoir quitté mon pays quand j’ai été enlevé par des agresseurs
auxquels il m’était matériellement impossible d’échapper, ou quand j’ai
franchi par mégarde une frontière
qui n’était pas clairement signalée, en ayant eu l’intention de rester
sur le territoire national). Ces analyses aristotéliciennes ont été
fondamentales pour l’élaboration scolastique du concept de libre
arbitre. Les théologiens chrétiens retiendront d’Aristote la notion de
libre comme associant la volonté (spontanéité) et la raison (intentionnalité), et comme fondant la responsabilité de l’individu devant les lois morales, pénales et divines.
La scolastique définit traditionnellement le liberum arbitrium comme « facultas voluntatis et rationis » (faculté de la volonté et la raison : cf. Thomas d'Aquin, Somme théologique,
I, q. 82, a.2, obj. 2). Cette expression est exacte si elle désigne la
collaboration de ces deux facultés dans la genèse de l’acte libre, mais
erronée en un sens plus technique. À proprement parler, le libre arbitre
est une puissance de la volonté (ibid., q. 83, a. 3) ; mieux,
elle est la volonté elle-même en tant que la volonté opère des choix. Le
libre arbitre, en son essence, n’est autre que la volonté dans la libre
disposition d’elle-même ; vouloir, c’est décider librement, et c’est
donc être libre. L’acte libre répond au schéma suivant : la volonté
éprouve le désir d’un bien (appétition), qui constitue la fin de l’action ;
elle sollicite la raison à délibérer sur les moyens de parvenir à ce
bien (délibération), mais c’est à elle qu’appartient de choisir le moyen
qui lui semble le plus approprié (electio en latin, qui signifie
choix) pour parvenir à cette fin, de mouvoir le corps pour mettre en
œuvre ces moyens (l’action à proprement parler), et de jouir du bien
obtenu (fruition).
C’est donc la volonté qui joue le rôle moteur et elle ne parviendrait à
rien sans le concours de la raison. Dans ce schéma de l’action, le
libre arbitre se manifeste tout particulièrement dans le choix, que
Thomas d’Aquin définissait comme l'« actus proprius » (l’acte éminent ou l’acte propre) du liberum arbitrium.
Thomas d’Aquin entend prouver la réalité du libre arbitre par deux moyens.
- Le premier est la preuve morale, corrélat de l’argument moral anti-fataliste (voir l’article fatalisme). L’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes ; or, ceci serait impossible s’il n’était pas doué de liberté. La doctrine qui nie le libre arbitre est foncièrement immorale en tant qu’elle détruit le principe même de la responsabilité.
L’homme possède le libre arbitre ; ou alors les conseils, les exhorations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains(Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 1, rép.).
- Le second argument thomiste en faveur du libre arbitre est l’étude de l’action humaine, qui se distingue des mouvements physiques (la pierre tombe nécessairement vers le bas) et des actions animales (les animaux agissent d’après un jugement instinctif, qui n’est pas libre : l’instinct de la brebis la pousse nécessairement à suivre le loup). Seul l’homme agit d’après un jugement libre, qui « n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison (...) En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison » (ibidem). Choisir, c’est toujours se déterminer, par l’intelligence, entre deux ou plusieurs possibles : c’est donc être libre.
Critiques
Le concept de libre arbitre a fait l’objet de deux critiques, l’une
théologique (attribuer à l’homme un libre arbitre, n’est-ce pas nier le
rôle de la grâce divine dans l'œuvre du salut ?), et l’autre
philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas à nier l’influence des
motifs qui déterminent nos choix et nos actions ?). La première
critique est motivée par le prédestinationisme : elle aboutit aux
querelles autour de la prédestination caractéristiques de la Réforme. La
seconde est motivée par le nécessitarisme, le fatalisme et le
déterminisme.
Critique théologique : la controverse de la prédestination
Le libre arbitre est l’une des deux réponses à la question du salut (sotériologie) telle qu’élaborée par les théologiens de la Renaissance. L’autre réponse est la prédestination chez Martin Luther, voire la double prédestination chez Jean Calvin.
Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rôle de la volonté humaine dans la conduite d’une vie bonne (susceptible de mener au salut) face à un Dieu
conçu comme tout puissant. De cette façon, la question du libre arbitre
traverse les 3 monothéismes et les réponses que chacun d’entre eux
donne méritent l’examen.
Avec l’humanisme, Érasme et Luther partage le goût de la lecture et du commentaire de la Bible avec le rejet de la glose scolastique.
Luther est un jusqu’au-boutiste tandis qu’Erasme est un modérateur.
Luther espère avoir le soutien d’Érasme dont l’autorité morale est alors
considérable dans sa querelle contre l’autorité ecclésiastique. Mais
les deux hommes vont s’opposer sur le concept de libre arbitre. En bon
augustinien, Erasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la
responsabilité de l’homme devant Dieu
concernant ses actes. Au contraire, se fondant notamment sur le péché
originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination,
c’est-à-dire le serf arbitre et la justification par la foi, chère à Paul de Tarse.
Alors, Erasme et Luther perdent toute modération. Tandis que le frère
Martin, en 1519 se disait « admirateur convaincu » d’Erasme, il en
viendra à qualifier celui-ci de « venimeux polémiste », de « pourceau d’Épicure* », d’écrivain « ridicule, étourdi, sacrilège, bavard, sophiste, ignorant ».
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.
Critique philosophique : le problème de la liberté d’indifférence
La critique philosophique du libre arbitre tient au rôle des motifs
(raisons de choisir) dans la détermination du choix et, par conséquent,
de l’action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets, l’un
qui représente un grand bien, et l’autre, un moindre bien ? De deux
choses l’une.
- Soit je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon acte est libre ? N’est-il pas plutôt déterminé par les motifs, ou plus exactement, par la prévalence d’un motif sur l’autre ?
- Soit je choisis le moindre bien, mais comment un acte aussi absurde pourrait-il être libre ? Et si je le choisis afin de prouver que je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volonté d’établir la réalité de ma liberté s’est avérée un motif plus déterminant que l’objet préférable. Dans l’un et l’autre cas, je ne serais pas libre.
Pour remédier à ce problème, la doctrine scolastique a inventé le concept de liberté d’indifférence.
Soit un individu appelé à choisir entre deux biens identiques, et donc
indifférents. Il y a ici une équivalence des motifs : rien ne le
détermine à préférer l’un à l’autre. Or, la volonté éprouve qu’elle est
douée de spontanéité : même en ce cas, elle peut se déterminer à
choisir. L’acte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni
par conséquent dans les objets, mais dans le sujet lui-même en tant
qu’il est doué d’une capacité à agir arbitrairement. Le concept de
liberté d’indifférence établirait, avec la spontanéité de la volonté, la
réalité du libre arbitre. Par extension, la liberté d’indifférence
s’applique aux cas où il n’y pas d’équivalence des motifs : je puis fort
bien préférer un moindre bien à un plus grand bien, prouvant ainsi que
je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.
La liberté d’indifférence fut très critiquée par la plupart des philosophes et par de nombreux théologiens (Thomas d’Aquin n’y souscrivait pas). Leibniz opposait à ce concept les objections suivantes.
- Choisir arbitrairement ne témoigne pas de notre liberté : c’est bien plutôt un acte irrationnel, fruit du hasard ou du caprice. La liberté, n’est-ce pas plutôt la capacité à opérer les meilleurs choix possibles ?
- La liberté d’indifférence est fictive. En vertu du « principe des indiscernables », deux objets ne peuvent être absolument identiques : ils doivent nécessairement se distinguer par quelque différence. Qui sait si celle-ci ne nous influence pas à notre insu ?
- La liberté d’indifférence n’est-elle pas illusoire ? En vertu du principe des petites perceptions, il arrive que nous soyons déterminés à choisir ou à agir par un motif inconscient, perçu par notre âme mais non aperçu par la conscience. Leibniz anticipe ici le concept d’inconscient, ainsi que celui des phéromones et des images subliminales. Qui sait si un choix, en apparence arbitraire, n’obéit pas à une motivation inconsciente, comme le montrera André Gide dans Les caves du Vatican ?
- De plus, Leibniz est intellectualiste plutôt que volontariste. Il critique le schéma naïf du libre arbitre de la philosophie scolastique, qui revient à représenter la volonté comme un reine toute-puissante, partagée entre son conseiller (la raison) et ses courtisans (les passions). Dans la réalité, la volonté n’est pas une faculté subsistant par elle-même : elle n’est autre que l’effort de l’intelligence en tant qu’elle se détermine à agir d’après ses jugements.
Si Leibniz ne reconnaît pas le concept de liberté d’indifférence, il
ne donne pas pour autant dans un déterminisme niant tout libre arbitre.
Être libre, c’est se déterminer à choisir par la meilleure raison
possible. Se déterminer n’est pas être déterminé : c’est trouver le
principe de ses actes à l’intérieur de soi-même.
Philosophie rationaliste
Si le thomisme attribue le libre arbitre à Adam, dans le jardin
d’Eden, principalement pour lui imputer l’origine du mal par la
responsabilité du péché originel, la philosophie juive voit les choses d’un œil différent, selon qu’elle situe sa réflexion avant la révolution cartésienne ou après.
Deux philosophes rationalistes, Maïmonide et Spinoza s’accordent sur l’idée suivante :
- la connaissance du bien et du mal est différente de la science du vrai et du faux,
- cette non coïncidence est un pis-aller car, dans le jardin d’Eden d’avant la chute, la connaissance rationnelle du vrai et du faux rendait inutile, et même inexistante, celle du bien et du mal.
Pour Maïmonide
Par la raison, l’homme distingue le vrai du faux et ceci a lieu dans toutes choses intelligibles (Guide des Égarés, 1re partie, chap. 2)
Le bon et le mauvais, le beau et le laid ne ressortent pas de l’intelligible, du rationnel, mais de l’opinion, du probable.
Tant qu’Adam possédait parfaitement et complètement la connaissance de toutes choses connues et intelligibles, il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables et même il ne les comprenait pas (ibidem). Le bien et le mal n’existaient même pas ; seules existaient les choses intelligibles et nécessaires. La perte de cette connaissance parfaite de toutes choses intelligibles dont lui faisait bénéfice sa fusion avec Dieu fait accéder Adam à un état nouveau, un monde différent :
- les choses lui sont connues autrement que par la raison,
- la façon dont il les connaît relève de l’opinion contingente qu’il s’en fait : elles sont belles ou laides, bonnes ou mauvaises.
Pour Spinoza
La filiation de Maïmonide à Spinoza est évidente dans ce qui suit :
Si les hommes naissaient libres, et tant qu’ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal […] [car] Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison et qu'il n'a, par conséquent que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68)
L'homme libre n'a donc aucun concept du bien et du mal lequel est
le résultat d'idées inadéquates et confuses, non plus que d'un bien qui
lui serait corrélé. Spinoza définit le bien au début de la partie IV de
l'Éthique :
Ce que nous savons avec certitude nous être utile (Éthique IV, définition 1)
Rapprochant cette définition de sa Préface et des propositions 26 et 27, son éthique nous renvoie à une éthique des vertus plutôt qu'à un utilitarisme.
Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties de la
nature, il en déduit que cette hypothèse d’une liberté de l’homme dès
la naissance est fausse. Les parties de la nature sont soumises à toutes
les déterminations
de celle-ci, et elles sont extérieures à l’homme. Il considère donc que
le sentiment de liberté de l’homme résulte du fait qu’il n’a
connaissance que des causes immédiates des événements rencontrés. Il
parle alors de libre nécessité.
Spinoza commente alors ainsi l’épisode du jardin d’Eden.
C’est cette détermination que semblent signifier les paroles de Moïse
dans la fameuse histoire du premier homme […] cette liberté originaire
impossible quand Moïse raconte que Dieu interdit à l’homme libre de
manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et que, dès qu’il
en mangerait, il craindrait la mort plus qu’il ne désirerait la vie (Éthique IV, proposition 68, scolie)
Comment reposer aujourd’hui la question du libre arbitre ?
À partir de la philosophie des sciences
Aujourd’hui, la physique moderne élimine la connaissance des causes sans faire de l’indétermination quantique la preuve d’un hasard essentiel. La connaissance des causes, même limitée aux causes efficientes disparaît des explications au profit de lois mathématiques prédictives parce que probabilistes et calculables..
- « La croyance en la relation de cause à effets, c’est la superstition », Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5.1361, Gallimard
Encore que, jusqu’ici, cette affirmation n’est généralisable qu’aux sciences dures où le fortuit
désigne ce qui intervient non seulement sans cause finale ou efficiente
mais surtout sans loi probabiliste calculable. L’indéterminisme
quantique représente la prise en compte des limites de la connaissance : celle d’une limite infranchissable en pratique comme en théorie en ce qui concerne la réalité en soi. Contrairement à la réalité en soi de Kant, cette indétermination ne dégage pas l’espace non-phénoménal
d’une liberté : les lois probabilistes s’appliquent au niveau des
phénomènes observables. En ce qui concerne le non observable, c’est l’équation de Schrödinger qui en rend compte.
On pense généralement que la croyance dans le libre arbitre fonde à elle seule une éthique de la responsabilité. La psychanalyse nous a montré que la plupart de nos actes dépendaient plus de notre inconscient
que de notre volonté consciente. Ce savoir aboutit au paradoxe que les
criminels sexuels sont à la fois des criminels susceptibles de rendre
des comptes à la justice du fait de leur responsabilité et des malades, commandés par leur inconscient et leurs hormones qui doivent être soignés. La jurisprudence fait entrer ce paradoxe dans son arsenal avec l’injonction thérapeutique où le suivi médical devient une peine.
Dans cette limitation, on rencontre l’intuition de Nietzsche quand décrivant l’éternel retour, il a l’intuition d’une volonté créatrice déterminée par le passé qu’elle tente de justifier :
- « Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, en poète, en devineur d’énigme et rédempteur du hasard. Je leur ai appris à être créateur de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut. Sauver le passé dans l’homme et transformer tout ce qui était jusqu’à ce que la volonté dise : "Mais c’est ainsi que je voudrais que ce fut. Mais c’est ainsi que je le voudrais" », Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, 3 - Des vieilles et des nouvelles tables
Libre arbitre et hypothèse d’Everett
Dans le cas où l’hypothèse d’Everett serait fondée — hypothèse selon laquelle existeraient des univers parallèles, ce qui n’est pas établi —, tous les futurs possibles (ou plus exactement un nombre de futurs possibles ayant la constante de Planck
en dénominateur !) à chaque moment de l’univers en chaque lieu se
produiraient effectivement : il n’y a pas de hasard quantique; si une
particule semble devoir choisir au hasard entre deux directions, en
réalité il existerait un univers dans lequel la particule prend à gauche
et un autre dans laquelle elle prend à droite.
Le rapport avec le libre arbitre de la personne humaine est plus
que ténu. Sans qu’il soit possible de se prononcer sur la validité de
l’hypothèse d’Everett, on peut examiner à titre d’expérience de pensée
en quels termes elle influerait la question du libre arbitre si elle
était exacte : dans la mesure ou tous les futurs possibles (possibles
selon les lois de la physique quantique, ce qui ne signifie donc pas
tous les futurs imaginables) se produisent et où chaque
observateur situé dans l’un de ces univers improprement nommés
parallèles a l’impression d’être le seul, le libre arbitre devient en
fait un non-problème. Voir David Deutsch.
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