Le 2 octobre 2025, à Sotchi, en Russie, s’est tenue la 22e réunion annuelle du Club de discussion international de Valdaï,
un forum influent qui rassemble experts, dirigeants et intellectuels
pour débattre des affaires mondiales. Sous le thème « Le monde
polycentrique : mode d’emploi », cette édition a été marquée par le
discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie,
prononcé lors de la session plénière. Ce discours, suivi d’une longue
séance de questions-réponses, a duré près de quatre heures et a été
perçu comme un « manifeste culturel » et géopolitique, défendant la
multipolarité face à ce que Poutine décrit comme les tentatives ratées
d’hégémonie occidentale.
Dans un contexte de tensions
internationales exacerbées par le conflit en Ukraine, les sanctions
contre la Russie et les bouleversements mondiaux, Poutine a esquissé sa
vision d’un ordre mondial plus démocratique, équilibré et respectueux
des spécificités civilisationnelles.
Fondé en 2004, le Club de Valdaï tire son nom du lac Valdaï, près de
Veliki Novgorod, où s’est tenue sa première réunion. Il est devenu un
espace privilégié pour la Russie de s’adresser au monde, souvent utilisé
par Vladimir Poutine pour exposer sa doctrine étrangère. Cette
année, le rapport du club portait sur la multipolarité, un concept que
Vladimir Poutine a développé comme une réponse inévitable à l’échec du
modèle unipolaire dominé par l’Occident. Selon les analyses, ce
discours reflète une Russie confiante, affirmant ses avancées militaires
en Ukraine tout en appelant à des accords globaux sans soumission. Des
observateurs comme ceux de l’European Council on Foreign Relations
notent que Vladimir Poutine y a indiqué trois changements majeurs dans
la politique russe envers l’Europe, vue comme l’« ennemi numéro un ».
D’autres, comme le Moscow Times, soulignent son insistance sur la
responsabilité européenne pour la paix en Ukraine.
Vladimir Poutine a commencé par souligner l’importance du forum : «
Le Club de Valdaï a en effet réuni pour la 22e fois, et ces réunions
sont devenues plus qu’une bonne tradition. Les discussions sur les
plateformes de Valdaï offrent une opportunité unique d’évaluer la
situation globale de manière impartiale et complète, de révéler les
changements et de les comprendre. » Il a insisté sur le fait que le
club permet de regarder au-delà du banal, en posant des questions non
conventionnelles et en levant le voile sur l’avenir. Ce cadre
introductif pose les bases d’une réflexion profonde sur les
transformations radicales du monde, où « tout change rapidement, voire
radicalement ».
La multipolarité : Une nouvelle ère démocratique et dynamique
Au cœur du discours se trouve la notion de multipolarité, décrite
comme un phénomène qualitativement nouveau. Vladimir Poutine explique
que le monde actuel offre un espace plus ouvert et créatif pour la
politique étrangère : « Rien n’est prédéterminé ; les développements
peuvent prendre différentes directions. Beaucoup dépend de la précision,
de l’exactitude, de la cohérence et de la réflexion des actions de
chaque participant à la communication internationale. » Cependant, il
avertit que dans cet espace vaste, il est facile de se perdre, comme
cela arrive souvent.
La multipolarité est dynamique, avec des changements rapides et
imprévisibles : « Le changement se produit rapidement, parfois
soudainement, presque du jour au lendemain. Il est difficile de s’y préparer et souvent impossible de le prédire. Il faut être prêt à réagir immédiatement, en temps réel. »
Plus démocratique, elle ouvre des opportunités à un large éventail
d’acteurs politiques et économiques. Vladimir Poutine affirme que jamais
autant de pays n’ont eu la capacité ou l’ambition d’influencer les
processus régionaux et globaux.
Les spécificités culturelles et civilisationnelles jouent un rôle
croissant : « Il est nécessaire de chercher des points de contact et de
convergence d’intérêts. Personne n’est prêt à jouer selon les règles fixées par quelqu’un d’autre, quelque part loin – comme un chansonnier bien connu chez nous l’a chanté, ‘au-delà des brumes’, ou au-delà des océans. » Les décisions ne peuvent être prises que sur la base d’accords satisfaisant toutes les parties ou la majorité écrasante,
sinon il n’y aura pas de solution viable, seulement des phrases vides
et un jeu d’ambitions stérile. L’harmonie et l’équilibre sont essentiels
pour des résultats.
Paradoxalement, la multipolarité est une conséquence directe des tentatives d’établir une hégémonie mondiale :
« La multipolarité est devenue une
conséquence directe des tentatives pour établir et préserver une
hégémonie mondiale, une réponse du système international et de
l’histoire elle-même au désir obsessionnel d’organiser tout le monde en
une seule hiérarchie, avec les pays occidentaux au sommet.
L’échec d’une telle entreprise n’était qu’une question de temps. » Vladimir Poutine voit dans les BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et d’autres associations des modèles de diplomatie du XXIe siècle, fonctionnant sans hiérarchie ni subordination, basés sur des accords mutuels et « pour elles-mêmes, pas contre quiconque ».
Ces structures représentent la « majorité mondiale » et favorisent la décolonisation.
Comme l’analyse Novaya Gazeta, Vladimir Poutine présente une vision
confiante d’un monde multipolaire où la Russie joue un rôle central,
tout en avertissant l’Occident contre l’armement supplémentaire de
l’Ukraine.
Critique de l’hégémonie occidentale et rôle des institutions globales
Vladimir Poutine critique sévèrement les tentatives occidentales d’imposer un ordre unipolaire.
Il rappelle que la Russie a tenté de rejoindre l’OTAN en 1954 et en 2000, mais a été rejetée :
« Notre pays, souhaitant éliminer les motifs de confrontation et
créer un espace commun de sécurité, a été prêt deux fois à rejoindre
l’OTAN. Les deux fois, nous avons été refusés. » Cela illustre, selon
lui, l’arrogance de l’Occident, qui a succombé à la tentation du pouvoir
absolu au lieu de bâtir un partenariat.
Le pic de puissance américaine coïncide avec ce moment, où les nations ont appris à se soumettre, même contre leurs intérêts. Mais cela n’a résolu aucun problème global ; au contraire, ils se multiplient. Les institutions comme l’ONU ont perdu de leur efficacité, et aucun État, même puissant, ne peut tout résoudre seul. Vladimir Poutine
plaide pour un retour à la diplomatie classique, tenant compte des
intérêts de tous, surtout en matière de sécurité indivisible :
« La sécurité de certains ne peut être assurée aux dépens des autres. Sinon, il n’y a pas de sécurité du tout – pour personne. »
Il met en avant les défis globaux – catastrophes naturelles,
technologiques, sociaux – qui nécessitent des efforts conjoints sans
préjugés idéologiques. « Il n’y a pas de réponses prêtes à l’emploi ici,
mais je crois que pour résoudre les problèmes globaux, nous devons,
d’abord, les aborder sans préconceptions idéologiques, sans le pathos
didactique de ‘Je vais vous expliquer tout maintenant’. Deuxièmement, il
est important de reconnaître que c’est une entreprise commune,
indivisible, nécessitant les efforts conjoints de tous les pays et
peuples. »
Le conflit en Ukraine : Un exemple tragique d’escalade occidentale
Vladimir Poutine qualifie le conflit en Ukraine d’exemple tragique
causé par des décennies de promotion du nationalisme et du néo-nazisme,
encouragées par l’Occident. L’OTAN a utilisé l’Ukraine comme une «
arme destructrice » contre la Russie. Il regrette que le conflit n’ait
pas été évité par des solutions collectives et remercie les BRICS, la
Biélorussie, la Corée du Nord et les États arabes pour leurs efforts de
médiation, blâmant une minorité européenne pour l’escalade.
« Nous sommes reconnaissants envers tous
les pays qui ont fait des efforts sincères pour trouver une issue à
cette situation ces dernières années. Cela inclut nos partenaires : les
membres fondateurs des BRICS ; la Biélorussie et aussi, soit dit en
passant, la Corée du Nord ; le monde arabe dans son ensemble,
principalement les Émirats arabes unis, ainsi que de nombreux autres
pays. »
Il affirme que la défaite stratégique de la Russie est « impossible » et met en avant les avancées militaires russes.
Dans le temps imparti aux questions/réponses, , il aborde les
fournitures d’armes américaines comme les Tomahawk, qui ne changeraient
pas l’équilibre mais marqueraient une nouvelle escalade. Il avertit contre les provocations : « Nous répondons vite. Ne provoquez pas. ».
Relations avec l’Occident : Europe et États-Unis
Vladimir Poutine critique les dirigeants européens pour créer un «
ennemi imaginaire » en Russie afin de détourner l’attention de
problèmes internes comme l’économie stagnante, la dette et la crise
identitaire due à la migration. Il rejette les accusations
d’agression contre l’OTAN comme du « nonsense » et met en garde contre
la militarisation de l’Europe, comme l’ambition allemande d’avoir
la plus puissante armée. « Nous ne pouvons tout simplement pas ignorer
ce qui se passe. Nous n’avons pas le droit de le faire pour des raisons
de sécurité. Je le répète, il s’agit de notre défense et notre sécurité.
Par conséquent, nous surveillons de près la militarisation croissante de l’Europe. »

Pour les États-Unis, il note des désaccords mais apprécie leur
approche directe. Il exprime le désir de restaurer des relations
complètes : « La Russie se réserve aussi le droit d’être guidée par nos
intérêts nationaux, l’un d’eux étant la restauration de relations
complètes avec les États-Unis. » Il mentionne des échanges commerciaux
persistants, comme l’uranium (800 millions de dollars en 2024), et soutient les efforts de Trump pour la paix à Gaza, à condition d’une solution à deux-États.
Aspects culturels et valeurs traditionnelles
Le discours est un « manifeste culturel », défendant les valeurs
traditionnelles contre les politiques occidentales destructrices, comme
les débats sur l’identité et la migration. Vladimir Poutine note que
des Occidentaux fuient vers la Russie pour préserver ces valeurs : « Le
terrorisme de genre contre les enfants ne convient pas à beaucoup, et
ils cherchent des refuges sûrs, venant chez nous. Dieu voulant, nous les
soutiendrons. » Il insiste sur le respect des traditions comme base des
relations stables :
« Le respect des traditions est la
première et la plus importante condition pour des relations
internationales stables et pour résoudre les défis émergents. »
Il critique l’érosion des valeurs européennes : « L’UE est un
puissant centre de notre civilisation, mais c’est aussi un centre qui
s’estompe. La raison n’est pas seulement que l’Allemagne stagne… mais
que les questions fondamentales liées à l’identité européenne
disparaissent. Elles sont érodées de l’intérieur ; la migration
incontrôlée fait cela. » Des intellectuels occidentaux lui disent : « L’Europe que nous aimions n’existe plus. »
La séance de questions-réponses : Approfondissements et avertissements
Lors des échanges, Vladimir Poutine aborde les relations
russo-indiennes (sans tensions historiques), la possibilité d’une
administration Trump pour résoudre l’Ukraine, et les attaques de drones
ukrainiens sur Sotchi. Il réaffirme la résilience russe face aux
sanctions :
« 30.000 sanctions ont échoué à isoler la Russie. »
Il critique les tarifs américains sur l’Inde, affirmant que l’Inde et la Chine ne se soumettront pas.
Il met en garde contre les menaces nucléaires, comme les attaques sur
Zaporijjia, et vante l’armée russe comme la plus prête au combat, adaptant ses tactiques face à l’OTAN.
Réactions et analyses internationales
Le discours a suscité des réactions variées, soulignant le plus
souvent, l’hystérie européenne et les avertissements contre la
militarisation. Les médias occidentaux l’ignorent, malgré son focus sur
les BRICS et la multipolarité. Certains analystes voient un durcissement
envers l’Europe. Le Guardian rapporte que Vladimir Poutine rejette les
craintes d’attaque sur l’OTAN et les qualifient d’absurdes.
Globalement, le discours renforce l’image d’une Russie résiliente, appelant à un ordre mondial inclusif.
Le discours de Vladimir Poutine au Valdaï 2025 est un appel à un monde multipolaire équilibré, critiquant l’hégémonie occidentale tout en tendant la main pour des accords mutuels.
Face aux défis globaux, il insiste sur l’harmonie et le respect des
civilisations. Alors que les tensions persistent, ce manifeste pourrait
influencer les dynamiques futures, particulièrement avec les élections
américaines et l’expansion des BRICS. La Russie, selon Vladimir Poutine, est prête pour ce travail commun.
https://multipol360.com/le-discours-de-vladimir-poutine-au-club-de-valdai-2025-un-manifeste-pour-un-monde-multipolaire/