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En ces temps de fanatisme et de désarroi idéologique, l'appel à la raison et à l'esprit de
libre examen apparaît plus actuel que jamais. "Marianne" a interrogé d'éminents
intellectuels et ils sont unanimes :
l'esprit des Lumières doit être ranimé d'urgence.
Enquête.
Et si l'avenir était de nouveau aux Lumières ? Plus que jamais notre monde a besoin de
philosophes, proclame André Glucksmann dans son dernier ouvrage. Et de Voltaire, plus que
de tout autre. Et des Lumières plus que de toute autre école de pensée. Le philosophe
Emmanuel Kant, au coucher de soleil du siècle des Lumières, parvint à en exprimer, lui qui en
fut le plus génial représentant, le noyau central. Les Lumières, explique-t-il, consistent dans
la « sortie de l'homme de sa minorité », son accession à sa majorité, et le déclassement des
tuteurs. Bref, en l'autonomie. Sapere aude, « Ose savoir », en est le mot d'ordre. Qu'en
pensent les quelques intellectuels éminents que nous avons interrogés ? Cette philosophie des
Lumières a-t-elle encore, comme Glucksmann l'affirme, comme Elisabeth Badinter nous l'a
confirmé avec un enthousiasme contagieux, quelque chose à dire aujourd'hui ? Peut-elle, dans
la crise qui ébranle le monde contemporain, être d'un quelconque secours ?
Le paradoxe des Lumières
Rien de plus paradoxal que le succès historique des Lumières. Leur déclin philosophique fut,
du vivant même de Kant, dès le dernier quart du XVIIIe siècle, rapide. Leur éclipse laissa la
place au romantisme, tandis que grandissaient dans le ciel des idées les étoiles de Hegel et de
Marx, puis de Schopenhauer et de Nietzsche, puis de Wittgenstein et de Heidegger, de plus en
plus éloignées de celles de Voltaire, de Montesquieu et de Diderot. En 1800 déjà, l'horloge de
la vie culturelle n'était plus à l'heure des Lumières. Curieusement, en dépit de ce déclin, leur
poids politique s'accrut. L'heure philosophique des Lumières passée, commença leur heure
politique, qui dure encore : que réclamait, d'ailleurs, le printemps arabe, sinon le programme
politique des Lumières ? Les combats de la IIIe République, pour l'école publique et
obligatoire, pour la laïcité, pour un suffrage vraiment universel, pour l'abolition de l'esclavage,
pour la liberté d'expression, pour la justice sociale, étaient des tentatives pour faire passer
dans la réalité historique des idées venues des Lumières. Jaurès lui-même était plus proche de
Rousseau et de Diderot que de Marx : en 1900, le fondateur de l'Humanité juge les idées
du Manifeste du Parti communiste dépassées depuis quarante ans. Les Lumières constituèrent
l'armature du grand récit républicain à la française, de type rationaliste, qui épousa le roman
national, plutôt de type romantique. Cette union fut la IIIe République, dont la nostalgie
étendit son ombre jusqu'à la campagne de Chevènement en 2002, et peut-être au-delà.
Autrement dit, c'est aux temps de Hegel, qui jugeait le moment des Lumières dépassé, de
Marx, ce contempteur de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de Nietzsche, le
titan de la pensée opposé à la démocratie et à l'égalité, que grandit puis s'impose, en France,
en décalage avec la vie de la haute culture, une politique des Lumières. C'est autour d'elle que
se construisit l'exception française, qui était intellectuelle, politique et sociale, dont Claude
Nicolet se fit l'historien - aujourd'hui en lambeaux.
Pourquoi avons-nous tant aimé les Lumières ?
Qu'avaient donc à apporter les Lumières pour que nous les aimions tant ?
Réponse : un
ensemble de valeurs, un projet de civilisation, un idéal humain et politique desquels toutes les sociétés devraient essayer de s'approcher, un horizon collectif universel. Autrement dit, selon
les mots de l'écrivain Boualem Sansal, « un formidable logiciel pour améliorer la vie ».
Améliorer la vie depuis la base de toute vie collective, la conception que la société se fait de
l'homme, qui sert de fondation à l'édifice civilisationnel. La dignité de l'homme, de tout
homme, est la source d'où découlent toutes les idées et projets des Lumières. Tout suit d'un
coup de force, une sorte de révolution copernicienne anthropologique : le passage d'un
théocentrisme à un anthropocentrisme. La vraie révolution, qui précéda d'un siècle la
Révolution française, est là : Dieu n'est plus le centre ; le centre, c'est l'homme ! L'homme ne
dépend plus de Dieu, il s'autodétermine ! Que l'homme soit majeur, qu'il n'ait plus besoin de
tuteur, comme dit Kant, est la formulation de cette révolution anthropologique qui fonde
toutes celles qui vont suivre. Sans révolution anthropologique, pas de Révolution française.
Pas de droits de l'homme, ni de suffrage universel ! Pas d'abolition de l'esclavage ! Ainsi, les
Lumières sont-elles l'entrée dans un mouvement de libération et d'émancipation dont les
conséquences se sont ensuite déployées en cascade : développement des sciences, laïcité,
souveraineté populaire, suffrage universel, démocratisation de l'éducation, émancipation des
femmes, droits humains, égalité des droits. Cet ensemble est habité par une foi aussi solide
que la foi du charbonnier chez les catholiques : la foi dans la raison engendre la foi dans la
science et dans le progrès. Or, nous avertit Elisabeth Badinter, « la raison est ce qui unit les
hommes ». Le savoir est politique : il libère de l'oppression, il brise les chaînes, il vide les
galères. Unir ? Ce verbe est un appel pour notre temps, qui est celui de la division (n'est-ce
pas, les nationalistes catalans, les nationalistes écossais ?) et de la montée des
communautarismes ethnico-religieux (que de nombreux islamo-gauchistes ont accompagnée
et accompagnent encore). C'est bien parce que raison et savoir sont politiques qu'il faut, aux
yeux de Diderot, « rendre la philosophie populaire ». L'Encyclopédie vise au-delà de la seule
connaissance, elle vise l'émancipation. L'effet politique : l'universalisme des Lumières, nous
dit Elisabeth Badinter, « a fait rentrer dans l'humanité des gens, par exemple les juifs, les
Noirs, les femmes, qui n'y étaient pas ». Boualem Sansal le constate aussi : les Lumières ont
permis « à des milliards d'êtres humains de vivre comme des hommes ». En donnant
l'autonomie aux hommes, en brisant les chaînes qui les attachent à des tuteurs, les Lumières
les font entrer dans l'humanité. Qu'en disent les intellectuels d'aujourd'hui ? Pour Luc Ferry, «
les quatre piliers des Lumières sont l'esprit critique, héritier du cartésianisme, le
rationalisme, le souci de l'expérience (l'observation) et la volonté d'en faire profiter le peuple
». Mais, nuance-t-il, en prenant l'Allemagne nazie pour exemple, la culture ne protège pas de
l'horreur. Il est vrai que l'on faisait jouer du Beethoven et du Bach dans les camps nazis. Le
philosophe Rémi Brague, lui, affirme : « le mérite des Lumières réside dans l'audace de
penser par soi-même », quand leur « défaut est sans doute de sous-estimer les difficultés de ce
projet ». Réticent à Voltaire et à Rousseau, Michel Onfray se dit partisan des « ultras des
Lumières », ceux que Philippe Raynaud appelle, après son collègue américain Jonathan Israel
et son étude magistrale du même nom, « les Lumières radicales ». Onfray l'avoue :
« Je préfère l'athéisme de l'abbé Meslier, le matérialisme de La Mettrie, le rationalisme d'Helvétius, l'anticléricalisme de Holbach et l'hédonisme de Diderot. »
Les chemins de la désillusion
Les Lumières sont habitées par l'optimisme. Le monde culturel du XVIIIe siècle dans son
entier est traversé par l'optimisme. Il s'agit d'une forme nouvelle d'optimisme, différent de
celui qui prévalait au siècle précédent chez Leibniz et que Voltaire railla sans pitié
dans Candide, ce conte philosophique que Glucksmann nous enjoint de relire de toute
urgence. Ce n'est plus un optimisme théologique, c'est un optimisme historique, politique et
anthropologique. L'optimisme théologique (« tout est bien dans le meilleur des mondes
possibles ») s'accommodait d'un pessimisme anthropologique, conséquence du péché originel.
L'optimise des Lumières est d'abord anthropologique, ce qui l'autorise à se passer de tout
optimisme théologique. Quand le philosophe espagnol (et basque) Fernando Savater nous dit
que « les Lumières fondent le droit de tout citoyen à rechercher le bonheur terrestre », il
indique cette transformation de l'optimisme. Que de déceptions depuis la fin du XVIIIe siècle
! Les guerres devinrent des boucheries de masse. L'horizon de paix perpétuelle dessiné par
Kant est apparu comme un mirage philosophique. La religion du progrès, Pierre-André
Taguieff le montre, s'est essoufflée. Des projets politiques annonçant l'émancipation devinrent
aussi bien des fanatismes meurtriers que des totalitarismes implacables. Au sein d'un pays
extrêmement cultivé, le nazisme vit le jour. Dans l'après-guerre, au cœur du terrible XXe
siècle, qui ne put être un siècle heureux comme le XVIIIe l'avait été, au sein du siècle des
camps et des génocides, d'Auschwitz et du goulag, des SS et des khmers rouges, des terres
labourées de sang, des despotismes de fer, de Hiroshima et de l'environnement dévasté, le
pessimisme s'est installé, d'autant plus que les dernières causes (le tiers-mondisme, les guerres
de libération nationale, wagons de queue de l'histoire telle que les Lumières l'entendaient) en
lesquelles l'époque voulait encore croire montraient leur ambiguïté et tournaient mal. Adorno
et Horkheimer ne furent pas les seuls à épingler cette dialectique de la raison qui retourne les
Lumières en leur contraire.
Le retour des Lumières
Peut-on se revendiquer, malgré les désillusions causées par l'histoire des deux siècles passés,
malgré les dégâts du progrès, malgré la dialectique de la raison, héritier des Lumières dans le
monde contemporain ? Assurément, affirme André Comte-Sponville - pour reprendre à notre
compte leur matérialisme, leur rationalisme et leur humanisme. Luc Ferry se montre précis : «
Je me sens héritier de l'idée républicaine, qui sort directement des Lumières. » L'universitaire
Philippe Raynaud nous déclare rester « un homme des Lumières », précisant que « les formes
actuelles de la barbarie [le] poussent à le rester ». Le fanatisme et les régimes autoritaires
rendent nécessaires, à ses yeux, cette revendication. Nous pourrions ajouter : le nouvel
obscurantisme, celui qui croît en parallèle à l'obscurantisme islamiste, l'obscurantisme
économique (l'économie se faisant l'alpha et l'oméga de l'existence, dévorant tout sur son
passage). Héritier, est-ce le bon mot ? Rémi Brague se dit s'en sentir plus « boursier
» qu'héritier. Elisabeth Badinter lui préfère celui de « disciple » - disciple des Lumières au
cœur des combats du monde contemporain. Sans doute est-ce pour toutes ces raisons, et aussi
pour résister à la montée de l'islamisme, que Boualem Sansal nous dit « adhérer pleinement
aux Lumières », ce qui est à la fois être leur héritier et être leur disciple. Pourquoi un retour
des Lumières ? Pour résister : assurer le salut de ce qui est menacé comme jamais - la laïcité,
l'école, la solidarité nationale, ce qui reste de gratuité -, pour empêcher la destruction de ce
qui s'est bâti au nom des Lumières. Boualem Sansal en appelle aux Lumières, car, dit-il, « la
société est menacée dans sa cohérence, son unité, sa résilience, sa capacité de s'adapter ».
Ecole de la critique, les Lumières sont aussi une école de la résistance. Toute civilisation
guérit de ses désillusions. Peut-être même en devient-elle plus forte... Ni le pessimisme ni le
cynisme postmoderne ne peuvent répondre aux défis qui menacent de mort la civilisation - qui
ont pour noms : islamisme, économie mafieuse, fanatisme économiciste, dévastation de la
planète, abrutissement des hommes, hybris capitaliste. En détresse, notre époque doit scander
: « SOS Lumières ! » L'urgence historique, qui est une question de vie ou de mort, impose un
retour aux Lumières, voire un retour des Lumières, le renversement du pessimisme dans un
nouvel optimisme. Un optimisme déluré, débarrassé de sa naïveté, qui culminait dans la foi
dans le progrès, animant des Lumières déniaisées par les leçons de l'histoire.
Robert Redeker
Lumières françaises
De Wikiberal
Le mot Lumières définit métaphoriquement le mouvement intellectuel, culturel et philosophique qui a dominé, en Europe et particulièrement en France, le XVIIIe siècle
auquel il a donné, par extension, son nom de siècle des Lumières. Les
Lumières ont marqué le domaine des idées et de la littérature par leurs
remises en question fondées sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté.
Les plus illustre représentants et meilleurs champions des Lumières habitent Paris : ils se disent philosophes ou physiocrates
ou citoyens de la République des Lettres. Les idées de ces grands
écrivains sont malheureusement fluctuantes, contradictoires, heurtées,
déconcertantes.
Tous deux nous ont légué la somme des préjugés communs au temps des Lumières. Le premier est la Raison fondement des postulats, soutien de toute méthode, séduisante finalité. Appliquée à la religion, elle devient le déisme ; au pluralisme religieux, la tolérance ; au moteur des sociétés humaines l'idée de progrès chantée par Condorcet et Turgot ; dans l'instruction publique, elle lutte contre les préjugés.
Vexé d'être éloigné de la politique, l'écrivain à la mode critique le régime, crée des utopies. Les meilleurs d'entre eux (Montesquieu) sont voués à l'abstraction. On magnifie la Prusse de Frédéric II ou la Russie de Catherine II pour irriter le gouvernement de Versailles. Il est de règle de confondre mécénat et bon gouvernement : les philosophes créent le mirage russe en France, voyant dans la tsarine une nouvelle Minerve. Le souverain modèle trouve une illustration fameuse dans les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon. Le mythe du monarque philosophe se précise avec Pierre Ier. Le despotisme est légitime dès qu'il est employé à des vues de progrès (éloge du tsar défunt par Fontenelle en 1725 à l'Académie des sciences, l'Histoire de Charles XII de Voltaire). Les monarques éclairés sont passés maîtres dans l'utilisation du vocabulaire des philosophes : ils parlent volontiers de bonheur. La Raison devient un fourre-tout au service d'un prince omnipotent.
Dans l'Europe des Lumières, l'action psychologique du despotisme éclairé a besoin de la République des Lettres. Que serait le roi de Prusse sans Voltaire ? On composerait plusieurs volumes en réunissant les lettres de Voltaire aux princes et aux ministres. Il flatte sans relâche et sans fatigue. Grimm et Diderot ne sont que des petits maîtres : le premier distribue l'encens partout, le second le réserve à Catherine II. Grâce aux encyclopédistes, le XVIIIe siècle vit sur la foi de cette fausse équation : Monarchie éclairée = Lumières. En réalité, l'État de la raison devient la raison d'État et l'État est moins au service des Lumières que les Lumières à la disposition de l'État.
Les mirages de la philosophie
Voltaire d'abord séduit par le despotisme éclairé aurait ensuite penché vers le régime anglais - cru libéral voire parlementaire - mais en 1770-1771, il soutient le coup d'autorité du chancelier Maupeou et admire l'austère réformateur que les encyclopédistes accusent de tyrannie. Denis Diderot possède une espèce de sagesse juste-milieu que l'on retrouvera plus tard dans le parti radical-socialiste.Tous deux nous ont légué la somme des préjugés communs au temps des Lumières. Le premier est la Raison fondement des postulats, soutien de toute méthode, séduisante finalité. Appliquée à la religion, elle devient le déisme ; au pluralisme religieux, la tolérance ; au moteur des sociétés humaines l'idée de progrès chantée par Condorcet et Turgot ; dans l'instruction publique, elle lutte contre les préjugés.
Vexé d'être éloigné de la politique, l'écrivain à la mode critique le régime, crée des utopies. Les meilleurs d'entre eux (Montesquieu) sont voués à l'abstraction. On magnifie la Prusse de Frédéric II ou la Russie de Catherine II pour irriter le gouvernement de Versailles. Il est de règle de confondre mécénat et bon gouvernement : les philosophes créent le mirage russe en France, voyant dans la tsarine une nouvelle Minerve. Le souverain modèle trouve une illustration fameuse dans les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon. Le mythe du monarque philosophe se précise avec Pierre Ier. Le despotisme est légitime dès qu'il est employé à des vues de progrès (éloge du tsar défunt par Fontenelle en 1725 à l'Académie des sciences, l'Histoire de Charles XII de Voltaire). Les monarques éclairés sont passés maîtres dans l'utilisation du vocabulaire des philosophes : ils parlent volontiers de bonheur. La Raison devient un fourre-tout au service d'un prince omnipotent.
Dans l'Europe des Lumières, l'action psychologique du despotisme éclairé a besoin de la République des Lettres. Que serait le roi de Prusse sans Voltaire ? On composerait plusieurs volumes en réunissant les lettres de Voltaire aux princes et aux ministres. Il flatte sans relâche et sans fatigue. Grimm et Diderot ne sont que des petits maîtres : le premier distribue l'encens partout, le second le réserve à Catherine II. Grâce aux encyclopédistes, le XVIIIe siècle vit sur la foi de cette fausse équation : Monarchie éclairée = Lumières. En réalité, l'État de la raison devient la raison d'État et l'État est moins au service des Lumières que les Lumières à la disposition de l'État.
Daniel Lindenberg : Le procès des Lumières
Essai sur la mondialisation des idées
samedi 7 novembre 2009, par