L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Sommaire:
A) L’autorité en démocratie, par François Terré - Académie des sciences morales et politiques
B) Des conséquences, la violence?? Violence : la situation peut basculer à tout moment ! - Malika Sorel - Livre
C) Autorité de Wikiberal
D) Le problème de l’autorité politique - Par Édouard H. - Livre de Michael Huemer via Contrepoints
E) De l’insoutenable violence policière de l’État - Par Natasa Jevtovic - Contrepoints
F) Violence à l’école : des priorités clairement définies - H16
G) L’Islam est-il la cause de tout ? - Par Guy Sorman
H) Violence de Wikiberal
I) Certifier l’obéissance - Emmanuel Brunet Bommert - son site
A) L’autorité en démocratie
L’autorité semble en chute libre !
Le concept connaît un recul
que le juriste François Terré, de l’Académie des sciences morales et
politiques, a analysé devant ses confrères réunis en séance.
Quelles
nuances entre autorité et pouvoir ?
Pourquoi ce recul de l’autorité et
quels en sont les effets sur notre démocratie ?
Finalement, qu’est-ce
que l’autorité aujourd’hui dans notre société et qui la détient
réellement ?
Il
s’agit bien de l’autorité "dans" ou "en" démocratie et non de l’autorité
"de" la démocratie ! Première précision donnée par François Terré qui
ne reprend pas l’origine du mot démocratie mais souligne tout de même
qu’entre celle du monde antique et celle du monde moderne, il y a
sûrement de fortes différences, de même qu’entre la démocratie réelle et
la théorique...
Ensuite,
il élimine des acceptions de l’autorité : il ne parle pas des
institutions, des commissions et autres "Hautes Autorités" (il n’y en a
jamais de basses...).
Enfin, il rappelle les 4 types d’autorités définis par Alexandre Kojève (1902-1968), autorité qui tient à des personnages :
l’autorité du père (parents, gens âgés, défunts par testament, ...)
l’autorité du maître (noble/vilain, militaire/civil, vainqueur/vaincu, ...)
l’autorité du chef (leader, duce, furher...)
l’autorité du juge (arbitre, contrôleur, confesseur...)
François
Terré préfère aborder le sujet en examinant trois périodes : l’essor du
concept d’autorité, son recul, la nostalgie qu’on en garde.
1 - l’essor
Comme tout concept, l’autorité a un moment de naissance : à Rome. Mais F. Terré la distingue de auctoritas (qui vient non pas d’autoriser mais d’augere, augmenter) et de potestas.
L’autorité
comme valeur : elle ne se confond ni avec le pouvoir ni avec la
persuasion. Elle requiert toujours l’obéissance (mais sans violence ni
persuasion) ou au moins la coopération.
2 - le recul
Puis
le concept d’autorité a reculé. François Terré fait remarquer qu’on ne
parle plus maintenant "d’autorité paternelle" mais "d’autorité
parentale", ce qui, pour le juriste de la famille qu’il est, est loin
d’être la même chose...
Pourquoi ce recul ? Il note deux causes (reprenant d’ailleurs les réflexions d’Hannah Arendt) :
le recul de la tradition, amoindrissement de la puissance du passé,
le recul de la religion, mise en doute de la vérité religieuse.
Les
effets de ce recul : ils sont nombreux dans de multiples domaines. Il
n’est qu’à considérer l’essor des réflexions (thèses, études, livres)
sur "la désobéissance civile" par exemple ("on n’a pas attendu José
Bové", dit F. Terré qui développe assez longuement ce concept de
désobéissance dans les faits et dans la loi).
3 - Nostalgie
nostalgie
de l’autorité de la loi (septicisme),"mais il faut cesser de dire "il y
a trop de lois", car on dit cela depuis la nuit des temps !". Ce qui
est mauvais, ce n’est pas le pullulement des lois mais leur
instabilité...
Qu’est-ce qui fait autorité dans notre société aujourd’hui ? Les médias, ou du moins, la potentia de l’opinion...les sondages, les palmarès, les listes des premiers... etc. C’était déjà le cas à Rome : l’influence de l’opinion devient vite abusive. Mais l’influence n’est pas l’autorité, bien qu’il soit difficile de les distinguer.
Revenir à l’essentiel : l’éducation
En conclusion, François Terré a choisi de revenir à l’essentiel : l"’éducation où l’autorité repose sur une relation nécessairement inégalitaire. Or, nous vivons dans une démocratie où le modèle est égalitaire et libérale, a-t-il encore souligné, Un
mauvais usage de la liberté s’ajoute un mauvais usage de l’égalité,
disons plutôt un ravage de l’égalitarisme qui se recommande d’un esprit
démocratique dévoyé...
Alors faut-il désespérer ?
Non, continuons à espérer dans notre recherche de l’autorité perdue ! Et revenons à la philosophie antique : Un
retour à la leçon de la philosophie antique porte à penser que
l’éducation, alors au coeur de la pensée grecque, s’impose aujourd’hui,
quand on s’interroge sur l’autorité en démocratie. La réflexion affecte
tout le devenir de la pensée contemporaine...
François Terré
Une communication prononcée à l’Académie des sciences morales et politiques
Poursuivant ses travaux de réflexion sur le thème de la démocratie,
thème choisi pour l’année 2010 par le président Jean Mesnard, l’Académie
des sciences morales et politiques réunie en séance, a écouté, le lundi
29 mars 2010, le juriste François Terré dans une communication
intitulée « L’autorité en démocratie ». Canal Académie l’a enregistré
pour vous, écoutez-le. (le texte ci-dessous n’est qu’un résumé).
Pour connaître l’intégralité des propos de F. Terré, il convient de
l’écouter ou de lire son texte sur le site de l’Académie http://www.asmp.fr/travaux/communications/2010_03_29_terre.htm
B) Des conséquences, la violence?? Violence : la situation peut basculer à tout moment !
J’ai assisté aux États généraux de la violence à l’école qui se sont tenus cette semaine. Il y a avait un décalage considérable entre la salle et la tribune. Malgré les interventions très éclairées de professeurs et chefs d’établissements, aucune réflexion n’a pu s’engager autour des sources de cette violence. Il n’a en effet été question que des mesures à prendre pour aider les enseignants à faire face à la violence. À mes yeux, ces états généraux sont une véritable imposture. Ils laissent en effet à penser que le sujet est traité, alors qu’il ne l’est pas.
La sécurité est le premier des besoins primaires. Lorsque le peuple
finit par se forger la conviction que l’État n’est plus capable
d’assurer la sécurité des individus, alors il est à craindre que le
chaos ne survienne, suivi d’une période de sévère reprise en main qui
finira par être attendue et espérée par le peuple lui-même. La France
s’achemine-t-elle de nouveau vers un régime très autoritaire ? C’est une
hypothèse qui ne peut plus être écartée.
Le Parisien : « Martin, un jeune cartographe de 24 ans, a été lynché sans raison, vendredi soir, place Grenette, en plein centre-ville de Grenoble, par un groupe d’une quinzaine de jeunes. Inconscient et saignant abondamment, il a été transporté au CHU de Grenoble où il se trouvait toujours dans un état critique dimanche. »
France24 : « Âgés d’une vingtaine d’années, les agresseurs, qui venaient d’être expulsés du tramway dans lequel la victime et ses amis avaient pris place, ont alors attaqué verbalement puis physiquement ces derniers, arrivés à leur destination et qui tentaient de les ignorer, a-t-on ajouté de même source. La quinzaine d’agresseurs, montés dans le tramway à une station située dans les quartiers sensibles de Grenoble, étaient toujours activement recherchés dimanche. »
Libération : « Comme à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), la semaine dernière, un groupe d’une vingtaine de jeunes armés de bâtons et de pierres ont bloqué le bus, fait descendre le chauffeur et les deux passagers, avant d’y mettre le feu. Puis, ils ont décampé avant l’arrivée de la police. La scène s’est déroulée mercredi soir, vers minuit, dans le quartier de la Grande-Borne, à Viry-Châtillon (Essonne). »
Libération : « Une école des Clayes-sous-Bois (Yvelines) a été en partie détruite par un incendie d’origine criminelle dans la nuit de vendredi à samedi, suscitant la colère des parents d’élèves et la condamnation du ministre de l’Éducation Luc Chatel pour “cet acte inqualifiable”. […] La déléguée des parents d’élèves s’est dite “sonnée, choquée et en colère par cet acte inadmissible”. “Comment peut-on s’en prendre à une école comme celle-ci où le projet pédagogique était important ? C’est incompréhensible”, a-t-elle déclaré à l’AFP. Plus loin Dalila Bragier, la maman de la petite Inès porte une caisse de livres. Elle réagit : “C’est l’état de choc. Depuis un an on signale des incendies dans le quartier. On était attaché à cette école”. Le maire des Clayes-sous-Bois, Véronique Coté-Millard, a exprimé sa vive émotion : “On reste sans voix. L’an dernier un incendie avait détruit un bâtiment qui devait servir de centre de loisirs. S’attaquer à une école, c’est inqualifiable. Tout le monde est en émoi ici. Lundi, nous allons accueillir les parents et les élèves. Une cellule psychologique sera mise en place. Il nous faut accompagner les familles. Les 194 élèves de l’école doivent être répartis dès lundi dans les autres établissements de la commune…” »
S’il fallait une mesure pour commencer, ce serait de couper les subventions à toutes les associations qui ont largement participé à nourrir haine et ressentiment envers la France et les Français, et qui continuent d’ailleurs à le faire. Bien sûr, il faudrait alors bien en expliquer les raisons, afin qu’il n’y ait pas d’incompréhension. Nous le voyons, il est dramatique de les avoir ainsi laissé scinder le corps social entre « victimes » et « bourreaux ».
Je l’ai déjà écrit : « Notre société récolte à présent la haine que cette approche a instillée dans le cœur des populations issues de l’immigration ». J’avais également évoqué la stupéfaction et l’incompréhension de Thione Niang, Américain d’origine sénégalaise et Président des affaires internationales des jeunes démocrates américains, devant la haine envers la France que des jeunes de l’immigration avaient exprimée devant lui lorsqu’il était allé à leur rencontre.
Il ne sert jamais à rien de nier la réalité des problèmes. Il faut, bien au contraire, les traiter dès leur apparition, surtout lorsqu’ils touchent à la cohésion nationale. Est-il encore temps d’éviter le pire ? Je n’en sais rien, car n’importe quel évènement peut désormais tout faire basculer et aboutir à ce que la situation échappe au contrôle des pouvoirs publics.
Chaque jour me renforce dans ma conviction que ce sont bien toutes les propositions politiques du Puzzle de l’intégration qui doivent être mises en œuvre et ce, de manière urgente. Il faut tourner le dos à l’imbécillité des plans banlieues et autres politiques d’intégration qui se succèdent depuis déjà longtemps, sans fournir les résultats que les Français sont en droit d’attendre au vu des budgets engagés. (Imbécile : « qui est peu capable de raisonner, de comprendre et d’agir judicieusement »)
J’ai écrit tout un ouvrage pour vous permettre d’approcher la complexité du problème de l’immigration-insertion-intégration. Les jeunes de l’immigration et leurs parents sont, comme le peuple français, victimes de l’aveuglement de nos élites. Mais, bien entendu, le statut de victime n’excuse rien à mes yeux. J’ai récemment participé à un débat. L’accueil de la salle a été des plus chaleureux. Parmi ceux qui sont venus discuter avec moi à la fin, et surtout me faire part de leur complète adhésion, des personnes d’origine maghrébine et africaine. Toutes ressentent la gravité de la situation à laquelle l’absence de bons sens a conduit notre société.
En ce qui me concerne, je
continuerai d’écrire et de dialoguer pour faire en sorte que ce sujet
soit traité dans sa globalité, tout en veillant à ce que la France ne
soit jamais brutalisée. Pour cela, il ne faut pas hésiter à recourir à
de vraies sanctions contre ceux qui sèment la terreur et le chaos, mus
par leur haine de la France et leur inaptitude à respecter les normes
collectives de la société française. Une sanction est réputée efficace
lorsqu’elle dissuade de passer à l’acte. Dans le cas contraire, elle ne
l’est pas. Nous pouvons donc en déduire que celles qui sont actuellement
appliquées sont totalement inefficaces.
Malika Sorel est sociologue
L'autorité vient du latin auctoritas (droit de possession, garantie).
La notion d’auctoritas, essentielle en droit privé et en droit public romains, se rattache, par sa racine, au même groupe que augere (augmenter), augure (celui qui accroît l’autorité d’un acte par l’examen favorable des oiseaux), augustus (celui qui renforce par son charisme celui qui est porteur de l'auctoritas). L’auctoritas exprime à son tour l'idée d'augmenter l'efficacité d'un acte juridique ou d'un droit.
De même le Sénat, grâce à son incomparable prestige, a la vertu
d'augmenter la portée de tout acte pour lequel il a donné son accord
(son auctoritas). Aucune de ces décisions ne sera prise
directement par le Sénat (il n'en a pas le pouvoir). Mais tous ces
projets, enrichis de l’auctoritas du Sénat, sont assurés du
succès. Aucun acte politiquement significatif n'est mis à exécution par
un magistrat sans l'accord (et la délibération) du Sénat. Au point que
tout se passe comme si l'inspirateur de la décision était le Sénat, et
l'exécutant, le magistrat. Telle est la force de l’auctoritas : sans elle, pas d'action ; devant elle, pas d'inaction.
La notion d'autorité vient d'être définie dans un sens plutôt
juridique et social. C'est son caractère nécessaire, voire indispensable
à la structure de toute société qui la rend légitime pour le plus grand
nombre et qui permet de l'opposer erga omnes (à condition bien
sûr, qu'elle soit régulière juridiquement). On ne doit pas oublier, non
plus, ce qu'on appelle l’autorité naturelle pouvant se dégager d'une
personne (et là encore l'aspect bénéfique est sous-jacent). Il convient
de signaler enfin, que la notion de d'autorité a été traitée en
philosophie et en sociologie, notamment par Max Weber et Alexandre Kojeve. Pour Hannah Arendt,
l'autorité n'est pas nécessairement un rapport de domination, puisque
c'est la capacité d'obtenir l'obéissance « sans recourir à la contrainte
par la force ou à la persuasion par arguments » et que « l'autorité
implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté »
(« Qu'est-ce que l'autorité ? », La crise de la culture, 1958).
Dans une perspective libérale, John Locke précise que le pouvoir politique trouve son origine dans le consentement de ceux sur lesquels s'exerce l'autorité ; et qu'il a sa fin dans la garantie du respect des droits naturels de tout homme, qu'il doit arbitrer les conflits et exercer un droit de punir.
Classification des systèmes d'autorité
Max Weber fut le premier à analyser le rôle du leader en proposant une classification objective des systèmes d'autorité :
- l'autorité charismatique : elle repose sur la soumission d'une personne. Cette domination est fondée sur les caractères extérieurs mais aussi sur le phénomène psychologique du "leadership". C'est un double processus de reconnaissance des qualités réelles et d'idéalisation.
- l'autorité traditionnelle : elle est fondée sur la croyance et le respect de l'ordre établi. C'est le modèle des monarchies de droit divin. La croyance est la raison de soumission à l'autorité.
- l'autorité rationnelle légale : on reconnait la capacité de quelqu'un dans un certain domaine et l'on exige des preuves d'efficacité. La compétence est le fondement de l'autorité.
L'autorité dans les organisations
Un certain nombre de chercheurs ont tenté de comprendre le principe
d'autorité dans les organisations, particulièrement dans les entreprises, à partir d'études expérimentales relatives à l'obéissance et à l'autorité. Le livre de Stanley Milgram, en 1974 suite à ses études de 1965, en fournit un fameux exemple. Les travaux de Theodore Adorno (1950)[1], aux États-Unis,
sur la personnalité autoritaire ont montré, à travers des expériences
alarmantes, non seulement que les dirigeants se comportent comme des
leaders autoritaires, mais que les gens cèdent facilement leur
libre-arbitre face à l'autorité. L'invention de l'échelle F (ou échelle
fasciste) par Adorno, après la Seconde Guerre mondiale, fait découvrir
comment un personnage comme Adolf Hitler fut en mesure d'exercer un pouvoir
et une telle influence autoritaire. L'excès d'autorité devient de
l'autoritarisme, qui encourage la soumission et la projection de
frustration d'agressivité sur d'autres personnes perçues comme étant
plus faibles[2].
Les théoriciens béhavioristes de la firme (James G. March, Herbert Simon)
rectifient l'analyse. En effet, ils développent l'argument qu'il est
plus facile d'influer sur les prémisses cognitives que d'essayer
d'influencer directement les facteurs de motivation. Dans les organisations, les motivations
sont le résultat complexe de processus psycho-affectifs et sociaux qui
sont moins flexibles que la plasticité des processus cognitifs. Donc, le
manager peut influer sur les motivations en agissant sur le cadre organisationnel, en favorisant l'orientation de l'attention des salariés dans certaines directions.
Des actes jugés injustes s’ils sont accomplis par des agents privés sont
souvent considérés comme admissibles s’ils sont accomplis par des
agents de l’État.
Vous vivez dans un petit village avec un problème de criminalité. Des
vandales volent et détruisent la propriété des gens. Rien n’est fait
pour les en empêcher. Ainsi un jour, vous décidez avec votre famille d’y
mettre un terme. Vous prenez des armes et vous cherchez les vandales.
Parfois vous en trouvez un, vous le ramenez chez vous et vous l’enfermez
dans le sous-sol. Vous donnez de la nourriture pour que le prisonnier
ne meure pas, mais vous le gardez enfermé pendant quelques temps. Après
avoir opéré de la sorte pendant quelques semaines, vous frappez à la
porte de vos voisins. « Vous avez remarqué qu’il y a moins de crime ces
dernières semaines ? Eh bien c’est grâce à moi. Je suis là pour
collecter votre contribution au fond de prévention du crime. Votre
facture pour ce mois-ci est de 100$ ». Vous lui expliquez que, s’il
devait refuser de payer, vous devrez malheureusement le considérer lui
aussi comme un criminel, et alors vous devrez lui aussi le soumettre à
un confinement de long terme dans votre sous-sol.
C’est avec cette histoire que Michael Huemer fait débuter son livre The problem of Political Authority : an examination of the right to coerce and the duty to obey. Comment réagiraient les voisins dans cette histoire ? Tout d’abord presque personne ne considérerait qu’ils vous doivent
quelque chose. Ensuite, la plupart considéreraient vos actions comme
scandaleuses : vos demandes de paiement seraient vues comme de
l’extorsion brute et votre confinement de ceux qui refusent de payer
serait vu comme du kidnapping. Pourtant votre comportement ressemble à
celui d’un État rudimentaire puisque vous avez exercé deux rôles
centraux d’un État : vous avez puni les gens qui violaient les droits
des autres et qui désobéissaient à vos ordres et vous avez récupéré des
contributions non volontaires pour financer vos activités. Certains
diront que ce n’est pas vrai, dans l’histoire ce que fait le personnage
principal ne correspond pas à ce que fait un État puisqu’il n’y a pas de
juste procès ou de lois préétablies que le personnage suivrait, mais ce
sont des détails et on pourrait modifier l’histoire pour qu’elle soit
plus proche de la réalité de ce que fait un État.
Profondément, ce que cette histoire révèle, c’est qu’on considère que
les États peuvent faire des choses que des organisations non-étatiques
ne peuvent pas faire. Nos jugements éthiques diffèrent grandement selon
qu’il s’agit d’actions étatiques ou non étatiques. Des actes qu’on
considérerait injustes ou moralement inacceptables s’ils sont accomplis
par des agents privés seront souvent considérés comme parfaitement
admissibles, ou même louables, s’ils sont accomplis par des agents de
l’État. « Pourquoi accordons-nous ce statut moral spécifique à l’État, et avons-nous raison de le faire ? », demande Michael Huemer. « C’est le problème de l’autorité politique ».
C’est cette autorité politique qui permet à l’État d’utiliser la force
d’une manière non admissible pour des agents non étatiques.
L’auteur procède alors à une étude de cette autorité politique.
Comment a-t-elle été justifiée, ces justifications sont-elles valides ?
Et pour cela, il prend une approche originale : plutôt que de partir
d’une théorie morale exhaustive qui serait sujette à discussion et
controverse, il part d’affirmations morales qui sont intuitives. Ainsi,
guidés par le bon sens, nous sommes poussés à dire que le comportement
décrit dans l’histoire est inadmissible. C’est toute la puissance de ce
livre que de partir d’intuitions éthiques largement partagées pour en
arriver à des conclusions qui, au premier abord, apparaissent comme
radicales.
Alors d’où vient l’autorité politique ? Michael Huemer étudie une
série des justifications les plus connues et admises. La théorie du
contrat social explicite telle que la développe Locke ne tient pas
puisque personne n’a jamais signé de contrat, et même si c’était le cas
il ne peut lier les générations qui suivent.
La théorie du contrat social implicite est plus subtile, notamment
dans sa version qui lie le contrat social au fait de résider sur le
territoire. C’est de cette théorie que vient le fameux argument que vous
avez déjà probablement entendu « si tu n’aimes pas le système, tu n’as
qu’à partir ! ». Michael Huemer propose une variation de l’histoire
initiale où quand vous allez demander le paiement aux voisins, ils
protestent qu’ils n’ont jamais donné leur accord de payer pour vos
services de prévention du crime. « Au contraire, répondez-vous, vous
avez donné votre accord en vivant dans votre maison. Si vous ne
souhaitez pas me payer, vous pouvez quitter votre maison. » Est-ce
raisonnable ? Certainement pas. Comme l’explique l’auteur :
« si vous avez un locataire qui occupe votre maison, alors vous pouvez lui demander qu’il paie pour vos services de protection (dans la mesure où c’est possible en fonction du contrat existant). Mais vous n’avez aucun droit de demander que vos voisins quittent leur maison ou de mettre des conditions sur l’occupation à venir de leur propriété. »
Ce que
cette théorie du contrat social implicite suppose donc, c’est que l’État
possède l’entièreté du territoire sur lequel il exerce son pouvoir, or
rien ne permet de l’affirmer.
Un autre argument souvent utilisé est celui de la démocratie. Michael
Huemer utilise une nouvelle histoire : vous êtes à un bar et on cherche
à savoir qui va payer la facture. Un collègue suggère que vous devriez
payer pour tout le monde. Vous déclinez, mais il propose un vote. Avant
de procéder au vote, le groupe délibère, tout le monde a la possibilité
de s’exprimer y compris vous. Malgré vos protestations, le reste du
groupe avance des arguments que ce serait dans l’intérêt du groupe. Le
vote a lieu et tout le monde sauf vous vote en faveur de la proposition.
Êtes-vous obligé de payer ? Le reste du groupe peut-il vous forcer à
payer via des menaces de violence ? Clairement pas. Vous avez des droits
que même une majorité ne peut légitimement nier. Un vote même précédé
d’une délibération qui semble juste ne donne pas de légitimité à l’État.
Mais un autre argument semble tenir, c’est celui des conséquences.
L’auteur propose l’histoire d’un bateau qui court le danger de couler si
la plupart des passagers ne commencent pas à retirer l’eau du bateau.
Aucun des autres passagers ne le fait, malgré vos efforts pour les
convaincre. Vous sortez alors votre arme à feu et vous ordonnez aux
passagers de participer aux efforts. Dans cette situation, votre usage
de la force semble justifié. Un principe se dégage donc : il est
admissible d’utiliser la force pour contraindre une personne ou violer
les droits de propriété d’une personne, dès lors que cela permet
d’empêcher quelque chose de bien pire de se produire. Ainsi la capacité
de l’État de contraindre les gens et de s’emparer de leur propriété à
travers les impôts peut être justifiée si c’est nécessaire pour empêcher
un effondrement total de la société. Toutefois cette légitimité est
fortement contrainte aux seules activités absolument nécessaires pour
éviter une catastrophe, donc aux fonctions dites « régaliennes » de
défense et de justice.
Mais l’État est-il réellement nécessaire pour éviter le chaos ?
Michael Huemer répond par la négative dans la deuxième partie de son
livre, en décrivant la manière dont une société anarcho-capitaliste
pourrait résoudre les conflits et produire de la sécurité. Je ne
reproduirai pas en détail ses explications mais elles ne sont pas
forcément originales, et peuvent être trouvés ici, ici, ici ou encore ici.
L’auteur se rend bien compte que ses conclusions anarchistes peuvent rebuter certains lecteurs. Il prévient au début du livre :
« La plupart des gens semble être convaincue que l’anarchisme est une bêtise évidente, une idée qui peut être réfutée en 30 secondes avec une réflexion minimale. C’était mon attitude avant que je sache quoi que ce soit de la théorie. J’ai fait l’expérience que ceux qui ont cette attitude n’ont aucune idée de ce que pensent réellement les anarchistes. […] Je demande donc au lecteur de ne pas abandonner la lecture du livre simplement à cause de sa conclusion. L’auteur n’est ni stupide, ni fou, ni méchant ; il a une explication raisonnée de la manière dont une société sans État pourrait fonctionner. »
En conclusion, je ne peux que recommander aux anglophones de lire ce livre. The Problem of Political Authority
est un bijou d’une extraordinaire rigueur intellectuelle avec une
approche très originale basée sur l’application d’intuitions éthiques
quasi-universelles. Dans cette description je n’ai fait que gratter la
surface de ce que le livre a à offrir et le chapitre 6 sur la
psychologie de l’autorité vaut à lui seul son prix. Bravo M. Huemer.
Par Édouard H. est un anarchiste libéral étudiant à l'IEP de Strasbourg, président de
SFL Strasbourg et Local Coordinator pour European Students for Liberty.
— Michael Huemer, The problem of Political Authority, Palgrave Macmillan, 2012, 394 pages.
Quelle solution pour éviter l’escalade de la violence policière ?
Le mois d’octobre marquera le dixième anniversaire de la mort de Zied
et Bouna, deux adolescents de Clichy sous Bois électrocutés en voulant
échapper à un contrôle de police. Ils n’avaient commis aucun délit, mais
ne voulaient pas se retrouver en garde à vue en plein ramadan, chose
qui peut arriver à n’importe quel jeune Français issu de l’immigration,
contrôlé sans raison, si ce n’est le délit de faciès. Suite à cet
événement, une insurrection a embrasé la France entière pendant trois
semaines, dénonçant ce que Guy Sorman a appelé « l’apartheid anti-jeunes ». Dix ans plus tard, rien n’a changé et nous en sommes toujours au même point.
« Une fois, à la sortie d’un chantier où je travaillais, la police est arrivée pour un contrôle d’identité et j’ai été écarté des autres ouvriers. C’était un contrôle banal qui s’est déroulé sans incident, seulement ça m’a fait mal d’être le seul à être contrôlé, juste parce que je suis étranger.
— Et pourtant, tu es Français ?
— Oui, mais je ne suis pas blanc, je suis d’origine pakistanaise. »
En 2009, l’écrivain Frédéric Beigbeder a été placé 36 heures en garde
à vue pour avoir consommé de la cocaïne sur le capot de sa voiture. Il a
obtenu le prix Renaudot pour Le roman français, le livre dans lequel il dénonce les conditions de sa détention, même si plusieurs passages ont été censurés, ses avocats craignant des poursuites pour outrage à magistrat,
fait étonnant dans un pays qui manifeste en brandissant des crayons
pour défendre la liberté de parole. Cet événement a surtout démontré
qu’une garde à vue peut arriver à tout le monde, la moitié de la
population du pays étant recensée dans le fichier STIC de la police
nationale. La France est le seul pays européen où la garde à vue est
possible en l’absence d’un délit grave, juste pour la nécessité d’une
enquête, en présence d’un simple soupçon d’infraction commise.
« J’ai une tête d’arabe et un prénom arabe, mais ma mère a épousé un Français et j’ai un nom de famille français. Du coup, j’ai fait plusieurs gardes à vue car la police pense que j’ai des faux papiers. C’est pour ça que je m’entraîne au free fight, pour bloquer leurs coups avec une clé de bras. »
Dans un contexte économique et social explosif, gangrené par la crise
et le chômage, les manifestations pacifiques sont de plus en plus
réprimées par les forces de l’ordre. Tel est l’exemple des Veilleurs, un
mouvement de désobéissance civile dont les membres se rassemblent
devant les ministères et brandissent des bougies pour protester contre
la politique gouvernementale. Sa devise est celle de Thomas More
consacrée à la liberté de conscience : « C’est cher d’être libre. Mais le dernier des esclaves peut l’être s’il accepte de payer. »
Et pourtant, les interpellations sont tellement nombreuses que le
mouvement a dû publier une page d’aide juridique pour soutenir les
manifestants en garde à vue.
Le Syndicat de la magistrature a également publié « Le guide du
manifestant arrêté » téléchargeable sous format PDF qui explique en
grands détails le déroulement de la procédure d’arrestation afin de
protéger les droits des intéressés. Si les médias ont amplement commenté
la mort de Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans tué alors
qu’il manifestait pacifiquement contre la construction d’un barrage dans
le sud de la France, les autres victimes sont passées sous silence.
Selon une recherche publiée par le CFJ, Centre de formation des
journalistes, entre 2005 et 2015 il y a eu 54 morts à la suite de
violences policières.
« Comme j’ai grandi dans une cité, les gardes à vue, j’en ai fait plus de cinquante dans ma vie, et ce depuis l’âge de onze ans. Une fois, j’en ai fait même deux dans une seule journée. Un pote à moi s’est approché trop près d’un scooter et les flics nous ont embarqué tous les deux. Si tu vas d’un point A à un point B, tu peux y échapper, mais dès que tu t’attardes dans la rue tu risques un contrôle de police. Ils cherchent à te provoquer pour que tu les insultes, afin de t’embarquer pour outrage à agent. Ils cherchent à t’humilier avec les fouilles au corps. Une autre fois, ils m’ont fait remonter toute l’avenue à pieds, pour que tous les voisins puissent me voir menotté. Arrivé au poste, j’ai lancé à l’agent d’accueil que demain matin je serai dehors, tandis que lui sera coincé là jusqu’à la fin de sa carrière. En réalité, ce sont des incompétents. La dernière fois qu’ils ont fait une perquisition chez moi, ils ont oublié leur flash-ball. Je me souviens encore, à côté de la gare de l’est, ils m’ont passé à tabac sans aucune raison, je devais avoir 17 ans. Ou la fois où je devais partir en vacances avec ma copine, j’ai raté le vol car j’étais en garde à vue ; elle est partie toute seule et m’a quitté. Aujourd’hui encore j’ai été contrôlé à la gare du nord, je devais prendre un train pour l’Allemagne. Les policiers m’ont demandé ma nationalité, j’ai répondu que j’étais Français et ils m’ont alors demandé mon billet. Et pourtant aujourd’hui, à l’âge de 24 ans, mon casier judiciaire est toujours vierge. »
En 2013, lorsque les émeutes ont éclaté à Grigny suite à un contrôle
d’identité, il y avait eu un réel décalage entre la version édulcorée
relayée par les médias traditionnels et les informations qui ont pu être
recueillies sur les réseaux sociaux, où on trouvait des vidéos montrant
des policiers insultant les citoyens. Ministre de l’Intérieur à cette
époque, Manuel Valls avait conseillé aux Français de s’informer dans les
médias traditionnels plutôt que de consulter les réseaux sociaux, mais
sans succès. Le ministre a fini par imposer aux fonctionnaires de porter
un matricule en évidence et de vouvoyer les citoyens.
« Je me suis faite agresser dans la rue par un individu qui a voulu arracher mon sac. Couverte d’hématomes, je suis allée au commissariat pour déposer une plainte contre X pour violences volontaires. Les policiers m’ont conseillé de porter plainte pour tentative de viol, afin d’éviter un classement sans suite de ma plainte. Lorsque j’ai fait remarquer que je ne pouvais faire une déclaration mensongère, ils m’ont répondu que si l’auteur n’était pas arrêté, et qu’il arrivait la même chose à une autre femme, j’en serais responsable. Un mois plus tard, un officier de la PJ m’a convoquée pour obtenir davantage de précisions et m’a traitée comme si j’étais l’auteur du délit. Il m’a reproché de faire perdre mon temps à la police et m’a suggéré de retirer ma plainte car l’auteur des faits ne serait de toute façon jamais appréhendé. J’ai alors signé un document. Le même officier m’a téléphoné le même jour pour s’excuser de son comportement et me rencontrer de nouveau car je détenais un objet portant les empreintes de mon agresseur. Il s’est alors déplacé à mon domicile, et m’a proposé une liaison sans lendemain, il était marié, mais appréciait les filles de l’est aux jolies formes. »
Il existe beaucoup de sites associatifs qui recensent les violences
policières, bien que le plus connu parmi eux, Copwatch France, ait été
interdit par la justice. Beaucoup sont consacrés aux injustices subies
par les sans-papiers, souvent mariés à des Français ou parents d’enfants
européens, ce qui rend leur expulsion illégale. Suite à une décision de
la justice européenne, ces derniers ne peuvent plus être mis en garde à
vue, le fait de ne pas avoir de papiers ne constituant pas un délit ;
depuis, ces personnes sont placées en rétention administrative et
perdent même les droits dont elles bénéficiaient lorsque leur garde à
vue était envisageable.
« Je me suis battu avec un homme dans le quartier et je lui ai déchiré sont tee shirt. Soudain, un homme casqué s’est mis à me donner des coups et je l’ai frappé aussi. Il s’est avéré que c’était un policier, et il m’a embarqué. Une fois au poste, ils ont apporté un couteau et voulaient que je reconnaisse qu’il m’appartenait, ce qui était faux. Je suis resté 24 heures en garde à vue sans manger ni dormir. À cinq heures du matin, ils m’ont apporté un document en me disant que je pouvais sortir si je le signais. Après l’avoir lu, j’ai refusé de le signer car j’y reconnaissais que le couteau m’appartenait. »
Les violences policières en France sont régulièrement dénoncées par les ONG. La dernière en date, celle de Human Rights Watch publiée en janvier 2015,
dénonce les violences gratuites subies par les demandeurs d’asile, ceux
qui ont perdu leurs familles et foyers dans la guerre et qui ont
demandé la protection de notre pays.
« Une fois, j’ai été en garde à vue pendant 72 heures et j’ai commencé à être agité car c’était anormalement long, et on me laissait dans l’ignorance. Un policier m’a frappé derrière la tête avec une matraque et je me suis évanoui. Lorsque j’ai repris connaissance, j’ai constaté que mes vêtements étaient couverts de crachats. »
Quant à ceux qui s’adressent à la police pour demander une protection
ou obtenir un renseignement, obtiennent-ils satisfaction ? Ils sont
souvent dissuadés de porter plainte. Lorsqu’ils recherchent une personne
disparue, on leur répond que les gens sont libres de disparaître sans
laisser de trace et que le chagrin des familles n’est pas forcément
signe d’une disparition inquiétante. L’enquête décrite dans le poignant
film « 24 jours » consacré à la mort d’Ilan Halimi, kidnappé, séquestré
et mort de faim alors que la famille avait réuni les fonds pour payer la
rançon, montre que la police ne parvient même pas à remplir son rôle
principal, celui d’assurer la protection des citoyens.
« Aujourd’hui, à Aulnay sous Bois, j’ai vu quatre hommes avec une kalachnikov en évidence, dans une voiture, et je me suis dit qu’ils devaient être sur le point de faire un braquage.
— Ils ne portaient même pas de cagoules ?
— Ben non, sinon, comment vont-ils conduire ?
— Et personne du quartier n’a songé à prévenir les autorités ?
— Personne, et moi je me suis dit que je leur souhaitais bonne chance. »
Si la police nationale perd la confiance des citoyens, pourquoi ne
pas la privatiser ? Dans les années 1970, en comparant les statistiques
de plusieurs pays, Édouard Savas a démontré que le secteur privé est
toujours deux fois moins cher que le secteur public pour un service
collectif équivalent1. David Friedman, fils du célèbre économiste et prix Nobel Milton Friedman, nous a montré que même les forces de police et de défense nationale peuvent être gérées par le secteur privé.
La privatisation de la police est non seulement dans l’intérêt des
citoyens contribuables car elle réduit les dépenses publiques, mais
aussi car le secteur privé obéit à la logique de rentabilité et ne prend
pas en compte les paramètres tels que l’origine sociale ou ethnique des
éventuels auteurs des délits. Si la privatisation est basée sur une
communauté d’intérêts, le principe si cher aux libéraux, elle mettra fin
au racisme sous toutes ses formes et apportera la paix sociale.
Par Natasa Jevtovic est titulaire d’un Master 2 en économie politique de l’Institut d’études
européennes, à Saint Denis. Elle est chargée de Middle Office OTC dans
la finance, correspondante du quotidien serbe « Politika » et auteur de
l’ouvrage « La Passion Immobilière : Comment acheter un Appartement avec
le SMIC », publié aux éditions Le Manuscrit.
Les citations qui émaillent l’article ont été recueillies par l’auteur auprès de victimes et de témoins de violences policières
- Guy Sorman, La solution libérale, éditions Fayard, Paris, 1984, p. 213-214. ↩
F) Violence à l’école : des priorités clairement définies - H16
Ainsi donc,
l’école n’est pas toujours ce havre de paix et de calme propice à
l’enseignement. Ainsi donc, il semble que l’Éducation nationale ait
quelques problèmes à faire régner l’ordre et la discipline dans certains
de ses établissements. Mais rassurez-vous : le problème à peine
mentionné, des solutions opérationnelles efficaces se dessinent déjà.
Bon, certes, ce n’est pas la première fois qu’une école brûle, et plus particulièrement dans ce quartier sensible.
Mais regardons le bon côté des choses : ce fut l’occasion pour quelques
membres du gouvernement de sortir un peu prendre l’air, d’aller serrer
la main de quelques personnes du peuple, de balancer quelques vérités
fracassantes avant de repartir bien vite vers le prochain cocktail et le
plateau suivant de petits-fours. Najat Vallaud-Belkacem, l’ancienne
porte-parlote du gouvernement devenue ministre de l’Éducation Nationale
sur un malentendu lors d’un jeu de chaises musicales auquel Benoît
Hamon, l’éternel étudiant, perdit jadis avec le panache des cuistres, a
profité de sa présence presque fortuite sur les lieux pour lancer, avec
une profondeur d’analyse rarement égalée, que (je cite) :
« Les événements d’hier [lundi 20.10.14] sont des événements graves, d’une violence physique et symbolique inouïe destinée à terroriser la population. »
Pour pouvoir ainsi affirmer une chose avec tant de force, elle
s’était courageusement adjoint les services de Bernie Cazeneuve, dont
l’extraordinaire passage aux Affaires Européennes, puis le frémissant
passage au Budget, avant son actuel poste ébouriffant à l’Intérieur, ont
laissé une empreinte forte dans l’histoire de la République. Tout de
go, le ministre s’est d’ailleurs exclamé, à bon droit (je cite
toujours) :
« Nous sommes venus dire notre détermination à faire en sorte que le droit passe »
Il court, il court, le ministre ; le droit est passé par ici, il
repassera par là, c’est lui qui vous le dit, nomého ! D’autant que le
chef de la police, toujours aussi lucide, a ajouté :
« Le problème à Corbeil-Essonnes est d’abord celui du rétablissement de l’ordre public. »
Ah tiens donc ? Rejoindrait-on le constat effectué dans ces colonnes
il y a quelques jours ? Il y aurait donc un petit souci de
rétablissement de l’ordre public à certains endroits… Et puisqu’on parle
ici d’écoles et de lieux d’éducation, allons plus loin et osons le
dire : il y a peut-être un petit souci de rétablissement de l’ordre
public au sein même des établissements scolaires. Oh, ce n’est pas moi
qui le dis, c’est le simple constat dressé à longueur d’années par le
corps enseignant lui-même dans certains lycées, dans certains collèges
et – malheureusement – dans certaines écoles primaires aussi.
Pour essayer de cerner la question, pendant une semaine, France Bleu
107.1 a décidé de recenser les incidents signalés par les équipes
éducatives à leur hiérarchie, de la maternelle au lycée, pour la
Seine-Saint-Denis. La liste obtenue est consultable ici
et il faudra probablement que le ministre de l’Intérieur la lise
quelque peu, aidé par sa copine Najat du gouvernement, qui a (dit-on)
une part de responsabilité dans la gestion du bousin des établissements concernés.
Cette liste établit une série de faits tous plus « croustillants »
les uns que les autres et si elle ne permet sans doute pas de dresser un
bilan exact et fidèle de l’enseignement en France (pour lequel on
espère, ardemment, qu’il n’en va pas partout pareil), elle permet
néanmoins de se rendre compte que l’égalité républicaine dont se
gargarisent nos ministres et nos élus semble avoir bien du mal à passer
les portes de certains établissements. À l’évidence, certains élèves
sont moins bien lotis que d’autres en terme de sécurité, et, par voie de
conséquence, en terme d’éducation : difficile de bien lire au tableau
avec les deux yeux pochés, je présume, et déclamer distinctement du
Ronsard (ou du Cortex, disons) avec des dents en moins relève parfois de
la gageure, reconnaissons-le.
Ceci dit, au-delà des petites phrases outrées et politiciennes de nos
ministres en pleine justification de leurs indemnités, il faut bien
reconnaître que des actions, vigoureuses, sont en place pour essayer de
lutter contre la violence à l’école. Par exemple, grâce à des sous-sous
de la popoche du contribuable (en provenance de l’Europe notamment), des
programmes à la fois pertinents, bien étudiés et joliment vitaminés
sont mis en place pour sensibiliser les jeunes à la violence scolaire
(sur stoplaviolence.net pour les ados et vinzetlou.net pour les plus jeunes) parce que, mes petits amis, il y a urgence à agir, fouyaya fouyaya.
On passera rapidement sur le fait que ceux qui sont les plus
susceptibles de commettre ou de subir les violences en question ont une
probabilité infinitésimale d’aller sur les sites correspondants ou d’en
avoir quelque chose à carrer, ce qui nous évitera de nous poser la
question de la pertinence réelle de tout ce fatras dégoulinant de
niaiserie et d’inefficacité opérationnelle pour retenir que, ouf,
quelqu’un semble avoir pris conscience que la violence scolaire, c’est
mal, que ce serait assez chouette d’y mettre un terme et ce serait
d’autant mieux si les autorités compétentes pouvaient prendre part à
l’opération.
Et ça tombe bien.
Alors que des élèves du primaire tentent de s’énucléer à coup de Bic
ou que d’autres, au collège, font vraisemblablement du trafic de sucre
en poudre entre deux tournantes, l’Éducation Nationale prend le problème
à bras le corps : il faut en finir avec les stéréotypes sexistes.
Eh oui.
Sans même parler des abominations qu’on trouve parfois dans certains manuels qui comportent des pages hallucinantes
dans lesquelles papa travaille au bureau et maman fait le ménage à la
maison (nan mais quelle horreur !), le Haut Conseil à l’Égalité entre
les hommes et les femmes a clairement fait savoir
que l’Éducation Nationale a un rôle à jouer dans la lutte contre les
représentations stéréotypées, merde à la fin. Pour ce Haut Conseil
indispensable au bon vivre-ensemble dans nos établissements scolaires,
les collectivités et l’Éducation Nationale, qui financent les manuels
scolaires, devraient s’équiper d’une grille d’indicateurs
(bullshitometer ?) pour prévenir la présence de stéréotypes dans ces
manuels, et faire le nécessaire pour former les enseignants à l’égalité
hommes-femmes (en plus des cours d’auto-défense, pas mentionnés mais
certainement envisagés, on en est sûr, par ce Haut Conseil si
puissamment humaniste).
Autrement dit et pour le poser gentiment, on se fout ouvertement de
la gueule du monde avec un cynisme et un détachement que seule une
parfaite stupidité doublée d’une complète déconnexion de la réalité
permettent avec autant de décontraction. On se moque des élèves en
s’occupant du sexisme de leurs manuels alors qu’il faudrait commencer
par s’assurer qu’ils seront ouverts et un peu lus (déchiffrés, disons)
au cours de l’année. On se moque des parents en leur ponctionnant les
impôts correspondant à ce qu’on fait passer pour une scolarité alors que
pour certains, « malchanceux », cela ressemble plus à un parcours du
combattant qu’autre chose. On se moque des enseignants qui n’ont
absolument pas besoin de ce genre de branlette intellectuelle
périphérique, ajoutée aux kilotonnes consternantes de contraintes
administratives, éducatives et organisationnelles que le ministère leur
ajoute tous les ans au prétexte de réformes toutes plus idiotes les unes
que les autres.
Parents, enfants, enseignants, réveillez-vous : ces élus, ces
décideurs, ces responsables se payent ouvertement votre poire, avec
votre argent, votre temps, votre avenir.
Hseize Hashtable Tombé tout petit dans le libéralisme et les mocassins à glands, j'ai
décidé d'enquiquiner le reste du monde en faisant des articles.
G) L’Islam est-il la cause de tout ?
L’Islam porterait-il en lui un germe destructeur interdisant d’avancer vers la liberté politique et le progrès économique ?
L’Irak et la Syrie, deux États arabes, se décomposent sous nos yeux.
Le Niger, le Mali, le Nigeria sont déstabilisés par des milices
islamistes. Le régime algérien ne tient que par la répression militaire.
Du Printemps arabe ne survit que la Tunisie, de culture méditerranéenne
autant qu’arabo-musulmane. L’Islam porterait-il en lui un germe
destructeur interdisant d’avancer vers la liberté politique et le
progrès économique ? Les musulmans n’auraient-il le choix qu’entre la
restauration d’un califat mythique ou la dictature militaire ?
L’Islam comme seule cause explicative ? C’est moins l’Islam en soi
qui bloque toute évolution que l’une de ses interprétations, spécifique
au monde arabe. Je dois cette distinction essentielle entre Islam et
Arabisme à un illustre prédicateur, maître à penser de dizaines de
millions de disciples, brièvement Président de l’Indonésie de 1999 à
2001, Abdurrahman Wahid. Surnommé affectueusement Gus Dur (Oncle) par le
peuple javanais dont il était issu, il observait que 80% des musulmans
n’étaient pas arabes, que dans la plupart des pays musulmans non arabes,
Indonésie, Malaisie, Bangladesh, Turquie… démocratie libérale et
économie de marché arrachaient les peuples à la misère sans que ceux-ci
ne renoncent à l’islam. Ou à leur islam. En Islam, il n’existe pas
d’autorité supérieure qui édicterait des normes communes. Chaque
musulman est libre dans son rapport à Dieu, par l’intermédiaire du
Coran. Comme le dirait Jacques Berque, traducteur du Coran en français,
les Musulmans sont des Protestants, pas une Église catholique aux ordres
d’un Pape.
Selon Gus Dur, parmi les musulmans, les Arabes seuls souffriraient
d’une sorte de Mal historique : le mythe de l’Âge d’or. Les Arabes,
expliquait-il, vivent dans la nostalgie de leur grande époque, celle du
Prophète et des califes qui lui succédèrent. Les mouvements islamistes
plus extrémistes, comme Al Qaida ou ISIS (Islamic State in Iraq and
Syria), n’ont d’autre programme qu’un retour à cet Âge d’or et la
restauration du Califat.
Tandis que pour les musulmans non arabes, ajoutait Gus Dur, le passé
ne renvoie qu’à l’ignorance (avant la Révélation par Mahomet) et à la
pauvreté. Pour un musulman arabe, l’Âge d’or est situé dans le passé et
pour un non arabe, dans le futur. Voici pourquoi l’Indonésie musulmane
progresserait, tandis que la Syrie, l’Irak ou l’Égypte, arabes et
musulmans, régresseraient. Il ne doit pas être facile d’être arabe,
concluait Gus Dur, compatissant et moqueur. À ce mythe de l’Âge d’or
s’ajoute dans une grande partie du monde arabe, ce que les économistes
appellent « la malédiction des ressources naturelles » : le pétrole et
le gaz en abondance laissent croire qu’il n’est pas nécessaire
d’entreprendre pour s’enrichir. Tout prince saoudien ou qatari,
confiscateur de la rente pétrolière et affichant une grande piété de
surcroît, ajoute le mythe de la Caverne d’Ali Baba à celui du Califat.
Si l’on applique à l’ensemble du monde musulman la distinction
proposée par Gus Dur, elle éclaire aussi la situation de pays non arabes
mais qui furent islamisés par les Arabes. La région coïncidant avec le
Pakistan actuel fut convertie à l’islam par des guerriers arabes, tandis
que le Bangladesh, la Malaisie ou l’Indonésie, comme une grande partie
de l’Afrique occidentale devinrent musulmans sous l’influence de
négociants prédicateurs ou missionnaires itinérants de tradition
mystique, les Soufis. Non seulement l’Islam est infiniment pluriel et de
plus, de ses origines dépendent ses formes actuelles. À quoi s’est
ajouté récemment un nouvel Islam, mondialisé – l’Islam des banlieues –,
simplifié et portable que pratiquent les migrants endoctrinés par
internet. Internet qui véhicule plus aisément la violence et le mythe
que la connaissance et la modération.
Gus Dur eut l’ambition d’organiser à l’échelle du monde musulman un
mouvement de l’Islam modéré, ainsi qu’il y était parvenu en Indonésie où
les intégristes sont marginalisés. Mais il a disparu en 2009 sans que
nul ne le relaie. Pourrait-on organiser les musulmans modérés ? La
modération n’invite pas au militantisme. On ne voit donc pas d’issue
immédiate à la tragédie arabe parce que les peuples n’apprennent jamais
que de leurs propres erreurs. Les Arabes ont « essayé » le socialisme
dans les années 1960 : le socialisme arabe a échoué. L’Iran a essayé la
théocratie, sans résultat, et s’en débarrasse progressivement. Les
Égyptiens ont confié le pouvoir aux islamistes, qui se sont révélés
incapables de gérer une économie : exit les Frères musulmans. Il est, en
revanche, plus difficile de se débarrasser des dictatures militaires :
mais à terme, elles aussi seront expulsées tant elles s’avèrent
incapables d’améliorer la vie du peuple. Le premier Printemps arabe a
échoué, mais d’autres lui succéderont : les Occidentaux non musulmans
pourraient-ils accélérer cette transition historique ? Les Américains
ont tenté, ils ont échoué. Ce qui ne devrait pas conduire à l’abstention
mais à soutenir plus activement les modérés en islam quand on en trouve
et à soutenir les droits des musulmans quand ils sont opprimés autant
par les islamistes que par les dictateurs.
H) Violence de Wikiberal
Le terme de violence décrit un comportement agressif, non pacifiste, ennemi, autrement dit qui est une contrainte imposée, qui provoque la douleur, la peine.
La violence peut être :
- légitime, quand la victime de violence se défend par la violence (légitime-défense) ;
- non légitime, quand il s'agit d'une agression non motivée.
Pour les libertariens,
la violence a une définition objective précise. Tout ce qui déplaît à
quelqu'un ne peut être qualifié de "violence" : il n'y a violence que
s'il y a agression physique sur une personne ou atteinte directe à sa propriété.
Voir aussi
- Axiome de non-agression
- Police, crime, coercition, spoliation, cleptocratie, guerre
- Droit pénal
- Brutalisme
Citations
- La violence en elle-même n’a aucun caractère révolutionnaire. Historiquement, elle a plutôt été une arme entre les mains de la contre-révolution. Elle a plutôt servi à réprimer et à opprimer qu’à libérer... La violence n’a pas plus de contenu révolutionnaire que le bistouri n’a de contenu médical. (Jean-François Revel, Ni Marx ni Jésus, 1970)
- Le démocrate-social s’imagine que la violence des hommes de l’État pourrait instituer une forme de "rationalité supérieure", alors que la violence c’est l’irresponsabilité, et qu’elle détruit forcément l’information pertinente. (François Guillaumat, La secte des adorateurs du marché)
- La violence est le dernier refuge de l'incompétence. (Isaac Asimov)
Liens externes
(fr)Liberté et sécurité (analyse libertarienne des violences urbaines)
I) Certifier l’obéissance
L’histoire humaine est jalonnée d’insurrections, motivées autant par le
désir de la liberté que par la soif de tyrannie. Qu’est-ce qu’un
gouvernement peut faire pour assurer la protection des institutions ?
Changer une société n’est pas une tâche rapide : il faut de la
préparation, du temps et une organisation inflexible quant à l’objectif
fixé. Lorsque la Russie s’est trouvée devant l’insurrection « spontanée »
des bolchéviques, l’évènement s’appuyait sur des décennies d’un travail
méticuleux et acharné sur l’esprit de la jeunesse russe. Ainsi, une
civilisation réputée pour la rigidité de son administration impériale
fut propulsée comme première nation ouvertement communiste d’Europe.
Toutefois, rien ne la prédestinait à ce destin en particulier : la
garantie du succès en cette entreprise ne fut jamais acquise et, après
une sanglante guerre révolutionnaire, s’obtint grâce aux prévisions
faites bien avant la rébellion.
Le pouvoir politique n’est rien, par lui-même. « A » ne peut avoir de
pouvoir que s’il existe un « B », sur qui l’imposer. La force permet de
tuer ou de contraindre, mais demeure enclavée dans cette fine barrière :
le nombre de ses détenteurs ne peut dépasser un certain seuil, sans
quoi il n’y a plus assez de gens pour rentabiliser le fait de commander.
Il vient toujours un temps où celui qui tient le fusil se retrouve seul
à défendre les portes de son grand palais vide, du fait que la
puissance est un principe d’attraction, qui tend à se concentrer. Ce
moment arrivé, si la population est d’un caractère indocile et que les
flammes de la rébellion sont attisées dans son esprit, rien ne pourra
plus l’arrêter : il y aura bientôt une arme dans chaque main et des
balles dans chaque centimètre carré de plâtre.
Toutefois comme son administration, un peuple n’a pas de volonté
propre, il n’a que des aspirations éparpillées : seule la plus vivement
acceptée l’emportera. Si une population se rebelle, c’est qu’elle espère
voir le sang du « responsable » de son désarroi couler, qu’importe ce
qui viendra par la suite le remplacer. Un peuple peut faire s’effondrer
le gouvernement le plus réformateur, pour y installer le pire régime.
Sa soif de tueries peut aller jusqu’à le conduire à sauvegarder la
tyrannie responsable de son dommage et réduire en cendres les rébellions
les plus légitimes. L’histoire humaine est jalonnée de nombre
d’insurrections, motivées autant par le désir de la liberté que par la
soif de tyrannie. Aussi face à cette force si implacable que l’on peut
la considérer comme une catastrophe naturelle, qu’est-ce qu’un
gouvernement peut faire pour assurer la protection des institutions ? La
solution vint par accident et, comme beaucoup de grandes idées, fait
partie de la longue liste de ces bonnes intentions dont est pavé
l’enfer.
L’effet des révolutions industrielles
Lorsqu’une société évolue, notamment dans le cas d’une révolution
industrielle, la première génération à vivre la mutation est celle qui
en bénéficiera le plus : le renouveau rentabilise des activités où le
travail est abondant et simple. Les aciéries sollicitaient des hommes
capables de façonner la matière et les manufactures, des gens à même
d’exécuter une série d’instructions élémentaires. En quelques années,
les populations des campagnes se retrouvèrent face à des emplois de
rémunération si attractive qu’il devint plus lucratif de déménager en
ville. Un salaire face auquel le travail des champs ne représentait
qu’une misère sans avenir. Ils convergèrent par millions pour s’enrôler
dans les industries, fabricant massivement une nouvelle génération
d’outils de pointe, à moindre coût.
Si l’on ne demandait aucune compétence particulière à la première
génération des ouvriers, la seconde dû s’adapter à des tâches bien plus
exigeantes, en comparaison : les nouveaux employés durent apprendre à
faire fonctionner des machines complexes. Mais, comment former un
travailleur qui ne sait pas lire, écrire ou même compter ? Comment lui
expliquer qu’il doit suivre les instructions gravées sur l’appareil ou
effectuer un calcul, qu’il devra ensuite reporter sur le cahier de
réglage ?
En face de l’impuissance à résoudre ce problème, il devint rapidement
nécessaire d’attribuer du personnel supplémentaire pour surveiller
l’usage du matériel : le nombre d’ouvriers n’était plus la solution, il
devint une difficulté. Car, plus nombreux se trouvaient les manœuvres
les moins qualifiés, plus grand devrait être celui des surveillants.
Malgré l’image fantaisiste que l’on se fait aujourd’hui du siècle
industriel, les gens n’étaient pas des imbéciles incompétents : très
nombreux furent ceux qui apprirent à lire et écrire, de leur propre
chef. La promesse d’un meilleur débouché suffit amplement à justifier
cette difficulté passagère.
L’émergence de la lecture de masse qui s’en suivit donna une
impulsion nouvelle aux métiers de l’esprit : les activités d’écrivain,
de journaliste, d’essayiste et de pamphlétaire ne furent jamais si bien
représentées qu’à cette époque. Il est difficile d’imaginer comment tant
de gens ont pu acheter journaux et livres en de telles proportions, si
la majorité de la population fut aussi illettrée qu’on se l’imagine
désormais. Malgré cette évolution, il survit un problème dans l’esprit
des gens du commun : l’avenir de la famille. Si les parents peuvent
s’astreindre à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, avec un
peu de volonté, la tâche consistant à instruire un enfant est une toute
autre difficulté, qui nécessite du temps que les emplois ne leur
laissent plus. S’il y a bien une constante dans les sociétés civiles,
c’est la volonté qu’ont les anciens de garantir un meilleur futur à
leurs descendants.
L’instruction des enfants
« Comment instruire ses enfants ? » devint le problème
majeur de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, d’autant que la
délinquance juvénile se fit endémique dans les grandes métropoles. C’est
alors qu’advint une idée simple, qui changea le cours de l’histoire à
jamais : « l’instruction publique ». Un concept suintant de générosité,
qui transforma des centaines de milliers de conscrits en millions de
volontaires enthousiastes. Il changea une nation de rebelles en un
territoire d’obéissante docilité, à même d’accepter n’importe quelle
lubie momentanée.
L’instruction, en elle-même, est un principe aussi âgé que l’artisanat : les travailleurs de la terre et de la matière éduquaient leurs apprentis, avant même la fondation des premières grandes cités. Pourtant, lorsque l’on se réfère aujourd’hui à l’enseignement, nous pensons presque toujours à celle des lettres1. La plupart du temps les gens apprenaient à lire par eux-mêmes, quand ils en avaient la volonté, bien qu’elle fut moins nécessaire à la vie aux époques anciennes qu’à la nôtre. Au point que « savoir lire » fut un luxe réservé à ceux qui pouvaient se permettre d’utiliser leur temps dans la lecture.
L’instruction, en elle-même, est un principe aussi âgé que l’artisanat : les travailleurs de la terre et de la matière éduquaient leurs apprentis, avant même la fondation des premières grandes cités. Pourtant, lorsque l’on se réfère aujourd’hui à l’enseignement, nous pensons presque toujours à celle des lettres1. La plupart du temps les gens apprenaient à lire par eux-mêmes, quand ils en avaient la volonté, bien qu’elle fut moins nécessaire à la vie aux époques anciennes qu’à la nôtre. Au point que « savoir lire » fut un luxe réservé à ceux qui pouvaient se permettre d’utiliser leur temps dans la lecture.
C’est face à l’impossibilité pour les grands seigneurs de transmettre
leurs directives à l’écrit vers leurs subordonnés, que l’importance de
l’instruction aux lettres se fit flagrante. On ne peut certifier la
parole d’un messager : un texte est bien plus objectif, en conséquence.
La centralisation du gouvernement et la formation de l’État conduisent à
la création d’organismes chargés d’instruire les futurs fonctionnaires
de l’administration. L’infrastructure gigantesque qu’aurait nécessité la
généralisation du principe à l’ensemble de la population, limita son
extension aux seuls domaines nécessaires au pouvoir.
Seulement, les révolutions industrielles font bien plus que donner
des emplois aux masses et rendre le ciel opaque dans les villes, par un
rejet massif de fumées : elles sont surtout génératrices d’une quantité
astronomique de richesses. Cette accumulation extraordinaire de
ressources permit à l’autorité de s’étendre à un point inimaginable
jusque-là. S’en fut fini des armées temporaires, des ententes avec les
serfs et des traités : à lui seul, le pouvoir central disposait
désormais d’assez de ressources pour lever une force permanente à son
service. Il fut à même d’utiliser cette abondance de moyens, au point
d’être capable de financer la généralisation de l’instruction.
C’est fort de plusieurs millénaires d’habitudes que les premiers
enseignants s’attelèrent à leur tâche, tout d’abord afin d’instruire les
jeunes garçons, puis l’on étendit l’idée jusqu’aux jeunes filles, à qui
l’État donna pour tâche de faire de « bonnes épouses ». On attendit de l’instructeur qu’il « transmette le savoir accumulé », qu’il « prouve la véracité d’un fait par la démonstration2 », qu’il « inculque les normes quant à la langue et la notation numérique », en un mot, qu’il « enseigne ».
Mais l’idéal et la réalité de terrain sont deux choses différentes et
le malfaisant s’insinue toujours dans les plus modestes détails. Afin
de garantir la bonne marche du cours, le professeur fut décrété comme
figure incontestable d’autorité, l’extension du père et de la mère dans
la salle de classe, à qui l’on donna le droit de punir au nom de la
société civile. En une fraction de seconde, il devint un « gouvernement »
à même de rendre justice, en toutes choses. S’il peut apparaître à
première vue évident que l’instructeur soit en droit de réprimer un
comportement déplacé dans sa classe, l’on oublie bien trop souvent qu’il
est aussi transmetteur de la connaissance et qu’elle n’évolue pas par
impératif.
Surtout, l’on feint d’ignorer qu’il est humain : la tentation de
faire taire la critique pour gagner du temps est si forte qu’elle en
devient inévitable. Or, s’il n’y a plus possibilité de critique lors
d’une démonstration, afin notamment de mettre en avant une insuffisance,
aussi stupide soit elle, la possibilité même d’enseigner la méthode du
discours est altérée. L’instructeur ne transmet plus la compréhension,
il forme ses élèves à accepter que ce qu’il enseigne est obligatoirement
vrai, sans discussions. L’idée que l’enfant soit une terre en friche
n’implique pas qu’il soit stupide : il peut avoir un niveau
d’instruction exceptionnel à douze ans, pour peu qu’elle soit effectuée
convenablement.
Toutefois, le temps et l’énergie nécessaires à la tâche implique une
discipline incompatible avec l’enseignement de masse : la quantité des
instituteurs de qualité est largement dépassée par la demande. La
généralisation de l’instruction a engendré une pénurie grave en
abolissant le prix en matière d’enseignement. Un professeur doit
disposer d’une compréhension solide et totale de ce qu’il va devoir
transmettre, on attend ainsi de lui la même performance qu’un doctorant
en médecine.
Le seul moyen de compenser le manque de personnel qui résulte de cette disette3,
consista à faire de multiples concessions quant à la teneur de
l’instruction : l’on attendit plus des élèves qu’ils sachent penser,
mais qu’ils soient à même de respecter les directives et de suivre le
programme à la lettre, charge pour eux d’apprendre à penser une fois
adulte. Le châtiment servit à faire taire la curiosité, qui peut mener à
des questionnements que l’enseignant n’est plus aussi bien formé à
résoudre.
Ce « détail », quant à la façon dont l’infrastructure scolaire
fonctionne, fut décisif et contribua indirectement à l’escalade des deux
guerres mondiales. En effet, l’école devint le lieu où l’enfant passe
le plus de temps durant sa jeunesse : plutôt qu’à la maison,
l’infrastructure intellectuelle se forge depuis la salle de classe, non
par l’objet de l’étude mais par l’instructeur même. Les punitions qu’il
dispense déterminent ce qu’il faut craindre et les récompenses, ce qu’il
faut désirer. Si l’enseignant réprime les méthodes qui ne sont pas
approuvées par sa hiérarchie, punit celui qui réfute sa démonstration
pour le simple fait de discuter l’absolu de son autorité, il éduque les
enfants à une certaine habitude : l’obéissance à la force.
Ce fut un sublime accident, un miracle si l’on est ami du pouvoir ou
un cataclysme si l’on est celui de l’indépendance et de la liberté :
pour la première fois, le pouvoir put contrôler la confiance elle-même.
Si l’enseignant a toute l’autorité, alors il décide du vrai et du
faux et s’il veut que la théorie raciale soit enseignée, alors elle
devient une vérité dans sa bouche. Il n’a plus besoin de démonstration :
la gravité existe, acceptez-le. La vitesse de la lumière est infinie,
acceptez-le. Les noirs sont nés pour être des esclaves, acceptez-le. Les
femmes sont inférieures aux hommes, acceptez-le. Dieu a créé le monde
en six jours, acceptez-le.
On lui doit une confiance aveugle, puisqu’il n’a rien à prouver. Il
n’a plus besoin d’enseigner les démonstrations, il donne seulement la «
méthode » pour résoudre le problème et s’attend à ce que l’écolier
l’apprenne, sans comprendre ni le pourquoi ni le comment de son
fonctionnement. L’enfant est sensible à la confiance, bien plus que
l’adulte : c’est un absolu incontestable pour lui. Il croira aisément
celui qui parvient à rendre la situation confortable : son père et sa
mère ont toujours raison, parce qu’il a confiance en eux. Si
l’enseignant devient aussi un objet de certitude, il donnera tout autant
de crédit à sa parole.
Le problème éducatif contemporain
Notre époque est marquée de grandes confusions au sujet de
l’instruction. C’est autant la faute du mépris qu’ont les universitaires
quant aux questionnements élémentaires des jeunes enfants, comme à
l’inverse la trop grande confiance en la capacité de l’élève à résoudre
un problème par lui-même, du fait de la méconnaissance totale de la
nature même du discours et du caractère humain.
Un enfant aime apprendre, mais déteste perdre. S’il ne trouve pas de solution immédiate, il aura tendance à ignorer le problème s’il n’est pas vital à sa survie. Dès lors que la connaissance est transmise comme une vérité indiscutable, il n’a aucune raison d’aller plus loin : ça lui suffit parfaitement. Comme nous évacuons la nécessité de prouver nos dires, l’instruction quant aux discours est particulièrement tardive. La pédagogie s’effectue aujourd’hui par deux moyens opposés d’une équivalente stupidité, quant à leurs prétentions :
1. Nous lui faisons croire que la compréhension viendra entièrement
de sa personne, qu’il doit la découvrir par son propre jugement, ce
qu’il n’a ni la volonté ni la force de faire : il a fallu onze mille ans
à l’humanité pour former un système mathématique et établir des bases
pour les sciences naturelles. Pourtant, l’on demande à un écolier
d’effectuer l’ensemble de ces démonstrations en quelques années, sans
personne pour guider le discours.
Pire encore, on s’attend de lui qu’il « découvre la langue », qui n’est pas une compréhension portant sur un phénomène démontrable mais une construction de l’esprit humain, faite de conventions qu’il lui sera impossible d’observer4. Si on l’oblige à « découvrir » ce qu’il est impossible de justifier, il en viendra à inventer la plupart des réponses. Il se fait nombre d’outils qui sont en réalité des normes, que l’on doit seulement accepter, telles que les langues ou la symbolique mathématique, par exemple.
2. Nous lui faisons croire que la connaissance humaine est une
réalité immuable, qu’il doit accepter, sans discussions et apprendre par
cœur. Si toute connaissance vient de l’autorité, chaque fois qu’une
situation inhabituelle va se présenter, il sera bien incapable d’obtenir
une réponse. L’habitude faisant, plutôt que d’analyser le problème, il
se contentera de rechercher une source d’autorité à même de lui fournir
la solution, au plus grand bonheur des éditeurs d’encyclopédies, des
chaînes de télévision, des concepteurs de moteurs de recherche ou des
législateurs du ministère de la vérité.
L’ironie du sort n’est jamais loin, cependant : ce furent surtout
ceux qui ont été des parias durant toute leur scolarité, qui devinrent
les grands Hommes des temps nouveaux. Les autres se firent dociles,
faisant retomber la responsabilité de déterminer la « bonne voie » sur
les épaules de leurs supérieurs. Dans l’isolement, chaque étudiant
devient incapable de déterminer la moindre exactitude, sans l’aide d’une
figure autoritaire pour la valider. Par voie de conséquence, ne peut
plus être juste que ce qui est communément admis par « ceux qui savent
». Une chose n’est plus exacte et réelle parce qu’elle est démontrable,
mais parce que les gens qui ont la charge de l’évaluer l’ont affirmé :
les nouveaux citoyens apprennent à accepter sans discuter, sans
responsabilité.
La société de privilège eut grand usage de ce pouvoir sur la
confiance. Si l’instruction permet d’enseigner au travailleur des
méthodes, il suffit simplement d’en faire une condition obligatoire à
cet effet : l’accès à l’emploi devint la récompense d’un respect assidu
du cursus scolaire imposé. C’est là la perversion décisive de
l’instruction publique : celle des diplômes et des certifications qui
deviennent, comme la monnaie, sujets à une soudaine inflation du fait
qu’ils n’étalonnaient plus la valeur acquise de l’apprentissage, mais
représentent l’une de ces nombreuses autorisations nécessaires à
l’exercice d’un emploi.
Nous n’attendons plus d’un étudiant qu’il soit capable de faire
tomber un obstacle à l’aide de ce qu’on lui a instruit, mais qu’il
réplique exactement la réponse prévue. Ceux qui y parviennent le mieux
accèdent au diplôme, qui autorise l’emploi. Tandis que les autres, ceux
dont l’esprit n’a pas pu s’intégrer dans le carcan, sont rejetés. Tout
le système de privilège s’institue sur la base de l’instruction comme un
moyen de former le citoyen idéal, à la fois docile, obéissant et
satisfait de son sort : « L’instruction publique » devient « l’éducation
nationale ». L’enfant devenu adulte accepte ainsi sans broncher les
biais de personnalité qui servent le pouvoir : l’évolution, inévitable,
nous conduit sur le chemin de la république corporatiste.
Le pouvoir inscrivit dans la légalité son bon droit à déterminer
l’éducation, c’est-à-dire l’enseignement de l’ensemble des normes
sociales nécessaires à la vie commune. Le gouvernement obtint la
légitimité pour déterminer toutes les normes de société, jusque-là
apanage exclusif d’un parent. Il se fit à la fois professeur de la
bienséance et de la tradition, de la bonne conduite à table jusqu’à la
définition même du concept de bien ou de mal : la société civile de
l’ancien monde peut désormais s’éteindre, pour laisser place à celle du
monde nouveau.
Aujourd’hui, l’on enseigne plus aux enfants dans le but d’en faire
des citoyens instruits, à même de contribuer à la société civile :
l’infection qu’est l’instruction publique de masse s’est aggravée. Le
temps des examens aux questions fermées, où l’on évaluait la maîtrise de
la méthode prémâchée apprise par cœur, est révolu : désormais, la
réponse est dans l’énoncé. L’administration incite l’étudiant à faire
une confiance aveugle aux recommandations imposées : la vérité est à
l’intérieur des instructions. Elle rejette l’écriture des solutions, qui
implique de structurer un résultat, charge de travail inutile à l’objet
recherché : les réponses sont toutes à choix multiple. On coche ce qui a
été décidé dans le texte comme étant vrai, la méthode n’est plus
nécessaire.
Toute la vérité se trouve à l’intérieur d’une seule feuille de papier, charge à l’élève de la déterrer. Le diplôme est offert à celui qui obéira le mieux : l’on sortira alors de ce sympathique rite de passage en étant incapables de penser, sans la moindre instruction élémentaire, mais suffisamment discipliné pour faire serf docile. Plus la certification évolue, plus l’administration agite bruyamment la promesse d’un emploi privilégié, assuré à ceux qui suivent la voie5 sans sourciller.
L’instruction universitaire remplace entièrement celle du collège,
dans le niveau scolaire qu’elle transmet, toutefois face à cette
mutation émerge un nouveau problème : qu’en est-il des métiers qui
exigent toujours un niveau minimum d’excellence ? Le médecin ne peut se
contenter de savoir vaguement lire ni l’ingénieur de pouvoir seulement
compter.
L’institution fit retomber la totalité de cette charge sur les écoles
préparatoires, leur but initial étant, après tout, de « préparer
l’élève aux concours d’entrée des grandes écoles ». Ceci étant, puisque
le niveau général s’est écroulé, elles n’eurent d’autre choix que
d’élargir le cursus, afin d’instruire à l’étudiant tout ce que
l’Éducation nationale s’est bien gardée de lui enseigner correctement
jusque-là. Tout cela avant même qu’il puisse envisager d’entrer dans une
véritable faculté, dont le concours conserve un certain prestige de ce
fait.
Qu’en est-il alors de ceux qui se retrouvent au dehors, qui ont été
entièrement éjectés du système scolaire ? Pour eux, la société de
privilèges garantit aussi un avenir : l’exclusion totale. Ils sont
automatiquement réputés « inadaptés sociaux » et éliminés de l’équation.
Un tel système social n’admet aucune exception pour ceux qui n’ont pas
adhéré à la culture de la répétition et de la confiance absolue : seuls
les jeunes ayant acquis les certifications accèderont à l’emploi, les
autres seront écartés et conduits vers une destinée misérable6.
Pire, l’autorité ira jusqu’à insister : tout d’abord en interdisant
la candidature libre aux examens, puis en augmentant le nombre d’emplois
ayant de multiples certifications obligatoires. Jusqu’au moment où même
les travaux les plus indépendants auront les leurs et, bientôt, l’on ne
pourra plus écrire, peindre, sculpter, chanter ni même fonder une
famille sans un brevet au nom ronflant. Le fait même de créer devient un
privilège échangeable et les artistes qui sortent du cadre, qui n’ont
pas cette licence spéciale seront simplement arrêtés, poursuivis et
emprisonnés.
Néanmoins, le monde réel aimera toujours les ironies du sort : il se fait peu de gens obéissants qui soient en même temps très efficaces. Notre époque est marquée par un chômage endémique, du fait d’un fanatisme quant aux certifications obligatoires, en tous domaines. Alors qu’en même temps, elle est aussi sclérosée par un manque catastrophique de personnel compétent.
Le système scolaire ayant bien fait son œuvre, même les jeunes
entrepreneurs en sont devenus de parfaits agents de l’administration :
ils recherchent chez le futur candidat à l’embauche la certification
demandé, ignorant tout le reste, qu’ils aient ou non prouvé la capacité
dont ils se vantent. Nul besoin, dès lors, d’obliger les employeurs par
la force de la loi à n’accepter que des gens certifiés : ils ont appris à
l’école qu’il s’agissait de toute façon de la seule façon justifiable
de faire.
Les heures n’ont pas finies d’être sombres, dans notre histoire.
Emmanuel Brunet Bommert est producteur, éditeur, auteur et compositeur
français né à Paris en 1987. Il est actuellement basé entre Berlin et
Paris. son site
- Une charge que les églises ont longtemps exercée, sujet qui sera traité dans un autre article. ↩
- Que l’on nomme « discours », racine intellectuelle de l’expression moderne : « faire un cours ». Par-là, on signifie que l’enseignant inculque le discours, c’est-à-dire qu’il fait « démonstration de la connaissance ». ↩
- Qui n’a rien à voir avec un supposé manque de moyens : une société ne peut pas engendrer, d’un claquement des doigts, une dizaine de milliers de « docteurs », du seul fait qu’une loi généralisant l’instruction a été décrétée. Les années nécessaires à la tâche sont plus que suffisantes pour ancrer ces habitudes dans une administration. ↩
- Si l’on est un jeune enfant, le seul moyen « d’observer » une langue, c’est de l’écouter. Si l’on réduit l’enseignement à la seule prononciation des lettres et des syllabes, que l’on attend ensuite du jeune qu’il découvre le reste, on se retrouve bien vite dans une situation grotesque où chaque mot peut avoir une centaine de manières de s’écrire. La langue étant une « règle de société », au sens qu’elle forme une convention admise quant à la façon de communiquer à l’écrit comme à l’oral, ne pas la connaître suffit amplement à un citoyen pour se retrouver éjecté de la société civile. ↩
- Il est en ce domaine tout à fait instructif d’écouter les motivations des étudiants, lorsqu’ils s’inscrivent à l’université : vous n’en entendrez pas un dire qu’il suit de hautes études pour apprendre quelque chose, mais parce qu’il vise un certain type de diplôme, donnant accès à un emploi spécifique. C’est le privilège de travailler, qu’ils recherchent, pas l’instruction. Avec un tel objectif en tête, la diminution du niveau requis n’est pas dérangeante : cela ne fait que faciliter l’obtention du sésame espéré. ↩
- Un paria, que l’on nomme assez pudiquement à notre époque un NEET : « Not in Education, Employment or Training ». ↩