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Jusqu'à une époque récente notre compréhension du développement
historique du
libéralisme était biaisée. Trop souvent, il a été conçu comme un
phénomène principalement anglo-saxon. Les européens du continent
invoquent fréquemment cette généalogie supposée comme un argument
contre la doctrine libérale. Ainsi le libéralisme, encore
aujourd'hui et surtout en France, serait-il un phénomène étranger à la
tradition nationale.
Ralph Raico, Professeur d'Histoire au Buffalo State College (New
York) nous explique pourquoi cette conception des choses est erronée. Il
nous propose un tour
guidé de la pensée des principales personnalités du libéralisme
français au 19ème siècle.
Les européens regardent souvent le libéralisme d'un oeil méfiant,
car ils y voient un produit anglo-saxon. Nous savons aujourd'hui que
cette fixation sur les
supposées racines anglo-saxonnes du libéralisme est erronée.
L'importance des auteurs anglo-saxons pour l'histoire de la pensée
libérale a été le plus souvent exagérée, alors que les contributions des
penseurs français
-souvent très pertinentes par rapport aux problèmes contemporains -
ont été soit minorées, soit entièrement négligées.
A la différence des penseurs britanniques de l'école de Ricardo, les
Français ne s'intéressaient pas tant à la " distribution " de la
richesse qu'aux conditions de
sa création indéfinie
Hayek va jusqu'à parler de " l'absence totale d'une tradition libérale véritable en France ".
la tradition intellectuelle libérale en France du 19ème jusqu'au
20ème siècle a toujours gardé une pureté qui ne se retrouve dans aucun
autre pays
En tant que philosophe du pluralisme irréductible, Constant fut,
avant la lettre, le premier grand opposant à toutes les prétentions
totalitaires.
Les conflits culturels doivent se régler de la même manière que les
guerres de religion : l'Etat doit rester en dehors ; laissons la société
régler ce
genre de problèmes par elle-même.
L'histoire de toutes les civilisations est celle du combat entre les classes spoliatrices et les classes productives
Dunoyer est probablement le premier exemple d'un libéral radical qui
se tourna vers l'Etat autoritaire par crainte d'un bouleversement
socialiste de la
société.
Introduction
L'un des rares développements vraiment bénéfiques de la fin du 20ème
siècle fut la chute du marxisme et le déclin du dessein socialiste. Au
fur et à mesure que la
signification de ces événements commence à être apprécié,
l'importance du libéralisme devient de plus en plus évidente. L'époque
où le libéralisme pouvait être rejeté comme l'idéologie de la
bourgeoisie montante, est depuis longtemps révolue. En réalité, le
libéralisme est la philosophie qui a formé notre civilisation, et qui, à
son tour, a été façonnée et conditionnée par celle-ci,
comme le catholicisme fut façonné et conditionné par le Moyen-Age.
Pierre Manent a sans doute raison lorsqu'il écrit à propos du
libéralisme qu'il " constitue le courant premier et principal et
pour ainsi dire la base continue de la politique moderne, celle de
l'Europe et de l'Occident depuis environ trois siècles "(1). Bref, le
libéralisme est la philosophie politique caractéristique
de l'homme occidental. Ainsi, si nous voulons comprendre l'histoire
et le monde contemporains, il convient de bien saisir le sens du
libéralisme. Maintenant qu'a été enfin rompu le charme du
marxisme sur les intellectuels occidentaux, nous pouvons peut-être
espérer voir un changement d'orientation dans les travaux
universitaires. Du moins, nous pouvons nourrir l'espoir que
l'évolution du libéralisme attirera autant l'attention des
intellectuels que les rêves stériles du socialisme ; et que, avec le
temps, Frédéric Bastiat sera étudié aussi assidûment
qu'Antonio Gramsci, et les idées de Madame de Staël autant que
celles de Rosa Luxemburg.
Certes, le libéralisme a fait l'objet de nombre de définitions
différentes et souvent contradictoires. Celle que j'emploierai ici
satisfait à la condition avancée
par Antony de Jasay. Comme l'a dit ce dernier, il nous faut pour
comprendre le libéralisme l'appréhender comme " une doctrine politique
distincte que nous pouvons séparer des autres "(2). Dans la
plupart des discussions aujourd'hui, il est pratiquement impossible
de distinguer le libéralisme de la social-démocratie. L'on y parle
beaucoup de " l'épanouissement " et de " l'autonomie " de
l'individu, censés justifier le financement public d'un nombre
infini d'interventions étatiques, ainsi que, de plus en plus, d'une
campagne conduite par l'Etat pour transformer les valeurs et les
institutions fondamentales de la société civile. Mais, une telle
approche revient à supprimer la frontière entre le libéralisme et la
doctrine d'un Etat-providence tendant à l'expansion
infinie.
Pourtant, le libéralisme est né comme une protestation systématique
contre le pouvoir de l'Etat, et il est resté fidèle à ses origines
pendant la plus grande partie
de son histoire. A la fois pour la clarté de la pensée et pour la
cohérence conceptuelle, je propose de désigner les politiques
sociales-démocrates sous leur vrai nom, à savoir la
social-démocratie.
Par libéralisme, j'entendrai la doctrine qui soutient que la société
civile - l'ordre social hors de l'Etat - s' " auto-gouverne " dans le
cadre de droits
individuels définis très largement(3). L'esprit de ce libéralisme -
et la théorie sociale qui le sous-tend - a été résumé dans le slogan des
auteurs français du 18ème siècle : Laissez-faire,
laissez-passer : le monde va de lui-même.
Jusqu'à une époque récente, notre compréhension du développement
historique du libéralisme était biaisée. Trop souvent, il a été conçu
comme un phénomène largement
anglo-saxon. Certains - principalement les Britanniques et les
Américains - ont chéri ce point de vue et en sont fiers. D'autres -
essentiellement les Européens du continent - ont souvent invoqué
cette généalogie supposée comme un argument contre la doctrine
libérale ; ils ont regardé le libéralisme d'un oeil méfiant, comme un
phénomène étranger à leurs propres traditions nationales.
Nous savons désormais que cette fixation sur les racines
prétendument anglo-saxonnes du libéralisme était entièrement erronée.
Le " miracle européen "
La culture qui donne naissance au libéralisme fut la civilisation
distinctive de l'Europe, plus précisément de la chrétienté occidentale,
c'est-à-dire cette Europe
qui était, à un moment ou à un autre, en communication avec l'Evêque
de Rome. Avec le temps, cette Europe a acquis certaines
caractéristiques qui l'ont séparée de toutes les autres grandes
civilisations de l'humanité. Ces caractéristiques ont été explorées
par différents chercheurs ces dernières années, entre autres David
Landes, Jean Baechler, Eric Jones, et Douglass North(4).
Leur intérêt s'est porté en premier lieu sur le cadre institutionnel
et idéologique du " miracle européen ", pour expliquer l'apparition
d'un ordre économique qui pour la première fois dans
l'histoire humaine a engendré une croissance économique soutenue par
habitant. Nathanial Rosenberg et E. L. Birdzell ont exprimé ce fait
d'une manière succincte dans le titre de l'ouvrage How the
West Grew Rich.
Dans un certain sens, le résultat de cette littérature a confirmé la
célèbre phrase de Madame de Staël :
en Europe, disait-elle
" c'est la
liberté qui est
ancienne, et le despotisme qui est moderne "(5).
A la source du
développement qui a généré la croissance économique, ainsi que la
science, voire le monde moderne, se trouve cet ensemble
particulier d'institutions et de valeurs qui ont évolué en Europe au
cours des siècles, à partir du Moyen-Age. Qu'est-ce qui a produit cet
ensemble ? Les chercheurs cités plus haut ont
focalisé leur attention sur le fait que l'Europe était une mosaïque
de juridictions divisées et concurrentes, où, après la chute de Rome,
aucun pouvoir politique central n'était capable d'imposer
sa volonté. Comme le dit Jean Baechler : le grand " non-événement "
qui a dominé le destin de l'Europe fut l'absence d'un empire
hégémonique(6).
C'est cette Europe radicalement décentralisée qui a produit les
parlements, les diètes et les Etats-Généraux. Elle a engendré les
chartes - non seulement la célèbre
Magna-Carta des Anglais, mais aussi, par exemple, la Joyeuse Entrée
du Brabant, et bien d'autres. Elle a produit les " villes libres "
d'Italie et des Pays-Bas, de France et d'Allemagne ; et
elle a développé le concept de droit naturel, ainsi que le principe
selon lequel même le Prince n'est pas au-dessus de la loi - une doctrine
enracinée dans les universités, d'Oxford à Paris,
jusqu'à l'Université Jagellonnienne de Cracovie.
Cette Europe était différente du reste du monde et, avec le temps,
lorsqu'elle est partie à la découverte de celui-ci, elle a appris en
quoi elle était différente.
Un ouvrage publié par un Français, François Bernier, dans les années
1670, Voyage dans les Etats du Grand Mogol est très instructif à cet
égard(7). Bernier étudia la médecine à Montpellier et
voyagea en Proche-Orient pour arriver en Inde où il passa dix ans.
En tant que médecin, il eut une position honorée dans l'entourage de
certains puissants Indiens. Bernier n'était pas un
colonisateur : il avait une profonde sympathie pour les habitants de
l'Inde et leurs mœurs, au point de se sentir lui-même " indianisé ". A
son retour en France, Bernier publia ses
observations dans l'ouvrage cité, qui, beaucoup plus tard, servit à
fonder la théorie marxiste du " mode de production asiatique ".
En Orient, écrit Bernier, les fonctionnaires " ont une autorité
comme absolue sur les paysans et même encore fort grande sur les
artisans et marchands des villes,
bourgades et villages... [ainsi le peuple] ne trouve point de
meilleur remède que de cacher et enfouir leur argent bien secrètement et
bien profondément en terre, sortant ainsi hors du commerce
ordinaire des hommes... ". Les gouvernements font montre de " leur
aveugle ambition... d'être plus absolus que ne permettent les lois de
Dieu et de la Nature... ".
Bernier note la grande misère et l'ignorance du peuple, l'absence de
toute institution d'éducation et de culture. En résumant ses
expériences, il écrit qu'il a
découvert que :
" ôter cette propriété des terres entre les particuliers, ce serait
en même temps introduire, comme par une suite infaillible, la tyrannie,
l'esclavage,
l'injustice, la gueuserie, la barbarie, rendre les terres incultes,
en faire des déserts, ouvrir le grand chemin à la ruine et à la
destruction du genre humain, à la ruine même des rois et des
Etats ; et qu'au contraire, ce mien et ce tien, avec cette espérance
qu'un chacun a qu'il travaille pour un bien permanent qui est à lui et
qui sera pour ses enfants, c'est le principal
fondement de ce qu'il y a de beau et de bon dans le monde ... "
Ce passage apparaît encore plus significatif si l'on sait qu'il
figure qu'il figure dans une lettre à Monseigneur Colbert, ministre de
Louis XIV, praticien
exemplaire de l'absolutisme monarchique en Europe.
Vers le milieu du siècle suivant, le besoin d'assurer une protection
institutionnelle aux droits de propriété, condition de la croissance
économique, était devenu
un lieu commun. Montesquieu l'exprime dans De l'esprit des lois :
"
En un mot, une plus grande certitude de sa propriété, que l'on croit
avoir dans ces Etats, fait tout entreprendre ;
et, parce qu'on doit être sûr de ce que l'on a acquis, on ose
l'exposer pour acquérir davantage... " (8).
150 ans après les voyages de
Bernier en Orient, un autre voyageur français fît des
observations similaires, lors d'une visite en Russie tsarine. Le
marquis de Custine y fut impressionné par l'énorme différence qui
caractérisait l'état de la reconnaissance des droits de
propriété entre la France et la Russie. Il lui apparut évident que
c'était l'absence de droits de propriété reconnus qui conduisait à la
misère de tous, sauf d'une toute petite élite de la
société(9).
Ainsi, le libéralisme a trouvé une terre fertile dans la culture
particulière de l'Europe, grâce à ses limitations institutionnelles du
pouvoir du centre et à
l'engagement en faveur de la propriété privée qui était enraciné
dans la vie quotidienne de la population.
Les débuts de la pensée économique
Si nous prenons la partie la mieux développée de la doctrine
libérale, à savoir le libéralisme économique et l'économie politique
libérale, nous savons aujourd'hui
qu'ils ne furent pas l'invention d'Adam Smith. Les racines se
situent plutôt dans la pensée d'un certain nombre de clercs italiens,
portugais et surtout espagnols du début de la Modernité, à
partir de la fin du 15ème siècle, parfois regroupés, à tort, sous le
nom collectif d'Ecole de Salamanque. Ces auteurs ont développé la
théorie de l'utilité subjective comme fondement de l'action
économique et de l'échange, de la propriété privée et du marché en
tant qu'institutions fondamentales de la vie économique(10).
L'approche conventionnelle qui souligne la prééminence des
Britanniques ne manque pas de critiques. Celui qui a présenté la
critique la plus récente, la plus
convaincante, et probablement la plus cinglante fut sans doute feu
Murray Rothbard. Dans sa monumentale histoire de la pensée économique,
malheureusement restée inachevée, Rothbard critique la
version communément admise, selon laquelle l'histoire économique
aurait commencé avec Adam Smith - dont la " réputation quasiment cache
le soleil " - , puis triomphalement continué avec Malthus,
Ricardo, Mill et Marshall, pour atteindre son point culminant avec
l'incomparable grandeur de J. M. Keynes. Rothbard maintient que cette
focalisation quasi-exclusive sur les auteurs
britanniques conduit à oublier la tradition continentale pourtant
plus riche, représentée par les derniers scolastiques, d'importants
auteurs italiens du 18ème siècle et, surtout, par l'école
française de Cantillon, Turgot, J.B. Say et Frédéric Bastiat.
D'après Rothbard , ils furent les géniaux précurseurs des économistes de
l'école autrichienne(11).
Le grand Turgot est en effet l'un des personnages préférés de
Rothbard. Pour illustrer le niveau auquel la science économique
française était parvenue au milieu du
18ème siècle, citons un passage de Turgot qui déclare que la vie
économique doit être laissée " au cours de la nature... sans prétendre
la diriger " :
" parce que, pour le diriger sans le déranger et sans nuire à
soi-même, il faudrait pouvoir suivre toutes les variations des besoins,
des intérêts, de l'industrie
des hommes ; il faudrait connaître dans un détail qu'il est
physiquement impossible de se procurer, et sur lequel le gouvernement le
plus habile, le plus actif, le plus détailleur, risquera
toujours de se tromper au moins de la moitié…Si l'on avait sur tous
ces détails cette multitude de connaissances qu'il est impossible de
rassembler, le résultat en serait de laisser aller les
choses précisément comme elles vont toutes seules, par la seule
action des intérêts des hommes qu'anime la balance d'une concurrence
libre. "(12)
Ce texte représente quasiment un condensé de l'argument de Hayek sur
l'impossibilité de tout calcul économique dans un système économique
socialiste.
Ce qui est particulièrement remarquable dans la tradition française
est le rejet, du début jusqu'à la fin, de la théorie du travail comme
fondement de la valeur -
cette fallacieuse approche qui a suscité tant de confusion et crée
tant problèmes pour le développement de la science économique en
Grande-Bretagne jusqu'à la révolution marginaliste de 1870. La
science économique française a toujours été fermement fondée sur la
théorie subjective de la valeur. De même, on y soulignait
particulièrement le rôle de l'entrepreneur et de ses initiatives.
Ceci était lié à l' " optimisme " fondamental de la pensée
économique française. A la différence des penseurs britanniques de
l'école de Ricardo, les Français ne s'intéressaient pas tant à la "
distribution " de la richesse qu'aux conditions de sa création
indéfinie. Les Français cherchaient la solution à la " question sociale "
dans l'expansion continue des opportunités, engendrée par
le système de propriété privée et le libre-échange. Ma thèse est que
l'importance des auteurs anglo-saxons pour l'histoire de la pensée
libérale a été le plus souvent exagérée, alors que les
contributions des penseurs français -souvent très pertinentes par
rapport aux problèmes contemporains - ont été soit minorées, soit
entièrement négligées.
Le vrai et le faux individualisme selon Hayek
Lorsque nous nous apprêtons à étudier le libéralisme français, nous
trouvons malheureusement que certains écrits de F.A. Hayek ont introduit
un élément de grande
confusion, en particulier son essai influent " Individualism : True
and False "(13).
Dans ce travail plutôt surprenant, Hayek tente de distinguer deux
traditions de l'individualisme (ou du libéralisme). La première, un
courant de pensée
essentiellement britannique et empirique, représenterait le
libéralisme authentique, d'après Hayek ; la seconde, française (et
continentale) ne serait pas du tout une tradition libérale. Il
s'agirait plutôt d'une déviation rationaliste qui conduirait "
inévitablement " au collectivisme. Ceci découle, selon Hayek, des
théories sociales sous-jacentes aux deux doctrines. Alors que dans
la première les institutions sociales trouvent leur origine et se
développent de manière " spontanée ", dans la seconde elles sont le
produit d'un " dessein ou d'une ambition " humaine
délibérée.
Il est décourageant de noter que la théorie de Hayek est devenue si
influente, car les problèmes qu'elle pose sont légion. D'abord, quels
sont les penseurs supposés
des écoles respectives ? Parmi ceux mentionnés dans le premier
groupe l'on retrouve Mandeville, Hume, Smith, Burke et en particulier,
au 19ème siècle, Tocqueville et Acton. Cependant, à un
moment Hayek déclare que son développement moderne a débuté avec
John Locke(14).
Les partisans français du " pseudo-individualisme rationaliste "
mentionnés sont les physiocrates, les encyclopédistes, Rousseau, et
Henri de Saint-Simon (toute
l'école des auteurs français descendrait en fin de compte de
Descartes). Pourtant, à part les physiocrates, aucun de ces derniers
(15)n'apparaît normalement dans l'histoire du libéralisme.
Rousseau était au mieux un démocrate, et Saint-Simon faisait partie
des premiers socialistes.
John Locke pose un problème particulier pour l'approche d'Hayek. Que
Hayek l'ait réalisé est suggéré par le fait qu'il élimine Locke de sa
liste des bons libéraux
britanniques dans un traitement ultérieur du sujet(16). Dans son
approche de la philosophie politique, Locke ne partageait pas le dédain
pour la raison humaine qui, selon Hayek, caractérise le
vrai individualisme. De plus, le point de départ de Locke était le
concept de droits naturels à la vie, la liberté et à la propriété. Cela
semble avoir de nombreux éléments en commun avec
l'approche rationaliste des physiocrates et d'autres libéraux
français(17). Hayek indique quelques théoriciens du droit naturel - tels
que Priestly, Price, Paine et Jefferson - dont il dit qu'ils
" appartiennent entièrement " à la tradition rationaliste du
libéralisme(18). Rien ne prouve que ces penseurs considéraient que les
institutions sociales étaient " conçues " par des législateurs
omniscients(19). Curieusement, c'est cette tradition qui, selon
Hayek, a fini par produire la " démocratie totalitaire "(20).
La distinction hayekienne entre le bon libéralisme britannique et le
mauvais libéralisme français doit beaucoup à un auteur allemand du
milieu du 19ème siècle,
Francis Lister, qui émigra aux Etats-Unis pour devenir professeur de
sciences politiques(21).
Hayek va jusqu'à parler de " l'absence totale d'une tradition
libérale véritable en France "(22). Mais, même à première vue, le
problème est beaucoup plus complexe
que le suggère la catégorisation particulièrement frustre de Hayek.
Permettez-moi de mentionner au passage quelques points que Hayek ne
soulève pas. Si nous devions distinguer un grand penseur du
début de la Modernité comme étant la source du scientisme et du
positivisme de l'ingénierie sociale, ce ne serait guère Descartes. Le
philosophe britannique Francis Bacon serait un candidat
beaucoup plus plausible.
Le déclin du libéralisme en Grande-Bretagne fut provoqué non pas
tant par des influences " françaises " que par des penseurs typiquement
britanniques tels Thomas
Carlyle, John Ruskin et Charles Kingsley. Par ailleurs, si
l'effondrement soudain du libéralisme économique chez les économistes
britanniques, en commençant par John Stuart Mill, eut un effet
désastreux sur les libéraux du continent, c'est précisément parce
qu'ils étaient nombreux à considérer la Grande-Bretagne comme le phare
de la liberté économique. Enfin, Hayek lui-même
écrit :
" J'ai parfois le sentiment que l'attribut le plus saillant
du libéralisme... est la notion que les croyances morales concernant les
comportements qui n'interviennent pas dans la
sphère protégée d'autrui ne justifient pas la coercition. "
Or c'est
en France, grâce au Code Napoléon, que l'égalité des religions fut
établie des dizaines d'années avant qu'elle ne se "
développe " en Grande-Bretagne. Ce même Code Napoléon a
décriminalisé les actes sexuels volontaires entre adultes 150 ans avant
que le Rapport Wolfenden sur l'homosexualité ne commence à modifier
les choses en Grande-Bretagne.
Si l'analyse de Hayek était correcte, il serait difficile
d'expliquer pourquoi la tradition intellectuelle libérale en France du
19ème jusqu'au 20ème siècle a
toujours gardé une pureté qui ne se retrouve dans aucun autre pays. A
titre d'exemple, le terme " libéralisme " conserve en France le sens de
ce que dans les pays anglophones l'on doit
aujourd'hui appeler le " libéralisme classique ". D'ailleurs, si une
tradition libérale authentique fait réellement défaut en France,
comment expliquer l'existence de l'une des plus grandes
oeuvres collectives du libéralisme du 19ème siècle : les volumes du
Journal des Economistes ? Le Journal des Economistes fut pendant un
siècle le fer de lance de l'idée du laissez-faire
en Europe, depuis sa fondation en 1841 jusqu'en juin 1940, lorsqu'il
dut subitement cesser sa publication. Dans ce qui suit, j'essaierai de
présenter ce qui faisait la spécificité du libéralisme
français au 19ème siècle, en soulignant la remarquable pertinence de
ses analyses sur un certain nombre de sujets qui sont de nouveau tout à
fait d'actualité aujourd'hui.
La place de Benjamin Constant
A mon avis, Benjamin Constant est l'exemple type non seulement du
libéralisme français, mais du libéralisme européen du 19ème siècle(23).
Personnellement, je
considère que Constant est un héros culturel. De mon point de vue,
sa grandeur réside dans ce qu'un admirateur de l'époque résumait ainsi :
Constant aimait la liberté comme d'autres hommes
aiment le pouvoir. Mais c'était aussi un grand théoricien et Emile
Faguet exagérait à peine lorsqu'il disait de Constant qu'il " inventa le
libéralisme "(24). Heureusement, Constant est l'un des
rares des libéraux français du 19ème siècle - avec Tocqueville - qui
ne sont pas tombés dans l'oubli. Isaiah Berlin, le philosophe du
pluralisme, a défendu le rôle important joué par Constant, en
disant de lui qu'il était " le plus éloquent de tous les partisans
de la liberté et de la sphère privée "(25). Ces dernières années,
Constant a fait l'objet de nombreuses études réalisées par des
universitaires français, américains, italiens et d'autres. Il a vécu
la période de la Révolution, du Premier Empire jusqu'à la Restauration.
Il est mort en 1870, ayant vécu l'avènement de la "
monarchie bourgeoise " de Louis Philippe. Ainsi, cet observateur
brillant a personnellement suivi la vie politique française pendant les
décennies qui, comme l'on a dit, furent l'équivalent de
siècles. Il vit se succéder des régimes qui ont tenté d'imposer leur
volonté à la nation pour ensuite disparaître. Avec Constant apparaît
cette attitude de méfiance et de suspicion profonde à
l'égard du pouvoir d'Etat qui équivaut presque à une haine de l'Etat
tout court.
Une leçon importante tirée par Constant fut la distinction nette
entre les idéaux philosophiques en politique et la réalité du pouvoir.
Dans son Commentaire sur
l'ouvrage de Filangieri, il écrit :
Qui ne croirait, en lisant tout ce que la loi doit faire, qu'elle
descend du ciel, pure et infaillible sans avoir besoin de recourir à des
intermédiaires, dont les
erreurs la faussent, dont les calculs personnels la défigurent, dont
les vices la souillent et la pervertissent…la loi est l'ouvrage des
hommes…[et] l'ouvrage ne mérite pas plus de confiance que
ses auteurs…une terminologie abstraite et obscure a fait illusion
aux publicistes. L'on dirait qu'ils ont été dupes des verbes
impersonnels…Il faut, on doit, on ne doit pas, ne se rapportent-ils
pas à des hommes ? On croirait qu'il s'agit d'une espèce différente.
La vie de Constant coïncide presque exactement avec celle d'un autre
penseur célèbre, Jeremy Bentham. Constant rejetait l'utilitarisme de
Bentham comme fondement de
la loi et entrevoyait clairement les conséquences de cette
approche : " On peut trouver des motifs d'utilité pour tous les
commandements et pour toutes les prohibitions... tout peut être
utile, tout peut être dangereux. La législation, une fois autorisée à
juger de ces possibilités, n'a point de limites et ne peut en avoir... "
. Bref, l'utilitarisme de Bentham et de ses
disciples confère aux autorités politiques, selon la formule
d'Antony de Jasay, " un permis de bricoler à durée indéterminée".
On pourrait s'étendre beaucoup plus longuement sur les contributions
de Constant à la science politique. Mais le résultat le plus important
des nombreuses
recherches récentes qui lui ont été consacrées est de voir dans
Constant avant tout le philosophe politique de la Modernité.
Quelle est la caractéristique fondamentale du monde moderne et quel
est le système politique qui lui est le mieux adapté ? L'expérience de
la Révolution
conduisit Constant à essayer de trouver une réponse à cette
question. La Révolution fut un produit de la recherche de la liberté.
Mais, d'après Constant, elle portait en elle une déficience
fatale. On ne peut évacuer la Terreur comme un simple accident de
parcours. Elle ne fut pas non plus, comme certains l'ont prétendu, le
produit d'un désir " excessif " de liberté. Ce qui mena à
tant de malheurs durant la Révolution fut - selon Constant - la
quête d'un " mauvais type " de liberté. Pendant sa phase jacobine, les
révolutionnaires ont adopté l'idée de la liberté ancienne
pour l'appliquer, à tort, à l'âge moderne.
L'analyse par Constant de la polis ancienne est célèbre. Son idée
centrale devint le fondement des deux grands essais de Lord Acton, " The
History of Liberty in
Antiquity " et " The History of Liberty in Christianity ". Max Weber
considérait ce qu'il appelait " la brillante hypothèse de Constant "
comme le parfait exemple de son concept " d'idéal-type
"(26). En résumé, d'après Constant, la liberté ancienne était
l'idéal des républiques classiques de la Grèce et de Rome et, à l'âge
moderne, d'auteurs comme Rousseau et Mably(27). Elle
définissait la liberté comme l'exercice par les citoyens du pouvoir
politique. C'est une conception collective de la liberté compatible avec
- voire qui exigerait - la subordination totale de
l'individu à la communauté. Alors que chaque citoyen serait soumis
au Tout, il aurait une part égale dans l'exercice du pouvoir total sur
les autres.
La conception ancienne de la liberté s'enracinait dans les sociétés
de l'Antiquité, un système d'esclavage et de guerres incessantes. En
revanche, la liberté au
sens moderne s'inscrit dans une société qui est fondée sur la
liberté du travail et le commerce pacifique. Constant se demande ce que "
de nos jours un Anglais, un Français, un habitant des
Etats-Unis de l'Amérique entendent par le mot de liberté ? ".
C'est pour chacun le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne
pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d'aucune
manière, par l'effet de la
volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus. C'est pour chacun
le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et l'exercer ;
de disposer de sa propriété, d'en abuser
même ; d'aller, de venir, sans en obtenir la permission, et sans
rendre compte des ses motifs ou de ses démarches. C'est pour chacun, le
droit de se réunir à d'autres individus, soit pour
conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et
ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours et ses
heures d'une manière plus conforme à ses inclinations, à
ses fantaisies. Enfin, c'est le droit, pour chacun, d'influer sur
l'administration du gouvernement ...(28)
L'erreur fatale de Rousseau et des jacobins fut d'essayer de
redonner vie à l'idéal ancien en plein monde moderne. Comme le monde
moderne a entre temps produit une
personnalité humaine tout à fait différente - ce que nous appelons "
l'individu ", un concept inconnu des anciens - le résultat final ne
pouvait être que catastrophique(29).
Le projet jacobin n'a pas disparu avec les événements de 1794 (la
fin de Robespierre). En réalité, l'objectif des mouvements totalitaires
du 20ème siècle fut de
renouer avec la réalisation d'une liberté collective et de créer un
type uniforme et collectif d'être humain (l'homme soviétique, l'homme
national-socialiste, etc...). En tant que philosophe du
pluralisme irréductible, Constant fut, avant la lettre, le premier
grand opposant à toutes les prétentions totalitaires.
Constant fut aussi le premier grand penseur libéral condamné à mener
une bataille intellectuelle sur deux fronts, une situation qui allait
devenir caractéristique
du libéralisme, du 19ème siècle jusqu'à nos jours. Les ennemis de
Constant étaient d'un côté les jacobins et les descendants socialistes
de Jean-Jacques Rousseau (pour la plupart), et de l'autre,
les conservateurs théocratiques tels que Maistre et Bonald.
En ce qui concerne les conservateurs, ils tentaient d'établir la
notion chrétienne de péché originel comme fondement théorique d'un
système de société reposant sur
un Etat fort chargé de contrôler fermement les impulsions naturelles
de l'homme. Constant était prêt à accorder une certaine place à la
notion de corruption naturelle de la nature humaine. Mais,
comment ceci pourrait-il suffire à justifier un Etat autoritaire ?
Les hommes politiques seraient-ils le produit d'une conception
immaculée ?
Constant écrit :
" Il existe une
notion bizarre selon laquelle l'on prétend que, parce que les hommes
sont corrompus, il est nécessaire d'accorder à certains d'entre eux
d'autant plus de pouvoir... au contraire, il faut leur
donner moins de pouvoir, c'est-à-dire, il faut combiner les
institutions avec doigté et mettre en leur sein certains contrepoids
contre les vices et les faiblesses des hommes. "(30)
Alors qu'avec les jacobins le pouvoir de l'Etat fut utilisé pour
produire une société fondée sur des valeurs rousseauistes, les
conservateurs de la Restauration
voulaient se servir de ce pouvoir pour instiller des valeurs
théocratiques qui ne paraissaient pas moins condamnables aux yeux de
Constant : " si je repousse les améliorations violentes et
forcées, je condamne également le maintien, par le joug, de ce que
la marche des idées tend à améliorer et à réformer insensiblement "(31).
Constant fut ainsi le premier à dégager ce que devrait
être une véritable attitude libérale par rapport aux conflits de
valeurs et de culture qui marquent de plus en plus le monde dans lequel
nous vivons aujourd'hui :
restez fidèles à la justice, qui est de toutes les époques ;
respectez la liberté, qui prépare tous les biens ; consentez à ce que
beaucoup de choses se
développent sans vous, et confiez au passé sa propre défense, à
l'avenir son propre accomplissement (32)
Les conflits culturels doivent se régler de la même manière que les
guerres de religion : l'Etat doit rester en dehors ; laissons la société
régler ce
genre de problèmes par elle-même.
La recherche de rentes et la doctrine de la lutte des classes
Le deuxième domaine important dans lequel les libéraux français ont
développé une pensée qui reste d'actualité, fut leur analyse de ce qu'on
appelle désormais la
recherche de rentes. A l'instar de l'Ecole contemporaine du Public
Choice, les libéraux du 19ème siècle s'attachaient en priorité à
comprendre les origines de la croissance de l'Etat
moderne.
Le concept de " recherche de rentes " remonte assez loin : on le
trouve déjà dans les travaux des " Levellers " anglais, chez Turgot et
les physiocrates, Adam
Smith, Bentham, et James Mill. Au cours du dernier tiers du 19ème
siècle, la notion est devenue un lieu commun chez les libéraux
allemands, où on la retrouve exprimée en des termes étonnamment
modernes. Mais sa discussion la plus approfondie et la plus complète
figure dans le travail des libéraux français du journal Le Censeur
Européen (1819-1820) : Charles Comte, Charles Dunoyer,
Augustin Thierry, et leurs disciples. Les analyses de cette école de
pensée ont donné naissance à une grande théorie libérale de la lutte
des classes.
Cette théorie " libérale " de la lutte des classes a été presque totalement oubliée.
Peu d'économistes sont aussi célèbres pour leur connaissance de
l'histoire intellectuelle moderne que Albert Hirschmann. Pourtant,
Hirschmann est visiblement
perturbé lorsqu'il tombe un jour sur une citation de Vilfredo Pareto
qui évoque très clairement le concept de lutte des classes. Pour
Hirschmann, " cela sonne curieusement -peut-être sciemment-
comme Le Manifeste Communiste. " Hirschmann ignorait que Pareto ne
faisait que reprendre, dans la terminologie habituelle, une notion qui
en fait avait été initiée par des libéraux français du
début du 19ème siècle. Les économistes libéraux italiens de l'époque
étaient très influencés par les Français, de Fransceco Ferrara, qui ne
tarissait pas d'éloges pour Dunoyer et Bastiat, jusqu'à
Pareto qui fut un collaborateur régulier du Journal des Economistes
et qui écrivait à Gustave de Molinari en lui donnant du " Cher Maître ".
La particularité de la conception française de la lutte des classes
était d'être étroitement associée à la notion de spoliation. Adolphe
Blanqui était le protégé de
J.-B. Say et lui succéda à la chaire d'économie politique au
Conservatoire des Arts et Métiers. Dans ce qui est probablement la
première histoire de la pensée économique publiée en 1837, Blanqui
écrit :
Dans toutes les révolutions, il n'y a jamais eu que deux partis en
présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des
gens qui veulent
vivre du travail d'autrui …Patriciens et plébéiens, esclaves et
affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches,
cavaliers et têtes rondes, libéraux et serviles, ne sont que des
variétés de la même espèce (34).
De la bourgeoisie qui prit le pouvoir en France pendant le régime " libéral " de Louis Philippe, Tocqueville écrit :
" Elle se logea dans toutes les places, augmenta prodigieusement le
nombre de celles-ci et s'habitua à vivre presque autant du Trésor public
que de sa propre
industrie. " (35)
La réflexion du groupe du Censeur Européen était profondément
influencée par les écrits de la génération précédente, pas seulement
Constant, mais plus
particulièrement J.-B. Say et Antoine Destutt de Tracy, dont on
commençe à reconnaître qu'ils ont joué un rôle important dans
l'élaboration du concept de recherche de rentes(36).
Il a été remarqué, par exemple, que Say faisait déjà allusion aux
raisons pour lesquelles " les producteurs d'un secteur commercial
quelconque sont si soucieux de
devenir eux-mêmes les objets d'une réglementation ". En revanche, le
travail accompli par le groupe du Censeur Européen dans ce domaine de
la théorie économique reste largement négligé
(37).
La théorie que les auteurs du Censeur ont héritée de Say et de
Destutt de Tracy commence par le concept de production conçu comme la
création d'utilité (38).
[les différentes manières de produire] consistent toutes à prendre
un produit dans un état et à le rendre dans un autre où il a plus
d'utilité et de valeur…de façon
ou d'autre, du moment qu'on crée ou qu'on augmente l'utilité des
choses, on augmente leur valeur, on exerce une industrie, on produit de
la richesse (39).
Tous les membres de la société qui contribuent à la création de
valeurs sont considérés comme productifs. Mais il existe aussi des
catégories de personnes qui
consomment les richesses plutôt que de les produire. Ces classes
improductives comprennent l'armée, l'Etat et le Clergé qui vivent des
deniers publics (40)- c'est ce qu'on pourrait appeler les
classes " réactionnaires ", largement associées à l'Ancien Régime.
L'exploit fondamental de Comte, Dunoyer et Thierry dans le Censeur
Européen est d'avoir adopté les idées économiques de Say et d'autres
libéraux antérieurs, pour
ensuite les élaborer et les insérer dans une théorie sociale et
historique. Ils ont appelé cela " l'industrialisme ".
En prenant comme point de départ l'homme qui agit en vue de
satisfaire ses besoins et désirs, l'industrialisme pose que l'objectif
de la société est la création d'
" utilité " au sens large, c'est-à-dire les biens et les services
utiles à l'homme pour satisfaire ses besoins. Sur ce point, l'homme a le
choix entre deux alternatives fondamentales : il
peut piller la richesse produite par d'autres ou il peut travailler
pour produire lui-même des richesses (41). Dans toute société, on peut
clairement distinguer ceux qui vivent du pillage
(spoliation) de ceux qui vivent de la production. Tenter de vivre
sans produire revient à vivre " à l'état sauvage ". Les producteurs sont
en revanche " des hommes civilisés ".
L'histoire de toutes les civilisations est celle du combat entre les
classes spoliatrices et les classes productives. D'après Constant, la
spoliation par la guerre
était la méthode préférée des Grecs et des Romains. Avec le déclin
de l'Empire romain à l'Ouest, les barbares germaniques s'établirent, par
la conquête, comme les seigneurs du pays : le
féodalisme s'est développé, en particulier en France, après
l'invasion des Francs, et en Grande-Bretagne après l'invasion normande.
Celui-ci était essentiellement un système de spoliation des
paysans par l'élite guerrière des " nobles ". Avec la montée des
villes au 11ème siècle, on peut même dire que " deux nations " se
partagent le sol français : l'élite féodale spoliatrice et
les habitants producteurs des villes.
A la noblesse rapace a succédé les rois, non moins rapaces, dont les
vols violents, les dévaluations de la monnaie, les faillites, les
confiscations et les entraves
à l'industrie forment la matière première de l'histoire de France.
Au fur et à mesure que les richesses produites par le Tiers-Etat
s'accumulaient, de nouvelles ressources devenaient accessibles
pour l'expropriation des classes parasites.
Charles Comte est particulièrement sévère en ce qui concerne les
manipulations de la monnaie par le roi et l'appel à la loi. Il cite un
auteur du 17ème siècle sur
la manière dont " les escomptes ont enrichi les hommes d'argent et
la finance aux dépens la population. "
Les " Industrialistes " se présentaient d'abord et avant tout comme
des pacifistes. Leur devise sur la une de chaque numéro du Censeur
Européen était " paix et
liberté ". En cela, il s'inspirait de Benjamin Constant qui
écrivait : " Dans tous les temps la guerre sera, pour les gouvernements
un moyen d'accroître leur activité. "
Leur anathème favori concernait les guerres provoquées par des
réflexes mercantilistes, ou résultant de " l'esprit du monopole... la
prétention de chacun d'être
industrieux à l'exclusion de tous les autres, de pourvoir
exclusivement aux autres avec les produits de son industrie. " Pour
Dunoyer, qui s'en prenait férocement à l'impérialisme britannique
(42), une conséquence de cette présomption était que l'esprit
d'industrie devenait finalement un principe plus hostile et davantage un
ennemi de la civilisation que l'esprit de pillage lui-même
(43).
Sous l'Ancien Régime, la noblesse, parce qu'elle n'était plus
capable de s'attaquer directement aux plus industrieux, s'est mise à
peupler l'Administration pour
vivre d'une nouvelle forme de tribut : " l'impôt" (44). Les membres
de la bourgeoisie qui accédaient à la noblesse ne s'occupaient plus de
leurs affaires et, en fin de compte, n'avaient plus
d'autres moyens pour subsister que leur dépendance à l'égard du
Trésor Public. Enfin, les Etats, alors qu'ils accablent les producteurs
d'impôts, fournissent rarement à la société l'équivalent
des valeurs qu'ils lui prennent pour financer les tâches de
gouvernement.(45)
A mesure que le nombre de postulants aux emplois publics augmente,
deux tendances s'affirment : le pouvoir de l'Etat s'accroît et le
fardeau des dépenses
publiques et de l'impôt s'alourdit.
Afin d'accueillir les hordes de futurs fonctionnaires, l'Etat étend
ses activités tous azimuts : il commence à s'occuper de l'éducation, de
la santé, de la vie
intellectuelle et des moeurs, il veille à assurer un niveau
suffisant de moyens de subsistance, il réglemente l'industrie jusqu'à ce
qu'il n'y ait " plus ancun moyen de faire échapper à son
action toute activité, toute pensée, toute portion " de l'existence
du peuple (46). Les fonctionnaires sont devenus " une classe qui est
l'ennemi du bien-être de tous les autres ".
L'opposition au pouvoir de l'Etat était un thème récurrent chez les
auteurs du Censeur Européen. Des déclarations typiques sont, par
exemple, au sujet de la société
idéale : " tout le monde travaillera et personne ne gouvernera " ; "
le despotisme se trouve au niveau des contributions publiques " ; et "
tant que l'instruction publique sera
donnée par le gouvernement, ceux qui professent seront du
gouvernement et non de la nation ".
Marx, lui-même, reconnut qu'il avait emprunté sa théorie de la lutte
des classes aux auteurs libéraux français, et cette origine apparaît
clairement dans certains
passages de ses écrits. Ainsi, dans Le 18 Brumaire de Louis
Bonaparte, on trouve une analyse du pouvoir étatique en France
entièrement dans la ligne des Industrialistes :
" Ce pouvoir exécutif, avec sa bureaucratie énorme et son
organisation militaire, avec sa machinerie étatique ingénieuse, qui
embrassent des couches très larges,
peuplée d'une foule de fonctionnaires d'environ 500 000 personnes, à
côté d'une armée de 500 000 personnes supplémentaires, avec un corps
affreusement parasite qui couvre la société française
comme un filet et l'étouffe...(47)
A la différence de la théorie marxiste, la conception libérale de la
lutte des classes permet d'analyser l'histoire avec des instruments
beaucoup plus fins que les
concepts de " bourgeoisie " et de " prolétariat ". On a dit de
Charles Dunoyer qu'il était " la voix du capitalisme utopique " (48))une
description qui, si elle est exacte, pourrait s'appliquer
aussi à ses associés. Mais Dunoyer et ses amis pensaient qu'ils
avaient des raisons suffisantes pour ne pas se considérer comme des
utopistes puisque " le vrai capitalisme existant " se trouvait
de l'autre côté de l'Atlantique. Comme l'écrivait Augustin Thierry
en 1820 :
La destinée actuelle des États-Unis répond à tous les voeux que nous
formions pour la nôtre ; ces voeux ne sont donc point des chimères ;
nous ne sommes
donc travaillés par la vaine ambition de l'impossible, comme le
prétendent nos ennemis (49)
Avec le temps, Dunoyer est devenu moins hostile à une action
étatique d'un certain type, clairement en réaction à la montée du
socialisme. Dans son article "
gouvernement " dans le Dictionnaire de l'économie politique (50)) il
écrit que " la tâche particulière de l'Etat... est d'apprendre aux
hommes à bien vivre entre eux... il est producteur de
sociabilité, de bonnes habitudes civiles : c'est le fruit
particulier de son art et de son travail... ". Le rôle du gouvernement
sera de plus en plus " de corriger les penchants antisociaux,
de former, en un mot, les habitudes qui doivent présider aux
relations " entre les hommes . Ce changement significatif dans la pensée
de Dunoyer avait pour origine la montée d'un mouvement
socialiste révolutionnaire. Ainsi, Dunoyer est probablement le
premier exemple d'un libéral radical qui se tourna vers l'Etat
autoritaire par crainte d'un bouleversement socialiste de la
société.
Cette doctrine libérale française des conflits des classes fut
adoptée et développée par des auteurs ultérieurs, y compris Bastiat
(dont l'auteur favori était
Charles Comte) et Gustave de Molinari. Elle eut une influence
décisive sur les économistes libéraux italiens à partir du milieu du
19ème siècle et, à travers eux, sur l'Ecole du Public
Choice.
La centralisation du pouvoir politique
Un troisième thème central développé par les libéraux français est
celui de la centralisation du pouvoir politique. Les origines et les
conséquences de la vaste
centralisation du pouvoir dans les mains de l'Etat ont préoccupé bon
nombre des meilleurs observateurs de la société moderne, de Ortega y
Grasset et Bertrand de Jouvenel (en particulier dans son
ouvrage classique Du pouvoir) à Robert Nisbet et Michael Oakeshott.
Les libéraux français du 19ème siècle représentent une source importante
sur cette question pour les penseurs politiques. La
situation particulière de la France - à la fois un pays traditionnel
de centralisation bureaucratique et le centre continental de la pensée
libérale - a contribué à la production de cette
littérature pionnière. Leonard Liggio note que des auteurs comme
Lieber - et, j'ajoute, Hayek jusqu'à un certain degré - ont négligé le
fait que leurs propres critiques de la centralisation
française devaient une fière chandelle aux penseurs libéraux
français qui l'avaient directement vécue, et qui en avaient été les
observateurs les plus incisifs et les plus cohérents (51).
Le plus grand analyste du fléau de la centralisation bureaucratique moderne fut sans doute Alexis de Tocqueville.
En France, comme il l'a montré dans ses ouvrages historiques, l'Etat
bureaucratique moderne fut construit par les rois et consolidé par la
Révolution et Napoléon
1er.
Lorsque Tocqueville est arrivé pour la première fois aux Etats-Unis à
l'âge de vingt-six ans, il fut étonné par l'absence quasi-totale de
l'Etat. Il lui semblait
que les Etats-Unis étaient un pays sans Etat, et il lui en rendait
hommage. A cet égard, Tocqueville continuait l'histoire d'amour entre le
libéralisme français et les Etats-Unis qui avait
commencé au siècle des Lumières et qui devait se poursuivre pendant
des générations ( au point de donner naissance à une adulation abusive
d'Abraham Lincoln et de la cause de l'Union pendant la
guerre de Sécession.) (52)
Trop d'attention a été accordée à la " tyrannie de la majorité "
décrite par Tocqueville dans le premier volume de De la démocratie en
Amérique, peut-être parce que
ce leitmotiv a attiré l'oeil de J.S. Mill dans sa critique
enthousiaste de l'ouvrage. Ce qui à mon avis est d'un intérêt plus
durable est l'analyse, dans le second volume, des dangers de la
centralisation étatique lorsqu'elle se marie avec la démocratie
moderne et la recherche par les masses de toujours plus de satisfactions
matérielles. En conclusion du dernier volume de ce livre,
Tocqueville présente ce qui doit être l'une des images les plus
terrifiantes de toute l'histoire de la pensée politique. Elle apparaît
dans le chapitre " Quelle espèce de despotisme les nations
démocratiques ont à craindre " :
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait
se produire dans the monde : je vois une foule innombrable d'hommes
semblables et égaux qui
tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et
vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme….Au-dessus de ceux-là
s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul
d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est
absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la
puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de
préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au
contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que
les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent
qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il
veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur
sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite
leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur
industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne
peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la
peine de vivre ? (53)
Suivant l'exemple de Tocqueville, les libéraux français n'ont jamais
cessé de porter une attention particulière aux dangers de la
centralisation étatique. Par
exemple, dans son discours d'entrée à l'Académie Française,
succédant à Tocqueville, Henri-Dominique Lacordaire, chef de file des
libéraux catholiques français reproche au mouvement
radical-démocrate européen d'avoir facilité et encouragé la
centralisation politique :
" Le démocrate européen, idolâtre de ce qu'il appelle l'État, prend
l'homme dès son berceau pour l'offrir en holocauste à la toute-puissance
publique. Il professe
que l'enfant, avant d'être la chose de la famille, est la chose de
la cité, et que la cité, c'est-à-dire le peuple representé par ceux qui
le gouvernent, a le droit de former son intelligence sur
un modèle uniforme et légal. Il professe que la commune, la province
et toute association, même la plus indifféente, dépendent de l'État, et
ne peuvent ni agir, ni parler, ni vendre, ni acheter,
ni exister enfin sans l'intervention de l'État et la mesure
déterminée par lui, faisant ainsi de la servitude civile la plus absolue
le vestibule et le fondement de la liberté publique. "
(54)
Gustave de Molinari et " les gouvernements concurrents "
Né en Belgique, Gustave de Molinari fut le doyen des économistes
français du " laissez-faire " du 19ème siècle pratiquement jusqu'à sa
mort en 1911 (55). Molinari
est surtout célèbre pour sa doctrine de la " concurrence des
gouvernements " - Murray Rothbard l'appelait " le premier
anarcho-capitaliste " (56)- et il était un partisan rigoureux du
laissez-faire ainsi qu'un opposant au militarisme et à
l'impérialisme. Pourtant, ce " doctrinaire " qui semble correspondre
parfaitement à la définition hayekienne du " rationaliste français ",
devait faire valoir des positions sur l'histoire et la politique qui
le placent d'une façon étonnament proche d'une sorte de conservatisme
dur (57).
La première expression, et la mieux connue, de l'anarcho-capitalisme
de Molinari apparaît dans un article du Journal des Economistes en 1849
(58), dont le point de
départ pose déjà des problèmes à la typologie de Hayek. Molinari
distingue deux écoles de philosophie sociale : la première soutient que
toutes les associations humaines, puisqu'elles sont "
organisées d'une manière purement artificielle par des législateurs
primitifs " peuvent être " modifiées ou refaites par d'autres
législateurs, dans la mesure où la science sociale progresse ".
Il est clair que Molinari tient cette position, qui selon Hayek
représente l'essence du " rationalisme constructiviste " pour un
non-sens. L'école adverse - à laquelle Molinari adhère - pose que
" la société est un fait purement naturel " qui " évolue en vertu de
lois naturelles pré-existantes ".
L'expérience confirme que la sécurité fait partie des besoins qui
doivent être satisfaits en société, c'est-à-dire la protection de la
vie, de la liberté et de la
propriété individuelles. Il est clairement dans l'intérêt des
membres de la société de pouvoir assurer leur sécurité au meilleur prix.
En ce qui concerne les biens, matériels ou immatériels, la
libre concurrence garantit que les consommateurs obtiendront des
biens au prix le plus bas. Ainsi, dans l'intérêt des consommateurs, la
production de sécurité devrait elle aussi être soumise à la
libre concurrence. Il s'ensuit qu' " aucun gouvernement ne devrait
avoir le droit d'empêcher un autre gouvernement de s'établir
concurremment à lui, ou d'obliger les consommateurs de sécurité de
s'adresser exclusivement à lui pour cette denrée. "
Sous le régime actuel, les producteurs de sécurité sont en mesure,
grâce à l'usage de la force, de mettre en place un monopole et d'imposer
une " surtaxe " aux
consommateurs en demandant un prix qui est " plus élevé que sa
valeur ". L'industrie de l'Etat devient hautement profitable, et la
conséquence naturelle pour les consommateurs en est le résultat
typique d'un régime monopolistique : la guerre. Le monopole conduit à
une situation où " la justice devient coûteuse et lente, la police
vexatoire, la liberté individuelle cesse d'être
respectée, le prix de sécurité est exagéré, inégalement prélevé,
selon la force, l'influence dont dispose telle ou telle classe de
consommateurs ... " En revanche, la concurrence entre
gouvernements aurait des effets bénéfiques, en faisant baisser les
prix, et stimulerait l'amélioration du produit (59).
Utilisant à la fois des arguments de droit naturel et économiques
(utilitaristes), Molinari accuse d'autres économistes, en particulier ce
prophète du
laissez-faire, Charles Dunoyer, d'inconsistence lorsqu'il rejette
cette approche en bloc (alors qu'il rend hommage à Adam Smith pour avoir
reconnu les bienfaits de la concurrence entre tribunaux)
(60). En fait, les autres libéraux français, y compris Dunoyer et
Bastiat, ont critiqué l'élimination théorique par Molinari du "
gouvernement monopolistique ", et il semble qu'il n'ait eu aucun
disciple sur cette question en France de son vivant.
Il est intéressant de noter que, dès cet essai, Molinari fait montre
d'une antipathie envers la démocratie, que certains considéreraient
malplacée chez un penseur
aussi radical, qui le conduit à mettre les droits individuels,
notamment les droits de propriété, au-dessus de la règle majoritaire. Il
prend l'exemple où une majorité socialiste serait élue à
l'Assemblée Nationale, avec un président socialiste.
" Supposez que cette majorité et ce président, investis de
l'autorité souveraine, décrètent, ainsi que demandait M. Proudhon, la
levée d'un impôt de trois
milliards sur les riches, afin d'organiser le travail des pauvres,
est-il probable que la minorité se soumettra paisiblement à cette
spoliation inique et absurde, mais légale, et
constitutionnelle ? Non, sans doute, elle n'hésitera pas à
méconnaître l'autorité de la majorité et à défendre sa propriété. " (61)
Il est intéressant de noter que le disciple de Molinari, Vilfredo
Pareto, a préconisé d'agir ainsi, par exemple dans le cas des
municipalités socialistes en Italie
avant l'avènement des fascistes (62).
Dans ses ouvrages historiques, Molinari, à la différence des
libéraux français de tendance plus " britannique " (dans la terminologie
de Hayek) comme Constant,
Guizot et Tocqueville, ne concéde aucune vertu à la Révolution de
1789. Traditionnellement, les libéraux français avaient reconnu
certaines réformes accomplies sous la Révolution (en particulier
dans sa phase pré-jacobine - " 1789 plutôt que 1793 "), telles que
l'abolition des douanes intérieures et l'introduction de la liberté
religieuse. Or Molinari soutient que " les plus importantes
[des réformes] étaient accomplies ou en voie d'accomplissement,
depuis l'avènement de Louis XVI. Si la révolution n'avait pas éclaté,
les réformes qu'on lui attribue se seraient poursuivies
paisiblement dans ce qu'elles avaient d'utile, et ces réformes
eussent été définitives"(63). C'est une vue de l'Ancien Régime et la
Révolution qui, à bien des égards, est très proche de celle
présentée par l'historien Pierre Gaxotte, un intellectuel du
groupuscule royaliste Action Française (64).
La Révolution mit une fin brutale à cette évolution organique et
initia un transfert massif de pouvoir au profit de l'Etat. Le " servage
militaire " - le service
militaire obligatoire largement condamné par Turgot, Condorcet et
pratiquement tous les autres économistes pré-révolutionnaires - avait
disparu en France. La Révolution a rendu universelle la
conscription, et Molinari pense qu'elle suffit pour compenser toutes
les réformes progressives, réelles ou fictive, dont on crédite
généralement la Révolution. L' " impôt du sang " fut conservé
par la Restauration, puisque les classes moyennes et supérieures
pouvaient acheter l'exemption en payant des remplaçants - autre exemple
de législation de classe, comme le livret obligatoire pour
les ouvriers qui listait les emplois passés, ou l'interdiction
d'organisations ouvrières. Le résultat final de la Révolution a été " de
diminuer la somme de libertés dont jouissent les Français
et de doubler au moins le poids de l'Etat français ".
A long terme, le résultat le plus destructeur de la Révolution fut
d'éliminer toute entrave à l'envie de spolier de la bourgeoisie. D'après
Molinari, ceci est
largement la conséquence de la mise en oeuvre du principe d' "
égalité devant la loi ". " La Révolution a laissé le champ ouvert aux
classes moyennes, lesquelles n'ont pas négligé d'en profiter
en remplaçant les privilèges de la noblesse et du clergé par
d'autres, adaptés à leurs propres intérêts. " Une nouvelle classe prit "
possession de l'appareil à concocter des lois et règlements
". La monarchie héréditaire conservait au moins une certaine
incitation personnelle à préserver l'Etat de la ruine et à promouvoir sa
prospérité.
Molinari applique la théorie de la lutte des classes, devenue à son
époque une pierre angulaire du libéralisme français, mais, à la
différence de ses prédécesseurs,
il ne fait aucune exception pour les régimes prétendument libéraux,
ni à ce qui passait pour du libéralisme dans la vie politique française
de l'époque (54). La monarchie " libérale " de Juillet
était la créature de la bourgeoisie, qui visait désormais à fixer
l'exploitation de l'Etat fermement dans ses propres mains. Le parti
libéral était " l'expression de ceux de la classe gouvernante
qui étaient issus de la Révolution ". Les classes moyennes
profitaient des contrats publics, des subventions aux chemins de fer et à
d'autres industries, des banques d'Etat, des protections
douanières et des emplois dans la bureaucratie croissante. Bientôt,
un mouvement radical émergea " à mesure que les profits d'une
exploitation qui s'étendait et se développait chaque jour de plus
en plus excitait l'envie des classes exclues du festin ". Le stade
final arriva avec le suffrage universel : toute la population doit être
achetée. La critique de Molinari, toujours
cinglante, du gouvernement représentatif et de la démocratie qui
avance, suggère que son anarcho-capitalisme résultait non seulement de
la théorie économique et du droit naturel, mais aussi de
son interprétation de l'histoire.
Selon Molinari, " la nation souveraine est une simple fiction " ; en
réalité, les partis sont organisés en vue de prendre et d'exploiter le
pouvoir de l'Etat.
Les partis, voire leurs subdivisions, correspondent toujours aux
intérêts catégoriels dont ils sont issus et chez lesquels ils recrutent
leurs membres. Partout en politique Molinari voit
l'idéologie - au sens d'une rationalisation des intérêts de classe -
à l'oeuvre. Ainsi, la politique de Napoléon III de défendre les "
nationalités opprimées " de l'Europe était une couverture
idéologique pour répondre aux demandes de l'Armée, un de ses
soutiens principaux. En général, sur le " marché politique " chaque
groupe doit justifier ses déprédations : d'où les sophismes
et les utopies économiques élaborés à l'usage des différents partis.
Molinari déclare que ces charades ne manquent jamais de séduire les
masses, toujours plus sensibles aux émotions qu'à la
réflexion logique.
A l'âge de 92 ans, dans ce qu'il appelait son " dernier ouvrage ",
Molinari ressuscite une bonne partie du radicalisme de sa jeunesse. La
politique est toujours
essentiellement l'arène de la lutte de classes où les propriétaires
de l'Etat s'affrontent pour conquérir le droit de lever des impôts. Les
impôts sont une continuation, avec certaines
transformations purement formelles, de l'esclavage : c'est le tribut
exigé par quiconque exerce le pouvoir sur les autres.
L'anarcho-capitalisme antérieur de Molinari est plus que
sous-entendu :
Or, que fait l'impôt ? Il enlève soit au producteur, soit au
consommateur, une portion plus ou moins considérable du produit destiné,
partie à la consommation
immédiate, partie à l'épargne, pour l'employer à des fins moins
productives ou destructives, et plus rarement à l'épargne.
Il est impossible, écrit-il, de " savoir si le prix fixé par le
gouvernement investi du monopole de la fourniture de ses services ne
dépasse pas abusivement celui
qu'aurait établi la concurrence" (66). L'Etat dispose d'une
clientèle obligatoire, de sorte qu' " il a beau élever le prix de ses
services ou en abaisser la qualité, la nation, sa cliente, ne
peut les refuser. Si ruineux que soit l'impôt, l'État est amplement
pourvu des pouvoirs nécessaires pour la contraindre à payer. "
Molinari fut profondément déçu par les tendances de la société
moderne. Au milieu du 19ème siècle, il avait semblé que la paix et le
libre-échange soient appelés à
gouverner le monde civilisé. Désormais, il semblait évident que le
régime parlementaire et constitutionnel conduisait au socialisme.
Molinari craignait l'avènement du " Mardi Gras socialiste " -
la confiscation des richesses créées par le capitalisme - suivi de
l'épuisement de celles-ci, puis un " long Carême ". Il notait que, afin
de désarmer le socialisme, " certains Etats ont recours
à la philantropie ", c'est-à-dire à l'Etat-Providence. La liberté du
travail a pratiquement disparu, alors que les ouvriers, après avoir
obtenu le droit de s'organiser, s'appliquaient - " telle
est la nature protectionniste de l'homme " - à user de moyens
violents contre les employeurs et les ouvriers non syndiqués. Et
Molinari de déclarer, à la veille de la Première guerre mondiale,
que " les intérêts des classes les plus influentes " - les
fonctionnaires, militaires et civils, et les fabriquants d'armes - "
poussent à la guerre ".
Le laissez-faire comme ligne de conduite politique
En distinguant les bons libéraux britanniques de leurs reflets
négatifs de l'autre côté de la Manche, Hayek fait un commentaire sur la
place des idées de
laissez-faire dans sa typologie. Au sujet des Britanniques, il
écrit :
" Leur argument n'était jamais complètement celui du laissez-faire,
ce qui, comme l'expression elle-même le démontre, fait aussi partie de
la tradition rationaliste
française, et qui n'était jamais défendu au sens littéral par les
économistes classiques britanniques ... En réalité, leur argument
n'était jamais anti-Etat en tant que tel, ni anarchiste, ce qui
est le résultat logique de la doctrine du laissez-faire rationaliste
... (67).
Hayek offre deux sources pour sa description des économistes
classiques britanniques. D'une part, Lionel Robbins qui est si pressé de
les acquitter de l'accusation
d'adhérer au laissez-faire qu'il invoque la citation suivante de
Nassau Senior, avec une approbation évidente :
" le seul fondement rationnel de l'Etat, le seul fondement du droit
de gouverner et du devoir corrélatif d'obéir, c'est la convenance - le
bien-être général de la
communauté. Le devoir des gouvernants est de faire ce qui contribue
au bien-être des gouvernés. Le pouvoir est la seule limite à ce pouvoir
..." (68).
De l'autre, D.H. MacGregor, qui élargit cette défense jusqu'à
inclure pratiquement tous les économistes britanniques, en particulier
Alfred Marshall. Hayek cite ce
dernier qui expliqua, en 1907, que " tout économiste de la
génération actuelle est socialiste " (69), avant de poursuivre :
" un nouvel accent est mis sur le mot-clé laissez-faire : - Laissez
tout le monde travailler de toute sa force ; et surtout laissez l'Etat
se mobiliser
pour faire le travail vital que personne outre l'Etat ne peut faire
efficacement ... Ainsi je m'écrie : Laissez faire : laissez l'Etat libre
d'agir" (70).
MacGregor cite Keynes dans le même sens, en résumant sa position : "
Ainsi la fin du laissez-faire est 'Laissez faire l'Etat' ; le principe
est transféré
à une sphère supérieure. " Pourtant, ces personnalités ne règlent
pas la question de la désirabilité de la doctrine du laissez-faire.
L'historien anglais A.V. Dicey a élucidé un point que Hayek,
Robbins et d'autres ont négligé dans leur traitement sommaire :
" L'effet bénéfique de l'intervention de l'Etat, en particulier de
la législation, est direct, immédiat et, pour ainsi dire, visible, alors
que ses effets
maléfiques sont progressifs et indirects, et hors du champ de vision
... les bons résultats de l'intervention étatique sont faciles à
percevoir ... les méfaits ... sont indirects et nous
échappent ... rares sont ceux qui comprennent la vérité indéniable
que l'aide de l'Etat tue la capacité à s'aider soi-même. Ainsi la
majorité de l'humanité doit presque par nécessité considérer
avec une faveur indue l'intervention étatique. Cette tendance
naturelle ne peut être balancée que par l'existence, dans une société
telle que l'Angleterre de la période 1830-1860, d'une
présomption ou d'un préjugé en faveur de la liberté individuelle -
c'est-à-dire du laissez-faire" (71).
Dans son ouvrage Capitalism and Freedom, Milton Friedman cite ce
passage et exprime son accord avec Dicey (72). Certes, Hayek a raison de
dire que la doctrine du
laissez-faire est française par quintessence. Les Français ont conçu
le slogan qui est toujours employé en français dans d'autres langues.
Ce qui importe plus cependant est que le concept du
laissez-faire imprègne la pensée libérale française à partir du
milieu du 19ème siècle. Même Benjamin Constant, dont le nom n'est pas
normalement associé aux questions économiques, était un
partisan confirmé du laissez-faire, un fait qui ressort très
clairement dans son ouvrage majeur consacré à l'économie, Commentaire
sur l'ouvrage de Filangieri :
" Toutes les fois donc qu'il n'y a pas nécessité absolue, toutes les
fois que la législation peut ne pas intervenir, sans que la société
soit bouleversée, toutes
les fois enfin qu'il n'est question que d'un mieux hypothétique, il
faut que la loi s'abstienne, laisse faire, et se taise" (73).
Constant termine par les mots : " Laissez faire, laissez passe " (74).
Les économistes français sont restés fidèles au laissez-faire
longtemps après que cette doctrine soit devenue démodée ailleurs.
Puisqu'aucun nom n'a été aussi
intimement associé au principe du laissez-faire que celui de
Frédéric Bastiat, j'aimerais dire quelques mots sur cette grande
personnalité qui est si souvent traitée avec dédain par les auteurs
de l'histoire de la pensée. Florin Aftalion a très bien cerné le
problème concernant Bastiat : puisqu'il avait raison sur les questions
fondamentales, comment expliquer qu'il ait été oublié,
" alors que la plupart de ses adversaires intellectuels, prophètes
de la stagnation, de la paupérisation, qui se sont trompés, ont encore
droit de cité ? " (75).Dans les années 1850-60, une
" vague Bastiat " balaya le monde intellectuel occidental, qui
attend encore son historien. Dans le Massachusetts, Edward Atkinson,
radical américain célèbre, leader du mouvement abolitionniste
et futur agitateur anti-impérialiste, fut converti au laissez-faire
en lisant Bastiat. En Russie, Boris Chicherine, qui est considéré comme
le penseur social russe le plus éminent du 19ème
siècle, fut également converti. Dans les Etats allemands, Ludwig
Bamberger et d'autres libéraux allemands qui devaient un peu plus tard
jeter les bases de la liberté du travail et des
institutions de la propriété privée, et de l'étalon-or du nouveau
Reich allemand, étaient aussi des partisans de Bastiat. Et en Suède,
pour ne citer qu'un autre exemple, le plus grand des
libre-échangistes du pays au 19ème siècle, Johan August Gripenstedt,
fut un disciple de Bastiat, allant même jusqu'à inclure de longues
citations de celui-ci dans ses discours parlementaires
(76). Dans l'histoire de la pensée, cet attachement têtu au
laissez-faire est souvent attribué au retard, à la superficialité et à
l'infériorité supposée des économistes français. Pourtant Joseph
Schumpeter raconte une histoire différente. Lorsqu'il en vient à
discuter de ceux qu'il appelle les " ultras du laissez-faire " des
dernières décennies du 19ème siècle et des premières décennies
du 20ème siècle - Paul Leroy-Beaulieu, Emile Levasseur, l' "
infatigable " Gustave de Molinari, Yves Guyot, Léon Say et d'autres - il
note qu' " ils sont connus sous le nom du Groupe de Paris puisqu'ils
contrôlaient le Journal des Economistes, le nouveau dictionnaire,
l'Ecole centrale de Paris, le Collège
de France, et d'autres institutions... ils restaient vaillamment
sous la bannière tombante du libre-échange inconditionnel et du
laissez-faire" (77).
En fait, selon l'expression de Schumpeter, ils résistaient " comme
les Spartiates de Léonidas aux Thermopyles ". Il reconnaît qu'ils
n'étaient pas " scientifiques "
d'après ses critères, mais il maintient que " le mépris avec lequel à
la fois les théoriciens plus sophistiqués et les groupes anti-libéraux
ont traité le Groupe de Paris ... n'est pas justifié
". Car lorsque ces hommes s'exprimaient sur des questions pratiques,
ils " savaient de quoi ils parlaient. C'est dire qu'ils vivaient et
réfléchissaient tout près du milieu des affaires et de la politique, que
la plupart d'entre eux
connaissaient par expérience et non par les journaux. Il y a une
atmosphère de réalisme et de perspicacité autour de leurs travaux qui
compense en partie le manque d'inspiration scientifique.
"
Ceci donne une idée du fondement de l'engagement en faveur du
laissez-faire des libéraux français. Pour Dicey, et aussi pour Friedman,
la valeur primordiale
consiste à empêcher un bien immédiat et évident mais inférieur de
remplacer un bien de long terme, moins évident mais supérieur. Pour les
penseurs français le problème central était celui de la
spoliation, c'est à dire du pillage par l'Etat. Depuis l'époque de
Dunoyer et de Charles Comte, les économistes français analysaient le
processus politique comme correspondant à l'usurpation
générale des droits de propriété. Par le protectionnisme, le
socialisme, toutes sortes de faveurs accordées par l'Etat et les
restrictions à la concurrence, la croissance de la bureaucratie et
celle des emplois publics, etc. ... les intérêts particuliers
essayaient d'exploiter le public, la grande masse des consommateurs et
des contribuables. La connaissance qu'avait le Groupe de Paris
de la pratique des affaires et de la politique, à laquelle
Schumpeter fait référence - une connaissance qui n'était pas puisée dans
les journaux, c'est-à-dire non influencée par les
rationalisations idéologiques des parties intéressées - confirmait
leur conviction que seul un rempart solide tel que la doctrine du
laissez-faire était en mesure de protéger le public contre
l'assaut incessant des exploiteurs potentiels (78).
Les mêmes considérations dominaient la pensée économique en Italie,
qui était fortement influencée par les économistes libéraux français.
Pendant des décennies les
économistes y sont restés presque aussi acquis au laissez-faire
qu'en France (79). Le doyen des économistes italiens du 19ème siècle,
Francesco Ferrara, qui avait étudié les oeuvres de Bastiat et
de Dunoyer, parlait d'une bataille entre " le privilège, l'intérêt
secret, l'avantage politique, tout ce qui est capable de convoiter " et
son " ennemi naturel ", la science " dont la devise,
depuis sa naissance, est : laissez-faire, laissez-passer" (80).
Comme l'indique ce passage, Ferrara concevait le principe du
laissez-faire surtout comme un barrage nécessaire contre
l'attaque de ceux qu'on qualifierait aujourd'hui de capteurs de
rentes. Cette position était généralement admise par les économistes
italiens - y compris Vilfredo Pareto et Maffeo Pantaleoni -
jusqu'en 1920 environ(81) .
Au cours de la génération suivante, la tradition du laissez-faire a
effectivement disparu en Italie. Luigi Einaudi, probablement le plus
grand économiste de cette
période et le premier président de la République italienne, quoique
tendant vers le marché dans la politique, rejetait le laissez-faire
stricte pour adopter une approche " pragmatique ".
Néanmoins, il écrivait que le principe du laissez-faire peut avoir
une " valeur pratique " ; en fait, " sa valeur peut être très grande. Il est extrêmement utile que,
face à l'habitude de tout demander à l'Etat, d'attendre tout de l'action
collective, le libéral
économique se lève pour condamner la paresse de l'interventionniste
et l'avidité du protectionniste. Laissant la science de côté, la figure
morale du premier dans la vie pratique et politique
s'élève mille pieds au-dessus de celle de ses opposants. Sans lui,
l'Etat non seulement accomplirait les missions qui sont les siennes et
compléterait l'action individuelle quand cela convient,
mais son intervention dans les affaires économiques à l'instigation
de voleurs et d'idiots, ferait du tort à toute la société" (82).
Notre expérience de la démocratie montre qu'au-delà de quelques
questions très simples, les électeurs n'arrivent pas à des conclusions
informées sur les enjeux
politiques. Ils ont plutôt tendance à faire leurs choix à partir de
ce que Douglass North qualifie de " stéréotypes idéologiques ", le cadre
mental au sein duquel ils situent, consciemment ou
non, les questions politiques du jour (83). James Buchanan a compris
cela mieux que tous les autres. Buchanan, on le sait, a été fortement
influencé par les économistes libéraux italiens. Des
années plus tard, tout comme Einaudi, il évoque le manque dans
l'électorat d'une " volonté générale de laisser les choses suivre leur
cours, de laisser l'économie fonctionner d'elle-même, en
dehors de toute interférence politisée ". Malgré la perte de foi
dans le socialisme, " nous sommes loin d'avoir regagné confiance dans le
principe du laissez-faire des économistes classiques ".
Buchanan poursuit en décrivant les conséquences de l'absence de tout
engagement pour le laissez-faire de l'économie politique :
" l'exploitation par les groupes d'intérêt ayant leur agenda tout
prêt pour l'action étatique, conçu pour leur donner des rentes ou des
profits différentiels
élevés. S'appuyant sur la réticence du public d'agir par principe en
faveur de solutions de marché à des problèmes apparents, réels ou
imaginés, ces groupes d'intérêt s'assurent de restrictions
arbitraires sur l'échange volontaire et, dans la foulée, captent des
rentes pour leurs membres en réduisant à la fois les libertés et le
bien-être économiques des autres acteurs de la vie
économique, sur le plan national et international. "
Buchanan conclut que pour combattre le régime protectionniste et
mercantiliste actuel, il faut des " principes qui peuvent être
incorporés dans une structure
constitutionnelle, des principes qui dictent l'imposition de
contraintes qui empêcheront la politique d'empiéter sur l'échange
marchand " (84).
Aujourd'hui, dans tous les pays occidentaux, la sphère d'action de
l'Etat croît inexorablement, sinon d'année en année, du moins de
décennie en décennie. Si, en
1852, l'Etat était déjà comme le disait Karl Marx, un parasite qui "
enferme la société dans un filet pour l'étouffer " (85), que faut-il en
dire maintenant ?
Cela nous conduit à la
question : entre Bastiat et Alfred Marshall, qui était - non pas le
meilleur économiste au sens technique, une question qu'il faut supposer
réglée - mais qui était le meilleur économiste
politique ?
Lequel des deux a le mieux compris la dynamique de la
croissance étatique ?
Etait-ce Marshall et les Britanniques, dont le
conseil était : " Laissez faire l'Etat
" ?
Ou était-ce Bastiat et les autres Français - et leurs disciples,
les Italiens, qui ont inspiré l'Ecole de Public Choice - qui
insistaient sur la règle du laissez-faire, laissez-passer,
et qui maintenaient fermement que " le monde va de lui-même " ?
Source Euro92 par Ralph RAICO
LIENS
* Joseph T.Salerno : "The Neglect of the French Liberal School in
Anglo-Saxon Economics : A Critique of Received Explanations" Review of
Austrian
economics, vol.2 1988
* Site français sur BASTIAT
* Site de David Hart Research into the French Classical Liberal tradition
* History of Economics Website
* Ralph Raico : "La contribution des auteurs libéraux français du
19ème siècle au débat sur les valeurs et les conflits culturels".
Document Euro 92
(1997).
Le libéralisme français est né comme une protestation systématique contre l'Etat
Par libéralisme, j'entend la doctrine qui soutient que la société
civile - l'ordre social hors de l'Etat - s' " auto-gouverne " dans le
cadre de droits individuels
définis très largement.
Notes :
1.Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme : dix leçons (Paris : Calmann-Lévy, 1987), p. 7.
2. Anthony de Jasay, Choice, Contract, Consent : A Restatement of
Liberalism (London : Institute of Economic Affairs, 1991), p. 119.
Emphasis in original.
3. Voir Ralph Raico, "Prolegomena to a History of Liberalism,"
Journal des Économistes et des Études Humaines, vol. 3, nos. 2/3
(June-Sept., 1992).
4. Voir Ralph Raico, "The Theory of Economic Development and the
'European Miracle,'" in Peter J. Boettke, ed., The Collapse of
Development Planning (New York University Press : New York,
1994), pp. 37-58.
5. Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française,
Jocques Godechot, ed. [1818] (Paris : Tallandier, 1983), p. 70.
6. Jean Baechler, Le capitalisme, vol. 1, Les origines (Paris : Gallimard, 1995), p. 376.
7. François Bernier, Voyage dans les états du Grand Mogol [1671-72]
(Paris : Fayard, 1981), intro. par France Bhattacharya. Les citations
sont tirées de sa "Lettre à Monseigneur Colbert,"
pp. 143-176.
8. Charles Louis de Secondat, Baron de Montesquieu, De l'esprit des lois, book 20, chapter 4.
9. Astolphe, Marquis de Custine, La Russie en 1839, 2nd ed (Brussels : Hauman, 1844), 4 vols.
10. Voir Alejandro Antonio Chafuen, Christians for Freedom :
Late-Scholastic Economics (San Francisco : Ignatius Press, 1986), et la
littérature citée dans cet ouvrage.
11. Murray N. Rothbard, An Austrian Perspective on the History of
Economic Thought, vol. 1, Economic Thought before Adam Smith, pp. 345,
435, 441-448. Voir aussi Joseph T. Salerno, "The Neglect
of the French Liberal School in Anglo-American Economics : A
Critique of Received Explanations," Review of Austrian Economics, vol. 2
(1988), pp. 113-156.
12. Anne Robert Jacques Tugot, Baron d'Aulne, "Lettre à l'Abbé Terray sur la marque des fers," December 24, 1773.
13. In F. A. Hayek, Individualism and Economic Order (Chicago :
University of Chicago Press, 1948), pp. 1-32. Cet essai reproduit un
exposé de Hayek en 1945. Voir aussi le chapitre sur
"Freedom, Reason, and Tradition," in idem, The Constitution of
Liberty (Chicago : University of Chicago Press, 1960), pp. 54-70. La
confusion dans "Individualism : True and False"
commence par la devise d'Alexis de Tocqueville que Hayek place au
début de son essai : "From the eighteenth century and from the
revolution, as from a common source, two rivers had
sprung : the first led men to free institutions, while the second
led them to absolute power." Il n'y a aucune de raison de penser que la
distinction de Tocqueville correspond à celle que
Hayek développe dans son essai.
14. Ces deux catégories ne sont pas complètement compatibles avec
les traditions nationales. John Stuart Mill et Herbert Spencer, selon
Hayek, étaient "presque aussi influencés par les Français
que par la tradition anglaise." A l'inverse, "les Français comme
Montesquieu et, plus tard, Benjamin Constant et, surtout, Alexis de
Tocqueville sont probablement [sic] plus proches de ce que
nous avons appelé la tradition 'britannique' qu'à la tradition
'française'." The Constitution of Liberty, p. 56.
15. Je suppose que les Encyclopedistes se réfèrent premièrement à
Diderot et à D'Alembert ; ailleurs, Hayek écrit avec approbation de
Turgot ; voir F. A. Hayek, The Counter-Revolution
of Science : Studies on the Abuse of Reason (Glencoe, Ill. : The
Free Press and London : Collier-Macmillan, 1955), pp. 106-107.
16. The Constitution of Liberty, p. 55, où la liste commence avec
David Hume ; à la page 60, cependant où Hayek voudrait démontrer que les
bons Britanniques n'étaient pas des extrémistes, et
qu'ils ne pensaient pas comme Bentham que "toute loi est un mal car
toute loi constitue une infraction de la liberté," Locke revient dans le
raisonnement.
17. Voir The Counter-Revolution of Science, p. 221, n. 1, où Hayek
déclare que D'Alembert "avec son maître Locke," regardait les sciences
morales comme des sciences a priori, comparables aux
mathématiques et d'une certitude égale ."
18. The Constitution of Liberty, p. 56.
19. Bastiat, dans son essai célèbre "La Loi" se plaint de ce
que"dans notre pays l'idée que l'humanité n'est qu'une matière inerte,
recevant de l'Etat la vie, l'organisation, la morale et la
richesse ... ' Il énumère et critique un grand nombre d'auteurs
français concernant leur croyance dans l'omnipotence du législateur.
Parmi ceux-ci se trouvent cependant seulement deux penseurs
qu'on inclut généralement dans la tradition libérale : Condillac-et
l'un des préférés de Hayek, Montesquieu. Frederic Bastiat, Selected
Essays on Political Economy, ed. George B. de Huszar,
tr. Seymour Cain (Irvington, N.Y. : Foundation for Economic
Education, 1964), pp. 70-83.
20. Ibid. Assez curieusement, quelques pages plus loin (The
Constitution of Liberty, p. 60), Hayek pose que le "résultat logique de
la doctrine rationnelle du laissez-faire " est non pas le
totalitarisme ou le collectivisme, mais l'anarchisme. Il faut
souligner que Hayek se trompe en invoquant l'ouvrage de J. L. Talmon The
Origins of Totalitarian Democracy (London : Secker and
Warburg, 1955) pour étayer sa thèse. Les auteurs traités dans cet
ouvrage sont Rousseau, Mably, et les jacobins, notamment Robespierre et
Saint-Just. Aucun de ces derniers ne peut être considéré
comme des libéraux. Le poids des quelques pages (pp. 44-45) que
Talmon consacre aux Physiocrates est qu'ils proposaient "une synthèse
étonnante du libéralisme économique et de l'absolutisme
politique ", ce dernier s'expliquant par le fait qu'ils craignaient
toute dilution du "despotisme légal " qui menerait au triomphe des
intérêts particuliers.
21. F. A. Hayek, The Constitution of Liberty, p. 55, et p. 431,n. 5.
Voir Francis Lieber, "Anglican and Gallican Liberty" (1849), New
Individualist Review (1966), (repr., Indianapolis :
Liberty Press, 1981), pp. 718-723.
22. Friedrich Hayek, The Constitution of Liberty, p. 431, n.1.
23. Hayek accorde cet honneur àTocqueville et à Lord Acton.
24. Émile Faguet, Politiques et moralistes du XIXe siècle (Paris : Boiven, 1891), p. 255.
25. Voir ses "Two Concepts of Liberty," in Isaiah Berlin, Four
Essays on Liberty (Oxford : Oxford University Press, 1969), p. 126.
26. Max Weber, The Methodology of the Social Sciences, tr. Edward A.
Shils and Henry A. Finch (Glencoe, Ill. : Free Press, 1949), p. 104.
27. Benjamin Constant, "De la Liberté des Anciens comparée à celle
des Moderns," Cours de Politique Constitutionnelle, ed. Édouard
Laboulaye (Paris : Guillaumin, 1872), vol. 2,
28. pp. 537-560.
29. Ibid., pp. 540-41. John Gray, dans son ouvrage Liberalism
(Minneapolis : University of Minnesota Press, 1986), p. 20, cite ce
passage, mais ommet toute référence aux droits de propriété,
ce qui s'explique par sa dépendance erronée sur la traduction
inexacte du texte de Constant qui paraît dans l'History of European
Liberalism de Guido de Ruggiero Malheureusement, l'erreur de Gray
a été reprise par des travaux ultérieurs qui lui font confiance.
30.L'importance de l'analyse de Constant de la Révolution a été
reconnue dans un travail de synthèse majeur, François Furet and Mona
Ozouf, eds., A Critical Dictionary of the French Revolution,
tr. Arthur Goldhammer (Cambridge, Mass. : Harvard University Press,
1989). La pensée de Constant-et de sa collaboratrice Madame de Staël-
imprègne ce travail.
31. Benjamin Constant, Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri (Paris : Dufart, 1824), p. 27.
32. Cours de Politique Constitutionnelle, vol. 2, p. 172n.
33. Benjamin Constant, "De l'esprit de conquête et de l'usurpation,"
Oeuvres, ed. Alfred Roulin, Pléiade edition (Paris : Gallimard, 1957),
p. 1580.
34. Adolphe Blanqui, Histoire de l'Économie politique en Europe
depuis les anciens jusqu'à nos jours (Paris : Guillaumin, 1837), vol. 1,
p. x.
35. Alexis de Tocqueville, Oeuvres Complètes, vol. 12, Souvenirs, Luc Monnier, ed. (Paris : Gallimard, 1964), p. 30.
36. Voir Patricia J. Euzent and Thomas L. Martin, "Classical Roots
of the Emerging Theory of Rent Seeking : the Contribution of
Jean-Baptiste Say," History of Political Economy, vol. 16, no.
2 (Summer 1984), pp. 255-62 ; et Robert W. Dimand et Edwin G. West,
"Destutt de Tracy : A French Precursor of the Virginia School of Public
Finance," History of Economics Society
Bulletin, vol. 11, no. 2, pp. 210-215.
37. Voir Ralph Raico, "Classical Liberal Roots of the Marxist
Doctrine of Classes," in Yuri N. Maltsev, ed., Requiem for Marx (Auburn,
Ala. : Ludwig von Mises Institute, 1993), pp.
189-220 ; David Mercer Hart, Class Analysis, Slavery and the
Industrialist Theory of History in French Liberal Thought, 1814-1830 :
The Radical Liberalism of Charles Comte and Charles
Dunoyer, publié par la faculté d'histoire, Université d'Adelaïde,
1994 ; Ephraïm Harpaz, "'Le Censeur Européen' : Histoire d'un Journal
Industrialiste," Revue d'Histoire Économique et
Sociale, XXXVII, no. 2 (1959), pp. 185-218, and XXXVII, no. 3, pp.
328-357 ; idem., "Le Censeur Européen : Histoire d'un journal
quotidien," Revue des Sciences Humaines, no. 114
(April-June, 1964), pp. 137-259.
38. Cf. Murray N. Rothbard, Classical Economics, p. 18, qui compare
Say aux "Smithiens du courant Smith-Ricardo, qui soutenaient la théorie
du travail (ou, au mieux la théorie des coûts de
production) comme fondement de la valeur…"
39. Jean-Baptiste Say, Cathéchisme d'Économie Politique, ou Instruction Familière (Paris : Crapelet, 1815), p. 14.
40. Allix, "J.-B. Say et les origines de l'industrialisme," pp. 341-44.
41. Charles Comte, "Considérations sur l'état moral de la nation
française, et sur les causes de l'instabilité de ses institutions," C.
E., vol. 1, pp. 1-2, 9. La similarité avec l'analyse de
Franz Oppenheimer est évidente. Voir son ouvrage The State, tr.,
John Gitterman (New York : Free Life, 1975).
42. Les auteurs du Censeur ne partageaient pas l'admiration générale
des libéraux pour l'Angleterre. Alors qu'elle donnait l'apparence d'une
monarchie constitutionnelle, selon eux, elle était en
réalité une oligarchie corrompue. De plus, ils craignaient une
hégémonie britannique sur le continent. Ephraïm Harpaz, "Le Censeur
Européen : Histoire d'un journal quotidien," pp. 158, 199,
221.
43. Charles Comte, "Considérations sur l'état moral," p. 132.
44. Charles Comte, "De l'organisation sociale," C. E., vol. 2, p. 33.
45. Charles Dunoyer, "Du système de l'équilibre," C. E., vol. 1, p. 124.
46. "De l'influence qu'exercent sur le gouvernement les salaires
attachés à l'exercice des fonctions publiques," C. E., vol. 11, p. 86.
47. In Karl Marx et Friedrich Engels, Selected Works in Three Volumes (Moscow : Progress Publishers, 1983), vol. 1, p. 477.
48. Ceri Crossley, French Historians and Romanticism : Thierry,
Guizot, the Saint-Simonians, Quinet, Michelet (London : Routledge,
1993), p. 27.
49. Ephraïm Harpaz, "Le Censeur Européen : Histoire d'un journal
quotidien," p. 228. Harpaz ajoute : "Les jeunes États-Unis semblent
incarner aux yeux de la jeune génération libérale de
la Restauration les forces immenses de l'avenir." En effet,
l'Amérique était la nation industrialiste modèle ; l'Europe, en
revanche, était "écrasée par ses cours brillantes et ses vastes
armées comme elle étouffe sous un système onéreux d'impôts,
d'emprunts et de fonctionnaires." Ibid.
50. Charles Dunoyer, "Gouvernement" in Charles Coquelin and Charles
Guillaumin, eds., Dictionnare de l'économie politique, 3rd. ed. (Paris :
Guillaumin, 1864), vol. 1, pp. 835-841. Pour un
récit quelque peu "révisionniste" de Dunoyer, voir Gustave du
Puynode, "Charles Dunoyer," Journal des Économistes, 3rd series, vol. 13
(January 15, 1869), pp. 1-28.
51. Leonard Liggio, "Evolution of French Liberal Thought : From the
1760s to the 1840s," Journal des Économistes et des Études Humaines,
vol. 1, no. 1 (Winter 1989), pp. 145-146.
52. Voir Serge Gavronsky, The French Liberal Opposition and the American Civil War (New York : Humanities Press, 1968).
53. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, vol. 2, livre 4, chapitre 6.
54. Henri-Dominique Lacordaire, Notices et Panégyriques (Paris : Poussielgue, 1886), p. 341.
55. Sur Molinari, voir Murray N. Rothbard, Classical Economics, pp.
453-455. Sur le disciple le plus influent de Molinari, voir idem.,
"Vilfredo Pareto, pessimistic follow of Molinari, " in
ibid., pp. 455-459.
56. Ibid., p. 453. Voir la bibliographie dans Pierre Lemieux,
L'anarcho-capitalisme (Paris : Presses Universitaires de France, 1988),
pp. 123-124.
57. La critique de l'ouvrage de Molinari Les soirées de la rue
Saint-Lazare. Entretiens sur les lois economique et défense de la
propriété, in the Journal des Économistes, vol. 24, no. 104
(November 15, 1849), pp. 368-369, lui rend hommage pour sa critique
poignante du socialiste typique -"ce pygmée gonflé d'orgueuil qui
essayerait de substituer son propre travail à celui du Cr
éateur"-et pour sa caractéristique du principe du socialisme comme
étant "d'une arrogance insouciante." Cela semble assez proche de la
conception hayekienne du socialisme, "la présomption
fatale."
58. Gustave de Molinari, "De la production de la securité," Journal
des Économistes, vol. 22, no. 95 (February 15, 1849), pp. 277-290.
59. Ibid., pp. 281-282, 289. Au sujet de la question hautement
complexe et controversée du fonctionnement d'un système de gouvernement
concurrents, Molinari ébauche quelques caractéristiques de
son système, à la fois pour les producteurs de se sécurité et pour
les consommateurs. Les derniers seraient obligés de se soumettre à des
pénalités pour les violations contre les personnes et les
biens, imposées par le gouvernement de leur choix, ainsi qu'aux
"certains inconvénients" dont l'objet et de faciliter l'appréhension des
criminels pour le gouvernement.
60. In The Wealth of Nations, Bk. 5, chap. 1.
61. Molinari, "De la production de la securité," p. 287. C'est l'auteur qui souligne.
62. Voir Ralph Raico, "Mises on Fascism, Democracy, and Other
Questions," Journal of Libertarian Studies, vol. 12, no. 1 (Spring
1996), pp. 19-20.
63. Gustave de Molinari, L'évolution politique et la Révolution (Paris : C. Reinwald, 1884), pp. 271-274.
64. Pierre Gaxotte, La révolution française (Paris : Plon, 1936), 2 vols.
65. Voir Ceri Crossley, French Historians and Romanticism, pp. 53,
65, où l'auteur souligne que par exemple Thierry glorifiait la
bourgeoisie per se, comme étant l'incarnation historique des
"principes éternels de raison, de justice et d'humanité," et
considérait le triomphe de sa propre classe en 1830 comme le point
culminant de l'histoire française.
66. Gustave de Molinari, Ultima Verba : Mon Dernier Ouvrage (Paris : Giard and Brière, 1911), pp. 39-45.
67. The Constitution of Liberty, p. 60.
68. Lionel Robbins, The Theory of Economic Policy in English
Classical Political Economy (London : Macmillan,1953), p. 45. Les trois
représentants de la position "individualiste extrême,"
partisan de "l'Etat gendarme" qu'il cite sont le physiocrate Mercier
de la Rivière (qu'il parodie), Herbert Spencer, et Bastiat.
69.D. H. Macgregor, Economic Thought and Policy (Oxford : Oxford University Press, 1949), p. 69.
70. Ibid.
71. A. V. Dicey, Lectures on the Relation of Law and Public Opinion
in England during the Nineteenth Century, 2nd. ed. (1914) (London :
Macmillan, 1963), pp. 257-258.
72. Milton Friedman, Capitalism and Freedom (Chicago : University of
Chicago Press, 1962), p. 201. Il est typique que John Gray, Limited
Government : A Positive Agenda (London :
Institute for Economic Affairs, 1989), pp. 20-21, ne mentionne pas
cet argument en faveur du principe du laissez-faire, qui a été présenté
dans des ouvrages connus par Dicey et Friedman,
lorsqu'il attaque ce principe comme étant un "mirage."
73. Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri, p. 70. Il est
intéressant de voir que le rejet de l'action étatique par Constant est
principalement fondé sur les difficultés inhérentes de corriger
les erreurs et d'éliminer les échecs produits par les actvités de
l'Etat. Voir Ralph Raico, "Benjamin Constant," New Individualist Review,
vol. 3, no. 2 (1964) (repr. Indianapolis : Liberty
Press, 1981) : 499-508.
74. Ainsi Constant fournit le meilleur contre-example (Tocqueville
est un autre cas évident) à l'affirmation tout à fait erronée de
Françoise Mélonio, "Les libéraux français et leur histoire," in
Les libéralismes, la théorie politique et l'histoire ," Siep
Stuurman, ed. (Amstedam : Amsterdam University Press, 1994), p. 38,
selon laquelle il y avait peu de sympathie ou même de
compréhension entre libéraux politiques et libéraux économiques dans
la première moitié du 19ème siècle en France.
75. Frédéric Bastiat, Oeuvres économiques, Florin Afthalion, ed. (Paris : Presses Universitaires de France, 1983), p. 8.
76. Eli F. Heckscher, "A Survey of Economic Thought in Sweden,
1875-1950," Scandinavian Economic History Review, vol. 1, no. 1 (1953),
pp. 109-110. Heckscher exprime son étonnement de voir des
penseurs suédois, "dont les capacités intellectuelles étaient
largement supérieures" à celles de Bastiat, être si influencés par
l'économiste français. Certes, il est possible que Heckscher ait
manqué de voir quelque chose que les admirateurs suédois de Bastiat,
comme tant de penseurs européens et américains, pouvaient voir.
77. Joseph A. Schumpeter, History of Economic Analysis, ed.
Elizabeth Boody Schumpeter (New York : Oxford University Press, 1954),
p. 841.
78. Une telle compréhension est absente dans la discussion de J. E.
Cairnes, "Political Economy and Laissez-Faire," in idem, Essays in
Political Economy. Theoretical and Applied (London,
Macmillan, 1873), pp. 232-264. Cairnes déclare que : "au niveau
pratique je considère le laissez-faire comme le guide de loin le plus
sûr [comparé au principe de contrôle étatique]. Or,
rappelons-nous que c'est une règle pratique, et non une doctrine
scientifique ; c'est une règle grosso modo saine, mais comme tant
d'autres règles pratiques saines elle fait l'objet de
nombreuses exceptions ; c'est surtout une règle qui ne doit jamais
empêcher de considérer sincèrement toute proposition prometteuse de
réforme sociale et industrielle" (p. 251, c'est
l'auteur qui souligne). Puisque la "règle" de Cairnes est si facile à
contourner, il est difficile de voir quelle protection elle pourrait
offrir contre des politiques anti-sociales.
79. Voir Salerno, "The Neglect of the French Liberal School," and Rothbard, Classical Economics, pp. 448-449 and 455-459.
80. Francesco Ferrara, "G. B. Say," in Prefazioni alla Biblioteca
dell'Economista, Part 1 of idem, Opere Complete, ed., Bruno Rozzi
Ragazzi (Rome : Associazione Bancaria Italiana/Banca
d'Italia, 1955), vol. 2, p. 567.
81. Sur les économistes libéraux italiens et l'Etat producteur de
rentes, voir Ralph Raico, "Mises on Fascism, Democracy, and Other
Questions," pp. 12-19.
82. Luigi Einaudi, "Liberismo e liberalismo," in Benedetto Croce et
Luigi Einaudi, Liberismo e liberalismo, Paolo Solari, ed.
(Milan/Naples : Riccardo Ricciardi, 1957), pp. 125-126.
83. Douglass C.North, "Economic Performance Through Time," American
Economic Review, vol. 84, no. 3 (June 1994), p. 361. North ajoute que de
tels "stéréotypes idéologiques" finissent par façonner
la performance du système économique.
84. James Buchanan, "The Potential and Limits of Socially Organized
Humanity," in idem, The Economics and Ethics of Constitutional Order
(Ann Arbor, Mich. : University of Michigan Press,
1991), pp. 248-249 (souligné dans l'original).
85. Karl Marx, "The Eighteenth Brumaire of Louis Bonaparte," in Karl
Marx and Friedrich Engels, Selected Works in Three Volumes (Moscow :
Progress Publishers, 1983), vol. 1, p. 477.