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janvier 11, 2024

BASTIAT: CE QUE L'ON PENSE, ET OÙ CELA NOUS MÈNE

Ce texte ici présenté est une opinion de Jérémie T. A. Rostan de QL

agrégé de philosophie et enseigne actuellement la philosophie aux États-Unis.

M. Rostan a terminé premier au « Concours Bastiat » organisé par le site Un monde libre. Nous publions ici le texte qui lui a valu cette 1ere place.

 

 



« Je pourrais soumettre ici une foule d’autres questions à la même épreuve. Mais je recule devant la monotonie d’une démonstration toujours uniforme… »

          C’est par ces deux lignes que Frédéric Bastiat conclut son ouvrage aujourd’hui le plus célèbre, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, dont le titre est devenu une expression proverbiale et un puissant outil de pensée dans la tradition libérale. À tel point qu'au 20e siècle, un autre grand publiciste, Henry Hazlitt, en a tiré la leçon de sa si célèbre Économie en une leçon.

 

          Pourtant, si la pensée de Frédéric Bastiat consiste bien à mettre l’opinion « à l’épreuve » afin de procéder à la « démonstration » de son absurdité, la leçon qu’il nous lègue est bien plus générale, et puissante, que cette simple distinction. 

On peut la résumer ainsi: si l’on accepte une idée, alors on doit accepter le principe dont elle se déduit, ainsi que toutes les conséquences qui en découlent.

          Telle est l’« épreuve » à laquelle Frédéric Bastiat soumet constamment l’opinion: lui faire voir le principe qu’elle suppose, et surtout les conséquences auxquelles il conduit logiquement.

          C’est là ce qui permet de « démontrer »: qu’elle est inconséquente, c’est-à-dire incohérente et contradictoire avec elle-même, et cela parce qu’elle repose sur un principe faux qui, s’il était poussé jusqu’au bout, conduirait à des absurdités manifestes – et désastreuses.
 

          Dans une fausse voie, on est toujours inconséquent, sans quoi on tuerait l’humanité. Jamais on n’a vu ni on ne verra un principe faux poussé jusqu’au bout. J’ai dit ailleurs: l’inconséquence est la limite de l’absurdité. J’aurai pu ajouter: elle en est en même temps la preuve.

          Cette leçon, Frédéric Bastiat l’énonce au chapitre VIII, intitulé « Les Machines », du même ouvrage. Outre sa validité universelle et fondamentale, elle est, dans ce contexte, particulièrement importante pour notre époque, car elle examine l’opinion selon laquelle le progrès technologique est une malédiction, cause de chômage et de misère.

          Si, pour prendre un exemple récent, l’introduction de caisses automatiques dans les supermarchés était un mal, comme le prouve le pauvre destin des caissières, alors il doit être vrai qu’une société est d’autant mieux lotie qu’elle a plus de travail à faire et moins de capital pour l’y aider – l’idéal étant, évidemment, de s’échiner en vain à mains nues. N’est-il pas horrible que la productivité augmente et qu’une même quantité de travail procure plus de satisfactions?!

          Mais si la leçon de Frédéric Bastiat importe surtout au monde d’aujourd’hui – et de demain –, ce n’est pas seulement parce qu’il est le lieu d’un progrès technologique constant: c’est aussi parce que ce dernier transforme ce lieu même, en modifie l’échelle, et l’unifie.
 

Deux principes opposés

          Toutes les opinions examinées par Frédéric Bastiat sont des préjugés favorables à l’intervention du gouvernement dans l’économie. Or ces interventions concernent toujours l’échelle nationale. Mais si elles étaient bonnes, elles devraient l’être parce qu’elles se fondent sur un principe qui l’est lui-même; par conséquent, elles devraient l’être aussi à l’échelle infra et supranationale.

          S’il est, par exemple, néfaste que certaines industries d’un certain pays se « délocalisent », il doit l’être aussi que chacun de ses citoyens « perde » un travail qu’il pourrait lui-même accomplir et échange quoi que ce soit avec qui que ce soit!

          Nous touchons ici, véritablement, au coeur de ce que Frédéric Bastiat a à nous apprendre, et au trésor de son héritage. L’échange et la contrainte sont deux principes opposés. Dès lors, si l’on admet qu’un échange quelconque, parce qu’il est libre, est réciproquement profitable, alors on doit admettre qu’il en est ainsi par principe, et la conséquence logique est qu’il en est toujours et partout ainsi du libre-échange, de quelque secteur ou échelle de l’économie qu’il s’agisse.

Inversement, si l’on défend une intervention quelconque, parce que l’on pense qu’elle conduit à un meilleur résultat que l’échange dont elle contraint la liberté, alors on doit admettre que la contrainte est un principe préférable à la liberté des échanges, ce qui doit logiquement conduire à défendre une administration totale de l’économie à l’échelle de la planète.

          S’il fallait trouver, au 20e siècle, un digne successeur à Frédéric Bastiat, ce serait donc, non pas dans le style, mais dans l’idée, l’économiste américain et philosophe libertarien de l'école autrichienne, Murray Rothbard. Celui-ci affirmait en effet: « Seuls les extrémistes sont cohérents ».

          Tel est le fond de la pensée de Frédéric Bastiat, et sa leçon pour notre époque. L’économie et la politique, la liberté et la contrainte, sont deux principes opposés entre lesquels il n’est, pas plus qu’entre aucun principe opposé, aucun « mixte » possible. Tout compromis relèverait, ici, de la contradiction.

          Soyez libéraux, donc, ou soyez socialistes, mais soyez conséquents! Et si vous penchez pour la seconde option, voyez que votre principe, s’il était « poussé jusqu’au bout », « tuerait l’humanité ».

Désordre monétaire mondial

          Un mot doit être dit, ici, de l’ordre, ou plutôt du désordre, monétaire mondial et de ce qui a façonné le 20e siècle: non pas la guerre, mais le monopole des banques centrales qui a été la condition nécessaire de la barbarie.

          La leçon de Frédéric Bastiat s’applique ici avec force. Si une banque centrale pouvait « soutenir » l’économie en augmentant la masse monétaire et étendant le crédit, de telle sorte que l’investissement soit supérieur à l’épargne et/ou la consommation à la production, alors à quoi servirait-il d’épargner et même de produire quoi que ce soit?

          Si la planche à billets était, comme l’affirme Ben Bernanke, l'actuel président de la Réserve fédérale, une « technologie miracle » pouvant quoi que ce soit d’autre que d’imprimer des billets, pourquoi ne se contenterait-on pas de cette seule production? Et, inversement, s’il est évident que des billets ne se mangent pas, pas plus qu’ils ne peuvent servir à quoi que ce soit d’autre qu’à être échangés contre une certaine richesse en fonction de leur nombre, ne l’est-il pas que la création monétaire ne produit pas la moindre richesse – pire, qu’elle en détruit?

          Mais il y a, outre la leçon qu’il nous donne, une question que Frédéric Bastiat nous pose, et à laquelle le monde d’aujourd’hui aura à répondre pour le monde de demain: Est-il jamais trop tard pour revenir sur ses pas dans une fausse voie?

          Plus on en vient « au bout », plus on s’illusionne en suivant un faux principe, « plus dure sera la chute » et le retour à la réalité. Le retour aux principes de l’économie a un coût grandissant à mesure qu’on s’en éloigne; si bien que l’on risque aussi de désespérer pouvoir les supporter.

          C’est aujourd’hui, à horizon proche – bien plus proche que la « fin du pétrole » ou les conséquences néfastes du « réchauffement climatique » –, que le simple intérêt sur la totalité des dettes publiques et privées dépassera, dans un pays comme les États-Unis, la totalité de la production annuelle.

          On s’est engagé sur cette voie parce que l’on a feint de croire en et à l’État, cette fiction à travers laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens de ses concitoyens et des générations futures. Ce faisant, on ne s’est pas seulement trompé de principe: on a aussi inversé toutes les valeurs, faisant de la propension de l’État à s’endetter et à étendre le crédit à la production et la consommation à crédit une vertu devant racheter la propension des capitalistes à épargner et à réaliser des profits. C’est là une faute que l’on paiera cher, mais que l’on doit racheter.

Mourir d’illusions

          À la question que nous pose Frédéric Bastiat, nous ne pourrons donc répondre que par la Dénationalisation de la monnaie et le démantèlement de l’État-providence.

          L’alternative, en effet, n’en est pas une: c’est, comme le pointait déjà Friedrich Hayek dans La Route de la Servitude, son effondrement, et avec lui celui de la civilisation.

          À cet égard, le risque est bien que le 21e siècle donne tort à Frédéric Bastiat. La raison humaine ne peut-elle aller au bout de sa propre négation? Nous avons vu que le socialisme tuerait l’humanité; et pourtant nous ne voulons, semble-t-il, toujours pas le voir. De même, face à l’effondrement de la pyramide d’emprunts construite par les Banques centrales, le monde s’est écrié: « Fiat money, pereat mundus! »

          Après tout, peut-être préférerons-nous mourir d’illusions, contraints et forcés, à vivre libres, conscients et responsables

 

Source QL

 

 

 


octobre 27, 2018

Rhôoooooo!! les libertariens sont parmi vous !

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Les libertariens sont parmi nous

Un petit rappel de Libération de septembre 2015; Remarquez il y a de quoi se marrer, mais il faut lire lol. Le plus incroyable est que nos propres responsables libertariens français comme belges voire davantage n'y figurent même pas, seulement substitués par de libéralopithèques de sociale-démocratie !
Voici l'affabulation médiatique de nos concepts de Liberté !
Al,

Né dans les années 60, le mouvement ultra individualiste reste marginal politiquement mais essaime aujourd’hui dans la pop culture. 

Le 13 avril, Vit Jedlicka plantait fièrement son drapeau jaune et noir sur sept kilomètres carrés de terres boisées et inondables, coincées entre la Croatie et la Serbie. Ce marécage inhabité, grand comme quinze fois le Vatican, est amené à devenir le Liberland, «un état avec le moins d’état possible», si l’on en croit ce Tchèque joufflu de 31 ans, décidé à donner chair au rêve de tout libertarien qui se respecte.
Liber-quoi? Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce fatras d’idéologies ultra-libérales et individualistes, autant s’en remettre au Petit Larousse, toujours dans l’air du temps, qui a intronisé le mot dans son édition 2014. A «libertarien», on trouve la définition suivante :  

«Un partisan d’une philosophie politique et économique qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’état.»

Proche des thèses libérales du philosophe français du XIXe siècle Frédéric Bastiat, le libertarianisme a réellement pris forme aux Etats-Unis dans les années 1960, au carrefour de l’anti-communisme viscéral des Républicains, de la contre-culture libertaire et des économistes de l’école de Chicago (1). Se voulant à «l’extrême centre», les libertariens prônent la liberté en toute chose. Ils peuvent ainsi se battre pour l’abolition de l’impôt et la fin des banques centrales, le mariage gay et le port d’arme, la défense de la vie privée et la légalisation de la prostitution ou des drogues, la fin des frontières et le «droit à la discrimination», et bien évidemment la privatisation de tous les services gouvernementaux, mis à part quelques fonctions régaliennes…
C’est probablement Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de 2014, qui a le mieux résumé le libertarianisme moderne en faisant campagne avec ce slogan: «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.» Une philosophie résolument capitaliste du «vivre et laissez vivre», attrape-tout et belliqueuse, dans laquelle peuvent se reconnaître les ultra-conservateurs du Tea Party américain comme les cyber-activistes d’Anonymous… Si le Liberland a choisi un petit oiseau pour symboliser la liberté sur son blason, les libertariens américains, le doigt sur la gâchette, préfèrent généralement l’image du porc-épic, la mascotte de leur festival annuel dans le New Hampshire, voire du serpent à sonnettes, qu’on retrouve sur nombre de bannières, assorties du motto «ne me marche pas dessus...». 
Avec ses pulls col roulé et ses boucles d’éternel étudiant en philo, le sénateur républicain Rand Paul, candidat à la présidentielle américaine et fils du député libertarien Ron Paul, a relancé l’intérêt des médias autour du mouvement. «L’homme le plus intéressant de la politique américaine», selon une couverture de Time, n’a pourtant que peu de chances d’emporter la primaire républicaine. Car question politique, les libertariens, trop puristes et trop anti-système, sont condamnés à échouer, quand bien même les instituts de sondages américains estiment autour de 15 % et 20 % le nombre d’électeurs partageant leur sensibilité.

Mouvement en expansion

«Ils poursuivent une utopie qui se saborde dès qu’elle est en contact avec la réalité», assène Sébastien Caré, politologue à l’université catholique de Lille et spécialiste du mouvement. Ils pourraient bien, en revanche, avoir déjà gagné la bataille des esprits. L’été dernier, le New York Times se demandait déjà si «le moment libertarien» était arrivé. 

«Cette idéologie, qui a toujours été fortement marginale historiquement, est devenue une réalité concrète avec l’avènement de “l’esprit start-up” ces dix dernières années, observe le philosophe Eric Sadin, auteur de la Vie algorithmique. Cette pensée, fondée sur la conviction que le désir individuel, présenté comme progressiste, prévaut sur tout, dans une indifférence absolue des états et des acquis historiques, a essaimé sur la planète entière. »

Dans la bouche des politiques, des artistes ou des entrepreneurs, l’adjectif « libertarien » n’a jamais été aussi à la mode. D’ailleurs, 300 000 internautes ont déjà demandé à être naturalisés par le Liberland, qui ne bénéficie pourtant d’aucune reconnaissance internationale. « Le moment libertarien que l’on vit actuellement est plus culturel que politique ou même économique. Les nouvelles technologies ont donné à la majorité la possibilité d’individualiser sa vie, de faire ses propres choix », estime Nick Gillespie, co-rédacteur en chef de Reason, mensuel fondé en 1968 et principal journal d’opinion libertarien aux Etats-Unis. Malgré un tirage papier modeste de 60 000 exemplaires, le site de Reason attire 4 millions de visiteurs par mois, un chiffre en « augmentation constante » selon lui. Pour ce fan de punk-rock, enfant de la contre-culture des années 1960, c’est à travers « l’uberisation » (2) de l’économie, l’acceptation du mariage gay ou la légalisation du cannabis que se joue « le passage au XXIe siècle, où chacun aura l’espace nécessaire de décider pour lui-même, une fois que l’ordre politico-économique actuel se sera effondré ».


Des stars en renfort

Si la philosophe Ayn Rand, figure tutélaire du mouvement et papesse spirituelle de la Silicon Valley a toujours la cote, «les libertariens n’ont aujourd’hui plus de grandes figures intellectuelles de son aura ou de celle de Murray Rothbard dans les années 1950-60, note le politologue Sébastien Caré. En revanche, de plus en plus de stars revendiquent cette appellation. Ces idées passent désormais plus à travers la pop culture que l’intelligentsia».
A l’image des cowboys souvent solitaires de ses films, Clint Eastwood a longtemps incarné l’image de l’anar de droite isolé dans le marigot progressiste hollywoodien. « J’ai toujours été libertarien, déclarait l’acteur-réalisateur au Guardian en 2008. Laissons les gens tranquilles. Que chacun fasse ce qu’il veut. Et surtout, qu’on ne se mêle pas des affaires des autres. » L’ancien maire de Carmel (Californie) considère que « donner du pouvoir [aux politiciens] », c’est prendre le risque « qu’ils le détournent aussitôt contre vous ». Avec le temps, l’inspecteur Harry a fait des émules. Vince Vaughn, l’idole des fêtards et star de la série True Detective, est devenu le porte-parole le plus bruyant et inattendu des idées libertariennes. Dans GQ, il a récemment comparé le port d’armes à la liberté d’expression, comme moyen d’autodéfense contre un gouvernement abusif. Invité par une association étudiante libertarienne sur le campus de UCLA en avril, il assurait que son activisme lui avait valu moult compliments à Hollywood, malgré l’omerta du milieu. Même le power couple Jolie-Pitt serait acquis aux thèses libertariennes… Lesquelles semblent imprégner nombre de succès du box-office de ces dernières années. «A la télévision, tous les shows qui traitent du gouvernement montrent à quel point l’état est néfaste. Dans House of Cards, le président est un meurtrier !  s’enthousiasme Matt Welch, l’autre tête pensante de Reason. Et que dire de la science-fiction adolescente qui cartonne en librairie ! La saga Hunger Games est farouchement anti-autorité. Ce n’est pas étonnant que les jeunes générations plébiscitent ces histoires : elles n’ont jamais vu de gouvernement fonctionner correctement. »

L’attaque des superhéros

Il y a enfin cette obsession contemporaine pour les superhéros, incarnations littérales de la supériorité individuelle bénéfique à la société. La trilogie Iron Man n’est-elle pas la démonstration qu’un entrepreneur milliardaire est plus efficace que l’armée de l’Oncle Sam pour assurer la paix dans le monde ? Le prochain Avengers de Marvel, intitulé Civil War et dont la sortie est prévue pour 2016, fait carrément de l’insoumission des héros en capes au gouvernement le point crucial de l’intrigue. Après une énième orgie de destruction super-héroïque, les politiques votent un Superhuman Registration Act pour contrôler les interventions de Hulk, Spiderman et autres. Et qui s’oppose au méchant Washington D.C. voulant réglementer l’activité des sauveurs de l’univers ? Captain America bien sûr. Pour Matt Welch, «la gauche américaine est terrifiée de voir la jeunesse devenir libertarienne». 40% des lecteurs de Reason en ligne ont moins de 35 ans, précise-t-il. Une génération biberonnée aux Indestructibles, le film d’animation des studios Pixar, bourré de clins d’œil appuyés à l’idéologie objectiviste et élitiste d’Ayn Rand, et surtout à la satire de South Park.
Matt Stone et Trey Parker, les créateurs du cartoon à l’antenne depuis 1997, n’ont jamais fait mystère de l’agenda libéral-libertaire poursuivis par Cartman et ses potes. « On déteste les conservateurs, mais on hait vraiment les gauchistes », a lâché un jour Stone, alors que Parker a sa carte au parti libertarien… Selon Welch, le retour du politiquement correct serait en grande partie responsable de ce retour de flamme.

 « La gauche américaine aujourd’hui n’est pas fun ! On est loin des années 70 et du sexe, drogue et rock’n’roll. Les démocrates sont prisonniers de la bien-pensance. Cette nouvelle rigueur morale de la gauche actuelle pousse de nombreux jeunes vers nous… »

Le philosophe Eric Sadin acquiesce à regret: 

«Ils ont réussi à faire croire que leur forme de néo-ultralibéralisme avait une dimension inéluctable, car du côté du cool, de la liberté. Ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont des emmerdeurs crispés ou des rétrogrades : c’est effrayant.» 

En France, les libertariens restent discrets. Emmanuel Bourgerie, l’auteur du blog «Le French Libertarien» est un développeur expatrié en Irlande, passé par le parti Pirate et les Verts. Se définissant comme un «électron libre, venu de la gauche», notamment via la défense des libertés numériques, il reconnaît avoir du mal à se situer sur l’échiquier politique français, à la recherche d’une illusoire troisième voie…
Le spécimen hexagonal du mouvement le plus médiatique est probablement Gaspard Koenig (3), 33 ans. Habitué des plateaux de télé, cet essayiste tout-terrain à la tête de son propre think-tank préfère le terme «libéral», plus frenchie, à celui de libertarien. A l’œil nu, la différence n’est pas flagrante. «On ne peut pas différencier les libertés économiques et sociétales, entre Uber et la GPA », affirme-t-il, rêvant de réconcilier les « juristes barbus et les économistes chauves ». Pour cela, il mise sur une prochaine « uberisation de la politique » par la génération Y… qui sera, ou ne sera pas, libertarienne. —  

Guillaume Gendron

(1) Ces économistes, Milton Friedman en tête, étaient de fervents défenseurs de l’économie de marché, résolument opposés à l’intervention des états et aux régulations.
(2) Uberisation : néologisme désignant la prédation de pans entiers de l’économie (comme les taxis avec Uber) par des entrepreneurs venus du web en faisant fi des régulations et des modèles existants.
(3) Auteur de le Révolutionnaire, l’expert et le geek, combat pour l’autonomie, éditions Plon, 2015.


FOCUS : L’égoïsme connecté, Made in Silicon Valley
Pendant longtemps, le profil Twitter de Travis Kalanick, PDG d’Uber, donnait à voir la couverture d’un livre de la romancière américaine Ayn Rand, intitulé la Source vive. Travis Kalanick n’est pas la seule figure de la « Valley » à admirer cette auteure peu connue des Européens, figure d’un libertarianisme radical, hyper-individualiste et ultra-capitaliste. Peter Thiel, un des créateurs de la solution de paiement en ligne Paypal et business angel influent, investisseur précoce de Facebook, est lui aussi un zélote de la romancière et philosophe. Il lui a d’ailleurs consacré, en 2009, un dense essai intitulé l’Education d’un libertarien. Peter Thiel a également soutenu le candidat libertarien Ron Paul à la présidentielle en 2012 et investi dans le Seasteading Institute, un projet visant à créer des îles artificielles dans les eaux internationales uniquement régies par les principes du mouvement.
La liste des héritiers d’Ayn Rand est longue. Parmi eux, Jeff Bezos, patron d’Amazon, Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, Elon Musk, nouvelle coqueluche des médias et boss de Tesla Motors, Scott McNealy, ancien PDG de l’éditeur de logiciels Sun Microsystems, Craig Newmark, créateur du site Internet Craigslist, sans parler des promoteurs du transhumanisme tel Max More…

 Figure de proue
Ayn Rand, née en 1905 à Saint-Pétersbourg et décédée à New York en 1982, est considérée outre-Atlantique comme une des penseuses les plus influentes du XXe siècle. Ses romans phares, la Source vive (1943) et la Grève (1957), demeurent aujourd’hui des best-sellers, vendus à plusieurs millions d’exemplaires. Ils posent les fondements de sa philosophie, à savoir un rejet farouche du collectivisme et la défense d’un « égoïsme rationnel », pierre angulaire de la réussite et du bonheur. Chez Ayn Rand, il s’agit de privilégier à tout prix la liberté individuelle sur l’égalité, l’individu sur le collectif. Cette pensée prend source dans l’histoire personnelle de la romancière, immigrée russe qui a passé sa jeunesse en URSS. Marquée au fer rouge par cette expérience et profondément anti-communiste, elle fut témoin à charge lors des procès sous le Maccarthysme.
L’adhésion de la Silicon Valley au libertarianisme « randien » est-elle opportuniste ou s’agit-il d’une conviction profonde ? Un peu des deux, répond Sébastien Caré, spécialiste de la pensée libertarienne. 

 « Le libertarianisme satisfait parfaitement les intérêts des patrons de la Silicon Valley, eux qui veulent détruire les structures existantes, considérées comme des entraves à la liberté d’entreprendre, et promouvoir des innovations dites disruptives, explique-t-il.  Ils partagent la croyance que les nouvelles technologies sont une promesse d’émancipation de l’individu de toute autorité, couplée à l’idée que l’on s’accomplit en faisant fi du collectif. Il y a également une dimension messianique chez Rand qui séduit ces hommes qui souhaitent véritablement changer le monde. Mais je pense aussi que la Valley est profondément libertarienne, n’oublions pas que la Californie est le berceau du libertarianisme, né dans les années 60 du mariage de la nouvelle gauche, issue de la contre-culture californienne, et du libéralisme classique. » 

Le cas d’Uber est emblématique de la volonté de mettre à bas des secteurs réglementés et protégés par l’état, tout comme l’essor du BitCoin, cette devise alternative qui s’attaque au monopole des états sur l’émission de la monnaie. Courant de pensée fourre-tout, éclaté en de nombreuses chapelles, le libertarianisme s’offre aujourd’hui une nouvelle vitrine avec la Silicon Valley et, discrètement, infuse la société. Du reste, ce libertarianisme « high-tech », randien, heurte-t-il souvent la vieille garde libertarienne, parfois bien installée dans l’establishment de Washington. Trop tapageur, trop arrogant et en rupture avec une certaine orthodoxie. 

« A titre d’exemple, les libertariens sont généralement contre la propriété intellectuelle alors que les libertariens de la Silicon Valley souhaitent eux que l’état protège leurs brevets, souligne Sébastien Caré. C’est la même chose avec l’immigration, les libertariens sont pour l’ouverture totale des frontières. A l’inverse, Mark Zuckerberg souhaite qu’elle soit réservée aux élites. » 

Une vision de la liberté très restrictive en fin de compte.—  
Fabien Benoît


Source

Rhôooooo des libertariens !!!

 







octobre 20, 2018

Au-delà de l’être et du devoir être ! (Murray Rothbard sur Hans-Hermann Hoppe)

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Le Professeur Hans-Hermann Hoppe,  immigrant assez récent d’Allemagne de l'Ouest,  vient de faire un immense cadeau au mouvement libéral américain.  
Dans ce qui constitue une percée fulgurante pour la philosophie politique en général  et pour le libéralisme en particulier, il a réussi à transcender la célèbre dichotomie de l’être et du devoir être, de l’opposition entre les faits et les normes  qui infecte la philosophie depuis la scolastique, et qui avait conduit le libéralisme contemporain dans les impasses épuisantes.
Et pas seulement cela :  
ce que Hans-Hermann Hoppe réussi à faire, c’est mener à bien la démonstration des Droits naturels anarcho-capitalistes à la Locke d'une manière à la fois sans précédent et inattaquable, et qui fait paraître ma propre défense du Droit naturel presque mollassonne en comparaison.
Dans le mouvement libéral moderne,  seuls les tenants du Droit naturel sont parvenus de façon satisfaisante à des conclusions libérales absolues.  
Les divers avatars du « conséquentialisme » - qu’elles soient émotivistes,  utilitaristes, stirnériennes, ou quoi que ce soit d’autre - ont la manie de se déformer au niveau des coutures.  A la fin des fins s’il faut, pour arrêter une décision définitive, attendre que ses conséquences se soient produites,  c’est à peine si l’on peut opter pour une position cohérente, inflexible pour la liberté et la propriété privée dans tous les cas imaginables.



Hans-Hermann Hoppe a été formé dans la tradition philosophique moderne  (dans son cas, kantienne) plutôt que celle de la loi naturelle, obtenant un doctorat en philosophie de l'Université de Francfort.  Puis, pour son « habilitation », il s’est attaqué à une deuxième thèse, en philosophie de la science économique.
C’est à cette occasion  qu’il est devenu un fervent et dévoué adepte de Ludwig von Mises et de son approche « praxéologique »,  ainsi que du système de théorie économique que Mises avait construit dessus, et qui parvient à des conclusions absolues logiquement déduites d’axiomes évidents en soi.
Hans s'est avéré être un praxéologiste remarquablement original et productif, en partie parce qu'il est le seul praxéologiste (pour autant que je sache) qui soit arrivé à la doctrine en partant de la philosophie et non de l'économie.  Il a donc, en l’espèce, quelques titres philosophiques à faire valoir.
La percée la plus importante de Hoppe a été, en partant des axiomes praxéologiques standard  (par exemple, que tout être humain agit, c'est-à-dire utilise des moyens pour parvenir à des fins) pour,  tenez-vous bien, en tirer une normative politique anarcho-Lockéenne sans concession aucune.
Or, cela fait  plus de 30 ans que je prêche à la profession des économistes  que c’est ce qui ne peut pas se faire : que les économistes ne peuvent pas arriver à des conclusions politiques normatives  -- par exemple, que les hommes de l’état devraient faire ceci ou ne pas faire cela -- à partir d’une théorie économique purement descriptive.
Fait remarquable, extraordinaire,
Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort
Pour parvenir à une telle conclusion politique,  ai-je longtemps soutenu, les économistes doivent s’équiper d’une forme ou d’une autre de système normatif.  
Notez que c’est ce que tentent de faire toutes les branches de la  prétendue « économie du bien-être » contemporaine : demeurer « scientifiques » c’est-à-dire purement descriptives,  et n’en pas moins faire toutes sortes de recommandations politiques à la mode (étant donné que la plupart des économistes souhaitent à un moment ou à un autre s’extraire de leurs modèles mathématiques pour formuler des conclusions politiques applicables).  
Même morts,  la plupart des économistes ne laisseraient  pas surprendre en possession d’un système ou d’un principe normatif, s’étant mis dans la tête que cela porterait atteinte à leur statut de « savants ».
Et pourtant,  fait remarquable et extraordinaire,  Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort :  ce que j’affirmais impossible, il l'a fait ; il a déduit une éthique anarcho-lockéenne des Droits  à partir d’axiomes qu’on ne peut pas réfuter sans contradiction.
Et pas seulement cela : il a démontré que,  tout comme l'axiome de l'action lui-même, il est impossible de nier ou de contredire l'éthique des Droits anarcho-Lockéenne sans tomber immédiatement dans une contradiction pratique  et se réfuter soi-même.

si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même, on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction,  en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.

En d'autres termes,  Hans Hoppe apporte à la réflexion politique normative ce avec quoi les misésiens sont familiers en praxéologie et les aristotéliciens-Randiens en métaphysique :  
ce que nous pourrions appeler un « noyau dur  d’axiomes » .
Nier l'axiome misésien de l'action  (à savoir que tout le monde agit) est contradictoire et donc se réfute soi-même pour quiconque, étant donné que la tentative même pour le nier constitue en elle-même une action.
Nier l'axiome randien de la conscience  est contradictoire et donc se réfute soi-même puisqu’il faut bien que ce soit une espèce de conscience qui entreprend cette tentative pour le nier.  
En effet,  si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même,  on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction, en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.
Hoppe avait été l’étudiant du  célèbre philosophe néo-marxiste allemand Jürgen Habermas,  et son approche de la normative politique se fonde sur le concept d’« éthique de l'argumentation. » que l’on doit au tandem Habermas-Apel.
Selon cette théorie,  le fait même d’énoncer un argument,  d'essayer de convaincre un lecteur ou un auditeur,  implique de reconnaître et de mettre en oeuvre certains principes normatifs : par exemple, de  reconnaître dans une argumentation les éléments valides qui s’y trouveraient. Et c’est de cette manière que l’on peut surmonter la dichotomie des faits et des normes : la recherche des faits implique logiquement qu'on y adopte certaines valeurs ou principes normatifs.
De nombreux théoriciens du libéralisme se sont récemment intéressé à ce genre de réflexion en philosophie morale : par exemple,  Frank van Dun, anarchiste belge théoricien du droit et le poppérien britannique Jeremy Shearmur.
Cependant, leur éthique de l’argumentation à eux en est une variante « molle »,  étant donné qu’on peut toujours poser la question de savoir pourquoi il faudrait continuer à argumenter, ou à dialoguer.

Cette problématique-là, Hoppe la dépasse totalement, en apportant un noyau dur axiomatique,  praxéologique à la discussion. Ce à quoi Hoppe s’intéresse, ce n’est pas la raison d’être de l'argumentation,  mais le fait que tout argumentation quelle qu’elle soit  (y compris bien sûr celles qui s’en prennent à l’anarchisme lockéen)  implique nécessairement l'appropriation de leur propre corps à la fois par celui qui parle  et par ceux qui l’écoutent, ainsi qu’un Droit de première appropriation qui permette à ceux qui argumentant ainsi qu’à ceux qui les écoutent de rester en vie pour poursuivre cette argumentation et pour l’écouter.
Dans un sens,  la théorie de Hoppe  ressemble au raisonnement fascinant  de Gewirth et Pilon, où Gewirth et Pilon (le premier un socialiste,  le second un libéral minarchiste) avaient tenté de dire la chose suivante :

le fait que Tartempion agit suffit à prouver qu’il affirme avoir le Droit d’agir de la sorte

-- jusqu'ici tout va bien --

de sorte que Tartempion reconnaît  en même temps aux autres ce même Droit.  

Cette conclusion-là,  bien qu’elle mette du baume à l’âme du libéral,  et ressemble à la praxéologie par l'accent qu’elle a mis sur l'action,  n'avait malheureusement pas suffi
-- car,  comme Henry Veatch, théoricien des Droits naturels l’avait souligné dans sa critique de Gewirth,  au nom de quoi Tartempion devrait-il reconnaître en même temps les droits de quelqu'un d'autre ?  
Pour sa part Hoppe,  c’est en insistant sur la contradiction pratique inhérente  à l’argumentation des non-anarcho-Lockéens qu’il a résolu le problème séculaire de la généralisation d'une norme pour l'humanité.
Cependant,  en paraissant avec une théorie véritablement nouvelle  (ce qui est en soi étonnant, étant donnée la longue histoire de la philosophie politique)  Hoppe risque bien de porter ombrage à tous les intérêts intellectuels installés du camp libéral.
 
Les utilitaristes,  qui devraient se réjouir de ce que la valeur de la liberté s’en trouve renforcée, seront scandalisés de devoir constater que les Droits à la Hoppe sont encore plus absolus et « dogmatiquement démontrés » que le Droit naturel.

Quant aux partisans du Droit naturel,  tout en se réjouissant de ce « dogmatisme »,  ils ne seront pas forcément disposés à accepter une réflexion normative  qui ne se fonde pas sur la nature générale des choses.

Les randiens seront particulièrement outrés parce que le système hoppien se fonde (comme c’était le cas de celui de Mises) sur le satanique Immanuel Kant et son « a priori synthétique. »
Les randiens seront peut-être rassérénés,  cependant, d'apprendre que Hoppe est influencé par un groupe de kantiens allemands (dirigé par le mathématicien Paul Lorenzen) qui interprètent Kant comme un aristotélicien profondément réaliste,  contrairement à l'interprétation idéaliste courante aux États-Unis.

En tant que partisan du Droit naturel,  je n’y vois pour ma part aucune véritable contradiction, ni pourquoi on ne pourrait pas en tenir en même temps pour les droits naturels et la norme hoppienne du Droit.  Ce qui fonde l’une et l’autre philosophie du Droit, après tout, comme la version réaliste du kantisme, c’est la nature de la réalité.
Le droit naturel offre aussi une éthique personnelle et sociale au-delà de la philosophie politique libérale,  et c’est là un domaine dont Hoppe ne s'est pas préoccupé.
Un programme de recherche à venir pour Hoppe  et autres philosophes libéraux serait
(a) de voir jusqu’où on peut étendre l’axiomatique à d'autres domaines de la philosophie morale,  et

(b) de voir si,  et comment, cette axiomatique pourrait s’intégrer à l’approche standard du droit naturel.
Ces questions offrent un fascinant potentiel  pour le philosophe.
Hoppe  vient de libérer le mouvement aux Etats-Unis  de décennies de débat stérile et de blocage, et de nous fournir une voie pour le développement ultérieur de la discipline libérale.

Murray Rothbard , Liberty, Novembre 1988 ; Mises Daily,  24 août 2010

Murray N. Rothbard (1926-1995) était le chef de file de l'École autrichienne d’économie. Il était économiste,  historien de l'économie,  et philosophe politique libertarien.
Voir  l’archive des articles de Murray Rothbard.






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