L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Sommaire:
A) L’homme modifié par le libéralisme - jaesa - Intelligence Artificielle et Transhumanisme
B) Transhumanisme de Wikiberal - Kassad
C) Le transhumanisme : la prochaine étape de la civilisation - Jan Krepelka - http://laissez-faire.ch
D) Le Transhumanisme : ce futur pas si lointain - Par Farid Gueham - Trop Libre
E) « Le mythe du surhomme est de retour ! » Le transhumanisme. - Charles SANNAT - Le Contrarien Matin
F) Différents liens sur le transhumanisme
G) Luc Ferry ubérisation et transhumanisme
A) L’homme modifié par le libéralisme
Un nouvel « homme nouveau », voilà ce que le marché est en train de
fabriquer sous nos yeux. En détruisant toute forme de loi qui
représenterait une contrainte sur la marchandise, la dérégulation
néolibérale provoque des effets dans tous les domaines. Pas seulement
dans le champ économique. Le psychisme humain lui-même est perturbé,
bouleversé. Dépressions, troubles de l’identité, suicides et perversions
se multiplient. Au point que le marché ne veut plus de l’être humain
tel qu’il est. A l’aide du clonage et de l’ingénierie génétique, il
exige désormais carrément la transformation biologique de l’humanité.
Dans L’art de réduire les têtes (1), j’avais tenté de mettre en
évidence la profonde reconfiguration des esprits opérée par le marché.
La démonstration était relativement simple : le marché récuse toute
considération (morale, traditionnelle, transcendante, transcendentale,
culturelle, environnementale…) qui pourrait faire entrave à la libre
circulation de la marchandise dans le monde. C’est pourquoi le nouveau
capitalisme cherche à démanteler toute valeur symbolique au profit de la
seule valeur monétaire neutre de la marchandise. Puisqu’il n’y a plus
qu’un ensemble de produits qui s’échangent à leur stricte valeur
marchande, les hommes doivent se débarrasser de toutes ces surcharges
culturelles et symboliques qui garantissaient naguère leurs échanges.
On peut voir un bon exemple de cette désymbolisation produite par
l’extension du règne de la marchandise en examinant les billets de
banque établis en euros. On remarquera que ces billets ont perdu les
effigies des grandes figures de la culture qui, de Pasteur à Pascal et
de Descartes à Delacroix, indexaient hier encore les échanges monétaires
sur les valeurs culturelles patrimoniales des Etats-nations. Il n’y a
plus sur les euros que des ponts et des portes ou des fenêtres, exaltant
une fluidité déculturée. Les hommes sont priés de se plier au jeu de la
circulation infinie de la marchandise. On peut donc dire que la loi du
marché consiste à détruire toute forme de loi représentant une
contrainte sur la marchandise.
En abolissant toute valeur commune, le marché est en train de
fabriquer un nouvel « homme nouveau », déchu de sa faculté de juger
(sans autre principe que celui du gain maximal), poussé à jouir sans
désirer (le seul salut possible se trouve dans la marchandise), formé à
toutes les fluctuations identitaires (il n’y a plus de sujet, seulement
des subjectivations temporaires, précaires) et ouvert à tous les
branchements marchands. Nous sommes là devant un aspect très particulier
de la dérégulation néolibérale qui, malheureusement, n’est pas encore
bien compris, mais qui produit d’ores et déjà des effets considérables
dans tous les domaines, et notamment sur le psychisme humain. Un certain
nombre de psychiatres et de psychanalystes sont en train d’inventorier
les nouveaux symptômes dus à cette dérégulation, comme la dépression,
les addictions diverses, les troubles narcissiques, l’extension de la
perversion, etc.
Cette dérégulation d’un genre nouveau provoque de grandes confusions
dans les débats. Elle s’accompagne d’un parfum libertaire, fondé sur la
proclamation de l’autonomie de chacun et sur une extension de la
tolérance dans tous les champs sociaux (dont celui des mœurs), qui tend à
faire croire que nous sommes en train de vivre une intense période de
libération. Parce que l’ancien patriarcat oppressif est mis à mal, on
veut croire qu’une révolution sans précédent serait en route… en
oubliant que c’est le capitalisme lui-même qui a commandé cette «
révolution » visant à favoriser la pénétration de la marchandise dans
les domaines où elle ne régnait pas encore – celui des mœurs et de la
culture.
Karl Marx ne se trompait pas sur ce côté « révolutionnaire » du
capitalisme : « La bourgeoisie, écrivait-il, ne peut exister sans
bouleverser constamment les instruments de production, donc les rapports
de production, donc l’ensemble des conditions sociales. Au contraire,
la première condition d’existence de toutes les classes industrielles
antérieures était de conserver inchangé l’ancien mode de production. Ce
qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le
bouleversement incessant de la production, l’ébranlement continuel de
toutes les institutions sociales, bref la permanence de l’instabilité et
du mouvement. Tous les rapports sociaux immobilisés dans la rouille,
avec leur cortège d’idées et d’opinions admises et vénérées, se
dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant même de se
scléroser. Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané
et, à la fin, les hommes sont forcés de considérer d’un œil détrompé la
place qu’ils tiennent dans la vie, et leurs rapports mutuels (2). »
Cette capacité de transformer les rapports sociaux a été portée à son
comble par ce nouvel état du capitalisme qu’on appelle parfois, à juste
titre, l’« anarcho-capitalisme ».
Ce bouleversement a si bien fonctionné que certains ont été tentés de
ne retenir de cette nouvelle forme que son côté « libertaire », « jeune
» et « branché » et se sont enthousiasmés à bon compte pour la
révolution des mœurs qu’elle introduisait. La confusion est telle que se
croient hautement révolutionnaires ceux qui ne font que suivre cette
dérégulation culturelle et symbolique – je pense à cette partie de la
gauche branchée qui s’enthousiasme pour toutes les « causes tendance ».
Or c’est exactement ce que veut l’anarcho-capitalisme, qui aime, sinon
la « révolution », du moins toutes les formes de dérégulation
culturelles et symboliques. Tous les spots publicitaires le montrent.
Il semble que les populations ne sont pas sans pressentir les
considérables dangers potentiels que la civilisation court devant une
telle dérégulation symbolique. Mais le marché peut tout récupérer à son
profit : déjà quantité de groupes vantant et vendant des morales de
pacotille sont sur la brèche. Or ce serait une erreur cruciale que
d’abandonner le débat sur les valeurs aux conservateurs, qu’ils soient
anciens ou « néo ». En effet, si on néglige ce terrain, il sera occupé
par M. George W. Bush, les télévangélistes et leurs suppôts puritains
comme aux Etats-Unis, ou par les populismes fascisants comme en Europe. Il
est donc urgent de construire une nouvelle réflexion sur les valeurs,
sur le sens de la vie en société et sur le bien commun à destination des
populations confusément alarmées par les dégâts moraux dus à
l’extension indéfinie du règne de la marchandise. Il est clair que si ce
terrain n’est pas investi, ces populations seront tentées de tomber du
côté de ceux qui l’occupent aussi bruyamment qu’indûment.
Quand la créature interfère dans sa création
On serait cependant loin du compte si l’on restreignait le débat à
ces aspects culturels. Car il apparaît que cette reconfiguration des
esprits n’est que la première phase d’un mécanisme de plus grande
ampleur. Pour le dire en quelques mots, la « réduction de têtes » et la
désymbolisation ne sont que le prélude à une autre redéfinition en
profondeur de l’homme qui toucherait cette fois non plus seulement son
esprit, mais aussi son corps.
Cette désymbolisation du monde intervient à un moment décisif dans
l’aventure humaine : c’est la première fois dans l’histoire du vivant
qu’une créature en arrive à lire l’écriture dont elle est l’expression.
Avec cette boucle, un incroyable événement est rendu possible :
l’instant où la créature va pouvoir faire retour dans la création pour
se refaire. L’instant où la créature va interférer dans sa création et
se poser comme son propre créateur. Le moment inconcevable arrive donc
où une espèce va pouvoir intervenir dans son propre devenir en se
substituant aux lois naturelles de l’évolution.
Tout se passe comme si la recommandation humaniste lancée à la
Renaissance par un de ses grands penseurs, Pic de la Mirandole, avait
été entendue au-delà de toute mesure. Pic voulait introduire, à
l’encontre des anciennes formes de domination absolue par le divin, une
part de libre arbitre humain. Il appelait ainsi l’homme à « sculpter sa
propre statue (3) ». L’appel a été entendu par toute la philosophie
ultérieure puisqu’on peut considérer celle-ci comme un très long
développement sur le thème du libre arbitre humain, de la construction
du cogito cartésien au thème de la mort de Dieu de Nietzsche, en passant
par l’idéal critique des Lumières.
Or l’homme actuel est en train d’outrepasser cet idéal, puisque, s’il
est effectivement en train de « sculpter sa propre statue », ce
pourrait bien être une statue vivante, appelée à se substituer à l’homme
lui-même. Remarquons au passage que ce ne serait rien de moins que la
fin de la philosophie qui serait impliquée par une telle visée de
redéfinition des bases matérielles de l’humanité. Son accomplissement
supposerait, en effet, la transformation irrémédiable d’une entreprise,
sans cesse relancée depuis l’Antiquité, de réforme de l’esprit (par
l’ascèse, par la recherche de l’autonomie, par la refondation de
l’entendement) en une visée purement techniciste de modification du
corps. Mais à quoi servirait-il de gagner un corps neuf si c’était pour
perdre l’esprit ?
La question vaut d’autant plus d’être posée qu’il existe un programme diffus de fabrication d’une « posthumanité
». Ce programme est dissimulé, on ne lui donne guère de publicité. On
ne doit pas effrayer les hommes, il ne faut surtout pas qu’ils
comprennent qu’on les fait travailler à l’abolition de l’humanité
– c’est-à-dire à leur propre disparition. Le monde du vivant a été
tellement investi par le capitalisme afin d’y développer de nouveaux
espaces pour la marchandise que certaines de ses conséquences possibles
sur l’humanité elle-même ont fini par percer le mur du silence. C’est
ainsi que Francis Fukuyama, le chantre du néolibéralisme, qui avait
proclamé, après la chute du mur de Berlin, le début de la « fin de
l’histoire » avec l’avènement généralisé des démocraties néolibérales, a
dû se reprendre et admettre que le triomphe du marché n’était pas le
dernier épisode de l’histoire humaine. Un autre suivrait : la
transformation biologique de l’humanité (4). Mais ce dessillement ne lui
fut que l’occasion de s’enferrer dans une nouvelle erreur
d’appréciation.
Francis Fukuyama veut croire que le néolibéralisme saura nous
préserver de cet engrenage fatal… alors qu’il est ce qui nous y conduit
tout droit ! Pour lui, en effet, la démocratie de marché serait un état
parfait s’il n’était menacé par le développement de certaines techniques
: « Une technique assez puissante pour remodeler ce que nous sommes
risque bien d’avoir des conséquences potentiellement mauvaises pour la
démocratie libérale (5). »
Evidemment, il faut en convenir, s’il n’y a plus d’hommes, la
démocratie risque de tourner un peu à vide. Pour éviter pareil péril, il
suffirait, selon Fukuyama, que « les pays régulent politiquement le
développement et l’utilisation de la technique ». Pieuse intention, qui
lui permet de passer sous silence l’essentiel : c’est le marché qui
entretient le développement sans fin des technosciences, lesquelles, non
régulées, entraînent tout droit vers la sortie hors de l’humanité.
Ce lien est pourtant clair : puisque le marché implique la fin de
toute forme d’inhibition symbolique (c’est-à-dire la fin de la référence
à toute valeur transcendentale ou morale au profit de la seule valeur
marchande), rien, si l’on reste dans cette logique, ne pourra empêcher
que l’homme s’affranchisse de toute idée prétendant le maintenir à sa
place et qu’il sorte de sa condition ancestrale sitôt qu’il en aura les
moyens. Ce n’est donc pas la science seule, comme on le dit souvent,
mais la science plus l’effet délétère du marché sur les valeurs
transcendentales qui seraient en mesure de permettre la réalisation de
ce programme. Il faut donc se poser cette question : existe-t-il, dans
nos démocraties postmodernes « où l’on peut tout dire », une instance
politique pour décider si nous voulons ou non de cette mutation ? Rien
n’est moins sûr.
Or l’absence de ce lieu pèse lourd. On voit où le programme de
fabrication d’une posthumanité pourrait mener : directement à l’entrée
dans une ère de production d’individus dits supérieurs ayant échappé à
l’engendrement. Et d’individus inférieurs pour les tâches subalternes.
L’existence, banalisée, d’organismes génétiquement modifiés devrait
mettre la puce à l’oreille : on pourrait à court terme entreprendre de
fabriquer, par clonage et modification génétique, de nouvelles variantes
humaines. Il est même vraisemblable que des expérimentations sont en
cours ou ne sauraient tarder à l’être.
Lorsque ce jour arrivera, nous serons passés de la postmodernité,
époque embarrassée dans l’effondrement des idoles, à la posthistoire. Si
nul ne peut prévoir ce que cela sera, on peut cependant dire ce que
cela ne sera plus. Car cela signifie le dénouement de cinq grands topoï
de l’humanité : la fin de la commune humanité, la fin de la fatalité
usuelle de la mort, la fin de l’individuation, la fin de l’arrangement
(problématique) entre les sexes, et le bouleversement de la succession
générationnelle.
Le danger qui menace l’espèce humaine n’est pas le seul danger
eugénique. Ce qui est, à court terme, en danger, c’est aussi et tout
simplement la conservation et la perpétuation de l’espèce elle-même.
Cette conservation ne procède pas d’elle-même, elle passe par un cadre
symbolique et culturel. Cela s’explique par le fait, reconnu par une
partie de la recherche paléoanthropologique, que l’homme est concevable
comme un être à naissance prématurée, incapable d’atteindre son
développement germinal complet et cependant capable de se reproduire et
de transmettre ses caractères de juvénilité, normalement transitoires
chez les autres animaux. On parle à cet égard de la néoténie de l’homme
(6). Elle implique que cet animal, non fini, à la différence des autres
animaux, doit se parachever ailleurs que dans la première nature,
c’est-à-dire dans une seconde nature, généralement appelée culture.
On trouve beaucoup de choses dans cette seconde nature : des dieux,
des récits, des grammaires se rapportant à n’importe quel objet du monde
(les étoiles, les cailloux, les microbes, la musique, le récit, le
calcul, la subjectivité, la socialité…), une intense activité
prothétique (tous les objets qui permettent à cet animal non fini
d’habiter le monde), des lois, des principes, des valeurs… Or, si ce
cadre est endommagé, si les lois et les principes qui le régissent
deviennent flous, on peut s’attendre non seulement à des effets
individuels et sociaux délétères, mais aussi à des menaces sur l’espèce
puisque plus rien ne sera assez légitime pour s’opposer à des
manipulations visant à la transformer, dès lors que cela est possible.
Déjà, certaines voix s’élèvent jusque dans l’intelligentsia pour
accueillir la supposée bonne nouvelle de la prochaine mutation de
l’homme. Tout spécialement le philosophe allemand Peter Sloterdijk,
qui s’était déjà rendu célèbre pour avoir prononcé, fin 1999
outre-Rhin, une conférence intitulée Règles pour le parc humain (7),
lors d’un colloque consacré à Heidegger. Cette conférence avait suscité
une grande controverse, notamment avec Jürgen Habermas. Les propos de ce
« nietzschéen de gauche » semblent très significatifs de la façon dont
la dérégulation symbolique actuelle peut brouiller les esprits.
Dans une autre conférence tenue au Centre Georges-Pompidou en mars
2000 (8), Sloterdijk reprenait ainsi une thèse de Heidegger, mais pour
l’inverser. Il ne s’agissait plus de dire que la technique était « oubli
de l’Etre », mais de proclamer qu’elle concourt à la « domestication de
l’Etre », étant l’attribut majeur de l’homme néoténique, amené à se
produire lui-même. Comme si la technique était la seule conquête de
l’homme néoténique et que le cadre symbolique fait de prescriptions et
d’interdits n’avait jamais existé ! Avec pareilles prémisses, toutes les
conséquences possibles de la technique sont justifiées à l’avance. La
délibération morale est d’ailleurs si peu prise en considération que,
dans ce discours « désinhibé », c’est la technique seule qui en vient à
pouvoir déterminer une éthique, et pas n’importe laquelle : une «
éthique de l’homme majeur », comme telle ouverte aux «
auto-manipulations biotechnologiques ».
Dans ce discours, l’éthique consiste donc à éloigner toute forme
d’examen moral. C’est ainsi que l’homme, tiré hors de lui-même par
l’Etre, aurait à charge de changer sa condition biologique pour s’ouvrir
à la multiplicité biologique (9). L’homme étant né insuffisant et étant
le produit de la technique, il ne lui reste plus qu’à mener cette
dernière à ses ultimes conséquences. C’est ainsi que le vieil homme doit
être rebaptisé « homme premier » – où l’on peut entendre une claire
euphémisation de « primitif » (comme dans « musée des arts premiers »)
–, car cet homme n’est déjà plus qu’un primitif devant les hommes
supérieurs qui doivent venir. Il ne fallait pas halluciner le retour de
l’Etre dans la sinistre farce historique du nazisme – ce n’était là
qu’une regrettable erreur de mon cher maître, semble dire Sloterdijk.
Non, c’est aujourd’hui que la véritable extase se présente : l’homme
supérieur, le vrai, arrive et ses thuriféraires le chantent déjà et font
la police pour lui dégager la route.
Or cette route est encombrée d’« hommes premiers » – voilà le
problème. Pour notre prophète, le vieil homme primitif est retors, il
est constitutivement sourd – je cite – au « potentiel généreux » de la
transformation « plurivalente ». Pis, par son « égoïsme ancien », il
serait tout juste bon à « exercer le pouvoir sur les matières premières »
pour « en disposer » afin de les soustraire aux changements promis – où
l’on comprend que ces « matières premières » pourraient bien être le
corps humain lui-même. Ce vieil homme ne serait, bien sûr, que « l’homme
du ressentiment » prêt à faire « des rassemblements » pour embrigader «
des populations désinformées » et les mener vers « de faux débats sur
des menaces non comprises, sous la férule d’éditorialistes lascifs »… A
bas donc les vieux « humanolâtres » qui prétendent, mus par « une
hystérie antitechnologique », s’opposer à ce saut où l’Etre nous appelle
car, bien sûr, il n’y a « rien de pervers » à vouloir « se transformer
par autotechnique »…
Ces propos de Sloterdijk – par leur outrance même – sont de grande
utilité : ils permettent de comprendre que la désinhibition symbolique
actuelle n’est pas seulement une affaire de libération des mœurs et de
sortie plus ou moins douloureuse du patriarcat. En fait, la levée des
interdits révèle que perdure un véritable projet postnazi de
sacrification de l’humain. Il est porté par l’anarcho-capitalisme, qui,
en brisant toutes les régulations symboliques, rend possible le fait que
la technique avance toute seule jusqu’à briser l’humanité.
Une civilisation du tout-consommable
« Le discours capitaliste, disait déjà le docteur Lacan, c’est
quelque chose de follement astucieux (…), ça marche comme sur des
roulettes, ça ne peut pas marcher mieux. Mais justement ça marche trop
vite, ça se consomme. Ça se consomme si bien que ça se consume (10). »
En somme, le vrai problème du capitalisme, c’est qu’il fonctionne trop
bien. Si bien qu’un jour il devrait finir par tout consommer : les
ressources, la nature, tout – jusque et y compris les individus qui le
servent.
Dans la logique capitaliste, précisait Lacan, a été « substitué à
l’esclave antique » un homme réduit à l’état de « produit » : « des
produits (…) consommables tout autant que les autres (11) ». Cette
remarque permet de comprendre que c’est exactement en ce sens très
menaçant qu’il faut entendre les expressions légèrement euphorisantes
qu’on trouve dans toute la littérature néolibérale : le « matériel
humain », le « capital humain », la gestion éclairée des « ressources
humaines » et la « bonne gouvernance liée au développement humain ».
L’anarcho-capitalisme a accrédité l’idée que se donner des lois est
cruel et ne confine qu’à une sorte de masochisme insupportable. Et il
renvoie cyniquement ceux qui auraient besoin d’un supplément d’âme au
puritanisme obscurantiste. Il faut pourtant rappeler que les philosophes
des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, disaient
que la liberté ne consiste en rien d’autre qu’à obéir aux lois que l’on
s’est données. En fait, nous avons besoin de véritables lois juridiques
et morales, et non de ces succédanés moralisants, pour rendre enfin la
justice, pour sauvegarder le monde avant qu’il ne soit trop tard, pour
préserver l’espèce humaine, menacée par une logique aveugle. Or nous
sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort –
et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans
une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois.
Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier
ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un
autre.
Dany-Robert Dufour.
De la réduction des têtes au changement des corps, avril 2005
Par Dany-Robert Dufour
Directeur de programme au Collège international de philosophie, Paris.
Notes
(1) Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle
servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Denoël, Paris,
2003.
(2) Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, trad. Laura Lafargue, Editions sociales, Paris, 1976, p. 35.
(3) Pic de la Mirandole (1463-1494), Discours sur la dignité de
l’homme, cité par Jean Carpentier, Histoire de l’Europe, Points Seuil,
Paris, 1990, pp. 224-225.
(4) Dans « La fin de l’Histoire dix ans après », Fukuyama répète son
credo : « La démocratie libérale et l’économie de marché sont les seules
possibilités viables pour nos sociétés modernes. » Mais il reconnaît
une insuffisance quant à sa conception de la fin de l’histoire : «
L’Histoire ne peut s’achever aussi longtemps que les sciences de la
nature contemporaines ne sont pas à leur terme. Et nous sommes à la
veille de nouvelles découvertes scientifiques qui, par leur essence
même, aboliront l’humanité en tant que telle. » Le Monde, 17 juin 1999.
(5) Cf. Francis Fukuyama, La Fin de l’homme : les conséquences de la révolution biotechnique, La Table ronde, Paris, 2002.
(6) Voir les travaux du grand anthropologue américain Stephen Jay
Gould : Darwin et les grandes énigmes de la vie, Pygmalion, Paris, 1979,
et Le pouce du panda, Grasset, Paris, 1982.
(7) Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Mille et une nuits, Paris, 2000.
(8) Conférence reprise dans un recueil intitulé La Domestication de
l’Etre, Mille et une nuits, Paris, 2000. Toutes les citations qui
suivent sont tirées de cet ouvrage.
(9) En fait, cette diversification est déjà en cours : l’hebdomadaire
américain Science, daté du 27 juillet 2001, relatait qu’une équipe
américaine a réussi à implanter des cellules-souches cérébrales humaines
au sein de cerveaux de fœtus de singes Macaca radiata vers la douzième
semaine de leur gestation, cette implantation pouvant mener à la
création de singes anthropoïdes dont les cerveaux auraient été, de la
sorte, mécaniquement « humanisés ».
(10) Jacques Lacan, « Conférence à l’université de Milan », 12 mai 1972, inédit.
(11) Jacques Lacan, L’Envers de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, séance du 17 décembre 1969, p. 35.
Dany-Robert Dufour
Philosophe, professeur en
sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII, directeur de
programme au Collège international de philosophie ; auteur de La Cité perverse. Libéralisme et pornographie, 2009 ; Le Divin Marché. La révolution culturelle libérale, 2007 ; et On achève bien les hommes, 2005, tous chez Denoël, Paris
jaesa
B) Transhumanisme de Wikiberal
Le transhumanisme (ou posthumanisme)
est un mouvement intellectuel prônant l'utilisation de différentes
techniques et technologies pour dépasser les limites imposées par la
nature humaine. L'objectif est de dépasser, voire d'éliminer des aspects
inhérents à la condition humaine jugés comme négatifs : souffrance,
mort, maladie, imbécilité, sénilité, imperfections en tous genres
(mémoire, fatigue, etc.).
La première apparition du mot transhumanisme date de 1957 et est attribuée à J. Huxley, biologiste et frère de Aldous Huxley,
l'auteur du "Meilleur des mondes". Il voulait par là qualifier le
courant intellectuel selon lequel on pourrait améliorer l'humanité avec
l'aide de la science.
C'est en cherchant à généraliser les courants existants comme
l'eugénisme (une des incarnations du transhumanisme) qu'il a proposé ce
mot. Sa définition originelle était la suivante :
« Un homme qui reste homme, mais qui se transcende en utilisant de nouvelles possibilités de et pour sa nature humaine. »
L'acception du mot transhumanisme a depuis évolué, notamment sous
l'impulsion de cercles intellectuels dans les universités américaines
(New School, University of California, MIT). L'évolution conjointe de
différentes branches de la science comme la biologie, les
nanotechnologies, les développements en intelligence artificielle, etc.,
ont introduit l'idée que l'homme pouvait dépasser les limites que sa
nature biologique lui imposait. Dès lors le transhumanisme est vu comme « différant
essentiellement de l'humanisme par la reconnaissance et l'anticipation
d'altérations radicales dans la nature et les possibilités de vie
résultant de l'application de diverses sciences et technologies ».
Problématiques philosophiques
Le transhumanisme ouvre de nombreuses questions pour les libéraux. La notion même de nature humaine et par extension de droit naturel est impactée. La place de l'homme dans la nature est elle aussi mise en question, cela a donc des répercussions sur le droit animal. Enfin, en postulant explicitement une humanité différente, le transhumanisme peut être vu comme un mélange inédit de racisme et de constructivisme. Certaines approches du transhumanisme relèvent purement de l'eugénisme. Cependant une approche transhumaniste de type catallaxie
peut être pensée où les évolutions de la nature humaine se feraient de
manière émergente par l'utilisation de plus en plus poussée et fréquente
de nouvelles technologies.
Art et culture
Citations
- Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un
but, un idéal vers lequel on aspire ; mais il est ici, dans le présent,
il existe réellement : quel que je sois, quoi que je sois, joyeux ou
souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, dans
le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. (Max Stirner)
Liens externes
C) Le transhumanisme : la prochaine étape de la civilisation
Le transhumanisme est la prochaine étape de la civilisation, et le
laissez-faire est sa justification, sa condition préalable et sa
limite :
-
Premièrement, c’est la seule philosophie qui fournisse une justification
adéquate à la liberté transhumaniste, et une réponse solide à ceux qui
l’opposent ;
-
Deuxièmement, c’est la seule philosophie qui permette au monde d’être
suffisamment prospère pour que nous puissions effectivement nous le
permettre, et laisse les gens utiliser leur argent à cette fin ;
-
Troisièmement, c’est la seule philosophie qui se développe en un cadre
cohérent et rationnel permettant de gérer les nouvelles questions
éthiques soulevées par le progrès technologique.
1. Le transhumanisme en tant que droit libéral
La liberté, l’immortalité, et les étoiles !
L. Neil Smith1
1.1. Le droit de vivre contre le devoir de mourir
Laissez-faire résume en un mot toute la philosophie de la liberté : laissez chacun faire ce qu’il veut avec tout ce qui est à lui. Les libéraux considèrent à la fois que tout un chacun devrait être libre de faire ce qu’il lui plaît avec ce qui est à lui, et que chacun a
le droit de faire ce qu’il veut avec ce qui est à lui. C’est une
position à la fois descriptive et normative : comment est le monde (nous
avons ce droit) et comment il devrait être (ce droit devrait être plus
largement reconnu). Les lois peuvent reconnaître ou ne pas reconnaître
nos droits ; qu’elles le fassent n’affecte pas nos droits, cela affecte
notre liberté effective2.
Outre une liberté et un droit, le laissez-faire se traduit aussi par une obligation : laissez-nous faire,
c’est-à-dire, ne commettez pas d’agressions contre nous. Le principe de
non-agression, la loi d’égale liberté, l’identité des droits de tous
les individus3 :
je n’ai pas le droit de commettre d’agression contre qui que ce soit,
et personne n’a le droit de commettre d’agression contre moi. Quiconque
respecte cette obligation est un être civilisé. Quiconque ne la respecte
pas est un criminel3bis.
Les lois, encore une fois, n’y changent rien, elles peuvent reconnaître
cette réalité ou la nier. Arrêter un agresseur est un acte de légitime
défense. Arrêter une personne non-agressive constitue une agression en
soi, et donc un crime.
Ainsi, les devoirs légitimes ne sont que le miroir des droits légitimes.
Toute sorte d’autre obligation, fausse, entrera inévitablement en
conflit avec ces obligations et droits réels. Les fausses obligations et
les faux droits peuvent être décrits plus précisément comme des
tentatives par certains individus d’user de la force pour extorquer du temps ou de l’argent à d’autres individus
(en prétendant y avoir « droit », ou en postulant que vous auriez une
« obligation » de faire quelque chose à leur service). Ceci constitue
une déformation anti-conceptuelle des mots, absurde tant
grammaticalement qu’éthiquement4.
Les lois peuvent proclamer toute sorte de comportement « crime », mais
appeler « crime » un comportement qui n’est pas une agression par une
personne donnée (ou groupe de personnes donné) contre une autre personne
donnée (ou groupe de personnes donné) est une absurdité grammaticale.
Il n’est pas davantage possible de commettre un crime contre
« soi-même » ou « la société » qu’il serait possible de « pleuvoir
quelqu’un ».
Le droit de faire ce que je veux avec ce qui est à moi commence, bien
entendu, avec mon corps. C’est la raison de la prohibition du viol, des
voies de fait et des mutilations. C’est la raison pour laquelle c’est
mon droit sacré de choisir de travailler ou de ne pas travailler,
d’avoir des rapports sexuels ou de ne pas en avoir (avec ou sans
rémunération, avec une ou plusieurs personnes, avec une personne de sexe
opposé ou de même sexe, etc.), de prendre des drogues ou de ne pas en
prendre, de vivre seul, en famille ou en groupe, de me marier ou de
rester célibataire.
Mais tout ces droits partent d’un droit plus fondamental : le droit à ma
propre vie. Le droit de me suicider si je le veux, et, plus important,
l’interdiction à quiconque d’autre de me tuer sans mon autorisation. Et
bien entendu, le droit de me défendre contre quiconque enfreindrait ce
droit.
Ainsi, nous n’avons pas de devoir de mourir, et nul n’a le droit de nous
y contraindre. Les options de chercher à se protéger contre la maladie,
le vieillissement, la douleur et la mort découlent toutes de notre
droit à notre propre vie. Nous avons le droit de nous défendre contre
toutes ces afflictions. Et nous avons le devoir d’offrir aux autres
individus le respect de ces mêmes droits.
1.2. Individualisme contre collectivisme
L’opposition principale à ce droit est toujours venue de la prétention
de certains de revendiquer des droits sur la vie d’autres personnes. Sa
principale justification philosophique a toujours été, sous une forme ou
une autre, le collectivisme. L’antagonisme entre individualisme et
collectivisme constitue, en effet, l’enjeu principal dans le monde aujourd’hui5.
Cependant, puisque seuls les individus peuvent effectivement agir et prendre des décisions, toute décision collective est, in fine, la décision de certains individus6.
Le collectivisme n’est donc pas seulement contraire à la morale, il est
aussi, encore une fois, grammaticalement faux : seuls les individus
peuvent manger, aimer, penser, décider7.
La vraie dichotomie, bien comprise, n’est donc pas si les individus décident ou si une « collectivité » mystique décide8. La question est plutôt qui décide de quoi. Les réponses possibles sont : chacun décide pour lui-même, ou, certains décident pour d’autres.
C’est pour cela que cette dichotomie peut également être reformulée comme celle entre l’humanisme et le constructivisme9 :
le premier considère que tous les individus ont les mêmes droits
universels (en tant qu’êtres humains), alors que le second revient à
considérer que certains individus auraient le droit d’imposer leurs
décisions à d’autres (généralement sous le prétexte prétentieux de
savoir mieux qu’eux ce qui est bon pour eux, au mépris de leur rationalité), construisant ainsi la société en tant que planificateurs centraux.
Ce qui nous amène à encore une autre façon d’exprimer la même opposition : le marché (l’agora) contre le politique (l’État)10.
Sur le marché libre, chaque individu décide pour lui-même ; en
politique, tous décident pour tous. Les individualistes veulent que rien
ne soit politique, les collectivistes souhaitent que tout soit
politique11.
L’individualiste pense en termes d’individus, et non de collectifs, de
personnes, et non de groupes. Les individus ne sont pas sacrifiables :
contrairement au constructiviste, l’humaniste ne traite pas les
personnes comme des pièces d’un puzzle ou des pions d’un jeu. Les
individualistes ne se soucient guère de la survie des nations, des races
ou des espèces, seule la survie de chaque être individuel est
pertinente. Les individus ne sont pas des cellules d’un organisme plus
large, pour lequel seule la survie de l’organisme serait importante,
alors que le vieillissement, la mort et le remplacement des cellules qui
le composent seraient sans importance. Les individus sont le seul
niveau d’organisme pertinent, l’entité vivante et pensante, l’agent
agissant12.
Les droits de l’homme sont des droits de propriété individuels. Il ne
peut y avoir de crimes que contre des individus, il ne saurait y avoir
de « crimes contre la société », de « crimes contre Dieu », de « crimes
contre l’État », de « crimes contre la nation », de « crimes sans
victime », ou de « crimes contre l’espèce humaine »13.
1.3. Droit universel contre valeurs subjectives
Et c'est alors que j'ai compris, c'est alors que j'ai compris que la
conversation avec la société avait changé profondément au cours de cette
dernière décennie. Ce n'est plus une conversation sur comment surmonter
des handicaps. C'est une conversation sur l'amélioration. C'est une
conversation sur le potentiel.
Aimee Mullins13bis
Le corollaire du mépris des constructivistes envers la rationalité
d’autrui est un manque de compréhension de la subjectivité des valeurs.
La valeur de quelque chose est la valeur de quelque chose pour quelqu’un. Il n’y a pas de « valeur absolue » et il n’y a pas de « valeur intrinsèque »14. Encore une fois, c’est de la grammaire : valeur nécessite la préposition pour.
Ainsi, il n’y a pas de distinction pertinente entre les besoins et les désirs humains14b.
En termes économiques, nous cherchons tous à accroître notre utilité.
Il n’y a pas de définition pertinente de « besoins » auxquels tout un
chacun aurait « droit » et de « désirs » qui constitueraient un luxe
superflu. À moins qu’il ne soit question de transgression de droits, il
n’y a pas de valeur propre à une personne donnée qui lui donnerait le
droit d’outrepasser les priorités d’une autre personne donnée et user de
coercition contre elle sous le prétexte de ses propres préférences. Les
préférences ne sont pas la morale, et la morale n’est pas le droit.
Interférer avec les projets de maximisation d’utilité d’une autre
personne n’est pas une question de « bien supérieur » ou de
« comparaisons d’utilité », c’est une question de droits15.
Les droits sont universels et leur respect peut être imposé, alors que
les valeurs et les préférences sont subjectives et personnelles.
Les anti-transhumanistes postulent une limite arbitraire et injustifiée
au degré de science, de progrès, de technologie, de recherche,
d’amélioration de la vie (et d’ailleurs aussi de marché libre), donc en
fin de compte de santé et de vie qui doit être « permis », ou même
financé16.
Les libéraux ne reconnaissent pas une telle limite. Aucun
anti-transhumaniste luddite ne pratique vraiment la conclusion logique
de sa philosophie de la mort : vivre comme un animal et mourir à
l’accouchement, dans la petite enfance, ou à la moindre infection.
Car il n’y a pas de différence morale entre utiliser un désinfectant
pour soigner une plaie et prendre une pilule pour inverser le
vieillissement. Les deux sont des expressions de notre désir et droit de
vivre, et d’utiliser tous les moyens pacifiques que nous voulons pour y
parvenir. Il n’y a pas de différence morale entre utiliser une chaise
roulante si l’on ne peut pas marcher, obtenir de nouvelles jambes
artificielles, ou éviter génétiquement de tels handicaps dès le départ.
Il n’y a pas de différence morale non plus entre prévenir, indemniser,
en pallier les effets, ou annuler complètement les effets des accidents,
et user des mêmes options lorsque ce sont des handicaps de naissance17.
1.4. Liberté d’association contre pouvoir religieux
La plus grande partie de l’opposition à la limitation de la douleur, du
vieillissement et de la mort est toujours venue des religions, soit
directement, soit indirectement en passant par des pseudo-morales
d’inspiration religieuse entérinées dans la loi.
Le laissez-faire, bien entendu, défend une liberté de religion absolue. Mais il ne la défend pas en tant que telle.
Il la défend en tant que simple aspect parmi d’autres d’une philosophie
bien plus large. Il défend la liberté religieuse comme conséquence de
la liberté d’expression et de la liberté d’association. Et il défend
celles-ci en tant que simples conséquences du droit de propriété, du
principe de non-agression. Il peut y avoir conflit entre la liberté de
religion et les autres libertés, mais non entre des droits de propriété
correctement définis, qui comprennent tous leur propre limite : mon
droit de faire tout ce que je veux avec tout ce qui est à moi n’a jamais
compris un droit de le faire avec ce qui n’est pas à moi. La liberté de
religion, donc, est une conséquence du droit de propriété — non une
excuse pour le bafouer.
En tant que libéraux, nous n’avons rien à dire à propos de
Dieu, ou à propos de la religion en général. Et nous n’aurions rien à
dire, en tant que libéraux, à propos des organisations religieuses, si
elles se contentaient d’exprimer des opinions sur les comportements qui
mènent au paradis ou en enfer, sur le sens de la vie ou sur l’origine
de l’univers. Nous n’aurions rien à dire contre aucune religion, si
elles restaient en dehors de la politique, autrement dit, n’utilisaient
pas — ou ne tentaient pas d’utiliser — l’État pour commettre des
violences contre nous. Violence dont le but est, au lieu de tenter de
nous convaincre de leurs opinions religieuses par des moyens pacifiques,
de nous contraindre à les financer, et à nous les imposer par des lois
justifiées par des arguments religieux qui ne concernent en rien tous
les non-croyants auxquels elles s’appliqueront néanmoins.
Philosophiquement, la plupart des religions acceptent la douleur, la
souffrance et la mort, en tant que sacrifice, martyre, comme épreuve de
la valeur, comme inévitables, comme volonté divine, comme occasions de
faire des choix moraux, comme défis pour s’assurer une meilleure
situation dans l’au-delà, etc18.
Elles s’opposent à l’amélioration de l’homme et à sa quête
d’immortalité, considérant comme blasphématoires notre rapprochement de
réalisations de niveau divin. Ils considèrent la vie après la mort, et
non l’immortalité, comme la priorité dont il faudrait se préoccuper18bis.
Les religions s’opposent généralement à divers aspects ou degrés du
progrès, particulièrement médical, que ce soit la vaccination, les
transfusions sanguines (Témoins de Jéhovah19), la vente d’organes (Église catholique20), la procréation médicalement assistée, etc.
Ce qui, bien entendu, va complètement à l’encontre des objectifs du
transhumanisme. Pour ce qui est du laissez-faire, il se borne à défendre
le droit de chaque individu à choisir pour lui-même. Si les religions
n’imposent leurs points de vue à personne, et se contentent de défendre
la douleur, la souffrance et la mort en tant que choix personnels, elles
peuvent être tolérées tout comme d’autres sortes de pratiques ou de
sectes masochistes dont les membres ne sont que des adultes consentants,
qui y sont de leur plein gré. Dans le cas contraire, si elles essayent
de se servir de leur rationalisation religieuse de la douleur, de la
souffrance et de la mort pour les imposer à autrui au travers de
législations, alors hélas elles vont également à l’encontre de la
position de non-agression du laissez-faire21.
1.5. Présomption de liberté contre principe de précaution
Les libéraux ont toujours défendu la présomption d’innocence, et sa version politique, la présomption de liberté22.
Appliquée aux nouvelles technologies, elle signifie que si quelqu’un
veut interdire quelque chose, la charge de la preuve repose sur lui, de
démontrer que cela constitue une agression et devrait être interdit.
L’attaque contre ce principe, particulièrement dommageable pour le
transhumanisme, est venue de son contraire, le « principe de
précaution »23, qui a été critiqué par les libéraux.
L’interdiction de nouvelles technologies devrait nécessiter, au minimum,
une preuve solide de leur danger... et non simplement des mesures « de
précaution » décidées par des « comités éthiques » qui n’offrent aucun
argument rationnel pour défendre leurs transgressions de nos droits.
1.6. Pouvoir sur la nature contre pouvoir sur les personnes
La violence est l’outil de l’État ; la connaissance et l’esprit sont les outils des gens libres.
Lew Rockwell24
Et enfin, l’opposition entre le laissez-faire et l’État, entre les
moyens économique et politique, s’est aussi traduite par le conflit
entre croissance et stagnation, technologie contre bureaucratie,
entrepreneurs contre statu quo. En fin de compte, c’est un très vieux conflit, et il revient à civilisation contre barbarisme25.
Les transhumanistes et les libéraux se préoccupent de réaliser des
progrès technologiques, contrôler la nature, étendre le pouvoir des
individus sur la nature. Les étatistes, en revanche, s’intéressent
uniquement à la redistribution du pouvoir dans leur vision statique du
monde, cherchant à étendre leur pouvoir sur les hommes. Le pouvoir
relatif de statut est plus important pour eux que la croissance de
richesse absolue de l’humanité et des individus qui la composent.
Pour nous, au contraire, le progrès technologique, la liberté
individuelle, le développement personnel et le transhumanisme font tous
partie d’une progression dynamique des individus vers davantage de
richesse absolue, de pouvoir sur la nature, de contrôle de leurs
environnements, et de bonheur.
2. Le capitalisme de laissez-faire en tant que pré-condition matérielle au transhumanisme
Si l’État avait été aboli il y a un siècle, nous aurions tous déjà des
robots domestiques et partirions en vacances dans la ceinture
d’astéroïdes.
Samuel Edward Konkin III26
2.1. Croissance économique contre famine
L’anarchie nous entoure. Sans elle, notre monde s’écroulerait. Tout
progrès est dû à elle. Tout ordre provient d’elle. Tous les bienfaits
qui nous élèvent au-dessus de l’état de nature sont dûs à elle. L’espèce
humaine s’épanouit uniquement grâce à l’absence de contrôle, et non
grâce à lui. Je dis que nous avons besoin de toujours plus d’absence de
contrôle pour rendre le monde encore plus beau.
Jeffrey Tucker
Les États ne créent pas de richesses : les individus créent de la
richesse, et chaque fois qu’ils le font ils agissent d’une manière
libérale. La seule raison pour laquelle nous pouvons ne serait-ce
qu’avoir un débat à propos du transhumanisme est qu’il y a eu
suffisamment de laissez-faire pour que nous puissions nous le permettre.
Les habitants de Corée du Nord, luttant contre la famine, n’ont
probablement pas ces préoccupations. Vous ne pensez pas à vivre
éternellement lorsque vous pouvez à peine trouver assez de nourriture
pour survivre la journée. Si nous avons dépassé ce stade de simple
survie, c’est grâce à l’entreprenariat, l’innovation, le progrès
technologique et l’accumulation de capital.
Autant de principes du libre marché. Leur effet, bien que grandiose, a
été saboté et entravé par les États. Par la favorisation d’intérêts
particuliers bien établis, statiques. Par le fait de « sauver des
emplois », c’est à dire, maintenir artificiellement des emplois dans de
vieilles technologiques inefficaces. Par l'imposition du travail et du
capital. Par la destruction de monnaie en tant que moyen d’échange. Si
vous pensez que l’effet de l’intervention étatique sur le degré de
richesse, et donc de technologie, est bénin, revoyez vos calculs27.
Le marché libre est le pouvoir de créer. L’État est le pouvoir de
détuire. Le moyen économique est celui de la production. Le moyen
politique est celui de la destruction. Sur le marché, les gens créent de
la richesse. L’État ne fait que la redistribuer, en détruisant une
bonne partie au passage. Les impôts ne produisent rien.
La raison pour laquelle nous pouvons ne serait-ce qu’envisager le
transhumanisme est que nous vivons dans des économies mixtes,
moitié-capitalistes, moitié-communistes. La raison pour laquelle nous
n’avons pas déjà atteint les objectifs du transhumanisme est exactement
la même.
2.2. L’immortalité contre les intérêts de l’État
Elle pensait que la production industrielle était une valeur que
personne ne pouvait remettre en question ; elle pensait que l’envie de
ces hommes d’exproprier les usines appartenant à d’autres impliquait
leur reconnaissance de la valeur de ces usines. [...]Elle vit ce qu’ils
voulaient et à quel but leurs « instincts », qu’ils proclamaient
inexplicables, les menaient. Elle vit qu’Eugene Lawson, l’humanitaire,
se réjouissait de la perspective de famine — et le Dr. Ferris, le
scientifique, rêvait du jour où les hommes retourneraient à la charrue à
bras.
Ayn Rand28
Pensez-vous vraiment que malgré cela l’État pourrait d’une façon ou
d’une autre canaliser ses ressources vers les objectifs
transhumanistes ? Certes non.
Tout d’abord, l’État pourrait investir l’intégralité de son budget actuel dans le transhumanisme, cela
serait toujours insignifiant en comparaison de la richesse que nous y
aurions investie par nous-mêmes s’il avait cessé de nous appauvrir il y a
quelques siècles29. Tout ce que nous pensons avoir « grâce à l’État », relève du sophisme comptable30.
Mais encore plus fondamentalement, la prolongation de la vie va
complètement à l’encontre des intérêts des États et de leur vision du
monde. Les États partent d’une vision du monde statique, de ressources à
« allouer », de territoires à contrôler. De cycles de vie, de
certificats de naissance, de permis de séjour, etc. L’État n’est pas
fait pour l’Ère de la mondialisation31,
ni pour l’Ère spatiale, et encore moins pour l’Ère de l’immortalité.
Leurs systèmes de retraite pyramidaux façon Madoff n’ont pas été conçus
pour cela. Et leurs idéologies collectivistes n'y voient pas d'intérêt,
et ne le permettront pas.
3. L’éthique libérale en tant que cadre moral et légal de l’ère nouvelle
En tout état de cause, on peut bien tempêter contre l’individualisation
du pouvoir sur la vie, mais il faut se rappeler que le monopole de ce
pouvoir par l’État s’est traduit par des avortements forcés, des
stérilisations, des empêchements au mariage ou à la procréation, et que
l’histoire de l’eugénisme d’État n’est pas la plus honorable qui soit.
On peut bien sûr préférer à la liberté procréative ou au bien-être des
individus à naître les valeurs qu’ils ont remplacées, mais il ne faut
pas oublier que ces valeurs n’étaient autres que le « sang allemand »,
la « nation française » ou le « peuple américain ». Autrement dit, le
propre du pouvoir sur la vie contemporain est de rompre une bonne fois
avec le fantasme d’entités biologiques collectives, en faisant de
l’ensemble de la vie, des processus biologiques, de la matière vitale,
un moyen au service de la vie biologique et morale des individus.
Marcela Iacub32
3.1. Pouvoir individuel contre pouvoir collectif sur la génétique
Comme Marcela Iacub l’a résumé, quelqu’un doit prendre les
décisions reproductives. Si ce ne sont pas les individus concernés,
alors c’est l’État, et ce dernier est bien plus dangereux.
Et, comme nous l’avons vu, ce n’est pas une question du bien-être
collectif de « l’espèce » ou de « la nation » contre celui des individus
égoïstes33.
Non, c’est une question du choix de certains individus contre le choix
d’autres individus. La seule question pertinente est donc qui a le droit de décider de quoi ? Et quels moyens peuvent être utilisés pour appliquer cette décision ?
Le meilleur cadre pour répondre à ces questions est offert par les
droits de propriété, l’individualisme et le principe de non-agression.
3.2. Droits individuels contre différences génétiques
Rappellons-nous que les droits sont des droits individuels. Et les
droits individuels ne dépendent pas du code génétique, de la « race » ou
du « sexe ». Donc, les droits des clones, ou de tout autre individu
issu d’altérations génétiques, ne seraient en rien différents des droits
de n’importe qui d’autre, pour la même raison que nous n’avons pas de
droits différenciés pour les hommes et les femmes, les noirs et les
blancs, les jumeaux, etc. Et ces droits comprendraient celui de
poursuivre les personnes responsables, si les modifications génétiques
étaient néfastes34.
Le droit, grâce à la catégorie de « personne », ne les [les clones]
traiterait pas moins comme des réalités uniques ayant chacune d’entre
elles une inscription dans l’état civil, un nom, un patrimoine, des
droits et des obligations. Chacun des milliers de clones serait une
personne à part entière et aucun amoindrissement de leur statut ne
résulterait du fait qu’ils possèdent le même patrimoine génétique que
des milliers d’autres individus. En d’autres termes, le droit ne connaît
pas les clones mais des personnes ayant le même statut les unes que les
autres.
Marcela Iacub35
Les différences génétiques ne sont pas pertinentes pour le droit, et donc, leurs descriptions n’ont pas de place dans la loi.
Le rôle du droit est de déterminer dans quels cas il est légitime d’user de violence :
Il n’y a pas de classifications juridiques, de distinctions juridiques
qui ne soient fondées sur des normes de contrainte ; toute distinction
juridique entre les personnes implique que l’on distribue d’une manière
différentielle des droits et des obligations, c’est-à-dire des pouvoirs
sociaux à certains individus au détriment d’autres, à certains individus
et pas aux autres.
Marcela Iacub36
Rien d’autre ne concerne, ou ne devrait concerner, la loi. Son but n’est
pas de « construire » à quoi devrait ressembler la société au-delà du
maintien de la paix, ni de préserver des « valeurs anthropologiques » :
De ce fait, l’idée selon laquelle, à travers la mise en place des
distinctions anthropologiques, le droit dessine un ordre symbolique
n’est adéquate ni pour décrire le fonctionnement du droit, ni pour
retrouver des limites à ses transformations, voire pour établir des
prédictions d’aucune sorte.
Marcela Iacub37
La loi ne doit pas se préoccuper des différences génétiques entre
individus pour la simple et bonne raison qu’elles ne sont pas
pertinentes pour la régulation de l’aggression. Il y a certainement des
différences importantes entre hommes et femmes, blancs et noirs,
hétérosexuels et homosexuels. Mais ces différences n’ont pas de
pertinence pour la loi, et aucun de ces mots ne devrait donc apparaître
dans aucun texte de loi38.
Tout comme les mots « chauve » et « chevelu » n’apparaissent pas dans
les textes de loi, puisque la calvitie ou la chevelure abondante, bien
que sources de différences pertinentes pour la vie de ces individus, ne sont pas sources de droits différents39. De même, les capacités biologiques ne sont pas sources de droits, et ne doivent pas être confondues avec eux40.
Ainsi, de nouvelles différences génétiques entre humains n’auraient pas
non plus de pertinence pour un ordre légal libéral. Pour un système de
loi libéral et rationnel, qui se borne à interdire les agressions telles
que le meurtre, le viol et le vol, toute autre évolution sociale ou
génétique n’est pas un problème. Des règles universelles resteront
universelles40bis.
3.3. Identité des droits contre égalité
Des droits identiques n’amènent pas l’« égalité », et ne sont d’ailleurs
pas censés le faire. L’« égalité » n’a jamais été correctement
définie : égalité de revenus ? De richesses ? De succès ? De bonheur ?
Les égalitaristes se focalisent généralement sur une mesure donnée, dans
une vision du monde statique, puis en viennent à l’usage de la
contrainte pour la « corriger ».
Dans le monde réel et dynamique, des différences de compétences et de
choix amènent des résultats différents. Sur un marché libre, vous êtes aussi riche que les autres personnes sont prêtes à vous rendre en acquérant vos biens et services.
Si vous pensez que cette situation est « injuste », alors vous
considérez comme « injustes » les choix volontaires des milliers
d’individus interagissant sur le marché. Autrement dit, vous désirez
user de violence pour imposer vos choix personnels contre les leurs.
« Égalité » est ainsi un concept vide de sens, sans pertinence pour un libéral41.
Bien plus importante que la « distribution » relative de richesse est
la croissance colossale du niveau de vie au travers des siècles, rendue
possible uniquement par la liberté économique.
Mais il faut remarquer que le transhumanisme ne risque guère de
satisfaire ceux qui se plaignent déjà des différences de richesse dues à
l’accumulation de capital, à l’héritage et aux écarts de revenu. Le
transhumanisme implique que certains pourront accumuler du capital
durant un laps de temps encore plus long. Les personnes intelligentes
deviendront encore plus intelligentes grâce à de nouveaux médicaments
améliorant les capacités intellectuelles, et leurs enfants seront encore
plus intelligents grâce à l’amélioration génétique.
Cependant, en fin de compte, le progrès profite à tous, que ce soit par
les apports du capital accumulé au travers des années ou les avancées
technologiques et médicales. Même les pauvres ont vu leurs vies
grandement améliorées par l’acroissement des revenus absolus. Des
technologies que seuls les riches pouvaient se permettre pour commencer
sont désormais disponibles pour le grand public. Les progrès
transhumanistes, de même, seront d’abord disponibles que pour certains,
mais le plus grand nombre finira par profiter également des nouvelles
technologies.
Mais pour que cela puisse arriver, une vision du monde dynamique, comme
un jeu à somme positive, et non statique, comme un jeu à somme nulle
(qui devient inévitablement un jeu à somme négative) est indispensable.
Les préoccupations des gens doivent changer de la jalousie de leurs
voisins vers leur propres possibilités42.
L’approche libérale à la non-pertinence de l’inégalité, et une
compréhension correcte de l’économie, de l’accumulation de capital et de
la moralité de cette dernière, sont donc essentiels pour comprendre et
accepter les changements amenés par le transhumanisme.
3.4. Droits et libertés contre le paradigme interdit-ou-obligatoire
Or, nous sommes agoristes : anarchistes propriétaristes. Notre
prospérité jusqu’à ce jour est venue en suivant les principes agoristes
et nous pouvons prévoir une prospérité encore plus grande lorsque les
principes agoristes seront généralement adoptés. Pourquoi donc
abandonnerions-nous les principes de marché, que nous avons trouvés
efficaces, en faveur de principes hégémoniques qui ont conduit société
après société à la ruine ?
J. Neil Schulman42bis
Le paradigme collectiviste est que tout doit être soit interdit, soit
obligatoire. Le paradigme individualiste est que la seule chose
interdite est l’agression, et la seule chose obligatoire est de ne pas
commettre d’agressions. Tout le reste relève de droits et libertés, pour
chaque individu de faire ses propres choix.
Ainsi, nul besoin d’avoir un grand débat collectif « pour ou contre » le
transhumanisme, débouchant sur une décision collective et politique.
Chacun est libre de faire tout ce qu’il lui plaît, tant qu’il n’enfreint
pas les droits de propriété d’autrui. Personne n’a le droit d’imposer
quoi que ce soit à qui que ce soit. Il n’y a pas de conflit entre droits
et valeurs légitimes, seulement entre vrais droits et faux droits.
Les transhumanistes ont le droit d’améliorer leurs corps. Les Amish ont
le droit de vivre sans technologie. Ni les uns ni les autres n’ont le
droit d’imposer leurs vues aux autres. Le pouvoir ne peut être utilisé
pour imposer le bien, ni même pour rendre le transhumanisme obligatoire,
ou sa critique interdite. Tenter d’utiliser le pouvoir de l’État pour
la « bonne cause » du transhumanisme, comme nous l’avons vu au point
2.2., est de toutes façons illusoire. Plus fondamentalement, les droits
individuels sont absolus, et aucune « bonne cause » ne peut être
utilisée pour les bafouer43.
3.5. La question difficile : qui a des droits ?
Le libéralisme investigua la nature de l’homme pour expliquer ces droits
provenant de la non-coercition. Il s’ensuivit immédiatement que l’homme
(femme, enfant, Martien, etc.) avait un droit absolu à sa vie et à sa
propriété — et à nulles autres.
Samuel Edward Konkin III44
Une définition élargie de « être humain » va mettre au défi nos points
de vue sur ce qui définit les droits « humains ». C’est la limite et le
domaine à explorer de la théorie des droits de l’homme. Mais ce n’est
pas un problème pour le transhumanisme et le laissez-faire, au
contraire.
La question était déjà posée par les débats comme l’avortement (où
commence la vie ?), les droits des personnes handicapées auxquelles il
manque des capacités humaines essentielles, les droits des animaux,
l’éventuelle interaction avec des formes de vie extra-terrestres, etc.
Dans tous ces cas, la question est la même : qui est, et qu’est-ce qui n’est pas, un être sensible individuel doté de droits ?
Aucune philosophie, à ma connaissance, n’a encore fourni une réponse
complète et cohérente à cette question. La théorie des droits de
propriété du laissez-faire, cependant, est le meilleur point de départ,
le meilleur cadre pour réfléchir à la question. Bien que n’ayant pas
réponse à tout, elle fournit, d’une part, un cadre cohérent pour règler
toutes les questions ultérieures de droits entre ayants-droits ; et
d’autre part, même cette question difficile a été mieux traitée par les
libéraux que par n’importe qui d’autre45.
Le transhumanisme, en remettant en question nos conceptions sur le
sujet, et en élargissant la science jusqu’à explorer les
définitions-mêmes de « vie », « sentience », « conscience », et
« personne » constitue la seule façon de nous donner les moyens de
poursuivre cette quête : pas pour contredire la théorie des droits de
propriété, mais pour la clarifier encore davantage, la rendre encore
plus forte et plus universelle. Et ainsi, le laissez-faire et le
transhumanisme, ensemble, peuvent réaliser une défense encore plus forte
pour les droits de propriété individuels qu’aucune que nous ayons jamais eue pour les droits de l’homme.
Conclusion
Le transhumanisme constitue ainsi un composant essentiel du futur
grandiose qui attend notre civilisation. Le laissez-faire est sa
justification éthique, le laissez-faire est sa pré-condition matérielle,
et le laissez-faire est son cadre légal et moral. Certes, le
laissez-faire a toujours été tout cela pour toute véritable
civilisation, mais plus celle-ci évolue et devient avancée, plus le
laissez-faire et la civilisation deviennent indissociables :
Si le contrôle étatique n’a pu accomplir rien d’autre que la paralysie,
la famine et le délabrement à l’ère pré-industrielle, que se passe-t-il
lorsqu’on impose le contrôle sur une économie hautement industrialisée ?
Qu’est-ce qui est plus facile à réglementer pour les bureaucrates :
l’activité des métiers à main et de la forge — ou celle des aciéries,
des chantiers d’aviation, et des centres d’électronique ? Qui est plus
susceptible de travailler sous la contrainte : une horde d’hommes
brutalisés faisant du travail manuel non-qualifié — ou le nombre
incalculable d’hommes individuels de génie créatif nécessaires à la
construction et au maintien d’une civilisation industrielle ? Et si les
contrôles étatiques échouent même avec les premiers, quel degré de déni
peut bien permettre aux étatistes modernes d’espérer réussir avec les
seconds ?
Ayn Rand46
Toute autre approche est illusoire. Espérer que de prétendus « comités
de bioéthique » ou des « commissions d’éthique » des Églises ou des
États parviendront aux bonnes conclusions sur le bien et le mal est
risible. Leurs membres se composent généralement, soit de personnes dont
la seule qualification est d’être membre d’organisations religieuses
sans aucune compétence sur les questions pertinentes, soit de personnes
qui, bien que scientifiques, arrivent étrangement à des conclusions
inspirées par des pseudo-éthiques religieuses, et non par une
philosophie rationnelle. Espérer que les États, dont la réalisation
principale est l’appauvrissement de l’humanité, financent le
transhumanisme, une grave contradiction. Espérer que ceux qui tentent
déjà de nous empêcher de nous enrichir nous laisseraient atteindre
l’objectif encore bien plus ambitieux de l’immortalité — une erreur
dangereuse.
Les transhumanistes ne devraient pas attendre quoi que ce soit de
l’État. Les transhumanistes ne devraient pas demander de financement à
l’État. Les transhumanistes, surtout, ne devraient pas rechercher le
pouvoir politique pour imposer le transhumanisme par les mêmes moyens
que ceux utilisés pour le combattre. La liberté de haut niveau
d’atteindre l’immortalité, d’être libérés de la mort, ne sera pas
atteinte en bafouant des libertés plus basiques — comme la liberté de ne
pas subir d’agressions, quelque soit leur justification. La question
n’est pas comment régner sur les hommes, ni s’il faut régner sur les
hommes, mais comment quelqu’un peut-il prétendre avoir le droit de régner sur les hommes. La question n’est pas quelle religion l’État doit-il imposer, ni s’il doit en imposer une, mais pourquoi quiconque aurait-il le droit d’en imposer une.
Le but n’est pas le pouvoir sur les personnes, le but est le pouvoir
sur la nature. Le laissez-faire s’oppose au premier, le transhumanisme
est le défi ultime du second.
Le transhumanisme fait partie de l’avenir grandiose qui attend notre
civilisation, mais il ne sera possible, abordable et moral que par le
laissez-faire. Le transhumanisme est l’une des raisons qui font que le
laissez-faire est essentiel pour l’humanité, et le laissez-faire est
l’une des raisons qui font que le transhumanisme est notre droit sacré.
Les deux sont des composantes essentielles de la civilisation qui se
soutiennent mutuellement : une aspiration transhumaniste souligne la
nécessité impérieuse du laissez-faire, et une philosophie libérale
permet de dépasser les préjugés habituels et percevoir la grandeur du
transhumanisme.
Il est temps que nous construisions le futur : laissez-nous faire.
Notes
Le grand auteur de science fiction libérale L. Neil Smith résume ainsi
en trois mots comment tout libéral transhumaniste voit le futur.
Cette vision des droits comme n’étant pas accordés par la loi, mais simplement reconnus et protégés par elle, est admise par la Déclaration d’indépendance des États-Unis :
Nous tenons ces vérités pour évidentes : que tous les hommes sont créés
égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits
inaliénables, que parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la
recherche du bonheur. — Que pour garantir ces droits les gouvernements
sont établis parmi les hommes.
L’égalité en droit au sens libéral signifie droits identiques, la seconde formulation étant moins sujette à confusion conceptuelle.
Et quiconque milite
pour davantage de respect du principe de non-agression est libéral, et
quiconque milite pour moins de respect du principe de non-agression,
c'est à dire pour davantage d'agressions commises contre des personnes
pacifiques, ou pour une absence de conséquences pour le fait de
commettre des agressions contre des personnes pacifiques, est étatiste.
Les vrais droits sont des droits négatifs, des droits-libertés, des droits de. Les faux droits sont des droits positifs, des droits-créances, des droits à. Les vraies obligations sont des obligations de ne pas faire, les fausses obligations sont des obligations de faire.
Les vrais droits sont le miroir des vraies obligations, les faux droits
et fausses obligations non. Les vrais droits et obligations sont
universels, les faux droits et obligations sont contextuels. Les vrais
droits et obligations sont opposables par n’importe qui à n’importe qui,
les faux droits et obligations non.
L’injustice, ou l’injuste, consiste par suite à faire du tort à autrui.
Donc la notion de l’injustice est positive, et celle du juste, qui vient
après, est neégative, et s’applique seulement aux actes qu’on peut se
permettre sans faire tort aux autres, sans leur faire injustice. [...
]Déjà on voit assez combien la notion de droit est négative, et celle de
tort, qui lui fait pendant, positive, par l’explication que donne de
cette notion Hugo Grotius, le père de la philosophie du droit, au début
de son ouvrage [...][Le mot droit ici signifie simplement ce qui est
juste, et a un sens plutôt négatif que positif : en sorte que le droit,
c’est ce qui n’est pas injuste.] [...] Une autre preuve du caractère
négatif qui, malgré l’apparence, est celui de la justice, c’est cette
définition triviale : « Donner à chacun ce qui lui appartient. » Si cela
lui appartient, on n’a pas besoin de le lui donner ; le sens est donc :
« Ne prendre à personne ce qui lui appartient. » — La justice ne
commandant rien que de négatif, on peut l’imposer : tous en effet
peuvent également pratiquer le neminem læde.
Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale, « Première vertu : la justice »
Les attaques contre les vrais droits et leurs vraies obligations-miroir
proviennent de deux fronts : les faux droits, tels que les « droits à »
l’alimentation, un emploi et un logement, qui ressemblent plus à une
« lettre au Père Noël » qu’à une liste de droits, et les fausses
obligations, telles que les « devoirs citoyens », les déclarations des
« Devoirs Humains », etc. Les deux attaques ignorent de manière commode
le revers de la médaille : qui va voir ses droits véritables
bafoués afin d’être forcé à fournir ces faux droits à quelqu’un (peut-on
« fournir » un droit ? encore une fois, nous en revenons à la grammaire
élémentaire), et qui pourra impunément ignorer son devoir véritable de non-agression en forçant d’autres à accomplir ces fausses obligations ?
Ayn Rand avait ainsi identifié correctement le « devoir » comme « l’un des anti-concepts les plus destructeurs de l’histoire de la philosophie morale » (Ayn Rand, Philosophy: Who Needs It, « Causality Versus Duty »).
Les faux droits ternissent la réputation de la notion-même de droits de
l’homme, et remplacent le droit rationnel par le nihilisme du pouvoir,
de l’autorité et de la démocratie. Au lieu de lois nous protégeant des
crimes, les lois deviennent l’expression de désirs personnels capricieux
(Jan Krepelka, « Qu’est-ce que le laissez-faire? », 1er janvier 2011).
Le gouvernement français, par exemple, après avoir proclamé divers
droits positifs, a franchi l’étape suivante, qui est de les rendre
« opposables ». Le fait même que certains droits positifs soient
« opposables » et d’autres non devrait nous fournir un indice sur la
nature de ces « droits ». Le terme lui-même, « droit opposable »,
implique qu’il peut être « opposé » à quelqu’un : qui ? Encore une
fois : un droit est par définition quelque chose qui est opposable à
quiconque et applicable par quiconque. Un droit ne saurait être
« fourni », un droit ne saurait être « utilisé une ou deux fois » : un
droit ne peut qu’être reconnu ou non reconnu, respecté ou violé. Tout
autre usage du terme est une absurdité grammaticale et une perversion
délibérée d’une théorie rationnelle de l’éthique.
Ce conflit a été résumé au mieux par Ayn Rand dans son « Manuel d’américanisme », et analysé dans toutes ses ramifications dans ses romans :
L’enjeu principal dans le monde aujourd’hui est entre ces deux principes : individualisme et collectivisme.
L’individualisme affirme que l’homme a des droits inalinéables
qui ne peuvent lui être ôtés par aucun autre homme, ni par aucun nombre,
groupe ou collectif d’hommes. Par conséquent, chaque homme existe de
son propre droit et pour lui-même, et non pour le groupe.
Le collectivisme affirme que l’homme n’a pas de droits : que
son travail, son corps et sa personnalité appartiennent au groupe ; que
le groupe peut faire de lui ce qu’il lui plaît, de quelque façon qu’il
veut, au nom de quoi que ce soit qu’il décide être son propre bien-être.
Par conséquent, chaque homme existe uniquement de par l’autorisation du
groupe et pour l’intérêt du groupe.
Ces deux principes sont à la source de deux systèmes sociaux opposés.
L’enjeu principal dans le monde aujourd’hui est entre ces deux systèmes.
À moins d’une décision unanime — mais alors il n’y a pas de conflit
entre les décisions individuelles et celle du groupe. Dans tous les
autres cas, une décision « collective » est la décision de certains
individus et non d’autres, que ce soit une minorité ou une majorité. En
bref, il ne peut pas y avoir de « choix social » ayant un sens. J’ai
analysé et réfuté toutes les objections communes à ce fait établi dans
Jan Krepelka, « Public Goods and Private Preferences: Are They Reconcilable? ».
Ainsi, il nous faut rectifier la citation de la note précédente : un
groupe ne peut pas décider ou désirer quoi que ce soit. Il ne saurait
lui plaire quoi que ce soit, et il n’a ni bien-être ni intérêt. Par
conséquent, l’enjeu principal dans le monde est en effet entre ces deux
systèmes, cependant, ce n’est pas une compétition entre deux visions du
monde valables : la première est conceptuellement valide, alors que la
seconde est une tromperie.
Je ne crois pas qu’Ayn Rand désapprouverait. Son ancien associé Harry
Binswanger fait un constat similaire à propos de « la société » :
Puisqu’il n’y aucune entité « société », la subordination de l’individu à « la société » signifie sa subordination à certains autres individus
— la foule du moment ayant réussi à se proclamer la majorité, le
concensus, le public, ou (merci Rousseau) les représentants de la
« volonté réelle » du « peuple ».
Harry Binswanger, « Statistics Aren’t Enough to Discredit Piketty’s Failed, Blood-Soaked Ideas », 28 mai 2014.
Comme nous l’avons vu à la note précédente, il ne saurait y avoir de
« choix social », ce qui explique pourquoi « la société » se retrouve si
souvent personifiée et décrite comme un individu, dans une tentative de
cacher le manque de concepts valides qui s’y appliquent. Cependant,
attribuer un comportement individuel à des entités non-individuelles
relève d’une erreur aussi absurde que, malheureusement, répandue. Voir
Ludwig von Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science, « The Pitfalls of Hypostatization », et Liberpédia, « Réification ».
De même, la distinction à faire entre une monarchie et une république
n’est pas celle entre un roi de droit divin, qui tient sa légitimité de
Dieu, et un parlement démocratique, dont la légitimité provient du
peuple. Non, elle est entre un individu qui prétend régner de droit divin, et un groupe d’individus qui prétendent
avoir le consentement des gouvernés. Dans les deux cas, il s’agit d’un
individu, ou d’un groupe d’individus, qui décident contre la volonté
d’autres individus ou groupes d’individus.
Pour encore davantage de ces dichotomies équivalentes ou directement
liées, voir le tableau comparatif dans François-René Rideau, « L’État, Règne de la Magie Noire — Des sacrifices humains et autres superstitions modernes ».
Vu tous les sophismes impliqués par la négation de la théorie libérale
des droits individuels, nous pourrions ajouter que, en fin de compte, la
dichotomie revient à celle entre une théorie rationnelle des droits,
cohérente avec la réalité et des concepts valides, et un nihilisme
combiné à un déni de la réalité et des anti-concepts.
Raisonner à propos d’un groupe en termes de son bien-être, de ses
intérêts et de ses décisions, et ainsi le considérer comme une personne
(voir notes 6 et 7), a une conséquence intéressante (et dramatique) : le
concept-même de justice, et donc de droits individuels, devient caduc.
Une fois que nous avons personnifié la société afin de transformer le
choix social en choix individuel, il n’y a plus rien à considérer sous
l’aspect de la justice. Un individu se soucie certes de la distribution
des avantages ou des expériences sur les jours de sa vie. Mais il ne
s’en soucie pas du point de vue de la justice.
Ronald M. Dworkin, « Is Wealth a Value? », The Journal of Legal Studies, vol. 9, nº 2.
De même, des concepts tels que « nation », « société » ou « race »
peuvent être pertinents sous d’autres aspects, mais nullement sous celui
de la justice et des droits : la justice et les droits ne sont des
concepts pertinents qu’appliqués entre des acteurs individuels.
Il ne saurait dès lors y avoir d’« équilibre » entre les droits et
intérêts d’un individu et ceux « du groupe » : c’est l’un ou l’autre. Il
ne peut y avoir qu’un seul niveau d’agent agissant doté de droits. Et
ce niveau n’est pas celui de « la société » que nous composons, pas plus
que ce n’est celui des cellules qui composent nos corps. Non, c’est
celui de l’être individuel, la conscience vivante et agissante. Les
sociétés ne peuvent pas avoir de droits, pas plus que des coupures
d’ongles ou des briques en terre cuite.
Comme nous l’avons vu, un crime contre quoi que ce soit d’autre qu’un
individu est une absurdité grammaticale. Et pourtant, la loi française,
par exemple, dans son actuel Code pénal, a toute une section titre
concernant les « crimes contre l’espèce humaine ». Elle contient des articles tels que l’Article 214-2, qui déclare le clonage passible de 30 ans d’emprisonnement, la même peine que celle prévue pour le meurtre (Article 221-1 du même Code pénal).
Faire de l’humanité non plus l’instance procédurale qui permet de juger
des agents de l’État, mais une substance un peu mystérieuse, a le défaut
de remplacer un remarquable outil international visant à contrôler les
États, par un outil national qui, au nom de la protection des biens
métaphysiques, redouble la puissance punitive de l’État à l’égard
d’agissements où il n’y a pourtant pas de victimes. N’est-il pas
inquiétant que l’État s’autorise à distribuer des peines aussi lourdes
pour punir ce qui n’est après tout qu’une technique procréative, au
détriment de toute prise en considération de l’intérêt des individus
eux-mêmes ? Aucune puissance, en effet, n’est potentiellement aussi
dangereuse que l’État.
Marcela Iacub est une spécialiste de la bioéthique et des législations
qui l’entourent et a écrit plus d’une dizaine d’ouvrage et de nombreux
articles sur ces questions, d’une importance cruciale pour les enjeux
transhumanistes. Bien qu’elle ne se réclame pas du libéralisme, elle
applique néanmoins une logique libérale à des questions jusqu’alors
non-étudiées et mal comprises, même par des libéraux déclarés. Voir
l’article « Marcela Iacub » sur Liberpédia pour un résumé de ses positions.
Voir George Reisman, Capitalism: A Treatise on Economics, Ottawa, Ill., Jameson Books, 1990 [1998], pp. 80-83.
Ainsi, il n'y a pas de différence de nature entre « réfugiés » et
« immigration économique », mais simplement de degré : dans les deux
cas, des personnes cherchent simplement à déménager d'une région dominée
par un État plus oppresseur (et donc plus pauvre) vers une région
dominée par un État moins oppresseur (et donc plus riche).
De même, les socialistes qui nous forcent dans des systèmes de santé
collectivisés ignorent également cet arbitraire-là, en prétendant
détenir une liste officielle de quels « besoins » de santé doivent être
payés par la collectivité et lesquels non. Ceci constitue bien entendu
une chimère, menant à des débats insolubles sur ce qui doit être
remboursé et ce qui ne doit pas l’être, ignorant complètement
l’individualité des besoins, désirs, préférences et priorités. Voir par
exemple Jan Krepelka, « L’étatisation des assurances, ou la collectivisation de notre vie quotidienne »
— ou faire un tour des actualités pour constater la myriade de
problèmes moraux prévisibles et insolubles qui surgissent sous la LAMal
suisse, la Sécurité sociale française, le NHS britannique, ou plus
récemment Obamacare aux États-Unis.
Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002, pp. 134-135.
Cette voie vers plus d'humanité demande effort et sacrifice, mais la
souffrance même, acceptée par amour pour nos frères, est porteuse de
progrès pour toute la famille humaine. Les chrétiens savent que l'union
au sacrifice du Sauveur contribue à l'édification du Corps du Christ
dans sa plénitude: le peuple de Dieu rassemblé.
À propos de la philosophie de l'Église catholique comme étant
diamétralement opposée à une perspective rationaliste et
pro-accomplissement-humain, voir les critiques proto-transhumanistes par
Ayn Rand de deux encycliques papaples :
-
Ayn Rand, « Of Living Death », 8 décembre 1968, réimprimé in The Voice of Reason, ch. 8, pp. 46-63.
-
Ayn Rand, « Requiem for Man », The Objectivist, juillet, août et septembre 1967, réimprimé in Capitalism: The Unknown Ideal, ch. 24, pp. 297-319.
Par conséquent, toute pratique tendant à commercialiser les organes
humains ou à les considérer comme des biens pouvant faire l’objet
d’échanges ou de commerce doit être considérée comme moralement
inacceptable, car utiliser le corps comme un « objet » signifie violer
la dignité de la personne humaine.
La « dignité de la personne humaine » étant un autre de ces
anti-concepts utilisés comme prétexte pour bafouer les droits véritables
de personnes humaines réelles (voir note 33).
La présomption de liberté est un impératif à la fois moral et logique. Voir Anthony de Jasay, « Liberalism, Loose or Strict », The Independent Review, vol. IX, nº 3, hiver 2005.
Voir Jan Krepelka, « Who says we need roads? », Jan Krepelka, « Laissez-faire: The Political Philosophy of Civilization », sec. 2.1., et Jan Krepelka, « 6 mois de vacances pour tous ! », Le Temps, 27 janvier 2012. Voir également Daniel J. Mitchell, Ph.D., « The Impact of Government Spending on Economic Growth ».
Ayn Rand, Atlas Shrugged.
Voir note 27.
Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002, pp. 140-141.
Voir notes 6, 7 et 12. De même, les autres anti-concepts comme celui de la « dignité humaine » (voir note 20), sont en fait des attaques contre les droits humains véritables. Voir Liberpédia, « Dignité humaine » ; Marcela Iacub, Le crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Paris, Flammarion, 2002, p. 9 ; Olivier Cayla, « Dignité humaine : le plus flou des concepts », Le Monde, 31 janvier 2003 ; et Jan Krepelka, « L’anti-concept dangereux de dignité ».
Les subtilités de cette approche sont expliquées par Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance,
Paris, PUF, 2002. Sur les responsabilités des parents envers leur
enfant à naître (ou leur enfant déjà né, d’ailleurs), et une critique de
l’approche habituelle consistant à ne constater que certains des dégâts
que les parents peuvent lui causer, tout en en ignorant de manière
commode toute une panoplie d’autres, voir Jan Krepelka, « Ignorer ses origines est-il vraiment le pire qui puisse arriver à un enfant? », Le Temps, 18 octobre 2012.
Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 236.
Le crime était presque sexuel..., op. cit., pp. 359-360.
Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 360.
Même « homme » et « femme », oui, peuvent certes être des catégories
pertinentes dans d’autres domaines, mais non dans celui du droit. Cf. Le crime était presque sexuel..., op. cit., pp. 345-346.
Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 366.
Il y aurait peut-être une innovation légale que nous devrions
mentionner : si nous atteignons l'immortalité, ou tout du moins un
allongement massif de l’espérance de vie possible, alors le meurtre
deviendra d’autant plus choquant, puisqu’il ne privera pas un individu
uniquement des quelques décennies restantes d’une existence de toutes
façons maudite, mais d’éons de développement possible, de croissances
intellectuelle et spirituelle que nous ne pouvons encore pas même
appréhender.
Ce d’autant plus que l’immortalité serait vraisemblablement choisie par
ceux qui ne croient pas en la vie après la mort (ou du moins, qui ne
sont pas prêts à littéralement parier leur vie dessus un jour plus tôt
que nécessaire), ce qui signifierait ipso facto que ceux qui la
choisissent envisagent ainsi leur « immortalité de l’âme ». Ainsi, tuer
un immortel serait l’équivalent non pas simplement de tuer un homme,
mais bien d’annihiler son âme, dans une perspective chrétienne
équivalente. Si ce n’est que la sacralité de l’âme serait effectivement
reconnue et respectée, ici et maintenant.
Et ainsi périt un autre qui aurait pu vivre mille ans.
La philosophie libérale individualiste, reconnaissant les droits individuels et la valeur unique de chaque être rationnel qua être rationnel, est déjà
la philosophie qui respecte le plus la vie humaine, contrairement aux
idéologies collectivistes qui voient les êtres humains comme de simples
pixels pouvant être réarrangés à volonté. Mais à partir de la
perspective d’une philosophie libérale transhumaniste appliquée, nous pouvons ainsi nous attendre à encore davantage
de considération pour la vie humaine, puisque l’évitabilité de la mort
rendra son absurdité encore plus criante. Voir à ce propos : Nick
Bostrom, « The Fable of the Dragon-Tyrant » [La fable du Dragon-Tyran], Journal of Medical Ethics, 2005, Vol. 31, nº 5, pp. 273-277.
Économiquement, la thèse de Piketty est que la distribution des
richesses devient de plus en plus inégale, la croissance des profits
excédant le taux de croissance des salaires. Admettons que cela soit
vrai. Et alors ? Il n’y a pas de ratio particulier de ces nombres
agrégés qui soit moralement préoccupant. Le problème (si cela était
vrai) serait la stagnation des salaires, non la non-stagnation d’autres
formes de revenu. Le problème ne serait pas l’amélioration du niveau de
vie des capitalistes, mais le manque d’amélioration de celui des autres.
J. Neil Schulman, Alongside Night.
Sur les droits en général et la question de la « bonne cause » en particulier, voir Ayn Rand, « Manuel d’américanisme », sec. 12, « Le motif change-t-il la nature d’une dictature ? » :
Lorsque nous disons que nous considérons les droits individuels comme
inaliénables, nous devons nous y tenir. Inaliénable signifie ce que nous
ne pouvons pas enlever, suspendre, enfreindre, restreindre ou violer —
jamais, à aucun moment, pour aucune raison.
Vous ne pouvez pas dire que « l’homme a des droits inaliénables excepté
par temps froid ou un mardi sur deux », pas plus que vous ne pouvez dire
que « l’homme a des droits inaliénables excepté dans une situation
d’urgence », ou « les droits de l’homme ne peuvent pas être violés, sauf
pour une bonne cause ».
Aussi bien Rothbard que Hoppe ont développé des défenses des droits de
propriété individuels fondées sur la logique et pertinents pour toute
sentience individuelle, non-dépendants de caractéristiques génétiques données :
-
Murray N. Rothbard, For a New Liberty: The Libertarian Manifesto, Auburn, Ala.: Ludwig von Mises Institute, [1973] 2002, sec. « Property Rights ».
-
Hans-Hermann Hoppe, The Economics and Ethics of Private Property,
Auburn, Ala.: Ludwig von Mises Institute, [1993] 2006, ch. 13, « On the
Ultimate Justification of the Ethics of Private Property ».
Ayn Rand, Capitalism: The Unknown Ideal, ch. 13, « Let us alone! ».
D) Le Transhumanisme : ce futur pas si lointain
Au départ du transhumanisme, un humanisme scientifique.
Parachever l’homme, le rendre meilleur :
la question est récurrente dans les textes sacrés des religions
monothéistes. La fabrication du Golem en est un exemple parlant. Pendant
la Renaissance, l’homme de sciences, des arts et des lettres est
également plasticien, à l’instar de Pic de la Mirandole. Il s’étudie
comme un objet, il se pense, s’analyse, devenant le « créateur de
lui-même ». C’est dans les années 50, avec le mouvement de l’Université
de Californie que naitra la notion de transhumanisme dont on attribue la
paternité à Julian Huxley. Le message de ce mouvement pro-libéral
claque au vent, comme l’étendard d’une émancipation nouvelle : personne
ne peut fixer les limites de notre propre nature. Une pensée animée par
l’idée que non seulement la science n’asservira pas l’homme, mais
qu’elle contribuera activement à sa libération.
Améliorer l’homme, qui peut être contre et qui devrait s’en inquiéter ?
La notion d’amélioration, d’optimisation
n’est pas une nouveauté dans l’histoire des idées. Elle est à la base
de la pensée de Condorcet. Et entre le tanshumanisme et le courant
anglo-saxon de l’« enhancement » ou l’augmentation, la rupture de
paradigme culturel est majeure, car il n’est plus question de créer un
homme meilleur mais un homme plus performant, plus efficace. Cette idée
même de perfection génère des angoisses pour plusieurs raisons. Elle
brise l’équilibre ancien d’un déterminisme naturel, avec la possibilité
inédite de réparer un homme que la société aurait considéré comme
« anormal », hors des normes. Réparer, améliorer, optimiser, le
transhumanisme bouleverse tout.
Et de fait, l’augmentation d’une caste
génère, une population de laissés-pour-compte. Dans la quête de
performance absolue émerge une tranche discriminée, les non-améliorés
qui seront logiquement considérés comme « plus à la hauteur », « hors du
jeu ». Mais ce n’est pas tout : la technique se régénère, elle se
réinvente. A l’image des mises à jours « Windows 1, 2, 3 », ne
risque-t-on pas de créer des individus à plusieurs vitesses ? Une
humanité version 1, 2, etc ?
Dès lors, la technique est-elle un vecteur d’inégalité ou d’émancipation ?
Question d’autant plus complexe que la
distinction entre l’homme augmenté et l’homme réparé n’est pas aussi
évidente qu’il n’y parait. Dans un futur pas si lointain, lorsqu’il sera
question de réparer un homme, on le fera à l’aide d’une technique
reprogrammable, intelligente et évolutive. L’homme réparé aura donc la
capacité de se récréer et d’accroître un écart discriminant avec le
reste de la population. Et si les techniques seront dans un premier
temps utilisées pour un homme malade, nul doute que les usages de
« conforts » ne tarderont pas à s’imposer, portés par tous ceux qui
revendiquent un accès équitable aux nouvelles sciences de la santé.
L’humain augmenté n’est pas le
sujet d’experts que l’on croit. C’est un vrai sujet de société, de
politiques publiques et de questions sociales.
Faire un état des lieux, anticiper les
besoins, les appréhensions et les moyens qui entourent l’homme
« réparé » et demain l’homme « augmenté », c’est le rôle du Comité
consultatif national d’éthique. Dans l’une de ses notes, le comité nous
met en garde :
« Les conséquences (du
transhumanisme) ne sont cependant pas qu’individuelles car le risque est
grand d’aboutir à une classe sociale « améliorée » constituée d’une
petite minorité d’individus bien informés et disposant des ressources
financières suffisantes pour y accéder. Il en résulterait une
aggravation de l’écart qui ne cesse de se creuser entre riches et
pauvres. Les riches devenant non seulement de plus en plus riches mais
aussi plus puissants, plus intelligents, voire plus heureux que les
autres, avec un risque évident de discrimination et même de domination.
La perception qu’aurait cette classe sociale « augmentée » des
paramètres de la bonne santé psycho-cognitive pourrait même s’en trouver
modifiée au point que soient considérés comme pathologiques les « non
augmentés », les « diminués ».
Le comité consultatif redoute également des dérives consuméristes et cosmétiques, au service de la performance :
« Après avoir décrit les techniques
biomédicales utilisées en vue de neuro-amélioration, il convient de
prendre la mesure de ce que l’on peut appeler le « phénomène sociétal de
neuroamélioration », c’est-à-dire le fait que certaines personnes non
malades recourent à ces techniques dans un but supposé de
neuro-amélioration. Le culte de la performance dans les sociétés
modernes, le recours « cosmétique » à de telles techniques, l’usage
détourné de médicaments conçus pour des pathologies spécifiques, les
enjeux militaires et financiers : cet ensemble de facteurs nécessite une
analyse du phénomène de neuro-amélioration quant à ses implications
sociétales ».
De la santé publique à la sécurité sociale, le transhumanisme est un enjeu bien plus concret qu’il n’y parait.
Des choix sociétaux et des politiques
publiques s’imposent. Si demain notre médecine devient partiellement
« améliorative », jusqu’où la collectivité pourra-t-elle participer à
son financement ? D’un point de vue économique, il n’est pas exclu de
penser que les individus augmentés contribuent de l’accroissement du PIB
d’une nation. De ce constat découlent également des choix politiques.
Si la technique permet de devenir meilleur, plus performant, ces
dispositions permettent-elles seules de légitimer une solidarité
collective de l’ « enhancement » ? Nul doute que certains
états, pour des raisons idéologiques ou religieuses s’opposeront à une
technique vecteur de discriminations et d’inégalités. Pas d’angoisse, le
temps de l’appropriation sociale et de la mise en place effective de
ces dispositions nous laissera sans doute le temps d’affiner et
d’adoucir les déclinaisons régionales et nationales de ces politiques.
Ne pas perdre de temps : le projet Calico
Pour Google et Apple, inutile de
tergiverser. Le train est en marche, sa course inévitable. L’humain
augmenté, c’est un investissement d’avenir. C’est le projet Calico,
acronyme pour « California Life Company ». Calico se présente
comme une société de biotechnologies fondée en 2013. Avec une audace
assumée, aussi fascinante qu’arrogante, la société se donne pour mission
la lutte contre le vieillissement et les maladies. Vaste programme. A
sa tête, Arthur Levinson, le président d’Apple. Si les géants américains
n’ont pas hésité longtemps avant de se lancer dans l’aventure, c’est
parce que la quête de l’immortalité colonise nos imaginaires comme un
fantasme irrépressible et universel. C’est également une belle opération
de marketing.
Faire de la transhumanité un enjeu de société.
Dès lors, peut-on affirmer que nous
allons vers une démocratisation de cette immortalité ? Pas vraiment.
Mais faire du transhumanisme un objet scientifique périphérique, ou un
gadget pour spécialiste chevronné serait un immense gâchis. Un
rendez-vous manqué avec une révolution des sciences et de la santé qui
nous concerne tous. Des choix de société vont s’imposer à nous et
l’improvisation n’est pas une option. C’est aujourd’hui qu’il faut
penser l’opportunité et le financement d’une médecine améliorative.
C’est aujourd’hui qu’il faut anticiper l’impact économique d’une société
de citoyens augmentés. Et c’est enfin cette approche technique qui doit
précéder les positionnements politiques et culturels qui détermineront à
termes comment chaque pays et chaque individu souhaite ou non s’engager
cette évolution en marche.
Pour aller plus loin
- Site du Calico Labs
- Comité consultatif national d’éthique
- Avis n°122 Recours aux techniques biomédicales en vue de « neuro-amélioration » chez la personne non malade: enjeux éthiques
- Pic de la Mirandole, Discours sur la Dignité de l’homme, 1486, collection philosophie imaginaire, éditions de l’éclat, 1993.
- Julian Huxley, « Towards a new humanism », Vers un nouvel humanisme,
1957, l’Age Nouveau : L’évolution I et II – N° 106 (2 volumes) de
Fev/Mars 1959 et Juillet/sept 1959
- Nicolas de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, 1794-1795.
E) « Le mythe du surhomme est de retour ! » Le transhumanisme.
Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !Le surhomme ou le
surhumain, comme vous le souhaitez, est une idée qui est posée par le
philosophe Nietzsche et qui servira de pilier à la rhétorique nazie et à
son premier représentant le dénommé Adolf H., ce qui me permet dès la
première phrase du premier paragraphe de cet édito d’atteindre le
célèbre point de Godwin (lien en annexe pour ceux qui ne sauraient pas
ce que c’est).Pourquoi commencer cet édito comme cela ? Évidemment, même
si cela va sans dire, disons-le quand même tant notre climat
intellectuel est délétère, ce n’est pas pour faire l’apologie d’une
doctrine qui a mené le monde dans l’horreur mais bien pour dénoncer le
retour de cette idée du surhomme qui revient parmi nous sous des atours
nettement plus séduisants, au nom de la science et du prôôgrès, mais qui
se résume, j’en ai bien peur, ni plus ni moins à un nazisme de masse,
mondialisé, constituant la poursuite du « rêve » hitlérien par d’autres
moyens.
Inferno
Dans le dernier roman de Dan Brown intitulé Inferno, qui
doit se traduire vraisemblablement en français par le mot « enfer », un
super méga méchant qui est un super génial docteur en biologie décide
par idéologie de fomenter un attentat biologique dans l’un des endroits
les plus touristiques afin de contaminer le plus vite possible la terre
entière avec un nouveau type de virus rendant l’ensemble de l’humanité
stérile.
Face aux problèmes engendrés par la surpopulation humaine et de façon
très pragmatique, ce chercheur arrive à la conclusion logique qu’il
faut impérativement réduire de façon drastique le nombre d’êtres humains
vivant sur terre.
Pour y arriver, la façon la plus élégante à laquelle sa réflexion
aboutit est d’une part l’utilisation d’un virus qui a pour immense
avantage de toucher le vivant mais pas les structures et permet d’éviter
les destructions matérielles des guerres, et l’infertilité comme
manière d’éviter un génocide généralisé. En une génération, son virus
étant imparfait, certains pourront tout de même se reproduire avec un
taux de l’ordre de 20 %, ce qui permettra la survie de l’espèce et la
réduction de la population à moins de 4 milliards d’habitants, ce qui
est nettement plus supportable pour notre environnement.
Dans son esprit, il sauve en réalité l’humanité d’elle-même et assure
ainsi la survie de l’espèce humaine. L’auteur d’ailleurs ne semble pas
si opposé que cela à cette idée de limitation de la population à travers
ce que j’appelle le génocide de la stérilité, qui évidemment favorise
les pays riches (ayant accès aux méthodes de procréation assistée) au
détriment des pays pauvres…
Cela reste avant tout un roman et tout rapport avec une baisse
drastique constatée et scientifiquement prouvée dans l’ensemble des pays
occidentaux ne serait que purement fortuite.
Ce chercheur se réclame d’une école de pensée appelée le «
transhumanisme » et même si pour le moment tout cela vous semble
lointain par rapport à l’économie, vous allez voir rapidement comment ce
sujet y est terriblement lié. Mais tout d’abord, arrêtons-nous sur
cette doctrine du transhumanisme.
Qu’est-ce que le transhumanisme ?
Wikipédia définit relativement bien cette idéologie moderne du
surhomme : « Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel
international prônant l’usage des sciences et des techniques afin
d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres
humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition
humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le
vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. Dans
cette optique, les penseurs transhumanistes comptent sur les
biotechnologies et sur d’autres techniques émergentes. Les dangers comme
les avantages que présentent de telles évolutions préoccupent aussi le
mouvement transhumaniste.
Le terme «transhumanisme» est symbolisé par «H+» (anciennement «>H»)
et est souvent employé comme synonyme d’«amélioration humaine». Bien que
le premier usage connu du mot «transhumanisme» remonte à 1957, son sens
actuel trouve son origine dans les années 1980, lorsque certains
futurologues américains ont commencé à structurer ce qui est devenu le
mouvement transhumaniste. Les penseurs transhumanistes prédisent que les
êtres humains pourraient être capables de se transformer en êtres dotés
de capacités telles qu’ils mériteraient l’étiquette de «posthumains».
Ainsi, le transhumanisme est parfois considéré comme un posthumanisme ou
encore comme une forme d’activisme caractérisé par une grande volonté
de changement et influencé par les idéaux posthumanistes. En France, ce
mouvement est représenté par des mouvements tels que l’Association
française transhumaniste, la Fondation FTSL, ou encore NeoHumanitas. Le
grand nombre d’approches transhumanistes différentes se reflète au sein
même de ces différents groupes.
La perspective transhumaniste d’une humanité transformée a suscité de
nombreuses réactions, tant positives que négatives, émanant d’horizons
de pensée très divers. Francis Fukuyama a ainsi déclaré, à propos du
transhumanisme, qu’il s’agit de l’idée la plus dangereuse du monde.
Francis Fukuyama, brillant intellectuel américain est l’auteur de La Fin de l’homme,
ouvrage dans lequel il exprime « ses inquiétudes face aux progrès des
biotechnologies et en particulier de leurs applications possibles sur
l’être humain. Parce qu’elles seront capables de transformer l’homme à
un degré insoupçonné jusqu’alors, elles risquent d’avoir des
conséquences extrêmement graves sur le système politique. Il est un
ennemi acharné du transhumanisme, mouvement appelant de ses vœux de
nombreuses évolutions technologiques afin de modifier l’humain et la
société, notamment dans le domaine des biotechnologies. »
Pour tout vous dire, je partage assez ses inquiétudes et c’est donc maintenant qu’intervient le rapport direct avec l’économie.
Le danger Google !
Nous connaissons tous ou presque Google, le célèbre moteur de
recherche, mais en réalité nous ne connaissons qu’une partie de Google,
sa partie la plus visible et finalement la plus sympathique. Nous
connaissons nettement moins le côté obscur de cette grande entreprise
dont le cours de l’action avoisine à très juste titre les 1 200 dollars
pièce…
Par exemple, on ne sait pas ou peu que Raymond Kurzweil, un type né
en 1948 et disons-le brillantissime et absolument génial, a rejoint la
société Google ni plus ni moins comme ingénieur en chef de la firme
Google fin 2012. Larry Page, le patron et actionnaire de cette
entreprise lui a donné carte blanche pour bâtir le Google du futur,
celui de demain, et tout cela va tellement vite que le futur c’est
vraiment demain… ou presque.
Ce que l’on ne sait pas ou peu, c’est que Raymond Kurzweil est l’un
des papes pour ne pas dire LE pape du mouvement transhumaniste mondial
et il incarne à merveille ce nouveau courant de pensée « technopathes »
(un nouveau syndrome où l’on devient un psychopathe de la technologie).
Or depuis 2012, depuis que Raymond Kurzweil est à la tête technique
de Google, nous assistons à un véritable festival d’acquisition de la
part de la société Google qui laisse parfaitement entrevoir la stratégie
totalement géniale au demeurant de ce qui va devenir la plus grande
entreprise mondiale de tous les temps d’ici une vingtaine d’années, et
qui sera bien loin du simple moteur de recherche que vous avez
l’habitude d’utiliser aujourd’hui dans votre quotidien.
La convergence des technologies NBIC
Voilà le Saint-Graal que poursuivent Google, Larry Page et Raymond
Kurzweil. Faire converger et fusionner les technologies NBIC,
c’est-à-dire les nanotechnologies, la bio-ingénierie, l’informatique et
la cognitique, le tout avec l’aide et l’appui indispensable de l’IA,
l’intelligence artificielle dont on parle depuis des décennies
maintenant mais qui devient enfin réalité.
L’objectif de Google est de changer le monde, notre monde, et de le
transformer radicalement afin de nous faire rentrer dans l’ère
post-humaine, dans un nouvel âge transhumaniste, de créer véritablement
LE surhomme, celui capable de fusionner avec la machine.
Dans la vision des dirigeants de cette entreprise, l’homme de demain
sera une espèce de cyborg quasi immortel made in Google. Le marché est
évidemment immense puisque la quête de l’immortalité est à peu près
aussi vielle que l’humanité et elle est à portée de mains… et de brevets
!
Évidemment, cela pose quelques petits problèmes d’ordre purement
éthiques et pragmatiques du type on ne va pas pouvoir être 100 milliards
sur terre, alors… qui doit-on « sacrifier » et « comment » ? Dans une
société où la moyenne d’âge serait de 2 siècles… comment aborder la
notion « d’enfance »… Heureusement, les transhumanistes pensent à tout
et l’utérus artificiel, dont Najat Belkassine voudra vraisemblablement
équiper de série tous les hommes uniquement afin de savourer son rêve
égalitariste, arrivera inévitablement un jour. Je cite à ce propos un
texte « transhumaniste » : « Indépendamment des hypothèses sur l’utérus
artificiel, qui pourrait permettre une totale exogenèse, indépendante
donc de la santé des parents, le maintien de corps jeunes pourrait
permettre à ceux et celles qui le choisiraient d’avoir un enfant à tout
âge »… Oui, nos chercheurs travaillent évidemment sur ce sujet
passionnant de la procréation par « exogenèse », c’est-à-dire en dehors
du corps humain… Quelle libération pour la femme, enfin !
Google s’est donc lancé dans une politique d’acquisition massive
d’entreprise de nano-technologie, de biologie et évidemment de robotique
en rachetant systématiquement les entreprises les plus prometteuses. Je
vous conseille à ce sujet l’excellent article de Laurent Alexandre
publiée dans le JDD dont je vous joins le lien en annexe et qui tire un
véritable signal d’alarme sur ce qui est en train de se jouer.
Quelques remarques et réflexions
Tout d’abord, ceux qui s’inquiètent de sujets comme la théorie du
genre, ou plus généralement des sujets sociétaux, eh bien… vous avez
raison de vous inquiéter car finalement, tout cela se regroupe
parfaitement bien sous l’étiquette transhumanisme pour changer les
hommes, pour changer l’humanité, mais les problèmes auxquels nous sommes
confrontés sont infiniment plus larges et aussi beaucoup plus
préoccupants !
Changer l’homme. C’est un vaste sujet, du nazisme aux religions, de
la franc-maçonnerie au communisme, nombreux sont ceux, à travers toutes
les époques qui ont voulu changer l’homme. Pour certains, il s’agit de
le rendre meilleur spirituellement, pour d’autres d’en faire un surhomme
au sens presque du super guerrier, et puis maintenant nous avons un
nouveau courant de pensée, le transhumanisme et ce qui est terrifiant
là-dedans, c’est que cette idéologie est portée et développée par l’une
des plus grandes entreprises du monde et qui deviendra vraisemblablement
un monstre aux mains d’intérêts uniquement privés et qui, comme tout
monstre froid au carrefour du pouvoir et de la richesse, ne sera
probablement pas doué de sagesse.
C’est un tout autre sujet mais je pense qu’il est important. Nous
sommes en 1997. En 1997, nous étions à l’aube de la révolution Internet.
Il s’en est passé des choses entre 1997 et aujourd’hui où nous
utilisons presque tous quotidiennement Internet le plus naturellement du
monde. Nous avons détesté la technologie, nous en avons eu peur, nous
ne souhaitions pas confier notre carte bleue à un site et puis
finalement nous l’avons adopté. Les réseaux ont changé notre vie. En
bien et en mal. Nous avons connu un essor considérable pour certaines
valeurs boursières, puis la bulle Internet a explosé en vol, mais la
technologie et ses applications sont restées.
En ce qui concerne la révolution NBIC et la convergence technologique
qu’elle va permettre, nous sommes en 1997, à l’aube de la
transformation et sa première phase prendra au moins une dizaine
d’années, même si les premiers humanoïdes seront commercialisés dès
2015, c’est-à-dire l’année prochaine. Comme nous sommes en 1997, c’est
le moment sans doute d’acheter quelques actions de Google, ou encore
d’autres entreprises liées à cette révolution NBIC en marche comme celle
du secteur de la robotique. J’y reviendrai sans doute dans d’autres
éditos tant ce sujet me passionne, me fascine et me fait frémir
intellectuellement.
Nous pouvons avoir peur car il y a de quoi. Nous pouvons être
enthousiastes aussi, car il y a de quoi. Mais nous devons veiller à
préserver ce qui fait de nous des êtres humains.
Bienvenue en 2084 ou 1984, dans Globalia qui est le
« meilleur des mondes » et sur lequel règne déjà en maître la société
Google dont l’idéologie perceptible n’est pas forcément saine, voire
même porte en elle quelques relents qui, pour utiliser un mot très à la
mode, sont nauséabonds. Il est important de voir les véritables dangers.
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »
Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à
sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans
concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com.
Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques.
Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement
www.lecontrarien.com.
La Franc-maçonnerie en parle
F) Différents liens sur le transhumanisme
G) Luc Ferry ubérisation et transhumanisme
Luc Ferry : "Le transhumanisme n'est pas absurde"
À rebours des sceptiques ou des catastrophistes, le philosophe voit dans
le projet transhumaniste une chance pour l'humanité. Interview.
Et si bientôt on vivait en forme bien plus de cent ans ? Les pionniers
des nouvelles technologies en sont persuadés et financent à millions les
innovations sanitaires permettant l'avènement d'un homme « augmenté ».
Comme le souligne le philosophe Luc Ferry, auteur d'un ouvrage sur ce mouvement (La Révolution transhumaniste, Plon),
les enjeux ne sont pas seulement médicaux, ils sont aussi
démographiques, économiques et politiques. Bref, tout le fonctionnement
et la nature de nos sociétés sont en train d'être chamboulés par ces
technorévolutions, que nos intellectuels et politiques passent...
Depuis des décennies, les philosophes
s’interrogent sur les conséquences sociales et culturelles des progrès
incessants du génie génétique, qui va bientôt permettre d’augmenter la durée de la vie humaine, d’éradiquer les maladies héréditaires ou encore de sélectionner,
dès le stade de l’embryon, des caractéristiques jugées désirables (yeux
bleus ? QI élevé ? Haute stature ? Endurance ? Tempérament de chef ?
Talent de danseur ?). Dans ce cadre, ils étudient l’émergence, aux
Etats-Unis, d’un puissant mouvement scientifique et philosophique, le
« transhumanisme », qui milite pour l’amélioration illimitée des
facultés physiques et intellectuelles des humains par tous les moyens,
génétiques, chimiques, mécaniques, informatiques – une « techno-médecine » qui s’adresserait aux gens bien portants. Dans sa forme ultime, le transhumanisme va jusqu’à préconiser la fusion physique entre les humains et les futurs réseaux d’ordinateurs dotés d’intelligence artificielle.
Parallèlement, des économistes étudient l’impact « disruptif » de l’Internet sur l’organisation du travail et la répartition des richesses – un processus que ses partisans appellent « économie collaborative » et ses détracteurs, « ubérisation de la société », en référence à l’entreprise américaine qui met à mal les compagnies de taxis traditionnelles du monde entier grâce à une application pour smartphones.
Une même infrastructure technique
Dans son dernier ouvrage, le philosophe Luc Ferry, connu du grand public pour avoir
été ministre de l’éducation nationale entre 2002 et 2004, se propose
d’analyser ces deux révolutions simultanément. Il reconnaît que
l’association de « deux questions en apparence fort différentes » peut sembler « curieuse », mais il affirme que, en réalité, les liens entre transhumanisme et ubérisation sont étroits, même s’ils sont « souterrains ».
Selon lui, les deux révolutions, génétique
et économique, s’appuient sur la même infrastructure technique :
l’Internet, le big data, l’intelligence artificielle, les
imprimantes 3D, la robotique, les nanotechnologies… Elles ont aussi le même fondement philosophique : dans les deux cas, il s’agit de donner aux humains la maîtrise de leur destin individuel « dans des pans entiers du réel, qui appartenaient encore naguère à l’ordre de la fatalité ». De même, elles sont sous-tendues par la même idéologie politique – l’ultralibéralisme anglo-saxon « pur et dur » et le techno-capitalisme futuriste, qui veulent « en finir à tout prix avec le poids des traditions ». Enfin, toutes deux sont organisées et financées par les mêmes acteurs : les multinationales de la Silicon Valley, notamment Google,
qui s’intéresse à toutes les formes de big data, y compris le
patrimoine génétique de l’humanité : le transhumanisme et la
Net-économie ont une patrie, l’Amérique.
« Hypercapitalisme » prédateur
Cette transversalité constitue l’originalité principale de l’ouvrage
de Luc Ferry, qui, pour le reste, est de facture très classique.
L’intention didactique est claire, puisqu’il cite et commente les écrits
de divers auteurs de convictions opposées. Cela dit, il injecte
massivement ses opinions personnelles. Dans le chapitre consacré au
transhumanisme, il fait une distinction entre deux courants. D’une part,
un transhumanisme « à visage humain », qu’il juge acceptable : il s’agit selon lui d’un « hyperhumanisme », héritier des philosophes français des Lumières, qui croyaient en la « perfectibilité potentiellement infinie de l’être humain ». D’autre part, il identifie un courant plus extrême, le « posthumanisme », qui prévoit « une hybridation systématique homme-machine », combinant la biologie, la robotique et l’intelligence artificielle – ce qui reviendrait à fabriquer « une tout autre espèce », très éloignée de l’Homo sapiens.Le désir d’immortalité passerait ainsi de la religion à la science. Là, le pédagogue cède la place au polémiste : pour Luc Ferry, le posthumanisme est « inquiétant », « absurdement réductionniste » et surtout « matérialiste », c’est-à-dire à la fois déterministe et athée. En filigrane, il semble reprocher au transhumanisme, modéré ou radical, de ne faire aucune place à la pensée religieuse européenne traditionnelle.
Quand il passe à l’analyse de l’économie
collaborative et des géants de l’Internet, Luc Ferry est moins dans son
élément, et moins érudit – visiblement, il est plus à l’aise avec
Condorcet qu’avec Sergey Brin. Son argumentaire consiste à réfuter les thèses des nouveaux utopistes de l’Internet, selon lesquels l’économie collaborative va détruire le capitalisme et instaurer une société plus équitable et plus solidaire. Luc Ferry affirme au contraire que les entreprises comme Uber ou Airbnb sont en train de créer un « hypercapitalisme » prédateur, « sauvagement concurrentiel, mercantile et dérégulateur », qui n’apportera ni bonheur ni prospérité.
En conclusion, après des digressions allant de Kant à Sophocle, il préconise, sans surprise, le retour d’un Etat à la fois « éclairé » et « fort », qui sera capable de réguler
ces révolutions en trouvant le juste milieu entre l’interdiction
brutale et le laisser-faire intégral. Il sait que la partie n’est pas
gagnée, car il se lamente à plusieurs reprises sur l’ignorance et
l’immobilisme des élites françaises, totalement désarmées face à ces
immenses bouleversements – une caste qu’il connaît bien car il en fait
partie intégrante, même quand il tente de le faire oublier.
La Révolution transhumaniste, de Luc Ferry (Plon, 216 pages, 17,90 euros).