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Communisme
1. conséquence logique de l'application cohérente du socialisme2. système politique proposé par Karl Marx, basé sur l'agression politique: Lire ci-dessous
"Cet ouvrage expose avec une clarté et une vigueur remarquables la nouvelle conception du monde, la matérialisme conséquent étendu à la vie sociale, la dialectique, science la plus vaste et la plus profonde de l'évolution, la théorie de la lutte des classes et du rôle révolutionnaire dévolu dans l'histoire mondiale au prolétariat, créateur d'une société nouvelle, la société communiste."
Lénine
Préface à l’édition allemande de 1872
La
Ligue des communistes, association ouvrière internationale
qui, dans les circonstances d'alors, ne pouvait être évidemment
que secrète, chargea les soussignés, délégués
au congrès tenu à Londres en novembre 1847, de rédiger
un programme détaillé, à la fois théorique
et pratique, du Parti et destiné à la publicité.
Telle est l'origine de ce Manifeste dont le manuscrit, quelques
semaines avant la révolution de Février [1],
fut envoyé à Londres pour y être imprimé.
Publié d'abord en allemand, il a eu dans cette langue au moins
douze éditions différentes en Allemagne, en Angleterre
et en Amérique. Traduit en anglais par Miss Hélène
Macfarlane, il parut en 1850, à Londres, dans le Red
Republican, et, en 1871, il eut, en Amérique, au moins
trois traductions anglaises. Il parut une première fois en
français à Paris, peu de temps avant l'insurrection de
juin 1848 [2],
et, récemment, dans Le Socialiste de New York. Une
traduction nouvelle est en préparation. On en fit une édition
en polonais à Londres, peu de temps après la première
édition allemande. Il a paru en russe à Genève,
après 1860. Il a été également traduit en
danois peu après sa publication.
Bien
que les circonstances aient beaucoup changé au cours des
vingt-cinq dernières années, les principes généraux
exposés dans ce Manifeste conservent dans leurs grandes
lignes, aujourd'hui encore, toute leur exactitude. Il faudrait
revoir, çà et là, quelques détails. Le
Manifeste explique lui-même que l'application des principes
dépendra partout et toujours des circonstances historiques
données, et que, par suite, il ne faut pas attribuer trop
d'importance aux mesures révolutionnaires énumérées
à la fin du chapitre II. Ce passage serait, à bien des
égards, rédigé tout autrement aujourd'hui. Etant
donné les progrès immenses de la grande industrie dans
les vingt-cinq dernières années et les progrès
parallèles qu'a accomplis, dans son organisation en parti, la
classe ouvrière, étant donné les expériences,
d'abord de la révolution de février, ensuite et surtout
de la Commune de Paris qui, pendant deux mois, mit pour la première
fois aux mains du prolétariat le pouvoir politique, ce
programme est aujourd'hui vieilli sur certains points. La Commune,
notamment, a démontré que "la classe ouvrière
ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat
et de la faire fonctionner pour son propre compte" (voir Der
Bürgerkrieg in Frankreich. Adresse des Generalrats der
Internationalen Arbeiterassoziation, édition allemande, S. 19,
où cette idée est plus longuement développée).
En outre, il est évident que la critique de la littérature
socialiste présente une lacune pour la période
actuelle, puisqu'elle s'arrête à 1847. Et, de même,
si les remarques sur la position des communistes à l'égard
des différents partis d'opposition (chapitre IV) sont exactes
aujourd'hui encore dans leurs principes, elles sont vieillies dans
leur application parce que la situation politique s'est modifiée
du tout au tout et que l'évolution historique a fait
disparaître la plupart des partis qui y sont énumérés.
Cependant,
le Manifeste est un document historique que nous ne nous attribuons
plus le droit de modifier. Une édition ultérieure sera
peut-être précédée d'une introduction qui
comblera la lacune entre 1847 et nos jours; la réimpression
actuelle nous a pris trop à l'improviste pour nous donner le
temps de l'écrire.
[1]
Il s'agit de la révolution de Février 1848 en
France.(N.R.)
[2]
Il s'agit de l'insurrection du prolétariat parisien qui eut
lieu les 23-26 juin; elle marqua le point culminant de la révolution
de 1848-1849 en Europe.(N.R.)
Karl Marx, Friedrich Engels
Londres, 24 juin 1872
Londres, 24 juin 1872
Préface de l'édition russe de 1882 Préface de l'édition allemande de 1883 Préface de l'édition anglaise de 1888 Préface de l'édition allemande de 1890 Préface de l'édition polonaise de 1892 Préface de l'édition italienne de 1893
Le manifeste du Parti communiste
I. Bourgeois et prolétaires
L'histoire
de toute société jusqu'à nos jours [3]
n'a été que l'histoire de luttes de classes.
Homme
libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf,
maître de jurande [4]
et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition
constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt
ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait
toujours soit par une transformation révolutionnaire de la
société tout entière, soit par la destruction
des deux classes en lutte.
Dans
les premières époques historiques, nous constatons
presque partout une organisation complète de la société
en classes distinctes, une échelle graduée de
conditions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des
patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des
esclaves; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres
de corporation, des compagnons, des serfs et, de plus, dans chacune
de ces classes, une hiérarchie particulière.
La
société bourgeoise moderne, élevée sur
les ruines de la société féodale, n'a pas aboli
les antagonismes de classes Elle n'a fait que substituer de nouvelles
classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de
lutte à celles d'autrefois.
Cependant,
le caractère distinctif de notre époque, de l'époque
de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de
classes. La société se divise de plus en deux vastes
camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées
: la bourgeoisie et le prolétariat.
Des
serfs du moyen âge naquirent les bourgeois des premières
agglomérations urbaines; de cette population municipale
sortirent les premiers éléments de la bourgeoisie.
La
découverte de l'Amérique, la circumnavigation de
l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau
champ d'action. Les marchés des Indes Orientales et de la
Chine, la colonisation de l'Amérique, le commerce colonial, la
multiplication des moyens d'échange et, en général,
des marchandises donnèrent un essor jusqu'alors inconnu au
négoce, à la navigation, à l'industrie et
assurèrent, en conséquence, un développement
rapide à l'élément révolutionnaire de la
société féodale en dissolution.
L'ancien
mode d'exploitation féodal ou corporatif de l'industrie ne
suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure
que s'ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa
place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres
de jurande; la division du travail entre les différentes
corporations céda la place à la division du travail au
sein de l'atelier même.
Mais
les marchés s'agrandissaient sans cesse : la demande croissait
toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante.
Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la
production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la
manufacture; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place
aux millionnaires de l'industrie, aux chefs de véritables
armées industrielles, aux bourgeois modernes.
La
grande industrie a créé le marché mondial,
préparé par la découverte de l'Amérique.
Le marché mondial accéléra prodigieusement le
développement du commerce, de la navigation, des voies de
communication. Ce développement réagit à son
tour sur l'extension de l'industrie; et, au fur et a mesure que
l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se
développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant
ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan les classes
léguées par le moyen âge.
La
bourgeoisie, nous le voyons, est elle-même le produit d'un long
développement, d'une série de révolutions dans
le mode de production et les moyens de communication.
A
chaque étape de l'évolution que parcourait la
bourgeoisie correspondait pour elle un progrès politique.
Classe opprimée par le despotisme féodal, association
armée s'administrant elle-même dans la commune
[5],
ici, république urbaine indépendante; là, tiers
état taillable et corvéable de la monarchie, puis,
durant la période manufacturière. contrepoids de la
noblesse dans la monarchie féodale ou absolue, pierre
angulaire des grandes monarchies, la bourgeoisie, depuis
l'établissement de la grande industrie et du marché
mondial, s'est finalement emparée de la souveraineté
politique exclusive dans l'Etat représentatif moderne. Le
gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les
affaires communes de la classe bourgeoise tout entière.
La
bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment
révolutionnaire.
Partout
où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds
les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les
liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à
ses "supérieurs naturels", elle les a brisés
sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre
l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures
exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les
frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme
chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les
eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la
dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a
substitué aux nombreuses libertés, si chèrement
conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un
mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions
religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte,
éhontée, directe, brutale.
La
bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes
les activités qui passaient jusque-là pour vénérables
et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin,
le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a
fait des salariés à ses gages.
La
bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité
qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à
n'être que de simples rapports d'argent.
La
bourgeoisie a révélé comment la brutale
manifestation de la force au moyen âge, si admirée de la
réaction, trouva son complément naturel dans la paresse
la plus crasse. C'est elle qui, la première, a fait voir ce
dont est capable l'activité humaine. Elle a créé
de tout autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs
romains, les cathédrales gothiques; elle a mené à
bien de tout autres expéditions que les invasions et les
croisades [6]
La
bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les
instruments de production, ce qui veut dire les rapports de
production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le
maintien sans changement de l'ancien mode de production était,
au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures,
la condition première de leur existence. Ce bouleversement
continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le
système social, cette agitation et cette insécurité
perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes
les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés
et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et
d'idées antiques et vénérables, se dissolvent;
ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier.
Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée,
tout ce qui était sacré est profané, et les
hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions
d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux
désabusés.
Poussée
par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la
bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout,
exploiter partout, établir partout des relations.
Par
l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un
caractère cosmopolite à la production et à la
consommation de tous les pays. Au grand désespoir des
réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa
base nationale. Les vieilles industries nationales ont été
détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont
supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption
devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations
civilisées, industries qui n'emploient plus des matières
premières indigènes, mais des matières premières
venues des régions les plus lointaines, et dont les produits
se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes
les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par
les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant
pour leur satisfaction les produits des contrées et des
climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des
provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se
développent des relations universelles, une interdépendance
universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production
matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit Les
oeuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété
commune de toutes. L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux
deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité
des littératures nationales et locales naît une
littérature universelle.
Par
le rapide perfectionnement des instruments de production et
l'amélioration infinie des moyens de communication, la
bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation
jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses
produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les
murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares
les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous
peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode
bourgeois de production ; elle les force à introduire chez
elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à
devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à
son image.
La
bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé
d'énormes cités; elle a prodigieusement augmenté
la population des villes par rapport à celles des campagnes,
et par là, elle a arraché une grande partie de la
population à l'abrutissement de la vie des champs. De même
qu'elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou
demi-barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les
peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l'Orient à
l'Occident.
La
bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens
de production, de la propriété et de la population.
Elle a aggloméré la population, centralisé les
moyens de production et concentré la propriété
dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces
changements a été la centralisation politique. Des
provinces indépendantes, tout juste fédérées
entre elles, ayant des intérêts, des lois, des
gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été
réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une
seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière
un seul cordon douanier.
La
bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine
séculaire, a créé des forces productives plus
nombreuses; et plus colossales que l'avaient fait toutes les
générations passées prises ensemble. La
domestication des forces de la nature, les machines, l'application de
la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la
navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes
électriques, le défrichement de continents entiers, la
régularisation des fleuves, des populations entières
jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait
soupçonné que de pareilles forces productives dorment
au sein du travail social ?
Voici
donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d'échange.
sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoise,
furent créés à l'intérieur de la société
féodale. A un certain degré du développement de
ces moyens de production et d'échange, les conditions dans
lesquelles la société féodale produisait et
échangeait, l'organisation féodale de l'agriculture et
de la manufacture, en un mot le régime féodal de
propriété, cessèrent de correspondre aux forces
productives en plein développement. Ils entravaient la
production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent
en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa.
A
sa place s'éleva la libre concurrence, avec une constitution
sociale et politique appropriée, avec la suprématie
économique et politique de la classe bourgeoise.
Nous
assistons aujourd'hui à un processus analogue. Les conditions
bourgeoises de production et d'échange, le régime
bourgeois de la propriété, la société
bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de
production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait
plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées.
Depuis des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du
commerce n'est autre chose que l'histoire de la révolte des
forces productives modernes contre les rapports modernes de
production, contre le régime de propriété qui
conditionnent l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il
suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour
périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société
bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement
non seulement une masse de produits déjà créés,
mais encore une grande partie des forces productives déjà
existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à
toute autre époque, eût semblé une absurdité,
s'abat sur la société, - l'épidémie de la
surproduction. La société se trouve subitement ramenée
à un état de barbarie momentanée; on dirait
qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous
ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent
anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a
trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop
d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle
dispose ne favorisent plus le régime de la propriété
bourgeoise; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce
régime qui alors leur fait obstacle; et toutes les fois que
les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles
précipitent dans le désordre la société
bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la
propriété bourgeoise. Le système bourgeois est
devenu trop étroit pour contenir les richesses créées
dans son sein. - Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ?
D'un côté, en détruisant par la violence une
masse de forces productives; de l'autre, en conquérant de
nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les
anciens. A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus
générales et plus formidables et à diminuer les
moyens de les prévenir. Les armes dont la bourgeoisie s'est
servie pour abattre la féodalité se retournent
aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même.
Mais
la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la
mettront à mort; elle a produit aussi les hommes qui manieront
ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires.
A
mesure que grandit la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se
développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers
modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail
et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital.
Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une
marchandise, un article de commerce comme un autre; ils sont exposés,
par conséquent, à toutes les vicissitudes de la
concurrence, à toutes les fluctuations du marché.
Le
développement du machinisme et la division du travail, en
faisant perdre au travail de l'ouvrier tout caractère
d'autonomie, lui ont fait perdre tout attrait. Le producteur devient
un simple accessoire de la machine, on n'exige de lui que l'opération
la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par
conséquent, ce que coûte l'ouvrier se réduit, à
peu de chose près, au coût de ce qu'il lui faut pour
s'entretenir et perpétuer sa descendance. Or, le prix du
travail [7],
comme celui de toute marchandise, est égal à son coût
de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus
les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur s'accroît
avec le développement du machinisme et de la division du
travail, soit par l'augmentation des heures ouvrables, soit par
l'augmentation du travail exigé dans un temps donné,
l'accélération du mouvement des machines, etc.
L'industrie
moderne a fait du petit atelier du maître artisan patriarcal la
grande fabrique du capitalisme industriel. Des masses d'ouvriers,
entassés dans la fabrique, sont organisés
militairement. Simples soldats de l'industrie, ils sont placés
sous la surveillance d'une hiérarchie complète de
sous-officiers et d'officiers. Ils ne sont pas seulement les esclaves
de la classe bourgeoise, de l'Etat bourgeois, mais encore, chaque
jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du
contremaître et surtout du bourgeois fabricant lui-même.
Plus ce despotisme proclame ouvertement le profit comme son but
unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant.
Moins
le travail exige d'habileté et de force, c'est-à-dire
plus l'industrie moderne progresse, et plus le travail des hommes est
supplanté par celui des femmes et des enfants. Les
distinctions d'âge et de sexe n'ont plus d'importance sociale
pour la classe ouvrière. Il n'y a plus que des instruments de
travail, dont le coût varie suivant l'âge et le sexe.
Une
fois que l'ouvrier a subi l'exploitation du fabricant et qu'on lui a
compté son salaire, il devient la proie d'autres membres de la
bourgeoisie : du propriétaire, du détaillant, du
prêteur sur gages, etc., etc.
Petits
industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout
l'échelon inférieur des classes moyennes de jadis,
tombent dans le prolétariat; d'une part, parce que leurs
faibles capitaux ne leur permettant pas d'employer les procédés
de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les
grands capitalistes; d'autre part, parce que leur habileté
technique est dépréciée par les méthodes
nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se
recrute dans toutes les classes de la population.
Le
prolétariat passe par différentes phases d'évolution.
Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même.
La
lutte est engagée d'abord par des ouvriers isolés,
ensuite par les ouvriers d'une même fabrique, enfin par les
ouvriers d'une même branche d'industrie, dans une même
localité, contre le bourgeois qui les exploite directement.
Ils ne dirigent pas seulement leurs attaques contre les rapports
bourgeois de production : ils les dirigent contre les instruments de
production eux-mêmes; ils détruisent les marchandises
étrangères qui leur font concurrence, brisent les
machines, brûlent les fabriques et s'efforcent de reconquérir
la position perdue de l'artisan du moyen age.
A
ce stade, le prolétariat forme une masse disséminée
à travers le pays et émiettée par la
concurrence. S'il arrive que les ouvriers se soutiennent par l'action
de masse, ce n'est pas encore là le résultat de leur
propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui, pour atteindre ses
fins politiques propres, doit mettre en branle le prolétariat
tout entier, et qui possède encore provisoirement le pouvoir
de le faire. Durant cette phase, les prolétaires ne combattent
donc pas leurs propres ennemis, mais les ennemis de leurs ennemis,
c'est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue,
propriétaires fonciers, bourgeois non industriels, petits
bourgeois. Tout le mouvement historique est de la sorte concentré
entre les mains de la bourgeoisie; toute victoire remportée
dans ces conditions est une victoire bourgeoise.
Or,
le développement de l'industrie, non seulement accroît
le nombre des prolétaires, mais les concentre en masses plus
considérables; la force des prolétaires augmente et ils
en prennent mieux conscience. Les intérêts, les
conditions d'existence au sein du prolétariat, s'égalisent
de plus en plus, à mesure que la machine efface toute
différence dans le travail et réduit presque partout le
salaire à un niveau également bas. Par suite de la
concurrence croissante des bourgeois entre eux et des crises
commerciales qui en résultent, les salaires deviennent de plus
en plus instables; le perfectionnement constant et toujours plus
rapide de la machine rend la condition de l'ouvrier de plus en plus
précaire; les collisions individuelles entre l'ouvrier et le
bourgeois prennent de plus en plus le caractère de collisions
entre deux classes. Les ouvriers commencent par former des coalitions
contre les bourgeois pour la défense de leurs salaires. Ils
vont jusqu'à constituer des associations permanentes pour être
prêts en vue de rébellions éventuelles. Çà
et là, la lutte éclate en émeute.
Parfois,
les ouvriers triomphent; mais c'est un triomphe éphémère.
Le résultat véritable de leurs luttes est moins le
succès immédiat que l'union grandissante des
travailleurs Cette union est facilitée par l'accroissement des
moyens de communication qui sont créés par une grande
industrie et qui permettent aux ouvriers de localités
différentes de prendre contact. Or, il suffit de cette prise
de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, qui
partout revêtent le même caractère, en une lutte
nationale, en une lutte de classes. Mais toute lutte de classes est
une lutte politique, et l'union que les bourgeois du moyen âge
mettaient des siècles à établir avec leurs
chemins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent
en quelques années grâce aux chemins de fer.
Cette
organisation du prolétariat en classe, et donc en parti
politique, est sans cesse détruite de nouveau par la
concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît
toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. Elle
profite des dissensions intestines de la bourgeoisie pour l'obliger à
reconnaître, sous forme de loi, certains intérêts
de la classe ouvrière : par exemple le bill de dix heures en
Angleterre.
En
général, les collisions qui se produisent dans la
vieille société favorisent de diverses manières
le développement du prolétariat. La bourgeoisie vit
dans un état de guerre perpétuel; d'abord contre
l'aristocratie, puis contre ces fractions de la bourgeoisie même
dont les intérêts entrent en conflit avec le progrès
de l'industrie, et toujours, enfin, contre la bourgeoisie de tous les
pays étrangers. Dans toutes ces luttes, elle se voit obligée
de faire appel au prolétariat, de revendiquer son aide et de
l'entraîner ainsi dans le mouvement politique. Si bien que la
bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments
de sa propre éducation, c'est-à-dire des armes contre
elle-même.
De
plus, ainsi que nous venons de le voir, des fractions entières
de la classe dominante sont, par le progrès de l'industrie,
précipitées dans le prolétariat, ou sont
menacées, tout au moins, dans leurs conditions d'existence.
Elles aussi apportent au prolétariat une foule d'éléments
d'éducation.
Enfin,
au moment où la lutte des classes approche de l'heure
décisive, le processus de décomposition de la classe
dominante, de la vieille société tout entière,
prend un caractère si violent et si âpre qu'une petite
fraction de la classe dominante se détache de celle-ci et se
rallie à la classe révolutionnaire, à la classe
qui porte en elle l'avenir. De même que, jadis, une partie de
la noblesse passa à la bourgeoisie, de nos jours une partie de
la bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette
partie des idéologues bourgeois qui se sont haussés
jusqu'à la compréhension théorique de l'ensemble
du mouvement historique.
De
toutes les classes qui, à l'heure présente, s'opposent
à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe
vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent
et périssent avec la grande industrie; le prolétariat,
au contraire, en est le produit le plus authentique.
Les
classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans,
paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu'elle est une menace
pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc
pas révolutionnaires, mais conservatrices; bien plus, elles
sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à
l'envers la roue de l'histoire. Si elles sont révolutionnaires,
c'est en considération de leur passage imminent au prolétariat
: elles défendent alors leurs intérêts futurs et
non leurs intérêts actuels; elles abandonnent leur
propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat.
Quant
au lumpenprolétariat [8],
ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de
la vieille société, il peut se trouver, çà
et là, entraîné dans le mouvement par une
révolution prolétarienne; cependant, ses conditions de
vie le disposeront plutôt à se vendre à la
réaction.
Les
conditions d'existence de la vieille société sont déjà
détruites dans les conditions d'existence du prolétariat.
Le prolétaire est sans propriété; ses relations
avec sa femme et ses enfants n'ont plus rien de commun avec celles de
la famille bourgeoise; le travail industriel moderne,
l'asservissement de l'ouvrier au capital, aussi bien en Angleterre
qu'en France, en Amérique qu'en Allemagne, dépouillent
le prolétaire de tout caractère national. Les lois, la
morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés
bourgeois derrière lesquels se cachent autant d'intérêts
bourgeois.
Toutes
les classes qui, dans le passé, se sont emparées du
pouvoir essayaient de consolider leur situation acquise en soumettant
la société aux conditions qui leur assuraient leurs
revenus propres. Les prolétaires ne peuvent se rendre maîtres
des forces productives sociales qu'en abolissant leur propre mode
d'appropriation d'aujourd'hui et, par suite, tout le mode
d'appropriation en vigueur jusqu'à nos jours. Les prolétaires
n'ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont à
détruire toute garantie privée, toute sécurité
privée antérieure.
Tous
les mouvements historiques ont été, jusqu'ici,
accomplis par des minorités ou au profit des minorités.
Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de
l'immense majorité au profit de l'immense majorité. Le
prolétariat, couche inférieure de la société
actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute
la superstructure des couches qui constituent la société
officielle.
La
lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu'elle ne
soit pas, quant au fond, une lutte nationale, en revêt
cependant tout d'abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat
de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie.
En
esquissant à grands traits les phases du développement
du prolétariat, nous avons retracé l'histoire de la
guerre civile, plus ou moins larvée, qui travaille la société
actuelle jusqu'à l'heure où cette guerre éclate
en révolution ouverte, et où le prolétariat
fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie.
Toutes
les sociétés antérieures, nous l'avons vu, ont
reposé sur l'antagonisme de classes oppressives et de classes
opprimées. Mais, pour opprimer une classe, il faut pouvoir lui
garantir des conditions d'existence qui lui permettent, au moins, de
vivre dans la servitude. Le serf, en plein servage, est parvenu a
devenir membre d'une commune, de même que le petit-bourgeois
s'est élevé au rang de bourgeois, sous le joug de
l'absolutisme féodal. L'ouvrier moderne au contraire, loin de
s'élever avec le progrès de l'industrie, descend
toujours plus bas, au-dessous même des conditions de vie de sa
propre classe. Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme
s'accroît plus rapidement encore que la population et la
richesse. Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de
remplir plus longtemps son rôle de classe dirigeante et
d'imposer à la société, comme loi régulatrice,
les conditions d'existence de sa classe. Elle ne peut plus régner,
parce qu'elle est incapable d'assurer l'existence de son esclave dans
le cadre de son esclavage, parce qu'elle est obligée de le
laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu de se
faire nourrir par lui. La société ne peut plus vivre
sous sa domination, ce qui revient à dire que l'existence de
la bourgeoisie n'est plus compatible avec celle de la société.
L'existence
et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition
essentielle l'accumulation de la richesse aux mains des particuliers,
la formation et l'accroissement du Capital; la condition d'existence
du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur
la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l'
industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre
et sans résistance, substitue à l'isolement des
ouvriers résultant de leur concurrence, leur union
révolutionnaire par l'association. Ainsi, le développement
de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le
terrain même sur lequel elle a établi son système
de production et d'appropriation. Avant tout, la bourgeoisie produit
ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat
sont également inévitables.
Notes
[1]
Pie IX, élu pape en 1846, passait pour "un libéral",
mais il n'était pas moins hostile au socialisme que le tsar
Nicolas I° qui, dès avant la révolution de 1848,
joua en Europe le rôle de gendarme. Juste à ce
moment-là, il y eut lieu un rapprochement entre Metternich,
chancelier de l'Empire autrichien et chef reconnu de toute la
réaction européenne, et Guizot, historien éminent
et ministre français idéologue de la grande
bourgeoisie financière et industrielle et ennemi
intransigeant du prolétariat. A la demande du gouvernement
prussien, Guizot expulsa Marx de Paris. La police allemande
persécutait les communistes non seulement en Allemagne mais
aussi en France, en Belgique et même en Suisse, s'efforçant
par tous les moyens d'entraver leur propagande. (N.R.)
[2]
On entend par bourgeoisie la classe des capitalistes modernes,
propriétaires des moyens de production sociale et qui
emploient le travail salarié. On entend par prolétariat
la classe des ouvriers salariés modernes qui, privés
de leurs propres moyens de production, sont obligés pour
subsister, de vendre leur force de travail. (Note d'Engels pour
l'édition anglaise en 1888).
[3]
Ou plus exactement l'histoire écrite. En 1847, l'histoire de
l'organisation sociale qui a précédé toute
l'histoire écrite, la préhistoire, était à
peu près inconnue. Depuis Haxthausen a découvert en
Russie la propriété commune de la terre. Maurer a
démontré qu'elle est la base sociale d'où
sortent historiquement toutes les tribus allemandes et on a
découvert, petit à petit, que la commune rurale, avec
possession collective de la terre, a été la forme
primitive de la société depuis les Indes jusqu'à
l'Irlande. Enfin, la structure de cette société
communiste primitive a été mise à nu dans ce
qu'elle a de typique par la découverte de Morgan qui a fait
connaître la nature véritable de la gens et sa place
dans la tribu. Avec la dissolution de ces communautés
primitives commence la division de la société en
classes distinctes, et finalement opposées. J'ai essayé
d'analyser ce procès de dissolution dans l'ouvrage l'Origine
de la famille, de la propriété privée et de
l'Etat, 2° édition, Stuttgart 1886. (Note d'Engels
pour l'édition anglaise de 1888).
Haxthausen, August (1792-1866), baron prussien. Le tsar Nicolas Ier l'autorisa à
visiter la Russie pour y étudier le régime agricole et
la vie des paysans (1843-1844). Haxthausen écrit un ouvrage
consacré à la description des vestiges du régime
communautaire dans les rapports terriens de la Russie. (N.R.)
Maurer, Georg Ludwig (1790-1872), historien allemand; il étudia le
régime de la Germanie et de l'Allemagne du moyen âge et
fit un apport important à l'étude de la marche du
moyen âge. (N.R.)
Morgan, Lewis Henry (1818-1881), ethnographe, archéologue et
historien américain. Grâce aux nombreuses données
ethnographiques accumulées au cours de son étude du
régime social et de la vie des Indiens de l'Amérique,
Morgan fonda sa doctrine sur l'évolution de la gens en tant
que la forme principale de la société primitive. C'est
à lui également qu'appartient la tentative de diviser
en périodes l'histoire de la société primitive
sans classes. Marx et Engels appréciaient beaucoup l'oeuvre
de Morgan. Marx fit un résumé de son ouvrage la
Société ancienne (1877). Dans son ouvrage l'Origine
de la famille, de la propriété privée et de
l'Etat, Engels cite les données de fait fournies par
Morgan. (N.R.)
[4]
Maître de jurande, c'est-à-dire membre de plein droit
d'une corporation, maître du corps de métier et non
juré. (Note d'Engels pour l'édition anglaise de 1888.)
[5]
On désignait sous le nom de communes les villes qui
surgissaient en France avant même qu'elles eussent conquis sur
leurs seigneurs et maîtres féodaux l'autonomie locale
et les droits politiques du "tiers état". D'une
façon générale, l'Angleterre apparaît ici
en tant que pays type du développement économique de
la bourgeoisie; la France en tant que pays type de son développement
politique. (Note d'Engels pour l'édition anglaise de 1888.)
C'est ainsi que les habitants des villes, en Italie et en France appelaient leur communauté urbaine, une fois achetés ou arrachés à leurs seigneurs féodaux leurs premiers droits à une administration autonome. (Note d'Engels pour l'édition allemande de 1890.)
C'est ainsi que les habitants des villes, en Italie et en France appelaient leur communauté urbaine, une fois achetés ou arrachés à leurs seigneurs féodaux leurs premiers droits à une administration autonome. (Note d'Engels pour l'édition allemande de 1890.)
[6]
Expéditions militaires et colonisatrices entreprises en
Orient par les gros féodaux et chevaliers de l'Europe de
l'Ouest aux XI°-XIII° siècles sous le couvert du mot
d'ordre religieux de libération de Jérusalem et de la
Terre sainte du joug musulman. (N.R.).
[7]
Dans les écrits postérieurs, Marx et Engels remplacent
les expressions "valeur du travail" et "prix du
travail" par ]es termes plus exacts "valeur de la force de
travail" et "prix de la force du travail" introduits
par Marx. (N.R.)
[8]
Le lumpenprolétariat (terme emprunté de l'allemand où
le mot "Lumpen" veut dire "haillons"), éléments
déclassés, voyous, mendiants, voleurs, etc. Le
lumpenprolétariat est incapable de mener une lutte politique
organisée; son instabilité morale, son penchant pour
l'aventure permettent à la bourgeoisie d'utiliser ses
représentants comme briseurs de grève, membres des
bandes de pogrom, etc. (N.R.)
II. Prolétaires et communistes
Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des
prolétaires ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres
partis ouvriers.
Ils
n'ont point d'intérêts qui les séparent de
l'ensemble du prolétariat.
Ils
n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils
voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les
communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux
points : 1. Dans les différentes luttes nationales des
prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts
indépendants de la nationalité et communs à tout
le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que
traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils
représentent toujours les intérêts du mouvement
dans sa totalité.
Pratiquement,
les communistes sont donc la fraction la plus résolue des
partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les
autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat
l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et
des fins générales du mouvement prolétarien.
Le
but immédiat des communistes est le même que celui de
tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en
classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du
pouvoir politique par le prolétariat.
Les
conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement
sur des idées, des principes inventés ou découverts
par tel ou tel réformateur du monde.
Elles
ne sont que l'expression générale des conditions
réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement
historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition des rapports
de propriété qui ont existé jusqu'ici n'est pas
le caractère distinctif du communisme.
Le
régime de la propriété a subi de continuels
changements, de continuelles transformations historiques.
La
Révolution française, par exemple, a aboli la propriété
féodale au profit de la propriété bourgeoise
Ce
qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la
propriété en général, mais l'abolition de
la propriété bourgeoise.
Or,
la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété
bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du
mode production et d'appropriation basé sur des antagonismes
de classes, sur l'exploitation des uns par les autres.
En
ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie
dans cette formule unique : abolition de la propriété
privée.
On
nous a reproché, à nous autres communistes, de vouloir
abolir la propriété personnellement acquise, fruit du
travail de l'individu, propriété que l'on déclare
être la base de toute liberté, de toute activité,
de toute indépendance individuelle.
La
propriété personnelle, fruit du travail et du mérite
! Veut-on parler de cette forme de propriété antérieure
à la propriété bourgeoise qu'est la propriété
du petit bourgeois du petit paysan ? Nous n'avons que faire de
l'abolir, le progrès de l'industrie l'a abolie et continue à
l'abolir chaque jour.
Ou
bien veut-on parler de la propriété privée
d'aujourd'hui, de la propriété bourgeoise ?
Mais
est-ce que le travail salarié, le travail du prolétaire
crée pour lui de la propriété ? Nullement. Il
crée le capital, c'est-à-dire la propriété
qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s'accroître
qu'à la condition de produire encore et encore du travail
salarié, afin de l'exploiter de nouveau. Dans sa forme
présente, la propriété se meut entre ces deux
termes antinomiques; le Capital et le Travail. Examinons les deux
termes de cette antinomie.
Etre
capitaliste, c'est occuper non seulement une position purement
personnelle, mais encore une position sociale dans la production. Le
capital est un produit collectif : il ne peut être mis en
mouvement que par l'activité en commun de beaucoup d'individu,
et même, en dernière analyse, que par l'activité
en commun de tous les individus, de toute la société.
Le
capital n'est donc pas une puissance personnelle; c'est une puissance
sociale.
Dès
lors, si le capital est transformé en propriété
commune appartenant à tous les membres de la société,
ce n'est pas une propriété personnelle qui se change en
propriété commune. Seul le caractère social de
la propriété change. Il perd son caractère de
classe.
Arrivons
au travail salarié.
Le
prix moyen du travail salarié, c'est le minimum du salaire,
c'est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires
pour maintenir en vie l'ouvrier en tant qu'ouvrier. Par conséquent,
ce que l'ouvrier s'approprie par son labeur est tout juste suffisant
pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple
expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette
appropriation personnelle des produits du travail, indispensable à
la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne
laissant aucun profit net qui confère un pouvoir sur le
travail d'autrui. Ce que nous voulons, c'est supprimer ce triste mode
d'appropriation qui fait que l'ouvrier ne vit que pour accroître
le capital, et ne vit qu'autant que l'exigent les intérêts
de la classe dominante. Dans la société bourgeoise, le
travail vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail
accumulé. Dans la société communiste le travail
accumulé n'est qu'un moyen d'élargir, d'enrichir et
d'embellir l'existence des travailleurs.
Dans
la société bourgeoise, le passé domine donc le
présent; dans la société communiste c'est le
présent qui domine le passé. Dans la société
bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis
que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni
personnalité.
Et
c'est l'abolition d'un pareil état de choses que la
bourgeoisie flétrit comme l'abolition de l'individualité
et de la liberté ! Et avec raison. Car il s'agit effectivement
d'abolir l'individualité, l'indépendance, la liberté
bourgeoises.
Par
liberté, dans les conditions actuelles de la production
bourgeoise, on entend la liberté de commerce, la liberté
d'acheter et de vendre.
Mais
si le trafic disparaît, le libre trafic disparaît aussi.
Au reste, tous les grands mots sur la liberté du commerce, de
même que toutes les forfanteries libérales de notre
bourgeoisie, n'ont un sens que par contraste avec le trafic entravé
avec le bourgeois asservi du moyen âge; ils n'ont aucun sens
lorsqu'il s'agit de l'abolition, par le communisme, du trafic, du
régime bourgeois de la production et de la bourgeoisie
elle-même.
Vous
êtes saisis d'horreur parce que nous voulons abolir la
propriété privée. Mais, dans votre société,
la propriété privée est abolie pour les neuf
dixièmes de ses membres. C est précisément parce
qu'elle n'existe pas pour ces neuf dixièmes qu'elle existe
pour vous. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de
propriété qui ne peut exister qu'à la condition
que l'immense majorité soit frustrée de toute
propriété. En un mot, vous nous accusez de vouloir
abolir votre propriété à vous. En vérité,
c'est bien ce que nous voulons.
Dès
que le travail ne peut plus être converti en capital, en
argent, en rente foncière, bref en pouvoir social capable
d'être monopolisé, c'est-à-dire dès que la
propriété individuelle ne peut plus se transformer en
propriété bourgeoise, vous déclarez que
l'individu est supprimé.
Vous
avouez donc que, lorsque vous parlez de l'individu, vous n'entendez
parler que du bourgeois, du propriétaire. Et cet individu-là,
certes, doit être supprimé.
Le
communisme n'enlève à personne le pouvoir de
s'approprier des produits sociaux; il n'ôte que le pouvoir
d'asservir à l'aide de cette appropriation le travail
d'autrui.
On
a objecté encore qu'avec l'abolition de la propriété
privée toute activité cesserait, qu'une paresse
générale s'emparerait du monde.
Si
cela était, il y a beau temps que la société
bourgeoise aurait succombé à la fainéantise,
puisque, dans cette société, ceux qui travaillent ne
gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas. Toute
l'objection se réduit à cette tautologie qu'il n'y a
plus de travail salarié du moment qu'il n'y a plus de capital.
Les
accusations portées contre le monde communiste de production
et d'appropriation des produits matériels l'ont été
également contre la production et l'appropriation des oeuvres
de l'esprit. De même que, pour le bourgeois, la disparition de
la propriété de classe équivaut à la
disparition de toute production, de même la disparition de la
culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute
culture.
La
culture dont il déplore la perte n'est pour l'immense majorité
qu'un dressage qui en fait des machines.
Mais
inutile de nous chercher querelle, si c'est pour appliquer à
l'abolition de la propriété bourgeoise l'étalon
de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit,
etc. Vos idées résultent elles-mêmes du régime
bourgeois de production et de propriété, comme votre
droit n'est que la volonté de votre classe érigée
en loi, volonté dont le contenu est déterminé
par les conditions matérielles d'existence de votre classe.
La
conception intéressée qui vous fait ériger en
lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de
production et de propriété - rapports transitoires que
le cours de la production fait disparaître - , cette
conception, vous la partagez avec toutes les classes dirigeantes
aujourd'hui disparues.
Ce
que vous admettez pour la propriété antique, ce que
vous admettez pour la propriété féodale, vous ne
pouvez plus l'admettre pour la propriété bourgeoise.
L'abolition
de la famille ! Même les plus radicaux s'indignent de cet
infâme dessein des communistes.
Sur
quelle base repose la famille bourgeoise d'à présent ?
Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude,
n'existe que pour la bourgeoisie; mais elle a pour corollaire la
suppression forcée de toute famille pour le prolétaire
et la prostitution publique.
La
famille bourgeoise s'évanouit naturellement avec
l'évanouissement de son corollaire, et l'une et l'autre
disparaissent avec la disparition du capital.
Nous
reprochez-vous de vouloir abolir l'exploitation des enfants par leurs
parents ? Ce crime-là, nous l'avouons.
Mais
nous brisons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant
à l'éducation par la famille l'éducation par la
société.
Et
votre éducation à vous, n'est-elle pas, elle aussi,
déterminée par la société ? Déterminée
par les conditions sociales dans lesquelles vous élevez vos
enfants, par l'immixtion directe ou non de la société,
par l'école, etc. ? Les communistes n'inventent pas l'action
de la société sur l'éducation; ils en changent
seulement le caractère et arrachent l'éducation à
l'influence de la classe dominante.
Les
déclamations bourgeoises sur la famille et l'éducation,
sur les doux liens qui unissent l'enfant à ses parents
deviennent de plus en plus écoeurantes, à mesure que la
grande industrie détruit tout lien de famille pour le
prolétaire et transforme les enfants en simples articles de
commerce, en simples instruments de travail.
Mais
la bourgeoisie tout entière de s'écrier en choeur :
Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté
des femmes !
Pour
le bourgeois, sa femme n'est autre chose qu'un instrument de
production. Il entend dire que les instruments de production doivent
être exploités en commun et il conclut naturellement que
les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la
socialisation.
Il
ne soupçonne pas qu'il s'agit précisément
d'arracher la femme à son rôle actuel de simple
instrument de production.
Rien
de plus grotesque, d'ailleurs, que l'horreur ultra-morale qu'inspire
à nos bourgeois la prétendue communauté
officielle des femmes que professeraient les communistes. Les
communistes n'ont pas besoin d'introduire la communauté des
femmes; elle a presque toujours existé.
Nos
bourgeois, non contents d'avoir à leur disposition les femmes
et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution
officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier
mutuellement.
Le
mariage bourgeois est, en réalité, la communauté
des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les
communistes de vouloir mettre à la place d'une communauté
des femmes hypocritement dissimulée une communauté
franche et officielle. Il est évident, du reste, qu'avec
l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra
la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire
la prostitution officielle et non officielle.
En
outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la
patrie, la nationalité.
Les
ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont
pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu
conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe
dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est
encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du
mot.
Déjà
les démarcations nationales et les antagonismes entre les
peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de
la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché
mondial, l'uniformité de la production industrielle et les
conditions d'existence qu'ils entraînent.
Le
prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore.
Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est
une des premières conditions de son émancipation.
Abolissez
l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez
l'exploitation d'une nation par une autre nation.
Du
jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur
de la nation, tombe également l'hostilité des nations
entre elles.
Quant
aux accusations portées d'une façon générale
contre le communisme, à des points de vue religieux,
philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas
un examen approfondi.
Est-il
besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les
idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot
leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs
conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ?
Que
démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la
production intellectuelle se transforme avec la production matérielle
? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été
que les idées de la classe dominante.
Lorsqu'on
parle d'idées qui révolutionnent une société
tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le
sein de la vieille société, les éléments
d'une société nouvelle se sont formés et que la
dissolution des vieilles idées marche de pair avec la
dissolution des anciennes conditions d'existence.
Quand
le monde antique était à son déclin, les
vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne.
Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes
cédèrent la place aux idées de progrès,
la société féodale livrait sa dernière
bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les
idées de liberté de conscience, de liberté
religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre
concurrence dans le domaine du savoir.
"Sans
doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales
philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées
au cours du développement historique. Mais la religion, la
morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient
toujours à travers ces transformations.
"Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d'en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur."
A
quoi se réduit cette accusation ? L'histoire de toute la
société jusqu'à nos jours était faite
d'antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques,
ont revêtu des formes différentes.
Mais,
quelle qu'ait été la forme revêtue par ces
antagonismes, l'exploitation d'une partie de la société
par l'autre est un fait commun à tous les siècles
passés. Donc, rien d'étonnant si la conscience sociale
de tous les siècles, en dépit de toute sa variété
et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes,
formes de conscience qui ne se dissoudront complètement
qu'avec l'entière disparition de l'antagonisme des classes.
La
révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le
régime traditionnel de propriété; rien
d'étonnant si, dans le cours de son développement, elle
rompt de la façon la plus radicale avec les idées
traditionnelles.
Mais
laissons là les objections faites par la bourgeoisie au
communisme.
Nous
avons déjà vu plus haut que la première étape
dans la révolution ouvrière est la constitution du
prolétariat en classe dominante, la conquête de la
démocratie.
Le
prolétariat se servira de sa suprématie politique pour
arracher petit à petit tout le capital à la
bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production
entre les mains de l'Etat, c'est-à-dire du prolétariat
organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite
la quantité des forces productives
Cela
ne pourra naturellement se faire, au début, que par une
violation despotique du droit de propriété et du régime
bourgeois de production, c'est-à-dire par des mesures qui,
économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables,
mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes
et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de
production tout entier.
Ces
mesures, bien entendu, seront fort différentes dans les
différents pays.
Cependant,
pour les pays les plus avancés, les mesures suivantes pourront
assez généralement être mises en application :
- Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'Etat.
- Impôt fortement progressif.
- Abolition de l'héritage.
- Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
- Centralisation du crédit entre les mains de l'Etat, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'Etat et qui jouira d'un monopole exclusif.
- Centralisation entre les mains de l'Etat de tous les moyens de transport.
- Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d'après un plan d'ensemble.
- Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.
- Combinaison du travail agricole et du travail industriel; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne.
- Education publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la production matérielle, etc.
Les
antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du
développement, toute la production étant concentrée
dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public
perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à
proprement parler, est le pouvoir organisé d'une classe pour
l'oppression d'une autre. Si le prolétariat, dans sa lutte
contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s'il
s'érige par une révolution en classe dominante et,
comme classe dominante, détruit par la violence l'ancien
régime de production, il détruit, en même temps
que ce régime de production, les conditions de l'antagonisme
des classes, il détruit les classes en général
et, par là même, sa propre domination comme classe.
A
la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses
classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où
le libre développement de chacun est la condition du libre
développement de tous.
III. Littérature socialiste et communiste
1. Le socialisme réactionnaire
Par
leur position historique, les aristocraties française et
anglaise se trouvèrent appelées à écrire
des pamphlets contre la société bourgeoise. Dans la
révolution française de juillet 1830, dans le mouvement
anglais pour la Réforme [1]
elles avaient succombé une fois de plus sous les coups de
cette arriviste abhorrée. Pour elles, il ne pouvait plus être
question d'une lutte politique sérieuse. Il ne leur restait
plus que la lutte littéraire. Or, même dans le domaine
littéraire, la vieille phraséologie de la Restauration
[2]
était devenue impossible. Pour se créer des sympathies,
il fallait que l'aristocratie fît semblant de perdre de vue ses
intérêts propres et de dresser son acte d'accusation
contre la bourgeoisie dans le seul intérêt de la classe
ouvrière exploitée. Elle se ménageait de la
sorte la satisfaction de chansonner son nouveau maître et
d'oser lui fredonner à l'oreille des prophéties d'assez
mauvais augure.
Ainsi
naquit le socialisme féodal où se mêlaient
jérémiades et libelles, échos du passé et
grondements sourds de l'avenir. Si parfois sa critique amère,
mordante et spirituelle frappait la bourgeoisie au cœur, son
impuissance absolue à comprendre la marche de l'histoire
moderne était toujours assurée d'un effet comique.
En
guise de drapeau, ces messieurs arboraient la besace du mendiant,
afin d'attirer à eux le peuple; mais, dès que le peuple
accourut, il aperçut les vieux blasons féodaux dont
s'ornait leur derrière et il se dispersa avec de grands éclats
de rire irrévérencieux.
Une
partie des légitimistes [3]
français et la Jeune Angleterre [4]
ont donné au monde ce spectacle.
Quand
les champions de la féodalité démontrent que le
mode d'exploitation féodal était autre que celui de la
bourgeoisie, ils n'oublient qu'une chose : c'est que la féodalité
exploitait dans des circonstances et des conditions tout à
fait différentes et aujourd'hui périmées. Quand
ils font remarquer que, sous le régime féodal, le
prolétariat moderne n'existait pas, ils n'oublient qu'une
chose : c'est que la bourgeoisie, précisément, a
nécessairement jailli de leur organisation sociale.
Ils
déguisent si peu, d'ailleurs, le caractère
réactionnaire de leur critique que leur principal grief contre
la bourgeoisie est justement de dire qu'elle assure, sous son régime
le développement d'une classe qui fera sauter tout l'ancien
ordre social.
Ils
reprochent plus encore à la bourgeoisie d'avoir produit un
prolétariat révolutionnaire que d'avoir créé
le prolétariat en général.
Aussi
dans la lutte politique prennent-ils une part active à toutes
les mesures de violence contre la classe ouvrière. Et dans
leur vie de tous les jours, en dépit de leur phraséologie
pompeuse, ils s'accommodent très bien de cueillir les pommes
d'or et de troquer la fidélité, l'amour et l'honneur
contre le commerce de la laine, de la betterave à sucre et de
l'eau-de-vie [5].
De
même que le prêtre et le seigneur féodal
marchèrent toujours la main dans la main, de même le
socialisme clérical marche côte à côte avec
le socialisme féodal.
Rien
n'est plus facile que de donner une teinture de socialisme à
l'ascétisme chrétien. Le christianisme ne s'est-il pas
élevé lui aussi contre la propriété
privée, le mariage, l'Etat ? Et à leur place n'a-t-il
pas prêché la charité et la mendicité, le
célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et
l'Eglise ? Le socialisme chrétien n'est que l'eau bénite
avec laquelle le prêtre consacre le dépit de
l'aristocratie.
b) Le socialisme petit-bourgeois
L'aristocratie
féodale n'est pas la seule classe qu'ait ruinée la
bourgeoisie, elle n'est pas la seule classe dont les conditions
d'existence s'étiolent et dépérissent dans la
société bourgeoise moderne. Les bourgeois et les petits
paysans du moyen âge étaient les précurseurs de
la bourgeoisie moderne. Dans les pays où l'industrie et le
commerce sont moins développés, cette classe continue à
végéter à côté de la bourgeoisie
florissante.
Dans
les pays où s'épanouit la civilisation moderne, il
s'est formé une nouvelle classe de petits bourgeois qui
oscille entre le prolétariat et la bourgeoisie; fraction
complémentaire de la société bourgeoise, elle se
reconstitue sans cesse; mais, par suite de la concurrence, les
individus qui la composent se trouvent sans cesse précipités
dans le prolétariat, et, qui plus est, avec le développement
progressif de la grande industrie, ils voient approcher l'heure où
ils disparaîtront totalement en tant que fraction autonome de
la société moderne, et seront remplacés dans le
commerce, la manufacture et l'agriculture par des contremaîtres
et des employés.
Dans
les pays comme la France, où les paysans forment bien plus de
la moitié de la population, il est naturel que des écrivains
qui prenaient fait et cause pour le prolétariat contre la
bourgeoisie aient appliqué à leur critique du régime
bourgeois des critères petits-bourgeois et paysans et qu'ils
aient pris parti pour les ouvriers du point de vue de la petite
bourgeoisie. Ainsi, se forma le socialisme petit-bourgeois. Sismondi
[6]
est le chef de cette littérature, non seulement en France,
mais en Angleterre aussi.
Ce
socialisme analysa avec beaucoup de sagacité les
contradictions inhérentes au régime de la production
moderne. Il mit à nu les hypocrites apologies des économistes.
Il démontra d'une façon irréfutable les effets
meurtriers du machinisme et de la division du travail, la
concentration des capitaux et de la propriété foncière,
la surproduction, les crises, la fatale décadence des petits
bourgeois et des paysans, la misère du prolétariat,
l'anarchie dans la production, la criante disproportion dans la
distribution des richesses, la guerre d'extermination industrielle
des nations entre elles, la dissolution des vieilles moeurs, des
vieilles relations familiales, des vieilles nationalités.
A
en juger toutefois d'après son contenu positif, ou bien ce
socialisme entend rétablir les anciens moyens de production et
d'échange, et, avec eux, l'ancien régime de propriété
et toute l'ancienne société, ou bien il entend faire
entrer de force les moyens modernes de production et d'échange
dans le cadre étroit de l'ancien régime de propriété
qui a été brisé, et fatalement brisé, par
eux. Dans l'un et l'autre cas, ce socialisme est à la fois
réactionnaire et utopique.
Pour
la manufacture, le régime corporatif; pour l'agriculture, le
régime patriarcal : voilà son dernier mot.
Au
dernier terme de son évolution, cette école est tombée
dans le lâche marasme des lendemains d'ivresse.
c) Le socialisme allemand ou socialisme "vrai"
La
littérature socialiste et communiste de la France, née
sous la pression d'une bourgeoisie dominante, expression littéraire
de la révolte contre cette domination, fut introduite en
Allemagne au moment où la bourgeoisie commençait sa
lutte contre l'absolutisme féodal.
Philosophes,
demi-philosophes et beaux esprits allemands se jetèrent
avidement sur cette littérature, mais ils oublièrent
seulement qu'avec l'importation de la littérature française
en Allemagne, les conditions de vie de la France n'y avaient pas été
simultanément introduites. Par rapport aux conditions de vie
allemandes, cette littérature française perdait toute
signification pratique immédiate et prit un caractère
purement littéraire. Elle ne devait plus paraître qu'une
spéculation oiseuse sur la réalisation de la nature
humaine. Ainsi, pour les philosophes allemands du XVIIIe siècle,
les revendications de la première Révolution française
n'étaient que les revendications de la "raison pratique"
en général, et les manifestations de la volonté
des bourgeois révolutionnaires de France n'exprimaient à
leurs yeux que les lois de la volonté pure, de la volonté
telle qu'elle doit être, de la volonté véritablement
humaine.
L'unique
travail des littérateurs allemands, ce fut de mettre à
l'unisson les nouvelles idées françaises et leur
vieille conscience philosophique, ou plutôt de s'approprier les
idées françaises en partant de leur point de vue
philosophique.
Ils
se les approprièrent comme on fait d'une langue étrangère
par la traduction.
On
sait comment les moines recouvraient les manuscrits des oeuvres
classiques de l'antiquité païenne d'absurdes légendes
de saints catholiques. A l'égard de la littérature
française profane, les littérateurs allemands
procédèrent inversement. Ils glissèrent leurs
insanités philosophiques sous l'original français. Par
exemple, sous la critique française du régime de
l'argent, ils écrivirent "aliénation de la nature
humaine", sous la critique française de l'Etat bourgeois,
ils écrivirent "abolition du règne de
l'universalité abstraite", et ainsi de suite.
La
substitution de cette phraséologie philosophique aux
développements français, ils la baptisèrent :
"philosophie de l'action", "socialisme vrai",
"science allemande du socialisme", "justification
philosophique du socialisme"' etc.
De
cette façon on émascula formellement la littérature
socialiste et communiste française. Et, comme elle cessait
d'être l'expression de la lutte d'une classe contre une autre
entre les mains des Allemands, ceux-ci se félicitèrent
de s'être élevés au-dessus de l'"étroitesse
française" et d'avoir défendu non pas de vrais
besoins, mais le besoin du vrai; non pas les intérêts du
prolétaire, mais les intérêts de l'être
humain, de l'homme en général, de l'homme qui
n'appartient à aucune classe ni à aucune réalité
et qui n'existe que dans le ciel embrumé de l'imagination
philosophique.
Ce
socialisme allemand, qui prenait si solennellement au sérieux
ses maladroits exercices d'écolier et qui les claironnait avec
un si bruyant charlatanisme, perdit cependant peu à peu son
innocence pédantesque.
Le
combat de la bourgeoisie allemande et surtout de la bourgeoisie
prussienne contre les féodaux et la monarchie absolue, en un
mot le mouvement libéral, devint plus sérieux.
De
la sorte, le "vrai" socialisme eut l'occasion tant
souhaitée d'opposer au mouvement politique les revendications
socialistes. Il put lancer les anathèmes traditionnels contre
le libéralisme, le régime représentatif, la
concurrence bourgeoise, la liberté bourgeoise de la presse, le
droit bourgeois, la liberté et l'égalité
bourgeoises; il put prêcher aux masses qu'elles n'avaient rien
à gagner, mais au contraire, tout à perdre à ce
mouvement bourgeois. Le socialisme allemand oublia, fort à
propos, que la critique française, dont il était
l'insipide écho, supposait la société bourgeoise
moderne avec les conditions matérielles d'existence qui y
correspondent et une Constitution politique appropriée, toutes
choses que, pour l'Allemagne, il s'agissait précisément
encore de conquérir.
Pour
les gouvernements absolus de l'Allemagne, avec leur cortège de
prêtres, de pédagogues, de hobereaux et de bureaucrates,
ce socialisme devint, contre la bourgeoisie menaçante,
l'épouvantail rêvé.
Il
ajouta son hypocrisie doucereuse aux coups de fouet et aux coups de
fusil par lesquels ces mêmes gouvernements répondaient
aux émeutes des ouvriers allemands.
Si
le "vrai" socialisme devint ainsi une arme contre la
bourgeoisie allemande aux mains des gouvernements, il représentait
directement, en outre, un intérêt réactionnaire,
l'intérêt de la petite bourgeoisie allemande. La classe
des petits bourgeois léguée par le XVIe siècle,
et depuis lors sans cesse renaissante sous des formes diverses,
constitue pour l'Allemagne la vraie base sociale du régime
établi.
La
maintenir, c'est maintenir en Allemagne le régime existant. La
suprématie industrielle et politique de la grande bourgeoisie
menace cette petite bourgeoisie de déchéance certaine,
par suite de la concentration des capitaux, d'une part, et de
l'apparition d'un prolétariat révolutionnaire, d'autre
part. Le "vrai" socialisme lui parut pouvoir faire d'une
pierre deux coups. Il se propagea comme une épidémie.
Des
étoffes légères de la spéculation, les
socialistes allemands firent un ample vêtement, brodé
des fines fleurs de leur rhétorique, tout imprégné
d'une chaude rosée sentimentale, et ils en habillèrent
le squelette de leurs "vérités éternelles",
ce qui, auprès d'un tel public, ne fit qu'activer l'écoulement
de leur marchandise.
De
son côté, le socialisme allemand comprit de mieux en
mieux que c'était sa vocation d'être le représentant
grandiloquent de cette petite bourgeoisie.
Il
proclama que la nation allemande était la nation exemplaire et
le philistin allemand, l'homme exemplaire. A toutes les infamies de
cet homme exemplaire, il donna un sens occulte, un sens supérieur
et socialiste qui leur faisait signifier le contraire de ce qu'elles
étaient. Il alla jusqu'au bout, s'élevant contre la
tendance "brutalement destructive" du communisme et
proclamant qu'il planait impartialement au-dessus de toutes les
luttes de classes. A quelques exceptions près, toutes les
publications prétendues socialistes ou communistes qui
circulent en Allemagne appartiennent à cette sale et énervante
littérature [7].
2. Le socialisme conservateur ou bourgeois
Une
partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux
anomalies sociales, afin de consolider la société
bourgeoise.
Dans
cette catégorie, se rangent les économistes, les
philanthropes, les humanitaires, les gens qui s'occupent d'améliorer
le sort de la classe ouvrière, d'organiser la bienfaisance, de
protéger les animaux, de fonder des sociétés de
tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout
acabit. Et l'on est allé jusqu'à élaborer ce
socialisme bourgeois en systèmes complets.
Citons,
comme exemple, la Philosophie de la misère de Proudhon.
Les
socialistes bourgeois veulent les conditions de vie de la société
moderne sans les luttes et les dangers qui en découlent
fatalement. Ils veulent la société actuelle, mais
expurgée des éléments qui la révolutionnent
et la dessolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat.
La bourgeoisie; comme de juste, se représente le monde où
elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois
systématise plus ou moins à fond cette représentation
consolante. Lorsqu'il somme le prolétariat de réaliser
ses systèmes et d'entrer dans la nouvelle Jérusalem, il
ne fait que l'inviter, au fond, à s'en tenir à la
société actuelle, mais à se débarrasser
de la conception haineuse qu'il s'en fait.
Une
autre forme de socialisme, moins systématique, mais plus
pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout
mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce
n'était pas telle ou telle transformation politique, mais
seulement une transformation des conditions de la vie matérielle,
des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez
que, par transformation des conditions de la vie matérielle,
ce socialisme n'entend aucunement l'abolition du régime de
production bourgeois, laquelle n'est possible que par la révolution,
mais uniquement la réalisation de réformes
administratives sur la base même de la production bourgeoise,
réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux
rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que
diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger
le budget de l'Etat.
Le
socialisme bourgeois n'atteint son expression adéquate que
lorsqu'il devient une simple figure de rhétorique.
Le
libre-échange, dans l'intérêt de la classe
ouvrière ! Des droits protecteurs, dans l'intérêt
de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires, dans
l'intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le
dernier mot du socialisme bourgeois, le seul qu'il ait dit
sérieusement.
Car
le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que
les bourgeois sont des bourgeois - dans l'intérêt de la
classe ouvrière.
3. Le socialisme et le communisme critico-utopiques
Il ne s'agit pas ici de la littérature qui, dans toutes les
grandes révolutions modernes, a formulé les
revendications du prolétariat (écrits de Babeuf,
etc.).
Les
premières tentatives directes du prolétariat pour faire
prévaloir ses propres intérêts de classe, faites
en un temps d'effervescence générale, dans la période
du renversement de la société féodale,
échouèrent nécessairement, tant du fait de
l'état embryonnaire du prolétariat lui-même que
du fait de l'absence des conditions matérielles de son
émancipation, conditions qui ne peuvent être que le
résultat de l'époque bourgeoise. La littérature
révolutionnaire qui accompagnait ces premiers mouvements du
prolétariat a forcément un contenu réactionnaire.
Elle préconise un ascétisme universel et un
égalitarisme grossier.
Les systèmes socialistes et communistes proprement dits, les
systèmes de Saint-Simon
, de Fourier, d'Owen, etc., font leur apparition dans la première
période de la lutte entre le prolétariat et la
bourgeoisie, période décrite ci-dessus (voir "Bourgeois
et prolétaires").
Les
inventeurs de ces systèmes se rendent bien compte de
l'antagonisme des classes, ainsi que de l'action d'éléments
dissolvants dans la société dominante elle-même.
Mais ils n'aperçoivent du côté du prolétariat
aucune initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit
propre.
Comme
le développement de l'antagonisme des classes marche de pair
avec le développement de l'industrie, ils n'aperçoivent
pas davantage les conditions matérielles de l'émancipation
du prolétariat et se mettent en quête d'une science
sociale, de lois sociales, dans le but de créer ces
conditions.
A
l'activité sociale, ils substituent leur propre ingéniosité;
aux conditions historiques de l'émancipation, des conditions
fantaisistes; à l'organisation graduelle et spontanée
du prolétariat en classe, une organisation de la société
fabriquée de toutes pièces par eux-mêmes. Pour
eux, l'avenir du monde se résout dans la propagande et la mise
en pratique de leurs plans de société.
Dans
la confection de ces plans, toutefois, ils ont conscience de défendre
avant tout les intérêts de la classe ouvrière,
parce qu'elle est la classe la plus souffrante. Pour eux le
prolétariat n'existe que sous cet aspect de la classe la plus
souffrante.
Mais
la forme rudimentaire de la lutte des classes, ainsi que leur propre
position sociale les portent à se considérer comme bien
au-dessus de tout antagonisme de classes. Ils désirent
améliorer les conditions matérielles de la vie pour
tous les membres de la société, même les plus
privilégiés. Par conséquent, ils ne cessent de
faire appel à la société tout entière
sans distinction, et même ils s'adressent de préférence
à la classe régnante. Car, en vérité, il
suffit de comprendre leur système pour reconnaître que
c'est le meilleur de tous les plans possibles de la meilleure des
sociétés possibles.
Ils
repoussent donc toute action politique et surtout toute action
révolutionnaire; ils cherchent à atteindre leur but par
des moyens pacifiques et essayent de frayer un chemin au nouvel
évangile social par la force de l'exemple, par des expériences
en petit qui échouent naturellement toujours.
La
peinture fantaisiste de la société future, à une
époque où le prolétariat, peu développé
encore, envisage sa propre situation d'une manière elle-même
fantaisiste, correspond aux premières aspirations instinctives
des ouvriers vers une transformation complète de la société.
Mais
les écrits socialistes et communistes renferment aussi des
éléments critiques. Ils attaquent la société
existante dans ses bases. Ils ont fourni, par conséquent, en
leur temps, des matériaux d'une grande valeur pour éclairer
les ouvriers. Leurs propositions positives en vue de la société
future - suppression de l'antagonisme entre la ville et la campagne,
abolition de la famille, du gain privé et du travail salarié,
proclamation de l'harmonie sociale et transformation de l'Etat en une
simple administration de la production - , toutes ces propositions ne
font qu'annoncer la disparition de l'antagonisme de classe,
antagonisme qui commence seulement à se dessiner et dont les
faiseurs de systèmes ne connaissent encore que les premières
formes indistinctes et confuses. Aussi, ces propositions n'ont-elles
encore qu'un sens purement utopique.
L'importance
du socialisme et du communisme critico-utopiques est en raison
inverse du développement historique. A mesure que la lutte des
classes s'accentue et prend forme, cette façon de s'élever
au-dessus d'elle par l'imagination, cette opposition imaginaire qu'on
lui fait, perdent toute valeur pratique, toute justification
théorique. C'est pourquoi, si, à beaucoup d'égards,
les auteurs de ces systèmes étaient des
révolutionnaires, les sectes que forment leurs disciples sont
toujours réactionnaires, car ces disciples s'obstinent à
maintenir les vieilles conceptions de leurs maîtres en face de
l'évolution historique du prolétariat. Ils cherchent
donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la lutte
des classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent à
rêver la réalisation expérimentale de leurs
utopies sociales - établissement de phalanstères isolés
[8],
création de home-colonies, fondation d'une petite Icarie [9],
édition in-douze de la Nouvelle Jérusalem, - et, pour
la construction de tous ces châteaux en Espagne, ils se voient
forcés de faire appel au coeur et à la caisse des
philanthropes bourgeois. Petit à petit, ils tombent dans la
catégorie des socialistes réactionnaires ou
conservateurs dépeints plus haut et ne s'en distinguent plus
que par un pédantisme plus systématique et une foi
superstitieuse et fanatique dans l'efficacité miraculeuse de
leur science sociale.
Ils
s'opposent donc avec acharnement à toute action politique de
la classe ouvrière, une pareille action ne pouvant provenir, à
leur avis, que d'un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile.
Les owenistes en Angleterre, les fouriéristes en France réagissent
les uns contre les chartistes [10],
les autres contre les réformistes
[11].
Notes
[1]
Il s'agit du mouvement de la réforme du droit électoral
dont le bill fut adopté par la Chambre des Communes en 1831
et ratifié par la Chambre des Lords en juin 1832 Cette
réforme visait à saper le monopole politique des
aristocrates —propriétaires fonciers et magnats de la
finance— et ouvrit l'accès du parlement aux
représentants de la bourgeoisie industrielle. Le prolétariat
et la petite bourgeoisie, les principaux protagonistes de la lutte
pour la réforme, furent dupés par la bourgeoisie
libérale et n'obtinrent pas de droits électoraux.
(N.R.)
[2]
Il ne s'agit pas de la Restauration anglaise de 1660-1689, mais de
la Restauration française de 1814-1830. (Note d'Engels pour
l'édition anglaise de 1888.)
[3]
Légitimistes, partisans de la dynastie "légitime"
des Bourbons détrônés en 1830 qui représentait
les intérêts de la grande propriété
terrienne héréditaire. Dans leur lutte contre la
dynastie régnante des Orléans, qui s'appuyait sur
l'aristocratie financière et la grande bourgeoisie, les
légitimistes recouraient souvent à la démagogie
sociale, se faisant passer pour défenseurs des travailleurs
contre les exploiteurs bourgeois. (N.R.)
[4]
La "Jeune Angleterre", groupe de politiciens et hommes de
lettre anglais appartenant au parti conservateur (les tories), formé
au début des années 40 du XIX° siècle.
Traduisant le mécontentement de l'aristocratie foncière
contre l'accroissement de la puissance économique et
politique de la bourgeoisie, les hommes d'action de la "Jeune
Angleterre" avaient recours à des procédés
démagogiques pour utiliser la classe ouvrière dans
leur lutte contre la bourgeoisie. (N.R.)
[5]
Cela concerne principalement l'Allemagne où l'aristocratie
agraire et les hobereaux exploitent la majeure partie de leurs
terres pour leur propre compte, à l'aide des gérants;
ils sont en outre de gros propriétaires de sucreries et
d'entreprises vinicoles. Les plus riches aristocrates anglais n'en
sont pas encore là; toutefois ils savent comment il faut
récupérer les pertes occasionnées par les
chutes de rente, en se faisant représenter par des fondateurs
de sociétés anonymes plus ou moins douteuses (Note
d'Engels pour l'édition anglaise de 1888.)
[6]
Sismondi Jean Charles Léonard (Sismonde de) (1773-1842),
historien et économiste suisse, représentant du
socialisme petit-bourgeois. Sismondi ne comprenait pas les tendances
progressistes de la grande production capitaliste et cherchait les
modèles dans les vieux us et coutumes; i1 estima nécessaire
de suivre l'exemple des anciennes corporations dans l'organisation
de l'industrie et, dans l'agriculture celui de la vieille
agriculture patriarcale bien que cela ne correspondît point
aux conditions économiques modifiées. (N.R.)
[7]
La tourmente révolutionnaire de 1848 a balayé toute
cette pitoyable école et fait passer à ses partisans
le goût de faire encore du socialisme. Le principal
représentant et le type classique de cette école est
Karl Grün. (Note d'Engels pour l'édition allemande de
1890.)
Karl Grün (1817-1887), publiciste petit-bourgeois allemand. (N.R.)
Karl Grün (1817-1887), publiciste petit-bourgeois allemand. (N.R.)
[8]
Le phalanstère était le nom des colonies socialistes
imaginées par Fourier. Cabet a donné le nom d'Icarie à
son pays utopique, et plus tard à sa colonie communiste en
Amérique. (Note d'Engels pour l'édition anglaise de
1888.)
[9]
Home-colonies (colonies à l'intérieur du pays). Owen
appelait de ce nom ses sociétés communistes modèles.
Les phalanstères étaient des palais sociaux imaginés
par Fourier. On donnait le nom d'Icarie au pays utopique dont Cabet
a décrit les institutions communistes. (Note d'Engels pour
l'édition Allemande de 1890).
[10]
Le chartisme, mouvement révolutionnaire de masse des ouvriers
anglais dû à la pénible situation économique
et à l'arbitraire politique. Le mouvement débuta vers
1840 par des meetings et des manifestations grandioses et se
poursuivit, discontinu, jusqu'en 1850 environ. L'absence d'une
direction révolutionnaire conséquente et d'un
programme nettement défini fut la cause essentielle des
insuccès du mouvement chartiste. (N.R.)
[11]
Allusion aux partisans du journal La Réforme (édité
à Paris de 1848 à 1851), qui préconisaient
l'instauration de la république et la mise en pratique de
réformes sociales et démocratiques. (N.R.)
IV. Position des communistes envers les différents partis d’opposition
D'après
ce que nous avons dit au chapitre II, la position des communistes à
l'égard des partis ouvriers déjà constitués
s'explique d'elle-même, et, partant, leur position à
l'égard des chartistes en Angleterre et des réformateurs
agraires dans l'Amérique du Nord.
Ils
combattent pour les intérêts et les buts immédiats
de la classe ouvrière; mais dans le mouvement présent,
ils défendent et représentent en même temps
l'avenir du mouvement.
En France, les communistes se rallient au
Parti démocrate-socialiste [1]
contre la bourgeoisie conservatrice et radicale, tout en se réservant
le droit de critiquer les phrases et les illusions léguées
par la tradition révolutionnaire.
En
Suisse, ils appuient les radicaux, sans méconnaître que
ce parti se compose d'éléments contradictoires, moitié
de démocrates socialistes, dans l'acception française
du mot, moitié de bourgeois radicaux.
En
Pologne, les communistes soutiennent le parti qui voit, dans une
révolution agraire, la condition de l'affranchissement
national, c'est-à-dire le parti qui fit, en 1846 [2],
l'insurrection de Cracovie.
En
Allemagne, le Parti communiste lutte d'accord avec la bourgeoisie,
toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement
contre la monarchie absolue, la propriété foncière
féodale et la petite bourgeoisie.
Mais,
à aucun moment, il ne néglige d'éveiller chez
les ouvriers une conscience claire et nette de l'antagonisme violent
qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que,
l'heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les
conditions politiques et sociales, créées par le régime
bourgeois, en autant d'armes contre la bourgeoisie, afin que, sitôt
détruites les classes réactionnaires de l'Allemagne, la
lutte puisse s'engager contre la bourgeoisie elle-même.
C'est
vers l'Allemagne que se tourne surtout l'attention des communistes,
parce que l'Allemagne se trouve à la veille d'une révolution
bourgeoise, parce qu'elle accomplira cette révolution dans des
conditions plus avancées de la civilisation européenne
et avec un prolétariat infiniment plus développé
que l'Angleterre et la France au XVII° et au XVIII° siècle,
et que par conséquent, la révolution bourgeoise
allemande ne saurait être que le prélude immédiat
d'une révolution prolétarienne.
En
somme, les communistes appuient en tous pays tout mouvement
révolutionnaire contre l'ordre social et politique existant.
Dans
tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété
à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu
arriver, comme la question fondamentale du mouvement.
Enfin,
les communistes travaillent à l'union et à l'entente
des partis démocratiques de tous les pays.
Les
communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et
leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent
être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre
social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à
l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires
n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un
monde à y gagner.
PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !
Notes
[1]
Ce parti était alors représenté au Parlement
par Ledru-Rollin, dans la littérature par Louis
Blanc et dans
la presse quotidienne par La Réforme. Ils désignaient
par démocratique-socialiste, nom qu'ils inventèrent,
la fraction du parti démocratique ou républicain, qui
était plus ou moins nuancée de socialisme. (Note
d'Engels pour l'édition anglaise de 1888.)
Ce qu'on appelait alors en France le Parti démocrate-socialiste était représenté en politique par Ledru-Rollin et dans la littérature par Louis Blanc; il était donc à cent lieues de la social-démocratie allemande d'aujourd'hui. (Note d'Engels pour l'édition allemande de 1890.)
Ce qu'on appelait alors en France le Parti démocrate-socialiste était représenté en politique par Ledru-Rollin et dans la littérature par Louis Blanc; il était donc à cent lieues de la social-démocratie allemande d'aujourd'hui. (Note d'Engels pour l'édition allemande de 1890.)
[2]
En février 1846 eut lieu la préparation d'une
insurrection en vue de la libération nationale de la Pologne.
Les démocrates révolutionnaires polonais furent les
principaux protagonistes de cette insurrection. (N.R.)
Communisme
De Wikiberal
Le communisme est un système théorique d'organisation sociale reposant sur la propriété commune des moyens de production. C'est également un mouvement politique qui prétend renverser le capitalisme pour instaurer une société sans classe.
Le communisme désigne également le système politique proposé par Karl Marx dont voici les 10 points-clés du Manifeste du Parti Communiste[1] :
- Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État;
- Impôt fortement progressif;
- Abolition de l'héritage;
- Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles;
- Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif;
- Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport;
- Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées d'après un plan d'ensemble;
- Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture;
- Combinaison du travail agricole et du travail industriel; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne;
- Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la production matérielle, etc.
Un système inéluctablement totalitaire
De nombreux auteurs ont montré que le communisme impliquait le totalitarisme. Les résultats des expériences communistes confirment toutes cette analyse.
Friedrich Hayek dans La Route de la servitude (1944) souligna que l'interventionnisme étatique était une pente glissante vers le totalitarisme, sur une « route de la servitude ».
La planification économique est le contrôle des moyens par lesquels les
hommes peuvent réaliser les fins qu'ils se fixent ainsi que le contrôle
de ces fins. Un contrôle total de la vie économique signifie que les
moyens et les fins humaines sont décidées par l'État et qu'ainsi la
liberté est abolie. John Jewkes développa une thèse proche dans Ordeal by planning (1946)
Karl Popper dans La Société ouverte et ses ennemis range Karl Marx avec Friedrich Hegel et Platon dans la lignée des intellectuels responsables de la genèse des idées totalitaires.
Un système économique qui ne peut pas fonctionner
Articles connexes : Exploitation, lutte des classes, baisse tendancielle du taux de profit, matérialisme historique et plus-value.
La théorie communiste, dans sa version marxiste,
se fonde sur un certain nombre de concepts dont la validité a été mise
en pièces depuis bien longtemps. Ces points sont développés dans les
articles concernés.
Michael Polanyi dans La Logique de la liberté montre que la planification
voulue par le communisme ne peut pas fonctionner car les ordres
monocentriques (dirigés d'en haut) sont incapables de gérer la masse
d'information utilisée dans les sociétés polycentriques.
Le débat sur le calcul économique dans une économie socialiste avait dès les années 1920-1930 établi l'impossibilité d'une économie socialiste, en se fondant cette fois là sur l'impossibilité d'une économie sans prix.
"De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins"
L'utopie
communiste "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins",
apparemment généreuse, ne pourrait se réaliser que dans un monde idéal
où la rareté serait éliminée. Cette idée fausse a laissée d'importantes traces dans les social-démocraties : ainsi, les dirigeants de la sécurité sociale française ne cachent pas que leur seule règle de gestion est "chacun cotise selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins"[2]. En pratique, on obtient des déficits continuels et un accroissement ininterrompu de la dette publique.
Les dirigeants socialistes étant amenés très vite à constater que
les besoins sont illimités alors que les moyens sont restreints, deux
stratégies leur sont ouvertes :
- limiter les besoins : rationnement, uniformisation, encadrement autoritaire de l'économie (contrebalancé par l'apparition du marché noir) ;
- augmenter les moyens : État-providence, spoliation, enfer fiscal (contrebalancé par l'exil des plus actifs)
Le communisme volontaire ?
Au plan politique, les libéraux sont opposés au communisme d'une part parce que celui-ci ne peut exister qu'avec la coercition et la violence, et d'autre part parce que l'idéal communiste est total et collectif.
Si des communautés veulent mettre en œuvre une espèce de
communisme en leur sein par mise en commun de tous les biens de leurs
membres, rien ne s'y oppose dans un régime libéral - tant que les droits de chacun sont respectés et que chacun a exprimé son consentement, comme c'est le cas pour certaines formes de coopération comme le mutualisme, ou dans certaines communautés religieuses monastiques ou laïques, adeptes d'une pauvreté volontaire (par exemple les huttérites).
Christian Michel résume ces remarques :
« Le communisme est un bel idéal. Que les communistes s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens. […] Ce qu'il faut combattre n'est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette idéologie. »
La raison de l'échec de toute idéologie collectiviste telle que le
communisme est que, dans un tel type d'organisation sociale, les
personnes les plus capables ne voient pas leurs mérites reconnus et
récompensés, et finissent par rejeter un collectif qui les exploite ; un
système où la responsabilité est collective pousse chacun à vivre aux
dépens des autres. La pauvreté
(faute de motivation à produire des biens et services) est ainsi le
résultat inéluctable du communisme politique. L'autoritarisme,
l'oppression et la dictature en constituent l'autre aspect : dans
l'optique d'un Lénine, le prolétariat ignore ce qui est bon pour lui et doit donc être contraint par le parti.
Une idéologie mortifère
Au socialisme proprement dit, qui est un collectivisme coercitif, le communisme, religion séculière selon Aron[3], rajoute une eschatologie. Pour l'idéologie marxiste, un état libre et abondant, dans lequel sera terminée la lutte des classes, s'établira plus tard, après la dictature du prolétariat et la phase présumée transitoire de capitalisme d'État.
Cet état utopique, le communisme, constituera une sorte de paradis
terrestre, l'adage "à chacun selon ses besoins" sera réalisé. On conçoit
aisément qu'au pays de Cocagne, où tous nos besoins sont satisfaits
magiquement, le communisme soit facile à instaurer (n'importe qui est
disposé à partager la surabondance), mais au nom de ce paradis terrestre
sont morts au XXe siècle des dizaines de millions d'êtres humains.
De nombreux rapprochements sont effectués entre le communisme soviétique et le nazisme, les deux grands totalitarismes qui signèrent le Pacte Germano-Soviétique le 23 août 1939.
Citations
- « Faire intervenir l'État, lui donner pour mission de pondérer les profits et d'équilibrer les fortunes, en prenant aux uns, sans consentement, pour donner aux autres, sans rétribution, le charger de réaliser l'œuvre du nivellement par voie de spoliation, assurément c'est bien là du Communisme. » (Frédéric Bastiat)
- « On ne peut bien vivre là où tout est en commun. Comment l'abondance de produits peut-elle se réaliser là où chacun essaye de se soustraire au travail, étant donné qu'il n'est point stimulé par la pensée de son propre profit et que la confiance dans le travail de l'autre le rend indolent ? » (Thomas More, Utopia, 1516)
- « Communisme : rêve de quelques-uns, cauchemar de tous. » (Victor Hugo, Choses vues)
- « Le communisme, c'est le nazisme, le mensonge en plus. » (Jean-François Revel)
- « Communistes : Votre ennemi c'est le mur mitoyen. Le mien, c'est le despotisme. J'aime mieux escalader les trônes que la haie du voisin. » (Victor Hugo, Choses vues)
- « Tous les révolutionnaires proclament à leur tour que les révolutions précédentes ont fini par tromper le peuple ; c'est leur révolution seule qui est la vraie révolution. « Tous les mouvements historiques précédents », déclarait le Manifeste communiste de 1848, « étaient des mouvements de minorités ou dans l'intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement conscient et indépendant de l'immense majorité, dans l'intérêt de l'immense majorité ». Malheureusement cette vraie révolution, qui doit apporter aux hommes un bonheur sans mélange, n'est qu'un mirage trompeur qui ne devient jamais une réalité. Elle est apparentée à l'âge d'or des millénaristes : toujours attendue, elle est toujours perdue dans les brumes du futur, échappant toujours à ses adeptes au moment où ils pensent la tenir. » (Vilfredo Pareto)
- « Les fruits ne comptent pour rien, l’arbre capitaliste est toujours coupable. Par contre les fruits du communisme sous toutes ses formes sont toujours empoisonnés mais l’arbre n’est jamais à blâmer, seul son jardinier le serait ! » (Xavier Prégentil)
- « En abolissant la propriété personnelle, le communisme ne fait que me rejeter plus profondément sous la dépendance d'autrui, autrui s'appelant désormais la généralité ou la communauté. Bien qu'il soit toujours en lutte ouverte contre l'État, le but que poursuit le communisme est un nouvel « État », un status, un ordre de choses destiné à paralyser la liberté de mes mouvements, un pouvoir souverain supérieur à moi. (...) Désormais toute distinction s'efface, tous étant des gueux, et la société communiste se résume dans ce qu'on peut appeler la « gueuserie » générale. » (Max Stirner)
- « Si on n'est pas communiste à 20 ans, c'est qu'on a pas de cœur. Si on l'est toujours à 40 ans, c'est qu'on a pas de tête. » (Attribuée à George Bernard Shaw (hautement improbable), Clemenceau, Winston Churchill)
- « Le Parti n'a pas raison parce que la doctrine est vraie, la doctrine est vraie parce que le Parti a toujours raison. » (Étienne Gilson)
- « Le communisme est synonyme de nihilisme, d'indivision, d'immobilité, de nuit, de silence. » (Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques)
- « Si les régimes communistes se sont effondrés, c'est parce qu'ils ont perdu leurs deux piliers : la foi et la peur. » (Václav Klaus, président tchèque)
- « L’une des plus amères ironies du XXe siècle fut que le communisme, qui se voulait une doctrine égalitaire et accusait le capitalisme d’égoïsme et de sacrifier cruellement les autres pour son bonheur, est devenu une fois au pouvoir un système d’un égoïsme et d’une cruauté telle qu’elle rendait les péchés du capitalisme pâles en comparaison. » (Thomas Sowell)
- « Le communisme n'est ni un système économique, ni un système politique. C'est une forme de folie, une aberration temporaire qui disparaîtra un jour de la surface de la terre parce qu'elle est contraire à la nature humaine. » (Ronald Reagan)
- « Le communisme, c'est une des seules maladies graves qu'on n'a pas expérimentées d'abord sur les animaux. » (Coluche) (humour)
- « Le communisme disparaîtrait demain, comme a disparu l’hitlérisme, que le monde moderne n’en poursuivrait pas moins son évolution vers ce régime de dirigisme universel auquel semblent aspirer les démocraties elles-mêmes. » (Georges Bernanos)
- « Communisme : système généreux, qui enrichit la population en l'appauvrissant, et rend l'homme plus libre en l'enfermant. » (Christian Millau, Dictionnaire d'un peu tout et n'importe quoi)
- « La plupart des gens qui ont lu le Manifeste du Parti Communiste ne réalisent probablement pas qu’il a été écrit par deux jeunes hommes qui n'avaient jamais travaillé un jour de leurs vies, et qui néanmoins parlaient hardiment au nom des "travailleurs". » (Thomas Sowell)
- « On peut définir le communisme comme un altruisme sans empathie. Ou plus péjorativement, comme un altruisme sans cœur. » (Mencius Moldbug)
- « Le communisme possède une langue que chacun peut comprendre : ses éléments sont la faim, l'envie, et la mort. » (Heinrich Heine)
- « Le communisme, pour s'implanter dans les institutions, avait besoin de la statolâtrie, c'est-à-dire de l'absolutisme monarchico-constitutionnel, qui dit : l’État ne cesse pas d'être tout-puissant, mais ce n'est plus un homme, c'est la nation affranchie, se gouvernant elle-même de concert avec son chef, le roi. Et ceux qui parlèrent ainsi eurent l'art de confisquer l’État et d'exclure du gouvernement et le roi et la nation. » (abbé Antoine Martinet, Statolâtrie, ou le Communisme légal, 1848)
- « Le communisme est une maladie de l'esprit. Il promet la fraternité universelle, la paix et la prospérité pour inciter les humanistes et les idéalistes à participer à un complot qui vise à conquérir le pouvoir par la tromperie et à y rester par la force brute. » (John Stormer, None Dare Call It Treason)
Karl Marx
De Wikiberal
Karl Marx (5 mai 1818 à Trèves en Rhénanie, alors dépendante du royaume de Prusse (aujourd'hui en Allemagne) - 14 mars 1883) est un philosophe et théoricien, célèbre pour sa critique du capitalisme et sa vision de l'histoire comme résultat de la lutte des classes - opposant les capitalistes et le prolétariat - à l'origine du marxisme[1]. Marx ayant travaillé en étroite collaboration avec son grand ami F. Engels, il ne sera pas question de démêler l'écheveau de leur écot respectif.
Pensée
Philosophie
La part philosophique de l'œuvre de K. Marx et F. Engels, réside principalement dans les œuvres de jeunesse (1842-1859),
jusqu'au "tournant" économique. Ayant délaissé leur premiers textes « à
la critique rongeuse des rats », le marxisme soviétique penchera en
faveur de l'abandon des textes de jeunesses, alors que le marxisme
occidental exploitera le côté philosophique de Marx. (cf. marxisme).
Au sein de cette première période, un Marx plutôt humaniste-libéral, plus proche de Kant et Fichte que de Hegel (défense des libertés, critique de la censure), « rencontre » Feuerbach et son matérialisme après la désillusion dans cet État prussien qui ne s'est pas réformé. Abandonnant la dialectique hégélienne entre 1848 et 1858 (pour la redécouvrir par la suite et lui redonner un statut nouveau au sein du système), il consacrera toute sa pensée au développement de ce matérialisme (critique de l'idéalisme) tant au niveau d'une théorie de la connaissance (la praxis, critique de l'idéologie et de la fausse conscience), que d'une anthropologie historique (la lutte des classes diachronique mise à jour par le matérialisme historique), d'une sociologie (l'Homme réel, social), sans abandonner le sous-bassement éthique qui porte, jusqu'au cœur des prétentions de scientificité (contre le « socialisme utopique »), le projet (exploitation et messianisme prolétarien). A la mort, de Marx, Engels continuera cette recherche dans le droit fil du « socialisme scientifique » auquel les deux amis étaient arrivés.
Au sein de cette première période, un Marx plutôt humaniste-libéral, plus proche de Kant et Fichte que de Hegel (défense des libertés, critique de la censure), « rencontre » Feuerbach et son matérialisme après la désillusion dans cet État prussien qui ne s'est pas réformé. Abandonnant la dialectique hégélienne entre 1848 et 1858 (pour la redécouvrir par la suite et lui redonner un statut nouveau au sein du système), il consacrera toute sa pensée au développement de ce matérialisme (critique de l'idéalisme) tant au niveau d'une théorie de la connaissance (la praxis, critique de l'idéologie et de la fausse conscience), que d'une anthropologie historique (la lutte des classes diachronique mise à jour par le matérialisme historique), d'une sociologie (l'Homme réel, social), sans abandonner le sous-bassement éthique qui porte, jusqu'au cœur des prétentions de scientificité (contre le « socialisme utopique »), le projet (exploitation et messianisme prolétarien). A la mort, de Marx, Engels continuera cette recherche dans le droit fil du « socialisme scientifique » auquel les deux amis étaient arrivés.
Homme
L'Homme se distingue de l'animal par son activité de production (le travail; exploitation d'un thème de Hegel). C'est un être social:
- « L'essence de l'homme n'est pas une abstraction inhérente à
l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports
sociaux. »
- Thèses sur Feuerbach, VI.
Il n'est en rien le "Robinson" abstrait de l'individu qu'étudie l'économie politique classique (homo œconomicus) ou celui du romantisme anarchiste (Stirner). Or, pris par les forces anonymes du marché,
obligés de vendre leur force de travail et mis en concurrence directe
avec les machines, ils sont déshumanisés (réification). De plus, ne
possédant pas les moyens de productions qui appartiennent aux patrons
bourgeois qui les a embauché (propriété
privée), n'étant qu'un rouage d'une grande machinerie de production,
ils perdent, de plus, le produit de leur travail (aliénation), grâce
auquel le patron se prend la part du lion (plus-value).
Même si l'homme est le produit de sa société, il peut néanmoins prendre conscience de sa situation en l'objectivant malgré la fausse conscience que crée l'idéologie de la classe bourgeoise (négation), ou encore parce que l'exploitation atteindra un niveau tout à fait inacceptable, puis dépasser cet état, par la praxis révolutionnaire (négation de la négation), et reprendre possession de toutes ses virtualités humaines, dans la société sans classe.
Même si l'homme est le produit de sa société, il peut néanmoins prendre conscience de sa situation en l'objectivant malgré la fausse conscience que crée l'idéologie de la classe bourgeoise (négation), ou encore parce que l'exploitation atteindra un niveau tout à fait inacceptable, puis dépasser cet état, par la praxis révolutionnaire (négation de la négation), et reprendre possession de toutes ses virtualités humaines, dans la société sans classe.
Matérialisme
La pensée de Marx rompt avec l’idéalisme allemand (notamment celui de Hegel,
Marx prétendant remettre « la dialectique hégélienne sur ses pieds »).
Elle est d'ailleurs matérialiste moins dans le sens physique (ce n'est
pas l'atomisme antique de Démocrite et Épicure, mais un matérialisme
dérivé de celui de Ludwig Feuerbach, principalement antireligieux,
critiqué en son temps par Max Stirner)
que dans le sens social. C’est l’être social qui explique la conscience
sociale, « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire
de la lutte des classes ». C'est donc un matérialisme historique (et même historiciste)
qui prétend donner le sens de l'Histoire, le seul moteur de cette
dernière étant l'évolution des forces productives matérielles. Ainsi les
idéologies
sont des théories produites par les hommes, déterminées par les
rapports que l'homme a avec le monde et par le contexte social dans
lequel vit l'homme ; par exemple, la religion,
"opium du peuple", soutient le système capitaliste et justifie les
inégalités sociales ; par ailleurs, les idées dominantes sont celles de
la classe dominante. Dans l'optique matérialiste marxiste, les idées ne
possèdent pas de valeur ni de vérité par elles-mêmes : elles sont
conditionnées par les rapports sociaux et les rapports de production
(d'où un polylogisme
qui sera critiqué par von Mises). Les idées marxistes, qui prennent
fait et cause pour le prolétariat, n'échappent pas à ce
conditionnement : leur seule différence avec les idées "bourgeoises"
serait qu'elles "vont dans le sens de l'Histoire".
Histoire
Elle mène des grands singes (76) au socialisme (planisme)
- « Seule une organisation consciente de la production sociale, dans laquelle production et répartition sont planifiées peut élever les hommes au-dessus du reste du monde animal au point de vue social de la même façon que la production en général les a élevés en tant qu'espèce. L'évolution historique rend une telle organisation de jour en jour plus indispensable, mais aussi de jour en jour plus réalisable. D'elle datera une nouvelle époque de l'histoire, dans laquelle les hommes eux-mêmes, et avec eux toutes les branches de leur activité, notamment les sciences de la nature, connaîtront un progrès qui rejettera dans l'ombre la plus profonde tout ce qui l'aura précédé. » (76)
Fin de la lutte des classes = société sans classe = fin de l'Histoire.
Economie
La valeur-travail
Cette idée signifie que la valeur d'échange vient entièrement du travail.
Cela implique que le patron ne peut prélever son profit que sur la
valeur créée par les travailleurs. Quels que soient les salaires qu'il
leur accorde, il les exploite. Il est dans sa nature de patron de les
exploiter.
La première formulation de la théorie de la valeur-travail se trouve chez Adam Smith. Incapable de prendre la suite de l'École scolastique et des auteurs qu'il connaissait (Cantillon, Condillac, Ferdinando Galiani),
Smith dissocie complètement la valeur d'usage et la valeur d'échange,
et cherche un étalon pour mesurer cette dernière. Cet étalon invariable,
il croit le trouver dans le travail.
Ricardo,
de la même manière, dans son exemple du joaillier laborieux, évoque
l'estime des consommateurs : il est payé deux fois plus par heure qu'un
travailleur ordinaire pour cette raison. Il se réfère donc aux "valeurs"
présentes dans la tête des consommateurs.
Marx reprendra la même idée par sa notion de "travail socialement
nécessaire", c'est-à-dire une espèce de moyenne d'heures de travail
pour une tâche donnée, moyenne impliquée, à un moment donné dans le
temps et dans l'espace, par l'état de la technique, du savoir-faire, des
moeurs, des désirs, etc.
Un problème se pose néanmoins : les valeurs des marchandises ne
sont pas réglées uniquement par les quantités de travail incorporées,
mais aussi par la "longueur du temps qui doit s'écouler avant qu'elles
puissent être portées sur le marché", comme dit Ricardo. Ce qui signifie
que la valeur d'une pièce de tissu n'a pas la même composition que
celle d'un avion supersonique.
Si Ricardo admettait que cette théorie était une approximation,
Marx, lui, la transformera en vérité absolue. Il s'est demandé comment
des marchandises qui paraissent si diverses, si hétérogènes quant à leur
valeur d'usage pouvaient être rendues comparables entre elles. La
solution, qu'il trouve chez Smith et Ricardo, c'est que les marchandises
sont toutes le produit du travail, toutes du "travail cristallisé".
C'est ainsi qu'elles peuvent s'échanger.
La plus-value et l'exploitation du prolétariat
Marx distingue le travail, dont la quantité est mesurée en heures de travail, et d'autre part la force de travail,
dont la valeur est donnée par la quantité de travail qui est incluse
dans les biens et services que le travailleur consomme. Considérez le
travailleur lui-même comme une sorte de machine dans laquelle on
enfourne des biens et services, et à la sortie de la machine, cela
produit de la force de travail. La force de travail est le résultat d'un
processus de production. D'un côté vous mettez du pain, de l'eau, des
habits, un logement,
bref de quoi satisfaire les besoins élémentaires d'un être humain, et
de l'autre vous obtenez une marchandise qui est la force de travail, et
cette force de travail, comme toute marchandise, est soumise à la loi de
la valeur-travail, c'est-à-dire que sa valeur est égale à la quantité
de travail "socialement nécessaire", autrement dit la quantité en
moyenne nécessaire pour élever, nourrir, loger le travailleur et
satisfaire à ses besoins sexuels et à sa reproduction.
Le patron tire du travailleur une quantité de travail toujours
supérieure à la valeur de la force de travail. Cette différence, c'est
la plus-value.
Exemple : la force de travail est de 4h par jour, et la journée
de travail est de 8h. Les 4h supplémentaires ne sont donc pas payées.
Elles constituent la plus-value extorquée aux travailleurs. Elles
donnent la mesure de l'exploitation du travailleur.
Si on rapporte la plus-value (pl) à la force de travail (V), on
obtient le taux d'exploitation pl/V. Dans cet exemple, le taux
d'exploitation est de 100%.
Pourquoi y aurait-il toujours une différence entre la valeur de
la force de travail et la quantité de travail effectuée par les
travailleurs ? C'est la difficulté de la théorie. Il y a deux manières
d'y répondre : par la loi d'airain des salaires, et par la théorie de la
coalition des patrons.
La loi d'airain des salaires
Article détaillé : Loi d'airain des salaires.
La force de travail est considérée comme une marchandise ordinaire. En tant que marchandise, elle obéit aux mêmes lois de l'offre et de la demande. N'importe quelle marchandise ?
Quand le prix d'une marchandise augmente au-dessus, disons, du
prix habituel, nous savons que la production de cette marchandise
augmente jusqu'à ce que le prix retrouve le niveau habituel, toutes
choses égales par ailleurs. Et dans le cas inverse où le prix descend
au-dessous du prix minimum, la production diminue jusqu'à ce que le prix
retrouve son niveau habituel, toutes choses égales par ailleurs.
Le raisonnement est exactement le même pour la production de la
force de travail. Si le prix de cette force de travail augmente
au-dessus du salaire
de subsistance nécessaire à l'entretien du travailleur, ou plus
précisément à l'entretien et à la reproduction du travailleur, la
"production" de travailleurs va augmenter ! Cela revient à supposer que
les travailleurs se reproduisent en fonction de leur salaire... Le
nombre de travailleurs ayant augmenté, l'offre de la force de
travailleurs va se trouver supérieure à la demande qu'en font les
patrons. L'offre étant supérieure à la demande, le prix de la force de
travail va baisser. Et par conséquent, le salaire va être ramené au
niveau du salaire de subsistance.
Cette "loi" qui ramène le salaire obligatoirement au niveau du salaire de subsistance, provient de Turgot et de Lassale. L'inspiration de ce dernier provient en droite ligne du Principe de population de Malthus.
Reste à savoir ce qu'on entend par minimum vital. Lassale lui-même
reconnaît qu'il faut tenir compte des "habitudes nationales", ce qui
enlève beaucoup de tranchant à cet airain ! Il ne s'agit plus d'un
minimum physiologique, mais d'une sorte de minimum socio-culturel. La
"loi" perd donc beaucoup de sa rigueur. Et comment définir un tel
minimum ? Il est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, de
définir un minimum socio-culturel qu'un minimum physiologique. Pour ne
rien dire des variations de ces minima d'individu à individu, au sein
d'une même société.
Marx a considéré la loi d'airain comme une aberration, et s'est
brouillé avec son auteur. Il veut bien du salaire de subsistance, mais
il refuse son fondement démographique. L'idée que les travailleurs ne
peuvent s'empêcher de proliférer dès que leur salaire augmente lui
paraissait comme une insulte à l'égard de la classe ouvrière.
Pour sauver du naufrage la théorie du salaire de subsistance, Marx trouve une parade : celle de la coalition des patrons.
La coalition des patrons
Les capitalistes louent aux prolétaires leur force de travail, et se
constituent en cartel pour éliminer entre eux la concurrence sur le
marché du travail et maintenir ainsi le salaire au plus bas niveau
possible. Et ce plus bas niveau possible ne peut être que le salaire de
subsistance. De fait, le salaire ne peut descendre durablement
au-dessous de ce niveau, sauf à imaginer que la bourgeoisie pousse la
cruauté et la bêtise jusqu'à se priver elle-même de la source de ses
profits, la source de la plus-value étant dans le travail des salariés.
Et le salaire ne peut monter, non plus, au-dessus du salaire de
subsistance, car les patrons feraient alors un cadeau inutile au
prolétariat, se privant pour rien d'une part de leurs profits.
La théorie est donc sauvée. Mais au prix d'une faute logique qui
sera lourde de conséquence. En effet, a priori, il n'y a aucune raison
d'admettre que les patrons pourraient, même s'ils le voulaient,
remplacer leur concurrence sur le marché du travail par une coalition.
Et à supposer même qu'une telle coalition puisse se former, rien ne
prouve qu'elle pourrait être durable. A priori, rien n'empêche
d'imaginer une solution inverse où une coalition ouvrière louerait leurs
machines aux capitalistes et leur servirait un loyer leur permetttant
tout juste de survivre et de se reproduire, accaparant pour elle la
totalité de la plus-value. Entre ces deux situations extrêmes, rien
n'empêche d'envisager une infinité de cas intermédiaires où la
plus-value serait partagée entre patron et salariés. Bref en abandonnant
le fondement démo-économique du salaire de subsistance, Marx a tout
simplement ruiné sa théorie. Il est tombé de Charybde — l'absurdité du
minimum de subsistance — en Scylla — l'absurdité d'un monopole patronal
de l'embauche.
Voici la démonstration mathématique de cette faille de
raisonnement. Soit V le capital variable, correspondant aux salaires, et
C le capital constant, correspondant aux machines, outils, bâtiments,
terre, etc.
Soit pl, la plus-value tirée par le patron du travail des salariés.
On définit E, le taux d'exploitation par E = (pl / V) (cf. supra), et P, le taux de profit, par P = pl / (C + V)
La composition « organique » du capital de l'entreprise considérée est définie par l'équation K = (C + V) / V
Soit pl, la plus-value tirée par le patron du travail des salariés.
On définit E, le taux d'exploitation par E = (pl / V) (cf. supra), et P, le taux de profit, par P = pl / (C + V)
La composition « organique » du capital de l'entreprise considérée est définie par l'équation K = (C + V) / V
A l'aide de ces différentes équations, on peut exprimer le taux
de profit (P) en fonction de la composition organique du capital (K) et
du taux d'exploitation (E) :
- pl = V x E
- P = V x E /(C+V)
- donc P = E/K.
Or, dans les conditions de concurrence parfaite (c'est le cas chez
Marx), le taux d'exploitation (E) et le taux de profit (P) sont les
mêmes dans toutes les branches de production, quelle que soit la
composition organique du capital. Or la dernière équation montre que si
la composition organique du capital (K) varie de branche à branche ou
d'entreprise à entreprise, le taux d'exploitation (E) étant donné et
partout le même, le taux de profit (P) varie de branche à branche ou
d'entreprise à entreprise. Ce qui est impossible.
Organisation politique
Une politique omniprésente
L'homme ne peut être scindé en deux privé/public,
membre de la société civile/citoyen politique: la politique doit abolir
la société civile. (43b).
Un programme provisoire pour les pays les plus avancés:
«Ne fusse-t-il qu'un stade transitoire de capitalisme d'État, il paraît loin (deux ans plus tôt), à l'heure des « armées industrielles », le Paradis communiste de l'Idéologie allemande, qui ayant dépassé l'État, donne à l'homme « la possibilité de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir ». Lénine pouvait-il appliquer une autre politique ? Si bien que les marxistes n'ont pas échappé à la division du travail : si Marx et Engels ont écrit le début, Staline aura écrit la fin, que connaissaient déjà les libéraux, a priori.
- Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État.
- Impôt fortement progressif.
- Abolition de l'héritage.
- Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
- Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif.
- Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport.
- Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d'après un plan d'ensemble.
- Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.
- Combinaison du travail agricole et du travail industriel; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne.
- Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la production matérielle, etc. »
— Manifeste du Parti communisme, II. Prolétaires et communistes (1847)
Suppression de la propriété privée
« Il devra tout d'abord enlever l'exercice de l'industrie et de toutes les branches de la production, en général, aux individus isolés, se faisant concurrence les uns aux autres, pour les remettre à la société tout entière — ce qui signifie qu'elles seront gérées pour le compte commun, d'après un plan commun et avec la participation de tous les membres de la société. Il supprimera, par conséquent, la concurrence et lui substituera l'association. Étant donné d'autre part que l'exercice de l'industrie par des individus isolés implique nécessairement l'existence de la propriété privée et que la concurrence n'est pas autre chose que ce mode d'activité de l'industrie où un certain nombre de personnes privées la dirigent, la propriété privée est inséparable de l'exercice de l'industrie par des individus isolés, et de la concurrence. La propriété privée devra donc être également supprimée et remplacée par l'utilisation collective de tous les moyens de production et la répartition de tous les produits d'un commun accord, ce qu'on appelle la communauté des biens. La suppression de la propriété privée est même le résumé le plus bref et le plus caractéristique de cette transformation de toute la société que rend nécessaire le développement de l'industrie. Pour cette raison, elle constitue, à juste titre, la principale revendication des communistes. »
— Friedrich Engels, Principes du communisme, XIV. Quel doit être ce nouvel ordre social ? (1847)
Fin de la division du travail — société sans classes
« L'existence des classes est provoquée par la division du travail. Dans la nouvelle société, la division du travail, sous ses formes actuelles, disparaîtra complètement. […] La gestion sociale de la production ne peut être assurée par des hommes qui, comme c'est le cas aujourd'hui, seraient étroitement soumis à une branche particulière de la production, enchaînés à elle, exploités par elle, n'ayant développé qu'une seule de leurs facultés aux dépens des autres et ne connaissant qu'une branche ou même qu'une partie d'une branche de la production. […] L'industrie exercée en commun, et suivant un plan, par l'ensemble de la collectivité suppose des hommes dont les facultés sont développées dans tous les sens et qui sont en état de dominer tout le système de la production. […] L'éducation donnera la possibilité aux jeunes gens de s'assimiler rapidement dans la pratique tout le système de la production, elle les mettra en état de passer successivement de l'une à l'autre des différentes branches de la production selon les besoins de la société ou leurs propres inclinations. […] Ainsi, la société organisée sur la base communiste donnera à ses membres la possibilité d'employer dans tous les sens leurs facultés, elles-mêmes harmonieusement développées. […] De telle sorte que la société communiste, d'une part, est incompatible avec l'existence des classes et, d'autre part, fournit elle-même les moyens de supprimer ces différences de classes. De ce fait, l'antagonisme entre la ville et la campagne disparaîtra également. L'exercice de l'agriculture et de l'industrie par les mêmes hommes, au lieu d'être le fait de classes différentes, est une condition nécessaire de l'organisation communiste. »
— F. Engels, Principes du communisme, XX. Quelles sont les conséquences de la propriétés privées ? (1847)
On trouve dans ces affirmations toute l'ambiguïté des thèses marxistes : « selon les besoins de la société » (marxisme autoritaire) ou « leurs propres inclinations » (marxisme démocratique).
Internationalisme
« Les ouvriers n'ont pas de patrie. […] Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'ils entraînent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation. Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation. Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles. […] Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
— Manifeste du Parti communiste (1847)
Point de vue libéral
Si les libéraux s'accordent à reconnaître la fausseté des thèses marxistes en économie politique et de l'analyse marxiste du capitalisme, certains libertariens affirment que la philosophie marxiste de l’histoire demeure
un outil d’analyse irremplaçable pour faire prendre conscience aux gens
de l’exploitation qu’ils subissent dans nos démocraties sociales
contemporaines (Christian Michel), la classe dominante dans cette analyse "marxiste-libérale" étant celle des politiciens et des agents de l'État, qui ne subsiste que par la prédation.
Hans-Hermann Hoppe remarque que le marxisme (comme le libertarisme) interprète à juste titre l'État comme exploiteur (contrairement, par exemple, à l'école du choix public,
qui a tendance à le donner pour une entreprise comme les autres), et a
bien compris certains principes fondamentaux de son fonctionnement.
La théorie marxiste de l'aliénation et de la lutte des classes
peut très bien être employée par les libéraux pour montrer comment
l'État exploite et oppresse ses sujets. Un libertarien peut très bien
faire sienne l'affirmation suivante (citée par Christian Michel) :
« L’État n’a pas existé de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui s’en sont fort bien passé, qui n’ont jamais eu la notion de l’État ou du pouvoir d’État… La société qui réorganisera la production sur la base de l’association libre et égale des producteurs reléguera tout l’appareil d’État à la place qui est la sienne — au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. »
— Friedrich Engels, Origine de la propriété, de la famille et de l’Etat
Citations sur Marx
-
« La critique faite par Marx du mode de production capitaliste est entièrement fausse. Même les marxistes les plus orthodoxes n'ont pas le front de soutenir sérieusement sa thèse essentielle, à savoir que le capitalisme aboutit à l'appauvrissement continuel des salariés. Mais si, pour la clarté de la discussion, l'on admet toutes les absurdités de l'analyse marxiste sur le capitalisme, rien n'est pour autant gagné quant à la démonstration de ces deux thèses, que le socialisme soit voué à s'instaurer, et qu'il soit non seulement un meilleur système que le capitalisme, mais encore le plus parfait des systèmes, dont la réalisation finale apportera à l'homme la félicité perpétuelle dans son existence terrestre. Tous les syllogismes compliqués des pesants volumes publiés par Marx, Engels et des centaines d'auteurs marxistes, ne peuvent masquer le fait que la seule et unique source de la prophétie de Marx soit une prétendue inspiration, par laquelle Marx affirme avoir deviné les projets des mystérieuses puissances réglant le cours de l'histoire. Comme Hegel, Marx était un prophète, communiquant au peuple la révélation qu'une voix intérieure lui avait confiée. »
— Ludwig von Mises, L'Action humaine, chap. XXV
-
« En tant qu'écrivain scientifique, il est sec, pédant, obscur. Le don de s'exprimer de façon compréhensible lui avait été refusé. Ce n'est que dans ses œuvres politiques qu'il parvient à exercer une action réelle, au moyen d'antithèses frappantes et de sentences qui se gravent facilement dans l'esprit et dont la sonorité dissimule le vide. Dans la polémique, il n'hésite pas à déformer les paroles de l'adversaire. Au lieu de réfutation, il recourt aux injures. »
— Ludwig von Mises, Le Socialisme — Étude économique et sociologique, IVe partie, chap. VI
-
« La grande complexité du marxisme peut se résumer en une phrase : on a raison de se révolter. »
— Mao Zedong
-
« Tout l'évangile de Karl Marx peut être résumé en une seule phrase : haïssez l'homme qui est plus riche que vous. N'admettez en aucune circonstance que son succès puisse être dû à ses propres efforts, à la contribution productive qu'il a fait en faveur de toute la société. »
— Henry Hazlitt
-
« Qui peut honnêtement, sans arrière-pensées, rendre Marx responsable des millions de morts du communisme sous prétexte qu'il avait oublié le facteur humain dans ses calculs ? »
— Basile de Koch (humour), Histoire universelle de la pensée, 2005
-
« Il y a une bonne chose avec Marx, c'est qu'il n'était pas keynésien. »
— Murray Rothbard
-
« Giuseppe Mazzini (1805-1872), le révolutionnaire italien, rival de Marx dans l'Internationale ouvrière au milieu des années 1860, décrit une fois (en 1866) Marx comme "un esprit destructif dont le coeur est rempli de haine plutôt que d'amour pour l'humanité (...) extraordinairement astucieux, changeant et taciturne. Marx est très jaloux de son autorité comme chef de parti ; contre ses rivaux et adversaires politiques, il est vindicatif et implacable ; il n'a de cesse de les abattre ; sa caractéristique principale est une ambition sans borne et une soif du pouvoir illimitée. Malgré l'égalitarisme communiste qu'il prêche, il est le chef absolu de son parti ; évidemment il se charge de tout, mais il est également le seul à donner des ordres et ne tolère aucune opposition". »
— Gary North - 5 Bibliographie de Karl Marx (et Friedrich Engels)
- 6 Littérature secondaire
- 7 Voir aussi
- 8 Liens externes
- 9 Notes et références
France et communisme
De Wikiberal
Il est intéressant d'examiner dans quelle mesure le programme du Manifeste du parti communiste est mis en œuvre à des degrés divers, sous prétexte de justice sociale, dans les social-démocraties.
Il est patent qu'en ce domaine, la France
a des longueurs d'avance sur les autres pays, comme on peut s'en rendre
compte en examinant chacun des points du manifeste communiste. Peu de
pays sont allés aussi loin dans la réalisation du programme communiste -
en laissant de côté les pays ouvertement communistes ou socialistes
(Corée du Nord, Cuba, URSS d'antan, Allemagne nazie ou
nationale-socialiste...).
Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État.
La richesse du pays n'étant plus dans la terre, l'objectif a été renversé : plutôt que de créer des kolkhozes, c'est l'Europe
(via une Politique Agricole Commune malthusienne) qui subventionne les
agriculteurs (faute de subvention, si on laissait faire le marché, cette agriculture
disparaîtrait car elle n'est pas compétitive : c'est donc le
contribuable européen qui, pour des raisons politiques, est appelé à
financer des activités non rentables). La vente des terres agricoles est
régulée en France par des "Sociétés d'Aménagement Foncier et de
l'Espace Rural" (SAFER). Des "Commissions Départementales d’Orientation
Agricole" ont la main mise totale sur les locations de terre.
Impôt fortement progressif.
L'impôt sur le revenu est progressif, et non proportionnel. Le taux
marginal supérieur dépasse 50% depuis des décennies, et il n'y a pas de
baisse notable en vue. A comparer avec les pays de l'Est, qui, sortis du
communisme, ont instauré des impôts proportionnels (flat tax)
très bas (13% en Russie), sans même parler des États-Unis où plusieurs
États, et non des moindres, n'ont même pas d'impôt sur le revenu
(Alaska, Floride, Nevada, Dakota du Sud, Texas, Washington et Wyoming).
Abolition de l'héritage
En cent ans, le taux marginal de l’impôt sur l’héritage est passé de
1% à 40% (60% pour les successions sans lien de parenté). Le Sénat
français reconnait que "le régime général d'imposition des successions
et des donations en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis est nettement plus favorable qu'en France" (http://www.senat.fr/lc/lc3/lc3_mono.html).
Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
Même si la dictature du prolétariat n'est pas encore à l'ordre du jour, la France
a un passé chargé en la matière : émigration des protestants au XVIIe
siècle, puis des nobles pendant la Révolution, confiscation et mise sous
séquestre des biens juifs en 1942, carnet de change en 1982,
"troisième émigration" au début du XXIe siècle des diplômés et des plus
fortunés vers Royaume Uni, Belgique, Suisse, États-Unis, etc, malgré
une exit tax instaurée en 1999
(imposition immédiate des plus-values de cessions ou d’échanges de
titres lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de
France). Certes, il ne s'agit pas de confiscation autoritaire, mais de
fuite de certaines élites devant des prélèvements confiscatoires ou
l'absence de perspective dans un pays sur-étatisé.
Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif.
La Banque de France, créée en 1800 et nationalisée en 1945,
a longtemps eu ce rôle de centralisation du crédit. Aujourd'hui la BCE
est chargée de conduire la politique monétaire unique en euro et de
réguler les taux d'intérêt (pilotage des taux à court terme sur le
marché monétaire de l'euro). Les plus grandes banques ont été
nationalisées après 1981,
et n'ont été que progressivement privatisées par la suite. Le scandale
du Crédit Lyonnais (politique expansionniste sans frein avec l'aval de
l'État dans les années 1990) illustre l'incompétence de l'État dans ce
domaine.
Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport.
Faite pour une bonne part :
- - monopole de la SNCF : bien qu'en principe toute entreprise européenne puisse désormais faire du fret ferroviaire sur les grands axes du réseau français, aucune licence d'opérateur ni de certificat n'ont en fait été délivrés. La SNCF fait tout ce qu'elle peut pour éliminer la concurrence, par exemple en interdisant le transport par autocar entre villes (décret-loi de 1934 qui interdit la création de lignes d'autocars). Le trafic voyageur devrait cependant être ouvert à la concurrence en 2010 (trafic international) et 2013 (trafic domestique).
- - monopole de la RATP à Paris (peu apprécié de ceux qui subissent les grèves fréquentes et le "service minimum" quotidien).
- - Renault, nationalisée après la Seconde Guerre mondiale, a subi un simulacre de privatisation en 1996 (l'État et les "investisseurs institutionnels" ayant ensemble la majorité).
- - Air France, nationalisée en 1945, n'a été privatisée qu'en 2004, la participation de l'État restant encore importante.
- - transport de courrier, monopolisé par la Poste (les directives européennes prévoient l’ouverture totale du marché du courrier en 2011, mais les politiciens français s'y opposent par tous les moyens possibles)
- - taxis tenus par un numerus clausus (depuis 1937 à Paris[1] !)
- - transport de l'énergie électrique : monopole EDF (jusqu'en 2004)
Les transports en France ne sont pas financés seulement par les usagers, mais aussi par des taxes telles que le versement transport.
- ^ "En 1937, la profession était libre, en 1938, on a fixé un maximum de 22 000 taxis pour l'agglomération parisienne, et par suite de pressions diverses, ce nombre a été réduit progressivement à 12 500, de telle sorte que, pour une ville qui a doublé depuis 1938, le nombre des taxis jugés strictement indispensables en 1938 a été réduit de moitié. On protège non seulement les hommes, mais aussi les machines, car sur ces 12 000 taxis autorisés, il y en a 1000 seulement qui sont autorisés à faire le "doublage", c'est-à-dire à travailler avec deux chauffeurs, mais pour tous les autres. il ne peut y avoir qu'un seul chauffeur travaillant dix heures par jour. Ceci veut dire que l'on a doublé systématiquement le montant de l'investisssment nécessaire pour desservir la population parisienne, c'est-à-dire que l'on a absorbé là des capitaux qui faisaient défaut ailleurs, par exemple pour construire des maisons" (Jacques Rueff, L'expansion sans inflation, p.109 - Œuvres complètes, Plon, Paris, 1980, p.454n)
Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production
La France a été le seul pays occidental à connaître un plan et un "Commissariat au Plan" (qui existe toujours, on a changé son nom en Conseil d'analyse stratégique), le plan (d'inspiration soviétique) étant la fameuse « ardente obligation » du général de Gaulle. Depuis, on a eu l'économie mixte et les grands projets pharaoniques de politique
industrielle façon Plan Calcul, Concorde ou TGV, qui sont toujours très
appréciés par les élites gouvernantes, bien que la plupart aient
conduit à des échecs cuisants (pour le contribuable qui les finance).
Début 2005,
le gouvernement annonce la création d'une "ambitieuse agence chargée de
promouvoir l'innovation industrielle". On a oublié l'échec des
"Ateliers nationaux" créés en 1848
pour donner du travail aux chômeurs par des programmes de "grands
travaux" (idée reprise avec succès par toutes les dictatures du XXe siècle).
Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.
Echec sur ce plan-là. Il est difficile de parler de "travail
obligatoire pour tous" au pays des 35 heures hebdomadaires et des
records de chômage.
Le STO a laissé de mauvais souvenirs, mais les grèves sont très
populaires, surtout quand ceux qui les mènent sont parmi les plus
privilégiés du système.
Combinaison du travail agricole et du travail industriel; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne.
L'exode rural est continu depuis un siècle, le travail agricole,
dévalorisé et assisté par l'État, disparaît au profit principalement de
la fonction publique. Les villes grandissent au point de dévorer les campagnes, avec entre elles les friches du "désert français".
Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui.
Réalisé à 100% (plan Langevin-Wallon, projet de réforme scolaire égalitariste du physicien Paul Langevin et du psychologue Henri Wallon, tous deux membres du Parti Communiste Français), avec une école
de piètre qualité, à programme unique, sans sélection par le mérite,
sans lien avec la réalité professionnelle et qui offre à tous des
diplômes sans valeur. Les "enfants" qui vont dans les "fabriques" ont
souvent plus de 20 ans !
La seule sélectivité scolaire tolérée et "politiquement correcte"
en France est celle qui se fait au profit de l'État (Grandes Écoles
chargées de pourvoir les corps de l'État et de l'Administration). La carte scolaire empêche le libre choix de l'établissement (collège).
Voir aussi l'enseignement en France.
On peut ajouter un onzième point : le monopole communiste de la Sécurité sociale
Le monopole de la Sécurité sociale a été fondé en 1945, sous l'égide
des communistes. Le résultat épouvantable est maintenant connu de tous.
Lorsqu'il s'agit de l'Abrogation du monopole de la Sécurité Sociale, la France, en revanche, est la dernière à la réaliser.
Claude Reichman fait état dans son article Pour quelles raisons la France n'est-elle toujours pas sortie du communisme ?
des origines du basculement de la France vers le communisme. En effet,
il explique la manière dont les syndicats de gauche ont pris le contrôle
des rouages administratifs, politiques, économiques et sociaux de la
société française et comment ils s'y sont maintenus avec l'accord tacite
des dirigeants politiques qu'ils soient de droite (faiblesse voire
lâcheté) ou de gauche (convergence idéologique).
Autocritique
De Wikiberal
Dans les régimes totalitaires communistes, les membres éminents du parti qui perdaient la faveur du pouvoir étaient souvent contraints à faire leur « autocritique »
publique ; ils devaient faire des déclarations publiques, écrites ou
orales, dans lesquelles ils reconnaissaient plus ou moins spontanément
avoir été des « ennemis du peuple » et affirmaient leur foi renouvelée
dans le dirigeant. Ces autocritiques, obtenues souvent par la violence
(lavages de cerveau, tortures, menaces, etc.) ne valaient pas pardon et
n'empêchèrent pas nombre de ceux qui s'y livrèrent contre la promesse de
la vie sauve de finir exécutés.
A une échelle plus large, les militants du parti devaient périodiquement se livrer à ces autocritiques.
Cette pratique a été particulièrement importante dans l'URSS stalinienne ou en Chine
maoïste. Dans ce dernier cas, on parlait de jiǎntǎo (检讨) en chinois.
Par exemple, le bureau politique du parti communisme indonésien, qui est
sous influence chinoise, fait son autocritique dans une déclaration du
23 mai 1967, reconnaissant ses torts et s'engageant à ne plus dévier de
la voie officielle[1] :
“ | [We made] opportunist and revisionist errors. [..] The Indonesian Marxist-Leninists unhesitatingly recognize Mao Tse-tung's thought as the peak of Marxism-Leninism in the present era, and are determined to study and use it as an effective weapon in the struggle for the liberation of Indonesia, which inevitably will have to follow the road of people's war as shown by Comrade Mao Tse-tung [..]. We must more assiduously study, master and practise Marxism-Leninism, Mao Tse-tung's thought » Et le parti d'ajouter dans une déclaration : « Long live Chairman Mao Tse-tung, the greatest Marxist-Leninist of our time and the most respected and beloved great leader of the revolutionary people of the world! | ” |
En URSS,
on pensera par exemple aux Procès de Moscou des années 1930. Staline
s'y débarrasse de ses ennemis en leur faisant « avouer » leur
participation à des complots fantaisistes dans des séances
d'autocritique sous le regard de la presse internationale. Par
aveuglement ou par sympathie pour le régime, la ligue française des
droits de l'homme ira jusqu'à soutenir la vérité de cette
autocritique...
Ces processus visaient à intimider pour préserver la pureté
idéologique du régime et supprimer, souvent physiquement, toute voix
contestataire. Ainsi, le XIXe congrès du parti communiste soviétique (PCUS), adopta en octobre 1952
de nouvelles règles qui faisaient de l'autocritique régulière un devoir
de chaque militant et une des fonctions essentielles des organisations
du Parti[2].
Ces sessions d'autocritique, à l'échelle des procès de Moscou
mais surtout à l'échelle de la vie de tous les jours de chaque individu,
ont eu pour conséquence de développer une société fondée sur le
mensonge et la défiance. Pour se protéger et attester de sa loyauté au
régime, l'individu doit se livrer au mensonge permanent. Cela a été tout
particulièrement le cas lors de la révolution culturelle chinoise.
Selon l’universitaire Xing Lu, les conséquences de cette politique sont
encore extrêmement présentes dans la société chinoise dans « la très
grande difficulté avec laquelle les survivants de la révolution
culturelle acceptent de faire confiance à quelqu'un »[3].
Le Livre noir du communisme
De Wikiberal
Sous la direction de Stéphane Courtois, Paris, 2000, un collectif d'historiens s'est livré à un recensement des victimes des régimes marxistes-léninistes dans Le Livre noir du communisme. Stéphane Courtois écrit dans la préface que « [l]e total approche la barre des cent millions de morts. »[1]
Le Livre noir du communisme est un procès intenté au communisme réel, un réquisitoire général après les terrifiants témoignages accumulés depuis L'Aveu d'Arthur London, ou L'Archipel du Goulag, d'Alexandre Soljenitsyne.
On ressort accablé de cette litanie d'exactions sanglantes. Les purges
de Staline, les famines idiotes du Grand Bond en avant ont une
monstruosité abstraite. Mais ce qui, dans cet ouvrage, laisse sans voix,
ce sont les très nombreuses paroles de survivants. Rescapés de la
Kolyma, du Laogai chinois ou de l'Angkar khmer rouge, ils sont des
dizaines dont les filets de voix font jaillir des visages blessés, des
vies en miettes. Et leurs petites voix confluent pour donner mille
visages, mille âmes, à la foule anonyme des centaines de millions de
victimes.
Le Livre noir du communisme rend compte de l'abjecte réalité du crime
de masse, où, derrière des prétextes idéologiques, se dissimulent les
nombreuses complicités, la bestialité des bourreaux et de leurs chefs.
Sans doute le meilleur bilan à ce jour du marxisme et du communisme.
Citation
- Il faut voir qu'il y a toujours, même dans les démocraties, une fraction importante de gens qui n'aiment pas la liberté et préfèrent la tyrannie. C'est la tentation totalitaire. Certains pour l'exercer, d'autres pour subir cette tyrannie, ce qui est plus mystérieux. Si on discrédite Stéphane Courtois et Le Livre noir du communisme, c'est que cela souligne que des milliers d'auteurs de manuels scolaires, d'intellectuels et d'artistes ont soutenu un régime criminel. Il n'est pas agréable de l'entendre. (Jean-François Revel, in Le Figaro, 24 février 2000[2])
Khmers rouges et communisme
Les khmers rouges ont exterminé en moins de quatre ans un
quart de la population du Cambodge. Le procès de la dictature communiste
a pourtant bénéficié d’un traitement médiatique particulièrement discret en France, où fut formé Pol Pot.
Par Yann Henry.
Protectionnisme et communisme
Extrait de l'édition originale en 7 volumes (1863)
des œuvres complètes
de Frédéric Bastiat,
tome IV, pp. 504-545.
Texte scanné fourni par Alain Madelin,
numérisé, mis en hypertexte, édité par Claude Balança,
relu et légèrement édité par François-René Rideau pour Bastiat.org.
À Monsieur Thiers.
Monsieur,
Ne soyez point ingrat envers la révolution de Février.
Elle vous a surpris, froissé peut-être;
mais aussi elle vous a préparé,
comme auteur, comme orateur, comme conseiller intime
[1],
des triomphes inattendus.
Parmi ces succès, il en est un assurément fort extraordinaire.
Ces jours derniers on lisait dans la Presse:
« L'association pour la défense du travail national
(l'ancien comité Mimerel)
vient d'adresser à tous ses correspondants une circulaire,
pour leur annoncer qu'une souscription est ouverte
à l'effet de concourir à la propagation dans les ateliers
du livre de M. Thiers sur la Propriété.
L'association souscrit elle-même pour 5,000 exemplaires. »
J'aurais voulu être présent quand cette flatteuse annonce
est tombée sous vos yeux.
Elle a du y faire briller un éclair de joie railleuse.
On a bien raison de le dire:
les voies de Dieu sont aussi infaillibles qu'impénétrables.
Car si vous voulez bien m'accorder pour un instant
(ce que j'essaierai bientôt de démontrer)
que le Protectionisme, en se généralisant, devient Communisme,
comme un carpillon devient carpe, pourvu que Dieu lui prête vie,
il est déjà assez singulier
que ce soit un champion du Protectionisme
qui se pose comme le pourfendeur du Communisme;
mais ce qui est plus extraordinaire et plus consolant encore,
c'est qu'une puissante association,
qui s'était formée pour propager théoriquement et pratiquement
le principe communiste
(dans la mesure qu'elle jugeait profitable à ses membres),
consacre aujourd'hui la moitié de ses ressources
à détruire le mal qu'elle a fait avec l'autre moitié.
Je le répète, c'est là un spectacle consolant,
il nous rassure sur l'inévitable triomphe de la vérité,
puisqu'il nous montre les vrais et premiers propagateurs
des doctrines subversives, effrayés de leurs succès,
élaborer maintenant le contre-poison et le poison dans la même officine.
Ceci suppose, il est vrai,
l'identité du principe Communiste et du principe Prohibitioniste,
et peut-être n'admettez vous pas cette identité,
quoique, à vrai dire, il ne me parait pas possible
que vous ayez pu, sans en être frappé,
écrire quatre cents pages sur la Propriété.
Peut-être pensez-vous que
quelques efforts consacrés à la liberté commerciale
ou plutôt au Libre-Échange,
l'impatience d'une discussion sans résultat,
l'ardeur du combat,
la vivacité de la lutte
m'ont fait voir,
comme cela ne nous arrive que trop souvent à nous autres polémistes,
les erreurs de mes adversaires à travers un verre grossissant.
Sans doute, c'est mon imagination, afin d'en avoir plus facilement raison,
qui gonfle la théorie du Moniteur industriel
aux proportions de celle du Populaire.
Quelle apparence que de grands manufacturiers, d'honnêtes propriétaires,
de riches banquiers, d'habiles hommes d'État se soient faits,
sans le savoir et sans le vouloir,
les initiateurs, les apôtres du Communisme en France?
—
Et pourquoi pas, je vous prie?
Il y a bien des ouvriers,
pleins d'une foi sincère dans le droit au travail,
par conséquent communistes sans le savoir, sans le vouloir,
qui ne souffriraient pas qu'on les considérât comme tels.
La raison en est que, dans toutes les classes, l'intérêt incline la volonté,
et la volonté, comme dit Pascal, est le principal organe de la créance.
Sous un autre nom, beaucoup d'industriels, fort honnêtes gens d'ailleurs,
font du Communisme comme on en fait toujours,
c'est-à-dire à la condition que le bien d'autrui sera seul mis en partage.
Mais sitôt que, te principe gagnant du terrain,
il s'agit de livrer aussi au partage leur propre bien,
oh! alors Le Communisme leur fait horreur.
Ils répandaient le Moniteur industriel,
maintenant ils propagent le livre de la Propriété.
Pour s'en étonner il faudrait ignorer le cœur humain,
ses ressorts secrets, et combien il a de pente à se faire habile casuiste.
Non, Monsieur, ce n'est pas la chaleur de la lutte
qui m'a fait voir sous ce jour la doctrine prohibitioniste,
car c'est au contraire parce que je la voyais sous ce jour,
avant la lutte, que je me suis engagé
[2].
Veuillez me croire; étendre quelque peu notre commerce extérieur,
résultat accessoire qui n'est certes pas à dédaigner,
ce ne fut jamais mon motif déterminant.
J'ai cru et crois encore que la Propriété est engagée dans la question.
J'ai cru et je crois encore que notre tarif douanier,
à cause de l'esprit qui lui a donné naissance
et des arguments par lesquels on le défend,
a fait au principe même de la Propriété
une brèche par la quelle tout le reste de notre législation menace de passer.
En considérant l'état des esprits,
il m'a semblé qu'un Communisme
qui, je dois le dire pour être juste,
n'a pas la conscience de lui-même et de sa portée,
était sur le point de nous déborder.
Il m'a semblé que ce Communisme-là (car il y en a de plusieurs espèces)
se prévalait très logiquement
de l'argumentation prohibitioniste
et se bornait à eu presser les déductions.
C'est donc sur ce terrain qu'il m'a paru utile de le combattre;
car puisqu'il s'armait de sophismes propagés par le comité Mimerel,
il n'y avait pas espoir de le vaincre tant que ces sophismes
resteraient debout et triomphants dans la conscience publique.
C'est à ce point de vue que nous nous sommes placés à Bordeaux,
à Paris, à Marseille, à Lyon, quand nous avons fondé
l'Association du Libre-Échange.
La liberté commerciale, considérée en elle-même,
est sans doute pour les peuples un bien précieux;
mais enfin, si nous n'avions eu qu'elle en vue,
nous aurions donné à notre association le titre
d'Association pour la liberté commerciale,
ou, plus politiquement encore, pour la réforme graduelle des tarifs.
Mais le mot Libre-Échange implique
libre disposition du fruit de son travail,
en d'autres termes Propriété,
et c'est pour cela que nous l'avons préféré
[3].
Certes, nous savions que ce mot nous susciterait bien des difficultés.
Il affirmait un principe, et, dès lors,
il devait ranger parmi nos adversaires tous les partisans du principe opposé.
Bien plus, il répugnait extrêmement aux hommes même les mieux disposés
à nous seconder, c'est-à-dire aux négociants,
plus préoccupés alors de réformer la douane que de vaincre le Communisme.
Le Havre, tout en sympathisant à nos vues, refusa d'adopter notre bannière.
De toute part on me disait:
« Nous obtiendrons plutôt quelques adoucissements à notre tarif
en n'affichant pas des prétentions absolues. »
Je répondais: Si vous n'avez que cela en vue,
agissez par vos chambres de commerce.
On me disait encore:
« Le mot Libre-Échange effraie et éloigne le succès.
Rien n'était plus vrai;
mais je tirais de l'effroi même causé par ce mot
mon plus fort argument pour son adoption.
Plus il épouvante, disais-je, plus cela prouve
que la notion de Propriété s'efface des esprits.
La doctrine Prohibitioniste à faussé les idées,
et les fausses idées ont produit la Protection.
Obtenir par surprise ou par le bon vouloir du ministre
une amélioration accidentelle du tarif,
c'est pallier un effet, non détruire une cause.
Je maintins donc le mot Libre-Échange,
non en dépit, mais en raison des obstacles qu'il devait nous créer;
obstacles qui, révélant la maladie des esprits,
étaient la preuve certaine
que les bases mêmes de l'ordre social étaient menacées. »
Il ne suffisait pas de signaler notre but par un mot;
il fallait encore le définir.
C'est ce que nous fimes et je transcris ici, comme pièce à l'appui,
le premier acte ou le manifeste de cette association.
Au moment de s'unir pour la défense d'une grande cause, les soussignés sentent le besoin d'exposer leur croyance; de proclamer le but, la limite, les moyens et l'esprit de leur association.L'Échange est un droit naturel comme la Propriété. Tout citoyen qui a créé ou acquis un produit doit avoir l'option ou de l'appliquer immédiatement à son usage, ou de le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange l'objet qu'il préfère. Le priver de cette faculté, quand il n'en fait aucun usage contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, et uniquement pour satisfaire la convenance d'un autre citoyen, c'est légitimer une spoliation, c'est blesser la loi de la Justice.C'est encore violer les conditions de l'Ordre; car quel ordre peut exister au sein d'une société où chaque industrie, aidée en cela par la loi et la force publique, cherche ses succès dans l'oppression de toutes les autres?C'est méconnaître la pensée providentielle qui préside aux destinées humaines, manifestée par l'infinie variété des climats, des saisons, des forces naturelles et des aptitudes, biens que Dieu n'a si inégalement répartis entre les hommes que pour les unir, par l'échange, dans les liens d'une universelle fraternité.C'est contrarier le développement de la prospérité publique, puisque celui qui n'est pas libre d'échanger ne l'est pas de choisir son travail, et se voit contraint de donner une fausse direction à ses efforts, à ses facultés, à ses capitaux, et aux agents que la nature avait mis à sa disposition. Enfin, c'est compromettre in paix entre les peuples; car c'est briser les relations qui les unissent et qui rendent les guerres impossibles, à force de les rendre onéreuses.L'Association a donc pour but la Liberté des Échanges.Les soussignés ne contestent pas à la société le droit d'établir, sur les marchandises qui passent la frontière, des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu'elles soient déterminées par la seule considération des besoins du Trésor.Mais sitôt que la taxe, perdant son caractère fiscal, a pour but de repousser le produit étranger, au détriment du fisc lui-même, afin d'exhausser artificiellement le prix du produit national similaire, et de rançonner ainsi la communauté au profit d'une classe, dès cet instant la Protection ou plutôt la Spoliation se manifeste, et c'est là le principe que l'Association aspire à ruiner dans les esprits et à effacer complètement de nos lois, indépendamment de toute réciprocité et des systèmes qui prévalent ailleurs.De ce que l'Association poursuit la destruction complète du régime protecteur, il ne s'ensuit pas qu'elle demande qu'une telle réforme s'accomplisse en un jour, et sorte d'un seul scrutin. Même pour revenir du mal au bien et d'un état de choses artificiel à une situation naturelle, des précautions peuvent être commandées par la prudence. Ces détails d'exécution appartiennent aux pouvoirs de l'État; la mission de l'Association est de propager, de populariser le Principe.Quant aux moyens qu'elle entend mettre en œuvre, jamais elle ne les cherchera ailleurs que dans les voies constitutionnelles et légales.Enfin l'Association se place en dehors de tous les partis politiques. Elle ne se met au service d'aucune industrie, d'aucune classe, d'aucune portion du territoire. Elle embrasse la cause de l'éternelle justice, de la paix, de l'union, de la libre communication, de la fraternité entre tous les hommes, la cause de l'intérét général, qui se confond partout, et sous tous les aspects, avec celle du Public consommateur.
Y a-t-il un mot dans ce programme qui ne révèle
le désir ardent de raffermir ou même de rétablir dans les esprits
la notion de Propriété, pervertie par le Régime Restrictif?
N'est-il pas évident que l'intérêt commercial y est au second plan
et l'intérêt social au premier?
Remarquez que le tarif, en lui-même,
bon ou mauvais au point de vue administratif ou fiscal, nous occupe peu.
Mais sitôt qu'il agit intentionnellement dans le sens protecteur,
c'est-à-dire sitôt qu'il manifeste une pensée de spoliation
et la négation, en principe, du droit de Propriété,
nous le combattons non comme tarif, mais comme système.
C'est là, disons-nous,
la pensée que nous nous efforcerons de ruiner dans les intelligences
afin de la faire disparaître de nos lois.
On demandera sans doute pourquoi,
ayant en vue une question générale de cette importance,
nous avons circonscrit la lutte sur le terrain d'une question spéciale.
La raison en est simple.
Il fallait opposer association à association,
engager des intérêts et des soldats dans notre armée.
Nous savions bien qu'entre Prohibitionistes et Libres-Échangistes
la polémique ne peut se prolonger sans remuer et, à la fin,
résoudre toutes les questions, morales, politiques, philosophiques,
économiques, qui se rattachent à la Propriété;
et puisque le comité Mimerel, en ne s'occupant que d'un but spécial,
avait compromis ce principe, nous devions espérer relever ce principe
en poursuivant, nous aussi, le but spécial opposé.
Mais qu'importe ce que j'ai pu dire ou penser en d'autres temps?
Qu'importe que j'aie aperçu ou cru apercevoir une certaine connexité
entre le Protectionisme et le Communisme?
L'essentiel est de savoir si cette connexité existe.
C'est ce que je vais examiner.
Vous vous rappelez sans doute le jour où, avec votre habileté ordinaire,
vous fites arriver sur les lèvres de M. Proudhon
cet aveu devenu célèbre:
« Donnez-moi Le Droit au travail,
et je vous abandonne le Droit de propriété. »
M. Proudhon ne cachait pas qu'à ses yeux
ces deux Droits sont incompatibles.
Si la Propriété est incompatible avec le Droit au travail,
et si le Droit au travail est fondé sur le même principe que la Protection,
qu'en devrons-nous conclure,
sinon que la Protection est elle-même incompatible avec la Propriété?
En géométrie on regarde comme une vérité incontestable
que deux choses égales à une troisième sont égales entre elles.
Or, il est arrivé qu'un orateur éminent, M. Billault,
a cru devoir soutenir à la tribune le Droit au travail.
Cela n'était pas facile en présence de l'aveu échappé à M. Proudhon.
M. Billault comprenait fort bien que faire intervenir l'État
pour pondérer les fortunes et niveler les situations,
c'est se mettre sur la pente du Communisme;
et qu'a-t-il dit pour déterminer l'Assemblée nationale
à violer la propriété et son principe?
Il vous a dit tout simplement que ce qu'il vous demandait de faire
vous le faisiez déjà par vos tarifs.
Sa prétention ne va pas au delà d'une application un peu plus large
de doctrines par vous admises et appliquées.
Voici ses paroles:
Portez vos regards sur nos tarifs de douane; par leurs prohibitions, leurs taxes différentielles, leurs primes, leurs combinaisons de tous genres, c'est la société qui aide, qui soutient, qui retarde ou avance toutes les combinaisons du travail national (très-bien); elle ne tient pas seulement la balance entre le travail français, qu'elle protège, et le travail étranger, mais, sur le sol de la patrie, les diverses Industries la voient encore, et sans cesse, Intervenir entre elles. Entendez devant son tribunal les réclamations perpétuelles des unes contre les autres; voyez, par exemple, les industries qui emploient le fer se plaignant de la protection accordée au fer français contre le fer étranger; celles qui emploient le Lin ou le coton filés protestant contre la protection accordée au lit français, contre l'exclusion du fil étranger, et ainsi des autres. La société (il fallait dire le gouvernement) se trouve donc forcément mêlée à toutes les luttes, à tous les embarras du travail; elle y intervient activement tous les jours, directement, indirectement, et la première fois que vous aurez des questions de douane, vous le verrez, vous serez, bon gré mal gré, forcés de prendre fait et cause, et de faire par vous-mêmes la part de tous les intérêts.Ce ne saurait donc ètre une objection contre la dette de la société envers le travailleur dénué, que cette nécessité qu'elle créerait au gouvernement d'intervenir dans la question du travail.
Et veuillez bien remarquer que M. Billault, dans son argumentation,
n'a nullement eu la pensée de vous infliger une sanglante ironie.
Ce n'est pas un Libre-Échangiste déguisé
se complaisant à rendre palpable l'inconséquence des Protectionistes.
Non, M. Billault est lui-même protectioniste bona fide.
Il aspire au nivellement des fortunes par la Loi.
Dans cette voie, il juge l'action des tarifs utile;
et rencontrant comme obstacle le Droit de propriété,
il saute par-dessus, comme vous faites,
On lui montre ensuite le Droit au travail
qui est un second pas dans la même voie.
Il rencontre encore comme obstacle le Droit de propriété;
il saute encore par-dessus.
Mais, se retournant, il est tout surpris de voir que vous ne le suiviez plus,
il vous en demande le motif.
Si vous lui répondiez:
J'admets en principe que la loi peut violer la propriété,
mais je trouve inopportun qu'elle le fasse sous la forme du Droit au travail,
M. Billault vous comprendrait,
et discuterait avec vous cette question secondaire d'opportunité,
Mais vous lui opposez le Principe même de la Propriété.
Cela l'étonne, et il se croit en droit de vous dire:
Ne faites pas aujourd'hui le bon apôtre,
et si vous repoussez le Droit au travail,
que ce ne soit pas au moins en vous fondant sur le Droit de Propriété,
puisque ce Droit vous le violez par vos tarifs quand cela vous convient.
Il pourrait ajouter avec quelque raison :
Par les tarifs protecteurs vous violez souvent
la propriété du pauvre au profil du riche.
Par le Droit au travail vous violeriez
la propriété du riche à l'avantage du pauvre.
Par quel malheur le scrupule s'empare-t-il si tard de vous
[4]?
Entre M. Billault et vous il n'y a donc qu'une différence.
Tous deux vous cheminez dans la même voie, celle du Communisme.
Seulement, vous n'y avez fait qu'un pas, et il en a fait deux.
Sous ce rapport, l'avantage, à mes yeux du moins, est de votre côté.
Mais vous le perdez du côté de la logique.
Car, puisque vous marchez comme lui, le dos tourné à la Propriété,
il est au moins fort plaisant que vous vous posiez comme son chevalier,
C'est une inconséquence que M. Billault a su éviter.
Mais, hélas!
c'est pour tomber, lui aussi, dans une triste logomachie&nsbp;!
M. Billault est trop éclairé pour ne pas sentir, au moins confusément,
le danger de chacun de ses pas dans une voie qui aboutit au Communisme.
Il ne se donne pas le ridicule de se poser en champion de la Propriété
au moment où il la viole;
mais qu'imagine-t-il pour se justifier?
Il invoque l'axiome favori de quiconque veut concilier
deux choses inconciliables: Il n'y a pas de principes.
Propriété, Communisme, prenons un peu partout, selon la circonstance.
« À mon sens, le pendule de la civilisation, qui oscille de l'un à l'autre principe, selon les besoins du moment, mais qui s'en va toujours marinant un progrès de plus, après avoir fortement incliné vers la liberté absolue de l'individualisme, revient vers la nécessité de l'action gouvernementale. »
II n'y a donc rien de vrai dans le monde, il n'y a pas de principes,
puisque le pendule doit osciller d'un principe à l'autre
selon les besoins du moment.
Ô métaphore, où nous conduirais-tu, si l'on te laissait faire
[5]!
Ainsi que vous le disiez fort judicieusement à la tribune,
on ne peut pas dire — encore moins écrire — tout à la fois.
Il doit être bien entendu que je n'examine pas ici
le côté économique du régime protecteur;
je ne recherche pas encore si, au point de vue de la richesse nationale,
il fait plus de bien que de mal ou plus de mal que de bien.
Le seul point que je veux prouver,
c'est qu'il n'est autre chose qu'une manifestation du Communisme.
MM. Billault et Proudhon ont commencé la démonstration.
Je vais essayer de la compléter.
Et d'abord que faut-il entendre par Communisme?
Il y a plusieurs manières, sinon de réaliser la communauté des biens,
du moins de le tenter.
M. de Lamartine en comptait quatre.
Vous pensez qu'il y en a mille, et je suis de votre avis.
Cependant je crois que toutes peuvent rentrer
dans trois catégories générales,
dont une seule, selon moi, offre de véritables dangers.
Premièrement, deux ou plusieurs hommes
peuvent imaginer de mettre leur travail et leur vie en commun.
Tant qu'ils ne cherchent ni à troubler la sécurité,
ni à restreindre la liberté,
ni à usurper la propriété d'autrui,
ni directement ni indirectement,
s'ils font du mal ils se le font à eux-mêmes.
La tendance de ces hommes sera toujours d'aller poursuivre
dans de lointains déserts la réalisation de leur rêve.
Quiconque a réfléchi sur ces matières sait
que les malheureux périront à la peine, victimes de leurs illusions.
De nos jours, les communistes de cette espèce
ont donné à leur chimérique Élysée le nom d'Icarie,
comme s'ils avaient eu le triste pressentiment
du dénouement affreux vers lequel on les précipite.
Nous devons gémir sur leur aveuglement,
nous devrions les avertir s'ils étaient en état de nous entendre,
mais la société n'a rien à redouter de leurs chimères.
Une autre forme du Communisme, et assurément la plus brutale,
c'est celle-ci:
Faire une masse de toutes les valeurs existantes
et partager ex æquo.
C'est la spoliation devenue règle dominante et universelle.
C'est la destruction non-seulement de la Propriété,
mais encore du travail et du mobile même qui détermine l'homme à travailler.
Ce Communisme-là est si violent, si absurde, si monstrueux,
qu'en vérité je ne puis le croire dangereux.
C'est ce que je disais, il y a quelque temps,
devant une assemblée considérable d'électeurs
appartenant en grande majorité aux classes souffrantes.
Une explosion de murmures accueillit mes paroles.
J'en témoignai ma surprise.
« Quoi! disait-on, M. Bastiat ose dire
que le Communisme n'est pas dangereux! Il est donc communiste!
Eh bien, nous nous en doutions, car communistes, socialistes, économistes,
ce sont fils de même lignage, comme c'est prouvé par la rime. »
J'eus quelque peine à me tirer de ce mauvais pas.
Mais cette interruption même prouvait la vérité de ma proposition.
Non, le Communisme n'est pas dangereux
quand il se montre dans sa forme la plus naïve,
celle de la pure et simple spoliation;
il n'est pas dangereux puisqu'il fait horreur.
Je me hâte de dire que si le Protectionisme peut être et doit
être assimilé au Communisme, ce n'est pas à celui que je viens de décrire.
Mais le Communisme revêt une troisième forme.
Faire intervenir l'État, lui donner pour mission
de pondérer les profits et d'équilibrer les fortunes,
en prenant aux uns, sans consentement,
pour donner aux autres, sans rétribution,
le charger de réaliser l'œuvre du nivellement par voie de spoliation,
assurément c'est bien là du Communisme.
Les procédés employés par l'État, dans ce but,
non plus que les beaux noms dont on décore cette pensée, n'y font rien.
Qu'il en poursuive la réalisation par des moyens directs ou indirects,
par la restriction ou par l'impôt, par les tarifs ou par le Droit au travail;
qu'il la place sous l'invocation de l'égalité, de la solidarité,
de la fraternité, cela ne change pas la nature des choses;
le pillage des propriétés n'en est pas moins du pillage
parce qu'il s'accomplit avec régularité, avec ordre,
systématiquement et par l'action de la loi.
J'ajoute que c'est là, à notre époque, le Communisme vraiment dangereux.
Pourquoi? Parce que, sous cette forme,
nous le voyons incessamment prêt à tout envahir.
Et voyez l'un demande que l'État fournisse gratuitement
aux artisans, aux laboureurs des instruments de travail;
c'est l'inviter à les ravir à d'autres artisans et laboureurs.
L'autre veut que l'État prête sans intérêt;
il ne le peut faire sans violer la propriété.
Un troisième réclame l'éducation gratuite à tous les degrés; gratuite!
cela veut dire aux dépens des contribuables.
Un quatrième exige que l'État subventionne les associations d'ouvriers,
les théâtres, les artistes, etc.
Mais ces subventions, c'est autant de valeur soustraite
à ceux qui l'avaient légitimement gagnée.
Un cinquième n'a pas de repos
que l'État n'ait fait artificiellement hausser le prix d'un produit
pour l'avantage de celui qui le vend;
mais c'est au détriment de celui qui l'achète.
Oui, sous cette forme, il est bien peu de personnes
qui, une fois ou autre, ne soient communistes.
Vous l'êtes, M. Billault l'est,
et je crains qu'en France nous ne le soyons tous à quelque degré.
Il semble que l'intervention de l'État nous réconcilie avec la spoliation,
en en rejetant la responsabilité sur tout le monde,
c'est-à-dire sur personne, ce qui fait qu'on jouit du bien d'autrui
en parfaite tranquillité de conscience.
Cet honnête M. Tourret, un des hommes les plus probes
qui se soient jamais assis sur les bancs ministériels,
ne commençait-il pas ainsi son exposé des motifs
du projet de loi sur les avances à l'agriculture?
« Il ne suffit pas de donner l'instruction pour cultiver les arts,
il faut encore fournir les instruments de travail. »
Après ce préambule, il soumet à l'Assemblée nationale
un projet de loi dont le premier article est ainsi conçu:
Art. 1er. Il est ouvert, sur le budget de 1849, au ministre de l'agriculture et du commerce, un crédit de 10 millions destiné à faire des avances aux propriétaires et associations de propriétaires de fonds ruraux.
Avouez que si la langue législative se piquait d'exactitude,
l'article devrait être ainsi rédigé:
Le ministre de l'agriculture et du commerce est autorisé, pendant l'année 1849, à prendre 10 millions dans la poche des laboureurs qui en ont grand besoin et à qui ils appartiennent, pour les verser dans la poche d'autres laboureurs qui en ont également besoin et à qui ils n'appartiennent pas.
N'est-ce pas là un fait communiste,
et en se généralisant ne constitue-t-il pas le Communisme?
Tel manufacturier, qui se laisserait mourir plutôt que de dérober une obole,
ne se fait pas le moindre scrupule de porter à la législature
cette requête:
« Faites une loi qui élève le prix de mon drap, de mon fer, de ma houille,
et me mette à même de rançonner mes acheteurs.
Comme le motif sur lequel il se fonde est qu'il n'est pas content de son gain
tel que le fait l'échange libre ou le libre-échange
(ce que je déclare être la même chose, quoi qu'on en dise),
comme, d'un autre côté, nous sommes tous mécontents de notre gain
et disposés à invoquer la législature, il est clair,
du moins à mes yeux, que si elle ne se hate de répondre:
« Cela ne me regarde pas,
je ne suis pas chargée de violer les propriétés, mais de les garantir; »
il est clair, dis-je, que nous sommes en plein Communisme.
Les moyens d'exécution mis en œuvre par l'État peuvent différer,
mais ils ont le même but et se rattachent au même principe.
Supposez que je me présente à la barre de l'Assemblée nationale,
et que je dise:
J'exerce un métier, et je ne trouve pas que mes profits soient suffisants.
C'est pourquoi je vous prie de faire un décret
qui autorise messieurs les percepteurs à prélever, à mon profit,
seulement un pauvre petit centime sur chaque famille française.
— Si la législature accueille ma demande,
on pourra, si l'on veut, ne voir là qu'un fait isolé de spoliation légale,
qui ne mérite pas encore le nom de Communisme.
Mais si tous les Français, les uns après les autres,
viennent faire la même supplique,
et si la législature les examine dans le but avoué
de réaliser l'égalité des fortunes,
c'est dans ce principe, suivi d'effets,
que je vois et que vous ne pouvez vous empêcher de voir le Communisme.
Que pour réaliser sa pensée la législature
se serve du douanier ou du percepteur,
de la contribution directe ou de l'impôt indirect,
de la restriction ou de la prime, peu importe.
Se croit-elle autorisée
à prendre et à donner sans compensation?
Croit-elle que sa mission est d'équilibrer les profits?
Agit-elle en conséquence de cette croyance?
Le gros du public approuve-t-il, provoque-t-il cette façon d'agir?
En ce cas, je dis que nous sommes sur la pente du Communisme,
soit que nous en ayons ou non la conscience.
Et si l'on me dit:
L'État n'agit point ainsi en faveur de tout le monde,
mais seulement en faveur de quelques classes, je répondrai:
Alors il a trouvé le moyen d'empirer le Communisme lui-même.
Je sens, Monsieur, qu'on peut jeter du doute sur ces déductions,
à l'aide d'une confusion fort facile.
On me citera des faits administratifs très-légitimes,
des cas où l'intervention de l'État est aussi équitable qu'utile;
puis, établissant une apparente analogie entre ces cas
et ceux contre lesquels je me récrie,
on me mettra dans mon tort, on me dira:
Ou vous ne devez pas voir le Communisme dans la Protection,
ou vous devez le voir dans toute action gouvernementale.
C'est un piège dans lequel je ne veux pas tomber.
C'est pourquoi je suis obligé de rechercher
quelle est la circonstance précise
qui imprime à l'intervention de l'État le caractère communiste.
Quelle est la mission de l'État?
Quelles sont les choses que les citoyens
doivent confier à la force commune?
quelles sont celles qu'ils doivent réserver à l'activité privée?
Répondre à ces questions, ce serait taire un cours de politique.
Heureusement je n'en ai pas besoin pour résoudre le problème qui nous occupe.
Quand les citoyens, au lieu de se rendre à eux-mêmes un Service,
le transforment en Service public,
c'est-à-dire quand ils jugent à propos de se cotiser
pour faire exécuter un travail
ou se procurer une satisfaction en commun
je n'appelle pas cela du Communisme,
parce que je n'y vois pas ce qui fait son cachet spécial:
le nivellement par voie de spoliation.
L'État prend, il est vrai, par l'Impôt,
mais rend par le Service.
C'est une forme particulière, mais légitime,
de ce fondement de toute société, l'échange.
Je vais plus loin. En confiant un service spécial à l'État,
les citoyens peuvent faire une bonne ou une mauvaise opération.
Ils la font bonne si, par ce moyen,
le service est fait avec plus de perfection et d'économie.
Elle est mauvaise dans l'hypothèse contraire;
mais, dans aucun cas, je ne vois apparaître le principe communiste.
Dans le premier, les citoyens ont réussi;
dans le second, ils se sont trompés, voilà tout;
et si le Communisme est une erreur,
il ne s'ensuit pas que toute erreur soit du Communisme.
Les économistes sont en général très-défiants
à l'endroit de l'intervention gouvernementale.
Ils y voient des inconvénients de toute sorte,
une dépression de la liberté, de l'énergie,
de la prévoyance et de l'expérience individuelles,
qui sont le fonds le plus précieux des sociétés.
Il leur arrive donc souvent de combattre cette intervention.
Mais ce n'est pas du tout du même point de vue et par le même motif
qui leur fait repousser la Protection.
Qu'on ne se fasse donc pas un argument contre nous de notre prédilection,
trop prononcée peut-être, pour la liberté, et qu'on ne dise pas:
Il n'est pas surprenant que ces messieurs repoussent le régime protecteur,
car ils repoussent l'intervention de l'État en toutes choses.
D'abord, il n'est pas vrai que nous la repoussions en toutes choses.
Nous admettons que c'est la mission de l'État
de maintenir l'ordre, la sécurité,
de faire respecter les personnes et les propriétés,
de réprimer les fraudes et les violences.
Quant aux services qui ont un caractère, pour ainsi parler, industriel,
nous n'avons pas d'autre règle que celle-ci:
que l'État s'en charge s'il en doit résulter pour la masse
une économie de forces.
Mais, pour Dieu, que, dans le calcul,
on fasse entrer en ligne de compte tous les inconvénients innombrables
du travail monopolisé par l'État.
Ensuite, je suis forcé de le répéter,
autre chose est de voter contre une nouvelle attribution faite à l'État
sur le fondement que, tout calcul fait,
elle est désavantageuse et constitue une perte nationale;
autre chose est de voter contre cette nouvelle attribution
parce qu'elle est illégitime, spoliatrice,
et qu'elle donne pour mission au gouvernement
de faire précisément ce que sa mission rationnelle est d'empêcher et de punir.
Or, nous avons contre le Régime dit Protecteur
ces deux natures d'objections,
mais la dernière l'emporte de beaucoup dans notre détermination
de lui faire, bien entendu par les voies légales, une guerre acharnée.
Ainsi, qu'on soumette, par exemple, à un conseil municipal
la question de savoir s'il vaut mieux laisser chaque famille
envoyer chercher sa provision d'eau à un quart de lieue,
ou s'il est préférable que l'autorité prélève une cotisation
pour faire venir l'eau sur la place du village;
je n'aurai aucune objection de principe
à faire à l'examen de cette question.
Le calcul des avantages et des inconvénients pour tous
sera le seul élément de la décision.
On pourra se tromper dans ce calcul,
mais l'erreur même qui entrainera une perte de propriété,
ne constituera pas une violation systématique de la propriété.
Mais que M. le maire propose
de fouler une industrie pour le profit d'une autre,
d'interdire les sabots pour l'avantage des cordonniers,
ou quelque chose d'analogue;
alors je lui dirai qu'il ne s'agit plus ici
d'un calcul d'avantages et d'inconvénients,
il s'agit d'une perversion de l'autorité,
d'un détournement abusif de la force publique;
je lui dirai: Vous qui êtes dépositaire
de l'autorité et de la force publiques pour châtier la spoliation,
comment osez-vous appliquer l'autorité et la force publiques
à protéger et systématiser la spoliation?
Que si la pensée de M. le maire triomphe,
si je vois, par suite de ce précédent,
toutes les industries du village s'agiter
pour solliciter des faveurs aux dépens les unes des autres,
si, au milieu de ce tumulte d'ambitions sans scrupule,
je vois sombrer jusqu'à la notion même de Propriété,
il me sera bien permis de penser
que, pour la sauver du naufrage, la première chose à faire
est de signaler ce qu'il y a d'inique dans la mesure
qui a été le premier anneau de cette chaine déplorable.
Il ne me serait pas difficile, Monsieur,
de trouver dans votre ouvrage des passages
qui vont à mon sujet et corroborent mes vues.
À vrai dire, il me suffirait de l'ouvrir au hasard.
Oui, si, renouvelant un jeu d'enfant,
j'enfonçais une épingle dans ce livre,
je trouverais, à la page indiquée par le sort,
la condamnation, implicite où explicite, du Régime Protecteur,
la preuve de l'identité de ce régime, en principe, avec le Communisme.
Et pourquoi ne ferais-je pas cette épreuve? Bon, m'y voilà.
L'épingle a désigné la page 283; j'y lis:
« C'est donc une grave erreur que de s'en prendre à la concurrence, et de n'avoir pas aperçu que si le peuple est producteur, il est consommateur aussi, et que recevant moins d'un côté (ce que je nie, et vous le niez vous-même quelques lignes plus bas), payant moins de l'autre, reste alors, au profit de tous, la différence d'un système qui retient l'activité humaine, un système qui la lance à l'infini dans la carrière en lui disant de ne s'arrêter jamais. »
Je vous défie de dire que ceci ne s'applique pas aussi bien
à la concurrence qui se fait par-dessus la Bidassoa
qu'à celle qui se fait par-dessus la Loire. —
Donnons encore un coup d'épingle.
C'est fait; nous voici à la page 325.
« Les droits sont on ne sont pas: s'ils sont, ils entrainent des conséquences absolues... il y a plus, si le droit est, il est de tous les instants: Il est entier aujourd'hui, hier, demain, après-demain, en été comme en hiver, non pas quand il vous plaira de le déclarer en vigueur, mais quand il plaira à l'ouvrier de l'invoquer! »
Soutiendrez-vous qu'un maître de forges
a le droit indéfini, perpétuel,
de m'empêcher de produire indirectement deux quintaux de fer
dans mon usine, qui est une vigne,
pour l'avantage d'en produire directement un seul
dans son usine, qui est une forge?
Ce droit aussi est ou n'est pas.
S'il est, il est entier aujourd'hui, hier, demain, après demain,
en été comme en hiver, non pas quand il vous plaira de le déclarer en vigueur,
mais quand il plaira au maître de forges de l'invoquer!
Tentons encore le sort. Il nous désigne la page 63;
j'y lis cet aphorisme:
« La Propriété n'est pas, si je ne puis la donner aussi bien que la consommer. »
Nous disons, nous:
« La Propriété n'est pas,
si je ne puis l'échanger aussi bien que la consommer. »
Et permettez-moi d'ajouter que le droit d'échanger
est au moins aussi précieux, aussi socialement important,
aussi caractéristique de la propriété que le droit de donner.
Il est à regretter que dans un ouvrage
destiné à examiner la propriété sous tous ses aspects,
vous ayez cru devoir consacrer deux chapitres au Don,
qui n'est guère en péril, et pas une ligne à l'Échange,
si impudemment violé sous l'autorité même des lois du pays.
Encore un coup d'épingles. Ah! il nous met à la page 47.
« L'homme a une première propriété dans sa personne et ses facultés. Il en a une seconde, moins adhérente à son être, mais non moins sacrée, dans le produit de ces facultés qui embrasse tout ce qu'on appelle les biens de ce monde, et que la société est intéressée au plus haut point à lui garantir, car, sans cette garantie, point de travail, sans travail, pas de civilisation, pas même le nécessaire, mais la misère, le brigandage et la barbarie. »
Eh bien, Monsieur, dissertons, si vous le voulez, sur ce texte.
Comme vous, je vois la propriété
d'abord dans la libre disposition de la personne,
ensuite des facultés, enfin du produit des facultés,
ce qui prouve, pour le dire en passant,
qu'à un certain point de vue, Liberté et Propriété se confondent.
À peine oserais-je dire, comme vous,
que la Propriété du produit de nos facultés
est moins adhérente à notre être que celle de ces facultés elles-mêmes.
Matériellement, cela est incontestable;
mais qu'on prive un homme de ses facultés ou de leur produit,
le résultat est le même, et ce résultat s'appelle Esclavage.
Nouvelle preuve d'une identité de nature entre la Liberté et la Propriété.
Si je fais tourner par force tout le travail d'un homme à mon profit,
cet homme est mon esclave.
Il l'est encore si, le laissant travailler librement,
je trouve le moyen, par force ou par ruse,
de m'emparer du fruit de son travail.
Le premier genre d'oppression est plus odieux,
Le second. est plus habile.
Comme on a remarqué que le travail libre
est plus intelligent et plus productif,
les maitres se sont dit:
N'usurpons pas directement les facultés de nos esclaves,
mais accaparons le produit plus riche de leurs facultés libres,
et donnons à cette forme nouvelle de servitude
le beau nom de protection.
Vous dites encore que la société est intéressée
à garantir la propriété.
Nous sommes d'accord; seulement je vais plus loin que vous,
et si par la société vous entendez le gouvernement,
je dis que sa seule mission, en ce qui concerne la propriété,
est de la garantir;
que s'il essaie de la pondérer, par cela même,
au lieu de la garantir, il la viole.
Ceci mérite d'être examiné.
Quand un certain nombre d'hommes,
qui ne peuvent vivre sans travail et sans propriétés,
se cotisent pour solder une force commune,
évidemment ils ont pour but de travailler
et de jouir du fruit de leur travail en toute sécurité,
et non point de mettre leurs facultés et propriétés à la merci de cette force.
Même avant toute forme de gouvernement régulier,
je ne crois pas qu'on puisse contester aux individualités
le droit de défense,
le droit de défendre leurs personnes, leurs facultés et leurs biens.
Sans prétendre philosopher ici sur l'origine et l'étendue
des droits des gouvernements,
vaste sujet bien propre à effrayer ma faiblesse,
permettez-moi de vous soumettre une idée.
Il me semble que les droits de l'État ne peuvent être
que la régularisation de droits personnels préexistants.
Je ne puis, quant à moi, concevoir un droit collectif
qui n'ait sa racine dans le droit individuel et ne le suppose.
Donc, pour savoir si l'État est légitimement investi d'un droit,
il faut se demander si ce droit réside dans l'individu
en vertu de son organisation et en l'absence de tout gouvernement.
C'est sur cette idée que je repoussais, il y a quelques jours,
le droit au travail.
Je disais: Puisque Pierre n'a pas le droit d'exiger directement de Paul
que celui-ci lui donne du travail, il n'est pas davantage fondé
à exercer ce prétendu droit par l'intermédiaire de l'État,
car l'État n'est que la force commune créée par Pierre et par Paul,
à leurs frais, dans un but déterminé,
lequel ne saurait jamais être de rendre juste ce qui ne l'est pas.
C'est à cette pierre de touche que je juge aussi entre
la garantie et la pondération des propriétés par l'État.
Pourquoi l'État a-t-il le droit de garantir, même par force,
à chacun sa Propriété?
Parce que ce droit préexiste dans l'individu.
On ne peut contester aux individualités le droit de légitime défense,
le droit d'employer la force au besoin pour repousser
les atteintes dirigées contre leurs personnes, leurs facultés et leurs biens.
On conçoit que ce droit individuel, puisqu'il réside en tous les citoyens,
puisse revêtir la forme collective et légitimer la force commune.
Et pourquoi l'État n'a-t-il pas le droit
de pondérer les propriétés?
Parce que pour les pondérer
il faut les ravir aux uns et en gratifier les autres.
Or, aucun des trente millions de Français n'ayant le droit de prendre,
par force, sous prétexte d'arriver à l'égalité,
on ne voit pas comment ils pourraient investir de ce droit
la force commune.
Et remarquez que le droit de pondération
est destructif du droit de garantie.
Voilà des sauvages.
Ils n'ont pas encore fondé de gouvernement.
Mais chacun d'eux a le droit de légitime défense,
et il n'est pas difficile de voir
que c'est ce droit qui deviendra la base
d'une force commune légitime.
Si l'un de ces sauvages a consacré son temps, ses forces, son intelligence
à se créer un arc et des flèches et qu'un autre veuille les lui ravir,
toutes les sympathies de la tribu seront pour la victime;
et si la cause est soumise au jugement des vieillards,
le spoliateur sera infailliblement condamné.
Il n'y a de là qu'un pas à organiser la force publique.
Mais, je vous le demande, cette force a-t-elle pour mission,
du moins pour mission légitime, de régulariser
l'acte de celui qui défend, en vertu du droit, sa propriété,
ou l'acte de celui qui viole, contre le droit, la propriété d'autrui?
Il serait assez singulier que la force collective
fût fondée non sur le droit individuel,
mais sur sa violation permanente et systématique!
Non, l'auteur du livre que j'ai sous les yeux
ne peut soutenir une semblable thèse.
Mais ce n'est pas tout qu'il ne la soutienne pas,
il eût peut être dû la combattre.
Ce n'est pas tout d'attaquer ce Communisme grossier et absurde
que quelques sectaires posent dans des feuilles décriées.
Il eût peut-ètre été bon de dévoiler et de flétrir
cet autre Communisme audacieux et subtil
qui, par la simple perversion de la juste idée des droits de l'État,
s'est insinué dans quelques branches de notre législation
et menace de les envahir toutes.
Car, Monsieur, il est bien incontestable
que par le jeu des tarifs, au moyen du régime dit Protecteur,
les gouvernements réalisent cette monstruosité dont je parlais tout à l'heure.
Ils désertent ce droit de légitime défense préexistant dans chaque citoyen,
source et raison d'être de leur propre mission,
pour s'attribuer un prétendu droit de nivellement par voie de spoliation,
droit qui ne résidant antérieurement en personne
ne peut résider davantage dans la communauté.
Mais à quoi bon insister sur ces idées générales?
À quoi bon démontrer ici l'absurdité du Communisme,
puisque vous l'avez fait vous-même
(sauf quant à une de ses manifestations,
et selon moi la plus pratiquement menaçante),
beaucoup mieux que je ne saurais le faire?
Peut-être me dites-vous que le principe du Régime Protecteur
n'est pas en opposition avec le principe de la Propriété.
Voyons donc les procédés de ce régime.
Il y en a deux: la prime et la restriction.
Quant à la prime, cela est évident.
J'ose défier qui que ce soit de soutenir
que le dernier terme du système des primes, poussé jusqu'au bout,
ne soit pas le Communisme absolu.
Les citoyens travaillent à l'abri de la force commune chargée,
comme vous dites, de garantir à chacun le sien, suum cuique.
Mais voici que l'État, avec les plus philanthropiques intentions du monde,
entreprend une tâche toute nouvelle, toute différente, et, selon moi,
non-seulement exclusive, mais destructive de la première.
Il lui plaît de se faire juge des profits,
de décider que tel travail n'est pas assez rémunéré, que tel autre l'est trop;
il lui plait de se poser en pondérateur et de faire,
comme dit M. Billault, osciller le pendule de la civilisation
du côté opposé à la liberté de l'individualisme.
En conséquence, il frappe sur la communauté tout entière
une contribution pour faire un cadeau, sous le nom de primes,
aux exportateurs d'une nature particulière de produits.
Sa prétention est de favoriser l'industrie;
il devrait dire une industrie
aux dépens de toutes les autres.
Je ne m'arrêterai pas à montrer qu'il stimule la branche gourmande
aux dépens des branches à fruits;
mais, je vous le demande, en entrant dans cette voie,
n'autorise-t-il pas tout travailleur à venir réclamer une prime,
s'il apporte la preuve qu'il ne gagne pas autant que son voisin?
L'État a-t-il pour mission d'écouter, d'apprécier toutes ces requêtes
et d'y faire droit?
Je ne crois pas;
mais ceux qui le croient doivent avoir le courage de revêtir leur pensée
de sa formule et de dire:
Le gouvernement n'est pas chargé de garantir les propriétés,
mais de les niveler.
En d'autres termes: il n'y a pas de Propriété.
Je ne traite ici qu'une question de principe.
Si je voulais scruter les primes à l'exportation dans leurs effets économiques,
je les montrerais sous le jour le plus ridicule,
car elles ne sont qu'un don gratuit fait par la France à l'étranger.
Ce n'est pas le vendeur qui la reçoit, mais l'acheteur,
en vertu de cette loi que vous avez vous-même constatée
à propos de l'impôt le consommateur, en définitive,
supporte toutes les charges, comme il recueille
tous les avantages de la production.
Aussi, il nous est arrivé au sujet de ces primes
la chose la plus mortifiante et la plus mystifiante possible.
Quelques gouvernements étrangers ont fait ce raisonnement:
« Si nous élevons nos droits d'entrée d'un chiffre égal à la prime payée
par les contribuables français, il est clair que rien ne sera changé pour
nos consommateurs, car le prix de revient sera pour eux le même.
La marchandise dégrévée de 5 fr. à la frontière française
paiera 5 fr. de plus à la frontière allemande;
c'est un moyen infaillible de mettre nos dépenses publiques
à la charge du Trésor français. »
Mais d'autres gouvernements, m'assure-t-on, ont été plus ingénieux encore.
Ils se sont dit:
« La prime donnée par la France est bien un cadeau qu'elle nous fait;
mais si nous élevons le droit,
il n'y a pas de raison pour qu'il entre chez nous
plus de cette marchandise que par le passé;
nous mettons nous-mêmes une borne à la générosité de ces excellents Français.
Abolissons, au contraire, provisoirement ces droits;
provoquons ainsi une introduction inusitée de leurs draps,
puisque chaque mètre porte avec lui un pur don gratuit. »
Dans le premier cas, nos primes ont été au fisc étranger; dans le second,
elles ont profité, mais sur une plus large échelle, aux simples citoyens.
Passons à la restriction.
Je suis artisan, menuisier, par exemple.
J'ai un petit atelier, des outils, quelques matériaux.
Tout cela est incontestablement à moi, car j'ai fait ces choses,
ou, ce qui revient au même, je les ai achetées et payées.
De plus, j'ai des bras vigoureux, un peu d'intelligence
et beaucoup de bonne volonté.
C'est avec ce fonds que je dois pourvoir à mes besoins et à ceux de ma famille.
Remarquez que je ne puis produire directement rien de ce qui m'est nécessaire,
ni fer, ni bois, ni pain, ni vin, ni viandes, ni étoffes, etc.,
mais j'en puis produire la valeur.
En définitive, ces choses doivent pour ainsi dire,
sortir, sous une autre forme, de ma scie et de mon rabot.
Mon intérêt est d'en recevoir honnêtement
la plus grande quantité possible contre chaque quantité donnée de mon travail.
Je dis honnêtement, car je ne désire violer
la propriété et la liberté de personne.
Mais Je voudrais bien qu'on ne violât pas non plus ma propriété ni ma liberté.
Les autres travailleurs et moi, d'accord sur ce point,
nous nous imposons des sacrifices
nous cédons une partie de notre travail
à des hommes appelés fonctionnaires,
parce que nous leur donnons la fonction spéciale
de garantir notre travail et ses fruits de toute atteinte,
qu'elle vienne du dehors ou du dedans.
Les choses ainsi arrangées, je m'apprête à mettre en activité mon intelligence,
mes bras, ma scie et mon rabot.
Naturellement j'ai toujours les yeux fixés
sur les choses qui sont nécessaires à mon existence.
Ce sont ces choses que je dois produire indirectement
en en créant la valeur.
Le problème est pour moi de les produire le plus avantageusement possible.
En conséquence, je jette un coup d'œil sur le monde des valeurs,
résumé dans ce qu'on appelle un prix courant.
Je constate, d'après les données de ce prix courant,
que le moyen pour moi d'avoir la plus grande quantité possible
de combustible, par exemple, avec la plus petite quantité possible de travail,
c'est de faire un meuble, de le livrer à un Belge,
qui me donnera en retour de la houille.
Mais il y a en France un travailleur qui cherche
de la houille dans les entrailles de la terre.
Or, il est arrivé que les fonctionnaires,
que le mineur et moi contribuons à payer
pour maintenir à chacun de nous la liberté du travail,
et la libre disposition de ses produits (ce qui est la Propriété),
il est arrivé, dis-je, que ces fonctionnaires ont conçu une autre pensée,
et se sont donné une autre mission.
Ils se sont mis en tête qu'ils devaient pondérer
mon travail et celui du mineur.
En conséquence, ils m'ont défendu de me chauffer avec du combustible belge,
et quand je vais à, la frontière avec mon meuble pour recevoir la houille,
je trouve que ces fonctionnaires empêchent la houille d'entrer,
ce qui revient au même que s'ils empêchaient mon meuble de sortir.
Je me dis alors:
Si nous n'avions pas imaginé de payer des fonctionnaires
afin de nous épargner le soin de défendre nous-mêmes notre propriété,
le mineur aurait-il eu le droit d'aller à la frontière
m'interdire un échange avantageux,
sous le prétexte qu'il vaut mieux pour lui
que cet échange ne s'accomplisse pas?
Assurément non.
S'il avait fait une tentative aussi injuste,
nous nous serions battus sur place,
lui, poussé par son injuste prétention,
moi, fort de mon droit de légitime défense.
Nous avions nommé et nous payions un fonctionnaire
précisément pour éviter de tels combats.
Comment donc se fait-il que je trouve le mineur et le fonctionnaire
d'accord pour restreindre ma liberté et mon industrie,
pour rétrécir le cercle où mes facultés pourront s'exercer?
Si le fonctionnaire avait pris mon parti, je concevrais son droit;
il dériverait du mien, car la légitime défense est bien un droit.
Mais où a-t-il puisé celui d'aider le mineur dans sou injustice?
J'apprends alors que le fonctionnaire a changé de rôle.
Ce n'est plus un simple mortel investi
de droits à lui délégués par d'autres hommes
qui, par conséquent, les possédaient.
Non. Il est un être supérieur à l'humanité, puisant ses droits en lui même,
et parmi ses droits, il s'arroge celui de pondérer les profits,
de tenir l'équilibre entre toutes les positions et conditions.
C'est fort bien, dis-je, en ce cas,
je vais l'accabler de réclamations et de requêtes,
tant que je verrai un homme plus riche que moi sur la surface du pays.
Il ne vous écoutera pas, m'est-il répondu,
car s'il vous écoutait il serait Communiste,
et il se garde bien d'oublier que sa mission
est de garantir les propriétés, non de les niveler.
Quel désordre, quelle confusion dans les faits!
et comment voulez-vous qu'il n'en résulte pas
du désordre et de la confusion dans les idées?
Vous avez beau combattre le Communisme,
tant qu'on vous verra le ménager, le choyer, le caresser
dans cette partie de la législation qu'il a envahie, vos efforts seront vains.
C'est un serpent qui, avec votre approbation, par vos soins,
a glissé sa tête dans nos lois et dans nos mœurs,
et maintenant vous vous indignez
de ce que la queue s'y montre à son tour!
Il est possible, Monsieur, que vous me fassiez une concession;
vous me direz, peut-être:
Le régime protecteur repose sur le principe communiste.
Il est contraire au droit, à la propriété, à la liberté;
il jette le gouvernement hors de sa voie
et l'investit d'attributions arbitraires qui n'ont pas d'origine rationnelle.
Tout cela n'est que trop vrai;
mais le régime protecteur est utile;
sans lui le pays, succombant sous la concurrence étrangère, serait ruiné.
Ceci nous conduirait à examiner la restriction au point du vue économique.
Mettant de côté toute considération
de justice, de droit, d'équité, de propriété, de liberté,
nous aurions à résoudre la question de pure utilité,
la question vénale, pour ainsi parler,
et vous conviendrez que cela n'est pas mon sujet.
Prenez garde d'ailleurs qu'en vous prévalant de l'utilité
pour justifier le mépris du droit, c'est comme si vous disiez:
« Le Communisme, ou la spoliation, condamné par la justice,
peut néanmoins être admis tomme expédient. »
Et convenez qu'un tel aveu est plein le dangers.
Sans chercher à résoudre ici le problème économique,
permettez-moi une assertion.
J'affirme que j'ai soumis au calcul arithmétique
les avantages et les inconvénients dc a protection
au point de vue de la seule richesse,
et toute considération d'un ordre supérieur mise de côté.
J'affirme, en outre, que je suis arrivé à ce résultat:
que toute mesure restrictive produit un avantage et deux inconvénients,
ou, si vous voulez, un profit et deux pertes,
chacune de ces pertes égale au profit,
d'où il résulte une perte sèche, définitive,
laquelle vient rendre ce consolant témoignage
qu'en ceci, comme en bien d'autres choses, et j'ose dire en tout,
Utilité et Justice concordent.
Ceci n'est qu'une affirmation, c'est vrai;
mais on peut l'appuyer de preuves mathématiques.
Ce qui fait que l'opinion publique s'égare sur ce point,
c'est que le Profit de la protection est visible à l'œil nu,
tandis que des deux Pertes égales qu'elle entraine,
l'une se divise à l'infini entre tous les citoyens,
et l'autre ne se montre qu'à l'œil investigateur de l'esprit.
Sans prétendre faire ici cette démonstration,
qu'il me soit permis d'en indiquer la base.
Deux produits, A et B, ont en France une valeur normale de 50 et 40.
Admettons que A ne vaille en Belgique que 40.
Ceci posé, si la France est soumise au régime restrictif,
elle aura la jouissance de A et de B
en détournant de l'ensemble de ses efforts une quantité égale à 90,
car elle sera réduite à produire A directement.
Si elle est libre, cette somme d'efforts, égale à 90, fera face:
1° à la production de B qu'elle livrera à la Belgique pour en obtenir A;
2° la production d'un autre B pour elle-même;
3° à la production de C.
C'est cette portion de travail disponible appliqué à la production de C
dans le second cas, c'est-à-dire créant une nouvelle richesse égale à 10,
sans que pour cela la Franco soit privée ni de A ni de B,
qui fait toute ta difficulté.
À la place de A, mettez du fer;
à la place de B, du vin, de la soie, des articles Paris;
à la place de C, mettez de la richesse absente,
vous trouverez toujours que la Restriction restreint le bien-être national
[6].
Voulez-vous que nous sortions de cette pesante algèbre?
je le veux bien.
Vous ne nierez pas que si le régime prohibitif
est parvenu à faire quelque bien à l'industrie houillère
ce n'est qu'en élevant le prix de la houille.
Vous ne nierez pas non plus que cet excédant de prix,
depuis 1822 jusqu'à nos jours,
n'ait occasionné une dépense supérieure, pour chaque satisfaction déterminée,
à tous ceux qui emploient ce combustible,
en d'autres termes, qu'il ne représente une perte.
Peut-on dire que les producteurs de houille,
outre l'intérêt de leurs capitaux et les profits ordinaires de l'industrie,
ont recueilli, par le fait de la restriction,
un extra bénéfice équivalent à cette perte?
Il le faudrait pour que la protection,
sans cesser d'être injuste, odieuse, spoliatrice et communiste,
fût au moins neutre au point de vue purement économique.
Il le faudrait pour qu'elle méritat d'être assimilée
la simple Spoliation qui déplace la richesse sans la détruire.
Mais vous affirmez vous-même, page 236,
« que les mines de l'Aveyron, d'Alais, de Saint-Etienne,
du Creuzot, d'Anzin, les plus célèbres de toutes,
n'ont pas produit un revenu de 4 p. 100 du capital engagé! »
Pour qu'un capital en France donne 4 p. 100, il n'a pas besoin de protection.
Où est donc ici le profit à opposer à la perte signalée?
Ce n'est pas tout. Il y a là une autre perte nationale.
Puisque, par le renchérissement relatif du combustible,
tous les consommateurs de houille ont perdu, ils ont dû restreindre
proportionnellement leurs autres consommations,
et l'ensemble du travail national
a été nécessairement découragé dans cette mesure.
C'est cette perte qu'on ne fait jamais entrer en ligne de compte,
parce qu'elle ne frappe pas les regards.
Permettez-moi encore une observation
dont je suis surpris qu'on ne se soit pas plus frappé.
C'est que la protection appliquée aux produits agricoles
se montre dans toute son odieuse iniquité
à l'égard de ce qu'on nomme les Prolétaires,
tout en nuisant, à la longue, aux propriétaires fonciers eux mêmes.
Imaginons dans les mers du Sud une île
dont le sol soit devenu la propriété privée d'un certain nombre d'habitants.
Imaginons, sur ce territoire approprié et borné, une population prolétaire
toujours croissante ou tendant à s'accroitre
[7].
Cette dernière classe ne pourra rien produire directement
de ce qui est indispensable à la vie.
il faudra qu'elle livre son travail
à des hommes qui soient en mesure de lui fournir en échange des aliments,
et même des matériaux de travail;
des céréales, des fruits, des légumes, de la viande,
de la laine, du lin, du cuir, du bois, etc.
Son intérèt évident est que le marché où se vendent ces choses
soit le plus étendu possible. Plus elle se trouvera en présence
d'une plus grande abondance de ces produits agricoles,
plus elle en recevra pour chaque quantité donnée de son propre travail.
Sous un régime libre, on verra une foule d'embarcations
aller chercher des aliments et des matériaux
dans les îles et les continents voisins,
et y porter en paiement des produits façonnés.
Les propriétaires jouiront de toute la prospérité
à laquelle ils ont droit de prétendre;
un juste équilibre sera maintenu entre la valeur du travail industriel
et celle du travail agricole.
Mais, dans cette situation,
les propriétaires de l'île font ce calcul;
Si nous empêchions les prolétaires de travailler pour les étrangers
et d'en recevoir en échange des subsistances et des matières premières,
ils seraient bien forcés de s'adresser à nous.
Comme leur nombre croit sans cesse,
et que la concurrence qu'ils se font entre eux est toujours plus active,
ils se presseraient sur cette portion d'aliments et de matériaux
qu'il nous resterait à exposer en vente,
après avoir prélevé ce qui nous est nécessaire,
et nous ne pourrions manquer de vendre nos produits à très-haut prix.
En d'autres termes, l'équilibre serait rompu
dans la valeur relative de leur travail et du nôtre.
Ils consacreraient à nos satisfactions un plus grand nombre d'heures de labeur.
Faisons donc une loi prohibitive de ce commerce qui nous gêne,
et, pour l'exécution de cette loi, créons un corps de fonctionnaires
que les prolétaires contribueront avec nous à payer.
Je vous le demande, ne serait-ce pas le comble de l'oppression,
une violation flagrante de la plus précieuse de toutes les Libertés,
de la première et de la plus sacrée de toutes les Propriétés?
Cependant, remarquez-le bien,
il ne serait peut-être pas difficile aux propriétaires fonciers
de faire accepter cette loi comme un bienfait par les travailleurs.
Ils ne manqueraient pas de leur dire:
« Ce n'est pas pour nous, honnêtes créatures, que nous l'avons faite,
mais pour vous. Notre intérêt nous touche peu, nous ne pensons qu'au vôtre.
Grâce à cette sage mesure, l'agriculture va prospérer;
nous, propriétaires, nous deviendrons riches,
ce qui nous mettra à même de vous faire beaucoup travailler,
et de vous payer de bons salaires.
Sans elle nous serions réduits à la misère, et que deviendriez-vous?
L'île serait inondée de subsistances
et de matériaux de travail venus du dehors,
vos barques seraient toujours à la mer;
quelle calamité nationale!
L'abondance, il est vrai, régnerait autour de vous,
mais y prendriez-vous-part?
Ne dites pas que vos salaires se maintiendraient et s'élèveraient
parce que les étrangers ne feraient qu'augmenter le nombre
de ceux qui vous commandent du travail.
Qui vous assure qu'il ne leur prendra pas fantaisie
de vous livrer leurs produits pour rien?
En ce cas, n'ayant plus ni travail ni salaire,
vous périrez d'inanition au milieu de l'abondance.
Croyez-nous, acceptez notre loi avec reconnaissance.
Croissez et multipliez;
ce qu'il restera de vivres dans l'île
au delà de notre consommation, vous sera livré contre votre travail,
qui, par ce moyen, vous sera toujours assuré.
Surtout gardez-vous de croire qu'il s'agit ici d'un débat entre vous et nous,
dans lequel votre liberté et votre propriété sont en jeu.
N'écoutez jamais ceux qui vous le disent.
Tenez pour certain que le débat est entre vous et l'étranger,
ce barbare étranger, que Dieu maudisse,
et qui veut évidemment vous exploiter
en vous offrant des transactions perfides,
que vous êtes libres d'accepter ou de repousser. »
Il n'est pas invraisemblable qu'un pareil discours,
convenablement assaisonné de sophismes sur
le numéraire, la balance du commerce, le travail national,
l'agriculture nourricière de l'État, la perspective d'une guerre, etc., etc.,
n'obtint le plus grand succès,
et ne fit sanctionner le décret oppresseur par les opprimés eux-mêmes,
s'ils étaient consultés. Cela s'est vu et se verra.
Mais les préventions des propriétaires et des prolétaires
ne changent pas la nature des choses.
Le résultat sera une population misérable, affamée, ignorante, pervertie,
moissonnée par l'inanition, la maladie et le vice.
Le résultat sera encore le triste naufrage, dans les intelligences,
des notions du Droit, de la Propriété, de la Liberté
et des vraies attributions de l'État.
Et ce que je voudrais bien pouvoir démontrer ici,
c'est que le châtiment remontera bientôt aux propriétaires eux-mêmes,
qui auront préparé leur propre ruine par la ruine du public consommateur;
car, dans cette île, on verra la population,
de plus en plus abaissée, se jeter sur les aliments les plus inférieurs.
Ici elle se nourrira de châtaignes, là de mats,
plus loin de millet, de sarrasin, d'avoine, de pommes de terre.
Elle ne connaîtra plus le goût du blé et de la viande.
Les propriétaires seront tout étonnés de voir l'agriculture décliner.
Ils auront beau s'agiter, se réunir en comices,
y ressasser éternellement le fameux adage:
« Faisons des fourrages; avec des fourrages, on a des bestiaux;
avec des bestiaux, des engrais; avec des engrais, du blé. »
Ils auront beau créer de nouveaux impôts
pour distribuer des primes aux producteurs de trèfle et de luzerne;
ils se briseront toujours contre cet obstacle:
une population misérable hors d'état de payer la viande,
et, par conséquent, de donner le premier mouvement à cette triviale rotation.
Ils finiront par apprendre, à leurs dépens,
que mieux vaut subir la concurrence, en face d'une clientèle riche,
que d'être investi d'un monopole en présence d'une clientèle ruinée.
Voilà pourquoi je dis:
non-seulement la prohibition c'est du Communisme,
mais c'est du Communisme de la pire espèce.
Il commence par mettre les facultés et le travail du pauvre,
sa seule Propriété, à la discrétion du riche:
il entraîne une perte sèche pour la masse,
et finit par envelopper le riche lui-même dans la ruine commune.
Il investit l'État du singulier droit
de prendre à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont beaucoup;
et quand, en vertu de ce principe,
les déshérités du monde invoqueront l'intervention de l'État
pour opérer un nivellement en sens inverse,
je ne sais vraiment pas ce qu'il y aura à leur répondre.
En tout cas, la première réponse, et la meilleure,
serait de renoncer à l'oppression.
Mais j'ai hâte d'en finir avec ces calculs.
Après tout, quelle est la position du débat?
Que disons-nous et que dites-vous?
il y a un point, et c'est le point capital,
sur lequel nous sommes d'accord:
c'est que l'intervention du législateur pour niveler les fortunes
en prenant aux uns de quoi gratifier les autres, c'est du communisme,
c'est la mort de tout travail, de toute épargne, de tout bien-être,
de toute justice, de toute société.
Vous vous apercevez que cette doctrine funeste
envahit sous toutes les formes les journaux et les livres,
en un mot le domaine de la spéculation, et vous l'y attaquez avec vigueur.
Moi, je crois reconnaître qu'elle avait précédemment pénétré,
avec votre assentiment et votre assistance,
dans la législation et dans le domaine de la pratique,
et c'est là que je m'efforce de la combattre.
Ensuite, je vous fais remarquer l'inconséquence où vous tomberiez
si, combattant le Communisme en perspective,
vous ménagiez, bien plus, vous encouragiez le Communisme en action.
Si vous me répondez:
« J'agis ainsi parce que le Communisme réalisé par les tarifs,
quoique opposé à la Liberté, à la Propriété, à la Justice,
est néanmoins d'accord avec l'Utilité générale,
et cette considération me fait passer pardessus toutes les autres; »
si vous me répondez cela, ne sentez-vous pas
que vous ruinez d'avance tout le succès de votre livre,
que vous en détruisez la portée,
que vous le privez de sa force et donnez raison,
au moins sur la partie philosophique et morale de la question,
aux Communistes de toutes les nuances?
Et puis, Monsieur, un esprit aussi éclairé que le vôtre
pourrait-il admettre l'hypothèse d'un antagonisme radical
entre l'Utile et le Juste?
Voulez-vous que je parle franchement?
Plutôt que de hasarder une assertion aussi subversive, aussi impie,
j'aimerais mieux dire:
« Voici une question spéciale
dans laquelle, au premier coup d'œil,
il me semble que l'Utilité et la Justice se heurtent.
Je me réjouis que tous les hommes
qui ont passé leur vie à l'approfondir en jugent autrement;
je ne l'ai sans doute pas assez étudiée. »
Je ne l'ai pas assez étudiée!
Est-ce donc un aveu si pénible que, pour ne pas le faire,
on se jette dans l'inconséquence
jusqu'à nier la sagesse des lois providentielles
qui président au développement des sociétés humaines?
Car quelle plus formelle négation de la Sagesse Divine
que de décider l'incompatibilité essentielle
de la Justice et de l'Utilité!
Il m'a toujours paru que la plus cruelle angoisse
dont un esprit intelligent et consciencieux puisse être affligé,
c'est de trébucher à cette borne.
De quel côté se mettre, en effet, quel parti prendre
en face d'une telle alternative?
Se prononcera-t-on pour l'Utilité?
c'est à quoi inclinent les hommes qui se disent pratiques.
Mais à moins qu'ils ne sachent pas lier deux idées,
ils s'effraieront sans doute devant les conséquences
de la spoliation et de l'iniquité réduites en système.
Embrassera-t-on résolument, et quoi qu'il en coute,
la cause de la Justice, disant:
Fais ce que dois, advienne que pourra?
C'est à quoi penchent les âmes honnêtes;
mais qui voudrait prendre la responsabilité de plonger son pays et l'humanité
dans la misère, la désolation et la mort?
Je défie qui que ce soit, s'il est convaincu de cet antagonisme, de se décider.
Je me trompe. On se décidera, et le cœur humain est ainsi fait
qu'on mettra l'intérêt avant la conscience.
C'est ce que le fait démontre,
puisque partout où l'on a cru le régime protecteur favorable
au bien-être du peuple, on l'a adopté,
en dépit de toute considération de justice;
mais alors les conséquences sont arrivées.
La foi dans la propriété s'est effacée.
On a dit comme M. Billault:
Puisque la propriété a été violée par la Protection,
pourquoi ne le serait-elle pas par le droit au travail?
D'autres, derrière M. Billault, feront un troisième pas,
et d'autres, derrière ceux là, un quatrième,
jusqu'à ce que le Communisme ait prévalu
[8].
De bons et solides esprits, comme le vôtre,
s'épouvantent devant la rapidité de cette pente.
Ils s'efforcent de la remonter;
ils la remontent, en effet, ainsi que vous l'avez fait dans votre livre,
jusqu'au régime restrictif, qui est le premier élan
et le seul élan pratique de la société sur la déclivité fatale;
mais en présence de cette négation vivante du droit de propriété,
si, à la place de cette maxime de votre livre:
« Les droits sont ou ne sont pas;
s'ils sont, ils entrainent des conséquences absolues, »
vous substituez celle-ci:
« Voici un cas particulier
où le bien national exige le sacrifice du droit; »
à l'instant, tout ce que vous avez cru mettre
de force et de raison dans cet ouvrage,
n'est que faiblesse et inconséquence.
C'est pourquoi, Monsieur, si vous voulez achever votre œuvre,
il faut que vous vous prononciez sur le régime restrictif,
et pour cela il est indispensable de commencer
par résoudre le problème économique;
il faut bien être fixé sur la prétendue Utilité de ce régime.
Car, à supposer même que j'obtinsse de vous son arrêt de condamnation,
au point de, vue de la Justice, cela ne suffirait pas pour le tuer.
Je le répète, les hommes sont ainsi faits que,
lorsqu'ils se croient placés
entre le bien réel et le juste abstrait,
la cause de la justice court un grand danger.
En voulez-vous une preuve palpable?
C'est ce qui m'est survenu à moi-même.
Quand j'arrivai à Paris,
je me trouvai en présence d'écoles dites démocratiques et socialistes,
où, comme vous savez, on fait grand usage des mots
principe,
dévouement,
sacrifice,
fraternité,
droit,
union.
La richesse y est traitée de haut en bas,
comme chose sinon méprisable, du moins secondaire;
jusque-là que, parce que nous en tenons grand compte,
on nous y traite, nous,
de froids économistes,
d'égoistes,
d'individualistes,
de bourgeois,
d'hommes sans entrailles,
ne reconnaissant pour Dieu que le vil intérêt
[9].
Bon! me dis-je, voilà de nobles cœurs
avec lesquels je n'ai pas besoin de discuter
le point de vue économique, qui est fort subtil
et exige plus d'application
que les publicistes parisiens n'en peuvent, en général,
accorder à une étude de ce genre.
Mais, avec ceux-ci, la question d'intérêt ne saurait être un obstacle;
ou ils le croiront, sur la foi de la Sagesse Divine,
en harmonie avec la justice,
ou ils le sacrifieront de grand cœur,
car ils ont soif de Dévouement.
Si donc ils m'accordent une fois que le Libre-Échange,
c'est le droit abstrait, ils s'enrôleront résolument sous sa bannière.
En conséquence, je leur adressai mon appel.
Savez-vous ce qu'ils me répondirent?
Le voici:
Votre Libre-Échange est une belle utopie.
II est fondé en droit et en justice;
il réalise la liberté;
il consacre la propriété;
il aurait pour conséquence
l'union des peuples,
le règne de la fraternité parmi les hommes.
Vous avez mille fois raison en principe,
mais nous vous combattrons à outrance et par tous les moyens,
parce que la concurrence étrangère serait fatale au travail national.
Je pris la liberté de leur adresser cette réponse:
Je nie que la concurrence étrangère fût fatale au travail national.
En tout cas, s'il en était ainsi,
vous seriez placés entre l'Intérêt
qui, selon vous, est du côté de la restriction,
et la Justice qui, de votre aveu, est du côté de la liberté.
Or, quand moi, l'adorateur du veau d'or,
je vous mets en demeure de faire votre choix,
d'où vient que vous, les hommes de l'abnégation,
vous foulez aux pieds les principes pour vous cramponner à l'intérêt?
Ne déclamez donc pas tant contre un mobile qui vous gouverne,
comme il gouverne les simples mortels.
Cette expérience m'avertit qu'il fallait avant tout
résoudre cet effrayant problème:
Y a-t-il harmonie ou antagonisme entre la Justice et l'Utilité?
et, par conséquent, scruter le côté économique du régime restrictif;
car, puisque les Fraternitaires eux-mêmes lachaient pied
devant une prétendue perte d'argent,
il devenait clair que ce n'est pas tout
de mettre à l'abri du doute la cause de la Justice Universelle,
il faut encore donner satisfaction
à ce mobile indigne, abject, méprisable et méprisé, mais tout-puissant,
l'Intérêt.
C'est ce qui a donné lieu à une petite démonstration en deux volumes,
que je prends la liberté de vous envoyer avec la présente
[10],
bien convaincu, Monsieur, que si, comme les économistes,
vous jugez sévèrement le régime protecteur, quant à sa moralité,
et si nous ne différons qu'en ce qui concerne son utilité,
vous ne refuserez pas de rechercher avec quelque soin,
si ces deux grands éléments de la solution définitive
s'excluent ou concordent.
Cette harmonie existe,
ou du moins elle est aussi évidente pour moi que la lumière du soleil.
Puisse-t-elle se révéler à vous!
C'est alors qu'appliquant votre talent éminemment propagateur
à combattre le Communisme dans sa manifestation la plus dangereuse,
vous lui porteriez un coup mortel.
Voyez ce qui se passe en Angleterre.
Il semble que si le Communisme avait dû trouver quelque part
une terre qui lui fût favorable, ce devait être le sol britannique.
Là les institutions féodales plaçant partout,
en face l'une de l'autre, l'extrème misère et l'extrême opulence,
avaient du préparer les esprits à l'infection des fausses doctrines.
Et pourtant que voyons-nous?
Pendant qu'elles bouleversent le continent,
elles n'ont pas seulement troublé la surface de la société anglaise.
Le Chartisme n'a pas pu y prendre racine.
Savez-vous pourquoi?
Parce que l'association qui, pendant dix ans,
a discuté le régime protecteur n'en a triomphé
qu'en jetant de vives lumières sur le principe de la Propriété
et sur les fonctions rationnelles de l'État
[11].
Sans doute, si démasquer le Prohibitionisme c'est atteindre le Communisme,
par la même raison, et à cause de leur étroite connexité,
on peut aussi les frapper tous deux en suivant,
comme vous avez fait, la marche inverse.
La restriction ne saurait résister longtemps
devant une bonne définition du Droit de Propriété.
Aussi, si quelque chose m'a surpris et réjoui,
c'est de voir l'association pour la défense des monopoles
consacrer ses ressources à propager votre livre.
C'est un spectacle des plus piquants,
et il me console de l'inutilité de mes efforts passés.
Cette résolution du comité Mimerel
vous obligera sans doute à multiplier les éditions de votre ouvrage.
En ce cas, permettez-moi de vous faire observer que,
tel qu'il est, il présente une grave lacune.
Au nom de la science, au nom de la vérité, au nom du bien publie,
je vous adjure de la combler,
et vous mets en demeure de répondre à ces deux questions:
1° Y a-t-il incompatibilité, en principe,
entre le régime protecteur et le droit de propriété?
2° La fonction du gouvernement est-elle
de garantir à chacun le libre exercice de ses facultés
et la libre disposition du fruit de son travail, c'est-à-dire la Propriété,
ou bien de prendre aux uns pour donner aux autres,
de manière à pondérer les profits, les chances et le bien-être?
Ah! Monsieur, si vous arriviez aux mêmes conclusions que moi;
si, grâce à votre talent, à votre renommée, à votre influence,
vous faisiez prévaloir ces conclusions dans l'opinion publique,
qui peut calculer l'étendue du service
que vous rendriez à la société française?
On verrait l'État se renfermer dans sa mission,
qui est de garantir à chacun l'exercice de ses facultés
et la libre disposition de ses biens.
On le verrait se décharger à la fois
et de ses colossales attributions illégitimes
et de l'effrayante responsabilité qui s'y attache.
II se bornerait à réprimer les abus de la liberté,
ce qui est réaliser la liberté même.
Il assurerait la justice à tous,
et ne promettrait plus la fortune à personne.
Les citoyens apprendraient à distinguer
ce qu'il est raisonnable et ce qu'il est puéril de lui demander.
Ils ne l'accableraient plus de prétentions et d'exigences;
ils ne l'accuseraient plus de leurs maux;
ils ne fonderaient plus sur lui des espérances chimériques;
et, dans cette ardente poursuite d'un bien dont il n'est pas le dispensateur,
on ne les verrait pas, à chaque déception,
accuser le législateur et la loi,
changer les hommes et les formes du gouvernement,
entasser institutions sur institutions et débris sur débris.
On verrait s'éteindre cette universelle fièvre de spoliation réciproque
par l'intervention si coûteuse et si périlleuse de L'État.
Le gouvernement, limité dans son but et sa responsabilité,
simple dans son action, peu dispendieux,
ne faisant plus peser sur les gouvernés les frais de leurs propres chaînes,
soutenu par le bon sens public, aurait une solidité
qui, dans notre pays, n'a jamais été son partage,
et nous aurions enfin résolu ce grand problème:
Fermer à jamais l'abîme des révolutions.
Notes
[1]:
Au moment où parut cet opuscule, c'est-à-dire en janvier 1849,
M. Thiers était fort en crédit à l'Élysée.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[2]:
Voy., au tome Ier,
les lettres adressées à M. de Lamartine
en janvier 1845
et octobre 1846,
et, au tome II, l'article Communisme, du 27 juin 1847.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[3]:
Voy., au tome II,
l'article Libre-Échange, du 20 décembre 1846.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[4]:
Cette pensée par laquelle, suivant l'auteur,
M. Billault pouvait fortifier son argumentation,
un autre protectioniste devait l'adopter bientôt.
Elle fut développée par M. Mimerel,
dans un discours prononcé, le 27 avril 1850,
devant le conseil général de l'agriculture, des manufactures et du commerce.
Voy. le passage de ce discours cité au tome V,
dans l'opuscule Spoliation et Loi.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[5]:
Voy., au présent volume, page 94,
le chap. XVIII des Sophismes.
Voy. aussi les p. 101 et 102,
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
Cette dernière remarque se rapporte dans
Travail Humain, Travail National
aux neufs paragraphes
de « Je ne puis pas m'expliquer... » à
« ... en parfaite ignorance de cause. »
(Note de Faré 2001-03-21.)
[6]:
Voy., au tome II, les articles
Un profit contre deux pertes,
Deux pertes contre un profit.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[7]:
Voy., au présent tome,
la 3e lettre de l'opuscule
Propriété et Spoliation,
p. 407 et suiv.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[8]:
Voy., au tome V,
les dernières pages du pamphlet intitulé
Spoliation et Loi.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[9]:
Voy. au tome II,
la plupart des articles compris sous cette rubrique:
Polémique contre les journaux,
et notamment l'article intitulé:
Le Parti démocratique et le Libre-Échange.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[10]:
Ces deux petits volumes, que l'auteur envoya en effet à M. Thiers,
étaient la première et la seconde série des Sophismes.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
[11]:
Voy. au tome II, l'introduction.
(Note de l'éditeur de l'édition originale.)
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