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Friedrich August von Hayek
(1899-1992) a été le penseur le plus profond et le leader international
du libéralisme économique durant le vingtième
siècle. Il est aujourd'hui la principale référence des adeptes comme
des adversaires de cette doctrine et de ses réalisations.
Vie et oeuvres
Né à Vienne en 1899, docteur en droit et science politique, il fonde en 1927, avec Ludwig von Mises, autre grand économiste autrichien de ce temps, l’Institut autrichien de recherche économique et le dirige jusqu’en 1931. Il commence à enseigner à l’Université de Vienne en 1929, au moment où éclate la grande crise de l’entre-deux-guerres, et, s’étant rapidement acquis une grande notoriété, il est recruté dès 1931 par la célèbre London School of Economics où il enseignera jusqu’en 1950. En 1947, il est à l’origine de la fondation de la fameuse Société du Mont Pèlerin (du nom du lieu suisse de sa première réunion) qui réunit aujourd’hui les économistes défenseurs de l’économie de marché et du libéralisme économique du monde entier. De 1950 à 1961, il occupe la chaire de sciences sociales et morales à l’Université de Chicago, puis de 1962 à 1977 une chaire d’économie politique à l’Université de Fribourg en Allemagne, devenue l’un des haut-lieux de la pensée économique libérale en Europe, ainsi qu’à l’Université de Salzbourg en Autriche. En 1974, il obtient le prix Nobel de sciences économiques. Il décède à Fribourg en 1992.
Né à Vienne en 1899, docteur en droit et science politique, il fonde en 1927, avec Ludwig von Mises, autre grand économiste autrichien de ce temps, l’Institut autrichien de recherche économique et le dirige jusqu’en 1931. Il commence à enseigner à l’Université de Vienne en 1929, au moment où éclate la grande crise de l’entre-deux-guerres, et, s’étant rapidement acquis une grande notoriété, il est recruté dès 1931 par la célèbre London School of Economics où il enseignera jusqu’en 1950. En 1947, il est à l’origine de la fondation de la fameuse Société du Mont Pèlerin (du nom du lieu suisse de sa première réunion) qui réunit aujourd’hui les économistes défenseurs de l’économie de marché et du libéralisme économique du monde entier. De 1950 à 1961, il occupe la chaire de sciences sociales et morales à l’Université de Chicago, puis de 1962 à 1977 une chaire d’économie politique à l’Université de Fribourg en Allemagne, devenue l’un des haut-lieux de la pensée économique libérale en Europe, ainsi qu’à l’Université de Salzbourg en Autriche. En 1974, il obtient le prix Nobel de sciences économiques. Il décède à Fribourg en 1992.
Hayek a publié
jusqu’à la fin de sa vie de très nombreux et importants livres et
articles de théorie économique et de doctrine politique
et économique ainsi que de philosophie sociale et morale. Ses
ouvrages les plus connus traduits en français sont: Prices and Production 1931 ( Prix et
production 1975) - The Road to Serfdom 1944 ( La route de la servitude 1946) - The Conter-Revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason 1952
(Scientisme et sciences sociales: essai sur le mauvais usage de la raison 1986) -Constitution of Liberty 1960 (La constitution de la liberté 1994) - Law, Legislation and
Liberty, 3 tomes,1973-1979 ( Droit, législation et liberté 1980-1983) - The Fatal Conceit: The Errors of
Socialism 1988 ( La présomption fatale: les erreurs du socialisme 1993).
Critique de l'étatisme et du constructivisme
La démarche intellectuelle de Hayek s'est caractérisée par un approfondissement continu de sa pensée, de la théorie jusqu'à la philosophie. Il s’est d’abord fait connaître dans les années trente par sa théorie des crises et des fluctuations économiques qui a constitué la principale alternative totalement contradictoire à la vision que le grand économiste anglais de l’Université de Cambridge John Maynard Keynes a présentée en 1936 dans sa fameuse Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Alors que pour Keynes la cause fondamentale de la crise et du chômage est l’insuffisance actuelle de l’investissement due à un manque de demande, pour Hayek c’est au contraire un excès d’investissement financé par une expansion monétaire inflationniste et une déformation de la structure des prix et de l’offre dans la phase de croissance accélérée antérieure à la crise. Les conclusions de politique économique sont évidemment diamétralement opposées. C’est la théorie de Keynes et la politique d’expansion budgétaire et monétaire, que Hayek considérait comme une sorte de drogue sociale créant euphorie et accoutumance puis inévitablement nouvel effondrement économique, qui a triomphé dans les années 40 et 50. Mais l’inflation croissante des années 60 suivie de la nouvelle crise mondiale à partir des années 70 ont redonné tardivement toute sa pertinence à la vision hayekienne, qui a connu dès lors un regain d’intérêt spectaculaire dans la théorie économique contemporaine.
Au-delà de la critique de l’interventionnisme keynésien, Hayek a contesté de manière encore plus déterminée la planification et le socialisme collectiviste. Il a d’abord démontré la nécessaire défaillance technique de la direction étatique de l’économie en raison de l’extraordinaire complexité des évolutions et relations économiques dans une économie quelque peu évoluée. Même dotée des ordinateurs les plus puissants, la planification est hors d’état de connaître l’ensemble des données psychologiques et techniques extrêmement variées intervenant dans la production, la distribution et la consommation et plus l’économie est développée plus elle est incapable d’assurer la rationalité à laquelle elle prétend. Si elle tente néanmoins d’imposer ses vues, elle ne peut y parvenir qu’en établissant un régime totalitaire et c’est inévitablement alors la route de la servitude politique et tôt ou tard aussi du chaos économique et social.
Approfondissant toujours davantage sa contestation de l’action de l’Etat dans la société, Hayek mène finalement une croisade contre la philosophie sous-jacente à cette action, ce qu’il appelle le rationalisme constructiviste. Autant celui-ci lui paraît parfaitement applicable au domaine de la nature, autant il considère comme une erreur intellectuelle fondamentale de vouloir le transposer au domaine de la société. Si les savants et les ingénieurs sont capables de transformer la nature pour le bien de l’humanité, les intellectuels et les dirigeants politiques sont hors d’état de réunir la somme des connaissances, des informations et des prévisions qui permettraient d’établir un ordre social satisfaisant. Aucun cerveau humain, écrit-il, ne peut concevoir toute la complexité sociale. Aucune organisation sociale artificielle, construite par les hommes selon des plans prédéterminés, n’est capable de se substituer à l’ordre social spontané, fruit de l’action collective de l’humanité au cours de son histoire sans être pour autant le résultat d’un projet humain précis. La présomption rationaliste Hayek, à Hobbes et à Rousseau et peut-être même déjà à Descartes et trouve naturellement son point culminant dans le scientisme social de Marx et de ses innombrables disciples.
Evolutionnisme et libéralisme
Renouant quant à lui avec la conception empirique et évolutionniste des philosophes écossais du 18è siècle, en particulier Ferguson, Hume et Smith, Hayek considère que les principales institutions et règles de comportement les plus aptes à assurer la coopération sociale sont nées, comme le marché, la monnaie, le langage, la morale, par sélection naturelle au cours d’une évolution sociale millénaire sans que personne ne les ait consciemment et volontairement construites. Les institutions, écrit-il, sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins . Elles ne sont certes jamais parfaites et ne doivent pas cesser d’évoluer, mais, parce qu’elles sont le produit de toute l’expérience humaine, elles organisent la vie sociale de manière beaucoup plus efficiente et satisfaisante que les institutions et régulations artificielles prétendument rationnelles.
Renouant quant à lui avec la conception empirique et évolutionniste des philosophes écossais du 18è siècle, en particulier Ferguson, Hume et Smith, Hayek considère que les principales institutions et règles de comportement les plus aptes à assurer la coopération sociale sont nées, comme le marché, la monnaie, le langage, la morale, par sélection naturelle au cours d’une évolution sociale millénaire sans que personne ne les ait consciemment et volontairement construites. Les institutions, écrit-il, sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins . Elles ne sont certes jamais parfaites et ne doivent pas cesser d’évoluer, mais, parce qu’elles sont le produit de toute l’expérience humaine, elles organisent la vie sociale de manière beaucoup plus efficiente et satisfaisante que les institutions et régulations artificielles prétendument rationnelles.
Nous ne devons jamais perdre de vue, écrit-il, que c’est le fait même de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers déterminant les processus sociaux qui est la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont .
Les institutions, ajoute Hayek, ont pour mission de promouvoir et d'organiser la coopération sociale des hommes et elles sont donc fondamentalement des mécanismes d'information. C’est en particulier le cas du marché. Adam Smith avait montré qu’il assurait par une sorte de main invisible la concordance des intérêts particuliers et de l’intérêt général et donc le fonctionnement automatique d’une économie même extrêmement complexe. Hayek démontre que cette supériorité en quelque sorte génétique du marché sur le plan ou tout autre instrument de direction étatique tient au fait qu’il est un extraordinaire synthétiseur et transmetteur d’ informations, de savoirs et d’anticipations dispersées et fragmentées entre des millions d’individus et d’entreprises. Il démontre aussi, à l’encontre de certains libéraux attachés à l’intensité de la concurrence, que même imparfait, le marché continue d’assumer ce rôle essentiel de procédure d’information et de découverte et aussi de mécanisme impitoyable de sélection, pourvu que soit assurée la liberté de concurrence. Il appuie ainsi une vision particulièrement libérale de l'économie de marché.
La vision hayekienne du devenir des sociétés va constituer finalement le nouveau fondement philosophique d’un projet de libération des sociétés modernes, dans lequel Hayek donne à l’Etat essentiellement le rôle d’assurer la liberté individuelle et la spontanéité de l‘évolution sociale. Cette position se traduit notamment dans la promotion du droit coutumier face à la législation contraignante et au positivisme juridique, de la loi générale face à la réglementation, de l’état de droit face à la démocratie, etc. Il est impossible de résumer brièvement la richesse et l’originalité des analyses philosophiques, juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui se trouvent principalement dans les trois tomes de Droit, législation et liberté, auxquels on ne peut que renvoyer le lecteur intéressé aux questions de société.
Les thèses de Hayek ne
sont naturellement pas restées sans critiques et contestations d’ordre
philosophique, épistémologique ou théorique. On lui a
reproché notamment d’avoir sous-estimé, dans son explication de la
genèse des institutions et régulations sociales par la sélection
naturelle, le rôle parfois décisif des conceptions
scientifiques et idéologiques et de la volonté humaine dans ce
processus historique d’apprentissage. On a contesté sa tendance à
considérer automatiquement la survie d’une institution dans le
processus de sélection naturelle comme une présomption
d’efficacité sociale. On a relevé une certaine incohérence entre sa
conception évolutionniste ainsi que son insistance sur les limites de
la connaissance humaine et la formulation de certaines de ses
propositions de réforme politique et économique. Et il a naturellement
subi les critiques de tous les adversaires du libéralisme
économique, sans que ceux-ci aient toujours lu attentivement ses
ouvrages.
Il n’empêche que Hayek a énormément enrichi la perception et l’interprétation des faits économiques et sociaux, qu’il a largement anticipé et expliqué les défaillances du keynésianisme, qu’il a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste et enfin qu’il a contribué puissamment à la défense et illustration de l’économie de marché. Il demeurera incontestablement comme l’un des grands penseurs sociaux du vingtième siècle.
Aussi commentaire de François Bilger:
Dans le même esprit, il y a une apostrophe bien connue de Jacques Rueff: " Soyez libéraux, soyez socialistes, mais soyez honnêtes ". Il voulait dire: on a parfaitement la possibilité d'établir tel "avantage social" ou telle "protection sociale", mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ont un coût et qu'en définitive ce coût est toujours supporté - toutes choses restant égales par ailleurs - par les salariés eux-mêmes, au mieux par une réduction de leur revenu direct, au pire par le chômage pour un certain nombre d'entre eux.
Il n’empêche que Hayek a énormément enrichi la perception et l’interprétation des faits économiques et sociaux, qu’il a largement anticipé et expliqué les défaillances du keynésianisme, qu’il a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste et enfin qu’il a contribué puissamment à la défense et illustration de l’économie de marché. Il demeurera incontestablement comme l’un des grands penseurs sociaux du vingtième siècle.
Aussi commentaire de François Bilger:
Dans le même esprit, il y a une apostrophe bien connue de Jacques Rueff: " Soyez libéraux, soyez socialistes, mais soyez honnêtes ". Il voulait dire: on a parfaitement la possibilité d'établir tel "avantage social" ou telle "protection sociale", mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ont un coût et qu'en définitive ce coût est toujours supporté - toutes choses restant égales par ailleurs - par les salariés eux-mêmes, au mieux par une réduction de leur revenu direct, au pire par le chômage pour un certain nombre d'entre eux.
Un dernier mot se méfier des théoriciens en politique. Hegel constatait au début du 19è siècle: " L'étude théorique, je m'en persuade chaque jour davantage, est en définitive plus déterminante pour le monde que le travail pratique; lorsque la révolution a été portée dans le royaume des idées, elle suit rapidement dans celui des réalités". Prédiction hélas remarquablement illustrée peu après par son grand disciple, Karl Marx. Dans le même registre, le grand adversaire de Hayek, John Maynard Keynes, écrivait à la fin de sa "Théorie Générale": "Nous sommes convaincu qu'on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l'empire qu'acquièrent progressivement les idées". Prévision là aussi tout à fait vérifiée par l'énorme influence exercée par les propositions keynésiennes sur la politique économique d'un grand nombre de pays au 20è et même encore au 21è siècles. Oui, il faut se méfier des théoriciens, ils sont capables de vous faire agir, pour le meilleur...ou le pire!
Esclandre à Stockholm. Quand Hayek recevait son prix Nobel il y a 50 ans.
via Damien Theillier
Friedrich Hayek et Gunnar Myrdal ont reçu leur prix Nobel d’économie en 1974, il y a tout juste 40 ans. Chez eux, tout s’opposait : leurs personnalités et leurs convictions.
Source : Jean-Philippe Bidault, Si l’argent m’était conté…, 2012.Friedrich Hayek
De Wikiberal
Friedrich Hayek, né Friedrich August von Hayek, (Vienne, Autriche, 8 mai 1899 - Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, 23 mars 1992) est un économiste et philosophe de l'école autrichienne, promoteur du capitalisme contre le socialisme ou toute forme d'étatisme trop entreprenante et qui ne respecterait pas la Rule of Law. Il a reçu le Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la conjoncture.
Il s'est intéressé à de nombreux champs de la connaissance humaine, comme l'économie, le droit, la psychologie[1], la philosophie ou la science politique. Il reste en particulier très connu pour ses ouvrages de philosophie sociale comme La Constitution de la liberté (1960) ou Droit, législation et liberté (1973-1979), ouvrages fondateurs du libéralisme contemporain et dans lesquels il défend la notion d'ordre spontané. Il a également écrit l'ouvrage à succès La Route de la servitude en 1945.
Il naît à Vienne au tournant du siècle, dans une famille
d'intellectuels. Son père était médecin et botaniste, son grand-père
maternel professeur de droit constitutionnel et il était cousin de
Ludwig Wittgenstein par sa mère. Esprit précoce, il est surnommé par ses
camarades Lex comme Lexicon pour ses connaissances extrêment larges[2]. Il se fait cependant mal au climat rigide du Gymnasium autrichien.
Il sert comme soldat lors de la première guerre mondiale à partir
de 1917 sur le front italien puis rejoint en 1918 l'université de
Vienne. Il y obtient son doctorat en droit en 1921 et en sciences
politiques en 1923. Il est déjà intéressé par de nombreux domaines de la
connaissance et étudie l'économie et la psychologie. Il conservera ce
souci d'éclectisme toute sa vie et écrivit dans La Route de la servitude :
« personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement
économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est
qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. » C'est dans
ces années là qu'il se rapproche des idées libérales, par la
fréquentation du fameux séminaire privé du principal économiste autrichien de l'époque, Ludwig von Mises, aux côtés de Fritz Machlup. Il suit également les enseignements de Friedrich von Wieser et lit sous la direction de Mises les principaux ouvrages de Carl Menger et d'Eugen von Böhm-Bawerk.
Il commence à travailler auprès de Ludwig von Mises puis rejoint
l'université de New-York où il effectue des recherches post-doctorales[3]. Il y rencontre son compatriote Joseph Schumpeter ou l'économiste américain Irving Fisher.
De retour en Autriche, il travaille pour le gouvernement
autrichien, l'aidant à résoudre les questions économiques afférentes au
traité qui met fin à la Première Guerre mondiale. Il se marie en 1926.
En 1927, il fonde avec Ludwig von Mises l'institut autrichien de la conjoncture (Österreichische Konjunkturinstitut). Il le dirigera jusqu'en 1931. En 1929, il devient professeur en économie à l'université de Vienne et publie Geldtheorie und Konjunkturtheorie. Il acquiert par là une certaine notoriété.
Remarqué par le directeur du département d'économie de la London School of Economics, Lionel Robbins,
il est invité par ce dernier à y donner une série de quatre conférences
en 1931. Le succès est tel qu'il se voit offrir en 1932 la Tooke Chair of Economic Science and Statistics à la LSE[4]. Il poursuit pendant les années 1930 ses travaux sur la théorie du cycle, dans lesquels il approfondit la position autrichienne. Il s'oppose avec force sur ce sujet avec la théorie défendue par John Maynard Keynes à Cambridge, mais c'est la vision keynésienne qui l'emporte, au moins temporairement, dans l'opinion publique.
Il publie en 1931 Prices and Production. Sur les conseils de Gottfried Haberler, il s'intéresse aux idées de Karl Popper, qu'il fait en partie siennes. En 1935, il réfute les arguments des tenants du socialisme de marché (Oskar Lange) dans le débat sur le calcul économique en régime socialiste avec la parution du recueil Collectivist Economic Planning: Critical Studies on the Possibilities of Socialism.
Il acquiert en 1938 la nationalité britannique. La même année, il participe au Colloque Walter Lippmann qui réunit à Paris de nombreux intellectuels libéraux, désireux de « refonder » le libéralisme.
Face à la montée du socialisme, du planisme et du militarisme, il
écrit plusieurs articles dans lesquels il dénonce les dangers que cette
route représente[5]. Il synthétise sa réflexion sur la question dans son ouvrage majeur de 1944, La Route de la servitude. Dans ce manifeste du libéralisme du XXe siècle qui est encore un best-seller aujourd'hui, il montre comment l'emballement totalitaire qui ravage l'Europe des années 1940 est la conséquence directe des idées collectivistes qui ont prévalues durant l'entre-deux guerres, à rebours des explications du totalitarisme comme nécessaire dégénérescence du capitalisme.
Pour Hayek, la socialisation de l'économie et l'intervention massive de
l'État sur le marché débouchent sur la suppression des libertés
individuelles; il n'existe pas de différence de nature mais seulement de
degré entre le communisme et son imitateur le nazisme, entre socialisme
et totalitarisme. C'est un succès commercial traduit en 20 langues et
ayant connu plus de 30 rééditions aux États-Unis. Son édition abrégée
dans le Readers' Digest en 1945 toucha environ 600 000 lecteurs
américains et une édition en images est même réalisée[6].
Dans la dynamique de son engagement « politique », il fonde en 1947 la Société du Mont-Pèlerin, dont il sera le président jusqu'en 1961, passant le relais à l'ordolibéral Wilhelm Röpke.
En 1950, il quitte la LSE pour l'université de Chicago. Refusé au
département d'économie, il enseigne finalement les « social thoughts ».
Sa position n'était pas rémunérée mais il était financé par des mécènes
comme le Liberty Fund.
Après le succès médiatique (essentiellement aux USA) de La Route
et la notoriété de propagandiste qui lui colle à la peau, Hayek essaye
de regagner l'estime du monde universitaire et se concentrera sur des
questions psychologiques en 1952, l'Ordre sensoriel ou épistémologiques, The Counter-revolution of science, après le « virage » poppérien de 1936 ("Economics and Knowledge", dans Individualisme et ordre économique), développeront ses idées de limitation de la raison individuelle, dans la filiation des Lumières écossaises.
En 1960, La Constitution de la liberté reprend de manière plus positive le cadre normatif (Rule of Law, état de droit) qui sous-tend un ordre politique libéral.
De retour en Europe, il enseigne à Fribourg-en-Brisgau de 1962
jusqu'à sa retraite. Il profite de ces années pour écrire la trilogie
des Droit, législation et liberté, tout en intégrant pleinement le paradigme évolutionniste (troisième terme entre nature et culture) que les articles des Studies... avaient préparé, lui permet d'affiner son vocabulaire (catallaxie, kosmos et taxis, nomos/thesis, démarchie) et de constituer une sorte de somme de sa pensée; son dernier ouvrage, La Présomption fatale, est une variation sur le thème de la réfutation du socialisme.
En 1974,
il reçoit le Prix Nobel en économie (en même temps que le socialiste
Gunnar Myrdal), pour ses travaux des années 1930 sur la théorie du
cycle. De plus en plus reconnu, il reçoit en 1991 la Presidential Medal
of Freedom, plus haute récompense civile américaine.
Consulter la liste des œuvres de Friedrich August von Hayek.
Pensée
Epistémologie
Son refus de la planification est également enrichi et étayé par ses réflexions psychologiques sur l'ordre sensoriel.
D'après Friedrich Hayek, la perception du monde que capte chaque
individu est nécessairement idiosyncrasique. Chaque individu ne peut pas
saisir la réalité dans toute sa complexité,
il la perçoit en fonction des circonstances de temps et de lieu. De ce
fait, comment des gouvernants pourraient-ils légitimement et
scientifiquement intervenir dans les choix économiques des individus ?
Contre les constructivistes
de gauche et de droite, le philosophe et économiste a livré un combat
qui se situe également sur le plan juridique et institutionnel. A la
suite d'Adam Ferguson et des autres auteurs phares des Lumières écossaises, Hayek
a montré sa préférence pour des instances "résultant de l'action des
hommes, mais non de leurs desseins". Selon lui, la meilleure garantie
pour la préservation de la liberté et le maintien d'une société
civilisée réside dans la défense d'un ordre spontané
qui permet "la mise en ordre de l'inconnu", et n'émanant pas d'un
cerveau planificateur - sans pour autant se confondre avec une sorte
d'organisme naturel. Hayek s'inscrit donc dans une logique
évolutionniste, qu'il oppose au constructivisme
socialiste et conservateur. C'est aussi pourquoi il considère que
l'ordre juridique ne peut découler du droit public, mais ne peut être
que la forme évolutive prise par le droit privé dans son continuel
processus d'essais et d'erreurs.
Economie
Ses thèses sur le malinvestissement et le rôle du crédit dans le développement des crises économiques s'opposent au keynésianisme : il cherche à montrer comment les politiques keynésiennes de croissance économique, basées sur l'utilisation du budget public et des agrégats, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et chômage (telle la stagflation des années 1970).
Développant la théorie des fluctuations économiques (vision « autrichienne » des cycles) déjà esquissée par Ludwig von Mises, il soutient que les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales et que la seule façon d'en sortir est de laisser jouer les forces du marché.
L'économie se trouve comparée dans cette théorie à la nature, son
fonctionnement repose alors sur des lois, comme dans les sciences dures.
La meilleure solution pour Hayek sera donc de laisser l'économie suivre
sa tendance naturelle qui fonctionnne parfaitement seule.
Il s'oppose aux intellectuels socialistes ou constructivistes,
qui croient que l'on peut refaire le monde à partir d'un projet de
société théorique. Plus généralement, il combat toutes les idées
affirmant qu'il est possible et souhaitable d'agir sur l'économie au nom de l'intérêt général, dont il récuse l'existence (cf. Droit, législation et liberté, vol. II). Il cherche à expliquer notamment comment l'intervention étatique dans le marché ne génère qu'inflation, chômage, récession ou dépression.
Friedrich Hayek a eu une influence considérable sur de nombreux
économistes et chercheurs en sciences sociales, comme par exemple Israel Kirzner. En France, il est représenté par l'école libérale aixoise (Jacques Garello, Jean-Pierre Centi, Gérard Bramoullé) et l'école libérale parisienne (Pascal Salin, Henri Lepage, Bertrand Lemennicier). A Montpellier, le regretté professeur de Droit, Christian Mouly présenta son apport scientifique.
Politique
Comme la plupart des libéraux depuis Tocqueville, Hayek considère que la démocratie est un moyen, et non une fin en soi : « Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental » (dans Constitution de la liberté). Elle a uniquement l'avantage de permettre l'alternance politique sans violence. Elle se doit cependant d'éviter la démagogie et l'atteinte aux droits individuels qui résulterait d'un débordement inconsidéré de la démocratie hors du champ restreint où elle doit s'appliquer.
Définissant ce qui sépare le régime démocratique du libéralisme, il note :
-
- Le libéralisme exige que tout pouvoir - et donc aussi celui de la majorité - soit soumis à des limites. La démocratie conduit au contraire à considérer l'opinion de la majorité comme la seule limite aux pouvoirs gouvernementaux. La différence entre les deux principes apparaît avec évidence si l'on envisage ce à quoi ils s'opposent respectivement : le gouvernement autoritaire pour la démocratie, le totalitarisme pour le libéralisme.
Il ajoute que la démocratie couplée à l'étatisme,
tend à devenir totalitaire. Il considère que les citoyens des sociétés
occidentales ont cessé d'être autonomes en devenant dépendants des
bienveillances de l'État. Il est néanmoins à noter que Hayek ne s'est jamais considéré comme un chantre de l'État minimal.
Tout critique qu'il fut envers les politiques interventionnistes, il
estimait que l'État était habilité à contrôler les poids et mesures, à
lever des impôts, à garantir la construction et l'entretien des routes, etc. De même, il était favorable à un revenu minimum !
Pour éviter la dérive totalitaire inhérente à la démocratie illimitée, Hayek propose un système baptisé « démarchie ».
A côté d'une assemblée parlementaire uniquement chargée d'exécuter les
vœux de la population (mais restreinte à la représentation des personnes
ne dépendant pas de l'État), il juge indispensable d'instituer une
sorte de Sénat, qui détiendrait l'exclusivité de la fonction législative
(celle-ci étant réservée à l'élaboration de règles de conduite
générales). Cette Chambre haute serait composée de "nomothètes" âgés de
45 à 60 ans, dont un quinzième serait renouvelable annuellement. Par
ailleurs, une Cour constitutionnelle composée d'anciens membres de
l'Assemblée législative couronnerait cette architecture
institutionnelle.
Éthique
L'éthique
semble étrangement absente de la pensée de Hayek, tout du moins si on
tient compte de l'importance qu'elle revêt pour d'autres libéraux ou
libertariens (Kant, Rothbard, Hoppe,
etc.). La raison en est que Hayek refuse une approche constructiviste
et fait davantage confiance à la "morale traditionnelle". Pour lui,
l'éthique ne peut être une création intellectuelle, c'est le produit
catallactique d'une évolution culturelle. Pour cette raison, les règles
de conduite que la "morale traditionnelle" incorpore sont économiquement
les plus efficaces.[7]
« Démocratie de marché »
Friedrich von Hayek, pape de l’ultra-libéralisme
L’économiste autrichien Friedrich von Hayek s’est appliqué à discréditer
toute forme de régulation de l’économie au motif que celle-ci est trop
complexe pour que l’on prétende l’organiser. Sa théorie de « l’État
minimal » est devenue la religion du Parti républicain états-unien en
opposition aussi bien au « New Deal » des démocrates qu’au marxisme des
soviétiques. Son école, financée par les fondations des grandes
multinationales, s’est structurée autour de la Société du Mont-Pèlerin,
et a obtenu sept fois le prix Nobel d’économie. Elle a inspiré les
gouvernements de Pinochet, Reagan et Thatcher.
La pensée économique et politique de Friedrich A.
von Hayek s’est imposée comme fondement idéologique de l’ordre libéral.
Elle est à la fois le produit d’une histoire particulière et d’un réseau
relationnel qui s’est développé à l’ombre des grandes fondations
états-uniennes.
Hayek est né à Vienne, en 1899. Sa jeunesse autrichienne est marquée
par un climat politique difficile, des grèves massives paralysent le
pays. Il assiste à la désorganisation du régime doublement menacé par le
populisme, souvent antisémite, et par le socialisme révolutionnaire
radicalisé par l’introduction des thèses marxistes. Dans ce contexte, il
se passionne pour les thèses de la Société fabienne, un courant
réformiste et socialiste anglais, créé par Béatrice et Sidney Webb, et
préconisant une révolution spirituelle. Parallèlement, il est initiée à
la philosophie de Ludwig Wittgenstein, principal « animateur » du Cercle de Vienne.
Hayek participe aux séminaires de l’économiste Ludwig Von Mises qui
réunit autour de lui des disciples qui contribueront à diffuser la bonne
parole libérale en France (Jacques Rueff, conseiller du général de
Gaulle), en Italie (Luigi Einaudi), en Allemagne (Wilhelm Röpke, Ludwig
Erhard), et dans une moindre mesure aux États-Unis (Murray, Rothbard).
À l’époque, Mises défend des idées à contre-courant des thèses
dominantes de l’intelligentsia autrichienne, Hayek le qualifie de « libéral intransigeant isolé ».
Il est l’initiateur de la critique du planisme qui, selon lui, ne peut
constituer une solution économique adéquate en raison de la complexité
des calculs économiques et du manque d’information. Dans son ouvrage
majeur, Socialism, il prédit l’échec des expériences
socialistes : la planification ne peut conduire qu’au chaos ou à la
stagnation. Professeur à Vienne (1913-1938), puis à New York
(1945-1969), Mises est le fondateur du courant néo-autrichien qui se
développe durant les années soixante-dix. Proche des réseaux
états-uniens en Europe de l’ouest (la Fondation Rockefeller et le
National bureau of economic research ont financé deux de ses livres
publiés en 1944, Omnipotent Government : the Rise of the Total State and Total War et Bureaucraty).
Cherchant à diffuser ses théories, appuyé par des industriels et des
fondations, Mises a construit une organisation officieuse, une ébauche
de la Société du Mont-Pèlerin, représentée par ses élèves dans plusieurs
pays d’Europe de l’ouest.
La théorie politique néo-libérale
Hayek, dans la continuité de la tradition libérale initiée par Adam
Smith, défend une conception minimale de l’État. Son apport particulier
correspond à la critique radicale de l’idée de « justice sociale »,
notion dissimulant, selon lui, la protection des intérêts corporatifs
de la classe moyenne. Il préconise la suppression des interventions
sociales et économiques publiques. L’État minimal est un moyen
d’échapper au pouvoir de la classe moyenne qui contrôle le processus
démocratique afin d’obtenir la redistribution des richesses par la
fiscalité.
Son programme est exposé dans Constitution de la liberté
(1960) : déréglementer, privatiser, diminuer les programmes contre le
chômage, supprimer les subventions au logement et les contrôles des
loyers, réduire les dépenses de la sécurité sociale, et enfin limiter
le pouvoir syndical. L’État n’a pas le droit d’assurer la
redistribution, surtout en fonction d’un quelconque critère de « justice sociale ».
Son rôle est réduit à la fourniture d’un cadre juridique garantissant
les règles élémentaires de l’échange. En 1976, il va jusqu’à proposer la
dénationalisation la monnaie, c’est-à-dire la privatisatisation des
banques centrales nationales pour soumettre la création monétaire aux
mécanismes du marché. D’autres prises de positions semblent nuancer la
radicalité de son libéralisme, il préconise par exemple la création d’un
revenu minimum, mais cette proposition doit être pensée comme une
réhabilitation de la loi anglaise des indigents et non comme la marque
d’un « socialisme hayèkien » [1] .
La théorie développée par Hayek est fondée sur une croyance partagée
par tous les libéraux, des classiques jusqu’aux partisans des thèses
autrichiennes. La métaphore de la « main invisible », qui assure
dans la pensée d’Adam Smith l’adéquation de l’offre et de la demande sur
les différents marchés, illustre parfaitement ce présupposé commun
qu’ils cherchent tous à démontrer à partir de différents postulats :
équilibre général de Walras, redéveloppé par Pareto ; ordre spontané du
marché ou catallaxie pour l’école autrichienne. Celle-ci est le
résultat d’actions non concertées et non le fruit d’un projet conscient.
L’ordre du marché n’est pas voulu, pas planifié, il est spontané. Cette
conception de l’économie sert de justification à la critique de
l’interventionnisme qui génère des déséquilibres, des perturbations dans
la catallaxie. Hayek considère que les keynésiens font de l’État un « dictateur économique ».
La philosophie politique de Hayek est finalement très proche des
thèses développée par Locke. L’État défend le droit naturel de propriété
et est limité par les clauses individualistes d’un hypothétique
contrat-fondateur. Le droit devient alors l’instrument de protection de
l’ordre spontané du marché. Ce qui importe donc principalement, c’est la
défense du libéralisme économique. Le libéralisme politique est
absorbé. Les idées démocratiques sont reléguées à un rang secondaire.
Cela a poussé Hayek à des déclarations aux allures de provocation.
D’après lui, la démocratie ne constitue pas un système politique
infaillible : elle « est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle » [2]
. Mieux vaut un régime non-démocratique garantissant l’ordre spontané
du marché qu’une démocratie planificatrice. Ce raisonnement justifiera
la présence des « Chicago boys » au Chili. La pensée de Hayek est
un mélange de conservatisme (critique de la démocratie inspirée de la
dénonciation de la Révolution française d’Edmund Burke) et de
libéralisme (Adam Smith). Il met en garde contre la démocratie illimitée
qui conduit irrémédiablement au règne de la démocratie totalitaire [3]. En fait Hayek est obsédé par les classes moyennes qui contrôlent les régimes démocratiques : « Il
y a une grande part de vérité dans la formule d’après laquelle le
fascisme et le national-socialisme seraient une sorte de socialisme de
la classe moyenne » [4] . De plus, il craint les pauvres dont les réactions sont imprévisibles. Il réclame un revenu minimum « ne serait-ce que dans l’intérêt de ceux qui entendent être protégés contre les réactions de désespoir des nécessiteux » [5]
. Bien que refusant d’adhérer à l’idée de justice sociale, Hayek
développe une conception particulière de la justice, libérale mais aussi
conservatrice, même s’il s’en défend dans un article intitulé Pourquoi je ne suis pas conservateur ?.
Les idées radicales de Hayek, ses attaques contre l’interventionnisme
économique ne peuvent être comprises sans un retour au contexte
historique de l’après-guerre : l’élaboration d’un nouvel avatar du
libéralisme correspond à une critique totale du keynésianisme
triomphant. Hayek, inspiré par la pensée économique de Mises, rejette
aussi bien le collectivisme préconisé par le marxisme d’État que
l’intervention économique dans les sociétés capitalistes. Reprenant les
idées de Mises, il critique la possibilité de planifier l’économie dont
la complexité s’oppose à tout calcul rationnel. Ces prises de position
contre la « troisième voie démocratique et sociale » symbolisée
par le New deal rooseveltien et le travaillisme anglais expliquent la
marginalisation des ultra-libéraux au début des années 50, notamment au
sein de la plus puissante des organisations d’intellectuels
anti-communistes, le Congrès pour la liberté de la culture.
Hayek en marge de la « Guerre froide culturelle »
Hayek est nommé professeur à la London school of economics en 1931,
puis à Chicago en 1950. En 1962, il devient professeur d’économie
politique en Allemagne fédérale... Ce parcours universitaire ne doit
rien au hasard : la London school of economics, financée par la
fondation Rockefeller, et l’université de Chicago sont des bastions de
l’économie libérale. Il constitue ainsi un réseau politique et
intellectuel international. Il a su rassembler des libéraux, des
conservateurs britanniques et américains, mais ses théories ont aussi
été diffusées dans toute l’Europe de l’ouest. Proche de Raymond Aron [6] qui popularise ses thèses en France, il se veut un « libéral intransigeant » engagé à la fois contre le soviétisme et le fascisme.
La rhétorique de l’anti-totalitarisme constitue une fois de plus
l’instrument idéologique privilégié des intellectuels engagés dans le
Congrès pour la liberté de la culture, organisation pilotée par la CIA
de 1950 à 1967. Cependant, à partir de 1955, les ultra-libéraux menés
par Hayek sont marginalisés face aux « travaillistes », représentants d’une « troisième voie »
social-démocrate, qui contribuent à redéfinir les orientations
idéologiques du Congrès pour la liberté de la culture. Un nouveau
programme émerge de la conférence internationale de Milan [7] .
À Paris, Josselson, avec le soutien de la fondation Rockefeller,
recrute et finance les participants. La liste des intervenants est
approuvée par un comité composé de Raymond Aron, Michel Collinet,
Melvin Lasky, Sidney Hook, Denis de Rougemont... Cinq orateurs sont
cooptés [8].
Ils sont chargés de donner les lignes directrices de l’idéologie
anti-communiste du Congrès pour la liberté de la culture lors de la
séance inaugurale. La conférence de Milan va rendre évidente la fracture
entre les deux tendances. Les architectes de l’organisation, pour la
plupart des intellectuels new-yorkais issus des rangs trotskistes,
tentent de rallier des libéraux, mais surtout des hommes de la gauche
non-communiste (comme Léon Blum en France). En 1955, le Congrès s’engage
ouvertement dans la voie social-démocrate ; le succès du discours
inaugural de Hugh Gaitskell, leader travailliste anglais, témoigne de
cette orientation. Pour lui, le Welfare state est compatible avec
la démocratie politique, thèse en parfaite contradiction avec les
théories autrichiennes de Mises. Le quatrième orateur, Hayek, prend la
parole au nom des ultra-libéraux et rappelle que la propriété est
l’unique droit qui vaille la peine d’être défendu, faisant ainsi
référence aux droits sociaux évoqués par Hugh Gaitskell [9]. La conférence de Milan se conclut par la victoire idéologique des « travaillistes »
et par la marginalisation des ultra-libéraux qui se replient sur les
think tanks, organisations chargées de convertir les élites économiques à
la philosophie néo-libérale.
Du colloque Walter Lippman à la Société du Mont-Pèlerin : la naissance d’un think tank international
Le colloque Walter Lippman [10]
(1938) auquel participent Mises et Hayek est l’occasion de rassembler
des universitaires libéraux hostiles au fascisme, au communisme et à
toutes les formes d’interventionnisme économique de l’État. Le livre de
Walter Lippman [11]. En 1920, il fonde le New Republic, il devient ensuite éditorialiste au New York Herald Tribune. À partir du début des années 60, il écrit dans Newsweek. Sa pensée politique libérale et conservatrice a influencé les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture.]] , The Good Society, constitue le manifeste temporaire, en attendant La route de la servitude,
de ce groupe d’intellectuels relativement marginalisés à l’époque du
keynésianisme triomphant. Selon Walter Lippman, le collectivisme est la
racine commune des totalitarismes fasciste et communiste. Les
gouvernements des démocraties occidentales, en s’engageant dans des
politiques économiques de relance, cèdent à la tentation du planisme car
il n’existe pas -cette idée constitue la clé de voûte de la philosophie
autrichienne initiée par Mises- de « voie moyenne » entre le libéralisme et le collectivisme. Ainsi Louis Rougier [12], professeur de philosophie à l’université de Besançon et principal organisateur de la réunion déclare : « Le
drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de gauche
qui rêvent d’une démocratie politique et d’un planisme économique sans
comprendre que le planisme implique l’État totalitaire. Le drame moral
de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de droite qui soupirent
d’admiration devant les régimes totalitaires, tout en revendiquant les
avantages d’une économie capitaliste, sans se rendre compte que l’État
totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes
les formes d’activité économique du pays ». Hommes de droite et
hommes de gauche sont ainsi renvoyés dos-à-dos suivant un argument
unique : le planisme est totalitaire. La pensée de Hayek repose sur le
même principe vulgarisé dans le célèbre Route de la servitude. Le
raisonnement justifie la construction d’une avant-garde libérale
capable de lutter intellectuellement (dans un premier temps) contre
l’hégémonie des pratiques inspirées de la pensée de Keynes.
Le colloque Walter Lippman aboutit à un projet international de
promotion du libéralisme. Lippman, Hayek et Röpke sont chargés de créer
des organisations aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse.
En 1947, dans la logique du plan Lippman, Hayek participe activement à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin qui « constitue en quelque sorte la maison-mère des think tanks néo-libéraux » [13]. Un homme d’affaire suisse, Albert Hunold, permet de concrétiser les propositions de Hayek qui désire mettre en place un « forum libéral international »
et de Wilhem Röpke qui cherche à lancer une revue internationale.
Hunold réunit des industriels et des banquiers suisses afin de financer
le think tank libéral [14]
. Il rassemble des intellectuels issus de courants variés mais qui
partagent la même croyance dans l’équilibre spontané du marché : des
monétaristes comme Milton Friedman [15], des membres de l’école du Public choice
(James Buchanan) ainsi que des personnalités associées au courant
néo-autrichien. Les réunions internationales sont financées, dans un
premier temps, par les fondations Relm et Earhart [16].
La Société du Mont-Pèlerin reçoit ensuite le soutien de
l’ultra-conservatrice fondation John Olin, Lilly endowment, la fondation
Roe, le Scaife family charitable trust et la Fondation Garvey.
La société du Mont-Pèlerin prêche durant vingt-cinq ans dans le
désert. Les idéologues néo-libéraux demeurent isolés dans un contexte de
consensus interventionniste. Il faudra attendre la crise du
keynésianisme pour que les idées de Hayek s’imposent parmi les élites
politiques. La Grande-Bretagne constituera le terrain de la mise en
pratique des mesures préconisées.
Fondé en 1955, l’Institute of Economic Affairs (IEA) travaille à
vulgariser les thèses de Hayek et du monétarisme en ciblant
principalement les milieux patronaux (qui restent longtemps méfiants) et
financiers. Ralph Harris, qui fut directeur de l’organisation, est
anobli dès 1979 par Margaret Thatcher.
La « révolution conservatrice » britannique
À la fin des années soixante, on décèle les premiers signes de la
crise de société qui va faire basculer la Grande-Bretagne vers la « révolution conservatrice »
orchestrée par Margaret Thachter. La stagflation, combinaison inédite
de chômage et d’inflation, conduit à remettre en question le paradigme
keynésien (notamment l’équation de Philips qui conclut sur l’arbitrage
entre inflation et chômage). Avec la crise, les théories de la Société
du Mont-Pèlerin et de l’IEA se développent et reçoivent un accueil de
plus en plus favorable dans les cercles patronaux et politiques. Les
deux organisations diffusent les idées de la primauté de la lutte contre
l’inflation, du caractère utopique des politiques de plein-emploi, de
la sur-puissance syndicale, des conséquences nocives des politiques
économiques. En 1970, l’IEA publie la thèse quantitative de la monnaie
de Milton Friedman qui constitue une condamnation radicale de la
politique monétaire keynésienne. Friedman préconise la réduction des
déficits de l’État afin de contrôler l’augmentation de la masse
monétaire.
Dans les années soixante-dix, qui sont les années de la conversion
pour de nombreux hommes politiques britanniques, on assiste à un
rapprochement entre les conservateurs et les libéraux, un mariage entre
les héritiers de Burke et de Smith.
Afin de soutenir cette dynamique de conversion libérale, des membres
du Parti conservateur (dont Margaret Thatcher et Keith Joseph) créent le
Centre for Policy Studies, en 1974. En 1977, une autre organisation voit le jour : l’Adam Smith Institute. La Grande-Bretagne entre dans une période de « révolution conservatrice ».
La victoire de Thatcher en 1979 consacre la réussite des think tanks
néo-libéraux. Des membres de ces organisations tels que Geoffrey Howe et
Nicholas Ridley constituèrent les piliers des gouvernements
conservateurs [17].
Cette rapide
histoire des think tanks néo-libéraux souligne le poids politique des
conceptions économiques de Hayek. À partir de la Société du
Mont-Pèlerin, il a su imposer son idée de l’État (minimal, sans aucun
pouvoir d’intervention économique) et du marché (« laisser-faire »).
Preuve de son hégémonie intellectuelle, il reçoit le prix Nobel en 1974,
puis le voit attribuer à six de ses amis ultra-libéraux : Milton
Friedman (1976), George Stigler (1982), James Buchanan, Maurice Allais
(1988), Ronald Coase (1991) et Gary Becker (1992). D’une certaine façon,
c’est le programme qu’il avait formulé dans son ouvrage La Constitution de la liberté, qui s’est imposé comme « pensée économique unique » à la fin du XXe siècle.