Les faits - Député PS, il était considéré comme l'expert de la fiscalité à gauche. Président, il s'intéresse aux taxes sur les appareils de musculation dans les salles de sport. Aucun autre homme politique français n'aura autant joué avec la fiscalité. Elle a fait son succès à un moment donné, elle pourrait bien causer sa perte au final. 

Hiver 2011. La primaire du parti socialiste en est à ses balbutiements. Crédité de 3% d'opinions favorables, François Hollande est très loin derrière DSK - pas encore disqualifié par ses déboires new-yorkais - et Martine Aubry, candidate non déclarée. C'est l'époque où Jean-Pierre Jouyet, son ami de toujours qui deviendra secrétaire général de l'Elysée, confie le plan secret de «François» : «Il peut compter sur quelques fédérations PS pour s'imposer comme le troisième homme de la primaire. Cela lui permettra de négocier son ralliement au futur vainqueur en échange d'un gros ministère des Finances. C’est son rêve. Il fera parfaitement l'affaire ! »

Chez François Hollande, la fiscalité est plus qu'une passion, c'est une obsession. Il a échoué durant la première partie de son quinquennat en augmentant trop les impôts ? Peu importe : il compte repasser par la fenêtre en proposant une réforme structurelle durant la seconde partie du quinquennat, avec le prélèvement à la source. Son objectif: pouvoir jouer avec les impôts.

Les anecdotes fleurissent sur ses premiers mois à l'Elysée. Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint durant les deux premières années, le reconnaissait volontiers : beaucoup de notes détaillées sont préparées sur le sujet, bien plus que sur tous les autres, et le Président les lit toutes. «Il envoie des textos aux ministres, confie un député. Pierre-Alain Muet en a reçu des tas lors de la préparation du projet du CICE.» «C’est même lui qui a eu l’idée de ce CICE», rappelle Gilles Finchelstein, un proche du chef de l'Etat (1). La légende raconte d'ailleurs qu'il a dessiné la tuyauterie complexe de ce crédit d'impôt sur un coin de table devant Emmanuel Macron en lançant: «Voilà ce qu'il faut faire !» Et quand le président ne sait plus à quel impôt se vouer, il demande à son conseiller fiscal une note sur la taxation des appareils de musculation dans les salles de sport...

L'impôt, ce conseiller d'Etat est tombé dedans très jeune. «Il a découvert la lumière fiscale lors de son grand oral à l’ENA», s’amuse Thomas Piketty. Dans les années 1980, on le retrouve enseignant à Sciences Po. Directeur de cabinet de Max Gallo, il forme alors un duo avec Pierre Moscovici, le secrétaire du «groupe des experts» de Claude Allègre. Les deux hommes publieront leurs cours en 1991 chez Odile Jacob, sous le titre L’Heure des choix. Dans ce pavé de 360 pages, on trouve déjà un chapitre sur la fiscalité. «L’impôt est toujours un biais par rapport à un optimum de premier rang ; et la variation de son taux et de son assiette peut toujours être contrariée par les réactions des ménages ou des entreprises, écrivent-ils. C’est par rapport aux enjeux de la compétition internationale que la performance d’un système fiscal doit être appréciée. Pèse-t-il excessivement sur les entreprises, défavorise-t-il exagérément l’épargne, nuit-il à la motivation et donc au travail des agents ? »

François Hollande et Pierre Moscovici n’ont pas dû relire leur ouvrage... Peu importe. Hollande a vite compris que la fiscalité était le plus politique de tous les sujets. Son coup de maître date de 1989, lorsque le jeune socialiste est secrétaire de la commission des finances à l’Assemblée nationale. Au sein de cette instance, on s’émeut de l’OPA lancée par Suez sur le groupe d’assurance Victoire qui fait gagner beaucoup d'argent aux actionnaires du groupe sans que ces derniers aient d'importantes plus values à régler. Le député Hollande décide alors de diriger une mission d’information sur la fiscalité du patrimoine. Belle intuition. Son rapport est publié en juin 1990, quelques jours après que François Mitterrand a prononcé son célèbre discours d’Auxerre, dans lequel il a regretté qu’on puisse «s’enrichir en dormant» et critiqué les «plus-values spéculatives». Ces déclarations donnent au travail de François Hollande un retentissement particulier. Et le classent définitivement comme un expert du sujet même si son rapport n’a rien de révolutionnaire.

L'arme politique de la fiscalité ? Il en use pour plomber la campagne présidentielle de sa compagne, Ségolène Royal, en annonçant l'intention de la gauche de relever les impôts pour les «riches» au-delà de 4000 euros de revenus mensuels si elle arrive au pouvoir. La fiscalité sera aussi au coeur de sa propre campagne. «Dis-moi quels sont tes impôts, je te dirai dans quel pays tu vis», lance-t-il le 17 octobre 2010 lors d'un discours à Périgueux. Pour mieux attaquer son adversaire, il lâche: «La sanctuarisation des gros patrimoines, c’est la seule constante de la politique fiscale de Nicolas Sarkozy».

Lors de l’université d’été du PS à La Rochelle, en 2008, il s’amusait du nombre de nouvelles taxes créées depuis un an par le «Président des riches» : franchise médicale, cotisation retraite, taxe sur les opérateurs de téléphonie, sur les fournisseurs d’accès à Internet, sur la participation, sur la vente du poisson... «Ce sera bientôt la gabelle, la taille, et pourquoi pas la taxe sur les portes et fenêtres?», raillait le futur candidat. Et de conclure sur une pique savoureuse comme il les affectionne : «La taxe qui rapporterait le plus serait celle sur les mouvements de Nicolas Sarkozy!». Et c'est finalement en promettant de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million d'euro qu'il tuera le match de la présidentielle en 2012. Depuis, malgré les dégâts sur l'économie, rien n'a vraiment changé. Ce qui fait dire à un député PS «hollandais»: «Ce type était fait pour être ministre des Finances...»

Par Cyrille Lachèvre, Irène Inchauspé et Nathalie Segaunes - L'Opinion

(1) «L'Horreur fiscale», Sylvie Hattemer et Irène Inchauspé, Fayard, 2014