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mars 21, 2015

Revue de presse sur l'ouvrage de Chantal Delsol « Populisme. Les demeurés de l’Histoire »

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.






 Le Figaro : Plaidoyer pour le populisme

Les jeunes gens qui voudraient connaître un de ces admirables professeurs que fabriquait la France d’avant — et qui la fabriquaient en retour — doivent lire le dernier ouvrage de Chantal Delsol. Tout y est : connaissance aiguë du sujet traité ; culture classique ; perspective historique ; rigueur intellectuelle ; modération dans la forme et dans la pensée, qui n’interdit nullement de défendre ses choix philosophiques et idéologiques. Jusqu’à cette pointe d’ennui qui se glisse dans les démonstrations tirées au cordeau, mais que ne vient pas égayer une insolente incandescence de plume. L’audace est dans le fond, pas dans la forme. On s’en contentera.

Notre auteur a choisi comme thème de sa leçon le populisme. Thème dangereux. Pour elle. Dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert revisité aujourd’hui, on aurait aussitôt ajouté au mot populisme : à dénoncer ; rejeter ; invectiver ; ostraciser ; insulter ; néantiser. Non seulement Chantal Delsol ne hurle pas avec les loups, mais elle arrête la meute, décortique ses injustes motifs, déconstruit son mépris de fer. À la fin de sa démonstration, les loups ont perdu leur légitimité de loups. « Que penser de ce civilisé qui, pour stigmatiser des sauvages, les hait de façon si sauvage ? »

Pourtant, les loups sont ses pairs, membres comme elle de ces élites culturelles, universitaires, politiques, ou encore médiatiques, qui depuis des siècles font l’opinion à Paris ; et Paris fait la France, et la France, l’Europe. Chantal Delsol n’en a cure. Elle avance casquée de sa science de la Grèce antique. Se sert d’Aristote contre Platon. Distingue avec un soin précieux l’idiotès de l’Antiquité grecque, qui regarde d’abord son égoïste besoin, au détriment de l’intérêt général du citoyen, de l’idiot moderne, incapable d’intelligence. Dépouille le populiste de l’accusation de démagogie. Renvoie vers ses adversaires la férocité de primate qui lui est habituellement attribuée par les donneurs de leçons démocratiques :
« Dès qu’un leader politique est traité de populiste par la presse, le voilà perdu. Car le populiste est un traître à la cause de l’émancipation, donc à la seule cause qui vaille d’être défendue. Je ne connais pas de plus grande brutalité, dans nos démocraties, que celle utilisée contre les courants populistes. La violence qui leur est réservée excède toute borne. Ils sont devenus les ennemis majuscules d’un régime qui prétend n’en pas avoir. Si cela était possible, leurs partisans seraient cloués sur les portes des granges. »
Chantal Delsol analyse avec pertinence le déplacement des principes démocratiques, depuis les Lumières : la raison devient la Raison ; l’intérêt général de la cité, voire de la nation, devient celui de l’Humanité ; la politique pour le peuple devient la politique du Concept. Les progressistes veulent faire le bien du peuple et s’appuient sur lui pour renverser les pouvoirs ancestraux ; mais quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple. Sans hésitation ni commisération. C’est Lénine qui va résolument basculer dans cette guerre totale au peuple qu’il était censé servir, lui qui venait justement des rangs des premiers « populistes » de l’Histoire. Delsol a la finesse d’opposer cette « dogmatique universaliste » devenue meurtrière à l’autre totalitarisme criminel du XXe siècle : le nazisme. Avec Hitler, l’Allemagne déploiera sans limites les « perversions du particularisme ». Ces liaisons dangereuses avec la « bête immonde » ont sali à jamais tout regard raisonnablement particulariste. En revanche, la chute du communisme n’a nullement entaché les prétentions universalistes de leurs successeurs, qu’ils s’affichent antiracistes ou féministes ou adeptes de la théorie du genre et du « mariage pour tous ». Le concept de l’égalité doit emporter toute résistance, toute précaution, toute raison.

Alors, la démocratie moderne a tourné vinaigre : le citoyen, soucieux de défendre sa patrie est travesti en idiot : celui qui préfère les Autres aux siens, celui qui, il y a encore peu, aurait été vomi comme traître à la patrie, « émigré » ou « collabo », est devenu le héros, le grand homme, le généreux, l’universaliste, le progressiste. De même l’égoïste d’antan, l’égotiste, le narcissique, qui préférait ses caprices aux nobles intérêts de sa famille, au respect de ses anciens et à la protection de ses enfants, est vénéré comme porte-drapeau flamboyant de la Liberté et de l’Égalité. Incroyable renversement qui laisse pantois et montre la déliquescence de nos sociétés : « Le citoyen n’est plus celui qui dépasse son intérêt privé pour se mettre au service de la société à laquelle il appartient ; mais celui qui dépasse l’intérêt de sa société pour mettre celle-ci au service du monde... Celui qui voudrait protéger sa patrie face aux patries voisines est devenu un demeuré, intercédant pour un pré carré rabougri ou pour une chapelle. Celui qui voudrait protéger les familles, au détriment de la liberté individuelle, fait injure à la raison. La notion d’intérêt public n’a plus guère de sens lorsque les deux valeurs primordiales sont l’individu et le monde. »

Les élites progressistes ont déclaré la guerre au peuple. En dépit de son ton mesuré et de ses idées modérées, Chantal Delsol a bien compris l’ampleur de la lutte : « Éduque-les, si tu peux », disait Marc-Aurèle. Toutes les démocraties savent bien, depuis les Grecs, qu’il faut éduquer le peuple, et cela reste vrai. Mais chaque époque a ses exigences. « Aujourd’hui, s’il faut toujours éduquer les milieux populaires à l’ouverture, il faudrait surtout éduquer les élites à l’exigence de la limite, et au sens de la réalité. » Mine de rien, avec ses airs discrets de contrebandière, elle a fourni des armes à ceux qui, sous la mitraille de mépris, s’efforcent de résister à la folie contemporaine de la démesure et de l’hubris [la démesure en grec].

Quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple.

Sud-Ouest : Ce diable de populisme
Le nouvel essai de Chantal Delsol n’est pas franco-français. On a bien sûr en tête, en le lisant, l’exemple du Front national, surtout à l’heure où la classe politique se dispute à nouveau sur l’attitude à tenir en ce dimanche de second tour électoral dans une circonscription du Doubs. Mais le propos de cette intellectuelle libérale et catholique, à la pensée claire et ferme, va au-delà de nos contingences puisqu’il s’agit de s’interroger sur la démocratie.

Celle-ci est-elle fidèle à ses valeurs lorsqu’elle ostracise un courant politique ? Car tel est le sort des partis ou mouvements décrits sous le terme « populistes ». Et dans la bouche de ceux qui les combattent, le mot ne désigne pas un contenu précis, mais claque comme une injure. Du coup, aucun de ces partis — très divers — ne revendique l’adjectif, sauf par bravade, alors qu’au XIXe siècle, le populisme n’avait pas de connotation péjorative et s’affichait sans complexes, en Russie avec les « Narodniki » ou aux États-Unis avec les « Granger ».

Car c’est à une réflexion historique d’ampleur que se livre Chantal Delsol. Des tribuns de la plèbe dans l’Antiquité aux courants protestataires qui agitent notre Europe de 2015, l’essayiste s’interroge sur les raisons qui font que la démocratie, dont Aristote explique — contre Platon — qu’elle n’est pas fondée sur le règne de la vérité, mais sur celui de l’opinion, en est arrivée à diaboliser des expressions politiques se réclamant justement de ce « peuple » qui est pourtant sa raison d’être.

L’explication qui vient à l’esprit, ce sont les dérives totalitaires de ceux qui ont utilisé la démocratie pour la détruire. Bien sûr, l’auteur se range parmi ceux qui encouragent les démocraties à se défendre. Mais les « populismes » que dénoncent aujourd’hui les élites sont-ils vraiment ennemis de la démocratie ? Chantal Delsol ne le croit pas. Selon elle, ce que veulent ces partis contestataires, c’est précisément un débat démocratique où puissent se faire entendre d’autres opinions que les dominantes. Bref, une alternative.

Credo de l’enracinement
Or, tout se passe comme si certaines opinions n’étaient pas jugées recevables, notamment celles qui privilégient l’enracinement des individus et des sociétés à rebours du credo dominant des élites, celui de l’émancipation et du dépassement des cadres et repères traditionnels. Présentées comme une « frileuse » tendance au repli identitaire, ces opinions répandues dans les milieux « populaires » sont qualifiées de « populistes ». Cela les disqualifie d’avance alors qu’elles sont porteuses de leur sagesse propre ; et cela fait de ceux qui les affichent non pas des enfants, comme feraient des technocrates qui considèrent la politique comme une science inaccessible au vulgaire (et donc récusent la démocratie), mais des idiots dont les idées n’ont pas droit de cité.

Risque de « démagogie »
Non seulement il y a là une perversion de la démocratie, qui est par nature la confrontation d’idées entre gens ayant également voix au chapitre ; mais il y a aussi un risque, celui de dessécher le débat public ou le radicaliser. Bien sûr, Delsol soupèse l’autre risque, inhérent à la démocratie depuis ses origines grecques, et que dénonçait déjà Platon, celui de la « démagogie ». Mais la démocratie étant le pire système... à l’exception de tous les autres, il faut en accepter aussi les inconvénients...

Figaro Magazine : « Non, le populisme n’est pas la démagogie »
Marine Le Pen aux marches de l’Élysée en 2017 ? La Gauche radicale au pouvoir en Grèce ? Le populisme semble avoir de beaux jours devant lui... Mais que faut-il entendre exactement par ce mot ? Et comment a-t-il été instrumentalisé par les élites en place ? La philosophe Chantal Delsol nous l’explique.

— Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle de 2017, mais battue au second tour selon un sondage CSA ; explosion du terrorisme islamique fondamentaliste sur notre territoire ; avènement de la gauche radicale en Grèce... De quoi ces événements sont-ils le symptôme ?

Chantal Delsol — La concomitance de ces événements est le fruit d’un hasard, on ne saurait les mettre sur le même plan, et pourtant ils sont révélateurs d’un malaise des peuples. Que Marine Le Pen arrive au second tour est à présent presque une constante dans les différents sondages. Comme dans le roman de Houellebecq, il est probable cependant qu’on lui préférera toujours même n’importe quel âne ou n’importe quel fou : mon travail sur le populisme tente justement d’expliquer ce rejet incoercible.

Le terrorisme issu du fondamentalisme islamique ressortit quant à lui à un problème identitaire. Pour ce qui est des attentats, depuis des décennies, les grands partis s’entendent à étouffer la vérité, à tout lisser à l’aune du politiquement correct, c’est ainsi qu’on refuse de voir les problèmes dans nos banlieues où Les Protocoles des Sages de Sion sont couramment vendus, et que l’on persiste à imputer l’antisémitisme au seul Front national, alors qu’il est depuis bien longtemps le fait de l’islamisme. À force de tout maintenir sous une chape de plomb, il ne faut pas s’étonner que la pression monte et que tout explose.

En ce qui concerne la Grèce, c’est la réaction d’une nation qui en a assez d’être soumise aux lois européennes. C’est une gifle administrée à une technocratie qui empêche un pays de s’organiser selon son propre modèle. On observe une imparable logique dans l’alliance de la gauche radicale avec le parti des Grecs indépendants dès lors que ces deux formations sont souverainistes, qu’elles refusent l’austérité, et sont animées d’une semblable volonté de renégociation de la dette.

Rien d’étonnant non plus à voir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon saluer quasi de concert le nouveau Premier ministre grec, les extrêmes se retrouvant sur ce même créneau. Centralisatrice et souverainiste, Marine Le Pen a, au reste, gauchisé son programme économique. La souffrance identitaire des banlieues, tout comme l’émergence d’une France périphérique, ou bien encore la revendication par les Français de leurs propres racines et, par-delà nos frontières, le réveil du peuple en Grèce, sont autant de preuves de l’échec du politique.

— D’où cette montée des populismes, pourtant âprement décriée...
Le vocable est devenu aujourd’hui synonyme de démagogie, mais ce n’est qu’un argument de propagande. Il est employé comme injure pour ostraciser des partis ou mouvements politiques qui seraient composés d’imbéciles, de brutes, voire de demeurés au service d’un programme idiot, ce terme d’idiot étant pris dans son acception moderne : un esprit stupide, mais aussi, dans sa signification ancienne, un esprit imbu de sa particularité. L’idiotès grec est celui qui n’envisage le monde qu’à partir de son regard propre, il manque d’objectivité et demeure méfiant à l’égard de l’universel, à l’inverse du citoyen qui, lui, se caractérise par son universalité, sa capacité à considérer la société du point de vue du bien commun. L’idiot grec veut conserver son argent et refuse de payer des impôts. Il cultive son champ et se dérobe face à la guerre, réclamant que l’on paye pour cela des mercenaires. À l’écoute des idiotès, les démagogues grecs attisaient les passions individuelles au sein du peuple, jouant sur le bien-être contre le Bien, le présent contre l’avenir, les émotions et les intérêts primaires contre les intérêts sociaux, si bien qu’au fond, les particularités populaires peuvent être considérées comme mauvaises pour la démocratie. Voilà l’origine. Rien de plus simple, dès lors, pour nos modernes élites, de procéder à l’amalgame entre populisme et démagogie, avec ce paradoxe que les électeurs des « populismes » seront les premiers à se sacrifier lors d’une guerre, car ils ne renonceront jamais à leurs racines ni au bien public, au nom de valeurs qu’ils n’ont pas oubliées. Il est absolument normal qu’une démocratie lutte contre la démagogie, qui représente un fléau mortifère, mais ici il ne s’agit pas de cela : les électeurs des « populismes » ne sont pas des gens qui préfèrent leurs intérêts particuliers au bien commun, ce sont des gens qui préfèrent leur patrie au monde, le concret à l’universel abstrait, ce qui est autre chose. Et cela, on ne veut pas l’entendre.

Chez les Grecs, comme plus tard chez les chrétiens, l’universel (par exemple celui qui fait le citoyen) est une promesse, non pas un programme écrit, c’est un horizon vers lequel on tend sans cesse. Or il s’est produit une rupture historique au moment des Lumières, quand l’universalisme s’est figé en idéologie avec la théorie émancipatrice : dès lors, toute conception ou attitude n’allant pas dans le sens du progrès sera aussitôt considérée non pas comme une opinion, normale en démocratie, mais comme un crime à bannir. Quiconque défendra un enracinement familial, patriotique ou religieux sera accusé de « repli identitaire », expression désormais consacrée. C’est la fameuse « France moisie ». Les champs lexicaux sont toujours éclairants...

— Diriez-vous que nous vivons dans un nouveau terrorisme intellectuel ?
Un terrorisme sournois, qui se refuse à considérer comme des arguments tout ce qui défend l’enracinement et les limites proposées à l’émancipation. On appelle populiste, vocable injurieux, toute opinion qui souhaite proposer des limites à la mondialisation, à l’ouverture, à la liberté de tout faire, bref à l’hubris en général. L’idéologie émancipatrice fut le cheval de bataille de Lénine, populiste au sens premier du terme (à l’époque où populiste signifiait populaire — aujourd’hui, la gauche est populaire et la droite populiste, ce qui marque bien la différence), ne vivant que pour le peuple ; mais quand il dut reconnaître que ni les ouvriers ni les paysans ne voulaient de sa révolution, limitant leurs aspirations à un confort minimal dans les usines, à la jouissance de leurs terres et à la pratique de leur religion, il choisit délibérément la voie de la terreur. Il s’en est justifié, arguant que le peuple ne voyait pas clair.

Mutatis mutandis, c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec nos technocraties européennes et, particulièrement, nos socialistes qui estiment connaître notre bien mieux que nous. M. Hollande et Mme Taubira nous ont imposé leur « réforme de civilisation » avec une telle arrogance, un tel mépris, que le divorce entre les élites et le peuple est désormais patent. À force de ne pas l’écouter, la gauche a perdu le peuple. L’éloignement de plus en plus grand des mandataires démocratiques pousse le peuple à se chercher un chef qui lui ressemble, et on va appeler populisme le résultat de cette rupture. Si par « gauche » on entend la recherche de la justice sociale, à laquelle la droite se consacre plutôt moins, le peuple peut assurément être de gauche, mais dès lors que l’élite s’engouffre dans l’idéologie, le peuple ne suit plus, simplement parce qu’il a les yeux ouverts, les pieds sur terre, parce qu’il sait d’instinct ce qui est nécessaire pour la société, guidé qu’il est par un bon sens qui fait défaut à nos narcissiques cercles germanopratins. Ce n’est pas au cœur de nos provinces qu’on trouvera les plus farouches défenseurs du mariage entre personnes du même sexe, de la PMA, de la GPA, voire du transhumanisme. Je ne suis pas, quant à moi, pour l’enracinement à tout crin (n’est-ce pas cette évolution qui a fini par abolir l’esclavage au XIXe, et par abolir récemment l’infantilisation des femmes ?), mais il faut comprendre que les humains ne sont pas voués à une liberté et à une égalité anarchiques et exponentielles, lesquelles ne manqueront pas de se détruire l’une l’autre, mais à un équilibre entre émancipation et enracinement. Équilibre avec lequel nous avons rompu. C’est une grave erreur.

— N’entrevoyez-vous pas une possibilité de sortie du purgatoire pour le populisme ?
Ne serait-ce que par son poids grandissant dans les urnes, il sera de plus en plus difficile de rejeter ses électeurs en les traitant de demeurés ou de salauds, et cela d’autant plus qu’une forte frange de la France périphérique définie par le géographe Christophe Guilluy vote désormais Front national. Marine Le Pen se banalise et, toutes proportions gardées, son parti apparaît de plus en plus comme une sorte de post-RPR, celui qui existait il y a vingt ans, avec les Séguin, Pasqua et autres fortes têtes centralisatrices et souverainistes — la presque seule différence étant dans l’indigence des élites FN : qui, parmi nos intellectuels, se réclame aujourd’hui de ce parti ? Mon analyse est que l’Europe court derrière une idéologie émancipatrice qui, au fond, est assez proche d’une suite du communisme, la terreur en moins : un dogme de l’émancipation absolue, considérée non plus comme un idéal, mais comme un programme. Ainsi sont récusées toutes les limites, ce qui rend la société d’autant plus vulnérable à des éléments durs comme le fondamentalisme islamique. Depuis quelques années, un fossé immense se creuse entre des gens qui, du mariage pour tous au transhumanisme, n’ont plus de repères, et des archaïsants qui veulent imposer la charia. Mais nous ne voulons rien entendre. Nous ne voulons pas comprendre que ces archaïsants sont des gens qui réclament des limites. Il est pathétique de penser que devant le vide imposé par la laïcité arrogante, cet obscurantisme irréligieux, le besoin tout humain de religion vient se donner au fondamentalisme islamique — dans le vide imposé, seuls s’imposent les extrêmes, parce qu’ils ont tous les culots.

Dans ce contexte, il n’est pas impossible que les pays anglo-saxons, et notamment les États-Unis, s’en sortent mieux que nous, car il y perdure une transcendance et nombre de règles fondatrices repérables dans les constitutions, et qui structurent les discours politiques.

— Au point qu’une certaine américanisation de nos mœurs pourrait nous retenir ?
Si paradoxal que cela paraisse, je répondrai par l’affirmative. Au fond, même si l’on en constate les prodromes chez les Anciens, et notamment dans La République de Cicéron, le progrès émancipateur est venu du christianisme, mais il ne saurait demeurer raisonnable sans une transcendance au-dessus. Je dirais que l’élan du temps fléché allant au progrès, qui est né ici en Occident, a été construit pour avancer sous le couvert de la transcendance, qui garantit son caractère d’idéal et de promesse, l’enracine toujours dans la terre, et l’empêche de dériver vers des utopies mortifères. Tranchez la transcendance pour ne conserver que l’émancipation et vous voilà à bord d’un bateau ivre. C’est pourquoi je préfère les Lumières écossaises et américaines, qui sont biblico-révolutionnaires, aux Lumières françaises, forcément terroristes.

— À propos de limites, comment analysez-vous l’adoption par le président de la République et le gouvernement du slogan : « Je suis Charlie » ?
Le pouvoir a surfé sur la vague, avec succès d’ailleurs, mais on n’était que dans la communication et l’artifice : gros succès pour la réunion des chefs d’État, avec une manifestation dont les chiffres augmentaient avant même que les gens ne soient sur place ! François Hollande a fait en sorte que sa cote grimpe dans les sondages, et tel fut le cas, mais tout cela risque de se déballonner dès lors que le pays se retrouvera avec ses soucis majeurs. Quant à la caricature de Mahomet réitérée après l’attentat, même avec son caractère ambigu et doucereux, elle demeure pour le milliard six cent millions de musulmans — presque un quart de la population planétaire — une provocation. Il est étrange de voir des gens qui se disent constamment éloignés de l’idée du « choc de civilisations » en train de susciter, avec enthousiasme (par bravade, par sottise : voyez l’âge mental de ces dessins...), une guerre de civilisations...

FigaroVox : « L’Union européenne est une variante du despotisme éclairé »
La certitude de détenir la vérité conduit les dirigeants de l’UE à négliger le sentiment populaire, argumente l’universitaire.
— Faut-il analyser les élections en Grèce comme un réveil populiste ?
Il est intéressant de voir que le parti Syriza n’est pas appelé « populiste » par les médias, mais « gauche radicale ». Le terme « populiste » est une injure, et en général réservé à la droite. Ce n’est pas une épithète objective. Personne ne s’en prévaut, sauf exception. On ne peut donc pas dire de Syriza qu’il est populiste. Et cela affole les boussoles de nos commentateurs : le premier à faire un pied de nez à l’Europe institutionnelle n’est pas un parti populiste…

— Comment expliquer la défiance des peuples européens qui s’exprime d’élections en sondages vis-à-vis de l’Union européenne ?
Les peuples européens ont le sentiment de n’être plus maîtres de leur destin, et ce sentiment est justifié. Ils ont été pris en main et en charge par des super-gouvernants qui pensent connaître leur bien mieux qu’eux-mêmes. C’est ni plus ni moins une variante du despotisme éclairé, ce qui à l’âge contemporain s’appelle une technocratie : le gouvernement ressortit à une science, entre les mains de quelques compétents.

Avant chaque élection, on dit aux peuples ce qu’ils doivent voter, et on injurie ceux qui n’ont pas l’intention de voter correctement. S’ils votent mal, on attend un peu et on les fait voter à nouveau jusqu’à obtenir finalement le résultat attendu. Les instances européennes ne se soucient pas d’écouter les peuples, et répètent que les peuples ont besoin de davantage d’explications, comme s’il s’agissait d’une classe enfantine et non de groupes de citoyens.

L’Action française 2000 : Les Lumières contre le populisme, les Lumières comme messianisme
Extrait de son entretien :

« Le moment des Lumières est crucial. C’est le moment où le monde occidental se saisit de l’idéal émancipateur issu du christianisme, et le sépare de la transcendance : immanence et impatience qui vont ensemble – le ciel est fermé, tout doit donc s’accomplir tout de suite. C’est surtout vrai pour les Lumières françaises. Ce qui était promesse devient donc programme. Ce qui était un chemin, lent accomplissement dans l’histoire terrestre qui était en même temps l’histoire du Salut, devient utopie idéologique à accomplir radicalement et en tordant la réalité. Pour le dire autrement : devenir un citoyen du monde, c’était, pour Socrate (et pour Diogène, ce Socrate devenu fou), un idéal qui ne récusait pas l’amour de la cité proche (dont Socrate est mort pour ne pas contredire les lois). Être citoyen du monde, pour les chrétiens, c’était une promesse de communion, la Pentecôte du Salut.

Mais pour les révolutionnaires des Lumières, dont nos gouvernants sont les fils, être citoyen du monde signifie tout de suite commencer à ridiculiser la patrie terrestre et les appartenances particulières – la famille, le voisinage, etc. Lénine a bien décrit comment s’opère le passage dans Que faire ? – il veut faire le bien du peuple, mais il s’aperçoit que le peuple est trade-unioniste, il veut simplement mieux vivre au sein de ses groupes d’appartenance, tandis que lui, Lénine, veut faire la révolution pour changer le monde et entrer dans l’universel : il va donc s’opposer au peuple, pour son bien, dit-il. C’est le cas de nos élites européennes, qui s’opposent constamment au peuple pour son bien (soi-disant). Pour voir à quel point l’enracinement est haï et l’universel porté aux nues, il suffit de voir la haine qui accompagne la phrase de Hume citée par Le Pen “Je préfère ma cousine à ma voisine, ma sœur à ma cousine, etc.”, pendant qu’est portée aux nues la célèbre phrase de Montesquieu : “Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime.” Or nous avons besoin des deux, car nous sommes des êtres à la fois incarnés et animés par la promesse de l’universel. »

« Populisme. Les demeurés de l’Histoire » de Chantal Delsol, aux Éditions du Rocher, à Monaco,
en 2015, 267 pages, 17,90 €.
Chantal Delsol est membre de l’Institut, philosophe et historienne des idées. 




novembre 29, 2014

MONTESQUIEU - La liberté politique.

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Comme de multiples critiques l’ont montré, la notion de liberté occupe une place centrale dans la pensée politique de Montesquieu1. Avant de la définir dans les quatre premiers chapitres du livre XI et de l’expliciter en tant que « système »2 dans les trois premiers livres de la seconde partie de l’Esprit des lois, le président de la Brède la mentionne pour la première fois dans le troisième chapitre du livre I où il a entrepris de préciser les rapports que peuvent avoir les lois positives avec les différents facteurs qui les déterminent et les font. «Elles (les lois) doivent se rapporter au degré de la liberté que la constitution peut souffrir »3. Montesquieu revient sur la même idée de liberté dans le chapitre 2 du livre VI. Tout d’abord pour montrer que « les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté4. Ensuite pour faire remarquer que la complexité des lois est le propre des républiques et des monarchies et que les formalités de la justice augmentent dans les Etats modérés non despotiques « en raison de5cas que l’ont y fait de l’honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens » . La liberté, « ce bien qui fait jouir des autres biens6, est donc l’apanage de chaque bon gouvernement7 (qui sait bien se défendre et défendre ses individus.) Voilà la raison pour laquelle Montesquieu en place l’étude suite après l’examen des lois destinées à assurer la sécurité militaire de l’Etat. 


Confronté à la polysémie du terme, Montesquieu distingue la liberté philosophique de la liberté politique. « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes), dans l’opinion où l’on est, que l’on exerce sa volonté. » Par contre, « la liberté politique consiste dans sa sûreté ou du moins de l’opinion que l’on a de sa sûreté»8. Etant de nature métaphysique, la première espèce de liberté est abstractive et ne concerne que l’âme. Comme telle, elle transcende la réalité que désigne la vie collective et se détourne des problèmes qui se rapportent à l’organisation sociale : « La liberté pure est plutôt un état philosophique qu’un état civil »9. Montesquieu, précurseur de la sociologie moderne10 et fondateur de la sociologie juridique,11 refuse d’appréhender la liberté selon des concepts aprioriques ou des appréciations subjectives. Pour lui, la liberté est reliée à des lois objectives qui « dérivent de la nature des choses ». Elle est donc un fait social et ne concerne pas l’individu insulaire et autarcique. C’est pour cela que la vraie liberté, à savoir la liberté politique, n’est pas l’indépendance ou la licence, mais la liberté sous la loi ou « le droit de faire tout ce que les lois permettent »12. Ainsi, la liberté politique n’est ni l’indépendance, ni le droit de faire ce que l’on veut, car ce serait l’anarchie, le chaos, et des luttes effrénées entre les citoyens. Elle n’est pas non plus le pouvoir collectif de la multitude d’imposer ses volontés, car ce pouvoir pourrait être exercé arbitrairement : « Comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a omis la liberté dans ses sortes de gouvernements ; et l’on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple »13. De même qu’il ne faut pas confondre liberté et démocratie, de même il ne faut pas l’assimiler à la légalité. Car, bien que lois, les lois tyranniques ne produisent pas le sentiment de sécurité. Pour développer cette idée, Montesquieu compare « les bonnes lois » dans un gouvernement sage, monarchique ou aristocratique à«de grands filets, dans lesquels»«les poissons » « sont pris, mais se croient libres », et les mauvaises « [d]ans les Etats purement despotiques » à « des filets » dans lesquels ils se « sont si serrés que d’abord ils se sentent pris »14. La liberté politique ne réside donc ni dans la participation à l’exercice du pouvoir, ni dans la simple soumission à la loi. Elle consiste dans la sécurité des citoyens et dans leur certitude que leurs personnes, leurs familles et leurs biens sont protégés par l’Etat contre l’autorité inique de l’arbitraire. « Le seul avantage qu’un peuple libre ait sur un autre, c’est la sécurité où chacun est que le caprice d’un seul ne lui ôtera point ses biens ou sa vie. Un peuple soumis, qui aurait cette sécurité-là bien ou mal fondée, serait aussi heureux qu’un peuple libre»15. La sécurité consubstantielle à la liberté ne peut pas avoir lieu dans le régime despotique, où le souverain n’est pas lié à des lois et commande à l’aveuglette sous la dictée de ses passions : « Un homme libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul (...) ne lui ôtera la vie ou la propriété de ses biens »16. Voilà pourquoi « Personne n’est libre en Turquie, pas même le Sultan »17. La protection des citoyens contre l’asservissement social et politique, toujours et pour toujours illégal et inhumain, ne peut prendre corps que dans les Etats modérés et non despotiques : « La démocratie et l’aristocratie ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés »18. Nécessairement exclue des gouvernements despotiques, cette liberté se trouve aussi bien dans une monarchie que dans une république. « Il faut conclure que la liberté politique, concerne les monarchies modérées comme les républiques, et n’est pas plus éloignée du trône que d’un sénat »19. Il en ressort, comme le dit savamment Paul Vernière, que « l’idée de liberté politique », chez Montesquieu, est « liée à l’idée technique de modération »20. 



La modération
La modération est la condition sine qua non de la liberté. Ou disons, pour reprendre les belles formules de Simone Goyard-Fabre, que « le concept de modération est l’exigence principielle de la politique de liberté » puisqu’il représente « l’axiome du constitutionalisme libéral de Montesquieu »21. Dans L’Esprit des lois, la modération se comprend à duplicité : celle du législateur et celle des régimes politiques. Pour qu’il excelle dans l’art de faire des lois, le législateur doit être animé par l’esprit de modération : « Je le dis, et il me semble que je n’ai fait cet ouvrage que pour le prouver : l’esprit de modération doit être celui du législateur »22. Un bon législateur doit adapter son activité à la multiplicité des circonstances : temps, lieu, climat...Il doit être attentif surtout aux mœurs et aux manières d’être particulières du peuple. Il doit « suivre l’esprit de la nation (...) car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel»23. Le respect de la diversité des circonstances et des mœurs de chaque peuple s’inscrit contre l’idée d’uniformité en matière de législation. En ce sens, Montesquieu s’oppose à Condorcet pour qui la loi doit être immuable et invariable : « Comme la vérité, la raison, la justice, les droits des hommes, l’intérêt de la propriété, de la liberté, de la sûreté sont les mêmes partout ; (....) Une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition vraie est vraie pour tous »24 Suivre la voix de la modération, c’est être contre l’hégémonie de l’un, contre la suprématie du modèle figé, et en opposition totale avec ce que peut imposer l’a priori. Par voix de conséquence, c’est valoriser la relativité, opter pour la pluralité, et fêter la richesse de la diversité. 

La modération législative qui tient compte de la spécificité des circonstances et des nations consiste à se tenir entre les extrêmes. Ce qui équivaut à dire qu’elle signifie le juste milieu : « Le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites »25. Eviter les excès constitue une règle d’or pour le législateur. C’est ainsi par exemple qu’en matière de la législation criminelle, le législateur ne doit point « mener les hommes par les voies extrêmes»26, mais agir «d’une manière sourde et insensible »27. Moins il use de la contrainte, plus il est sage. « Inviter, quand il ne faut pas contraindre, conduire quand il ne faut pas commander, c’est l’habilité suprême »28. « Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible »29. Car les peines excessives et outrées sont inséparables du régime despotique. Prescrire des peines sévères, c’est prendre pour modèle le despotisme comme s’il n’existait, pour maintenir les hommes dans l’obéissance des lois, d’autre ressort que la crainte, d’autres peines que la mort, les châtiments corporels ou les amendes ! 


La modération est indispensable non seulement en matière de droit pénal, mais aussi en matière fiscale et éducative. Aussi doit-elle concerner le domaine de la religion et le domaine militaire30. Le but avoué de Montesquieu est donc d’introduire l’esprit de modération dans la législation. Pour lui, le mal se confond toujours avec l’excès. Or, le premier mal, le mal par excellence, c’est l’excès de pouvoir ou le despotisme qui signifie la perte totale de liberté.
Le deuxième sens de la modération, à savoir celle des régimes, ne pourrait être saisi qu’à travers la distinction établie par Montesquieu entre les deux types de typologie gouvernementale. La première typologie domine les dix premiers livres de L’Esprit des lois. Elle distingue trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique31. Cette trilogie de Montesquieu est originale. Car elle abandonne la classification classique qui, issue d’Aristote et reprise par Rousseau, distinguait démocratie, aristocratie et monarchie tout en considérant le despotisme comme étant une déviation de cette dernière32. À côté de cette première typologie, connue et familière, il existe une deuxième non moins importante. Il s’agit de celle que renferment expressément les livres XI et XII.Cette seconde typologie oppose les gouvernements modérés aux gouvernements despotiques. À vrai dire, la mention des gouvernements modérés est faite dès le livre III où Montesquieu affirme dans le chapitre 9, consacré à l’étude « du principe du gouvernement despotique », qu’ « un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, relâcher ses ressorts »33. Le même couple conceptuel revient sous la plume de Montesquieu dans le chapitre qui s’intitule : « Différence de l’obéissance dans les gouvernements modérés et les gouvernements despotiques»34. Cette amorce d’une nouvelle classification binaire des régimes politiques prend plus d’amplitude dans le livre V, chapitre 14, où Montesquieu définit, d’une manière à peu près semblable à celle que renferme un fragment des Pensées, la façon de former un gouvernement modéré35. Et ce n’est pas par hasard qu’en commentant le passage en question, Robert Derathé affirme qu’il « aurait été mieux à sa place au début du livre XI, puisqu’il fait allusion à la combinaison des puissances distinguées au livre XI et évoque la liaison entre la liberté et le gouvernement modéré, si nettement affirmée dans le chapitre IV de ce livre»36. La fréquence du terme modération est remarquable dans le livre VI consacré à la question des lois civiles et au rapport qu’entretiennent les individus avec la justice. Or, si le livre VII ne mentionne nullement le concept de modération, c’est peut être pour disposer le livre VIII à faire appel de nouveau à la classification tripartite des gouvernements pour traiter de la corruption de leurs principes. Après avoir étudié les trois sortes de gouvernement quant à leur signification interne, Montesquieu les examine dans les livres IX et X du point de vue externe, c'est-à-dire relativement au droit des gens et aux problèmes qui se rapportent aux relations internationales, à savoir, ceux d’assurer la paix (livre IX) et de conduire la guerre (livre X). Il faut attendre donc le livre XI pour que la distinction des trois gouvernements, qui domine les dix premiers livres, s’efface pour céder la place à la notion du gouvernement modéré qui s’oppose au despotisme. La question qui se pose : pourquoi ce changement ? Tout simplement parce que ce livre a pour objet de chercher comment la liberté des citoyens peut être assurée et garantie par la constitution de l’Etat. Le passage de Montesquieu, d’une classification ternaire à une classification binaire des gouvernements, est donc exigé par l’analyse de la liberté dans son rapport avec la constitution. Contrairement à Brèthe de la Gressaye qui déclare que, dans la première typologie, « la distinction des gouvernements est en définitive fondée sur l’idée de liberté »37, nous pensons que la liberté ne se définit pas en termes de régimes politiques : « Ce mot de liberté dans la pratique ne signifie pas, à beaucoup près, ce que les orateurs et les poètes lui font signifier. Ce mot n’exprime proprement qu’un rapport et ne peut servir à distinguer les différentes sortes de gouvernements : car l’état populaire est la liberté des personnes pauvres et faibles et la servitude des personnes riches et puissantes ; et la monarchie est la liberté des grands et la servitude des petits »38. Entraîné à abandonner sa typologie initiale car elle s’avère incompatible à l’étude de la liberté politique, le président de la Brède fait recours à la deuxième typologie. Comme le dit Simone Goyard-Fabre avec brio : « L’horreur du despotisme allant de pair avec le souci de la liberté, Montesquieu établit la différence entre gouvernements modérés et gouvernements despotiques. Le formalisme typologique s’efface devant la signification politique des régimes: S’il y a trois espèces de gouvernements, ils correspondent à deux conceptions de la politique. Ces deux conceptions ne sont d’abord que suggérées, quoique de manière transparente : ou bien dans un enfer politique, l’homme, ramené à la bête, perd son humanité, ce qui est pire que perdre la vie ; ou bien il faut élaborer la conception d’un gouvernement qui laisse aux sujets toutes leurs chances de liberté. » 39


Mais la liberté s’identifie-t-elle avec la modération ? Certainement pas, car il existe des Etats modérés qui ne sont pas libres. L’Etat est dit modéré dans la mesure où il ne concentre pas les trois pouvoirs en un seul organe : « Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs (le législatif et l’exécutif), laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête d’un sultan, il règne un affreux despotisme »40. Ainsi, lorsque les trois pouvoirs sont confondus, cela signifie que nous sommes en présence d’un régime politique despotique comme celui de la Turquie. Mais lorsque la confusion ne se rapporte qu’aux deux premiers pouvoirs sans toucher le pouvoir judicaire, cela veut dire que le gouvernement en question est un gouvernement modéré à l’image de ceux des royaumes de l’Europe. Ces royaumes ne sont pas libres. Car « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »41. Il existe un autre passage qui confirme cette distinction entre la liberté et la modération. « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir »42. Tout cela nous amène à déduire avec Céline Spector « que la modération ne s’identifie pas à la liberté, elle n’en fournit que la possibilité : tous les Etats modérés ne sont pas libres par nature ; il faut de surcroît qu’y règne une forme de distribution des pouvoirs qui préviennent les abus »43. Le problème de la liberté se confond avec celui de la limitation des pouvoirs que Montesquieu a cru trouver dans le régime Anglais. 




La liberté d’après la constitution
On a souvent confondu la pensée constitutionnelle de Montesquieu avec la théorie de la séparation des pouvoirs. Cette façon d’interpréter le contenu du célèbre chapitre sur la constitution d’Angleterre est tout à fait erronée. C’est ce qu’ont montré Brarhausen, Dedieu, Althusser, et par la suite Vlachos, Simone Goyard-Fabre, Binoche, Paul Vernière, Céline Spector44 et tant d’autres éminents critiques. Nonobstant les efforts fournis par les grands chercheurs et spécialistes mentionnés ci-devant, la meilleure mise au point de la question demeure celle que renferment les travaux de Charles Eisenmann45 . Selon ce critique si avisé, il existe plusieurs arguments qui vont contre l’opinion attribuant à Montesquieu une conception « séparatiste » des pouvoirs : 

Premièrement, le fait que le pouvoir législatif est exercé conjointement par le pouvoir exécutif. En effet, si le monarque ne prend pas part aux délibérations du corps

législatif, il a le droit de s’opposer à leur adoption définitive. « La puissance exécutrice, doit prendre part à la législation par sa faculté d’empêcher »46

Deuxièmement, le pouvoir accordé au parlement de contrôler l’exécution des lois qu’il a votées : « La puissance législative (...) a droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elles a faites ont été exécutées. » 47 

Troisièmement, l’attribution au parlement de certaines affaires relevant de la justice. Autrement dit, le corps législatif exerce lui-même un pouvoir judiciaire dans des cas exceptionnels. C’est ainsi que les nobles, par exemple, doivent être jugés par la chambre des lords pour se préserver contre les injustices qu’ils peuvent subir des magistrats populaires. « Les grands sont toujours exposés à l’envie ; et, s’ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient être en danger, et ne jouiraient pas du privilège qu’a le moindre des citoyens dans un Etat libre, d’être jugé par ses pairs. Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles. »48 

Quatrièmement, la faculté reconnue au gouvernement de régler la vie du parlement. Le parlement ne peut siéger que lorsqu’il est convoqué par le Roi. Il doit se disperser quand le Roi le proroge et interrompt la session. « Le corps législatif ne doit point s’assembler lui-même (...) il faut donc que ce soit la puissance exécutrice qui règle le temps de la tenue et de la durée de ces assemblées, par rapport aux circonstances qu’elle connaît. »49
De l’avis de Charles Eisenmann, la doctrine exposée au livre XI, chapitre 6, a le sens du non-cumul des trois fonctions entre les mains du même organe.50 Aussi, préconise-t-elle le croisement et la collaboration des trois pouvoirs politiques. L’auteur reprend cette interprétation de la pensée de Montesquieu dans son étude La pensée constitutionnelle de Montesquieu, où il distingue entre « l’interprétation politique du XIXe siècle », qui reproduit fidèlement le vrai contenu de la pensée du philosophe et la « théorie juridique du XXe siècle » ou « l’interprétation séparatiste » à laquelle appartient Jellinek et Laband en Allemagne, Duguit et Carré de Malberg en France, et qui est « en contradiction radicale avec la vue d’ensemble que Montesquieu lui-même a donné à plusieurs reprises de sa constitution idéale, de ses principes, et de ses conséquences. »51 

L’interprétation « juridiste » ou séparatiste, qui attribue à Montesquieu le principe d’une séparation stricte du pouvoir, ne correspond pas à la véritable pensée de l’auteur de L’Esprit des lois. Pour corroborer son point de vue auquel nous nous rallions, Eisenmann cite plusieurs passages de l’œuvre maîtresse de Montesquieu. Mais le texte qui l’emporte sur tous les autres, c’est ce fragment inoubliable du chapitre 6 du livre XI:«Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. »52 
 

Certes, les deux pouvoirs, législatif et exécutif, sont attribués à des organes distincts. Mais cela ne signifie pas du tout qu’ils sont absolument indépendants l’un de l’autre. Car, supposer une telle indépendance, c’est trahir le principe que « le pouvoir arrête le pouvoir » et aller en conséquence contre les objectifs constitutionnels et les buts politiques que Montesquieu s’était proposé d’atteindre. 

Selon l’interprétation du XIXe siècle à laquelle Eisenmann adhère, il existe deux principes qui permettent de saisir l’originalité de l’approche constitutionnelle de Montesquieu.
Le premier tient à la non-confusion des trois pouvoirs ou à la non-identité de leurs organes. Tel est le sens du célèbre texte qui nous éclaire sur la pensée politique de Montesquieu : «Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs: celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »53. Cela n’exclut pas qu’un même organe puisse participer à l’exercice de plusieurs pouvoirs et cela de par l’interdépendance des fonctions politiques de l’Etat. La théorie du non-cumul du pouvoir est dualiste et non ternaire, finit par déduire Eisenmann. Montesquieu, note-t-il : « fait une différence fondamentale entre tribunaux d’une part, Parlement et monarques d’autre part. Pour lui, seuls les Chambres et le Gouvernement – le monarque et les ministres – sont des organes politiques ; à eux seuls, il destine, il assigne un rôle proprement politique. Les juges, les tribunaux, ceux qui exercent le pouvoir de juger, au contraire ne sont pas à ses yeux des forces politiques ; la justice n’est pas un pouvoir au sens politique. »54 

Le second principe réside dans le caractère composé de l’organe législatif ; c’est-à-dire, « du pouvoir suprême ou souverain. » Ce « pouvoir politique le plus élevé»55 doit être partagé entre les forces politiques et sociales à l’image de l’Angleterre où le pouvoir législatif est confié d’une part au peuple représenté par la chambre des Communes et d’autre part aux nobles, représentés par la chambre des Lords. Au sein du pouvoir législatif, les intérêts des deux puissances qui incarnent les vues de la noblesse et celles du peuple, doivent être mis en balance afin de préserver la liberté. Autrement dit, c’est la dualité du corps législatif qui fait que « le pouvoir arrête le pouvoir » et assure la modération de la législation. 

Deux points qui ont un rapport direct avec le problème de la liberté attirent notre attention dans la riche analyse de Eisenmann. Le premier concerne sa façon d’attribuer un caractère dualiste à la notion du pouvoir politique et cela en prenant l’acte juridictionnel comme étant un acte d’exécution de la loi, tout comme l’acte gouvernemental ou administratif. Deux passages confirment cette manière d’envisager le pouvoir judiciaire comme une branche du pouvoir exécutif : « La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. »56Ce qui laisse entendre qu’il n’y a que deux pouvoirs visibles : la puissance législatrice et la puissance exécutrice.

Invisible et nulle, la puissance législative l’est aussi par la nature même de son fonctionnement : « Mais, si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l’être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. »57 

Les deux passages que nous venons de citer ne doivent pas nous amener à dire avec Eisenmann et Simone Goyard-Fabre58 que seuls le parlement et le monarque constituent des forces politiques. Le pouvoir est répartit en trois espèces de forces, précise clairement Montesquieu au début de son chapitre sur la constitution de l’Angleterre. L’absorption de l’une par les autres ou l’assimilation de l’une aux autres barre la voie à la liberté. Tout comme le gouvernement et le monarque, le parlement est une puissance mise à part. Et c’est son autonomie qui préserve les citoyens contre la tyrannie. « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. »59 

Par opposition à Locke60, qui ne parle pas du pouvoir judiciaire et ne le fait pas apparaître dans la distinction qu’il établit entre les différentes sortes de pouvoirs – étant que l’exigence de la justice est implicitement présente dans tous les pouvoirs et constitue la norme qui règle le jeu politique –, Montesquieu prend l’autorité des magistrats pour l’une des trois puissances de l’Etat. Certes, le juge est un homme dont la fonction consiste à établir la justice en se référant « aux textes précis de la loi. » Mais cela ne fait pas de lui un simple perroquet ou un simple agent d’exécution. Les propos de Montesquieu vont dans une autre direction : les délits et les peines doivent être fixés à l’avance par la loi, et les juges n’ont qu’à appliquer les lois aux particuliers afin de rendre justice avec impartialité tout en se gardant de tout arbitraire. 

Donc, c’est de l’autonomie du pouvoir judiciaire, mais c’est aussi de la non corruption des juges et de leur respect de la loi que dépend le sort de la liberté des citoyens.
Le deuxième point sur lequel nous voulons nous attarder concerne le sujet de la « société de classes » et « de la co-souveraineté de plusieurs forces sociales et politiques», qui caractérisent, comme le note Eisenmann, l’Etat modèle de Montesquieu61. Le Président de la Brède est, par delà ses partis pris évidents pour l’aristocratie62, l’un des hommes de la liberté parce qu’il est partisan d’une société de dialogue qui laisse entendre la voix de tous : celle des nobles et celle du peuple. Pour lui, l’Etat n’est pas une personne morale constituée en amont de la société et transcendant ses clivages. La preuve est que chaque groupe social participe au pouvoir législatif et défend ses intérêts et ses prérogatives. Parlant de l’Angleterre dans le chapitre 27 du livre XIX, qui constitue le pendant et le complément du chapitre 6 du livre XI, Montesquieu affirme que ce pays est plein de vitalités et de forces à cause des partis politiques qui s’y trouvent : « Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenait trop le dessus, l’effet de la liberté ferait que celui-ci serait abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendrait relever l’autre.»63 Défenseur acharné de la pluralité, Montesquieu soutient que c’est la diversité, l’adversité et les conflits qui constituent un garde-fou contre l’asservissement des citoyens. S’empêchant d’identifier les partis politiques avec les factions et les partis factieux qui ne causent que des troubles et perturbent le corps social, Montesquieu pense, au contraire, que la liberté se nourrit de contrastes et d’oppositions partisanes. Dans les Lettres persanes, il note avec grande pénétration qu’en Angleterre « on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le Prince toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même. »64 


Le paradigme anglais fait écho à celui de Rome où la société représentée par ces partis politiques se gouverne elle-même et assure son unité grâce à la divergence qui crée l’harmonie. « On n’entend parler, dans les auteurs, que des divisions qui perdirent Rome ; mais on ne voit pas que ces divisions y étaient nécessaires, qu’elles y avaient toujours été et qu’elles y devaient toujours être. »65Il faut, poursuit Montesquieu, prendre garde à la tranquillité qui, apparemment, règne dans les Etats se prétendant républicains : on est sûr alors que la liberté y est absente. En opposition à l’uniformité despotique66 et au modèle absolutiste du type hobbien, Montesquieu soutient que l’ordre se réalise et l’accord communautaire se maintient grâce à l’hétérogénéité des forces sociales qui visent le bien commun dans leurs débats politiques : « Ce qu’on appelle union dans un corps politique, est une chose très équivoque : la vraie est une union d’harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général de la société ; comme des dissonances, dans la musique, concourent à l’accord total. »67 À la véritable harmonie des gouvernements libres et modérés, Montesquieu oppose la fausse harmonie du despotisme où l’union apparente n’est qu’une soumission obtenue par la crainte et la violence qui causent la mort au sens physique et symbolique. « Mais, dans l’accord du despotisme asiatique, c’est-à-dire, de tout gouvernement qui n’est pas modéré, il y a toujours une division réelle. Le laboureur, l’homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance : et, si l’on y voit de l’union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps ensevelis les uns auprès des autres. »68 


Pour s’introduire, la liberté a donc besoin d’une société émancipée du joug du despotisme, du règne du même et de l’impérialisme tuant de l’identique. La liberté politique n’est pas un principe abstrait, mais un fait qui prend de plus en plus corps dans la vie réelle des gens par l’ouverture, les discussions, les débats, les dialogues, les face- à-face entre les personnes et les groupes qui représentent des opinions dissemblables et des intérêts différents.
Que peut-on déduire de tout ce qui précède ? À la lumière de ce que nous venons de voir, nous pouvons dire avec Sergio Cotta que ce n’est pas seulement « le mécanisme purement juridique de la séparation des pouvoirs qui assure la liberté politique, mais (c’est aussi) le libre affrontement des différentes idéologies. »69 

La constitution libre qui établit une certaine distribution des pouvoirs et favorise en conséquence la division partisane qui a pour effet de prémunir les individus contre toute sorte de tyrannie, n’assure qu’un seul genre de liberté politique. Or, le sens de la liberté est double : la liberté qui se rapporte à la constitution et la liberté qui concerne directement le citoyen. « Je distingue les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, d’avec celles qui la forment dans son rapport avec le citoyen. »70. La raison pour laquelle la liberté politique constitutionnelle ne coïncide pas nécessairement avec la liberté individuelle, c’est qu’il y a une différence entre une liberté de droit et une liberté de fait. « Il pourra arriver que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l’être pas. Dans ce cas, la constitution sera libre de droit, et non de fait ; le citoyen sera libre de fait, et non pas de droit. »71 Pour que la liberté, dans ces deux branches, soit de droit et de fait, il faut garantir, à part le bon aménagement de l’Etat, la sûreté des individus. Cette sûreté est en rapport avec un grand nombre de facteurs : « des mœurs, des manières, des exemples reçus », mais surtout « de certaines lois civiles »72, par opposition aux lois politiques que Montesquieu nomme « lois criminelles »73.
Après avoir explicité ce qu’il entend par la liberté selon la constitution, Montesquieu va concentrer tout son effort sur la liberté du citoyen74 afin de nous montrer comment le droit criminel peut sauvegarder ou menacer la liberté personnelle. 


La liberté du citoyen
La théorie de la liberté politique proposée par Montesquieu est inséparable de sa conception du droit pénal qu’il expose aux livres VI et XII. C’est surtout dans ce dernier livre, qui s’intitule « Des lois qui forment la liberté politique dans sont rapport avec le citoyen », que l’auteur de L’Esprit des lois se montre préoccupé de la sûreté des individus à travers l’ensemble des mesures juridiques qu’il avance pour protéger les personnes contre l’empire de l’arbitraire et de l’injustice. C’est ainsi qu’il indique que le droit pénal qui doit tendre au châtiment des criminels dans l’intérêt de la société ne doit pas permettre aux juges de condamner des accusés en fondant leurs jugements sur un seul et unique témoignage : « Les lois qui font périr un homme sur la déposition d’un seul témoin sont fatales à la liberté. »75 Aussi faut-il rejeter les faux témoignages et punir sévèrement leurs auteurs, car quand « l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus. »76. La législation criminelle, relative aux actes délictueux et à leur répression, doit tendre toujours à la perfection. Les progrès accomplis dans ce domaine « intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde »77. Ces progrès sont basés sur « les connaissances que l’on a acquises dans quelques pays (...) ce n’est que sur la pratique de ces connaissances que la liberté peut être fondée ; et dans un Etat qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on ferait son procès, et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre qu’un bacha l’est en Turquie. »78 Le règne de la justice civile ou criminelle ne va pas de pair avec la simplicité de la loi79. Dans les Etats despotiques, les lois sont simples et peu nombreuses et les procès sont rapides parce que, le prince ayant un pouvoir absolu, les sujets n’ont presque pas de droit et sont dépourvus de garanties de bonne justice. Dans les Etats non despotiques, la justice criminelle accumule les formalités et les procédures criminelles sont lentes, longues et complexes, non pas pour embrouiller le procès et alourdir les frais, mais pour permettre la bonne défense aux accusés : « Dans les Etats modérés, où la tête du moindre citoyen est considérable, on ne lui ôte son honneur et ses biens qu’après un long examen : on ne le prive de la vie que lorsque la Patrie elle-même l’attaque ; et elle ne l’attaque qu’en lui laissant tous les moyens possibles de la défendre »80. Pour que les lois réussissent leur rôle de bien faire régner la justice, elles doivent être claires et précises afin de permettre aux individus de savoir à l’avance s’ils sont dans le tort ou pas. À cet égard, Montesquieu valorise les lois des Douze Tables, et les érige en modèle de précision car elles étaient accessibles à tous et « les enfants les apprenaient par cœur. »81

L’imprécision dans la législation civile et criminelle est un signe d’esclavage politique. C’est ainsi qu’étant à la fois vagues et trop étendues, les lois qui définissent le crime de lèse-majesté comme un manque de respect à l’égard du souverain, sont immanquablement despotiques82. L’Esprit des lois fourmille de conseils et abonde en recommandations sur les lois pénales et l’établissement des peines83 pour empêcher l’arbitraire de régner en souverain.
Toutes les mesures, prises par Montesquieu pour réformer et perfectionner le pouvoir judiciaire de son temps, visent la réalisation d’un maximum possible de liberté. Le libéral qu’est Montesquieu, attribue à la procédure criminelle et au système de punition qu’il préconise trois principes qui vont dans le sens du non asservissement des citoyens.



Le premier principe consiste dans la modération des peines. S’inspirant à la fois du souci de l’impartialité et du sentiment de l’humanité, Montesquieu soutient que les peines ne doivent pas être uniquement justes dans leur nature, mais elles doivent être modérées dans leur principe. Dans les pays despotiques dont le ressort est la crainte, les peines sont excessives. Par contre, dans les Etats modérés (monarchies ou républiques) où les citoyens sont à l’abri de la crainte et de l’assujettissement, les peines correctionnelles infligées aux coupables sont douces et supportables : « Il serait aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les Etats d’Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu’on s’est plus approché ou plus éloigné de la liberté. »84 Ce qui laisse entendre que les châtiments tiennent à la nature du gouvernement : « La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu’à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l’honneur et la vertu. »85. Pour les gens libres, la répression des crimes est mieux assurée par les peines douces. Celles- ci sont efficaces et ont le même effet que les peines atroces ont sur les individus habitués à la soumission : « L’imagination se plie d’elle-même aux mœurs du pays où l’on est : huit jours de prison ou une légère amende frappent autant l’esprit d’un Européen, nourri dans un pays de douceur, que la perte d’un bras intimide un Asiatique. »86 Les effets dissuasifs des peines dépendent de la mentalité de ceux à qui on les applique. Il n’est pas nécessaire de brutaliser le peuple lorsqu’il est vertueux. Aussi, faut-il l’épargner de la peur de supplices cruels et barbares, comme le carcan et la roue. Car la perte du statut social ou la simple menace d’être humilié et classé parmi les malfaiteurs peuvent avoir plus d’effets dissuasifs que la douleur causée par la peine outrée87. L’extrême sévérité des lois pénales est inadmissible. Car lorsque la peine est sans mesure, on est dans la vengeance aveugle qu’inspire la haine. Or, affirme Montesquieu, « un bon législateur s’attachera moins à punir les peines88qu’à les prévenir ; il s’attachera plus à donner des mœurs qu’à infliger des supplices. » 

Le second principe consiste dans la proportion des peines avec le crime. En effet, le législateur doit établir des peines qui ne sont pas seulement douces, mais aussi justes, c’est à dire proportionnées aux crimes qu’elles sont censées punir. Ce principe, Montesquieu ne le déduit pas des règles propres au droit naturel, mais de l’observation des faits. « C’est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine »89. Si le voleur et l’assassin sont punis également, le voleur n’hésitera pas à tuer. Rien n’est plus injuste, ajoute Montesquieu, que d’infliger la peine de mort, réservée au crime de lèse-majesté, à celui qui calomnie indignement des personnes considérables de l’Etat90. Non seulement la disproportion entre les délits et les châtiments incite le délinquant au pire, mais elle nuit gravement à l’exercice de la liberté. C’est sur quoi insiste le chapitre 4 du livre XII dont l’intitulé suffit à lui seul à nous dévoiler le but ultime du principe en question dans la législation criminelle de Montesquieu : « Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion »91. Une telle proportion ne fait que confirmer, encore une fois, les intentions libérales du philosophe de la Brède : « C’est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l’arbitraire cesse ; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; et ce n’est point l’homme qui fait violence à l’homme »92


Le troisième principe se rapporte à l’ordre auquel appartient le délit : le crime relève du factuel et non du réflexif. Il se rapporte à l’action et non pas à la pensée : « Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures »93. C’est pour cela qu’il n’est pas inique de condamner la magie et l’hérésie : « L’accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d’une infinité de tyrannies si le législateur ne sait la borner. Car (...) elle ne porte pas directement sur les actions d’un citoyen, mais plutôt sur l’idée que l’on s’est faite de son caractère »94. De même, il ne faut pas incriminer la sodomie. Ce crime contre nature étant naturellement « caché », la justice le punit le plus souvent sur la déposition « d’un enfant » ou « d’un esclave. » En outre, la recherche de témoignage pour ce genre de crime ne fait qu’ « ouvrir une porte bien large à la calomnie »95. Aussi les lois humaines n’ont-elles pas à juger ni à punir les délits contre la divinité, note courageusement Montesquieu. Car « là où il n’y a point d’action publique, il n’y a point de matière de crime : tout s’y passe entre l’homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances »96. Les crimes contre la foi religieuse, tel que le sacrilège, doivent être punis uniquement de peines ecclésiastiques, et non de peines temporelles établies par l’autorité civile. Par cette séparation de la justice et de la religion, Montesquieu cherche à défendre la liberté de conscience. Dans la même lignée de défendre l’individu contre la servitude, Montesquieu critique sévèrement les incriminations politiques qui ôtent aux citoyens la liberté de discussion à l’égard de ceux qui détiennent le pouvoir. Il pense que c’est une grande tyrannie que de considérer les critiques formulées contre le gouvernement comme un crime de lèse-majesté. Les paroles « ne deviennent des crimes que lorsqu’elles préparent, qu’elles accompagnent, ou qu’elles suivent une action criminelle »97. Le crime de lèse-majesté est un attentat réel et tangible contre le pouvoir et la personne réelle du souverain. Or, « les paroles ne forment point un corps de délit » puisqu’elles « ne restent que dans l’idée ». Dès lors « comment donc en faire un crime de lèse-majesté. Partout où cette loi est établie, non seulement la liberté n’est plus mais son ombre même »98. L’originalité essentielle de Montesquieu tient à son insistance sur la liberté de pensée et d’expression et sur sa recommandation de dénuer de la loi tout droit de regard sur la subjectivité. 

L’idée de liberté est au cœur de la pensée politique de Montesquieu. Cette liberté trouve sa condition de possibilité dans la bonne législation pénale qui est le corollaire de la limitation du pouvoir qui s’impose à tout gouvernement légitime et non corrompu. Par sa distinction entre « la liberté d’après la constitution » et « la liberté du citoyen » exposée aux livres XI et XII de L’Esprit des lois, Montesquieu anticipe la liaison qui sera établie ultérieurement par les constituants américains et français entre le principe de « la séparation des pouvoirs », communément désigné ainsi, et le droit de l’homme et du citoyen. 



Une conclusion s’impose à la fin de cet exposé : dédaigneux du despotisme, Montesquieu ressemble en quelque sorte à Rousseau. Mais à la différence de ce dernier, il n’est pas partisan de l’égalité civile entre les citoyens. Car il se montre clairement hostile au gouvernement direct, et d’une manière générale à la souveraineté du peuple. Il reste comme on l’a dit, noble, « hiérarchique » et compte sur une aristocratie pour éclairer le peuple et le préserver de l’assujettissement. « Il n’est pas indifférent, dit-il, que le peuple soit éclairé »99. Mais, ajoute-t-il, « il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages »100. Répugnant le despotisme de tous et le despotisme d’un seul, Montesquieu croit que les prérogatives et les privilèges des corps intermédiaires sont essentiels pour la sauvegarde de la liberté.


Par Hichem Ghorbel
(Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, Département de philosophie)

1 Cf. à cet égard : Binoche (Bernard), Introduction à De l’Esprit des lois de Montesquieu, Paris, PUF, 1998, pp.197- 355 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : la Nature, les lois, la liberté, PUF, 1993, 147-342 ; Iglessias (M. C.), « L’esprit des lois de Montesquieu », in Historia de la Etica, Barcelone, Victoria Camps, 1992, pp .194-224 ; Manent P, La Cité de l’homme, Paris, Flammarion “Champs”, 1997, Chap. 1 et 2; «L’Europe comme valeur: individualisme et liberté politique dans l’œuvre de Montesquieu, in L’Europe de Montesquieu, Cahier Montesquieu, n° 2, 1995, p. 257-270; Pangle T, Montesquieu’s Philosophy of Liberalism, Chicago, The Chicago University Press, 1977, chap. IV; Spector (Céline) « L’esprit des lois de Montesquieu. Entre libéralisme et humanisme civique », Revue Montesquieu, n° 2, 1998, p.139- 161
2 Mes Pensées, n° 80 : « Pour mon système sur la liberté ; il faudra le comparer avec les anciennes républiques ». Nous utiliserons désormais les abréviations suivantes : EL : De l’esprit des lois ; LP : Lettres persanes ; MP : Mes Pensées ; Romains : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadences. Nos références à l’œuvre de Montesquieu se rapportent aux Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1949- 1951.Texte présenté et annoté par Roger Caillois.
3 EL., I ,1, p. 238.
4 EL., VI, 2, P. 310.
5 Ibid., p .311.
6 MP., n° 1797, p 1430
7 Sur ce point, cf. l’article de Gabriel loirette, « Montesquieu et le problème du bon gouvernement », in Actes de Congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, pp. 219- 239.
8 EL., XII, 2, p. 431.
9 MP., n°1798, p.1430.
10 Cf. Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T I, Introduction, pp. XCIV- XCIX.
11 G. Gurvitch, « La sociologie juridique de Montesquieu » in Revue de métaphysique et de morale, n° 4, 1939, pp.571-626.
12 EL., XI, 3, p.395.
13 Ibid., XI, 2, p.394.
14 MP. , n° 1801, p.1431.
15 Ibid., n° 1802, p.1431.
16 Ibid., n° 631, p.1152.
17 Ibid., n° 1806, p. 1432.
18 EL. , XI, 4, p.395
19 MP., n° 631, p. 1152.
20 Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, p.69.
21 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, les Lois, la Liberté, op.cit, p.262. L’italique est de l’auteur.
22 EL., XXIX, 1, p.865.
23 Ibid., XIX, 5, p.559.
24 Cité par Manin Bernard dans son article « Montesquieu et la politique moderne », Cahiers de philosophie politique, Reims, n° 2-3 OUSIA, 1985, p. 194.
25 EL., XXIX, 1, p. 865.
26 Ibid. VI, 12, p.321.
27 Ibid., VI, 13, p.323.
28 Ibid., XXVIII, 38, p.853.
29 Ibid., XV, 16, p. 503.
30 Cf. les développements de Simone Goyard-Fabre, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La Liberté, op.cit, pp.268-269.
31 EL. II, 1, p.239.
32 « En substituant cette division à la division traditionnelle (démocratie, aristocratie, monarchie) Montesquieu se propose manifestement d’établir une différence de nature entre la monarchie et le despotisme. On remarquera qu’il utilise deux critères : le critère du nombre lui sert à distinguer le gouvernement républicain du gouvernement d’un seul, tandis que le critère de la légalité lui permet d’opposer radicalement monarchie et despotisme ». Derathé, l’Esprit des lois, T1, note n°2, p.426.
33 EL. III, 9, p.259.
34 Ibid., III, 10, p.259.
35 Ibid., V, 14, p .297 : «Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en état de résister à
l’autre ; c’est un chef – d’œuvre de législation, que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence. ». CF. aussi MP., n°, 1793, p.1429.
36 Derathé, De l’Esprit des lois, T1, note n° 26, p.447.
37 Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T1, p.32.
38 MP. n° 631, pp.1151-1152.
39 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté. Op. cit. p.282.
40 EL .XI, 6, p, 397.
41 Ibidem.
42 Ibid, XI, 4, p. 395.
43 Spector (Céline), Le vocabulaire de Montesquieu, Ellipses, 2001, p.45.
44 Barckhausen (Henri), Montesquieu, ses idées et ses oeuvres d’après les papiers de la Brède., Slatkine, 1970, réimpression de l’édition de Paris, 1907, pp.83-107 ; Dedieu (Joseph), Montesquieu et la tradition politique anglaise en France. Les sources anglaises de l’Esprit des lois, Paris, 1909, pp.151-159 ; Althusser (Louis), Montesquieu, La politique et l’histoire, Quadrige /PUF, 1959, pp.98-108. Vlachos (Georges. C), La politique de Montesquieu : notion et méthode, Ed, Montchrestien, 1974, pp.97-115 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op. cit. pp.166-194 ; Binoche (Bernard), Introduction à de l’Esprit des lois de Montesquieu, op. cit pp.257-270 ; Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, pp.68-77 ; Spector (Céline), Montesquieu. Pouvoirs, Richesses et Sociétés, PUF, 2004, pp.185-194.
45 « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp. 3-34 ; « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp.35-66.
46 EL., XI, 6, p. 404.
47 Ibid., p.403.
48 Ibid., p.404.
49 Ibid., pp.402 -403.
50 « L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op.cit, p.17 51 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.47
52 EL., XI, 6, p.405.
53 Ibid., p.397.
54 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.55. 55 Ibid., p.54.
56 EL., XI, 6, p.398. L’italique est de l’auteur.
57 Ibid., p.399.
58 Sur ce point, la thèse de Eisenmann a été reprise par Simone Goyard-Fabre. Cf. La philosophie du droit de Montesquieu, Paris, Klincksieck, 1973, pp.335-336. Cf. aussi du même auteur, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op.cit, p.195.
59EL., XI, 6, p.397.
60 John Locke, Traité du gouvernement civil, Garnier-Flammarion, 1992, chapitre XII, pp .250-253.
61 Eisenmann, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.61.
62 Cf. Althusser (Louis), Montesquieu, la politique et l’histoire, op.cit, .pp.109-122. 63 EL, XIX, 27, p.575.
64 LP., n° 136, p.336.
65 Romains., IX, p119.
66 EL., V, 14, pp292-297. 67 Romains, IX, p.119.
68 Ibid.
69 Sergio Cotta, « L’idée de Parti chez Montesquieu », in, Actes du congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, p.263.
70 EL, XI, 1, p.393.
71 Ibid ; XII, 1, pp.430-431.
72 Ibid, p.431.
73 Ibid, 2, p.431.
74 « Ce n’est pas assez d’avoir traité de la liberté politique dans son rapport avec la constitution ; il faut la faire voir dans le rapport qu’elle a avec le citoyen ».Ibid, 1, p.430.
75 Ibid . 3, p.432. 76 Ibid., 2, p.432. 77 Idem.
78 Idem.
79 « Le gouvernement monarchique ne comporte pas des lois aussi simples que le despotique. », Ibid., VI, 1, p.307.
80 Ibid., 2, p.310. En Turquie « où l’on fait très peu d’attention à la fortune, à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement, d’une façon ou d’une autre, toutes les disputes » (Ibid).
81 Ibid., XXIX, 16, pp.876-877.
82 Ibid., XII, 7, p.438.
83 Cf. l’article de Gravin (Jean): «Montesquieu et le droit pénal» in La pensée politique et constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de l’Esprit des lois, Paris, Recueil Sirey, 1952, pp.209- 254.
84 EL., VI, 9, p.318. 85 Idem.
86 LP., n°80, p252. 87 EL., VI, 12, p.321. 88 Ibid, 9, p.318.
89 Ibid., 16, p .328. 90 Ibid., p327.
91 Ibid., XII, 4, p.433. 92 Idem.
93 Ibid., 11, p.441.
94 Ibid., 5, p.435.
95 Ibid., 6, p.437. 96 Ibid., 4, p.433. 97 Ibid., 13, p.443. 98 Ibid., p.442.
99 Ibid., Préface, p.230. 100 Ibid., II, 2, p.243.


Montesquieu

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Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un philosophe et magistrat français du siècle des Lumières né le 18 janvier 1689 à la Brède (Gironde), et mort à Paris le 10 février 1755.
Certains ont voulu le réduire, à l'image d'un doctrinaire univoque du libéralisme, mais en fait il fut l'inspirateur le plus lucide avec John Locke des principes d'organisation politique et sociale sur lesquels nos sociétés modernes s'appuient.
« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal: il suffit qu'ils raisonnent; de là sort la liberté, qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements ».
Il est le père de la théorie de la séparation des pouvoirs afin d'en neutraliser les abus. Montesquieu voit dans le législatif le pouvoir le plus susceptible d'abuser de son autorité. Toutefois, Montesquieu ne désirait rien d'autre que de voir évoluer la monarchie française vers le modèle britannique, alors que les pères fondateurs de la Révolution française (excepté Mounier) fuyaient au contraire ce modèle gangrené par la corruption.
Fils de Jacques de Secondat, baron de Montesquieu (1654-1713) et de Marie-Françoise de Pesnel, baronne de la Brède (1665-1696), Montesquieu naît dans une famille de magistrats, au château de la Brède (près de Bordeaux) dont il porte d'abord le nom et auquel il sera toujours très attaché. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain afin qu'il se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères[1].
Après une scolarité au collège de Juilly et des études de droit, il devient conseiller du parlement de Bordeaux en 1714. En 1715, il épouse à 26 ans Jeanne de Lartigue, une protestante issue d'une riche famille et de noblesse récente qui lui apporte une dot importante. C'est en 1716, à la mort de son oncle, que Montesquieu hérite d'une vraie fortune, de la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux et de la baronnie de Montesquieu, dont il prend le nom. Délaissant sa charge dès qu'il le peut, il s'intéresse au monde et au plaisir.
À cette époque l'Angleterre s'est constituée en monarchie constitutionnelle à la suite de la Glorieuse Révolution (1688-1689) et s'est unie à l'Écosse en 1707 pour former la Grande-Bretagne. En 1715, le Roi Soleil Louis XIV s'éteint après un très long règne et lui succèdent des monarques plus faibles. Ces transformations nationales influencent grandement Montesquieu ; il s'y référera souvent.
Il se passionne pour les sciences et mène des expériences scientifiques (anatomie, botanique, physique...). Il écrit, à ce sujet, trois communications scientifiques qui donnent la mesure de la diversité de son talent et de sa curiosité : Les causes de l'écho, Les glandes rénales et La cause de la pesanteur des corps.
Puis il oriente sa curiosité vers la politique et l'analyse de la société à travers la littérature et la philosophie. Dans les Lettres persanes, qu'il publie anonymement (bien que personne ne s'y trompe) en 1721 à Amsterdam, il dépeint admirablement, sur un ton humoristique et satirique, la société française à travers le regard de visiteurs perses. Cette œuvre connaît un succès considérable : le côté exotique, parfois érotique, la veine satirique mais sur un ton spirituel et amusé sur lesquels joue Montesquieu, plaisent.
En 1726, Montesquieu vend sa charge pour payer ses dettes, tout en préservant prudemment les droits de ses héritiers sur celle-ci. Après son élection à l'Académie française (1728), il réalise une série de longs voyages à travers l'Europe, lors desquels il se rend en Autriche, en Hongrie, en Italie (1728), en Allemagne (1729), en Hollande et en Angleterre (1730), où il séjourne plus d'un an. Lors de ces voyages, il observe attentivement la géographie, l'économie, la politique et les mœurs des pays qu'il visite. Avant 1735, il avait été initié à la franc-maçonnerie en Angleterre[2].
De retour au château de la Brède, en 1734, il publie une réflexion historique intitulée Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, monument dense, couronnement de ses années de voyages et il accumule de nombreux documents et témoignages pour préparer l'œuvre de sa vie, De l'esprit des lois. D'abord publié anonymement en 1748 grâce à l'aide de Mme de Tencin, le livre acquiert rapidement une influence majeure alors que Montesquieu est âgé de 59 ans. Ce maître-livre, qui rencontre un énorme succès, établit les principes fondamentaux des sciences économiques et sociales et concentre toute la substance de la pensée libérale. Il est cependant critiqué, attaqué et montré du doigt, ce qui conduit son auteur à publier en 1750 la Défense de l'Esprit des lois. L'Église catholique romaine interdit le livre - de même que de nombreux autres ouvrages de Montesquieu - en 1751 et l'inscrit à l'Index (La partie religion avait été écrite au même titre que les autres). Mais à travers l'Europe, et particulièrement en Grande-Bretagne, De l'esprit des lois est couvert d'éloges.
Dès la publication de ce monument, Montesquieu est entouré d'un véritable culte. Il continue de voyager notamment en Hongrie, en Autriche, en Italie où il demeure un an, au Royaume-Uni où il reste 18 mois. Il poursuit sa vie de notable, mais reste affligé par la perte presque totale de la vue. Il trouve cependant le moyen de participer à l'Encyclopédie, que son statut permettra de faire connaître, et entame la rédaction de l'article Goût : 'il n'aura pas le temps de terminer, c'est Voltaire qui s'en chargera.
C'est le 10 février 1755 qu'il meurt d'une fièvre inflammatoire.


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