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janvier 11, 2024

BASTIAT: CE QUE L'ON PENSE, ET OÙ CELA NOUS MÈNE

Ce texte ici présenté est une opinion de Jérémie T. A. Rostan de QL

agrégé de philosophie et enseigne actuellement la philosophie aux États-Unis.

M. Rostan a terminé premier au « Concours Bastiat » organisé par le site Un monde libre. Nous publions ici le texte qui lui a valu cette 1ere place.

 

 



« Je pourrais soumettre ici une foule d’autres questions à la même épreuve. Mais je recule devant la monotonie d’une démonstration toujours uniforme… »

          C’est par ces deux lignes que Frédéric Bastiat conclut son ouvrage aujourd’hui le plus célèbre, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, dont le titre est devenu une expression proverbiale et un puissant outil de pensée dans la tradition libérale. À tel point qu'au 20e siècle, un autre grand publiciste, Henry Hazlitt, en a tiré la leçon de sa si célèbre Économie en une leçon.

 

          Pourtant, si la pensée de Frédéric Bastiat consiste bien à mettre l’opinion « à l’épreuve » afin de procéder à la « démonstration » de son absurdité, la leçon qu’il nous lègue est bien plus générale, et puissante, que cette simple distinction. 

On peut la résumer ainsi: si l’on accepte une idée, alors on doit accepter le principe dont elle se déduit, ainsi que toutes les conséquences qui en découlent.

          Telle est l’« épreuve » à laquelle Frédéric Bastiat soumet constamment l’opinion: lui faire voir le principe qu’elle suppose, et surtout les conséquences auxquelles il conduit logiquement.

          C’est là ce qui permet de « démontrer »: qu’elle est inconséquente, c’est-à-dire incohérente et contradictoire avec elle-même, et cela parce qu’elle repose sur un principe faux qui, s’il était poussé jusqu’au bout, conduirait à des absurdités manifestes – et désastreuses.
 

          Dans une fausse voie, on est toujours inconséquent, sans quoi on tuerait l’humanité. Jamais on n’a vu ni on ne verra un principe faux poussé jusqu’au bout. J’ai dit ailleurs: l’inconséquence est la limite de l’absurdité. J’aurai pu ajouter: elle en est en même temps la preuve.

          Cette leçon, Frédéric Bastiat l’énonce au chapitre VIII, intitulé « Les Machines », du même ouvrage. Outre sa validité universelle et fondamentale, elle est, dans ce contexte, particulièrement importante pour notre époque, car elle examine l’opinion selon laquelle le progrès technologique est une malédiction, cause de chômage et de misère.

          Si, pour prendre un exemple récent, l’introduction de caisses automatiques dans les supermarchés était un mal, comme le prouve le pauvre destin des caissières, alors il doit être vrai qu’une société est d’autant mieux lotie qu’elle a plus de travail à faire et moins de capital pour l’y aider – l’idéal étant, évidemment, de s’échiner en vain à mains nues. N’est-il pas horrible que la productivité augmente et qu’une même quantité de travail procure plus de satisfactions?!

          Mais si la leçon de Frédéric Bastiat importe surtout au monde d’aujourd’hui – et de demain –, ce n’est pas seulement parce qu’il est le lieu d’un progrès technologique constant: c’est aussi parce que ce dernier transforme ce lieu même, en modifie l’échelle, et l’unifie.
 

Deux principes opposés

          Toutes les opinions examinées par Frédéric Bastiat sont des préjugés favorables à l’intervention du gouvernement dans l’économie. Or ces interventions concernent toujours l’échelle nationale. Mais si elles étaient bonnes, elles devraient l’être parce qu’elles se fondent sur un principe qui l’est lui-même; par conséquent, elles devraient l’être aussi à l’échelle infra et supranationale.

          S’il est, par exemple, néfaste que certaines industries d’un certain pays se « délocalisent », il doit l’être aussi que chacun de ses citoyens « perde » un travail qu’il pourrait lui-même accomplir et échange quoi que ce soit avec qui que ce soit!

          Nous touchons ici, véritablement, au coeur de ce que Frédéric Bastiat a à nous apprendre, et au trésor de son héritage. L’échange et la contrainte sont deux principes opposés. Dès lors, si l’on admet qu’un échange quelconque, parce qu’il est libre, est réciproquement profitable, alors on doit admettre qu’il en est ainsi par principe, et la conséquence logique est qu’il en est toujours et partout ainsi du libre-échange, de quelque secteur ou échelle de l’économie qu’il s’agisse.

Inversement, si l’on défend une intervention quelconque, parce que l’on pense qu’elle conduit à un meilleur résultat que l’échange dont elle contraint la liberté, alors on doit admettre que la contrainte est un principe préférable à la liberté des échanges, ce qui doit logiquement conduire à défendre une administration totale de l’économie à l’échelle de la planète.

          S’il fallait trouver, au 20e siècle, un digne successeur à Frédéric Bastiat, ce serait donc, non pas dans le style, mais dans l’idée, l’économiste américain et philosophe libertarien de l'école autrichienne, Murray Rothbard. Celui-ci affirmait en effet: « Seuls les extrémistes sont cohérents ».

          Tel est le fond de la pensée de Frédéric Bastiat, et sa leçon pour notre époque. L’économie et la politique, la liberté et la contrainte, sont deux principes opposés entre lesquels il n’est, pas plus qu’entre aucun principe opposé, aucun « mixte » possible. Tout compromis relèverait, ici, de la contradiction.

          Soyez libéraux, donc, ou soyez socialistes, mais soyez conséquents! Et si vous penchez pour la seconde option, voyez que votre principe, s’il était « poussé jusqu’au bout », « tuerait l’humanité ».

Désordre monétaire mondial

          Un mot doit être dit, ici, de l’ordre, ou plutôt du désordre, monétaire mondial et de ce qui a façonné le 20e siècle: non pas la guerre, mais le monopole des banques centrales qui a été la condition nécessaire de la barbarie.

          La leçon de Frédéric Bastiat s’applique ici avec force. Si une banque centrale pouvait « soutenir » l’économie en augmentant la masse monétaire et étendant le crédit, de telle sorte que l’investissement soit supérieur à l’épargne et/ou la consommation à la production, alors à quoi servirait-il d’épargner et même de produire quoi que ce soit?

          Si la planche à billets était, comme l’affirme Ben Bernanke, l'actuel président de la Réserve fédérale, une « technologie miracle » pouvant quoi que ce soit d’autre que d’imprimer des billets, pourquoi ne se contenterait-on pas de cette seule production? Et, inversement, s’il est évident que des billets ne se mangent pas, pas plus qu’ils ne peuvent servir à quoi que ce soit d’autre qu’à être échangés contre une certaine richesse en fonction de leur nombre, ne l’est-il pas que la création monétaire ne produit pas la moindre richesse – pire, qu’elle en détruit?

          Mais il y a, outre la leçon qu’il nous donne, une question que Frédéric Bastiat nous pose, et à laquelle le monde d’aujourd’hui aura à répondre pour le monde de demain: Est-il jamais trop tard pour revenir sur ses pas dans une fausse voie?

          Plus on en vient « au bout », plus on s’illusionne en suivant un faux principe, « plus dure sera la chute » et le retour à la réalité. Le retour aux principes de l’économie a un coût grandissant à mesure qu’on s’en éloigne; si bien que l’on risque aussi de désespérer pouvoir les supporter.

          C’est aujourd’hui, à horizon proche – bien plus proche que la « fin du pétrole » ou les conséquences néfastes du « réchauffement climatique » –, que le simple intérêt sur la totalité des dettes publiques et privées dépassera, dans un pays comme les États-Unis, la totalité de la production annuelle.

          On s’est engagé sur cette voie parce que l’on a feint de croire en et à l’État, cette fiction à travers laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens de ses concitoyens et des générations futures. Ce faisant, on ne s’est pas seulement trompé de principe: on a aussi inversé toutes les valeurs, faisant de la propension de l’État à s’endetter et à étendre le crédit à la production et la consommation à crédit une vertu devant racheter la propension des capitalistes à épargner et à réaliser des profits. C’est là une faute que l’on paiera cher, mais que l’on doit racheter.

Mourir d’illusions

          À la question que nous pose Frédéric Bastiat, nous ne pourrons donc répondre que par la Dénationalisation de la monnaie et le démantèlement de l’État-providence.

          L’alternative, en effet, n’en est pas une: c’est, comme le pointait déjà Friedrich Hayek dans La Route de la Servitude, son effondrement, et avec lui celui de la civilisation.

          À cet égard, le risque est bien que le 21e siècle donne tort à Frédéric Bastiat. La raison humaine ne peut-elle aller au bout de sa propre négation? Nous avons vu que le socialisme tuerait l’humanité; et pourtant nous ne voulons, semble-t-il, toujours pas le voir. De même, face à l’effondrement de la pyramide d’emprunts construite par les Banques centrales, le monde s’est écrié: « Fiat money, pereat mundus! »

          Après tout, peut-être préférerons-nous mourir d’illusions, contraints et forcés, à vivre libres, conscients et responsables

 

Source QL

 

 

 


juillet 05, 2022

LIBERTÉ D'IMMIGRER OU INTÉGRATION FORCÉE ? Hans-Hermann HOPPE

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Comme l'indique l'immigrationnisme forcené des bandits communistes, la véritable liberté en matière d'immigration est le contraire exact de l'intégration forcée qu'imposent les gouvernements démocrates-sociaux à l'échelle du monde. A défaut d'une société totalement libre, l'Etat ne peut mener une politique d'immigration raisonnable que s'il agit comme le ferait un roi [F. G.].

L'argument classique en faveur de l'immigration sans frein se présente comme suit : toutes choses égales par ailleurs, les entreprises vont là où le travail coûte moins cher, réalisant ainsi une approximation du principe "à travail égal, salaire égal"**, de même que la meilleure affectation du capital possible. Un influx d'immigrants dans une région à salaires élevés abaissera les salaires nominaux. Cependant, il ne réduira pas les salaires réels si la population se trouve en-deçà de sa taille optimum (et il est certain que les Etats-Unis, dans leur ensemble, ont bien moins de population que sa taille optimale). Si c'est le cas, en fait la production augmentera tellement que les revenus réels augmenteront. De sorte que les restrictions à l'immigration feront plus de mal aux travailleurs protégés en tant que consommateurs qu'elles ne leur feront gagner en tant que producteurs***. En outre, des restrictions à l'immigration accroîtront la "fuite" de l'épargne à l'étranger (l'exportation des capitaux qui seraient restés autrement), provoquant une égalisation des taux de salaire (quoique plus lentement), mais conduisant à un gaspillage du capital, détériorant ainsi les niveaux de vie dans le monde. 

 Tel que présenté plus haut, l'argument en faveur de l'immigration sans frein est irréfutable et exact. Il serait aussi stupide de le contester que de nier que la liberté des échanges conduit à des  niveaux de vie plus élevés que le protectionnisme. Ce serait aussi une erreur de contester l'argumentaire immigrationniste en faisant remarquer que, du fait de l'existence d'un Etat-providence, l'immigration concerne désormais dans une large mesure des parasites des systèmes sociaux*qui, alors même que la population des Etats-Unis est en-deçà du niveau optimum, n'accroissent pas le niveau de vie général mais le diminuent. En effet, il ne s'agit pas d'un argument contre l'immigration mais contre l'Etat-providence. Bien sûr, celui-ci doit être détruit, éradiqué. Mais les problèmes de l'immigration et de l'Etat-providence sont des problèmes analytiquement distincts, et on doit les traiter en conséquence. Le problème de l'argumentaire qui précède est qu'il souffre de deux défauts connexes qui invalident sa conclusion d'immigrationnisme inconditionnel, ou qui limitent son applicabilité à une situation hautement irréaliste —depuis longtemps évanouie dans l'histoire humaine. On ne mentionnera qu'en passant le premier défaut : pour les libéraux conséquents de l'Ecole autrichienne d'économie politique, il est évident que ce qui constitue le "bien-être" est un jugement de l'esprit, et les ressources matérielles ne forment qu'une part de ses considérations. Même si les revenus réels augmentent du fait de l'immigration, il ne s'ensuit pas que l'immigration doive en être automatiquement tenue pour "bonne", car on pourrait préférer un niveau de vie plus bas et une plus faible population à une plus grande richesse matérielle dans un peuplement plus dense. C'est sur la seconde impasse que nous allons nous concentrer ici : c'est sur un territoire particulier que les gens immigrent. Or, l'analyse présentée au départ ne traite absolument pas la question de savoir qui, s'il existe, possède (maîtrise) le territoire en question. En fait, pour rendre l'analyse applicable, on suppose —implicitement— que le territoire en question n'appartient à personne, et que les immigrants arrivent sur un espace vierge (la "frontière ouverte" de l'histoire américaine). Il est évident que cette hypothèse, on ne peut plus la faire. Or, si ce postulat est abandonné, le problème de l'immigration acquiert un sens fondamentalement différent, et exige d'être repensé de fond en comble. Pour illustrer ce que j'entends, imaginons une société anarcho-capitaliste : quoique je sois persuadé qu'une telle société est le seul ordre politique que l'on puisse défendre comme juste, je n'essaierai pas d'expliquer ici pourquoi c'est le cas**. Je vais plutôt l'utiliser ici comme un point de départ conceptuel, pour contribuer à faire comprendre l'erreur fondamentale de la plupart des apôtres contemporains de l'immigration illimitée.  

Supposons donc que toute la terre soit propriété privée : cela inclut toutes les rues, routes, aéroports, ports, etc. Pour certains terrains, le titre de propriété n'est soumis à aucune servitude : c'est-à-dire que le propriétaire est libre de faire tout ce qui lui plaît aussi longtemps qu'il ne porte pas atteinte à la propriété des autres. Pour d'autres, l'usage peut être plus ou moins étroitement restreint. Comme c'est aujourd'hui le cas dans certains lotissements, le propriétaire peut être soumis à des limites contractuelles à ce qu'il peut faire de sa propriété (des règles d'urbanisme librement acceptées) telles que : usage résidentiel ("occupation bourgeoise") et non usage commercial, hauteur des immeubles limitée à trois étages, pas de vente ni de location aux Juifs, Allemands, Catholiques, homosexuels, Haïtiens, aux familles avec ou sans enfants, ou aux fumeurs, entre autres exemples. Il est clair que dans cette société strictement libérale, il n'existe absolument aucun "droit à l'immigration". Ce qui existe, à la place, c'est le Droit de multiples propriétaires indépendants d'inviter ou de ne pas inviter les autres chez eux, conformément à leurs titres de propriété illimités ou limités. L'accès à certains terrains pourra être facile, et à d'autres quasiment impossible ; dans tous les cas, être accepté sur la propriété de celui qui vous invite n'implique aucun "droit" de se promener dans les environs, à moins que les autres propriétaires n'acceptent de telles déambulations. Il y aura sur chaque terrain exactement autant d'immigration et de non-immigration, d'exclusion et de non-exclusion, d'intégration ou de ségrégation, de non-discrimination ou de discrimination fondée sur des critères raciaux, ethniques, linguistiques, religieux, culturels ou (n'importe quels) autres, que l'auront décidé les propriétaires privés et associations de propriétaires privés. Remarquez que rien de tout cela, même pas la forme la plus extrême du ségrégationnisme, n'a le moindre rapport avec le refus du libre échange et l'adoption du protectionnisme. Du fait qu'on ne désire pas fréquenter des Nègres, des Turcs, etc. ou vivre dans leur voisinage, il ne s'ensuit pas qu'on ne souhaite pas échanger à distance avec eux. Bien au contraire, c'est précisément le caractère absolument volontaire de l'association et de la séparation —l'absence de toute forme d'intégration forcée— qui rend possible les relations pacifiques —le libre échange— entre des gens culturellement, ethniquement, ou confessionnellement différents*.  

Dans une société totalement libérale (anarcho-capitaliste), il n'y a pas de gouvernement central, et par conséquent pas de distinction précise entre les nationaux (citoyens du pays) et les étrangers. Cette distinction n'apparaît qu'avec l'institution d'un Etat, c'est-à-dire d'un groupe de personnes qui détiennent un monopole de l'agression (de l'impôt). Le territoire sur lequel s'étend le pouvoir fiscal devient "national" (intérieur) et quiconque réside au-delà de ce territoire devient un étranger. Les frontières d'Etat (avec les passeports), à la différence des bornes de la propriété privée, ne sont pas des institutions naturelles (elles sont imposées par la force). En fait, leur existence (et celle d'un gouvernement national) fausse à deux titres l'inclination naturelle des gens à s'associer les uns avec les autres. Tout d'abord, les résidents ne peuvent pas exclure de leur propriété les hommes de l'Etat (les envoyés du fisc), mais sont victimes de ce qu'on pourrait appeler l'"immigration forcée" des agents de l'Etat. Deuxièmement, pour pouvoir faire intrusion sur la propriété privée de ses sujets afin de les taxer, un gouvernement doit invariablement prendre le contrôle des routes existantes, et il emploiera ses recettes fiscales à produire encore davantage de routes, dans le but de faciliter son accès à toute propriété privée, comme matière fiscale potentielle. Ainsi, cette surproduction de routes n'implique pas seulement une facilitation innocente du commerce interrégional —un abaissement des coûts de transaction, comme les économistes naïfs voudraient nous le faire croire ; c'est aussi une intégration nationale forcée (une déségrégation artificielle de localités séparées). En outre, avec l'installation d'un gouvernement et de frontières d'Etat, l'immigration prend un sens entièrement différent. L'immigration devient une immigration d'étrangers, à travers des frontières d'Etat, et la question de savoir si une personne doit être admise n'incombe plus à des propriétaires privés ou à une association de propriétaires privés, mais aux hommes de l'Etat en tant que souverains ultimes de tous les résidents nationaux et comme propriétaires de fait de toutes leurs possessions. Cependant, si les hommes de l'Etat excluent une personne alors même qu'un résident national est disposé à l'accueillir sur sa propriété, le résultat est une exclusion forcée (phénomène qui n'existe pas dans une anarchie de propriété privée). En outre, si les hommes de l'Etat laissent entrer une personne alors qu'il ne se trouve pas ne serait-ce qu'un seul résident national qui souhaite admettre cette personne sur sa propriété, le résultat est une intégration forcée (qui n'existe pas non plus dans une anarchie de propriété privée). Maintenant, ajoutons quelques postulats historiquement "réalistes" : supposons que l'Etat est propriété privée. Le souverain possède littéralement l'ensemble du pays dans les limites de ses frontières. Il est pleinement propriétaire d'une partie du territoire (son titre de propriété y est illimité), et possède partiellement le reste (en tant que propriétaire ultime ou prétendant au revenu résiduel de toutes les possessions immobilières, quoique contraint par une espèce de contrat de location préexistant). Il peut vendre et léguer sa propriété, et il peut calculer et "réaliser" la valeur de son capital (son pays). Les monarchies traditionnelles —et les rois— sont les exemples historiques les plus proches de cette forme de gouvernement. Que sera la politique d'immigration et d'émigration caractéristique d'un roi ? Dans la mesure où il possède l'ensemble de la valeur en capital du pays, il aura tendance, en ne lui supposant pas d'autre intérêt que le sien, à choisir les politiques de migration qui préservent ou accroissent la valeur de son royaume, au lieu de la diminuer. En ce qui concerne l'émigration, un roi voudra empêcher l'émigration de sujets productifs, et particulièrement de ses sujets les meilleurs et les plus productifs, parce que les perdre diminuerait la valeur du royaume. Par exemple, de 1782 à 1824, une loi interdisait aux ouvriers qualifiés de quitter la Grande-Bretagne. En revanche, un roi souhaitera expulser ses sujets improductifs et destructeurs (les criminels, clochards, mendiants, romanichels, vagabonds, etc.), car les extirper du royaume accroîtra sa valeur. C'est pour cela que la Grande-Bretagne a expulsé des dizaines de milliers de délinquants de droit commun en Amérique du Nord et en Australie.  

En ce qui concerne par ailleurs l'immigration, un roi souhaitera tenir la tourbe à l'écart, de même que les gens aux capacités productives inférieures. Cette dernière catégorie ne sera admise que temporairement, si elle l'est seulement, comme travailleurs saisonniers sans droit de cité (comme quand nombre de Polonais furent admis comme travailleurs saisonniers en Allemagne après 1880), et on leur interdira toute possession immobilière permanente. Un roi ne permettrait l'immigration permanente qu'à des individus supérieurs ou du moins au-dessus de la moyenne (c'est-à-dire à ceux qui accroîtraient la valeur de son royaume en y résidant), comme lorsqu'après 1685 (la révocation de l'Edit de Nantes), des dizaines de milliers de Huguenots furent autorisés à s'installer en Prusse et lorsque Pierre le Grand, Frédéric le Grand et Marie-Thérèse d'Autriche facilitèrent l'immigration et l'établissement de grands nombres d'Allemands en Russie, en Prusse et dans les provinces orientales de l'Autriche-Hongrie. Bref, même si les politiques de migration d'un roi n'éviteraient pas entièrement les cas d'exclusion et d'intégration forcée, elles feraient grosso modo ce que feraient des propriétaires privés, s'ils pouvaient décider qui admettre et qui exclure. Le roi serait particulièrement regardant, se souciant à l'extrême d'améliorer la qualité du capital humain résident, afin d'accroître la valeur du sol ou d'éviter de la diminuer. On peut prédire que les politiques de migration prendront un tour différent une fois l'Etat de-venu propriété publique. Le dirigeant n'est plus propriétaire de la valeur en capital du pays, il n'en dispose plus qu'à titre temporaire. Il ne peut pas vendre ni léguer sa place de dirigeant, n'étant qu'un gérant provisoire. En outre, la "liberté d'entrer" existe dans cette profession de gérant étatique*. N'importe qui, en principe, peut devenir dirigeant d'un pays. Les démocraties telles qu'elles sont apparues sur une large échelle après la Première guerre mondiale présentent des exemples historiques de gouvernement public. Encore une fois, si on ne leur prête pas d'autre intérêt que personnel (le souci d'accroître au maximum leur revenu pécuniaire et psychique : l'argent et le pouvoir), les maîtres démocratiques cherchent à accroître au maximum le revenu courant aux dépens de la valeur en capital, dont ils ne peuvent pas s'emparer à titre privé. De sorte que, se conformant à l'égalitarisme inhérent au suffrage universel**, ils ont tendance à mener des politiques nettement égalitaires —non-discriminatoires— en matière d'émigration et d'immigration.  

En ce qui concerne la politique d'émigration, cela implique que le dirigeant démocratique se soucie peu de savoir si ce sont des gens productifs ou improductifs, des cerveaux ou des clochards, qui quittent le pays. Les uns et les autres ont le même droit de vote. En fait, le dirigeant démocratique pourrait bien s'inquiéter davantage de la perte d'un parasite que de celle d'un génie productif. Car si la perte du second dégrade certainement la valeur du pays, alors que la disparition du premier pourrait l'accroître, un dirigeant démocratique n'est pas propriétaire du pays. A court terme, un paumé qui vote pour des mesures égalitaristes pourrait même avoir plus de valeur pour le dirigeant démocratique que n'en a le génie productif : celui-ci, victime de choix de l'égalitarisme, a plus de chances de voter contre le dirigeant en question*. Pour la même raison, un dirigeant démocratique, tout à l'opposé d'un roi, en fera peu pour expulser les gens dont la présence dans le pays constitue une nuisance (les indésirables, dont la présence fait baisser les valeurs immobilières). En fait, ces indésirables-là —parasites, tordus, délinquants— ont des chances de figurer parmi ses plus fidèles électeurs. En ce qui concerne les politiques d'immigration, les raisons d'agir ou de ne pas agir sont tout aussi faussées, et les résultats sont également pervers. Pour un démocrate officiel, peu importe que ce soient des gueux ou des génies, des gens plus ou moins civilisés que la moyenne, ou plus ou moins productifs, qui entrent dans le pays. Il ne se soucie pas beaucoup non plus de la distinction entre travailleurs temporaires (titulaires d'un permis de travail) et les immigrés définitifs, propriétaires permanents (les citoyens naturalisés). En fait, les nécessiteux et les improductifs pourraient bien être préférables comme résidents et comme citoyens parce qu'ils posent davantage de ce qu'on appelle les "problèmes sociaux", et que ces dirigeants-là prospèrent de l'existence de tels problèmes. En outre, les tarés, les gens inférieurs, auront plus de chances d'appuyer ses politiques égalitaristes, alors que les génies et les gens supérieurs s'y refuseront. Le résultat de ces politiques de discrimination est une intégration forcée : on impose des masses d'immigrants inférieurs à des propriétaires nationaux qui, s'ils avaient décidé eux-mêmes, auraient fortement discriminé et se seraient choisis des voisins très différents. Ainsi, les lois sur l'immigration aux Etats-Unis de 1965, le meilleur exemple de démocratie en action, a éliminé tous les critères de "qualité" préalablement existants et la préférence explicite pour les immigrants européens, la remplaçant par une politique de non-discrimination presque complète (de "multiculturalisme").  

En fait, même si on l'a rarement fait observer, la politique d'immigration d'une démocratie est le reflet de sa propre politique interne relativement aux mouvements de population : vis-à-vis des choix volontaires d'association ou de désassociation, de ségrégation ou d'intégration, de rapprochement ou d'éloignement physique des différents propriétaires. Comme le ferait un roi, un dirigeant démocratique favorisera la sur-intégration spatiale en produisant à l'excès le "service collectif" des voies publiques. Cependant, pour un dirigeant démocratique, à la différence d'un roi, il ne suffira pas que tout le monde puisse "aller et venir" jusqu'à la porte de tout un chacun sur les routes des hommes de l'Etat. Soucieux d'accroître son revenu et son pouvoir actuels aux dépens du capital installé et sous l'influence du préjugé égalitariste, le démocrate patenté ira bien plus loin. Le gouvernement fera des lois "contre la discrimination" —on ne pourra plus choisir de ne pas côtoyer les Juifs, Nègres, bougres, etc.— pour forcer l'entrée de la propriété de chacun et en ouvrir l'accès à n'importe qui. Il n'est donc guère surprenant que la législation des "droits civiques" aux Etats-Unis, qui interdisait les distinctions privées sur le critère de la couleur, de la race, de l'origine nationale, etc. et imposait de ce fait la déségrégation, a coïncidé avec l'adoption d'une politique d'immigration non-discriminatoire, ce qui signifiait une déségrégation internationale imposée (l'intégration forcée). a situation actuelle des Etats-Unis et de l'Europe occidentale en matière d'immigration n'a donc absolument rien à voir avec un quelconque "libéralisme". Il s'agit d'intégration forcée, purement et simplement, et l'intégration forcée est le résultat prévisible de la démocratie sociale* où règne le principe "un homme-une voix". Abolir l'intégration forcée exige de combattre la démocratie sociale, pour finalement abolir le caractère "public" des décisions**

Plus spécifiquement, le pouvoir d'inviter ou d'exclure doit être retiré aux hommes de l'Etat central pour être remis aux régions, provinces, départements, villes, villages, quartiers résidentiels et finalement aux propriétaires privés et à leurs associations volontaires. On atteint ces objectifs par la décentralisation et la sécession (l'une et l'autre par essence contraires à la démocratie sociale et à la règle majoritaire). On serait par conséquent bien engagé dans la voie d'une restauration de la liberté d'association et d'exclusion qui procède de l'idée libérale et de l'institution de la propriété privée, et une bonne partie des conflits qui naissent actuellement de l'intégration forcée disparaîtraient si seulement les villes et villages pouvaient, et voulaient faire ce qu'ils faisaient tout naturellement bien avant dans le XIX° siècle en Europe et aux Etats-Unis : afficher des pancartes énonçant les conditions d'entrée dans la ville (pas de mendiants, ou de clochards, ou de vagabonds, mais aussi pas de Musulmans, pas de Juifs, ou de Catholiques, ou de Protestants, ou d'Américains) ; chasser comme contrevenant quiconque ne répond pas aux conditions affichées ; et résoudre la question de la "naturalisation" à la manière suisse, où ce sont les assemblées locales, et non le gouvernement central, qui décident qui peut, ou ne peut pas devenir citoyen. Que doit-on espérer et prôner comme politique d'immigration correcte, aussi longtemps que l'Etat central démocratique existe toujours et qu'il s'arroge avec succès le pouvoir d'imposer une politique uniforme d'immigration ? La meilleure que l'on puisse espérer va "contre la nature" de la démocratie, et n'a donc pas beaucoup de chances d'arriver : c'est que les dirigeants démocratiques se conduisent "comme si" ils étaient personnellement propriétaires du pays, comme s'ils avaient à décider qui admettre et qui exclure dans leur propre propriété privée (dans leur propre maison même). Cela signifie pratiquer une politique de discrimination extrême : de stricte discrimination en faveur de ceux qui présentent les plus grandes qualités humaines d'expertise, de caractère et de compatibilité culturelle. Plus spécifiquement, cela veut dire que l'on distingue strictement entre les "citoyens" (les immigrés "naturalisés") et les "étrangers résidents", en excluant ces derniers de tout "avantage social". Cela signifie exiger, pour l'acquisition du statut de résident étranger aussi bien que celui de citoyen, le parrainage personnel d'un citoyen résident, se portant garant pour toute atteinte à la propriété causée par l'immigrant. Cela implique d'exiger un contrat d'embauche en vigueur avec un citoyen résident ; en outre, pour les deux catégories, mais particulièrement celle de la citoyenneté, cela implique que l'immigrant doit présenter non seulement une connaissance de [notre] langue mais encore des capacités intellectuelles générales supérieures (au-dessus de la moyenne) et des qualités de caractère compatibles avec notre système de valeurs —avec pour résultat prévisible une tendance systématique à favoriser l'immigration des Européens.

 

 

* Titre original : "Free Immigration or Forced Integration?" paru dans Chronicles, Vol. 19, N° 7, juillet 1995, publication mensuelle (ISSN 0887-5731) du Rockford Institute, 934 North Main Street, Rockford, IL 61103-7061. Traduit par François Guillaumat. ** Etant entendu que l'expression "travail égal" ne se réfère pas à de caractéristiques physiques du travail, ni même à un niveau de formation, mais à une productivité en valeur effectivement comparable [F. G.]. *** Tout en soulignant que cet accroissement du revenu réel fait baisser le chômage (les services s'échangent contre les services et tout accroissement de l'offre réelle de services est ipso facto un accroissement de la demande de travail) rappelons que la question du chômage ne se pose de façon aiguè qu'en France et dans les autres pays eu-ropéens où les hommes de l'Etat mettent un zèle particulier à : - interdire de travailler : dispositions autoritaires du code du travail, dont le salaire minimum, les conditions de diplômes, d’âge, etc. et autres interdictions de produire et d'échanger.- Punir ceux qui ont travaillé : tous les pillages auxquels ils se livrent sur le revenu des travailleurs, au titre de la “sécurité sociale” ou de l’“Etat”. - Récompenser ceux qui ne travaillent pas : tout l’argent volé aux travailleurs qu'ils distribuent indépendamment de tout travail, à commencer par l'“indemnisation” du chômage et le RMI. - Planifier la production de monnaie sur le mode soviétique : (la “politique monétaire”, source inépuisable de crises financières et conjoncturelles).  

* Et pas seulement à l'initiative des intéressés : la politique de "regroupement familial" a eu précisément pour effet de subventionner l'immigration de femmes et d'enfants, parasites par vocation (multipliant en outre démesurément les problèmes de délinquance que la deuxième génération a toujours posés dans tout pays d'immigration) [N.d.T.]. ** Cf. Murray Rothbard : L'Ethique de la liberté, Paris, Les Belles Lettres, 1991 [N.d.T.].  

* Cela implique que certains terrains soient ouverts à la libre circulation des marchandises ; outre que les proprié-taires des routes ont intérêt à cette circulation, aucun résident n'ira s'installer sur un terrain dont l'accès pourraitlégalement lui être barré par un autre propriétaire [N.d.T.].  

* Ce qu'on pourrait appeler un satrape, en vertu non du statut juridique exact de ces nobles prédateurs, mais de leur conduite vis-à-vis des richesses temporairement mises à leur disposition [N.d.T.]. ** Cf. Anthony de Jasay : L'Etat, Paris, Les Belles Lettres, 1995 [N.d.T.].  

*** Que la redistribution politique se fasse au nom de l'"égalité" conduira certainement à une discrimination- per-sécution —éventuellement ostensible— contre les plus productifs (cf. l'impôt sur le revenu). En revanche les "pauvres", tout comme "l'égalité", y sont surtout un prétexte rhétorique, n'ayant que rarement un pouvoir poli-tique, alors que la redistribution politique est par définition menée par les puissants, au détriment des faibles (cf. L'Etat, ch. 3 et 4) [N.d.T.].  

* L'auteur avait écrit "démocratie", ne croyant pas non plus que celle-ci puisse être autre que "sociale", c'est-à-dire pillarde [N.d.T.]. ** Même remarque : l'auteur avait écrit : "la dé-démocratisation de la société, et finalement l'abolition de la démocra-tie". J'affiche une version plus politiquement correcte, mais on n'est pas obligé de la reprendre... [N.d.T.]. 

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