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janvier 09, 2015

Débats sur : Laïcité, Islam, Etat, Christianisme, Totalitarisme, Religion et instrumentalisation.

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Sommaire:

A) -  Laïcité : les débats, 100 ans après la loi de 1905

B) - Lettre ouverte au monde musulman - HUFFINGTON POST Québec par Abdennour Bidar

C) - Laïcité de Wikiberal

D) - Laïcité, neutralité, et subventions - LLC - par Roseline Letteron (Professeur de droit public à l'Université Paris-Sorbonne)

E) - L’Église et l’État, la grande histoire de la laïcité - Aleps - Par Bogdan Calinescu.

F) - Totalitarisme et religion - par Jean-Baptiste Noé 

G) - Laïcité: Questions à Jean Baubérot




A) -  Laïcité : les débats, 100 ans après la loi de 1905

Consacrée par la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, la laïcité est une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République. Elle est néanmoins aujourd’hui confrontée au développement de revendications culturelles et religieuses, souvent d’ordre identitaire.
Comment définir et caractériser la notion de laïcité ?
 Il s’agit bien d’une valeur fondatrice et d’un principe essentiel de la République en France mais elle s’incarne dans de nombreuses obligations juridiques qui sont dispersées dans de nombreux textes.

 Trois grands «piliers» de la laïcité peuvent néanmoins être mis en avant.

 Ils sont ici rappelés en reprenant leur présentation dans le rapport de la Commission présidée par Bernard Stasi et le rapport 2004 du Conseil d’Etat.

La neutralité de l'Etat

« La neutralité de l’Etat est la première condition de la laïcité. La France ainsi ne connaît pas de statut de culte reconnu ou non reconnu. Pour l’essentiel la neutralité de l’Etat a deux implications.
D’une part, neutralité et égalité vont de pair. Consacrée à l’article 2 de la Constitution, la laïcité impose ainsi à la République d’assurer «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Les usagers doivent être traités de la même façon quelles que puissent être leurs croyances religieuses.
D’autre part, il faut que l’administration, soumise au pouvoir politique, donne non seulement toutes les garanties de la neutralité mais en présente aussi les apparences pour que l’usager ne puisse douter de sa neutralité. C’est ce que le Conseil d’Etat a appelé le devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public (Conseil d'Etat 3 mai 1950 Demoiselle Jamet et l’avis contentieux du 3 mai 2000 Melle Marteaux). Autant, en dehors du service, l’agent public est libre de manifester ses opinions et croyances sous réserve que ces manifestations n’aient pas de répercussion sur le service (Conseil d'Etat 28 avril 1958 Demoiselle Weiss), autant, dans le cadre du service, le devoir de neutralité le plus strict s’applique. Toute manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service est interdite et le port de signe religieux l’est aussi, même lorsque les agents ne sont pas en contact avec le public. Même pour l’accès à des emplois publics, l'administration peut prendre en compte le comportement d’un candidat à l’accès au service public, s’il est tel qu’il révèle l’inaptitude à l’exercice des fonctions auxquelles il postule dans le plein respect des principes républicains».

La liberté de conscience

«Le second pilier juridique de la laïcité est évidemment la liberté de conscience avec notamment sa déclinaison en liberté de culte. Sur le plan juridique, la laïcité n'a pas été l'instrument d'une restriction des choix spirituels au détriment des religions, mais bien l'affirmation de la liberté de conscience religieuse et philosophique de tous. Il s'agit de concilier les principes de la séparation des Eglises et de l'Etat avec la protection de la liberté d'opinion, «même religieuse», de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour l'essentiel le corpus juridique et surtout la jurisprudence administrative ont cherché à garantir l'exercice effectif du culte dès lors qu'il ne trouble pas l'ordre public (cf. notamment les conclusions du commissaire du gouvernement Corneille sous l'arrêt Conseil d'Etat du 10 août 1907 Baldy).
C'est d'abord le libre exercice du culte qui est protégé et garanti effectivement. Depuis la loi de 1905, les biens mobiliers et immobiliers ont été restitués à l'Etat. Il en assume donc la prise en charge financière, ce qui n'est pas négligeable s'agissant d'édifices cultuels souvent assez coûteux à entretenir.
En revanche, les édifices construits depuis la loi de séparation constituent des biens privés construits et entretenus par les fidèles, avec les difficultés que cela peut représenter en termes de financement. Les collectivités locales ont toutefois la possibilité d'accorder des garanties d'emprunt et des baux emphytéotiques pour le financement de la construction d'édifices cultuels».

Le pluralisme

«Si l'État ne reconnaît aucune religion, il ne doit en méconnaître aucune, et il reconnaît le fait religieux. Avec la loi de 1905, le principe est désormais celui de l'absence de distinction entre les anciens cultes reconnus et les autres.
L'État, garant de la liberté religieuse, doit à ce titre protéger les cultes minoritaires contre les discriminations.
Parmi les acquis de la laïcité, figurent l'affirmation que toutes les religions ont droit à l’expression et, contrepartie de la précédente, celle qu'il ne doit pas y avoir, par une ou plusieurs d'entre elles, accaparement de l'État ou négation des principes fondamentaux sur lesquels il repose.

Pour Jean Carbonnier, «Notre droit public des cultes, dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, ne distingue pas entre les religions suivant leur importance, leur ancienneté, leur contenu de dogmes ou d'observances. Pas davantage notre droit privé du fait religieux n'a à distinguer entre elles: il doit enregistrer la présence d'une religion dès qu'il constate qu'à l'élément subjectif qu'est la foi se réunit l'élément objectif d'une communauté, si petite soit-elle. Formuler des distin-guos reviendrait à instaurer parmi nous –quoique avec d'autres conséquences – la hiérarchie du XIXe siècle entre cultes reconnus et non reconnus... Cette égalité d ’honneurs,toutefois, doit avoir sa contrepartie dans une égale soumission au droit commun».

Dans son dernier rapport, le Conseil d’Etat aborde la laïcité de façon large: l’historique, la philosophie, l’économie de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat sont présentés. Le rapport traite des difficultés rencontrées sur la pratique de la laïcité dans le temps.
Le Conseil d’Etat considère que le fondement juridique sur lequel s’est construite la laïcité française mérite d’être préservé et rappelle que le concept de laïcité n’interdit pas toute évolution.

 

«Sans référence explicite à la laïcité, la loi de 1905 en fixe le cadre, fondé sur deux grands principes : la liberté de conscience et le principe de séparation. La République "ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte", mais, ce faisant, n'en ignore aucun. La loi de 1905 a supprimé le service public des cultes, mais la religion n'est pas une affaire purement privée, et l'exercice des cultes peut être public.
 Les dépenses relatives aux cultes sont supprimées des budgets publics, à l'exception de celles relatives aux aumôneries, et la délicate question de l'attribution des biens dont l'Eglise disposait donne lieu à de grandes difficultés avec l'Eglise catholique.
 Mais la voie est ouverte à une interprétation libérale des textes. A. Briand conçoit la séparation comme une œuvre d'apaisement.
Le juge, en imposant une conception ouverte de la laïcité, a pour sa part joué dans l'interprétation de la loi un rôle conforme aux vœux du législateur. Il l'a fait dans le sens le plus libéral, en veillant à la mise en œuvre du principe de libre exercice des cultes, sous réserve des restrictions exigées par l'ordre public, ainsi qu'au respect des règles d'organisation des cultes.
Qu'il s'agisse des règles concernant l'organisation des cultes et leur exercice, de la liberté religieuse dans la fonction publique ou de la liberté de l'enseignement, l'apport du Conseil d'Etat a souvent été essentiel. Parallèlement, la laïcité française s'est accommodée de particularismes locaux qui demeurent: le régime des cultes en Alsace-Moselle, dans lequel on peut voir une forme particulière de l'organisation des rapports et de la séparation des Eglises et de l'Etat; les régimes applicables outre mer, qui s'expliquent par des raisons juridiques, mais aussi historiques et par la préoccupation de tenir compte des habitudes et spécificités locales.
En se gardant bien de chercher à établir une définition précise du concept de laïcité, le rapport s'efforce d'appréhender son contenu, sous trois aspects:
  • Laïcité et neutralité: le principe de laïcité impose des obligations au service public, la neutralité à l'égard de toutes les opinions et croyances. "La neutralité est la loi commune de tous les agents publics dans l'exercice de leur service".
  • Laïcité et liberté religieuse: la laïcité ne se résume pas à la neutralité de l'Etat, ni à la tolérance. Elle ne peut ignorer le fait religieux et implique l'égalité entre les cultes. Dans la ligne de sa jurisprudence classique sur les libertés publiques, le juge administratif s'efforce de concilier liberté religieuse et respect de l'ordre public.
  • Laïcité et pluralisme: si le législateur, en 1905, a fait disparaître la catégorie des cultes reconnus, et si l'Etat ne doit donc désormais "reconnaître" aucune religion, il ne doit en méconnaître aucune. Parmi les acquis de la laïcité, figurent l'affirmation que toutes les religions ont droit à l'expression et, contrepartie de la précédente, celle qu'il ne doit pas y avoir, par une ou plusieurs d'entre elles, accaparement de l'Etat ou négation des principes fondamentaux sur lesquels il repose.»



    Si les grands principes laïcs ne sont pas remis en question, les modalités d’organisation des cultes prévues par la loi de 1905 sont parfois discutées (associations cultuelles). Par ailleurs, comment inscrire l’islam dans la société française au-delà de la création du Conseil français du culte musulman ?
    La revue Regards sur l’actualité, dans le numéro «Etat, laïcité, religions» propose deux points de vue différents sur la question de la révision de la loi de 1905 : celui de Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante, qui se prononce pour une révision de cette loi, et celui de Henri Pena-Ruiz, philosophe, qui défend un point de vue inverse.

Quels sont les fondements de l’école laïque? Comment pratiquer la laïcité à l’école? Dominique Borne et Jean-Paul Delahaye, Inspecteurs généraux de l’éducation nationale, s’interrogent ainsi et apportent des réponses dans l’article «La laïcité dans l’enseignement : problématique et enjeux», Regards sur l’actualité, n° 298, février 2004.
L’extrait suivant est l’introduction de leur contribution.
«L’école a toujours été au cœur des débats de société concernant la laïcité. Cela provoque régulièrement en son sein beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes.
Périodiquement, en effet, la «question laïque» revient en milieu scolaire et mobilise la Nation tout entière (loi Debré de 1959, projet Savary de 1984, les affaires de voile islamique à partir de 1989, le projet de révision de la loi Falloux en 1994...).
C’est que, «depuis plus d’un siècle, la République et l’école se sont construites l’une avec l’autre» et que «l’école de la République, ciment de la Nation, est la source de l’identité française».
Valeur fondamentale de notre République, la laïcité est en grande partie entrée dans l’État par son école. Comment s’étonner, dans ces conditions, que l’école soit si fortement impliquée chaque fois que le principe de laïcité est réinterrogé dans l’ensemble de notre société ?
S’il convient de ne pas amplifier exagérément, ou isoler de leur contexte social, les questions qui se posent aujourd’hui en milieu scolaire, il ne faut pas non plus les sous-estimer car nous assistons à une évolution significative des remises en cause de la laïcité dans tous les niveaux d’enseignement (y compris, récemment, dans le premier degré).
Contestations de certains contenus d’enseignement, signes ostentatoires, attitudes discriminatoires à l’égard des femmes, agressions en raison d’appartenance religieuse, actes racistes...Ces attitudes ont des origines multiples et ne concernent pas qu’une religion en particulier.»
Source : La Documentation française, Regards sur l’actualité, «Etat laïcité, religions», n°298, février 2004.

Le rapport Stasi

Le rapport Stasi est le rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République. Il a été remis au Président de la République le 23 décembre 2003.
L’interdiction de "tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique" à l'école publique est proposée par la Commission. Celle-ci propose l’adoption d’une loi sur la laïcité, avec deux volets : l’un précisant les règles de fonctionnement dans les services publics et les entreprises, l’autre visant le respect de la diversité spirituelle. Pour l'école, la Commission fait une distinction entre signes religieux "ostensibles" qu'elle souhaite voir interdits (grandes croix, voile, kippa) et signes "discrets" (médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatimah, petits Corans). Concernant le 2ème volet de la loi, la commission propose la création d’une école nationale d’études islamiques ainsi que l’instauration de deux nouveaux jours fériés pour les élèves des écoles publiques : les jours de Kippour (fête juive) et de l'Aïd-el-Kebir (fête musulmane).

La loi du 15 mars 2004

A la suite du rapport de la Commision sur l'application du principe de laïcité dans la République, le Président de la République s'est prononcé le 17 décembre 2003 en faveur d'une loi interdisant le port de signes religieux "ostensibles" à l'école.

La loi

La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics s’applique depuis la rentrée scolaire 2004.
Cette loi, caractérisée par sa brièveté et adoptée au terme d'un large débat de société, fixe que « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse» sera interdit dans les écoles, les collèges et les lycées publics en France.

Pourquoi une loi ?

La IIIème République a adopté une série de mesures en faveur de la laïcisation (suppression du repos dominical obligatoire en 1879, sécularisation des cimetières en 1881, autorisation du divorce en 1884, lois de Jules Ferry de 1881 et 1882 instituant l'école publique gratuite, laïque et obligatoire, loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905).
Le principe de laïcité, inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 et dans l'article 1er de la Constitution de 1958, est au cœur de l'identité républicaine de la France.
Le contexte politique et social de la France de 2004, dans lequel s'inscrit le projet de loi sur l'interdiction du port de signes religieux à l'école, n'est pas celui de 1905. Un siècle plus tard, les valeurs de la République se trouvent confrontées à de nouveaux défis, notamment à celui de la tentation du repli communautaire.
La question du respect de la neutralité confessionnelle de l'école publique s'est de nouveau posée en octobre 1989, lors de l'expulsion, à Creil, d'une collégienne en raison du port en classe d'un "foulard islamique". Appelé à se prononcer sur ce cas, le Conseil d'Etat a rendu un premier avis le 27 novembre 1989.
Cet avis rassemble l'ensemble des principes et des pratiques de la République s'agissant de laïcité, de liberté religieuse, de liberté d'expression et d'ordre public. Il met l'accent sur la nécessité d'interdire aux élèves le port de signes d'appartenance religieuse " à caractère ostentatoire " dans les enceintes scolaires.
En dépit de l'ambiguïté reprochée à l'avis de 1989 et à la jurisprudence du Conseil d'Etat (1992 et 1995) sur la conciliation entre la liberté religieuse des élèves et les obligations de la vie scolaire, les cas de contentieux ont été minoritaires.

Redéfinition ou réaffirmation de la laïcité ?

L'exposé des motifs du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics constate cependant que "malgré la force de cet acquis républicain, l'application du principe de laïcité se heurte à des difficultés nouvelles et grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la société française. C'est en particulier le cas dans certains services publics, comme l'école ou l'hôpital".
Lors de la première réunion officielle du Conseil français du culte musulman, le 4 mai 2003, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin déclare que "si c'est nécessaire, la laïcité s'imposera par la loi". Le 3 juillet 2003, le Président de la République installe une commission d'experts chargés de réfléchir à la question de "la laïcité dans la République", dont la présidence est confiée à Bernard Stasi.
Le 12 juillet, à l'occasion de l'inauguration de l'exposition "Mariannes d'aujourd'hui", le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, confirme à son tour l'obligation pour le législateur de faire vivre les idéaux républicains "au travers des évolutions de notre société".
Les problèmes liés à la redéfinition ou à la réaffirmation du principe de la laïcité sont évoqués lors des nombreuses auditions tenues par la Commission de réflexion sur la laïcité. Les contributions de la mission de l'Assemblée nationale, des partis politiques, des autorités religieuses, des représentants des grands courants de pensée nourrissent également ce vaste débat.
Le 17 décembre 2003, le Président de la République, Jacques Chirac, se prononce en faveur d'une loi interdisant le port de signes religieux "ostensibles" à l'école. Il affirme cependant ne pas vouloir "refonder" la laïcité ou en "modifier les frontières", fixées par la loi de 1905. Le Président de la République annonce la création d'un "code de la laïcité", qui réunira tous les principes et les règles, ainsi qu'un Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre.

La circulaire

La circulaire du 18 mai 2004 a été publiée au Journal officiel du 22 mai 2004
La circulaire pour la mise en œuvre du principe de laïcité dans les écoles est parue au Journal officiel du 22 mai 2004. Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse sont interdits dans les établissements scolaires publics : écoles, collèges, lycées, classes préparatoires...
La circulaire indique que la loi sur la laïcité s'applique à toutes les activités placées sous la responsabilité des établissements, qu'elles se déroulent à l'intérieur des établissements scolaires ou non. Les élèves ont le droit cependant de porter des signes religieux discrets contrairement aux agents contribuant au service public de l'éducation (et ce quels que soient leur fonction et leur statut).
Cette récente circulaire remplace trois circulaires antérieures, parues en 1989, 1993 et 1994 relatives au respect de la laïcité, au port de signes religieux par les élèves et au caractère obligatoire des enseignements.

Etudier le fait religieux à l'école

L’opinion publique, dans sa grande majorité, approuve l’idée de renforcer l’étude du fait religieux à l’école publique. Les rapports du recteur Philippe Joutard en 1989 et de Régis Debray en 2002 ont montré que la connaissance des cultures religieuses était nécessaires à l’intelligence des sociétés actuelles, de leur passé et de leur présent, de leur patrimoine littéraire et artistique, de leur système juridique et politique.
Peu à peu des enseignements des faits religieux s’imposent au sein des programmes et des enseignements.
Dans cette perspective, La Documentation française propose, dans la collection «La Documentation photographique», un numéro sur «le fait religieux en France», qui retrace, à travers des documents et une riche iconographie, les évolutions des trois grandes familles confessionnelles dans la France contemporaine (christianisme, judaïsme, islam).

9 décembre 1905
Loi de séparation des Eglises et de l’Etat
2 janvier 1907
Loi concernant l’exercice public des cultes
4 octobre 1946
Inscription dans la Constitution de la IVe République du principe de laïcité
31 décembre 1959
Loi «Debré» sur la liberté de l’enseignement qui fixe les règles de fonctionnement et de financement (subventions) des établissements privés sous contrat
23 novembre 1977
Décision du Conseil constitutionnel reconnaissant la liberté de l’enseignement comme un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
27 novembre 1989
Avis du Conseil d’Etat sur le «voile» à la demande du ministre de l’Education nationale
4 mai 2003
Première réunion du Conseil français du culte musulman
3 juillet 2003
Installation de la Commission d’experts, présidée par Bernard Stasi, chargée de réfléchir à la question de la laïcité dans la République»
15 mars 2004
Loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
18 mai 2004
Circulaire pour la mise en œuvre du principe de laïcité dans les écoles
9 décembre 2005
Centenaire de la loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

Textes à valeur constitutionnelle

Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » (art. 10).
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 :
« (...) Le peuple français (...) réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. (...)
Nul ne peut-être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. (...) La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État. »
Constitution du 4 octobre 1958 :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (art. 2).

Textes législatifs

Loi du 15 mars 1850 sur les établissements (scolaires) du primaire et du secondaire (loi Falloux) :
« Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l'État, un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder un dixième des dépenses annuelles de l'établissement. Les conseils académiques sont appelés à donner leur avis préalable sur l'opportunité de ces subventions. » (art. 69).
Loi du 12 juillet 1875 (loi Laboulaye) :
« L'enseignement supérieur est libre. » (art. 1er)
Loi du 28 mars 1882 sur l'instruction publique obligatoire (loi Jules Ferry) :
« Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse en dehors des édifices scolaires. » (art. 2).
Loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire (loi Goblet) :
« Les établissements d'enseignement primaire de tout ordre peuvent être publics, c'est-à-dire fondés par l'État, les départements ou les communes ; ou privés, c'est-à-dire fondés et entretenus par des particuliers ou des associations. » (art. 2). « Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. » (art. 17).
Loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » (art. 1er).
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune culte (...) [sauf pour] les dépenses relatives à des exercices d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons (...) » (art 2).
« Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures du culte sont réglées en conformité de l'article 97 du Code de l'administration communale. Les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal, et en cas de désaccord entre le maire et l'association cultuelle, par arrêté préfectoral » (art. 27).
« Il est interdit (...) d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices du culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. (...) » (art. 28).
Loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes :
« À défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant (...) pourront être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion » (art. 5).
Loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés (loi Debré) :
« Suivant les principes définis dans la Constitution, l'État assure aux enfants et adolescents dans les établissements publics d'enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances.
L'État proclame et respecte la liberté de l'enseignement et en garantit l'exercice aux établissements privés régulièrement ouverts. Il prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la liberté des cultes et de l'instruction religieuse.
Dans les établissements privés (...) [sous contrats] (...), l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État. L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants, sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyances, y ont accès. » (art. 1er).
Loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, dite loi Savary :
« Le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».
Loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics :
« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »

Circulaires et autres textes

1936-1937 : circulaires Jean Zay
Elles interdisent toute forme de propagande, politique ou confessionnelle, à l'école, et tout prosélytisme.
1989 : avis du Conseil d'État (réitéré en 1992)
Cet avis rappelle la neutralité de l'enseignement et des enseignants. Le port de signes religieux à l'école n'est ni autorisé, ni interdit : il est toléré, dans la limite du prosélytisme et à condition de ne pas s'accompagner du refus de suivre certains cours ou de la mise en cause de certaines parties du programme scolaire.
1994 : circulaire Bayrou
La circulaire ministérielle de François Bayrou recommande l'interdiction à l'école de tous les « signes ostentatoires, qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination ».
2004 : circulaire Fillon
Circulaire ministérielle de François Fillon (18 mai 2004) relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
Source : « Etat, laïcité, religions », Regards sur l'actualité n° 298, 2004.




B) - Lettre ouverte au monde musulman

Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin - de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd'hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d'isthme entre les deux mers de l'Orient et de l'Occident!

Et qu'est-ce que je vois ? Qu'est-ce que je vois mieux que d'autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d'enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre - perdre ton temps et ton honneur - dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement interminable entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.

Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Quel est ton unique discours ? Tu cries « Ce n'est pas moi ! », « Ce n'est pas l'islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t'indignes devant une telle monstruosité, tu t'insurges aussi que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu'à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l'islam dénonce la barbarie. Mais c'est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l'autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l'autocritique. Tu te contentes de t'indigner, alors que ce moment historique aurait été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme d'habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l'islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme, ce n'est pas l'islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre, mais la paix! »

J'entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l'islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l'être humain sur le chemin du mystère de l'existence... Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l'islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine, je vois aussi autre chose - que tu ne sais pas voir ou que tu ne veux pas voir... Et cela m'inspire une question, LA grande question : pourquoi ce monstre t'a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? Pourquoi a-t-il pris le masque de l'islam et pas un autre masque ? C'est qu'en réalité derrière cette image du monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il le faut bien pourtant, il faut que tu en aies le courage.
Ce problème est celui des racines du mal. D'où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c'est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira dans le futur autant de nouveaux monstres - pires encore que celui-ci - aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi longtemps que tu tarderas à l'admettre et à attaquer enfin cette racine du mal !

Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu'est la puissance de la religion - en bien et en mal, sur la vie et sur la mort - qu'ils me disent « Non le problème du monde musulman n'est pas l'islam, pas la religion, mais la politique, l'histoire, l'économie, etc. ». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu'ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur d'une civilisation humaine ! Et que l'avenir de l'humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière et économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité toute entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l'échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l'homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent - et qui comme l'islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.

Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIe siècle ! Il y a en toi en effet, malgré la gravité de ta maladie, malgré l'étendue des ombres d'obscurantisme qui veulent te recouvrir tout entier, une multitude extraordinaire de femmes et d'hommes qui sont prêts à réformer l'islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l'humanité entretenait jusque-là avec ses dieux ! C'est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes livres ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu'entrevoit leur espérance!

Il y a dans la Oumma (communauté des musulmans) de ces femmes et ces hommes de progrès qui portent en eux la vision du futur spirituel de l'être humain. Mais ils ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux-là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c'est l'état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms d'Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou de l'«État islamique». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus graves et les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes: impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; prison morale et sociale d'une religion dogmatique, figée, et parfois totalitaire ; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l'égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l'autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.

Tout cela serait-il donc la faute de l'Occident ? Combien de temps précieux, d'années cruciales, vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ? Si je te critique aussi durement, ce n'est pas parce que je suis un philosophe « occidental », mais parce que je suis un de tes fils conscients de tout ce que tu as perdu de ta grandeur passée depuis si longtemps qu'elle est devenue un mythe !

Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l'avouer enfin, tu as été incapable de répondre au défi de l'Occident. Soit tu t'es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression intolérante et obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l'intérieur de tes frontières - un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l'Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité - je veux parler de cette frénésie de consommation, ou bien encore de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie désormais mondiale qu'est le culte du dieu argent.



Qu'as-tu d'admirable aujourd'hui, mon ami ? Qu'est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect et l'admiration des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes, qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs, tes intellectuels dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l'Inde à l'Espagne ? En réalité tu es devenu si faible, si impuissant derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même... Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller et cela te rend aussi malheureux qu'agressif... Tu t'obstines à ne pas écouter ceux qui t'appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière. Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l'islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l'État que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu'à l'intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d'imposer que l'islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu'«Il n'y a pas de contrainte en religion» (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l'empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ? Je dis qu'il est l'heure, dans la civilisation de l'islam, d'instituer cette liberté spirituelle - la plus sublime et difficile de toutes - à la place de toutes les lois inventées par des générations de théologiens !
De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s'élèvent aujourd'hui dans la Oumma pour s'insurger contre ce scandale, pour dénoncer ce tabou d'une religion autoritaire et indiscutable dont se servent ses chefs pour perpétuer indéfiniment leur domination... Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu'ils ne comprennent même pas qu'on leur parle de liberté spirituelle, et n'admettent pas qu'on ose leur parler de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l'islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge », quelque chose de trop sacré pour qu'ils osent donner à leur propre conscience le droit de le remettre en question ! Et il y a tant de ces familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès leur plus jeune âge, et où l'éducation spirituelle est d'une telle pauvreté que tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque chose qui ne se discute pas!
Or cela, de toute évidence, n'est pas imposé par le terrorisme de quelques fous, par quelques troupes de fanatiques embarqués par l'État islamique. Non, ce problème-là est infiniment plus profond et infiniment plus vaste ! Mais qui le verra et le dira ? Qui veut l'entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n'entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t'illusionnes, ô mon ami, en croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l'islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d'évoquer - une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive - est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l'islam ordinaire, l'islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l'islam de la tradition et du passé, l'islam déformé par tous ceux qui l'utilisent politiquement, l'islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? Cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement religion et liberté, cette révolution sans retour qui prendra acte que la religion est devenue un fait social parmi d'autres partout dans le monde, et que ses droits exorbitants n'ont plus aucune légitimité !

Bien sûr, dans ton immense territoire, il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d'approfondissement spirituel ; des milieux sociaux où la cage de la prison religieuse s'est ouverte ou entrouverte ; des lieux où l'islam donne encore le meilleur de lui-même, c'est-à-dire une culture du partage, de l'honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l'être humain et la réalité ultime qu'on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d'islam et partout dans les communautés musulmanes du monde des consciences fortes et libres, mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans assurance, sans reconnaissance d'un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou bien même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l'instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J'ai mon propre rapport à l'islam » n'a été reconnu par « l'islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s'acharnent à imposer que « La doctrine de l'islam est unique » et que « L'obéissance aux piliers de l'islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).

Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l'une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l'un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d'un Bien et d'un Mal, d'un licite (halâl) et d'un illicite (harâm) que personne ne choisit, mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées, tu associes encore la religion et la violence - contre les femmes, contre les « mauvais croyants », contre les minorités chrétiennes ou autres, contre les penseurs et les esprits libres, contre les rebelles - de telle sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !

Alors, ne t'étonne donc pas, ne fais plus semblant de t'étonner, je t'en prie, que des démons tels que le soi-disant État islamique t'aient pris ton visage ! Car les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète ! C'est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale - au lieu de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l'aveuglement volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te voler ton visage.

Cher monde musulman... Je ne suis qu'un philosophe, et comme d'habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu'à faire resplendir à nouveau la lumière - c'est le nom que tu m'as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ».

Je n'aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français: «Qui aime bien châtie bien». Et au contraire tous ceux qui aujourd'hui ne sont pas assez sévères avec toi - qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui t'arrive - tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.

  Philosophe spécialiste des évolutions contemporaines de l'islam et des théories de la sécularisation et post-sécularisation



C) - Laïcité

De Wikiberal
 
La laïcité désigne le principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse, ainsi que le caractère des institutions qui respectent ce principe.
Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l'intimité de l'individu. Les convictions religieuses (ou l'absence de conviction) de chacun, qu'il faut peut-être distinguer des options spirituelles ou métaphysiques théistes plus ou moins indépendantes des religions, sont alors volontairement ignorées par l'administration.
La laïcité implique un enseignement d'où la formation religieuse (dans le sens enseignement de la foi) est absente. Pour autant, l'enseignement des religions n'est pas incompatible avec la laïcité, tant qu'il ne s'agit que de décrire des « us et coutumes », et si l'on présente chaque religion d'un point de vue extérieur à celle-ci (si tant est qu'il soit possible de transmettre une culture religieuse en faisant abstraction du dogme qu'elle véhicule et que l'on puisse traiter toutes les religions de manière égale).
Par ailleurs, le terme laïc est également utilisé au sein de la religion catholique dans un sens très différent: il désigne une personne n'étant pas prêtre mais jouant un rôle actif dans l'organisation et l'animation des activités de l'église. Il s'agit en grande partie de femmes, puisque ces dernières n'ont pas accès à la prêtrise.
À l’époque où l’anglais est devenu la langue internationale, un terme français résiste à toute anglicisation, c’est celui de « laïcité ». Certains en tirent argument pour affirmer que la laïcité est une « exception française ». Peut-être est-il plus exact d’écrire que la laïcité est une « invention française », ignorée par certains pays, plus ou moins bien acclimatée dans d’autres ? Mais, curieusement, si l’histoire des religions s’est beaucoup développée depuis le XIXe siècle, celle de la laïcité reste encore assez largement à écrire. En outre, et ceci explique sans doute en partie cela, plusieurs conceptions différentes de la laïcité s’affrontent encore aujourd’hui, si bien que la définition d’une « vraie laïcité » reste toujours, en France comme ailleurs, un sujet polémique.

Point de vue libéral

Pour les libéraux, la laïcité est une tolérance, une neutralité à l'égard des religions. En matière de laïcité, les deux extrêmes que condamnent les libéraux sont les suivants :
  • proscrire la religion ou les signes religieux ("laïcisme" intolérant) ;
  • tolérer les atteintes aux droits individuels causées par la religion ("laïcisme" relativiste ou laxiste).
En d'autres termes, la laïcité libérale ne consiste pas à rejeter dans la sphère privée la croyance religieuse, mais à la laisser s'exprimer pacifiquement. Contrairement au point de vue étatiste et plus particulièrement social-démocrate, pour lequel l'expression d'une foi doit rester cantonnée au domaine privé et ne pas interférer avec l'espace public. Cette dernière attitude se remarque aussi dans la volonté étatique de contrôler la religion. On peut remarquer que la proscription de « signes religieux » oblige l'État à s'occuper de religion pour définir ce qu'est un « signe religieux », ce qui constitue une violation de la laïcité.
Contestant l'administration de la religion par l'État, Émile Faguet avait bien noté:
L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer comme religion véritable. 
 
 
 
D) - Laïcité, neutralité, et subventions

Le Conseil d'Etat a rendu, le 4 mai 2012, un arrêt Fédération de la libre pensée et d'action sociale du Rhône qui montre, une nouvelle fois, la souplesse du principe de laïcité, et sa capacité d'évoluer avec la société. La fédération requérante contestait la délibération du conseil municipal de Lyon attribuant à l'association Communauté Sant'Egidio France une subvention pour l'aider dans l'organisation des 19è Rencontres pour la paix. Elle considère que cette aide financière va à l'encontre de l'article 2 de la célèbre loi de séparation des églises et de l'Etat qui énonce que "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Le tribunal administratif avait repris ces arguments et annulé la délibération. La Cour administrative d'appel a, au contraire, considéré que cette délibération ne viole pas le principe de séparation des églises et de l'Etat. C'est précisément cette analyse que le Conseil d'Etat confirme dans son arrêt du 4 mai. 

La neutralité
On le sait, le principe de laïcité figure dans l'article 1er de la Constitution, selon lequel "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Il implique d'abord la liberté de conscience. Aux termes de l'article 1er de la loi de 1905, la République garantit donc à chacun le libre exercice du culte de son choix. A ce principe de liberté de conscience s'ajoute celui de la neutralité de l'Etat, qui exclut toute religion officielle et impose à aux autorités étatiques une véritable obligation d'indifférence à l'égard de la religion. Le système français de laïcité repose ainsi sur l'idée que les convictions de chacun doivent être respectées et que la religion relève exclusivement de la sphère privée. 
 
L'interdiction de financement public des cultes
Dès lors que la religion est un élément de la vie privée, il n'existe aucun financement public des cultes et le clergé n'est pas rémunéré par l'Etat, sauf dans la zone concordataire d'Alsace Lorraine. La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat autorise néanmoins la création d'associations cultuelles auxquelles ont été dévolus les biens des établissements du culte. Ces groupements, fondés très simplement sur le fondement de la loi sur les associations de 1901, doivent avoir "exclusivement pour objet l'exercice d'un culte".

La jurisprudence traditionnelle se montre très rigoureuse et considère comme illégale toute subvention directe versée à une association cultuelle. Dès lors que ces groupements ont un objet exclusivement religieux, le juge considère que soit l'objet de la subvention est religieux et donc illégal, soit il n'est pas religieux et, dans ce cas, il se situe en dehors de l'objet social de l'association, autre cas d'illégalité (par exemple, dans l'arrêt du 9 octobre 1992, Commune de St Louis c. Assoc. Siva Soupramanien de St Louis).

Les éléments de souplesse
La sévérité de cette jurisprudence n'empêche tout de même pas l'établissement de certains liens financiers entre les collectivités publiques et les groupements religieux. 

Dans l'article 2 de la loi de 1905, figure ainsi l'autorisation de subventionner sur le budget de l'Etat les services d'aumônerie destinés à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics. D'autre part, l'interdiction de subvention n'interdit pas la rémunération de prestations spécifiques. Par exemple, l'administration pénitentiaire peut passer un accord financier avec une congrégation pour assurer la prise en charge des détenus, principe acquis par un arrêt du 27 juillet 2001, Synd. national pénitentiaire FO. La collectivité passe alors un contrat en échange d'une prestation déterminée. Elle ne subventionne pas un culte.

Enfin, rien n'interdit de renoncer purement et simplement à la contrainte imposée par l'association cultuelle, et son principe de spécialité auquel il est bien difficile de déroger. L'Etat ou les collectivités locales peuvent ainsi subventionner des activités d'intérêt général qui s'exercent dans un cadre confessionnel comme des hôpitaux ou des crèches. 

La qualification d'association cultuelle
Dans le cas de l'arrêt du 4 mai 2012, le Conseil d'Etat fait un pas de plus dans le raisonnement. Il se déclare en effet compétent pour qualifier la nature du groupement que la ville de Lyon a subventionné. Il fait ainsi observe que "les seules circonstances qu'une association se réclame d'une confession particulière ou que certains de ses membres se réunissent, entre eux, en marge d'activités organisées par elles, pour prier, ne suffisent pas à établir que cette association a des activités cultuelles". Une association de fidèles, dès lors qu'elle n'a pas pour mission d'organiser le culte, n'est donc pas une association cultuelle. En l'espèce, ce groupement se bornait à organiser un colloque réunissant des participants de différentes confessions. Quand bien même quelques "personnalités religieuses" figuraient parmi les participants, quand bien même les travaux étaient quelquefois interrompus pour permettre à chacun de remplir ses devoirs religieux, le groupement n'était pas une association cultuelle. La ville de Lyon pouvait donc parfaitement subventionner le colloque, sans violer la loi de 1905. 

Certains pourront penser que cet arrêt confère au juge la possibilité d'admettre ou non la légalité d'une subvention à partir de la qualification d'association cultuelle qu'il délivre lui-même. D'autres estimeront qu'une telle jurisprudence exprime une laïcité apaisée, une relation sereine entre les autorités publiques et religieuses.

 LLC



E) - L’Église et l’État, la grande histoire de la laïcité

Cet ouvrage s’adresse autant aux connaisseurs qu’aux novices. Jean Etèvenaux, historien et enseignant, nous rappelle brillamment plus de deux millénaires de faits méconnus ou déformés.

Persécutée, humiliée, assujettie, l’Église catholique a souvent été dans une situation de soumission au pouvoir politique. Elle-même reconnaît ce pouvoir car c’est bien Jésus qui dit dans les Évangiles : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». 

L’empereur Néron (54-68) l’avait bien compris en désignant les chrétiens de Rome comme boucs émissaires en les accusant d’avoir allumé l’incendie qui a ravagé la ville. On les soumet à la torture, on les brûle ou on les jette aux bêtes. C’est à ce moment que Pierre et Paul sont tués. L’hostilité à l’égard des chrétiens provient du fait que de nombreuses rumeurs sur leurs « pratiques » se propagent rapidement. Ce sont des comploteurs, des barbares et des « mangeurs d’enfants ». Pourtant, dès ses débuts, le christianisme emprunte le meilleur de la civilisation gréco-latine : des concepts et des mots grecs, l’organisation sociale, les conceptions juridiques des latins et l’administration.
 
Après deux siècles de persécutions, c’est Galère (305-311), le successeur de Dioclétien qui signe le premier édit de tolérance accordant aux chrétiens, la liberté de conscience et de culte. Il leur demande même de prier pour l’Empire… Sous Constantin (306-337), le christianisme pourra se manifester librement ; Constantin sera d’ailleurs le seul souverain romain à avoir limité le rôle de l’État qu’il considère comme un protecteur de la liberté religieuse. Au cours du IVe siècle, l’Église chrétienne atteint même le statut de religion d’État. C’est la grande époque des Pères de l’Église : Athanase d’Alexandrie, Basile de Césarée, Ambroise de Milan, Grégoire de Nazianze…  L’empereur Justinien (527-565) fait même des évêques ses propres agents…  Le premier millénaire est d’ailleurs considéré par l’auteur comme un « accord chrétien » avec les nouveaux peuples. L’Afrique du Nord est christianisée, les Goths se convertissent à l’arianisme et les Francs au catholicisme. Quant au phénomène celte, il est sans équivalent dans l’Histoire : à partir du IVe siècle, l’Église celte s’est développée dans les îles britanniques et évangélise l’Europe en Bretagne. Par ailleurs, grâce à l’Église de l’Est, les premiers missionnaires arrivent en Inde et en Chine.

À partir du IXe siècle et jusqu’au XVe siècle, on assiste au développement de la papauté et à l’apparition des grands États européens. C’est aussi l’époque de l’empereur qui « va à Canossa » et de la crise cathare. L’Église de France est bien secouée par des mouvements communautaires qui cherchent à revenir au christianisme primitif. Jean Etévenaux revient sur la période de l’Inquisition et rétablit quelques vérités face aux élucubrations de Voltaire et à un faux du XIXe siècle. L’Histoire montre que nous sommes très, très loin des « millions de morts » dénoncés par le pape de l’athéisme Michel Onfray et par la propagande gauchiste. On estime à quelques dizaines les condamnations à mort au nom de l’Église. De plus, de nombreuses condamnations ont été faites par des pouvoirs politiques (laïques), beaucoup plus sanguinaires dans leurs démarches. L’auteur aurait même pu rappeler qu’à la même époque, il n’y a pas eu d’Inquisition au sein de l’Église orthodoxe à l’Est de l’Europe. Au contraire, celle-ci accorde même des libertés aux popes en leur permettant de se marier et d’avoir des enfants.

Enfin, l’auteur consacre plusieurs chapitres nous rappelant les nombreuses persécutions des chrétiens un peu partout dans le monde. Les coptes d’Égypte, les Arméniens, les chrétiens dans les pays musulmans et dans certains pays d’Asie, les massacres de chrétiens en Afrique… L’auteur n’insiste pas beaucoup sur les crimes du communisme. Il aurait peut-être pu consacrer quelques pages au martyre et à l’assassinat du prêtre Popielusko en Pologne en 1984 ou au père Calciu en Roumanie qui a passé 21 ans dans les geôles communistes. Mais les souffrances de l’Église et des croyants sont si fréquentes qu’il faudrait plus d’un ouvrage pour en parler…



F) - Totalitarisme et religion

Les régimes totalitaires du XXe siècle sont nés dans des pays chrétiens. Les relations complexes et délicates qu’ils entretenaient avec l’Église sont au cœur de l’ouvrage d’Emilio Gentile.

Les relations entre les régimes totalitaires et le christianisme demeurent une des grandes questions du XXe siècle. Ces régimes sont nés dans des pays chrétiens, et fortement christianisés. Ils reprennent des éléments du discours ou de la forme chrétienne, et ils ont cherché à enrôler l’Église dans leur mouvement. Pour autant, ils sont fondamentalement antichrétiens et l’Église les a combattus, avec une force variable selon la période. Ce sont ces relations complexes et délicates qu’Emilio Gentile aborde dans son dernier ouvrage, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, publié en France aux éditions Aubier.

J’ai déjà évoqué précédemment le travail d’Emilio Gentile, spécialiste du fascisme et du mouvement des idées au début du XXe siècle. Son esprit et ses analyses sont toujours fortement percutants. Son livre est un vrai livre d’histoire, avec des références nombreuses et bien choisies, une structure de raisonnement qui analyse le sujet jusqu’au bout. Le thème abordé est essentiel pour comprendre la vie politique et sociale du dernier siècle. Il pose un certain nombre de problématiques cruciales. Comment s’accommoder d’un régime ouvertement liberticide, en essayant de sauvegarder ses acquis, sans provoquer de répression trop brutale, mais tout en le combattant. Comment combattre un régime qui a l’assentiment du peuple et l’usage exclusif de la violence et de la force. Est-il possible de trouver un point d’entente, une conciliation.

C’est cette question de la conciliation, avec le communisme, le fascisme ou le nazisme qui est la grande question. Ceux qui l’ont prônée se sont trompés, et les régimes totalitaires les ont ensuite violemment combattus. Mais étaient-ils vraiment possible de faire autrement ?
La relation entre les totalitarismes et le christianisme varie en fonction du régime et du pays.

 En URSS, les églises orthodoxes, après s’être opposées au communisme, l’ont soutenu. C’était pour elles la seule façon de survie ; les communistes ayant déjà largement déporté les prêtres et détruit les églises. En Allemagne ou en Italie, Hitler comme Mussolini ont dû mener un combat insidieux, en faisant croire à une possible conciliation, tout en programmant la destruction du christianisme. On trouvera dans ce livre des témoignages de personnes lucides, ou au contraire totalement trompées par ces régimes.
Ce livre apporte à mon sens deux idées essentielles, qui ne sont pas évide
ntes pour tous les historiens et qui sont même combattues par certains.

1/ Les trois régimes totalitaires ont une structure commune. Emilio Gentile les associe dans son livre, reprenant en cela l’analyse menée par Ernst Nolte dans La Guerre civile européenne. Lorsque l’historien allemand fit paraître ce maître ouvrage en 1989, cela lui valut une trombe de critiques, car il avait osé associer nazisme et communisme. Le parallèle était rejeté, même après la chute du mur de Berlin. Emilio Gentile reprend à son compte ce parallèle, qui est par ailleurs désormais évident, mais pour des raisons différentes de Nolte. Il étudie les totalitarismes ensemble, en marquant leur spécificité, mais en montrant aussi ce qu’ils ont de commun.

2/ Cette partie commune, c’est la religion. Les totalitarismes ne sont pas des régimes athées, ce sont des idéologies profondément religieuses. Ou plus exactement, leur athéisme est religieux, car l’athéisme lui-même est une religion. On connaît la célèbre formule de Léon XIII : « L’athéisme, c’est le culte de l’État ». Formulée dans les années 1880, elle illustre parfaitement la logique totalitaire.

Les totalitarismes empruntent fortement au christianisme. Leurs rites, leurs symboles, leur vision du monde, leur volonté de transformer l’homme, s’inscrivant en cela dans un messianisme apocalyptique, sont une forme dévoyée et détournée du christianisme.

Cet aspect éminemment religieux des régimes totalitaires me semble indispensable à comprendre si l’on veut avoir une intelligence un peu fine de ces idéologies. Je ne suis pas certain que la race ou la classe soit l’élément moteur du nazisme et du communisme. J’ai tendance à penser que ce ne sont que des prétextes secondaires à une religion de l’État qui, elle, est première. Le Führer ou le petit père des peuples passent avant la lutte contre l’ennemi désigné.

Dernier élément de l’ouvrage, sa lecture nous fait entrer dans un monde étouffant et angoissant. Nous sommes comme dans une pièce murée et sans porte. L’étude de ces régimes et de leur système de fonctionnement montre à quel point ils ont paralysé toute vie et empêché tout élément de liberté. Que l’Europe ait connu une telle période est proprement angoissant. Que nous en soyons sortis est miraculeux. Cela aide aussi à nous rendre compte que nous vivons aujourd’hui à une époque heureuse. Finalement, pourquoi ces régimes ont failli ? Parce que dans leur lutte religieuse engagée contre la religion chrétienne, c’est eux qui ont perdu. Le christianisme qu’ils ont voulu détruire est ce qui les a fait trébucher et mourir.

• Emilio Gentile, Pour ou contre César ?, Éditions Aubier, 2013, 481 pages.





G) - Laïcité: Questions à Jean Baubérot

Jean Bauberot, titulaire de la chaire «Histoire et sociologie de la laïcité» à l’Ecole pratique des hautes études et membre de la Commission Stasi répond à la revue Regards sur l’actualité,dans son n° 298 «Etat, laïcité, religions» (extraits).
Entretien réalisé en février 2004.

Qu’est-ce que la laïcité ?

Fruit d’une longue histoire conflictuelle opposant tout au long du XIXe siècle deux visions de la France - celle de ceux qui veulent que la France redevienne «la fille aînée de l’Église (catholique)» et celle de ceux qui pensent que la France moderne doit être la fille de la Révolution de 1789 - jusqu’à la loi de séparation qui permet une pacification progressive de ce «conflit des deux France» et la construction de ce que j’appelle «le pacte laïque, la laïcité c’est, à la fois, un règlement juridique et un art de vivre ensemble.
Si l’on s’en tient au règlement juridique, la laïcité m’apparaît constituée de trois principes essentiels: le respect de la liberté de conscience et de culte; la lutte contre toute domination de la religion sur l’État et sur la société civile ; l’égalité des religions et des convictions les «convictions» incluant le droit de ne pas croire. Il faut arriver à tenir ensemble ces trois préceptes si l’on veut éviter toute position arrogante et péremptoire. Mais évidemment, dans la pratique, les acteurs ont tendance à privilégier l’un ou l’autre de ces trois principes : les croyants se réfèrent surtout à la liberté de culte; les agnostiques (et les anticléricaux) s’appuient plutôt sur la lutte contre la domination des religions; quant aux minoritaires, ils insistent sur l’égalité des religions et des convictions.

Comment est née la laïcité en France ?

Pour ma part, je pense qu’il y a des laïcités au pluriel et des seuils de laïcisation. En France, le premier seuil s’est construit approximativement entre 1789 (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et 1806 (création de l’Université). Sous la Révolution, la laïcisation progresse avec la proclamation explicite de la liberté de culte par la Constitution de 1791, la laïcisation de l’état civil, la création du mariage civil… Mais, en même temps, des mesures affirment l’émergence d’une religion civile avec son calendrier républicain, ses martyrs, sa déesse Liberté, sa déesse Raison. Après douze ans d’effervescence, le Consulat et l’Empire stabilisent la situation. Ils permettent à certains changements effectués depuis 1789 de perdurer et règlent durablement les rapports de l’État et des Églises grâce à ce que l’on nomme le «régime concordataire,» qui est un système de «cultes reconnus», protégés et contrôlés par l’État (qui salarie les évêques, les curés et les pasteurs). Le processus de laïcisation aboutit ainsi à une distanciation des liens Églises -État.

Le second seuil de laïcisation aboutira, lui, à une égalité formelle de cultes séparés de l’État. Il s’est construit entre 1882 (loi Jules Ferry sur l’instruction publique obligatoire) et 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État). Signée le 9, promulguée le 11 décembre 1905, la loi de séparation met fin au système des «cultes reconnus». «La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes» (mais) «ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte», sauf pour des dépenses relatives à des exercices d’aumônerie. Les Églises ne sont plus de droit public, elles peuvent avoir une existence de droit privé, comme corps constitués. Elles doivent subvenir financièrement à leurs besoins, mais le parc immobilier cultuel qui appartient à l’État, aux départements et aux communes est mis gratuitement à leur disposition. Il est aussi possible d’effectuer sur fonds publics les réparations d’entretien des édifices

Quelles frontières tracer pour la laïcité ? 

Celles-ci ne sont pas évidentes et varient selon les pays. Ainsi, je reviens du Canada, qui se veut une société multiculturelle; mais l’un de nos interlocuteurs a souligné que ce multiculturalisme n’était pas un relativisme culturel, qu’il fonctionnait sous l’hégémonie d’une anthropologie des droits de l’homme. C’est à partir de cette anthropologie des droits de l’homme que l’on peut définir le «non négociable». De ce point de vue, la polygamie, l’excision, le mariage forcé font partie du «non négociable». En revanche, la question du port du foulard apparaît, sous cet angle, relativement anodine, en tout cas gérable. L’important, c’est de déterminer où l’on met le curseur. On a intérêt à le mettre à un endroit qui permette aux gens de faire une démarche sans avoir l’impression de devoir renier leur culture. En sachant aussi faire la distinction entre ce qui est réversible et ce qui ne l’est pas : sur ce qui est irréversible, il y a urgence, et il faut être ferme ; alors que sur ce qui est réversible, il peut y avoir négociation, dialogue, compromis, processus. L’excision, c’est tout un destin, on ne peut tergiverser. Le foulard, on peut discuter.

 


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