L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Sommaire:
A) -
Laïcité : les débats, 100 ans après la loi de 1905
B) - Lettre ouverte au monde musulman - HUFFINGTON POST Québec par Abdennour Bidar
C) - Laïcité de Wikiberal
D) - Laïcité, neutralité, et subventions - LLC - par Roseline Letteron (Professeur de droit public à l'Université Paris-Sorbonne)
E) - L’Église et l’État, la grande histoire de la laïcité - Aleps - Par Bogdan Calinescu.
F) - Totalitarisme et religion - par Jean-Baptiste Noé
G) - Laïcité: Questions à Jean Baubérot
A) -
Laïcité : les débats, 100 ans après la loi de 1905
Consacrée par la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat,
la laïcité est une valeur fondatrice et un principe essentiel de la
République. Elle est néanmoins aujourd’hui confrontée au développement
de revendications culturelles et religieuses, souvent d’ordre
identitaire.
Comment définir et caractériser la notion de laïcité ?
Il s’agit bien d’une valeur fondatrice et d’un principe essentiel de la
République en France mais elle s’incarne dans de nombreuses obligations
juridiques qui sont dispersées dans de nombreux textes.
Trois grands «piliers» de la laïcité peuvent néanmoins être mis en avant.
Ils sont ici rappelés en reprenant leur présentation dans le
rapport de la Commission présidée par Bernard Stasi et le rapport 2004
du Conseil d’Etat.
La neutralité de l'Etat
« La
neutralité de l’Etat est la première condition de la laïcité. La France
ainsi ne connaît pas de statut de culte reconnu ou non reconnu. Pour
l’essentiel la neutralité de l’Etat a deux implications.
D’une
part, neutralité et égalité vont de pair. Consacrée à l’article 2 de la
Constitution, la laïcité impose ainsi à la République d’assurer
«l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d’origine, de race ou de religion». Les usagers doivent être traités de
la même façon quelles que puissent être leurs croyances religieuses.
D’autre
part, il faut que l’administration, soumise au pouvoir politique, donne
non seulement toutes les garanties de la neutralité mais en présente
aussi les apparences pour que l’usager ne puisse douter de sa
neutralité. C’est ce que le Conseil d’Etat a appelé le devoir de stricte
neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public
(Conseil d'Etat 3 mai 1950 Demoiselle Jamet et l’avis contentieux du 3 mai 2000 Melle Marteaux).
Autant, en dehors du service, l’agent public est libre de manifester
ses opinions et croyances sous réserve que ces manifestations n’aient
pas de répercussion sur le service (Conseil d'Etat 28 avril 1958 Demoiselle Weiss),
autant, dans le cadre du service, le devoir de neutralité le plus
strict s’applique. Toute manifestation de convictions religieuses dans
le cadre du service est interdite et le port de signe religieux l’est
aussi, même lorsque les agents ne sont pas en contact avec le public.
Même pour l’accès à des emplois publics, l'administration peut prendre
en compte le comportement d’un candidat à l’accès au service public,
s’il est tel qu’il révèle l’inaptitude à l’exercice des fonctions
auxquelles il postule dans le plein respect des principes républicains».
La liberté de conscience
«Le second pilier juridique de la laïcité est évidemment la
liberté de conscience avec notamment sa déclinaison en liberté de culte.
Sur le plan juridique, la laïcité n'a pas été l'instrument d'une
restriction des choix spirituels au détriment des religions, mais bien
l'affirmation de la liberté de conscience religieuse et philosophique de
tous. Il s'agit de concilier les principes de la séparation des Eglises
et de l'Etat avec la protection de la liberté d'opinion, «même
religieuse», de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour
l'essentiel le corpus juridique et surtout la jurisprudence
administrative ont cherché à garantir l'exercice effectif du culte dès
lors qu'il ne trouble pas l'ordre public (cf. notamment les conclusions
du commissaire du gouvernement Corneille sous l'arrêt Conseil d'Etat du
10 août 1907 Baldy).
C'est d'abord le libre exercice du
culte qui est protégé et garanti effectivement. Depuis la loi de 1905,
les biens mobiliers et immobiliers ont été restitués à l'Etat. Il en
assume donc la prise en charge financière, ce qui n'est pas négligeable
s'agissant d'édifices cultuels souvent assez coûteux à entretenir.
En
revanche, les édifices construits depuis la loi de séparation
constituent des biens privés construits et entretenus par les fidèles,
avec les difficultés que cela peut représenter en termes de financement.
Les collectivités locales ont toutefois la possibilité d'accorder des
garanties d'emprunt et des baux emphytéotiques pour le financement de la
construction d'édifices cultuels».
Le pluralisme
«Si
l'État ne reconnaît aucune religion, il ne doit en méconnaître aucune,
et il reconnaît le fait religieux. Avec la loi de 1905, le principe est
désormais celui de l'absence de distinction entre les anciens cultes
reconnus et les autres.
L'État, garant de la liberté religieuse, doit à ce titre protéger les cultes minoritaires contre les discriminations.
Parmi
les acquis de la laïcité, figurent l'affirmation que toutes les
religions ont droit à l’expression et, contrepartie de la précédente,
celle qu'il ne doit pas y avoir, par une ou plusieurs d'entre elles,
accaparement de l'État ou négation des principes fondamentaux sur
lesquels il repose.
Pour Jean Carbonnier, «Notre droit
public des cultes, dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la
séparation des Églises et de l'État, ne distingue pas entre les
religions suivant leur importance, leur ancienneté, leur contenu de
dogmes ou d'observances. Pas davantage notre droit privé du fait
religieux n'a à distinguer entre elles: il doit enregistrer la présence
d'une religion dès qu'il constate qu'à l'élément subjectif qu'est la foi
se réunit l'élément objectif d'une communauté, si petite soit-elle.
Formuler des distin-guos reviendrait à instaurer parmi nous –quoique
avec d'autres conséquences – la hiérarchie du XIXe siècle entre cultes
reconnus et non reconnus... Cette égalité d ’honneurs,toutefois, doit
avoir sa contrepartie dans une égale soumission au droit commun».
Dans son dernier rapport, le Conseil d’Etat aborde la laïcité de façon
large: l’historique, la philosophie, l’économie de la loi de 1905
relative à la séparation des Eglises et de l’Etat sont présentés. Le
rapport traite des difficultés rencontrées sur la pratique de la laïcité
dans le temps.
Le Conseil d’Etat considère que le fondement
juridique sur lequel s’est construite la laïcité française mérite d’être
préservé et rappelle que le concept de laïcité n’interdit pas toute
évolution.
«Sans référence explicite à la laïcité, la loi de 1905 en fixe le cadre,
fondé sur deux grands principes : la liberté de conscience et le
principe de séparation. La République "ne reconnaît, ne salarie, ni ne
subventionne aucun culte", mais, ce faisant, n'en ignore aucun. La loi
de 1905 a supprimé le service public des cultes, mais la religion n'est
pas une affaire purement privée, et l'exercice des cultes peut être
public.
Les dépenses relatives aux cultes sont supprimées des budgets publics, à
l'exception de celles relatives aux aumôneries, et la délicate question
de l'attribution des biens dont l'Eglise disposait donne lieu à de
grandes difficultés avec l'Eglise catholique.
Mais la voie est
ouverte à une interprétation libérale des textes. A. Briand conçoit la
séparation comme une œuvre d'apaisement.
Le juge, en imposant une conception ouverte de la laïcité, a pour sa
part joué dans l'interprétation de la loi un rôle conforme aux vœux du
législateur. Il l'a fait dans le sens le plus libéral, en veillant à la
mise en œuvre du principe de libre exercice des cultes, sous réserve des
restrictions exigées par l'ordre public, ainsi qu'au respect des règles
d'organisation des cultes.
Qu'il s'agisse des règles concernant
l'organisation des cultes et leur exercice, de la liberté religieuse
dans la fonction publique ou de la liberté de l'enseignement, l'apport
du Conseil d'Etat a souvent été essentiel. Parallèlement, la laïcité
française s'est accommodée de particularismes locaux qui demeurent: le
régime des cultes en Alsace-Moselle, dans lequel on peut voir une forme
particulière de l'organisation des rapports et de la séparation des
Eglises et de l'Etat; les régimes applicables outre mer, qui
s'expliquent par des raisons juridiques, mais aussi historiques et par
la préoccupation de tenir compte des habitudes et spécificités locales.
En
se gardant bien de chercher à établir une définition précise du concept
de laïcité, le rapport s'efforce d'appréhender son contenu, sous trois
aspects:
- Laïcité et neutralité: le principe de laïcité impose des obligations
au service public, la neutralité à l'égard de toutes les opinions et
croyances. "La neutralité est la loi commune de tous les agents publics
dans l'exercice de leur service".
- Laïcité et liberté religieuse: la laïcité ne se résume pas à la
neutralité de l'Etat, ni à la tolérance. Elle ne peut ignorer le fait
religieux et implique l'égalité entre les cultes. Dans la ligne de sa
jurisprudence classique sur les libertés publiques, le juge
administratif s'efforce de concilier liberté religieuse et respect de
l'ordre public.
- Laïcité et pluralisme: si le législateur, en 1905, a fait
disparaître la catégorie des cultes reconnus, et si l'Etat ne doit donc
désormais "reconnaître" aucune religion, il ne doit en méconnaître
aucune. Parmi les acquis de la laïcité, figurent l'affirmation que
toutes les religions ont droit à l'expression et, contrepartie de la
précédente, celle qu'il ne doit pas y avoir, par une ou plusieurs
d'entre elles, accaparement de l'Etat ou négation des principes
fondamentaux sur lesquels il repose.»
Si les grands principes laïcs ne sont pas remis en question,
les modalités d’organisation des cultes prévues par la loi de 1905 sont
parfois discutées (associations cultuelles). Par ailleurs, comment
inscrire l’islam dans la société française au-delà de la création du
Conseil français du culte musulman ?
La revue Regards sur l’actualité, dans le numéro «Etat, laïcité, religions»
propose deux points de vue différents sur la question de la révision de
la loi de 1905 : celui de Jean-Arnold de Clermont, président de la
Fédération protestante, qui se prononce pour une révision de cette loi,
et celui de Henri Pena-Ruiz, philosophe, qui défend un point de vue
inverse.
Quels sont les fondements de l’école laïque? Comment
pratiquer la laïcité à l’école? Dominique Borne et Jean-Paul Delahaye,
Inspecteurs généraux de l’éducation nationale, s’interrogent ainsi et
apportent des réponses dans l’article «La laïcité dans l’enseignement :
problématique et enjeux», Regards sur l’actualité, n° 298, février 2004.
L’extrait suivant est l’introduction de leur contribution.
«L’école
a toujours été au cœur des débats de société concernant la laïcité.
Cela provoque régulièrement en son sein beaucoup d’interrogations et
d’inquiétudes.
Périodiquement, en effet, la «question
laïque» revient en milieu scolaire et mobilise la Nation tout entière
(loi Debré de 1959, projet Savary de 1984, les affaires de voile
islamique à partir de 1989, le projet de révision de la loi Falloux en
1994...).
C’est que, «depuis plus d’un siècle, la
République et l’école se sont construites l’une avec l’autre» et que
«l’école de la République, ciment de la Nation, est la source de
l’identité française».
Valeur fondamentale de notre
République, la laïcité est en grande partie entrée dans l’État par son
école. Comment s’étonner, dans ces conditions, que l’école soit si
fortement impliquée chaque fois que le principe de laïcité est
réinterrogé dans l’ensemble de notre société ?
S’il
convient de ne pas amplifier exagérément, ou isoler de leur contexte
social, les questions qui se posent aujourd’hui en milieu scolaire, il
ne faut pas non plus les sous-estimer car nous assistons à une évolution
significative des remises en cause de la laïcité dans tous les niveaux
d’enseignement (y compris, récemment, dans le premier degré).
Contestations
de certains contenus d’enseignement, signes ostentatoires, attitudes
discriminatoires à l’égard des femmes, agressions en raison
d’appartenance religieuse, actes racistes...Ces attitudes ont des
origines multiples et ne concernent pas qu’une religion en particulier.»
Le rapport Stasi
Le
rapport Stasi est le rapport de la Commission de réflexion sur
l’application du principe de laïcité dans la République. Il a été remis
au Président de la République le 23 décembre 2003.
L’interdiction
de "tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou
politique" à l'école publique est proposée par la Commission. Celle-ci
propose l’adoption d’une loi sur la laïcité, avec deux volets : l’un
précisant les règles de fonctionnement dans les services publics et les
entreprises, l’autre visant le respect de la diversité spirituelle. Pour
l'école, la Commission fait une distinction entre signes religieux
"ostensibles" qu'elle souhaite voir interdits (grandes croix, voile,
kippa) et signes "discrets" (médailles, petites croix, étoiles de David,
mains de Fatimah, petits Corans). Concernant le 2ème volet de la loi,
la commission propose la création d’une école nationale d’études
islamiques ainsi que l’instauration de deux nouveaux jours fériés pour
les élèves des écoles publiques : les jours de Kippour (fête juive) et
de l'Aïd-el-Kebir (fête musulmane).
La loi du 15 mars 2004
A
la suite du rapport de la Commision sur l'application du principe de
laïcité dans la République, le Président de la République s'est prononcé
le 17 décembre 2003 en faveur d'une loi interdisant le port de signes
religieux "ostensibles" à l'école.
La loi
La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité,
le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse
dans les écoles, collèges et lycées publics s’applique depuis la rentrée
scolaire 2004.
Cette loi, caractérisée par sa brièveté et adoptée au
terme d'un large débat de société, fixe que « le port de signes ou
tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une
appartenance religieuse» sera interdit dans les écoles, les collèges et
les lycées publics en France.
Pourquoi une loi ?
La
IIIème République a adopté une série de mesures en faveur de la
laïcisation (suppression du repos dominical obligatoire en 1879,
sécularisation des cimetières en 1881, autorisation du divorce en 1884,
lois de Jules Ferry de 1881 et 1882 instituant l'école publique
gratuite, laïque et obligatoire, loi de séparation des Eglises et de
l'Etat de 1905).
Le principe de laïcité, inscrit dans le
Préambule de la Constitution de 1946 et dans l'article 1er de la
Constitution de 1958, est au cœur de l'identité républicaine de la
France.
Le contexte politique et social de la France de
2004, dans lequel s'inscrit le projet de loi sur l'interdiction du port
de signes religieux à l'école, n'est pas celui de 1905. Un siècle plus
tard, les valeurs de la République se trouvent confrontées à de nouveaux
défis, notamment à celui de la tentation du repli communautaire.
La
question du respect de la neutralité confessionnelle de l'école
publique s'est de nouveau posée en octobre 1989, lors de l'expulsion, à
Creil, d'une collégienne en raison du port en classe d'un "foulard
islamique". Appelé à se prononcer sur ce cas, le Conseil d'Etat a rendu
un premier avis le 27 novembre 1989.
Cet avis rassemble
l'ensemble des principes et des pratiques de la République s'agissant de
laïcité, de liberté religieuse, de liberté d'expression et d'ordre
public. Il met l'accent sur la nécessité d'interdire aux élèves le port
de signes d'appartenance religieuse " à caractère ostentatoire " dans
les enceintes scolaires.
En dépit de l'ambiguïté
reprochée à l'avis de 1989 et à la jurisprudence du Conseil d'Etat (1992
et 1995) sur la conciliation entre la liberté religieuse des élèves et
les obligations de la vie scolaire, les cas de contentieux ont été
minoritaires.
Redéfinition ou réaffirmation de la laïcité ?
L'exposé
des motifs du projet de loi relatif à l'application du principe de
laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics constate cependant
que "malgré la force de cet acquis républicain, l'application du
principe de laïcité se heurte à des difficultés nouvelles et
grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la
société française. C'est en particulier le cas dans certains services
publics, comme l'école ou l'hôpital".
Lors de la
première réunion officielle du Conseil français du culte musulman, le 4
mai 2003, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin déclare que "si c'est nécessaire, la laïcité s'imposera par la loi".
Le 3 juillet 2003, le Président de la République installe une
commission d'experts chargés de réfléchir à la question de "la laïcité
dans la République", dont la présidence est confiée à Bernard Stasi.
Le 12 juillet, à l'occasion de l'inauguration de l'exposition "Mariannes d'aujourd'hui",
le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, confirme à son
tour l'obligation pour le législateur de faire vivre les idéaux
républicains "au travers des évolutions de notre société".
Les
problèmes liés à la redéfinition ou à la réaffirmation du principe de
la laïcité sont évoqués lors des nombreuses auditions tenues par la
Commission de réflexion sur la laïcité. Les contributions de la mission
de l'Assemblée nationale, des partis politiques, des autorités
religieuses, des représentants des grands courants de pensée nourrissent
également ce vaste débat.
Le 17 décembre 2003, le
Président de la République, Jacques Chirac, se prononce en faveur d'une
loi interdisant le port de signes religieux "ostensibles" à l'école. Il affirme cependant ne pas vouloir "refonder" la laïcité ou en "modifier les frontières", fixées par la loi de 1905. Le Président de la République annonce la création d'un "code de la laïcité", qui réunira tous les principes et les règles, ainsi qu'un Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre.
La circulaire
La circulaire du 18 mai 2004 a été publiée au Journal officiel du 22 mai 2004
La
circulaire pour la mise en œuvre du principe de laïcité dans les écoles
est parue au Journal officiel du 22 mai 2004. Les signes et les tenues
qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse sont
interdits dans les établissements scolaires publics : écoles, collèges,
lycées, classes préparatoires...
La circulaire indique
que la loi sur la laïcité s'applique à toutes les activités placées sous
la responsabilité des établissements, qu'elles se déroulent à
l'intérieur des établissements scolaires ou non. Les élèves ont le droit
cependant de porter des signes religieux discrets contrairement aux
agents contribuant au service public de l'éducation (et ce quels que
soient leur fonction et leur statut).
Cette récente
circulaire remplace trois circulaires antérieures, parues en 1989, 1993
et 1994 relatives au respect de la laïcité, au port de signes religieux
par les élèves et au caractère obligatoire des enseignements.
Etudier le fait religieux à l'école
L’opinion
publique, dans sa grande majorité, approuve l’idée de renforcer l’étude
du fait religieux à l’école publique. Les rapports du recteur Philippe
Joutard en 1989 et de Régis Debray en 2002 ont montré que la
connaissance des cultures religieuses était nécessaires à l’intelligence
des sociétés actuelles, de leur passé et de leur présent, de leur
patrimoine littéraire et artistique, de leur système juridique et
politique.
Peu à peu des enseignements des faits religieux s’imposent au sein des programmes et des enseignements.
Dans
cette perspective, La Documentation française propose, dans la
collection «La Documentation photographique», un numéro sur «le fait
religieux en France», qui retrace, à travers des documents et une riche
iconographie, les évolutions des trois grandes familles confessionnelles
dans la France contemporaine (christianisme, judaïsme, islam).
9 décembre 1905
Loi de séparation des Eglises et de l’Etat
2 janvier 1907
Loi concernant l’exercice public des cultes
4 octobre 1946
Inscription dans la Constitution de la IVe République du principe de laïcité
31 décembre 1959
Loi «Debré» sur la
liberté de l’enseignement qui fixe les règles de fonctionnement et de
financement (subventions) des établissements privés sous contrat
23 novembre 1977
27 novembre 1989
Avis du Conseil d’Etat sur le «voile» à la demande du ministre de l’Education nationale
4 mai 2003
Première réunion du Conseil français du culte musulman
3 juillet 2003
Installation
de la Commission d’experts, présidée par Bernard Stasi, chargée de
réfléchir à la question de la laïcité dans la République»
15 mars 2004
Loi
encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou
de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles,
collèges et lycées publics
18 mai 2004
Circulaire pour la mise en œuvre du principe de laïcité dans les écoles
9 décembre 2005
Centenaire de la loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.
Textes à valeur constitutionnelle
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public
établi par la loi » (art. 10).
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 :
«
(...) Le peuple français (...) réaffirme solennellement les droits et
les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des
droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à
notre temps les principes politiques, économiques et sociaux ci-après :
La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à
ceux de l'homme. (...)
Nul ne peut-être lésé, dans son
travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de
ses croyances. (...) La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de
l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la
culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à
tous les degrés est un devoir de l'État. »
Constitution du 4 octobre 1958 :
«
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances. » (art. 2).
Textes législatifs
Loi du 15 mars 1850 sur les établissements (scolaires) du primaire et du secondaire (loi Falloux) :
«
Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des
départements ou de l'État, un local et une subvention, sans que cette
subvention puisse excéder un dixième des dépenses annuelles de
l'établissement. Les conseils académiques sont appelés à donner leur
avis préalable sur l'opportunité de ces subventions. » (art. 69).
Loi du 12 juillet 1875 (loi Laboulaye) :
« L'enseignement supérieur est libre. » (art. 1er)
Loi du 28 mars 1882 sur l'instruction publique obligatoire (loi Jules Ferry) :
«
Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine en outre
du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le
désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse en dehors des
édifices scolaires. » (art. 2).
Loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire (loi Goblet) :
«
Les établissements d'enseignement primaire de tout ordre peuvent être
publics, c'est-à-dire fondés par l'État, les départements ou les
communes ; ou privés, c'est-à-dire fondés et entretenus par des
particuliers ou des associations. » (art. 2). « Dans les écoles
publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un
personnel laïque. » (art. 17).
Loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État :
«
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans
l'intérêt de l'ordre public. » (art. 1er).
« La
République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune culte
(...) [sauf pour] les dépenses relatives à des exercices d'aumônerie et
destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements
publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons
(...) » (art 2).
« Les cérémonies, processions et autres
manifestations extérieures du culte sont réglées en conformité de
l'article 97 du Code de l'administration communale. Les sonneries de
cloches seront réglées par arrêté municipal, et en cas de désaccord
entre le maire et l'association cultuelle, par arrêté préfectoral »
(art. 27).
« Il est interdit (...) d'élever ou d'apposer
aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque
emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices du culte,
des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires,
ainsi que des musées ou expositions. (...) » (art. 28).
Loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes :
«
À défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice
du culte, ainsi que les meubles les garnissant (...) pourront être
laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la
pratique de leur religion » (art. 5).
Loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés (loi Debré) :
«
Suivant les principes définis dans la Constitution, l'État assure aux
enfants et adolescents dans les établissements publics d'enseignement la
possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans
un égal respect de toutes les croyances.
L'État proclame
et respecte la liberté de l'enseignement et en garantit l'exercice aux
établissements privés régulièrement ouverts. Il prend toutes
dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la
liberté des cultes et de l'instruction religieuse.
Dans
les établissements privés (...) [sous contrats] (...), l'enseignement
placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État.
L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner
cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous
les enfants, sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyances, y
ont accès. » (art. 1er).
Loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, dite loi Savary :
«
Le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant
de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il
tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions.
Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités
de libre développement scientifique, créateur et critique ».
Loi
du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le
port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans
les écoles, collèges et lycées publics :
« Dans les
écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues
par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance
religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »
Circulaires et autres textes
1936-1937 : circulaires Jean Zay
Elles interdisent toute forme de propagande, politique ou confessionnelle, à l'école, et tout prosélytisme.
1989 : avis du Conseil d'État (réitéré en 1992)
Cet
avis rappelle la neutralité de l'enseignement et des enseignants. Le
port de signes religieux à l'école n'est ni autorisé, ni interdit : il
est toléré, dans la limite du prosélytisme et à condition de ne pas
s'accompagner du refus de suivre certains cours ou de la mise en cause
de certaines parties du programme scolaire.
1994 : circulaire Bayrou
La
circulaire ministérielle de François Bayrou recommande l'interdiction à
l'école de tous les « signes ostentatoires, qui constituent en
eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination ».
2004 : circulaire Fillon
Circulaire ministérielle de François Fillon (18
mai 2004) relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars
2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes
ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles,
collèges et lycées publics
B) - Lettre ouverte au monde musulman
Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde
du dehors et de loin - de ce pays de France où tant de tes enfants
vivent aujourd'hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe
nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d'isthme entre les deux mers de l'Orient et de l'Occident!
Et
qu'est-ce que je vois ? Qu'est-ce que je vois mieux que d'autres sans
doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la
distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui
me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement
de philosophe ! Car je te vois en train d'enfanter un monstre qui
prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un
nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre - perdre
ton temps et ton honneur - dans le refus de reconnaître que ce monstre
est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton
écartèlement interminable entre passé et présent, de ton incapacité trop
durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.
Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Quel est ton unique discours ? Tu cries « Ce n'est pas moi ! », « Ce n'est pas l'islam !
». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom
(hashtag #NotInMyName). Tu t'indignes devant une telle monstruosité, tu
t'insurges aussi que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as
raison de le faire. Il est indispensable qu'à la face du monde tu
proclames ainsi, haut et fort, que l'islam dénonce la barbarie. Mais
c'est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l'autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l'autocritique.
Tu te contentes de t'indigner, alors que ce moment historique aurait
été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme
d'habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez,
vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l'islam de nous
associer à ce monstre ! Le terrorisme, ce n'est pas l'islam, le vrai
islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre, mais la paix! »
J'entends
ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le
comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes
inspirations sacrées du monde l'islam a créé tout au long de son
histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a
puissamment éclairé l'être humain sur le chemin du mystère de
l'existence... Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres,
pour que cette sagesse de l'islam et de toutes les religions ne soit pas
oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine, je vois aussi
autre chose - que tu ne sais pas voir ou que tu ne veux pas voir... Et
cela m'inspire une question, LA grande question : pourquoi ce monstre
t'a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ?
Pourquoi a-t-il pris le masque de l'islam et pas un autre masque ?
C'est qu'en réalité derrière cette image du monstre se cache un immense
problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il le faut bien
pourtant, il faut que tu en aies le courage.
Ce problème est celui des racines du mal. D'où viennent les
crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon
ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c'est mon devoir de
philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage
sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le
cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira
dans le futur autant de nouveaux monstres - pires encore que celui-ci -
aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi
longtemps que tu tarderas à l'admettre et à attaquer enfin cette racine
du mal !
Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis
cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont
tellement oublié ce qu'est la puissance de la religion - en bien et en
mal, sur la vie et sur la mort - qu'ils me disent « Non le problème du monde musulman n'est pas l'islam, pas la religion, mais la politique, l'histoire, l'économie, etc.
». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu'ils ne se
souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur
d'une civilisation humaine ! Et que l'avenir de l'humanité passera
demain non pas seulement par la résolution de la crise financière et
économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la
crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité toute
entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l'échelle de la planète,
pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l'homme a
horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir
elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au
présent - et qui comme l'islam actuellement se mettront alors à produire
des monstres.
Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIe siècle
! Il y a en toi en effet, malgré la gravité de ta maladie, malgré
l'étendue des ombres d'obscurantisme qui veulent te recouvrir tout
entier, une multitude extraordinaire de femmes et d'hommes qui sont
prêts à réformer l'islam, à réinventer son génie au-delà de ses
formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du
rapport que l'humanité entretenait jusque-là avec ses dieux ! C'est à
tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de
révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes livres ! Pour
leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu'entrevoit
leur espérance!
Il y a dans la Oumma (communauté des
musulmans) de ces femmes et ces hommes de progrès qui portent en eux la
vision du futur spirituel de l'être humain. Mais ils ne sont pas encore
assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux-là, dont je
salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c'est l'état
général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance
des monstres terroristes aux noms d'Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou de
l'«État islamique». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les
symptômes les plus graves et les plus visibles sur un immense corps
malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes: impuissance à
instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme
droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes
de la religion; prison morale et sociale d'une religion dogmatique,
figée, et parfois totalitaire ; difficultés chroniques à améliorer la
condition des femmes dans le sens de l'égalité, de la responsabilité et
de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique
de son contrôle par l'autorité de la religion; incapacité à instituer un
respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme
religieux et des minorités religieuses.
Tout cela serait-il donc
la faute de l'Occident ? Combien de temps précieux, d'années cruciales,
vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation
stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te
caches pour continuer à te mentir à toi-même ? Si je te critique aussi
durement, ce n'est pas parce que je suis un philosophe « occidental »,
mais parce que je suis un de tes fils conscients de tout ce que tu as
perdu de ta grandeur passée depuis si longtemps qu'elle est devenue un
mythe !
Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te
l'avouer enfin, tu as été incapable de répondre au défi de l'Occident.
Soit tu t'es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec
la régression intolérante et obscurantiste du wahhabisme qui continue
de faire des ravages presque partout à l'intérieur de tes frontières -
un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l'Arabie
Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as
suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des
nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité - je
veux parler de cette frénésie de consommation, ou bien encore de ce
développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux
qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes
consentantes de la maladie désormais mondiale qu'est le culte du dieu
argent.
Qu'as-tu d'admirable aujourd'hui, mon ami ? Qu'est-ce qui
en toi reste digne de susciter le respect et l'admiration des autres
peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu
encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes, qui
sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ?
Où sont tes grands penseurs, tes intellectuels dont les livres devraient
être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et
les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l'Inde à
l'Espagne ? En réalité tu es devenu si faible, si impuissant derrière la
certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même... Tu ne sais
plus du tout qui tu es ni où tu veux aller et cela te rend aussi
malheureux qu'agressif... Tu t'obstines à ne pas écouter ceux qui
t'appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as
offerte à la religion sur la vie toute entière. Tu as choisi de
considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir
l'islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme
un tyran aussi bien sur l'État que sur la vie civile, aussi bien dans la
rue et dans la maison qu'à l'intérieur même de chaque conscience. Tu as
choisi de croire et d'imposer que l'islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu'«Il n'y a pas de contrainte en religion» (La ikraha fi Dîn).
Tu as fait de son Appel à la liberté l'empire de la contrainte !
Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte
sacré ? Je dis qu'il est l'heure, dans la civilisation de l'islam,
d'instituer cette liberté spirituelle - la plus sublime et difficile de
toutes - à la place de toutes les lois inventées par des générations de
théologiens !
De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s'élèvent aujourd'hui dans la Oumma pour
s'insurger contre ce scandale, pour dénoncer ce tabou d'une religion
autoritaire et indiscutable dont se servent ses chefs pour perpétuer
indéfiniment leur domination... Au point que trop de croyants ont
tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux
« maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu'ils ne
comprennent même pas qu'on leur parle de liberté spirituelle, et
n'admettent pas qu'on ose leur parler de choix personnel vis-à-vis des «
piliers » de l'islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge »,
quelque chose de trop sacré pour qu'ils osent donner à leur propre
conscience le droit de le remettre en question ! Et il y a tant de ces
familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre
spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès leur plus
jeune âge, et où l'éducation spirituelle est d'une telle pauvreté que
tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque
chose qui ne se discute pas!
Or cela, de toute évidence, n'est pas
imposé par le terrorisme de quelques fous, par quelques troupes de
fanatiques embarqués par l'État islamique. Non, ce problème-là est
infiniment plus profond et infiniment plus vaste ! Mais qui le verra et
le dira ? Qui veut l'entendre ? Silence là-dessus dans le monde
musulman, et dans les médias occidentaux on n'entend plus que tous ces
spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie
générale ! Il ne faut donc pas que tu t'illusionnes, ô mon ami, en
croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le
terrorisme islamiste l'islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que
je viens d'évoquer - une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste,
formaliste, machiste, conservatrice, régressive - est trop souvent, pas
toujours, mais trop souvent, l'islam ordinaire, l'islam quotidien, qui
souffre et fait souffrir trop de consciences, l'islam de la tradition et
du passé, l'islam déformé par tous ceux qui l'utilisent politiquement,
l'islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes
et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc
vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? Cette révolution qui dans les
sociétés et les consciences fera rimer définitivement religion
et liberté, cette révolution sans retour qui prendra acte que la
religion est devenue un fait social parmi d'autres partout dans le
monde, et que ses droits exorbitants n'ont plus aucune légitimité !
Bien
sûr, dans ton immense territoire, il y a des îlots de liberté
spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de
choix personnel, d'approfondissement spirituel ; des milieux sociaux où
la cage de la prison religieuse s'est ouverte ou entrouverte ; des lieux
où l'islam donne encore le meilleur de lui-même, c'est-à-dire une
culture du partage, de l'honneur, de la recherche du savoir, et une
spiritualité en quête de ce lieu sacré où l'être humain et la réalité
ultime qu'on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre
d'islam et partout dans les communautés musulmanes du monde des
consciences fortes et libres, mais elles restent condamnées à vivre leur
liberté sans assurance, sans reconnaissance d'un véritable droit, à
leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou bien même
parfois face à la police religieuse. Jamais pour l'instant le droit de
dire « Je choisis mon islam », « J'ai mon propre rapport à l'islam » n'a été reconnu par « l'islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s'acharnent à imposer que « La doctrine de l'islam est unique » et que « L'obéissance aux piliers de l'islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).
Ce
refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l'une de ces
racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l'un de ces
ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis
quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de
fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle
enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d'un
Bien et d'un Mal, d'un licite (halâl) et d'un illicite (harâm)
que personne ne choisit, mais que tout le monde subit. Elle emprisonne
les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout
choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées, tu associes encore
la religion et la violence - contre les femmes, contre les « mauvais
croyants », contre les minorités chrétiennes ou autres, contre les
penseurs et les esprits libres, contre les rebelles - de telle sorte que
cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les
plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la
monstruosité du jihad !
Alors, ne t'étonne donc pas, ne
fais plus semblant de t'étonner, je t'en prie, que des démons tels que
le soi-disant État islamique t'aient pris ton visage ! Car les monstres
et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop
de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels
monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants,
que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et
de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes
universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à
persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la
démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des
visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et
l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la
culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les
médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout
cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète
! C'est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et
si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de
destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale - au lieu
de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l'aveuglement
volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te
voler ton visage.
Cher monde musulman... Je ne suis qu'un
philosophe, et comme d'habitude certains diront que le philosophe est un
hérétique. Je ne cherche pourtant qu'à faire resplendir à nouveau la
lumière - c'est le nom que tu m'as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ».
Je n'aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français: «Qui aime bien châtie bien».
Et au contraire tous ceux qui aujourd'hui ne sont pas assez sévères
avec toi - qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de
toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui
t'arrive - tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois
en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un
univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.
Abdennour Bidar
Philosophe spécialiste des évolutions contemporaines de l'islam et des théories de la sécularisation et post-sécularisation
C) - Laïcité
De Wikiberal
La
laïcité désigne le principe de séparation dans l'
État de la société civile et de la société religieuse, ainsi que le caractère des institutions qui respectent ce principe.
Selon ce principe, la
croyance religieuse
relève de l'intimité de l'individu. Les convictions religieuses (ou
l'absence de conviction) de chacun, qu'il faut peut-être distinguer des
options spirituelles ou métaphysiques théistes plus ou moins
indépendantes des religions, sont alors volontairement ignorées par
l'administration.
La laïcité implique un enseignement d'où la formation religieuse (dans le sens enseignement de la foi)
est absente. Pour autant, l'enseignement des religions n'est pas
incompatible avec la laïcité, tant qu'il ne s'agit que de décrire des
« us et coutumes », et si l'on présente chaque religion d'un point de
vue extérieur à celle-ci (si tant est qu'il soit possible de transmettre
une culture religieuse en faisant abstraction du dogme qu'elle véhicule
et que l'on puisse traiter toutes les religions de manière égale).
Par ailleurs, le terme laïc est également utilisé au sein
de la religion catholique dans un sens très différent: il désigne une
personne n'étant pas prêtre mais jouant un rôle actif dans
l'organisation et l'animation des activités de l'église. Il s'agit en
grande partie de femmes, puisque ces dernières n'ont pas accès à la
prêtrise.
À l’époque où l’anglais est devenu la langue internationale, un
terme français résiste à toute anglicisation, c’est celui de
« laïcité ». Certains en tirent argument pour affirmer que la laïcité
est une « exception française ». Peut-être est-il plus exact d’écrire
que la laïcité est une « invention française », ignorée par certains
pays, plus ou moins bien acclimatée dans d’autres ? Mais, curieusement,
si l’histoire des religions s’est beaucoup développée depuis le XIXe
siècle, celle de la laïcité reste encore assez largement à écrire. En
outre, et ceci explique sans doute en partie cela, plusieurs conceptions
différentes de la laïcité s’affrontent encore aujourd’hui, si bien que
la définition d’une « vraie laïcité » reste toujours, en France comme
ailleurs, un sujet polémique.
Point de vue libéral
Pour les libéraux, la laïcité est une
tolérance,
une neutralité à l'égard des religions. En matière de laïcité, les deux
extrêmes que condamnent les libéraux sont les suivants :
- proscrire la religion ou les signes religieux ("laïcisme" intolérant) ;
- tolérer les atteintes aux droits individuels causées par la religion ("laïcisme" relativiste ou laxiste).
En d'autres termes, la laïcité libérale ne consiste pas à rejeter
dans la sphère privée la croyance religieuse, mais à la laisser
s'exprimer
pacifiquement. Contrairement au point de vue étatiste et plus particulièrement
social-démocrate,
pour lequel l'expression d'une foi doit rester cantonnée au domaine
privé et ne pas interférer avec l'espace public. Cette dernière attitude
se remarque aussi dans la volonté étatique de contrôler la religion. On
peut remarquer que la proscription de « signes religieux » oblige
l'État à s'occuper de religion pour définir ce qu'est un « signe
religieux », ce qui constitue une violation de la laïcité.
Contestant l'administration de la religion par l'État,
Émile Faguet avait bien noté:
- L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la
religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour
la supprimer comme religion véritable.
-
D) - Laïcité, neutralité, et subventions
Le Conseil d'Etat a rendu, le 4 mai 2012, un arrêt Fédération de la libre pensée et d'action sociale du Rhône
qui montre, une nouvelle fois, la souplesse du principe de laïcité, et
sa capacité d'évoluer avec la société. La fédération requérante
contestait la délibération du conseil municipal de Lyon attribuant à
l'association Communauté Sant'Egidio France une subvention pour
l'aider dans l'organisation des 19è Rencontres pour la paix. Elle
considère que cette aide financière va à l'encontre de l'article 2 de la
célèbre loi de séparation des églises et de l'Etat qui énonce que "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte".
Le tribunal administratif avait repris ces arguments et annulé la
délibération. La Cour administrative d'appel a, au contraire, considéré
que cette délibération ne viole pas le principe de séparation des
églises et de l'Etat. C'est précisément cette analyse que le Conseil
d'Etat confirme dans son arrêt du 4 mai.
La neutralité
On le sait, le principe de laïcité figure dans l'article 1er de la Constitution, selon lequel "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale".
Il implique d'abord la liberté de conscience. Aux termes de l'article
1er de la loi de 1905, la République garantit donc à chacun le libre
exercice du culte de son choix. A ce principe de liberté de conscience
s'ajoute celui de la neutralité de l'Etat, qui exclut toute religion
officielle et impose à aux autorités étatiques une véritable obligation
d'indifférence à l'égard de la religion. Le système français de laïcité
repose ainsi sur l'idée que les convictions de chacun doivent être
respectées et que la religion relève exclusivement de la sphère privée.
L'interdiction de financement public des cultes
Dès lors que la religion est un élément de la vie privée, il n'existe
aucun financement public des cultes et le clergé n'est pas rémunéré par
l'Etat, sauf dans la zone concordataire d'Alsace Lorraine. La loi de
séparation de l'Eglise et de l'Etat autorise néanmoins la création
d'associations cultuelles auxquelles ont été dévolus les biens des
établissements du culte. Ces groupements, fondés très simplement sur le
fondement de la loi sur les associations de 1901, doivent avoir "exclusivement pour objet l'exercice d'un culte".
La jurisprudence traditionnelle se montre très rigoureuse et considère
comme illégale toute subvention directe versée à une association
cultuelle. Dès lors que ces groupements ont un objet exclusivement
religieux, le juge considère que soit l'objet de la subvention est
religieux et donc illégal, soit il n'est pas religieux et, dans ce cas,
il se situe en dehors de l'objet social de l'association, autre cas
d'illégalité (par exemple, dans l'arrêt du 9 octobre 1992, Commune de St Louis c. Assoc. Siva Soupramanien de St Louis).
Les éléments de souplesse
La sévérité de cette jurisprudence n'empêche tout de même pas
l'établissement de certains liens financiers entre les collectivités
publiques et les groupements religieux.
Dans l'article 2 de la loi de 1905, figure ainsi l'autorisation de
subventionner sur le budget de l'Etat les services d'aumônerie destinés à
assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics.
D'autre part, l'interdiction de subvention n'interdit pas la
rémunération de prestations spécifiques. Par exemple, l'administration
pénitentiaire peut passer un accord financier avec une congrégation pour
assurer la prise en charge des détenus, principe acquis par un arrêt du 27 juillet 2001, Synd. national pénitentiaire FO. La collectivité passe alors un contrat en échange d'une prestation déterminée. Elle ne subventionne pas un culte.
Enfin, rien n'interdit de renoncer purement et simplement à la
contrainte imposée par l'association cultuelle, et son principe de
spécialité auquel il est bien difficile de déroger. L'Etat ou les
collectivités locales peuvent ainsi subventionner des activités
d'intérêt général qui s'exercent dans un cadre confessionnel comme des
hôpitaux ou des crèches.
La qualification d'association cultuelle
Dans le cas de l'arrêt du 4 mai 2012, le Conseil d'Etat fait un pas de
plus dans le raisonnement. Il se déclare en effet compétent pour
qualifier la nature du groupement que la ville de Lyon a subventionné.
Il fait ainsi observe que "les seules circonstances qu'une
association se réclame d'une confession particulière ou que certains de
ses membres se réunissent, entre eux, en marge d'activités organisées
par elles, pour prier, ne suffisent pas à établir que cette association a
des activités cultuelles". Une association de fidèles, dès lors
qu'elle n'a pas pour mission d'organiser le culte, n'est donc pas une
association cultuelle. En l'espèce, ce groupement se bornait à organiser
un colloque réunissant des participants de différentes confessions.
Quand bien même quelques "personnalités religieuses" figuraient
parmi les participants, quand bien même les travaux étaient quelquefois
interrompus pour permettre à chacun de remplir ses devoirs religieux, le
groupement n'était pas une association cultuelle. La ville de Lyon
pouvait donc parfaitement subventionner le colloque, sans violer la loi
de 1905.
Certains pourront penser que cet arrêt confère au juge la possibilité
d'admettre ou non la légalité d'une subvention à partir de la
qualification d'association cultuelle qu'il délivre lui-même. D'autres
estimeront qu'une telle jurisprudence exprime une laïcité apaisée, une
relation sereine entre les autorités publiques et religieuses.
E) - L’Église et l’État, la grande histoire de la laïcité
Cet ouvrage s’adresse autant aux connaisseurs qu’aux novices.
Jean Etèvenaux, historien et enseignant, nous rappelle brillamment plus
de deux millénaires de faits méconnus ou déformés.
Persécutée, humiliée, assujettie, l’Église catholique a souvent été
dans une situation de soumission au pouvoir politique. Elle-même
reconnaît ce pouvoir car c’est bien Jésus qui dit dans les Évangiles :
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
L’empereur Néron (54-68) l’avait bien compris en désignant les chrétiens
de Rome comme boucs émissaires en les accusant d’avoir allumé
l’incendie qui a ravagé la ville. On les soumet à la torture, on les
brûle ou on les jette aux bêtes. C’est à ce moment que Pierre et Paul
sont tués. L’hostilité à l’égard des chrétiens provient du fait que de
nombreuses rumeurs sur leurs « pratiques » se propagent rapidement. Ce
sont des comploteurs, des barbares et des « mangeurs d’enfants ».
Pourtant, dès ses débuts, le christianisme emprunte le meilleur de la
civilisation gréco-latine : des concepts et des mots grecs,
l’organisation sociale, les conceptions juridiques des latins et
l’administration.
Après deux siècles de persécutions, c’est Galère (305-311), le
successeur de Dioclétien qui signe le premier édit de tolérance
accordant aux chrétiens, la liberté de conscience et de culte. Il leur
demande même de prier pour l’Empire… Sous Constantin (306-337), le
christianisme pourra se manifester librement ; Constantin sera
d’ailleurs le seul souverain romain à avoir limité le rôle de l’État
qu’il considère comme un protecteur de la liberté religieuse. Au cours
du IVe siècle, l’Église chrétienne atteint même le statut de religion
d’État. C’est la grande époque des Pères de l’Église : Athanase
d’Alexandrie, Basile de Césarée, Ambroise de Milan, Grégoire de
Nazianze… L’empereur Justinien (527-565) fait même des évêques ses
propres agents… Le premier millénaire est d’ailleurs considéré par
l’auteur comme un « accord chrétien » avec les nouveaux peuples.
L’Afrique du Nord est christianisée, les Goths se convertissent à
l’arianisme et les Francs au catholicisme. Quant au phénomène celte, il
est sans équivalent dans l’Histoire : à partir du IVe siècle, l’Église
celte s’est développée dans les îles britanniques et évangélise l’Europe
en Bretagne. Par ailleurs, grâce à l’Église de l’Est, les premiers
missionnaires arrivent en Inde et en Chine.
À partir du IXe siècle et jusqu’au XVe siècle, on assiste au
développement de la papauté et à l’apparition des grands États
européens. C’est aussi l’époque de l’empereur qui « va à Canossa » et de
la crise cathare. L’Église de France est bien secouée par des
mouvements communautaires qui cherchent à revenir au christianisme
primitif. Jean Etévenaux revient sur la période de l’Inquisition et
rétablit quelques vérités face aux élucubrations de Voltaire et à un
faux du XIXe siècle. L’Histoire montre que nous sommes très, très loin
des « millions de morts » dénoncés par le pape de l’athéisme Michel
Onfray et par la propagande gauchiste. On estime à quelques dizaines les
condamnations à mort au nom de l’Église. De plus, de nombreuses
condamnations ont été faites par des pouvoirs politiques (laïques),
beaucoup plus sanguinaires dans leurs démarches. L’auteur aurait même pu
rappeler qu’à la même époque, il n’y a pas eu d’Inquisition au sein de
l’Église orthodoxe à l’Est de l’Europe. Au contraire, celle-ci accorde
même des libertés aux popes en leur permettant de se marier et d’avoir
des enfants.
Enfin, l’auteur consacre plusieurs chapitres nous rappelant les
nombreuses persécutions des chrétiens un peu partout dans le monde. Les
coptes d’Égypte, les Arméniens, les chrétiens dans les pays musulmans et
dans certains pays d’Asie, les massacres de chrétiens en Afrique…
L’auteur n’insiste pas beaucoup sur les crimes du communisme. Il aurait
peut-être pu consacrer quelques pages au martyre et à l’assassinat du
prêtre Popielusko en Pologne en 1984 ou au père Calciu en Roumanie qui a
passé 21 ans dans les geôles communistes. Mais les souffrances de
l’Église et des croyants sont si fréquentes qu’il faudrait plus d’un
ouvrage pour en parler…
F) - Totalitarisme et religion
Les régimes totalitaires du XXe siècle sont nés dans des pays
chrétiens. Les relations complexes et délicates qu’ils entretenaient
avec l’Église sont au cœur de l’ouvrage d’Emilio Gentile.
Les relations entre les régimes totalitaires et le christianisme
demeurent une des grandes questions du XXe siècle. Ces régimes sont nés
dans des pays chrétiens, et fortement christianisés. Ils reprennent des
éléments du discours ou de la forme chrétienne, et ils ont cherché à
enrôler l’Église dans leur mouvement. Pour autant, ils sont
fondamentalement antichrétiens et l’Église les a combattus, avec une
force variable selon la période. Ce sont ces relations complexes et
délicates qu’Emilio Gentile aborde dans son dernier ouvrage, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, publié en France aux éditions Aubier.
J’ai déjà évoqué précédemment
le travail d’Emilio Gentile, spécialiste du fascisme et du mouvement
des idées au début du XXe siècle. Son esprit et ses analyses sont
toujours fortement percutants. Son livre est un vrai livre d’histoire,
avec des références nombreuses et bien choisies, une structure de
raisonnement qui analyse le sujet jusqu’au bout. Le thème abordé est
essentiel pour comprendre la vie politique et sociale du dernier siècle.
Il pose un certain nombre de problématiques cruciales. Comment
s’accommoder d’un régime ouvertement liberticide, en essayant de
sauvegarder ses acquis, sans provoquer de répression trop brutale, mais
tout en le combattant. Comment combattre un régime qui a l’assentiment
du peuple et l’usage exclusif de la violence et de la force. Est-il
possible de trouver un point d’entente, une conciliation.
C’est cette question de la conciliation, avec le communisme, le
fascisme ou le nazisme qui est la grande question. Ceux qui l’ont prônée
se sont trompés, et les régimes totalitaires les ont ensuite violemment
combattus. Mais étaient-ils vraiment possible de faire autrement ?
La relation entre les totalitarismes et le christianisme varie en
fonction du régime et du pays.
En URSS, les églises orthodoxes, après
s’être opposées au communisme, l’ont soutenu. C’était pour elles la
seule façon de survie ; les communistes ayant déjà largement déporté les
prêtres et détruit les églises. En Allemagne ou en Italie, Hitler comme
Mussolini ont dû mener un combat insidieux, en faisant croire à une
possible conciliation, tout en programmant la destruction du
christianisme. On trouvera dans ce livre des témoignages de personnes
lucides, ou au contraire totalement trompées par ces régimes.
Ce livre apporte à mon sens deux idées essentielles, qui ne sont pas
évide
ntes pour tous les historiens et qui sont même combattues par
certains.
1/ Les trois régimes totalitaires ont une structure commune. Emilio
Gentile les associe dans son livre, reprenant en cela l’analyse menée
par Ernst Nolte dans La Guerre civile européenne. Lorsque
l’historien allemand fit paraître ce maître ouvrage en 1989, cela lui
valut une trombe de critiques, car il avait osé associer nazisme et
communisme. Le parallèle était rejeté, même après la chute du mur de
Berlin. Emilio Gentile reprend à son compte ce parallèle, qui est par
ailleurs désormais évident, mais pour des raisons différentes de Nolte.
Il étudie les totalitarismes ensemble, en marquant leur spécificité,
mais en montrant aussi ce qu’ils ont de commun.
2/ Cette partie commune, c’est la religion. Les totalitarismes ne
sont pas des régimes athées, ce sont des idéologies profondément
religieuses. Ou plus exactement, leur athéisme est religieux, car
l’athéisme lui-même est une religion. On connaît la célèbre formule de
Léon XIII : « L’athéisme, c’est le culte de l’État ». Formulée dans les
années 1880, elle illustre parfaitement la logique totalitaire.
Les totalitarismes empruntent fortement au christianisme. Leurs
rites, leurs symboles, leur vision du monde, leur volonté de transformer
l’homme, s’inscrivant en cela dans un messianisme apocalyptique, sont
une forme dévoyée et détournée du christianisme.
Cet aspect éminemment religieux des régimes totalitaires me semble
indispensable à comprendre si l’on veut avoir une intelligence un peu
fine de ces idéologies. Je ne suis pas certain que la race ou la classe
soit l’élément moteur du nazisme et du communisme. J’ai tendance à
penser que ce ne sont que des prétextes secondaires à une religion de
l’État qui, elle, est première. Le Führer ou le petit père des peuples
passent avant la lutte contre l’ennemi désigné.
Dernier élément de l’ouvrage, sa lecture nous fait entrer dans un
monde étouffant et angoissant. Nous sommes comme dans une pièce murée et
sans porte. L’étude de ces régimes et de leur système de fonctionnement
montre à quel point ils ont paralysé toute vie et empêché tout élément
de liberté. Que l’Europe ait connu une telle période est proprement
angoissant. Que nous en soyons sortis est miraculeux. Cela aide aussi à
nous rendre compte que nous vivons aujourd’hui à une époque heureuse.
Finalement, pourquoi ces régimes ont failli ? Parce que dans leur lutte
religieuse engagée contre la religion chrétienne, c’est eux qui ont
perdu. Le christianisme qu’ils ont voulu détruire est ce qui les a fait
trébucher et mourir.
G) - Laïcité: Questions à Jean Baubérot
Jean Bauberot, titulaire de la chaire «Histoire et
sociologie de la laïcité» à l’Ecole pratique des hautes études et membre
de la Commission Stasi répond à la revue Regards sur l’actualité,dans
son n° 298 «Etat, laïcité, religions» (extraits).
Entretien réalisé en février 2004.
Qu’est-ce que la laïcité ?
Fruit
d’une longue histoire conflictuelle opposant tout au long du XIXe
siècle deux visions de la France - celle de ceux qui veulent que la
France redevienne «la fille aînée de l’Église (catholique)» et celle de
ceux qui pensent que la France moderne doit être la fille de la
Révolution de 1789 - jusqu’à la loi de séparation qui permet une
pacification progressive de ce «conflit des deux France» et la
construction de ce que j’appelle «le pacte laïque, la laïcité c’est, à
la fois, un règlement juridique et un art de vivre ensemble.
Si
l’on s’en tient au règlement juridique, la laïcité m’apparaît
constituée de trois principes essentiels: le respect de la liberté de
conscience et de culte; la lutte contre toute domination de la religion
sur l’État et sur la société civile ; l’égalité des religions et des
convictions les «convictions» incluant le droit de ne pas croire. Il
faut arriver à tenir ensemble ces trois préceptes si l’on veut éviter
toute position arrogante et péremptoire. Mais évidemment, dans la
pratique, les acteurs ont tendance à privilégier l’un ou l’autre de ces
trois principes : les croyants se réfèrent surtout à la liberté de
culte; les agnostiques (et les anticléricaux) s’appuient plutôt sur la
lutte contre la domination des religions; quant aux minoritaires, ils
insistent sur l’égalité des religions et des convictions.
Comment est née la laïcité en France ?
Pour ma part, je pense qu’il y a des laïcités au pluriel et
des seuils de laïcisation. En France, le premier seuil s’est construit
approximativement entre 1789 (Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen) et 1806 (création de l’Université). Sous la Révolution, la
laïcisation progresse avec la proclamation explicite de la liberté de
culte par la Constitution de 1791, la laïcisation de l’état civil, la
création du mariage civil… Mais, en même temps, des mesures affirment
l’émergence d’une religion civile avec son calendrier républicain, ses
martyrs, sa déesse Liberté, sa déesse Raison. Après douze ans
d’effervescence, le Consulat et l’Empire stabilisent la situation. Ils
permettent à certains changements effectués depuis 1789 de perdurer et
règlent durablement les rapports de l’État et des Églises grâce à ce que
l’on nomme le «régime concordataire,» qui est un système de «cultes
reconnus», protégés et contrôlés par l’État (qui salarie les évêques,
les curés et les pasteurs). Le processus de laïcisation aboutit ainsi à
une distanciation des liens Églises -État.
Le second
seuil de laïcisation aboutira, lui, à une égalité formelle de cultes
séparés de l’État. Il s’est construit entre 1882 (loi Jules Ferry sur
l’instruction publique obligatoire) et 1905 (loi de séparation des
Églises et de l’État). Signée le 9, promulguée le 11 décembre 1905, la
loi de séparation met fin au système des «cultes reconnus». «La
République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes» (mais) «ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne
aucun culte», sauf pour des dépenses relatives à des exercices
d’aumônerie. Les Églises ne sont plus de droit public, elles peuvent
avoir une existence de droit privé, comme corps constitués. Elles
doivent subvenir financièrement à leurs besoins, mais le parc immobilier
cultuel qui appartient à l’État, aux départements et aux communes est
mis gratuitement à leur disposition. Il est aussi possible d’effectuer
sur fonds publics les réparations d’entretien des édifices
Quelles frontières tracer pour la laïcité ?
Celles-ci
ne sont pas évidentes et varient selon les pays. Ainsi, je reviens du
Canada, qui se veut une société multiculturelle; mais l’un de nos
interlocuteurs a souligné que ce multiculturalisme n’était pas un
relativisme culturel, qu’il fonctionnait sous l’hégémonie d’une
anthropologie des droits de l’homme. C’est à partir de cette
anthropologie des droits de l’homme que l’on peut définir le «non
négociable». De ce point de vue, la polygamie, l’excision, le mariage
forcé font partie du «non négociable». En revanche, la question du port
du foulard apparaît, sous cet angle, relativement anodine, en tout cas
gérable. L’important, c’est de déterminer où l’on met le curseur. On a
intérêt à le mettre à un endroit qui permette aux gens de faire une
démarche sans avoir l’impression de devoir renier leur culture. En
sachant aussi faire la distinction entre ce qui est réversible et ce qui
ne l’est pas : sur ce qui est irréversible, il y a urgence, et il faut
être ferme ; alors que sur ce qui est réversible, il peut y avoir
négociation, dialogue, compromis, processus. L’excision, c’est tout un
destin, on ne peut tergiverser. Le foulard, on peut discuter.