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Sommaire:
A) Entretien avec un libertarien : Thierry Falissard - Adrien Faure - Utopies concrètes via Contrepoints
B) Thierry Falissard déjà sur Université Liberté avec ses livres via Lumières et Liberté
C) Thierry Falissard de Wikiberal
D) Livres de Thierry Falissard - Amazon
E) Liens utiles
A) Entretien avec un libertarien : Thierry Falissard
Adrien Faure propose sur son site une série de portraits de « libertariens ». Contrepoints vous propose de découvrir aujourd’hui l’un d’entre eux, très impliqué dans le combat des idées pour la liberté.
Thierry Falissard a 56 ans et vit à Lausanne, dans le canton de Vaud. Adhérent de l’Institut libéral,
il travaille comme ingénieur et informaticien le matin et écrivain et
métaphysicien à seize heures. Son signe astrologique est Taureau
ascendant Cancer et sa couleur préférée est le jaune d’or.
AF. Comment définirais-tu le libertarianisme ?
Je préfère parler de libertarisme que de libertarianisme. C’est la
recherche et l’application des principes de base qui conditionnent la
possibilité d’une vie en société qui minimise la violence.
Cette recherche touche à l’éthique, voire à la métaphysique. En effet, il faut une définition de la violence, de l’agression,
des agresseurs, du périmètre individuel sujet à agression et qui
devrait en être protégé, et donc de ce que devrait être le droit dans
une société non-violente. On aboutit à une philosophie du droit
découlant de préoccupations éthiques, voire d’une ontologie ou d’une
conception de l’homme.
Le droit, sauf à être arbitraire, doit être la traduction d’une éthique intersubjective : pour moi, il s’agit de l’éthique minimale de la non-agression,
éthique « confirmée » par toutes les religions et les morales laïques
(éthique de réciprocité, Golden Rule et Silver Rule). Les libertariens
mettent au défi quiconque de trouver un autre fondement à une vie en
société qui soit non-violente.
Cela remet en question les conceptions positivistes du droit comme
construction ou institution héritée du passé, totalement déconnectée de
l’éthique, comme le croient certains libéraux. Cela remet aussi en
question la nature de la politique et du « pouvoir ». La démocratie
n’en réchappe pas, puisqu’elle consacre la domination d’une majorité
sur une minorité, et s’attaque constamment au périmètre individuel et à
la sphère privée (y compris en Suisse
avec de fréquentes initiatives populaires antilibérales, et une élite
politique qui va contre l’intérêt de la population tellement elle est
pressée de construire une Suisse identique au reste du monde).
AF. De quel courant du libertarianisme te sens-tu le plus proche et pourquoi ?
Je me sens proche de tous les courants (sauf des conservateurs et des
Randiens), sachant qu’ils relèvent tous pour le moment de l’utopie : il n’y a pas aujourd’hui de société anarcho-capitaliste ou panarchique, et encore moins de société minarchique.
L’une ou l’autre me conviendrait, mais je n’en vois pas la perspective
avant longtemps. Je parle d’utopies car il n’y a pas de formule magique
pour empêcher en anarcapie l’émergence d’un État central, ni pour empêcher en minarchie un État minimal
de devenir maximal, comme les États d’aujourd’hui. Ce sont donc des
modèles théoriques vers lesquels il faut tendre, mais qui ne seront
peut-être jamais réalisés, ou pas avant des siècles. En effet, la pente
naturelle de toute société est de céder à cette loi éternelle qu’est la loi du plus fort,
et il est impossible d’empêcher le plus fort de s’octroyer la part du
lion (d’où tous les avantages dont bénéficie le secteur public dans tous
les pays, l’impunité totale des dirigeants, le mépris qu’ils ont pour
leurs administrés, leur court-termisme, leur propagande orwellienne, la dette publique
qui matérialise leur irresponsabilité). Mais ce qu’il faut incriminer
est bien la bêtise du citoyen-électeur, prisonnier de toutes sortes d’illusions, qui croit que la politique est utile et nécessaire : c’est bien là la cause profonde de l’inaptocratie !
AF. Selon toi, le libertarianisme est-il un projet politique ou une éthique de vie ? Ou les deux ?
Le libertarisme est d’abord pour moi un rejet de la politique, ou un
projet anti-politique, car c’est une affirmation de la primauté de
l’individu sur le collectif. C’est aussi une éthique de vie fondée sur
le primat de la volonté individuelle et de la non-agression. Ce n’est
pas une éthique complète, elle ne vous empêche pas d’avoir au surplus
une éthique personnelle, d’être athée ou croyant, végan ou carnivore,
altruiste, égoïste, radin, misanthrope, judéophile, islamophobe, etc.
Comme individualiste radical, j’ai la plus grande méfiance à l’égard
de toutes les entités collectives, sources d’oppression. Seules les
associations volontaires sont légitimes. Libre à vous de vous définir
comme appartenant à telle entité collective (nationale, religieuse,
politique…) et d’y voir une partie de votre identité, libre à moi de
refuser de faire de même, et de refuser qu’au nom de votre
identification à un collectif donné (nation, patrie, congrégation,
syndicat…) vous veniez empiéter sur ma liberté et m’imposer votre point
de vue.
Certains libéraux se gargarisent avec l’État de droit, les institutions, la séparation des pouvoirs,
la « légitimité démocratique », le « contrôle démocratique »,
l’indépendance de la justice, etc. Toute cette machinerie dont ils sont
très fiers (et qui a sans doute quelques mérites historiquement) n’a pas
empêché les États et les institutions (nationales et internationales)
de devenir ce qu’ils sont : de terrifiantes machines à broyer
l’individu, avec prolifération de la bureaucratie, impunité des
irresponsables institutionnels, spoliation généralisée, atteintes
continuelles aux libertés et à la propriété. Alors ils préconisent aux
mécontents de « voter avec leurs pieds »,
comme si les États étaient des copropriétés d’où l’on pouvait
facilement déménager en cas de désaccord, et comme si ces États étaient
les propriétaires ultimes du territoire où ils résident…
Le libertarien conteste les notions d’intérêt général, de biens publics,
constructions ad hoc qui servent à justifier l’oppression. Est récusée
aussi l’idée de nation, de volonté populaire, de cohésion sociale, de
« vivre ensemble », de projet commun, de progrès social, sans tomber
dans un atomisme social (reproche habituel si facile), puisque le
libertarien est en faveur de toute association volontaire.
La tâche du libertarien de mon point de vue n’est pas d’entrer dans
le jeu politique normal et de chercher à être élu. Il n’a pas de modèle
de société de rechange à proposer, mais il exerce une fonction critique à
l’égard de la chose politique, en montrant comment toute action
étatique est immorale, car fondée sur le vol, la coercition, les
privilèges accordés à quelques-uns aux dépens de tous les autres. En
abandonnant la politique politicienne au bénéfice de la philosophie
politique et de l’économie politique, il peut ainsi espérer élever le
« niveau de conscience » (désolé d’employer une expression aussi « New
Age ») de la population en dénonçant l’imposture politique. Appliquer la
loi du plus fort indépendamment de toute éthique, fût-ce au travers de
la démocratie, c’est céder à la facilité : rien ne la justifie, ni la
théorie des biens publics, ni la fiction de l’intérêt général.
Au plan collectif, le libertarisme est un abolitionnisme : il
« suffit » en théorie d’abolir les législations liberticides,
c’est-à-dire 99 % des lois, alors que la tendance est au contraire à
l’empilement législatif, au bénéfice direct des politiciens, juristes,
lobbyistes, assistés, groupes de pression et minorités tapageuses, etc.,
sans parler du capitalisme de connivence
qui a pris une ampleur démesurée de nos jours (la PME du coin peut bien
crever sous les charges, mais il faut sauver telle grande entreprise ou
telle banque au nom de l’intérêt national, ce cache-sexe de la
corruption cleptocratique).
Au plan individuel, le libertarien peut rechercher un affranchissement personnel, en usant du « droit d’ignorer l’État » et du passivisme. Quelques outils existent : on peut quitter la Sécu (en France), utiliser Bitcoin, faire jouer la concurrence à tous les niveaux, pratiquer l’agorisme, la désobéissance civile, etc., mais on est encore loin du compte pour ce qui est des moyens disponibles.
AF. Comment es-tu devenu libertarien ? As-tu toujours été
libertarien ? Si non, quelles étaient tes positions politiques
antérieures ?
Quand on n’a pas de principe directeur, de philosophie politique,
c’est l’émotionnel qui domine, et l’on est pris au piège d’illusions
telles que la nation, les acquis sociaux, le progrès social, la justice…
C’est ce qui se passe en politique française, où il n’y a plus d’idées,
que de l’émotionnel et des querelles de personnes. Le cycle
interventionniste a été bien décrit par les libertariens : il y a un
« problème » à résoudre, d’où une intervention étatique, qui créera
d’autres problèmes dans une spirale sans fin. Tout cela est absurde,
sauf pour les politiciens qui y trouvent leur raison d’être, car « l’art
de la politique consiste à masquer la destruction de richesse par
l’enfumage des victimes » (corollaire de Nasr Eddin Hodja à la loi de Bitur-Camember).
Je suis donc sorti, bien péniblement car rien ne vous y aide (surtout
quand vous êtes un produit des « grandes écoles » à la française), de
toutes les illusions étatistes, sans pour autant tomber dans un utopisme
libertarien (pas de Matrice de rechange quand vous êtes sortis de la
Matrice). La clé a été pour moi le postulat de la volonté individuelle, et le critère du consentement
appliqué à tous les rapports sociaux. La critique libertarienne montre
que le roi est nu, qu’on n’a pas besoin de lui, que le mensonge et le
vol ne changent pas de nature parce qu’ils ont reçu l’onction politique
ou étatique. Le libertarien a pour vocation de devenir le poil à gratter
du conformisme politique (y compris libéral).
AF. Quels individus, vivants ou morts, inspirent ton engagement ?
Je me réclame de la philosophie transcendantale (celle qui part du primat de la conscience) et du volontarisme,
dans le sillage difficile de Spinoza, Kant, Schelling et Schopenhauer.
L’avantage et en même temps le défaut d’une telle philosophie est qu’on
se place dans l’intemporel, on néglige un peu les théories
évolutionnistes parce qu’on a tendance à penser qu’il n’y a
jamais « rien de nouveau sous le soleil »…
Il me faut citer Max Stirner,
qui dénonce l’État comme nouvelle divinité, ancrée davantage dans les
têtes qu’établie dans les faits ou légitimée par ses succès. La royauté
de droit divin et l’assertion que « tout pouvoir vient de Dieu » ont
laissé des traces, on a juste remplacé le roi par la nation, tout cela
pour aboutir à une oppression bien pire que sous l’Ancien régime. Il y a
encore des gens qui croient que tout ce que fait l’État est bien,
puisque cela résulte de la « volonté générale » ! Ou que l’État a une
vision à long terme, qu’il est indispensable pour fournir tel service
dit « public », voire qu’il est la source de toute civilisation et de
tout progrès…
Arthur Schopenhauer,
plus connu comme métaphysicien (offrant un trait d’union unique entre
Occident et Orient), établit un lien fort entre métaphysique, éthique et
politique. La politique n’est plus alors que la façon d’assurer la
coexistence des volontés individuelles, en imposant le principe de
moindre agression, chaque volonté étant respectable dès qu’elle n’en
agresse pas une autre. D’où déjà la critique du paternalisme étatique, tout autant que du collectivisme (que Schopenhauer dénonce chez Hegel
de façon prémonitoire !). On aboutit à des positions assez proches de
celles de Rand ou Rothbard, en partant de postulats diamétralement
opposés (réalisme empirique kantien au lieu du réalisme aristotélicien).
Après cela, les libertariens du XXe siècle, Rothbard, Friedman, Rand,
etc., n’ont fait que développer à l’extrême et de façon systématique ce
qui était déjà en germe au XIXe siècle, décrit par Bastiat (ce qu’on
voit et ce qu’on ne voit pas) ou Molinari (l’État comme producteur monopolistique, très inefficace, de sécurité). Avec le temps, je crois davantage à une société multiculturelle et multi-juridique à la Friedman qu’à une société où régnerait un « droit naturel » uniforme à la Rothbard.
AF. Quelles sont les 3 valeurs les plus importantes à tes yeux ?
C’est peut-être le livre de Pascal Salin,Libéralisme
(2000), celui qui m’a le plus efficacement ouvert les yeux. « Encore un
livre politique, donc arbitraire, partisan et sectaire » m’étais-je dit
en l’ouvrant, plutôt sceptique. Mais non, tout au long du livre on
applique une seule logique, la logique de la liberté, et une
extraordinaire cohérence s’en dégage ! On est très loin des ouvrages
politiques habituels, écrits par les politiciens, leurs nègres ou leurs
épigones, où les intentions généreuses cachent sous de belles phrases la
coercition et la dictature molle nécessaires pour faire appliquer les
idées.
AF. Ta citation libertarienne préférée ?
Il y aurait des dizaines de citations toutes aussi valables les unes que les autres…
– « Il ne faut pas que le peuple s’attende à ce que l’État le fasse vivre puisque c’est lui qui fait vivre l’État. » (Frédéric Bastiat)
– « Ils veulent être « bergers », ils veulent que nous soyons «
troupeau ». Cet arrangement présuppose en eux une supériorité de nature,
dont nous avons bien le droit de demander la preuve préalable. » (Frédéric Bastiat)
– « L’État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en
lui et m’impose un credo, le credo de la légalité. Il exerce sur moi une
influence morale, il règne sur mon esprit, il proscrit mon moi pour se
substituer à lui comme mon vrai moi. » (Max Stirner)
– « L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids : il
ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi,
l’État, je suis le Peuple. » » (Friedrich Nietzsche)
– « Il n’y a point d’alchimie politique à l’aide de laquelle on puisse transformer des instincts de plomb en une conduite d’or. » (Herbert Spencer)
– « L’État n’est que la muselière dont le but est de rendre
inoffensive cette bête carnassière, l’homme, et de faire en sorte qu’il
ait l’aspect d’un herbivore. » (Arthur Schopenhauer )
– « Pour un libéral, l’État minimal est le plancher ; pour un libertarien, il est le plafond. » (Patrick Smets)
AF. En tant que libertarien, quelle est ton analyse sur la situation socio-économique et politique en Suisse et en Europe ?
L’Europe est bien avancée sur la route de la servitude
hayékienne, et la Suisse, trahie par ses élites, court derrière elle
avec quelques années de retard. Comme on pouvait s’y attendre, le
problème du surendettement étatique a été réglé partout, non par
l’austérité ou la réduction du périmètre étatique, mais par la planche à
billets. Tout le monde sait que ça finira très mal (d’où le marasme
actuel où cet effondrement de la société est inconsciemment pressenti)
mais on ne sait pas quand l’écroulement aura lieu, ni si ce sera
uniquement pour des raisons économiques (faillite générale) ou
socio-politiques (dictatures nationales ou supranationales, fanatisme
nationaliste ou révolutionnaire, expansion du totalitarisme islamique…).
La gangrène étatique s’étend aujourd’hui sur toute la société, et
quasiment tous les domaines d’activité sont touchés. Quelques exemples
dans des domaines auxquels je m’intéresse. La santé, avec une sécurité
sociale de type soviétique en France, et crypto-soviétique en Suisse
avec la LAMal, qui interdit de s’assurer hors de Suisse (alors que même
en France c’est possible) ! L’enseignement public, à la fois uniformisé
dans sa partie obligatoire (promotion des cancres et rabaissement des
doués) et prébendaire dans sa partie universitaire, déconnectée de
l’économie (avec des matières qui ne servent qu’à faire vivre le
professeur qui les enseigne). La science, que l’on aurait pu croire
objective et détachée de la politique, est en fait une science étatisée,
où prolifèrent les gaspillages et les fromages (changement climatique
prétendument d’origine anthropique, projets inutiles et pharaoniques
comme ITER, théories-fromages qui ne servent qu’à donner une occupation
aux scientifiques, comme la théorie des cordes en physique, sciences
dites « sociales », etc.).
AF. Envie d’ajouter quelque chose ?
Je rappelle l’existence de mon livre gratuit Faut-il avoir peur du libéralisme ?,
qui est une description assez équilibrée du libéralisme, mais qui sera
jugée extrémiste si l’on est étatiste, et trop modérée si l’on est
libertarien.
Je publie en 2016 un petit livre La pensée bouddhiste (son titre d’origine : « Métaphysique bouddhique » a été jugé trop rebutant par l’éditeur, Almora…)
où j’essaie de combattre pas mal d’idées reçues sur cette philosophie,
qui est la mienne, au travers du prisme de la philosophie
transcendantale occidentale.
Je soutiens l’initiative suisse « monnaie-or »
(ex « franc-or ») qui vise à mettre en circulation une monnaie
parallèle reposant sur l’or. Un des critères permettant de reconnaître
un État vraiment libéral (on en cherche toujours !) serait celui d’une
liberté monétaire complète (autres critères : non pénalisation des
crimes sans victimes ; État géré comme une entreprise ; liberté
d’expression absolue).
Enfin, je plaide pour des débats libertariens où l’on éviterait
autant que possible des sources de dissension classiques, qui sont de
deux sortes : éthiques et métaphysiques. Éthiques : vous avez le droit
de soutenir n’importe quelle éthique (conservatrice, écologique,
solidariste…) du moment que vous ne cherchez pas à l’imposer à autrui
(excepté quand il s’agit de l’éthique minimale de la non-agression).
Métaphysiques : vous ne devriez pas utiliser des arguments métaphysiques
dans un débat libertarien, qu’il s’agisse de la « loi naturelle », de
Dieu, de la providence (Bastiat !), du contrat social (Hobbes, Locke,
Rousseau !), de la dignité humaine (Kant !) ou même (plus subtil) du
libre arbitre ou d’une quelconque « nature humaine ». De telles
hypothèses risquent d’affaiblir votre argumentation (sauf avec ceux qui
partagent les mêmes conceptions) et de mettre un terme au débat, ce qui
est dommage car on peut parvenir à des conclusions libertariennes
identiques à partir de postulats très différents.
Thierry Falissard vit à Lausanne. C’est un dinosaure de l’informatique qui lit, écrit et
rumine. Il vit heureux en attendant la mort et participe à la rédaction
de l’encyclopédie Wikibéral quand il neige trop dehors.
Thierry Falissard, né en 1959, est un libertarien français vivant en Suisse. Ingénieur de formation (Ponts 81'), il a fait toute sa carrière dans l’informatique, en se spécialisant sur les mainframes.
La pensée bouddhiste - métaphysique de la délivrance, éd. Almora, 2016
Citations
La peur de la liberté est-elle autre chose qu’une peur de soi-même ?
La “dépense publique” est une vache sacrée ; le contribuable est une vache qu’on trait.
Le libertarien s’époumone en vain à crier que le roi est nu,
malgré son pouvoir presque absolu, et que ses sujets, malgré leur
prétendue « conscience citoyenne », sont ignorants, complaisants,
profiteurs ou mus par l’éternel démon de la jalousie sociale.
Le marché de la stupidité humaine recoupe pour une très large part un autre marché : le marché politique.
L'art de la politique consiste à masquer la destruction de
richesse par l'enfumage des victimes. (corollaire de Nasr Eddin Hodja à
la loi de Bitur-Camember)
Contrat social : c'est un contrat sans contractants mais qui dit que tout le monde perd ses droits de par le consentement de tout le monde...
"A long terme, nous sommes tous morts" : excuse keynésienne. "A long terme, nous sommes tous ruinés" : réalité keynésienne.
Cela prendra peut-être des siècles, mais on passera un jour
d’une société d’oppression et de pauvreté à une société de liberté et de
prospérité, par abolition des deux principales activités de l’État :
l’interventionnisme et l’injustice par la loi. (Un État gagnant ? L’État abolitionniste !, Libres !!)
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
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Sommaire:
A) Comment nous sommes tous devenus libéraux par Daniel Benamouzig - Christian Laval, L’homme économique. - la vie des idées.
B) Utilitarisme de Wikiberal
C) Ultralibéralisme, libéralisme et néolibéralisme - Le blog de Christian Laval - Médiapart
D) Ultralibéralisme de Wikiberal
E) Néolibéralisme de Wikiberal
A) Comment nous sommes tous devenus libéraux
Pour Christian Laval, le
néolibéralisme contemporain poursuit un projet non seulement économique
et politique, mais également moral et in fine anthropologique.
Les principes libéraux de l’intérêt et de l’utilité ont opéré une
« transvaluation des valeurs », dont les ressorts se mettent en place
entre le XVIIe et le XIXe siècle, en bouleversant les représentations
que l’homme occidental se fait du monde et de lui-même.
Qu’on ne s’y trompe pas, si l’ouvrage de Christian Laval s’intitule L’homme économique, ce titre n’est pas une simple traduction du fameux homo œconomicus,
cher aux économistes et à leurs détracteurs. L’expression est à prendre
au sérieux : selon l’auteur, le développement de l’économie libérale
s’est accompagné d’une transformation radicale des fondements
anthropologiques de l’Occident. L’homme en est sorti transformé : il est
devenu économique.
Vidéo ci-dessous: http://www.dailymotion.com/video/x3zshy_christian-laval-l-homme-economique_news À une ancienne anthropologie, héritière de l’antiquité et du
christianisme, a succédé une nouvelle normativité, dont le libéralisme
contemporain est aujourd’hui le descendant. L’ancienne anthropologie
valorisait une forme de passivité, de gratuité ou même de désœuvrement,
typiquement chrétiens, ou bien une forme d’honneur, attachée aux valeurs
guerrières de la noblesse. La nouvelle anthropologie valorise un moi
actif et productif, intéressé et calculateur. Ces valeurs se sont
développées à partir de la sphère économique mais se sont plus largement
répandues dans l’ensemble de la vie sociale. Ses expressions se donnent
à lire aux confins de la morale, de la religion, de l’économie, de la
philosophie et de la politique. Christian Laval les débusque chez des
auteurs canoniques, comme Bernard Mandeville, Adam Smith, Claude-Adrien
Helvétius ou Jeremy Bentham, aussi bien que chez des auteurs moins
fréquentés, comme Giovanni Botero, Jacques Esprit ou Dugald Stewart. Avec cet ouvrage dense, Christian Laval s’inscrit dans une longue
tradition. Après des auteurs classiques comme Karl Marx, Max Weber ou
Werner Sombart, ou plus contemporains, comme Michel Foucault ou Albert
O. Hirschman, il explore les liens qui associent l’émergence du
capitalisme, du libéralisme et de l’utilitarisme à la formation de
nouvelles valeurs et de nouvelles représentations. Cette généalogie
morale et intellectuelle du libéralisme donne une certaine ampleur aux
travaux que Christian Laval consacre depuis plusieurs années à
l’histoire de l’utilitarisme, et plus généralement à l’histoire des
sciences sociales. Elle éclaire des transformations intervenues entre le
Moyen-Âge et la période contemporaine, le cœur de l’analyse portant sur
une période allant du XVIIe au XIXe siècle. Composé de chapitres en partie indépendants, l’ouvrage s’articule
autour de deux principaux moments. Partant du capitalisme médiéval, une
première série de chapitres explore les origines sociales et
intellectuelles de l’utilitarisme. La seconde partie analyse ses
principales expressions intellectuelles, jusqu’à la contribution de
Jeremy Bentham. Les travaux d’auteurs postérieurs sont convoqués
ponctuellement, au titre de prolongements.
Aux sources de l’intérêt
Christian Laval commence par reprendre à son compte l’épopée du
capitalisme médiéval et de ses pratiques économiques. Comme on sait, ces
dernières font appel à des savoirs, des techniques et des pratiques
commerciales qui laissent une place inédite au calcul. L’auteur insiste
sur les valeurs associées à ces techniques, jusque dans la recherche
pieuse du salut (chapitre 1). Les marchands ne sont pas les seuls
acteurs impliqués dans le développement d’une logique de l’intérêt. A
partir du XVIe siècle, les théoriciens de l’Etat apportent une
contribution décisive, en instituant l’intérêt comme véritable
« intégrateur politique » (chapitre 2). Dans un contexte de guerres des
religions, l’utilité publique n’est plus directement liée à la
religion, elle est pensée en référence aux intérêts des individus, pour
lesquels l’Etat apparaît comme un lieu politique de convergence. Placés
dans des rapports de rivalité nationale, les Etats sont eux-mêmes pensés
comme des acteurs intéressés, à travers la doctrine de la souveraineté.
Enfin, la poursuite de l’utilité devient une finalité économique
collective, dont le caractère politique est exprimé par le
mercantilisme. L’intérêt devient la clé du pouvoir et de la paix civile. Après les marchands et les gens d’Etat, les moralistes installent la
notion d’intérêt au cœur des représentations. A ce propos, Christian
Laval signale un « grand retournement » – entendu dans le sens
quasi-nietzschéen d’une transvaluation des valeurs – auquel il consacre
quelques belles pages (chapitre 3 et 4). Le privilège reconnu à la
notion d’intérêt est associé à la morale du Grand siècle, singulièrement
au jansénisme et au puritanisme. L’intransigeante dépréciation morale
de l’« amour propre » et de la vanité humaine induit une nouvelle
lecture des comportements, plus facilement perçus comme l’expression
travestie de l’intérêt, qui apparaît comme le ressort ultime des actions
humaines. Sous le regard sans complaisance des moralistes, même les
Grands, réduits à l’état de courtisans, semblent se vautrer dans la
mesquinerie des intérêts. Prise dans son ensemble, la vie en société
exige de « régler » le jeu des convoitises et des vanités. Bien avant
les théoriciens de l’économie moderne, les principes explicatifs et
normatifs du « marché de l’estime » et des intérêts personnels prennent
forme et consistance, sur un terrain de moins en moins moral, de plus en
plus réaliste. Forçant le trait jusqu’à la polémique, le calviniste
rigoriste Bernard Mandeville n’a plus qu’à montrer, au début du XVIIe
siècle, dans sa fameuse Fables des abeilles, à quel point la
logique de l’intérêt est non seulement partout présente, mais aussi
avantageuse, sinon moralement du moins socialement. Les principes de
l’utilitarisme sont posés. Leur développement est l’affaire des
décennies suivantes.
Les logiques de l’utilité
L’utilitarisme fait fonds sur une valorisation inédite de l’action.
Avant d’être économique ou politique, l’action est une valeur morale,
déclinée à travers le statut singulier reconnu aux passions (Chapitre
5). Certes la logique de l’intérêt appelle en principe la régulation
bien tempérée, et pour ainsi dire « bourgeoise », d’un système de
mesures associant poids et contre-poids. Mais elle se fonde aussi sur le
souci moral – moins souvent relevé – de renforcement du plaisir, de
« maximisation », allant parfois jusqu’à la passion et à l’excès. Au
XVIIIe siècle, la nouvelle valeur de l’action est en outre associée à
des principes matérialistes, qui lui offrent un support concret, le
corps. C’est à partir du corps que sont indexés les mesures et calculs
de l’intérêt. La sensibilité humaine, la souffrance et les jouissances,
les plaisirs et les peines apparaissent comme les marqueurs les plus
sûrs de l’intérêt. C’est à travers eux que toute valeur peut être
appréciée. Et Christian Laval de reprendre les débats classiques sur la
valeur, en soulignant la tension entre les théories de la valeur
intrinsèque, liée à la quantité de travail incorporée, et celles de la
valeur d’usage, rapportée à la jouissance qui peut en être dérivée
(chapitre 6). L’appréciation de la valeur passe par un calcul monétaire,
qui permet non seulement la mensuration adéquate des états sensibles
mais rend aussi possible la prise en compte des anticipations, des
peines et des plaisirs imaginés. La mise en relation du calcul et des « expectations »
débouche sur une représentation probabiliste de l’action, développée
par Hume et par Bentham. Elle s’applique à la sensibilité propre de
l’individu comme au comportement d’autrui. Elle peut le cas échéant être
reprise à son compte par l’Etat, en cas de défaillance des individus. A
ce stade, le raisonnement économique ne se limite plus à la sphère des
biens matériels ou des échanges marchands, il s’étend à l’ensemble des
comportements humains, appréhendés dans toute leur généralité (chapitre
7). A cette nouvelle anthropologie, sont associés de nouveaux principes
d’organisation sociale. Ils se traduisent par un déplacement : des
principes anciens, caractérisés par la verticalité de la transcendance
divine et du regard asymétrique que les gouvernants portent sur les
gouvernés, sont remplacés par de nouveaux principes, plus immanents. Ces
derniers consacrent l’autonomie des relations sociales « spontanées »,
tissées au sein du marché, et des rapports de pouvoir horizontaux,
soutenus par la surveillance réciproque des individus dans une société
aspirant à la transparence (chapitre 8 et 9). Ces principes
s’accompagnent d’un usage renouvelé de certains « instruments », dont le
statut d’outils est spécifiquement mis en avant. Le rôle de la monnaie
est à cet égard bien connu. Christian Laval souligne aussi celui du
langage, à travers la théorie des fictions de Bentham en particulier.
Dans des pages captivantes, l’auteur montre comment Bentham abandonne
une « conception strictement référentielle du mot isolé » pour une
conception holistique prenant en compte les usages pratiques du langage,
et envisageant la possibilité de le réformer à des fins pratiques.
W.V.O. Quine y a vu rien moins qu’une « révolution copernicienne ».
Le libéralisme, et après ?
Cette savante mise au jour des racines du libéralisme conduit à
revisiter une histoire familière aux sciences sociales, en insistant sur
sa dimension morale, normative et finalement anthropologique. Cette
fresque recomposée, Christian Laval se demande en conclusion quelle
posture critique imaginer. Pour ce faire, il propose de distinguer le néolibéralisme de ses
racines, car ces dernières offrent des ressources critiques dont
témoigne la variété des expressions du libéralisme au cours des derniers
siècles. Indispensable compagnon de route du libéralisme, l’Etat est
tout d’abord l’objet de considérations cycliques, qui conduisent à le
réhabiliter de manière régulière. A un autre niveau, les principes
anthropologiques du libéralisme accordent une place à des conceptions
moralement et politiquement libérales du lien social, dont témoignent
des expressions progressistes de l’utilitarisme, confinant parfois au
socialisme. Au-delà de l’identification des ressources internes au
retournement anthropologique libéral, l’auteur entend aussi caractériser
les spécificités du moment actuel, au sein duquel le libéralisme n’est
plus tant conçu comme une voie d’émancipation, attachée à l’idée de
progrès, que comme une dynamique désenchantée, lourde de contractions et
de difficultés. Enfin, le caractère anthropologique du libéralisme
conduit Christian Laval à situer la critique sur un terrain proprement
anthropologique, ouvert par Marcel Mauss dans son Essai sur le don
et aujourd’hui prolongé par le courant anti-utilitariste. En lieu et
place d’un lien social fondé sur l’intérêt des individus, l’auteur
défend une conception de l’homme appréhendé comme « sujet de désir »,
engagé, dans ses relations avec autrui, dans le régime de la
réciprocité, du don et du contre-don. Au total, l’ouvrage est animé par une véritable ambition
intellectuelle. S’inspirant des grands textes sociologiques, et se
référant souvent à Marx, y compris pour s’en démarquer, il identifie un
processus historique capable de rendre raison de grandes transformations
sociales. Il se distingue à ce titre d’une littérature sociologique
souvent rivée à des objets partiels, aussi bien que d’une prose
post-moderniste prenant facilement congé des grands récits. Pour autant,
la thèse générale est desservie par quelques limites. Soucieux de faire
converger les ressources qu’il mobilise dans un récit dont il
reconstitue les étapes, Christian Laval présente une thèse bien plus
qu’il ne la démontre. Les auteurs mobilisés sont choisis et interprétés
dans un sens systématiquement favorable à la thèse avancée. Si des
éléments contradictoires sont parfois signalés, c’est seulement pour
indiquer le caractère non linéaire des « trends » identifiés. La
même limite apparaît à travers le matériau pris en compte. Alors que les
premiers chapitres accordent une certaine place aux transformations
sociales et historiques, liées aux pratiques médiévales, la réalité
empirique disparaît dès le second chapitre derrière les propos des
auteurs convoqués. Bien qu’elle vise une transformation anthropologique,
intéressant en principe non seulement les représentations savantes,
mais aussi les représentations profanes et les réalités mêmes, la thèse
se fonde sur une enquête presque exclusivement internaliste, appuyée sur
les seules productions intellectuelles d’esprits généralement éminents,
mais de ce fait même assez singuliers. Enfin, la conclusion ne manque
pas d’étonner, tant l’appel ultime à l’anti-utilitarisme paraît quelque
peu dérisoire au regard de la forte empreinte laissée par la lecture
historique de l’emprise de l’utilitarisme dans nos sociétés occidentales
et au-delà. De manière plus incidente, on remarquera que l’auteur
consacre au fil des développements des pages passionnantes à certains
auteurs, comme Helvétius, ou à certaines thématiques, comme la
philosophie du langage de Bentham. L’ouvrage se distingue plus
généralement par la maîtrise des textes composant la tradition
utilitariste, et par le souci remarquable de les interroger et de les
mettre en perspective pour notre temps.
par Daniel Benamouzig est sociologue, diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Paris, il est Chargé de recherche au CNRS au Centre de Sociologie des Organisations (CNRS, Sciences Po). Il travaille sur des questions de sociologie politique, de sociologie de la connaissance et de sociologie économique, notamment à propos de questions relatives à la santé. Il a publié, avec François Cusin, Économie et Sociologie (2004 PUF) et La santé au miroir de l’économie (2005, PUF). Présent dans différents comités de lecture ou comités scientifiques de revues (Raisons Pratiques, Revue Française des Affaires Sociales, Pratiques et Organisation des Soins), il est membre de la Commission d’évaluation économique et de santé publique à la Haute Autorité de santé et anime avec Olivier Borraz et Sandrine Lefranc le Réseau Thématique Pluridisciplinaire « société en évolution, science sociale en mouvement » (CNRS, ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur).
Christian Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du libéralisme. Paris, Gallimard, Collection NRF essais, 2007, 396 pages, 24,90 euros.
Christian Laval est sociologue et a publié L’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme (Gallimard, « NRF essais », 2007). Tous deux sont les auteurs, avec El Mouhoub Mouhoud, de Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel
(La Découverte, 2007). Depuis 2004, ils animent le groupe d’études et
de recherche « Question Marx » qui entend contribuer au renouvellement
de la pensée critique.
B) Utilitarisme de Wikiberal
L'utilitarisme est une doctrine éthique (dans le sens comportemental) qui pose en hypothèse que ce qui est « utile » est bon et que l'utilité peut être déterminée d'une manière rationnelle. Le père de cette philosophie est Jeremy Bentham. C'est cependant avec l'apport de John Stuart Mill que l'utilitarisme devient une philosophie véritablement élaborée.
C'est lui qui introduisit le vocable en 1871
et qui tira de ce principe les implications théoriques et pratiques les
plus abouties. Le principe éthique à partir duquel il jugeait les
comportements individuels ou publics était l'utilité sociale. Pour
reprendre la formule bien connue, « le plus grand bonheur du plus grand
nombre ».
Le postulat de départ de la théorie utilitariste est que le bien
éthique constitue une réalité constatable et démontrable. On peut le
définir à partir des seules motivations élémentaires de la nature
humaine : son penchant « naturel » à rechercher le bonheur, le plaisir
et à esquiver la souffrance. Ce principe est formulé ainsi par Bentham :
« La nature a placé l'humanité sous l'empire de deux maîtres, la
peine et le plaisir. C'est à eux seuls qu'il appartient de nous
indiquer ce que nous devons faire comme de déterminer ce que nous
ferons. D'un côté, le critère du bien et du mal, de l'autre, la chaîne
des causes et des effets sont attachés à leur trône. (Principes de la morale et de la législation, 1789)
Les utilitaristes prétendent ainsi régler des problèmes sociaux très anciens :
quels principes guident les comportements des individus ?
comment les intérêts individuels peuvent-ils être conciliés entre eux ?
comment les intérêts individuels s'accordent-ils avec ceux de la communauté ?
Le principe de l'antagonisme du plaisir et de la peine répond ainsi à
l'ensemble de cette problématique. L'utilitarisme affirme qu'il ne peut
y avoir de conflit entre l'intérêt de l'individu et celui de la
communauté, car si l'un et l'autre fondent leur action sur
l'« utilité », leurs intérêts seront identiques. Cette démarche joue sur
tous les plans de la vie sociétale : religieux, économique, éducatif,
dans l'administration, dans la justice, ainsi que dans les relations
internationales.
Dans des conditions de concurrence pure et parfaite, tout acteur économique ne recherchant qu'à maximiser sa satisfaction individuelle, les démonstrations mathématiques prouvent un optimum social.
Perspective économique
On retrouve parmi les théoriciens de l'économie quelques disciples de l'utilitarisme en particulier John Austin, James Mill, Herbert Spencer et John Stuart Mill qui ont marqué durablement l'histoire de la pensée économique.
L'utilitarisme permet de déterminer le comportement des acteurs
économiques, en particulier dans le cas de la théorie micro-économique
du consommateur. Tout individu essaie d'obtenir le maximum de
satisfaction de sa consommation. Il va donc optimiser l'utilité qu'il
retire de sa consommation, compte tenu de sa contrainte budgétaire.
Les difficultés méthodologiques de l'utilitarisme
L'avantage apparent des théories utilitaristes est qu'elles n'ont aucun a priori
sur ce que devraient être les règles de vie en société ou
l'organisation sociale optimale. Elles tendent à ramener toutes les
questions sociales, sans préjugé, à un ensemble d'équations mathématiques
dont la résolution devrait permettre aux "ingénieurs sociaux" que sont
les politiciens de diriger leur action pour "faire le bonheur du
peuple".
Malheureusement la notion d'utilité personnelle, qui reste
subjective, et celle d'utilité collective, qui est définie
arbitrairement, se prêtent mal à un tel schématisme.
Les principales difficultés méthodologiques de l'utilitarisme sont les suivantes :
comment définit-on l'intensité de l'utilité pour chaque
individu ? Je préfère les poires aux pommes (préférence ordinale),
cependant entre 3 pommes et une poire, je préfère avoir les 3 pommes :
l'intensité mesure de combien je préfère les poires aux pommes ;
le point précédent étant supposé acquis, comment compare-t-on
les différentes intensités individuelles ? Les comparaisons
interpersonnelles semblent impossibles, car les mesures d’intensité
restent relatives à chaque individu (voir aussi subjectivité de la valeur);
les points précédents étant supposés acquis, comment
agrège-t-on les utilités pour définir une "utilité collective" :
pourquoi serait-elle la somme des utilités individuelles plutôt que leur
moyenne, ou autre chose encore ?
Il semble que toute théorie utilitariste soit forcée de faire des
choix plus ou moins arbitraires sur les points énoncés, choix variables
selon les écoles, ceci sans préjuger de la difficulté de la tâche
préalable qui consisterait à mesurer, en pratique, les utilités des
personnes d'une population donnée.
Différentes écoles
L'utilitarisme n'est pas une école monolithique, et on y trouve
différentes façons d'aborder les difficultés méthodologiques propres à
la doctrine (comment mesurer les niveaux de bien-être ? chaque individu
a-t-il une échelle unique d'évaluation ? peut-on comparer entre elles
les échelles de différents individus ?) :
utilitarisme classique (Bentham, Mill) : on s'intéresse à la
somme des niveaux de bien-être des individus (inconvénient : on ignore
les grandes différences de bien-être qui peuvent exister entre les
individus)
utilitarisme moyen : on s'intéresse au niveau moyen de
bien-être des individus (inconvénient : on est insensible à la variation
du volume de la population)
utilitarisme à seuil : on cherche à maximiser la somme des
utilités (utilitarisme classique) mais en imposant une contrainte sur le
niveau moyen, qui doit être supérieur à un minimum (le but est
d'empêcher la misère)
utilitarisme nashien (du nom du mathématicien-économiste John Nash) : on cherche à maximiser le produit des utilités
l'économie du bien-être parétienne, qui abandonne l'hypothèse de comparabilité interpersonnelle et repose sur la notion d'optimum de Pareto
(un choix est optimal au sens de Pareto quand la situation d'une
personne ne peut être améliorée sans détériorer la situation d'une autre
personne)
théorie du choix social (Abraham Bergson, Kenneth Arrow, Amartya Sen) : généralisation de l'approche parétienne,
les préférences des individus sont comparées sur la base de règles de
majorité (une option est socialement préférable à une autre si une
proportion plus importante d'individus la préfèrent)
La pensée moderne
Ces théories vont se retrouver dans les ouvrages de l'École classique et avoir des prolongements dans les théories de Friedrich von Hayek et chez les « nouveaux économistes » qui vont, notamment, influencer les politiques économiques de Margaret Thatcher et Ronald Reagan ; répandue chez les économistes de la fin des années 1970, cette théorie va devenir dominante dans la société toute entière.
Les critiques traversent de nombreux courants de pensées, des mouvements écologistes, aux théoriciens de l'anti-utilitarisme et aux mouvements alter-mondialistes : les valeurs pronées, d'une société sans justification supérieure, par les tenants de l'utilitarisme ressassant sur l'individualisme.
En pratique, les hommes politiques et l'administration publique
adoptent souvent dans leur mode de décision une approche à caractère
utilitariste, quand des considérations politiciennes ou clientélistes
plus classiques n'entrent pas en jeu : par exemple, pour savoir à partir
de combien de morts ou d'accidents il faudrait modifier un carrefour en
ville ou un segment d'une route nationale. Le "coût" des morts est mis
en balance avec le coût des travaux nécessaires pour éviter de futurs
accidents. Ce calcul mené par un acteur monopolistique agissant dans
l'impunité est évidemment arbitraire, et échappe à toute rationalité
économique, celle d'un marché totalement libre (qui tiendrait compte du
coût des indemnités pour les assurances, des éventuels procès contre le
propriétaire de la route, etc.).
L'importance accordée aux données macroéconomiques telles que le produit intérieur brut
résulte de l'influence de l'utilitarisme auprès des hommes de l’État et
de sa propension à toujours essayer de mesurer des données subjectives
intrinsèquement non mesurables. Pour les économistes libéraux, utiliser
le PIB comme mesure d'une "utilité" qu'il faudrait chercher à maximiser
est une erreur profonde.
Critique libérale
Pour une bonne part des libéraux, l'utilitarisme n'est pas
acceptable, car il pose qu'une action se justifie nécessairement par ses
conséquences (éthique
conséquentialiste), ce qui n'est qu'une version pseudo-scientifique du
bien connu "la fin justifie les moyens", fondement même du raisonnement
criminel. Pour les libertariens, le principal défaut de l'utilitarisme est qu'il permet de justifier l'interventionnisme étatique.
Pour un utilitariste, les droits fondamentaux auxquels sont
attachés les libéraux n'entrent en jeu qu'en fonction des conséquences
qu'ils peuvent produire : ils sont des instruments plutôt que des buts.
L'utilitarisme pourrait ainsi très bien justifier une société raciste ou
ségrégationniste : en effet, les préférences des individus doivent être
respectées et prises en compte dans le calcul de l'utilité, aussi rien
n'empêche qu'elles soient discriminatoires. On pourrait même
théoriquement justifier l'assassinat des personnes les plus malheureuses
de la société, car cela augmenterait la quantité de bonheur totale.
L'utilitarisme reste cependant une composante importante de la
pensée libérale, et les raisonnements utilitaristes suivent souvent les
assertions déontologiques, comme une conséquence logique de ces
dernières (le juste produit le bien). Tel est le point de vue de Hayek,
les normes sociales émergeant pour lui d'un processus de sélection par
le système social, en vue d'une maximisation du bien-être global.
de par le lien fort qui semble exister entre bonheur et
liberté, l'utilitarisme a un intérêt pour les libéraux ; même s'il n'est
pas "prouvé", il peut s'avérer utile ;
l'efficacité économique a une relation avec le bonheur, et elle constitue un critère qui permet de dégager des règles significatives d'un point de vue utilitariste ;
une règle ou une loi qui accroît le bonheur n'est pas forcément juste, mais cela plaide fortement en sa faveur ;
un accroissement du niveau de bien-être global a très
probablement des conséquences positives pour chaque individu, même si ça
peut être à long terme.
Publications
2003,Frederick Rosen, "Classical Utilitarianism from Hume to Mill", London and New York: Routledge
C) Ultralibéralisme, libéralisme et néolibéralisme
La confusion largement répandue entre néolibéralisme et
libéralisme désarme la gauche, alimente l’extrême droite, permet tous
les déguisements à droite. La gauche dite gouvernementale en paie
aujourd’hui le prix.
La gauche au gouvernement prétend s’opposer à
« l’ultralibéralisme » ou aux « excès de la finance », mais elle invoque
elle-même un « principe de compétitivité » présenté comme parfaitement
neutre sur le plan idéologique, parce que parfaitement commandé par la
situation. Or l’épouvantail de l’ « ultralibéralisme » ne marche plus à
gauche. La raison en est simple : l’exercice du pouvoir depuis 2012 a
amplement montré que le gouvernement dit de gauche mène, dans la
parfaite continuité avec le quinquennat précédent, une politique que
l’on ne peut qualifier autrement que de « néolibérale ». Les étiquettes
de « social-libéral » ou de « libéral » utilisées pour la critiquer,
tout comme d’ailleurs la profession de foi « social-démocrate » de
Hollande, ne font qu’entretenir la confusion. Mais alors que faut-il
entendre exactement par « néolibéralisme » et en quoi est-il distinct du
libéralisme, « ultra » ou non?
Par « ultralibéralisme » on entend un libéralisme économique radical
favorable à la « jungle du marché ». Selon cette vision, Adam Smith
serait le grand ancêtre qui aurait inspiré cette politique radicale dont
le modèle nous serait venu d’Angleterre (Thatcher) ou des Etats-Unis
(Reagan). En un mot, c’est le capitalisme sauvage qui fait de la
« marchandisation » une loi de l’histoire, du marché une réalité
naturelle et de l’État un parasite dangereux du jeu des intérêts privés.
Le libéralisme serait le refus detoute règle et de toute intervention de l’Etat.
On comprend alors que la gauche, hostile par tradition à la
privatisation des services publics et favorable à une certaine action de
l’État, puisse se présenter comme l’adversaire de ce libéralisme
« ultra ». La gauche ne serait pas libérale parce qu’elle ne serait pas
partisane du « laisser faire ». Le problème est que le néolibéralisme n’est pas le laisser faire.
Avec lui nous n’avons pas affaire à une doctrine qui reconduirait les
vieilles lunes du marché autorégulateur et de la passivité de l’État.
Nous sommes en présence d’une redoutable logique qui transforme toutes
les institutions et tous les champs sociaux pour les plier à la norme de
la concurrence et de la performance. Ce n’est donc pas que tout devient
directement « marchandise ». C’est plutôt que toute la société
doit obéir à la rationalité du marché, jusqu’aux secteurs d’activité
qui ne sont pas directement marchands, jusqu’aux sujets eux-mêmes, tenus
de répondre dans leurs actes et leurs désirs à l’impératif
d’illimitation du « toujours plus ».
Cette transformation devient de plus en plus perceptible, notamment
avec l’emprise croissante des techniques de management dans les
entreprises, les administrations, les hôpitaux, les écoles ou les
universités. L’État ne cède pas du terrain dans son bras-de-fer avec le
marché, pas plus qu’il ne se dissout. Il n’est certes plus l’État
producteur et banquier de l’après-guerre, mais il ne s’est pas pour
autant retiré pour abandonner le capitalisme à sa course folle. C’est
son activité qui a changé. Il est désormais un acteur irremplaçable de
la co-production des normes avec les grandes multinationales et les
institutions internationales. Tel est le vrai sens du chantage à la
« compétitivité ». Le néolibéralisme est d’abord et avant tout un
système de normes introduit à l’initiative de l’État dans les rapports
sociaux et dans ses propres rouages.
La confusion entre laisser faire et néolibéralisme a deux
conséquences : elle consolide à la « gauche de la gauche » un virage de
plus en plus étatiste, nationaliste et protectionniste, puisque le
« retour de l’État » serait la seule manière de combattre les dérives du
capitalisme, elle masque le caractère néolibéral de la politique menée
par le gouvernement, puisque l’activité de l’État témoignerait par
elle-même d’une pureté d’intention.
Pierre DARDOT et Christian LAVAL
Texte paru dans La Croix du 11 avril 2014 sous le titre « au comble
de la confusion entre « libéralisme » et « ultralibéralisme »
Le terme d'ultra-libéralisme ou ultralibéralisme, voire parfois de néolibéralisme,
est une étiquette politique péjorative qui désigne, pour ses
détracteurs, l'adhésion sans réserve à un ensemble de doctrines
économiques libérales. Il est à souligner qu'aucun économiste ni aucun politicien ne se désigne comme ultralibéral. Ces derniers se déclarent plutôt libéraux ou encore libertariens.
Malhonnêteté intellectuelle du terme
François Guillaumat estime que le terme d'ultralibéralisme, inventé par les socialistes pour détourner l'attention des désastres du collectivisme, est triplement malhonnête[1] :
c'est une accusation qui n'ose pas dire son nom (elle insinue
que le libéralisme serait extrémiste, ou du moins que le libéralisme
serait bon à condition qu'il ne soit pas « exagéré ») ;
ce ne sont pas l'injustice ni la restriction des libertés qui
seraient mauvaises, mais l'extrémisme en matière de liberté (alors que
le libéralisme a toujours affirmé que la liberté des uns s'arrête où
commence celle des autres);
le but est, dans la tradition sophistique,
de manipuler les gens par un anti-concept qui ne correspond pas à une
réalité, mais dont le but est de susciter une impression, une émotion
chez l'interlocuteur (en faisant appel à son irrationalité).
Pascal Salin écrit pour sa part dans Libéralisme
que ceux qui parlent d'ultralibéralisme le font « pour suggérer l'idée
que les libéraux sont des extrémistes politiques, proches d'une extrême
droite autoritaire, dont ils sont en réalité aux antipodes ». Cette
confusion sémantique volontaire est facilitée selon lui par l'existence
de deux approches du libéralisme : une approche utilitariste et une approche fondée sur le droit naturel ; tout rejet de l'utilitarisme
conduirait à être « immédiatement taxé d'"ultra-libéralisme" par ceux
qu'on devrait être tenté d'appeler les "ultra-social-démocrates" ou les
"ultra-centristes" »[2] :
“
On saute allégrement à l'identification entre libéralisme et fascisme. L'équation est simple : les libéraux sont à droite, par ailleurs ils sont extrémistes, ils sont donc à l'extrême droite, c'est-à-dire qu'ils sont fascistes. On comprend que les constructivistes
de droite et de gauche aient intérêt à utiliser ces techniques
d'amalgame, car ils sentent bien que les libéraux sont leurs seuls vrais
opposants.
”
Salin considère à l'opposé de la vision utilitariste le libéralisme
comme un tout cohérent, qu'il est impossible de diviser en libéralisme
« avancé », « social » ou « ultra ». Selon lui, il n'y a pas de
libéralisme « hémiplégique »[3].
Cette réfutation du terme d'« ultra-libéralisme » est partagée
par d'autres penseurs et économistes non libéraux. Certains penseurs
comme le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff[4]
ont dénoncé l'utilisation d'« ultra-libéralisme », de
« néo-libéralisme » et plus généralement d'un vocabulaire destiné à
discréditer et à « excommunier » ceux qui sont visés par ces
qualificatifs[5] et qui s'apparente à du terrorisme
intellectuel. Selon Taguieff, « ultra-libéral » est utilisé aux mêmes
fins que « passéiste », « réactionnaire » ou « xénophobe » pour inventer
un ennemi et lancer une « chasse aux sorcières »[6]. Pour The Economist, il s'agit d'un terme utilisé pour faire peur et créer de la « panique »[7].
Marc Crapez souligne également les usages impropres qui gravitent
autour du "grand Satan néolibéral" et autres préfixes répulsifs[8].
Alain Wolfelsperger
va plus loin dans la critique de ce processus linguistique : il
considère que le terme est une insulte qui ressort du « style
paranoïde » et est caractéristique d'un certain « conspirationnisme »
des « ultra-antilibéraux » qui « fantasment » ce qu'est réellement le
libéralisme[9].
Plus récemment, l'homme politique Hervé Morin notait que : « Il
est très préoccupant pour notre pays de constater que plus personne ne
semble pouvoir revendiquer cette liberté [d'entreprendre] sans être
aussitôt qualifié d’« ultralibéral », formule qui est une sorte
d’équivalent du cynisme absolu ! »[10]
Présenté de façon (légèrement) ironique, le terme vise
ouvertement à discréditer « toute doctrine s'écartant de la ligne
définie par le camarade Khrouchtchev lors du congrés 1953 du PCUS »[11].
Le terme d'ultralibéral a été utilisé dès le XIXe
siècle et là aussi réfuté par des auteurs qui n'y voyaient qu'un terme
repoussoir destiné à discréditer la partie adverse. Ainsi, Édouard Laboulaye,
écrivait-il à propos de ceux qui s'opposent à la liberté de
l'enseignement, « oppose-t-on à ces doctrinaires de la République que du
même coup ils tueront la liberté ? Ils ont une réponse toute prête.
Ceux qui demandent la liberté d'enseignement sont des ultralibéraux, des utopistes, des rêveurs »[12].
Aux Etats-Unis le terme ultra-liberal désigne les gauchistes (liberal correspondant aux sociaux-démocrates ou aux socialistes).
Essai de définition
Selon ses détracteurs, les figures de proue de ce « néolibéralisme » seraient l'économiste monétaristeMilton Friedman, Prix Nobel d'Économie, et l'école de Chicago qu'il a fondée. Les dirigeants politiques des années 1980 que sont Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis,
sont souvent considérés par ces mêmes déctracteurs comme des emblèmes
du néolibéralisme. Ces personnalités ne se définissent pas elles-mêmes
comme ultra-libérales. On trouve le terme également associé avec le FMI, l'OMC, l'Union européenne et, plus généralement, toute personne non socialiste que l'on veut disqualifier...
Les opposants à la menace fantôme d'un « ultralibéralisme »
inexistant se trouvent à droite comme à gauche, mais à chaque fois dans
le camp des étatistes. Ils reprochent au « néolibéralisme » d'accroître les inégalités sociales, de réduire la souveraineté
des Etats ou de nuire au développement du Tiers monde. Des accusations
qui, pour les premier et dernier points, sont sans fondement.
Les libéraux soulignent qu'au contraire ces phénomènes résultent de l'intervention de l'État et non du libéralisme, qui repose d'abord sur le droit imprescriptible de l'individu face à toute organisation collective ou étatique. D'autres libéraux ajouteront que la notion même d'ultra ou néo est absurde en ce qui les concerne, car contrairement aux collectivismes, le libéralisme
n'est ni partisan ni conflictuel, et qu'il n'a donc pas à faire avancer
des intérêts particuliers avec plus ou moins de vigueur.
Le concept d'ultralibéralisme, terme repoussoir assez flou, ne
désigne d'ailleurs pas la même chose pour tout le monde, même si tout le
monde est d'accord pour en faire l'ennemi public numéro un ainsi qu'une
arme de terrorisme
intellectuel efficace contre tout adversaire politique moins à gauche
que vous. Pour certains, il n'évoque pas le libéralisme économique, mais
une espèce d'anarchisme de droite, voire le refus de tout ordre social (anomie) et l'instauration de la loi du plus fort,
conséquences présumées d'un recul de l’État. Ainsi, Michel Rocard
définit l'ultralibéralisme comme "la négation de l'idée que c'est à la
loi qu'il appartient de définir les bornes et les conditions d'exercice
de la liberté"[13]. Au contraire, la droite antilibérale,
et également une certaine gauche, fustigent, sous le concept
d'ultralibéralisme, une présumée disparition des patries, un refus du "patriotisme économique" protectionniste au profit d'un fantasmé "capitalisme financier international" :
“
Être ultralibéral, c'est
détruire la nation pour laisser sans défense les travailleurs de notre
pays face à la mondialisation et aux délocalisations.
Car être ultralibéral, c'est vouloir la disparition des frontières.
Être ultralibéral, c'est accepter la disparition de toutes les
régulations du commerce mondial sous l'égide de l'OMC. Être
ultralibéral, c'est accepter depuis dix ans toujours plus de
déséquilibres dans la répartition des bénéfices. Être ultralibéral,
c'est permettre l'écrasement de nos PME et de nos PMI, de nos
agriculteurs, de nos commerçants, par les entreprises du CAC40, de la
grande distribution. Être ultralibéral, c'est encourager l'immigration pour favoriser une baisse généralisée des salaires. (Jean-Marie le Pen, Convention du FN de Lille 2007).[14]
”
Enfin, quand on analyse ce qui est reproché à cet "ultralibéralisme",
on constate souvent que le terme est employé incorrectement pour
désigner en réalité le capitalisme de connivence, qui précisément est le fait de l'étatisme,
et non du libéralisme : l'utilisation de la force de l’État pour
assister les non-productifs en volant les productifs. Par ignorance à la
fois de la politique et de l'économie, on attribue à une idéologie
fantasmée ce qui relève en réalité de la pratique des hommes de l’État,
de leur emploi de la force au bénéfice d'intérêts privés et de leur
propre intérêt.
L'intérêt de l'accusation d'"ultralibéralisme", dans la riche panoplie du "complot libéral", est qu'elle ne désigne aucun coupable en particulier : il est plus facile de mettre en cause une prétendue "idéologie" que des personnes ; comme l'on est toujours "l'ultralibéral" de quelqu'un, cette attaque ad hominem permet de contrer, en le désignant à la vindicte publique, un adversaire politique qui réclamerait davantage de liberté
pour l'individu ou qui oserait simplement se proclamer partisan d'une
politique qui ne consiste pas à augmenter la taille de l’État et son endettement.
Citations
« Les adversaires du libéralisme -- ceux qui se sont si
lourdement et tragiquement trompés pendant des décennies -- ne pouvaient
cacher leurs erreurs qu'en pratiquant la fuite en avant : au lieu de
célébrer la chute du mur de Berlin comme le symbole d'un retour à la liberté individuelle, ils ont proclamé la victoire de la démocratie (c'est-à-dire d'un mode d'organisation de la société politique)
et ils sont partis en guerre contre les fictions que sont
l'ultra-libéralisme et le néo-libéralisme, deux concepts construits de
toutes pièces par les collectivistes et dans lesquels les libéraux ne se
reconnaissent pas. »
« C’est commode de désigner ses adversaires par des termes
qu’on ne comprend pas soi-même. Cela fait déjà un certain temps que les
démocrates-sociaux essaient de faire passer pour des extrémistes les
partisans de la liberté
naturelle. Le terme d’ultra-libéral vise à cela, qui n’ose pas tout à
fait dire "extrémiste" mais le suggère fortement. (...) Un extrémiste, à
savoir quelqu’un qui n’est pas dupe des croyances absurdes de la démocratie sociale. »
« Il n'y a pas lieu pour un libéral
d'être "ultra" ou "modéré", et nul libéral ne s'est jamais prétendu
l'un ou l'autre. Les socialistes, ayant peur d'argumenter avec les
libéraux sur le fond, préfèrent tenter de les discréditer sans leur
donner la possibilité de s'exprimer, en préfixant le nom de "libéral" du
préfixe repoussoir "ultra". Utiliser le mot "ultralibéral" est un signe
d'une extrême bassesse intellectuelle ou morale de la part de la
personne qui le profère. »
« (En France) la simple expression des idées de liberté
vaut à ceux qui tentent de les faire valoir des qualificatifs
infamants, dont les plus aimables sont "ultralibéral" ou "libéral
sauvage", tandis que "fasciste" n'est jamais très loin. »
« Comment parler d’ultralibéralisme dans une société d’économie mixte où l’Etat confisque plus de 50 % de la richesse du pays ? Où est cette dictature du marché
lorsque nos gouvernements augmentent les impôts au gré de leur humeur,
décident de notre temps de travail, subventionnent à tout va des pans
entiers de l’économie (même privée), arrosent à coups de milliards
l’enseignement, le social, les associations et embauchent tous les ans
des fonctionnaires supplémentaires ? »
(Bogdan Calinescu)
« Le rejet du libéralisme est tel que l'expression même est
aujourd'hui bannie du vocabulaire de l'honnête homme. On fustigera de
préférence, dans la conversation, l'"ultralibéralisme", version
fantasmatique d'une école de pensée qu'il est confortable de
déconsidérer en l'affublant ainsi d'un préfixe infamant : d'un "ultra",
on ne peut rien attendre de sérieux ni de positif. »[15]
« On a affaire à une doctrine de combat inédite destinée
spécifiquement à contrer l’hégémonie actuelle d’un prétendu
« ultralibéralisme » et que l’on pourrait appeler, de manière parodique,
l’ultra-antilibéralisme en raison de sa radicalité, de son contenu
exclusivement critique et de l’état émotionnel fait de peur, voire
d’épouvante, qu’elle vise à susciter. »
« L’ultra-libéralisme est un libéralisme économique exclusif,
qui néglige d’autres dimensions du libéralisme, cède au despotisme
éclairé de son principe et tombe sous la dépendance de sa propre
logique. »
« Il est, selon l’humeur du jour, soit comique, soit navrant de
constater que tous les maux de l’économie planétaire sont mis sur le
dos bien large d’un libéralisme fantasmé qui n’existe que dans l’esprit
de ceux qui ne le connaissent pas. »
« L’élève qui dira qu’on ne doit pas tout attendre de l’État,
qu’il faut se prendre en charge, que ce n’est pas à l’État de nous
garantir un travail, la Sécurité sociale... bref, si vous défendez une
thèse ultra-libérale c’est une provocation, donc évitez la
provocation. »
(conseils d'une professeure de philosophie aux élèves qui passent le baccalauréat français, lewebpedagogique.com)
« (...) une sénatrice "explique" à ma table que la France est
un pays ultra-libéral. Oui, Madame. Elle nous raconte les us et coutumes
des habitants de cette terre lointaine. Inconnue. Je lui fais remarquer
que, si la France est un pays "ultra-libéral", la Suisse est un club
échangiste. Sous ecstasy. (...) La France ne souffre ni de son chômage,
ni de sa dette : elle est malade de son aveuglement. Incapable de se
remettre en question. »
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le terme de néolibéralisme est apparu dès la fin du XIXe
siècle et non pas récemment. Charles Gide, économiste français et
idéologue central du mouvement coopératif, dans un article polémique
contre l'économiste italien, Maffeo Pantaleoni, utilise ce terme en 1898[1]. Il définit le néolibéralisme comme un retour aux théories économiques classiques libérales d'Adam Smith : il rattache Pantaleoni, Pareto et Walras à la "nouvelle école libérale" (alors que Frédéric Le Play appartiendrait selon lui à "l'école libérale dissidente").
Le concept de néolibéralisme est devenu, au cours de ces vingt
dernières années, une exhortation à de nombreux débats politiques et
universitaires[2].
Cela a notamment été le cas chez les auteurs qui utilisent le concept
de manière péjorative, décrivant ce qu'ils perçoivent comme la
propagation d'un capitalisme lamentable et d'un consumérisme dévoyé, ainsi que de la démolition aussi déplorable de l'Etat-providence[3].
Le concept est devenu un terme générique pour certains auteurs
décrivant la dépréciation de presque tout développement économique et
politique. Et donc le néolibéralisme est jugé comme une utopie[4]. Il serait indésirable et malsain car prompt à l'exploitation du peuple[5] et associé à la mondialisation, il nous entraînerait dans une spirale inégalitaire infernale[6]. Pierre Bourdieu[7]
utilise la rhétorique guerrière pour assimiler le néolibéralisme comme
un envahisseur dont il serait un farouche résistant. Le néolibéralisme,
selon toujours le sociologue français disposerait de deux bras armés, le
FMI et l'OCDE.
Quand il n'est pas utilisé par des anti-libéraux[8], le terme néolibéralisme, associé à néolibéral,
sert souvent d'étiquette par défaut pour les théoriciens en panne
d'inspiration qui, bien souvent oublient d'en donner la définition ou
prétendent qu'il est impossible d'en donner une précisément
[9]. Autant dire que le terme n'a aucun sens pour un libéral, sinon l'utilité
très pratique de pouvoir cerner par le simple indice de l'emploi de ce
concept, la prévention idéologique de la personne qui s'en sert
(révélateur de préjugés qui fonctionne aussi avec ultralibéral).
Historique
Tout d'abord, dans les années 1930, le terme a servi à désigner un
courant de réaffirmation des idées libérales, alors que les idées collectivistes dominaient les esprits, et dont Louis Rougier fut en son temps le fer de lance, en organisant le Colloque Walter Lippmann.
Ensuite, au début des années 1980, les compléments apportés à la théorie « néoclassique » (en économie) ayant fait leur apparition dans le débat public (coûts de transaction, théorie des choix publics, anticipations rationnelles, capital humain,
etc.) et puisque le terme de "néo néo classicisme" paraissait peu
souhaitable, on les a appelé « nouveaux économistes », puis
« néo-libéraux » en raison de leur anti-keynésianisme. L'un de ceux-ci, Henri Lepage, a d'ailleurs intitulé un chapitre de Demain le libéralisme (1980) : "Les nouveaux libéraux et l'idée de justice".
Mauvais usages du terme
D'autres fois, l'étiquette néo-libérale, qualifie les monétaristes de l'École de Chicago, alors que beaucoup de théories monétaristes passent par une intervention de l'État et des Banques Centrales ; il y a donc un non-sens.
Enfin, certains détracteurs du libéralisme intègrent au « néo-libéralisme » le courant de pensée de l'économie de l'offre qui a notamment été animé par Arthur Laffer et George Gilder,
tous deux membres de l’université de Californie du sud, cherchant à
montrer que les difficultés économiques contemporaines proviennent d’une
insuffisance de facteurs de production due à l'intervention de l'État.
Notons encore, pour clore la chasse aux fantômes, que le terme de « néo-libéraux » est aussi souvent accolé aux néoconservateurs, qui sont aussi libéraux que le ciel est vert.
Ce qui est en général sous-entendu par celui qui emploie le terme
de néo-libéral comme une insulte (ce qui est le cas le plus fréquent),
est que, contrairement aux "bons" libéraux des Lumières qui se
préoccupaient de défendre les droits de l'homme, les néo-libéraux ne
s'intéressent qu'à défendre un prétendu "pouvoir du marché". Il semble
implicitement que pour eux participer à un marché, créer une entreprise,
faire du profit, etc. ne fasse pas partie des droits de l'homme. A ce
sujet, Alain Laurent nie que ce qu'on appelle "néolibéralisme" soit fondamentalement différent du libéralisme classique :
Le néolibéralisme (si l'on entend par là ce qui était professé
par Hayek, Mises ou Milton Friedman) n'a jamais fait qu'actualiser,
adapter aux circonstances contemporaines, le libéralisme classique.
Quelqu'un comme Smith a défendu simultanément liberté économique et
liberté politique. (...) Les soi-disant néolibéraux ne disent rien
d'autre, ils ne font qu'adapter ce que Smith, Turgot, Say, Bastiat,
Benjamin Constant et même Tocqueville ont déjà dit. (...) La liberté ne
se divise pas.[10]