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Nous allons vers une socièté du risque...; Mais ne l' a t-elle jamais été?
Pour tenter d’y voir un peu plus clair, on ne saurait trop conseiller la lecture de La
société du risque, l’ouvrage majeur du sociologue allemand Ulrich Beck,
dont la traduction française vient de paraître aux éditions Aubier.
Rédigé en l986, juste après la catastrophe de Tchernobyl, il a déjà
conquis un large public au Canada, aux Etats-Unis et en Europe du Nord.
Voici
sa thèse centrale : après une « première modernité », qui prit son
essor aux XVIIIe siècle, domina le XIXe et s’achève aujourd’hui, nos
sociétés occidentales seraient entrées dans une deuxième phase, marquée
par une prise de conscience des risques engendrés en son propre sein par
le développement, puis la mondialisation des sciences et des
techniques. C’est tout à la fois l’opposition frontale, mais aussi les
liens secrets qu’entretiennent ces « deux modernités » qu’il faudrait
d’abord comprendre pour saisir la situation radicalement nouvelle dans
laquelle est plongée l’Occident le plus avancé. Arrêtons-nous un instant
à ce diagnostic. Il en vaut la peine.
Une première modernité, encore « tronquée » et « dogmatique » .
Elle se caractérisait par quatre traits fondamentaux, indissociables les uns des autres.
D’abord une conception encore autoritaire et dogmatique de la science : sûre d’elle-même et dominatrice à l’égard de son principal objet, la nature, elle prétendait, sans le moindre doute ni esprit d’autocritique, rimer avec émancipation et bonheur des hommes. Elle leur faisait promesse de les affranchir de l’obscurantisme religieux des siècles passés, et de leur assurer d’un même mouvement les moyens de se rendre, selon la fameuse formule cartésienne, « comme maîtres et possesseurs » d’un univers utilisable et corvéable à merci pour réaliser leur bien-être matériel.
Solidement ancrée dans cet optimisme de la science, l’idée de progrès, définie en termes de liberté et de bonheur, s’inscrivait très logiquement dans les cadres de la démocratie parlementaire et de l’Etat-nation . Science et démocraties nationales allaient de pair : ne va-t-il pas de soi que les vérités dévoilées par la première sont, à l’image des principes qui fondent la seconde, par essence destinés à tous ? Comme les droits de l’homme, les lois scientifiques possèdent une prétention à l’universalité : elles doivent, du moins en principe, être valables pour tous les être humains, sans distinction de race, de classe ni de sexe.
Dès lors, l’affaire majeure des nouveaux Etats-Nations scientifico-démocratiques était la production et le partage des richesses. En quoi leur dynamique était bien, comme l’avait dit Tocqueville, celle de l’égalité ou, si l’on préfère les formulations marxiennes, de la lutte contre les inégalités. Et dans ce combat difficile mais résolu, la confiance en l’avenir était de rigueur de sorte que la question des risques s’y trouvait très largement reléguée au second plan.
Enfin, les rôles sociaux et familiaux étaient encore figés, voire naturalisés : les distinctions de classe et de sexe, pour ne rien dire des différences ethniques, bien que fragilisées en droit et problématiques en principe, n’en demeuraient pas moins de facto perçues comme intangibles. On parlait alors de La civilisation au singulier, comme s’il allait de soi qu’elle était d’abord européenne, blanche et masculine.
Sur ces quatre points, la seconde modernité va entrer en rupture avec la première. Mais elle va le faire, non par l’effet d’une critique externe, en s’appuyant sur un modèle social et politique nouveau, mais au contraire par l’approfondissement de ses propres principes.
Une seconde modernité, qui accomplit la première en se retournant contre elle : la naissance de « l’auto-réflexion » ou l’avènement de la « société du risque » .
Du côté de la science tout d’abord, et de ses rapports avec la nature, le XXe siècle finissant est le lieu d’une véritable révolution : ce n’est plus aujourd’hui la nature qui engendre les risques majeurs, mais la recherche scientifique, ce n’est donc plus la première qu’il faut dominer, mais bien la seconde, car pour la première fois dans son histoire, elle fournit à l’espèce humaine les moyens de sa propre destruction. Et cela, bien entendu, ne vaut pas seulement pour les risques engendrés, à l’intérieur des sociétés modernes, par l’usage industriel des nouvelles technologies, mais tout autant pour ceux qui tiennent à la possibilité qu’elles soient employées, sur le plan politique, par d’autres que nous. Si le terrorisme inquiète davantage aujourd’hui qu’hier, c’est aussi, sinon exclusivement, parce que nous avons pris conscience du fait qu’il peut désormais – ou pourra bientôt – se doter d’armes chimiques, voire nucléaires redoutables. Le contrôle des usages et des effets de la science moderne nous échappe et sa puissance débridée inquiète.
Elle se caractérisait par quatre traits fondamentaux, indissociables les uns des autres.
D’abord une conception encore autoritaire et dogmatique de la science : sûre d’elle-même et dominatrice à l’égard de son principal objet, la nature, elle prétendait, sans le moindre doute ni esprit d’autocritique, rimer avec émancipation et bonheur des hommes. Elle leur faisait promesse de les affranchir de l’obscurantisme religieux des siècles passés, et de leur assurer d’un même mouvement les moyens de se rendre, selon la fameuse formule cartésienne, « comme maîtres et possesseurs » d’un univers utilisable et corvéable à merci pour réaliser leur bien-être matériel.
Solidement ancrée dans cet optimisme de la science, l’idée de progrès, définie en termes de liberté et de bonheur, s’inscrivait très logiquement dans les cadres de la démocratie parlementaire et de l’Etat-nation . Science et démocraties nationales allaient de pair : ne va-t-il pas de soi que les vérités dévoilées par la première sont, à l’image des principes qui fondent la seconde, par essence destinés à tous ? Comme les droits de l’homme, les lois scientifiques possèdent une prétention à l’universalité : elles doivent, du moins en principe, être valables pour tous les être humains, sans distinction de race, de classe ni de sexe.
Dès lors, l’affaire majeure des nouveaux Etats-Nations scientifico-démocratiques était la production et le partage des richesses. En quoi leur dynamique était bien, comme l’avait dit Tocqueville, celle de l’égalité ou, si l’on préfère les formulations marxiennes, de la lutte contre les inégalités. Et dans ce combat difficile mais résolu, la confiance en l’avenir était de rigueur de sorte que la question des risques s’y trouvait très largement reléguée au second plan.
Enfin, les rôles sociaux et familiaux étaient encore figés, voire naturalisés : les distinctions de classe et de sexe, pour ne rien dire des différences ethniques, bien que fragilisées en droit et problématiques en principe, n’en demeuraient pas moins de facto perçues comme intangibles. On parlait alors de La civilisation au singulier, comme s’il allait de soi qu’elle était d’abord européenne, blanche et masculine.
Sur ces quatre points, la seconde modernité va entrer en rupture avec la première. Mais elle va le faire, non par l’effet d’une critique externe, en s’appuyant sur un modèle social et politique nouveau, mais au contraire par l’approfondissement de ses propres principes.
Une seconde modernité, qui accomplit la première en se retournant contre elle : la naissance de « l’auto-réflexion » ou l’avènement de la « société du risque » .
Du côté de la science tout d’abord, et de ses rapports avec la nature, le XXe siècle finissant est le lieu d’une véritable révolution : ce n’est plus aujourd’hui la nature qui engendre les risques majeurs, mais la recherche scientifique, ce n’est donc plus la première qu’il faut dominer, mais bien la seconde, car pour la première fois dans son histoire, elle fournit à l’espèce humaine les moyens de sa propre destruction. Et cela, bien entendu, ne vaut pas seulement pour les risques engendrés, à l’intérieur des sociétés modernes, par l’usage industriel des nouvelles technologies, mais tout autant pour ceux qui tiennent à la possibilité qu’elles soient employées, sur le plan politique, par d’autres que nous. Si le terrorisme inquiète davantage aujourd’hui qu’hier, c’est aussi, sinon exclusivement, parce que nous avons pris conscience du fait qu’il peut désormais – ou pourra bientôt – se doter d’armes chimiques, voire nucléaires redoutables. Le contrôle des usages et des effets de la science moderne nous échappe et sa puissance débridée inquiète.
Du coup,
face à ce « procès sans sujet » d’une mondialisation qu’aucune
« gouvernance mondiale » ne parvient à maîtriser, le cadre de
l’Etat-nation, et, avec lui, des formes traditionnelles de la démocratie
parlementaire, paraît étrangement étriqué, pour ne pas dire dérisoire. Le nuage de Tchernobyl ne s’arrête pas, par quelque miracle républicain, aux frontières de la France.
De leur côté, les processus qui commandent la croissance économique ou
les marchés financiers n’obéissent plus au dictat de représentants du
peuple désormais bien incapables de tenir les promesses qu’ils
voudraient lui faire. De là, bien sûr, le succès résiduel de ceux qui
entendent nous convaincre, à l’image de nos néo-républicains, qu’un
retour en arrière est possible, que la vieille alliance de la science,
de la nation et du progrès n’est qu’affaire de civisme et de « volonté
politique » : on aimerait tant y croire qu’un coefficient non
négligeable de sympathie s’attache inévitablement à leurs propos
nostalgiques…
Face à cette évolution des pays les plus développés, la question du partage des richesse tend à passer au second plan. Non qu’elle disparaisse, bien sûr, mais elle s’estompe devant les nécessités nouvelles d’une solidarité devant des risques d’autant plus menaçants qu’étant mondialisés, ils échappent pour une large part aux compétences des Etats-Nations comme à l’emprise réelle des procédures démocratiques ordinaires.
Enfin, sous les effets d’une auto-critique (auto-réflexion) désormais généralisée, les anciens rôles sociaux sont remis en question. Déstabilisés, ils cessent d’apparaître comme inscrits dans une éternelle nature, ainsi qu’en témoignent de manière exemplaire les multiples facettes du mouvement de libération des femmes.
Face à cette évolution des pays les plus développés, la question du partage des richesse tend à passer au second plan. Non qu’elle disparaisse, bien sûr, mais elle s’estompe devant les nécessités nouvelles d’une solidarité devant des risques d’autant plus menaçants qu’étant mondialisés, ils échappent pour une large part aux compétences des Etats-Nations comme à l’emprise réelle des procédures démocratiques ordinaires.
Enfin, sous les effets d’une auto-critique (auto-réflexion) désormais généralisée, les anciens rôles sociaux sont remis en question. Déstabilisés, ils cessent d’apparaître comme inscrits dans une éternelle nature, ainsi qu’en témoignent de manière exemplaire les multiples facettes du mouvement de libération des femmes.
On pourrait bien sûr compléter et discuter longuement ce tableau. Il mériterait sans nul doute plus de détails et de couleurs. Son intérêt n’en est pas moins considérable si l’on veut bien admettre qu’il tend à montrer de façon convaincante comment la « seconde modernité », malgré les contrastes et les oppositions qu’on vient d’évoquer, n’est rien d’autre en vérité que l’inéluctable prolongement de la première : si les visages traditionnels de la science et de la démocratie républicaines sont aujourd’hui fragilisés, ce n’est pas simplement par « irrationalisme », ni seulement par manque de civisme, mais paradoxalement, par fidélité aux principes des Lumières. Rien ne le montre mieux que l’évolution actuelle des mouvements écologistes dans les pays qui, contrairement au nôtre, possèdent déjà une longue tradition en la matière – au Canada et en Europe du nord par exemple : les débats sur le principe de précaution ou le développement durable y recourent sans cesse davantage à des arguments scientifiques ainsi qu’à une volonté démocratique affichée. Dès lors qu’on distingue deux modernités, il nous faut aussi apprendre à ne plus confondre deux figures bien différentes de l’anti-modernisme : la première, apparue avec le romantisme en réaction aux Lumières, s’appuyait sur la nostalgie des paradis perdus pour dénoncer les artifices de l’univers démocratique, elle soulignait la richesse des sentiments et des passions de l’âme, contre la sécheresse de la science. Un bonne part de l’écologie contemporaine y puise sans doute encore ses racines. Mais une autre s’en est émancipée : si elle remet en question la science et la démocratie d’Etat-Nation, c’est au nom d’une scientificité et d’un idéal démocratique élargis aux dimensions du monde et soucieux de pratiquer l’introspection. Autrement dit, c’est désormais à l’hyper-modernisme et non à l’esprit de réaction, que les principales critiques du monde moderne s’alimentent. Ce constat, s’il est juste, emporte une conséquence décisive : la société du risque, fondée sur la peur et l’auto-réflexion, n’est pas derrière nous, mais bel et bien devant, elle n’est pas un archaïsme, une survivance des anciennes figures de la résistance au progrès, mais son dernier avatar.
Voici
le paradoxe auquel nous confrontent ces deux analyses : d’une part, il
nous faut plus que jamais peut-être, envisager sérieusement de donner un
contenu concret à l’idée de développement durable. D’un autre côté,
cependant, ses conditions de possibilités semblent bien problématiques
au sein d’un univers mondialisé où le contrôle exercé par les êtres
humains sur leur propre destin tend à se réduire comme une peau de
chagrin. Voilà, il me semble, la contradiction cruciale qu’il nous
faudra apprendre à résoudre au cours du siècle que nous venons
d’inaugurer.
Ulrich Beck
Source: provient de mes blogs Lumières et Liberté et Humanitas via
Une gestion du risque pour une socièté qui vire aux risques!
Hommage:
Le sociologue allemand Ulrich Beck, à qui l'on doit notamment le concept de la « société du risque », est décédé le 1er
janvier d'un infarctus, à l'âge de 70 ans. Né le 15 mai 1944 à Stolp,
aujourd'hui Słupsk en Pologne, Ulrich Beck a grandi à Hanovre, mais a
fait ses études supérieures à Munich, où il a étudié la sociologie, la
psychologie et les sciences politiques.
L'année même de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986, il publie son ouvrage majeur : La Société du risque (Aubier, 2001), qui connaîtra un succès mondial, mais ne sera traduit en français que quinze ans plus tard.
Pour lui, « la production sociale des richesses » est désormais inséparable de « la production sociale de risques ».
L'ancienne politique de distribution des « biens » de la société
industrielle doit donc être relayée par une politique de distribution
des « maux » engendrés par cette société.
Comme le note le sociologue belge Frédéric Vandenberghe dans une Introduction à la sociologie cosmopolitique du risque d'Ulrich Beck, « confrontée
aux conséquences de la politique d'industrialisation, la société
industrielle devient “réflexive”, ce qui veut dire qu'elle devient un
thème et un problème pour elle-même ». Une théorie qui a eu un
impact important sur le mouvement écologiste allemand, qui a pris son
essor dans les années 1980 et a été notamment influencé par la « seconde modernité » décrite par Ulrich Beck.
Lorsqu'Angela Merkel a annoncé en mars 2011, après la catastrophe de
Fukushima, vouloir renoncer au nucléaire civil à l'horizon 2022, Ulrich
Beck avait accepté de faire partie de la commission éthique chargée de
réfléchir à la faisabilité d'un tel projet pour l'Allemagne.
« NON À L'EUROPE ALLEMANDE »
Ses réflexions sur le risque ont amené Ulrich Beck à remettre très
tôt en question les Etats-nations, une notion qu'il qualifiait de « catégorie-zombie ».
Il était en faveur d'un Parlement mondial, tout en soulignant les
risques que cette mondialisation entraînait pour l'individu, de moins en
moins protégé par des structures collectives et de plus en plus
dépendant d'une réussite individuelle reposant notamment sur l'éducation
et le savoir.
Pour Ulrich Beck, la construction européenne était une étape
importante vers la voie de la mondialisation maîtrisée qu'il appelait de
ses vœux. En 2010, avec notamment les députés européens Daniel
Cohn-Bendit et Sylvie Goulard et l'ancien premier ministre belge Guy
Verhofstadt, il faisait partie du groupe Spinelli, qui plaidait pour une
Europe fédérale.
Avec le philosophe Jürgen Habermas, dont il était proche, Ulrich Beck
était l'un des intellectuels allemands les plus engagés ces dernières
années dans le combat européen. Les titres de deux de ses derniers
ouvrages, Pour un empire européen et Non à l'Europe allemande, en témoignent.
Ulrich Beck aimait mettre en avant les cours qu'il avait donnés à la
London School of Economics et à la Maison des sciences de l'homme à
Paris. Ne détestant pas la polémique, Ulrich Beck s'en était violemment
pris ces dernières années à Angela Merkel, fustigeant l'attentisme de la
chancelière. Il avait créé le néologisme Merkiavel, qui allait faire
florès dans toute l'Europe.