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octobre 27, 2018

Rhôoooooo!! les libertariens sont parmi vous !

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes ( notamment ou j'en étais l'administrateur), comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci. L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses. Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. N'omettez de lire par ailleurs un journal libéral complet tel que Contrepoints: https://www.contrepoints.org/ Al, 

 PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. Merci


Les libertariens sont parmi nous

Un petit rappel de Libération de septembre 2015; Remarquez il y a de quoi se marrer, mais il faut lire lol. Le plus incroyable est que nos propres responsables libertariens français comme belges voire davantage n'y figurent même pas, seulement substitués par de libéralopithèques de sociale-démocratie !
Voici l'affabulation médiatique de nos concepts de Liberté !
Al,

Né dans les années 60, le mouvement ultra individualiste reste marginal politiquement mais essaime aujourd’hui dans la pop culture. 

Le 13 avril, Vit Jedlicka plantait fièrement son drapeau jaune et noir sur sept kilomètres carrés de terres boisées et inondables, coincées entre la Croatie et la Serbie. Ce marécage inhabité, grand comme quinze fois le Vatican, est amené à devenir le Liberland, «un état avec le moins d’état possible», si l’on en croit ce Tchèque joufflu de 31 ans, décidé à donner chair au rêve de tout libertarien qui se respecte.
Liber-quoi? Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce fatras d’idéologies ultra-libérales et individualistes, autant s’en remettre au Petit Larousse, toujours dans l’air du temps, qui a intronisé le mot dans son édition 2014. A «libertarien», on trouve la définition suivante :  

«Un partisan d’une philosophie politique et économique qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’état.»

Proche des thèses libérales du philosophe français du XIXe siècle Frédéric Bastiat, le libertarianisme a réellement pris forme aux Etats-Unis dans les années 1960, au carrefour de l’anti-communisme viscéral des Républicains, de la contre-culture libertaire et des économistes de l’école de Chicago (1). Se voulant à «l’extrême centre», les libertariens prônent la liberté en toute chose. Ils peuvent ainsi se battre pour l’abolition de l’impôt et la fin des banques centrales, le mariage gay et le port d’arme, la défense de la vie privée et la légalisation de la prostitution ou des drogues, la fin des frontières et le «droit à la discrimination», et bien évidemment la privatisation de tous les services gouvernementaux, mis à part quelques fonctions régaliennes…
C’est probablement Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de 2014, qui a le mieux résumé le libertarianisme moderne en faisant campagne avec ce slogan: «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.» Une philosophie résolument capitaliste du «vivre et laissez vivre», attrape-tout et belliqueuse, dans laquelle peuvent se reconnaître les ultra-conservateurs du Tea Party américain comme les cyber-activistes d’Anonymous… Si le Liberland a choisi un petit oiseau pour symboliser la liberté sur son blason, les libertariens américains, le doigt sur la gâchette, préfèrent généralement l’image du porc-épic, la mascotte de leur festival annuel dans le New Hampshire, voire du serpent à sonnettes, qu’on retrouve sur nombre de bannières, assorties du motto «ne me marche pas dessus...». 
Avec ses pulls col roulé et ses boucles d’éternel étudiant en philo, le sénateur républicain Rand Paul, candidat à la présidentielle américaine et fils du député libertarien Ron Paul, a relancé l’intérêt des médias autour du mouvement. «L’homme le plus intéressant de la politique américaine», selon une couverture de Time, n’a pourtant que peu de chances d’emporter la primaire républicaine. Car question politique, les libertariens, trop puristes et trop anti-système, sont condamnés à échouer, quand bien même les instituts de sondages américains estiment autour de 15 % et 20 % le nombre d’électeurs partageant leur sensibilité.

Mouvement en expansion

«Ils poursuivent une utopie qui se saborde dès qu’elle est en contact avec la réalité», assène Sébastien Caré, politologue à l’université catholique de Lille et spécialiste du mouvement. Ils pourraient bien, en revanche, avoir déjà gagné la bataille des esprits. L’été dernier, le New York Times se demandait déjà si «le moment libertarien» était arrivé. 

«Cette idéologie, qui a toujours été fortement marginale historiquement, est devenue une réalité concrète avec l’avènement de “l’esprit start-up” ces dix dernières années, observe le philosophe Eric Sadin, auteur de la Vie algorithmique. Cette pensée, fondée sur la conviction que le désir individuel, présenté comme progressiste, prévaut sur tout, dans une indifférence absolue des états et des acquis historiques, a essaimé sur la planète entière. »

Dans la bouche des politiques, des artistes ou des entrepreneurs, l’adjectif « libertarien » n’a jamais été aussi à la mode. D’ailleurs, 300 000 internautes ont déjà demandé à être naturalisés par le Liberland, qui ne bénéficie pourtant d’aucune reconnaissance internationale. « Le moment libertarien que l’on vit actuellement est plus culturel que politique ou même économique. Les nouvelles technologies ont donné à la majorité la possibilité d’individualiser sa vie, de faire ses propres choix », estime Nick Gillespie, co-rédacteur en chef de Reason, mensuel fondé en 1968 et principal journal d’opinion libertarien aux Etats-Unis. Malgré un tirage papier modeste de 60 000 exemplaires, le site de Reason attire 4 millions de visiteurs par mois, un chiffre en « augmentation constante » selon lui. Pour ce fan de punk-rock, enfant de la contre-culture des années 1960, c’est à travers « l’uberisation » (2) de l’économie, l’acceptation du mariage gay ou la légalisation du cannabis que se joue « le passage au XXIe siècle, où chacun aura l’espace nécessaire de décider pour lui-même, une fois que l’ordre politico-économique actuel se sera effondré ».


Des stars en renfort

Si la philosophe Ayn Rand, figure tutélaire du mouvement et papesse spirituelle de la Silicon Valley a toujours la cote, «les libertariens n’ont aujourd’hui plus de grandes figures intellectuelles de son aura ou de celle de Murray Rothbard dans les années 1950-60, note le politologue Sébastien Caré. En revanche, de plus en plus de stars revendiquent cette appellation. Ces idées passent désormais plus à travers la pop culture que l’intelligentsia».
A l’image des cowboys souvent solitaires de ses films, Clint Eastwood a longtemps incarné l’image de l’anar de droite isolé dans le marigot progressiste hollywoodien. « J’ai toujours été libertarien, déclarait l’acteur-réalisateur au Guardian en 2008. Laissons les gens tranquilles. Que chacun fasse ce qu’il veut. Et surtout, qu’on ne se mêle pas des affaires des autres. » L’ancien maire de Carmel (Californie) considère que « donner du pouvoir [aux politiciens] », c’est prendre le risque « qu’ils le détournent aussitôt contre vous ». Avec le temps, l’inspecteur Harry a fait des émules. Vince Vaughn, l’idole des fêtards et star de la série True Detective, est devenu le porte-parole le plus bruyant et inattendu des idées libertariennes. Dans GQ, il a récemment comparé le port d’armes à la liberté d’expression, comme moyen d’autodéfense contre un gouvernement abusif. Invité par une association étudiante libertarienne sur le campus de UCLA en avril, il assurait que son activisme lui avait valu moult compliments à Hollywood, malgré l’omerta du milieu. Même le power couple Jolie-Pitt serait acquis aux thèses libertariennes… Lesquelles semblent imprégner nombre de succès du box-office de ces dernières années. «A la télévision, tous les shows qui traitent du gouvernement montrent à quel point l’état est néfaste. Dans House of Cards, le président est un meurtrier !  s’enthousiasme Matt Welch, l’autre tête pensante de Reason. Et que dire de la science-fiction adolescente qui cartonne en librairie ! La saga Hunger Games est farouchement anti-autorité. Ce n’est pas étonnant que les jeunes générations plébiscitent ces histoires : elles n’ont jamais vu de gouvernement fonctionner correctement. »

L’attaque des superhéros

Il y a enfin cette obsession contemporaine pour les superhéros, incarnations littérales de la supériorité individuelle bénéfique à la société. La trilogie Iron Man n’est-elle pas la démonstration qu’un entrepreneur milliardaire est plus efficace que l’armée de l’Oncle Sam pour assurer la paix dans le monde ? Le prochain Avengers de Marvel, intitulé Civil War et dont la sortie est prévue pour 2016, fait carrément de l’insoumission des héros en capes au gouvernement le point crucial de l’intrigue. Après une énième orgie de destruction super-héroïque, les politiques votent un Superhuman Registration Act pour contrôler les interventions de Hulk, Spiderman et autres. Et qui s’oppose au méchant Washington D.C. voulant réglementer l’activité des sauveurs de l’univers ? Captain America bien sûr. Pour Matt Welch, «la gauche américaine est terrifiée de voir la jeunesse devenir libertarienne». 40% des lecteurs de Reason en ligne ont moins de 35 ans, précise-t-il. Une génération biberonnée aux Indestructibles, le film d’animation des studios Pixar, bourré de clins d’œil appuyés à l’idéologie objectiviste et élitiste d’Ayn Rand, et surtout à la satire de South Park.
Matt Stone et Trey Parker, les créateurs du cartoon à l’antenne depuis 1997, n’ont jamais fait mystère de l’agenda libéral-libertaire poursuivis par Cartman et ses potes. « On déteste les conservateurs, mais on hait vraiment les gauchistes », a lâché un jour Stone, alors que Parker a sa carte au parti libertarien… Selon Welch, le retour du politiquement correct serait en grande partie responsable de ce retour de flamme.

 « La gauche américaine aujourd’hui n’est pas fun ! On est loin des années 70 et du sexe, drogue et rock’n’roll. Les démocrates sont prisonniers de la bien-pensance. Cette nouvelle rigueur morale de la gauche actuelle pousse de nombreux jeunes vers nous… »

Le philosophe Eric Sadin acquiesce à regret: 

«Ils ont réussi à faire croire que leur forme de néo-ultralibéralisme avait une dimension inéluctable, car du côté du cool, de la liberté. Ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont des emmerdeurs crispés ou des rétrogrades : c’est effrayant.» 

En France, les libertariens restent discrets. Emmanuel Bourgerie, l’auteur du blog «Le French Libertarien» est un développeur expatrié en Irlande, passé par le parti Pirate et les Verts. Se définissant comme un «électron libre, venu de la gauche», notamment via la défense des libertés numériques, il reconnaît avoir du mal à se situer sur l’échiquier politique français, à la recherche d’une illusoire troisième voie…
Le spécimen hexagonal du mouvement le plus médiatique est probablement Gaspard Koenig (3), 33 ans. Habitué des plateaux de télé, cet essayiste tout-terrain à la tête de son propre think-tank préfère le terme «libéral», plus frenchie, à celui de libertarien. A l’œil nu, la différence n’est pas flagrante. «On ne peut pas différencier les libertés économiques et sociétales, entre Uber et la GPA », affirme-t-il, rêvant de réconcilier les « juristes barbus et les économistes chauves ». Pour cela, il mise sur une prochaine « uberisation de la politique » par la génération Y… qui sera, ou ne sera pas, libertarienne. —  

Guillaume Gendron

(1) Ces économistes, Milton Friedman en tête, étaient de fervents défenseurs de l’économie de marché, résolument opposés à l’intervention des états et aux régulations.
(2) Uberisation : néologisme désignant la prédation de pans entiers de l’économie (comme les taxis avec Uber) par des entrepreneurs venus du web en faisant fi des régulations et des modèles existants.
(3) Auteur de le Révolutionnaire, l’expert et le geek, combat pour l’autonomie, éditions Plon, 2015.


FOCUS : L’égoïsme connecté, Made in Silicon Valley
Pendant longtemps, le profil Twitter de Travis Kalanick, PDG d’Uber, donnait à voir la couverture d’un livre de la romancière américaine Ayn Rand, intitulé la Source vive. Travis Kalanick n’est pas la seule figure de la « Valley » à admirer cette auteure peu connue des Européens, figure d’un libertarianisme radical, hyper-individualiste et ultra-capitaliste. Peter Thiel, un des créateurs de la solution de paiement en ligne Paypal et business angel influent, investisseur précoce de Facebook, est lui aussi un zélote de la romancière et philosophe. Il lui a d’ailleurs consacré, en 2009, un dense essai intitulé l’Education d’un libertarien. Peter Thiel a également soutenu le candidat libertarien Ron Paul à la présidentielle en 2012 et investi dans le Seasteading Institute, un projet visant à créer des îles artificielles dans les eaux internationales uniquement régies par les principes du mouvement.
La liste des héritiers d’Ayn Rand est longue. Parmi eux, Jeff Bezos, patron d’Amazon, Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, Elon Musk, nouvelle coqueluche des médias et boss de Tesla Motors, Scott McNealy, ancien PDG de l’éditeur de logiciels Sun Microsystems, Craig Newmark, créateur du site Internet Craigslist, sans parler des promoteurs du transhumanisme tel Max More…

 Figure de proue
Ayn Rand, née en 1905 à Saint-Pétersbourg et décédée à New York en 1982, est considérée outre-Atlantique comme une des penseuses les plus influentes du XXe siècle. Ses romans phares, la Source vive (1943) et la Grève (1957), demeurent aujourd’hui des best-sellers, vendus à plusieurs millions d’exemplaires. Ils posent les fondements de sa philosophie, à savoir un rejet farouche du collectivisme et la défense d’un « égoïsme rationnel », pierre angulaire de la réussite et du bonheur. Chez Ayn Rand, il s’agit de privilégier à tout prix la liberté individuelle sur l’égalité, l’individu sur le collectif. Cette pensée prend source dans l’histoire personnelle de la romancière, immigrée russe qui a passé sa jeunesse en URSS. Marquée au fer rouge par cette expérience et profondément anti-communiste, elle fut témoin à charge lors des procès sous le Maccarthysme.
L’adhésion de la Silicon Valley au libertarianisme « randien » est-elle opportuniste ou s’agit-il d’une conviction profonde ? Un peu des deux, répond Sébastien Caré, spécialiste de la pensée libertarienne. 

 « Le libertarianisme satisfait parfaitement les intérêts des patrons de la Silicon Valley, eux qui veulent détruire les structures existantes, considérées comme des entraves à la liberté d’entreprendre, et promouvoir des innovations dites disruptives, explique-t-il.  Ils partagent la croyance que les nouvelles technologies sont une promesse d’émancipation de l’individu de toute autorité, couplée à l’idée que l’on s’accomplit en faisant fi du collectif. Il y a également une dimension messianique chez Rand qui séduit ces hommes qui souhaitent véritablement changer le monde. Mais je pense aussi que la Valley est profondément libertarienne, n’oublions pas que la Californie est le berceau du libertarianisme, né dans les années 60 du mariage de la nouvelle gauche, issue de la contre-culture californienne, et du libéralisme classique. » 

Le cas d’Uber est emblématique de la volonté de mettre à bas des secteurs réglementés et protégés par l’état, tout comme l’essor du BitCoin, cette devise alternative qui s’attaque au monopole des états sur l’émission de la monnaie. Courant de pensée fourre-tout, éclaté en de nombreuses chapelles, le libertarianisme s’offre aujourd’hui une nouvelle vitrine avec la Silicon Valley et, discrètement, infuse la société. Du reste, ce libertarianisme « high-tech », randien, heurte-t-il souvent la vieille garde libertarienne, parfois bien installée dans l’establishment de Washington. Trop tapageur, trop arrogant et en rupture avec une certaine orthodoxie. 

« A titre d’exemple, les libertariens sont généralement contre la propriété intellectuelle alors que les libertariens de la Silicon Valley souhaitent eux que l’état protège leurs brevets, souligne Sébastien Caré. C’est la même chose avec l’immigration, les libertariens sont pour l’ouverture totale des frontières. A l’inverse, Mark Zuckerberg souhaite qu’elle soit réservée aux élites. » 

Une vision de la liberté très restrictive en fin de compte.—  
Fabien Benoît


Source

Rhôooooo des libertariens !!!

 







octobre 20, 2018

Au-delà de l’être et du devoir être ! (Murray Rothbard sur Hans-Hermann Hoppe)

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PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. Merci






Le Professeur Hans-Hermann Hoppe,  immigrant assez récent d’Allemagne de l'Ouest,  vient de faire un immense cadeau au mouvement libéral américain.  
Dans ce qui constitue une percée fulgurante pour la philosophie politique en général  et pour le libéralisme en particulier, il a réussi à transcender la célèbre dichotomie de l’être et du devoir être, de l’opposition entre les faits et les normes  qui infecte la philosophie depuis la scolastique, et qui avait conduit le libéralisme contemporain dans les impasses épuisantes.
Et pas seulement cela :  
ce que Hans-Hermann Hoppe réussi à faire, c’est mener à bien la démonstration des Droits naturels anarcho-capitalistes à la Locke d'une manière à la fois sans précédent et inattaquable, et qui fait paraître ma propre défense du Droit naturel presque mollassonne en comparaison.
Dans le mouvement libéral moderne,  seuls les tenants du Droit naturel sont parvenus de façon satisfaisante à des conclusions libérales absolues.  
Les divers avatars du « conséquentialisme » - qu’elles soient émotivistes,  utilitaristes, stirnériennes, ou quoi que ce soit d’autre - ont la manie de se déformer au niveau des coutures.  A la fin des fins s’il faut, pour arrêter une décision définitive, attendre que ses conséquences se soient produites,  c’est à peine si l’on peut opter pour une position cohérente, inflexible pour la liberté et la propriété privée dans tous les cas imaginables.



Hans-Hermann Hoppe a été formé dans la tradition philosophique moderne  (dans son cas, kantienne) plutôt que celle de la loi naturelle, obtenant un doctorat en philosophie de l'Université de Francfort.  Puis, pour son « habilitation », il s’est attaqué à une deuxième thèse, en philosophie de la science économique.
C’est à cette occasion  qu’il est devenu un fervent et dévoué adepte de Ludwig von Mises et de son approche « praxéologique »,  ainsi que du système de théorie économique que Mises avait construit dessus, et qui parvient à des conclusions absolues logiquement déduites d’axiomes évidents en soi.
Hans s'est avéré être un praxéologiste remarquablement original et productif, en partie parce qu'il est le seul praxéologiste (pour autant que je sache) qui soit arrivé à la doctrine en partant de la philosophie et non de l'économie.  Il a donc, en l’espèce, quelques titres philosophiques à faire valoir.
La percée la plus importante de Hoppe a été, en partant des axiomes praxéologiques standard  (par exemple, que tout être humain agit, c'est-à-dire utilise des moyens pour parvenir à des fins) pour,  tenez-vous bien, en tirer une normative politique anarcho-Lockéenne sans concession aucune.
Or, cela fait  plus de 30 ans que je prêche à la profession des économistes  que c’est ce qui ne peut pas se faire : que les économistes ne peuvent pas arriver à des conclusions politiques normatives  -- par exemple, que les hommes de l’état devraient faire ceci ou ne pas faire cela -- à partir d’une théorie économique purement descriptive.
Fait remarquable, extraordinaire,
Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort
Pour parvenir à une telle conclusion politique,  ai-je longtemps soutenu, les économistes doivent s’équiper d’une forme ou d’une autre de système normatif.  
Notez que c’est ce que tentent de faire toutes les branches de la  prétendue « économie du bien-être » contemporaine : demeurer « scientifiques » c’est-à-dire purement descriptives,  et n’en pas moins faire toutes sortes de recommandations politiques à la mode (étant donné que la plupart des économistes souhaitent à un moment ou à un autre s’extraire de leurs modèles mathématiques pour formuler des conclusions politiques applicables).  
Même morts,  la plupart des économistes ne laisseraient  pas surprendre en possession d’un système ou d’un principe normatif, s’étant mis dans la tête que cela porterait atteinte à leur statut de « savants ».
Et pourtant,  fait remarquable et extraordinaire,  Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort :  ce que j’affirmais impossible, il l'a fait ; il a déduit une éthique anarcho-lockéenne des Droits  à partir d’axiomes qu’on ne peut pas réfuter sans contradiction.
Et pas seulement cela : il a démontré que,  tout comme l'axiome de l'action lui-même, il est impossible de nier ou de contredire l'éthique des Droits anarcho-Lockéenne sans tomber immédiatement dans une contradiction pratique  et se réfuter soi-même.

si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même, on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction,  en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.

En d'autres termes,  Hans Hoppe apporte à la réflexion politique normative ce avec quoi les misésiens sont familiers en praxéologie et les aristotéliciens-Randiens en métaphysique :  
ce que nous pourrions appeler un « noyau dur  d’axiomes » .
Nier l'axiome misésien de l'action  (à savoir que tout le monde agit) est contradictoire et donc se réfute soi-même pour quiconque, étant donné que la tentative même pour le nier constitue en elle-même une action.
Nier l'axiome randien de la conscience  est contradictoire et donc se réfute soi-même puisqu’il faut bien que ce soit une espèce de conscience qui entreprend cette tentative pour le nier.  
En effet,  si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même,  on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction, en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.
Hoppe avait été l’étudiant du  célèbre philosophe néo-marxiste allemand Jürgen Habermas,  et son approche de la normative politique se fonde sur le concept d’« éthique de l'argumentation. » que l’on doit au tandem Habermas-Apel.
Selon cette théorie,  le fait même d’énoncer un argument,  d'essayer de convaincre un lecteur ou un auditeur,  implique de reconnaître et de mettre en oeuvre certains principes normatifs : par exemple, de  reconnaître dans une argumentation les éléments valides qui s’y trouveraient. Et c’est de cette manière que l’on peut surmonter la dichotomie des faits et des normes : la recherche des faits implique logiquement qu'on y adopte certaines valeurs ou principes normatifs.
De nombreux théoriciens du libéralisme se sont récemment intéressé à ce genre de réflexion en philosophie morale : par exemple,  Frank van Dun, anarchiste belge théoricien du droit et le poppérien britannique Jeremy Shearmur.
Cependant, leur éthique de l’argumentation à eux en est une variante « molle »,  étant donné qu’on peut toujours poser la question de savoir pourquoi il faudrait continuer à argumenter, ou à dialoguer.

Cette problématique-là, Hoppe la dépasse totalement, en apportant un noyau dur axiomatique,  praxéologique à la discussion. Ce à quoi Hoppe s’intéresse, ce n’est pas la raison d’être de l'argumentation,  mais le fait que tout argumentation quelle qu’elle soit  (y compris bien sûr celles qui s’en prennent à l’anarchisme lockéen)  implique nécessairement l'appropriation de leur propre corps à la fois par celui qui parle  et par ceux qui l’écoutent, ainsi qu’un Droit de première appropriation qui permette à ceux qui argumentant ainsi qu’à ceux qui les écoutent de rester en vie pour poursuivre cette argumentation et pour l’écouter.
Dans un sens,  la théorie de Hoppe  ressemble au raisonnement fascinant  de Gewirth et Pilon, où Gewirth et Pilon (le premier un socialiste,  le second un libéral minarchiste) avaient tenté de dire la chose suivante :

le fait que Tartempion agit suffit à prouver qu’il affirme avoir le Droit d’agir de la sorte

-- jusqu'ici tout va bien --

de sorte que Tartempion reconnaît  en même temps aux autres ce même Droit.  

Cette conclusion-là,  bien qu’elle mette du baume à l’âme du libéral,  et ressemble à la praxéologie par l'accent qu’elle a mis sur l'action,  n'avait malheureusement pas suffi
-- car,  comme Henry Veatch, théoricien des Droits naturels l’avait souligné dans sa critique de Gewirth,  au nom de quoi Tartempion devrait-il reconnaître en même temps les droits de quelqu'un d'autre ?  
Pour sa part Hoppe,  c’est en insistant sur la contradiction pratique inhérente  à l’argumentation des non-anarcho-Lockéens qu’il a résolu le problème séculaire de la généralisation d'une norme pour l'humanité.
Cependant,  en paraissant avec une théorie véritablement nouvelle  (ce qui est en soi étonnant, étant donnée la longue histoire de la philosophie politique)  Hoppe risque bien de porter ombrage à tous les intérêts intellectuels installés du camp libéral.
 
Les utilitaristes,  qui devraient se réjouir de ce que la valeur de la liberté s’en trouve renforcée, seront scandalisés de devoir constater que les Droits à la Hoppe sont encore plus absolus et « dogmatiquement démontrés » que le Droit naturel.

Quant aux partisans du Droit naturel,  tout en se réjouissant de ce « dogmatisme »,  ils ne seront pas forcément disposés à accepter une réflexion normative  qui ne se fonde pas sur la nature générale des choses.

Les randiens seront particulièrement outrés parce que le système hoppien se fonde (comme c’était le cas de celui de Mises) sur le satanique Immanuel Kant et son « a priori synthétique. »
Les randiens seront peut-être rassérénés,  cependant, d'apprendre que Hoppe est influencé par un groupe de kantiens allemands (dirigé par le mathématicien Paul Lorenzen) qui interprètent Kant comme un aristotélicien profondément réaliste,  contrairement à l'interprétation idéaliste courante aux États-Unis.

En tant que partisan du Droit naturel,  je n’y vois pour ma part aucune véritable contradiction, ni pourquoi on ne pourrait pas en tenir en même temps pour les droits naturels et la norme hoppienne du Droit.  Ce qui fonde l’une et l’autre philosophie du Droit, après tout, comme la version réaliste du kantisme, c’est la nature de la réalité.
Le droit naturel offre aussi une éthique personnelle et sociale au-delà de la philosophie politique libérale,  et c’est là un domaine dont Hoppe ne s'est pas préoccupé.
Un programme de recherche à venir pour Hoppe  et autres philosophes libéraux serait
(a) de voir jusqu’où on peut étendre l’axiomatique à d'autres domaines de la philosophie morale,  et

(b) de voir si,  et comment, cette axiomatique pourrait s’intégrer à l’approche standard du droit naturel.
Ces questions offrent un fascinant potentiel  pour le philosophe.
Hoppe  vient de libérer le mouvement aux Etats-Unis  de décennies de débat stérile et de blocage, et de nous fournir une voie pour le développement ultérieur de la discipline libérale.

Murray Rothbard , Liberty, Novembre 1988 ; Mises Daily,  24 août 2010

Murray N. Rothbard (1926-1995) était le chef de file de l'École autrichienne d’économie. Il était économiste,  historien de l'économie,  et philosophe politique libertarien.
Voir  l’archive des articles de Murray Rothbard.






juillet 11, 2015

Libéralisme et transhumanisme

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Sommaire:

A) L’homme modifié par le libéralisme - Intelligence Artificielle et Transhumanisme

B) Transhumanisme de Wikiberal - Kassad

C) Le transhumanisme : la prochaine étape de la civilisation - Jan Krepelka - http://laissez-faire.ch

D) Le Transhumanisme : ce futur pas si lointain - Par Farid Gueham - Trop Libre

E) « Le mythe du surhomme est de retour ! » Le transhumanisme. - Charles SANNAT - Le Contrarien Matin

F) Différents liens sur le transhumanisme

G) Luc Ferry ubérisation et transhumanisme







A) L’homme modifié par le libéralisme

Un nouvel « homme nouveau », voilà ce que le marché est en train de fabriquer sous nos yeux. En détruisant toute forme de loi qui représenterait une contrainte sur la marchandise, la dérégulation néolibérale provoque des effets dans tous les domaines. Pas seulement dans le champ économique. Le psychisme humain lui-même est perturbé, bouleversé. Dépressions, troubles de l’identité, suicides et perversions se multiplient. Au point que le marché ne veut plus de l’être humain tel qu’il est. A l’aide du clonage et de l’ingénierie génétique, il exige désormais carrément la transformation biologique de l’humanité.

Dans L’art de réduire les têtes (1), j’avais tenté de mettre en évidence la profonde reconfiguration des esprits opérée par le marché. La démonstration était relativement simple : le marché récuse toute considération (morale, traditionnelle, transcendante, transcendentale, culturelle, environnementale…) qui pourrait faire entrave à la libre circulation de la marchandise dans le monde. C’est pourquoi le nouveau capitalisme cherche à démanteler toute valeur symbolique au profit de la seule valeur monétaire neutre de la marchandise. Puisqu’il n’y a plus qu’un ensemble de produits qui s’échangent à leur stricte valeur marchande, les hommes doivent se débarrasser de toutes ces surcharges culturelles et symboliques qui garantissaient naguère leurs échanges.

On peut voir un bon exemple de cette désymbolisation produite par l’extension du règne de la marchandise en examinant les billets de banque établis en euros. On remarquera que ces billets ont perdu les effigies des grandes figures de la culture qui, de Pasteur à Pascal et de Descartes à Delacroix, indexaient hier encore les échanges monétaires sur les valeurs culturelles patrimoniales des Etats-nations. Il n’y a plus sur les euros que des ponts et des portes ou des fenêtres, exaltant une fluidité déculturée. Les hommes sont priés de se plier au jeu de la circulation infinie de la marchandise. On peut donc dire que la loi du marché consiste à détruire toute forme de loi représentant une contrainte sur la marchandise.

En abolissant toute valeur commune, le marché est en train de fabriquer un nouvel « homme nouveau », déchu de sa faculté de juger (sans autre principe que celui du gain maximal), poussé à jouir sans désirer (le seul salut possible se trouve dans la marchandise), formé à toutes les fluctuations identitaires (il n’y a plus de sujet, seulement des subjectivations temporaires, précaires) et ouvert à tous les branchements marchands. Nous sommes là devant un aspect très particulier de la dérégulation néolibérale qui, malheureusement, n’est pas encore bien compris, mais qui produit d’ores et déjà des effets considérables dans tous les domaines, et notamment sur le psychisme humain. Un certain nombre de psychiatres et de psychanalystes sont en train d’inventorier les nouveaux symptômes dus à cette dérégulation, comme la dépression, les addictions diverses, les troubles narcissiques, l’extension de la perversion, etc.

Cette dérégulation d’un genre nouveau provoque de grandes confusions dans les débats. Elle s’accompagne d’un parfum libertaire, fondé sur la proclamation de l’autonomie de chacun et sur une extension de la tolérance dans tous les champs sociaux (dont celui des mœurs), qui tend à faire croire que nous sommes en train de vivre une intense période de libération. Parce que l’ancien patriarcat oppressif est mis à mal, on veut croire qu’une révolution sans précédent serait en route… en oubliant que c’est le capitalisme lui-même qui a commandé cette « révolution » visant à favoriser la pénétration de la marchandise dans les domaines où elle ne régnait pas encore – celui des mœurs et de la culture.

Karl Marx ne se trompait pas sur ce côté « révolutionnaire » du capitalisme : « La bourgeoisie, écrivait-il, ne peut exister sans bouleverser constamment les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales. Au contraire, la première condition d’existence de toutes les classes industrielles antérieures était de conserver inchangé l’ancien mode de production. Ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le bouleversement incessant de la production, l’ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l’instabilité et du mouvement. Tous les rapports sociaux immobilisés dans la rouille, avec leur cortège d’idées et d’opinions admises et vénérées, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant même de se scléroser. Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané et, à la fin, les hommes sont forcés de considérer d’un œil détrompé la place qu’ils tiennent dans la vie, et leurs rapports mutuels (2). » Cette capacité de transformer les rapports sociaux a été portée à son comble par ce nouvel état du capitalisme qu’on appelle parfois, à juste titre, l’« anarcho-capitalisme ».

Ce bouleversement a si bien fonctionné que certains ont été tentés de ne retenir de cette nouvelle forme que son côté « libertaire », « jeune » et « branché » et se sont enthousiasmés à bon compte pour la révolution des mœurs qu’elle introduisait. La confusion est telle que se croient hautement révolutionnaires ceux qui ne font que suivre cette dérégulation culturelle et symbolique – je pense à cette partie de la gauche branchée qui s’enthousiasme pour toutes les « causes tendance ». Or c’est exactement ce que veut l’anarcho-capitalisme, qui aime, sinon la « révolution », du moins toutes les formes de dérégulation culturelles et symboliques. Tous les spots publicitaires le montrent.

Il semble que les populations ne sont pas sans pressentir les considérables dangers potentiels que la civilisation court devant une telle dérégulation symbolique. Mais le marché peut tout récupérer à son profit : déjà quantité de groupes vantant et vendant des morales de pacotille sont sur la brèche. Or ce serait une erreur cruciale que d’abandonner le débat sur les valeurs aux conservateurs, qu’ils soient anciens ou « néo ». En effet, si on néglige ce terrain, il sera occupé par M. George W. Bush, les télévangélistes et leurs suppôts puritains comme aux Etats-Unis, ou par les populismes fascisants comme en Europe. Il est donc urgent de construire une nouvelle réflexion sur les valeurs, sur le sens de la vie en société et sur le bien commun à destination des populations confusément alarmées par les dégâts moraux dus à l’extension indéfinie du règne de la marchandise. Il est clair que si ce terrain n’est pas investi, ces populations seront tentées de tomber du côté de ceux qui l’occupent aussi bruyamment qu’indûment.

Quand la créature interfère dans sa création
On serait cependant loin du compte si l’on restreignait le débat à ces aspects culturels. Car il apparaît que cette reconfiguration des esprits n’est que la première phase d’un mécanisme de plus grande ampleur. Pour le dire en quelques mots, la « réduction de têtes » et la désymbolisation ne sont que le prélude à une autre redéfinition en profondeur de l’homme qui toucherait cette fois non plus seulement son esprit, mais aussi son corps.

Cette désymbolisation du monde intervient à un moment décisif dans l’aventure humaine : c’est la première fois dans l’histoire du vivant qu’une créature en arrive à lire l’écriture dont elle est l’expression. Avec cette boucle, un incroyable événement est rendu possible : l’instant où la créature va pouvoir faire retour dans la création pour se refaire. L’instant où la créature va interférer dans sa création et se poser comme son propre créateur. Le moment inconcevable arrive donc où une espèce va pouvoir intervenir dans son propre devenir en se substituant aux lois naturelles de l’évolution.

Tout se passe comme si la recommandation humaniste lancée à la Renaissance par un de ses grands penseurs, Pic de la Mirandole, avait été entendue au-delà de toute mesure. Pic voulait introduire, à l’encontre des anciennes formes de domination absolue par le divin, une part de libre arbitre humain. Il appelait ainsi l’homme à « sculpter sa propre statue (3) ». L’appel a été entendu par toute la philosophie ultérieure puisqu’on peut considérer celle-ci comme un très long développement sur le thème du libre arbitre humain, de la construction du cogito cartésien au thème de la mort de Dieu de Nietzsche, en passant par l’idéal critique des Lumières.

Or l’homme actuel est en train d’outrepasser cet idéal, puisque, s’il est effectivement en train de « sculpter sa propre statue », ce pourrait bien être une statue vivante, appelée à se substituer à l’homme lui-même. Remarquons au passage que ce ne serait rien de moins que la fin de la philosophie qui serait impliquée par une telle visée de redéfinition des bases matérielles de l’humanité. Son accomplissement supposerait, en effet, la transformation irrémédiable d’une entreprise, sans cesse relancée depuis l’Antiquité, de réforme de l’esprit (par l’ascèse, par la recherche de l’autonomie, par la refondation de l’entendement) en une visée purement techniciste de modification du corps. Mais à quoi servirait-il de gagner un corps neuf si c’était pour perdre l’esprit ?

La question vaut d’autant plus d’être posée qu’il existe un programme diffus de fabrication d’une « posthumanité ». Ce programme est dissimulé, on ne lui donne guère de publicité. On ne doit pas effrayer les hommes, il ne faut surtout pas qu’ils comprennent qu’on les fait travailler à l’abolition de l’humanité – c’est-à-dire à leur propre disparition. Le monde du vivant a été tellement investi par le capitalisme afin d’y développer de nouveaux espaces pour la marchandise que certaines de ses conséquences possibles sur l’humanité elle-même ont fini par percer le mur du silence. C’est ainsi que Francis Fukuyama, le chantre du néolibéralisme, qui avait proclamé, après la chute du mur de Berlin, le début de la « fin de l’histoire » avec l’avènement généralisé des démocraties néolibérales, a dû se reprendre et admettre que le triomphe du marché n’était pas le dernier épisode de l’histoire humaine. Un autre suivrait : la transformation biologique de l’humanité (4). Mais ce dessillement ne lui fut que l’occasion de s’enferrer dans une nouvelle erreur d’appréciation.

Francis Fukuyama veut croire que le néolibéralisme saura nous préserver de cet engrenage fatal… alors qu’il est ce qui nous y conduit tout droit ! Pour lui, en effet, la démocratie de marché serait un état parfait s’il n’était menacé par le développement de certaines techniques : « Une technique assez puissante pour remodeler ce que nous sommes risque bien d’avoir des conséquences potentiellement mauvaises pour la démocratie libérale (5). »

Evidemment, il faut en convenir, s’il n’y a plus d’hommes, la démocratie risque de tourner un peu à vide. Pour éviter pareil péril, il suffirait, selon Fukuyama, que « les pays régulent politiquement le développement et l’utilisation de la technique ». Pieuse intention, qui lui permet de passer sous silence l’essentiel : c’est le marché qui entretient le développement sans fin des technosciences, lesquelles, non régulées, entraînent tout droit vers la sortie hors de l’humanité.

Ce lien est pourtant clair : puisque le marché implique la fin de toute forme d’inhibition symbolique (c’est-à-dire la fin de la référence à toute valeur transcendentale ou morale au profit de la seule valeur marchande), rien, si l’on reste dans cette logique, ne pourra empêcher que l’homme s’affranchisse de toute idée prétendant le maintenir à sa place et qu’il sorte de sa condition ancestrale sitôt qu’il en aura les moyens. Ce n’est donc pas la science seule, comme on le dit souvent, mais la science plus l’effet délétère du marché sur les valeurs transcendentales qui seraient en mesure de permettre la réalisation de ce programme. Il faut donc se poser cette question : existe-t-il, dans nos démocraties postmodernes « où l’on peut tout dire », une instance politique pour décider si nous voulons ou non de cette mutation ? Rien n’est moins sûr.

Or l’absence de ce lieu pèse lourd. On voit où le programme de fabrication d’une posthumanité pourrait mener : directement à l’entrée dans une ère de production d’individus dits supérieurs ayant échappé à l’engendrement. Et d’individus inférieurs pour les tâches subalternes. L’existence, banalisée, d’organismes génétiquement modifiés devrait mettre la puce à l’oreille : on pourrait à court terme entreprendre de fabriquer, par clonage et modification génétique, de nouvelles variantes humaines. Il est même vraisemblable que des expérimentations sont en cours ou ne sauraient tarder à l’être.

Lorsque ce jour arrivera, nous serons passés de la postmodernité, époque embarrassée dans l’effondrement des idoles, à la posthistoire. Si nul ne peut prévoir ce que cela sera, on peut cependant dire ce que cela ne sera plus. Car cela signifie le dénouement de cinq grands topoï de l’humanité : la fin de la commune humanité, la fin de la fatalité usuelle de la mort, la fin de l’individuation, la fin de l’arrangement (problématique) entre les sexes, et le bouleversement de la succession générationnelle.

Le danger qui menace l’espèce humaine n’est pas le seul danger eugénique. Ce qui est, à court terme, en danger, c’est aussi et tout simplement la conservation et la perpétuation de l’espèce elle-même. Cette conservation ne procède pas d’elle-même, elle passe par un cadre symbolique et culturel. Cela s’explique par le fait, reconnu par une partie de la recherche paléoanthropologique, que l’homme est concevable comme un être à naissance prématurée, incapable d’atteindre son développement germinal complet et cependant capable de se reproduire et de transmettre ses caractères de juvénilité, normalement transitoires chez les autres animaux. On parle à cet égard de la néoténie de l’homme (6). Elle implique que cet animal, non fini, à la différence des autres animaux, doit se parachever ailleurs que dans la première nature, c’est-à-dire dans une seconde nature, généralement appelée culture.

On trouve beaucoup de choses dans cette seconde nature : des dieux, des récits, des grammaires se rapportant à n’importe quel objet du monde (les étoiles, les cailloux, les microbes, la musique, le récit, le calcul, la subjectivité, la socialité…), une intense activité prothétique (tous les objets qui permettent à cet animal non fini d’habiter le monde), des lois, des principes, des valeurs… Or, si ce cadre est endommagé, si les lois et les principes qui le régissent deviennent flous, on peut s’attendre non seulement à des effets individuels et sociaux délétères, mais aussi à des menaces sur l’espèce puisque plus rien ne sera assez légitime pour s’opposer à des manipulations visant à la transformer, dès lors que cela est possible.

Déjà, certaines voix s’élèvent jusque dans l’intelligentsia pour accueillir la supposée bonne nouvelle de la prochaine mutation de l’homme. Tout spécialement le philosophe allemand Peter Sloterdijk, qui s’était déjà rendu célèbre pour avoir prononcé, fin 1999 outre-Rhin, une conférence intitulée Règles pour le parc humain (7), lors d’un colloque consacré à Heidegger. Cette conférence avait suscité une grande controverse, notamment avec Jürgen Habermas. Les propos de ce « nietzschéen de gauche » semblent très significatifs de la façon dont la dérégulation symbolique actuelle peut brouiller les esprits.

Dans une autre conférence tenue au Centre Georges-Pompidou en mars 2000 (8), Sloterdijk reprenait ainsi une thèse de Heidegger, mais pour l’inverser. Il ne s’agissait plus de dire que la technique était « oubli de l’Etre », mais de proclamer qu’elle concourt à la « domestication de l’Etre », étant l’attribut majeur de l’homme néoténique, amené à se produire lui-même. Comme si la technique était la seule conquête de l’homme néoténique et que le cadre symbolique fait de prescriptions et d’interdits n’avait jamais existé ! Avec pareilles prémisses, toutes les conséquences possibles de la technique sont justifiées à l’avance. La délibération morale est d’ailleurs si peu prise en considération que, dans ce discours « désinhibé », c’est la technique seule qui en vient à pouvoir déterminer une éthique, et pas n’importe laquelle : une « éthique de l’homme majeur », comme telle ouverte aux « auto-manipulations biotechnologiques ».

Dans ce discours, l’éthique consiste donc à éloigner toute forme d’examen moral. C’est ainsi que l’homme, tiré hors de lui-même par l’Etre, aurait à charge de changer sa condition biologique pour s’ouvrir à la multiplicité biologique (9). L’homme étant né insuffisant et étant le produit de la technique, il ne lui reste plus qu’à mener cette dernière à ses ultimes conséquences. C’est ainsi que le vieil homme doit être rebaptisé « homme premier » – où l’on peut entendre une claire euphémisation de « primitif » (comme dans « musée des arts premiers ») –, car cet homme n’est déjà plus qu’un primitif devant les hommes supérieurs qui doivent venir. Il ne fallait pas halluciner le retour de l’Etre dans la sinistre farce historique du nazisme – ce n’était là qu’une regrettable erreur de mon cher maître, semble dire Sloterdijk. Non, c’est aujourd’hui que la véritable extase se présente : l’homme supérieur, le vrai, arrive et ses thuriféraires le chantent déjà et font la police pour lui dégager la route.

Or cette route est encombrée d’« hommes premiers » – voilà le problème. Pour notre prophète, le vieil homme primitif est retors, il est constitutivement sourd – je cite – au « potentiel généreux » de la transformation « plurivalente ». Pis, par son « égoïsme ancien », il serait tout juste bon à « exercer le pouvoir sur les matières premières » pour « en disposer » afin de les soustraire aux changements promis – où l’on comprend que ces « matières premières » pourraient bien être le corps humain lui-même. Ce vieil homme ne serait, bien sûr, que « l’homme du ressentiment » prêt à faire « des rassemblements » pour embrigader « des populations désinformées » et les mener vers « de faux débats sur des menaces non comprises, sous la férule d’éditorialistes lascifs »… A bas donc les vieux « humanolâtres » qui prétendent, mus par « une hystérie antitechnologique », s’opposer à ce saut où l’Etre nous appelle car, bien sûr, il n’y a « rien de pervers » à vouloir « se transformer par autotechnique »…

Ces propos de Sloterdijk – par leur outrance même – sont de grande utilité : ils permettent de comprendre que la désinhibition symbolique actuelle n’est pas seulement une affaire de libération des mœurs et de sortie plus ou moins douloureuse du patriarcat. En fait, la levée des interdits révèle que perdure un véritable projet postnazi de sacrification de l’humain. Il est porté par l’anarcho-capitalisme, qui, en brisant toutes les régulations symboliques, rend possible le fait que la technique avance toute seule jusqu’à briser l’humanité.

Une civilisation du tout-consommable
« Le discours capitaliste, disait déjà le docteur Lacan, c’est quelque chose de follement astucieux (…), ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux. Mais justement ça marche trop vite, ça se consomme. Ça se consomme si bien que ça se consume (10). » En somme, le vrai problème du capitalisme, c’est qu’il fonctionne trop bien. Si bien qu’un jour il devrait finir par tout consommer : les ressources, la nature, tout – jusque et y compris les individus qui le servent.
Dans la logique capitaliste, précisait Lacan, a été « substitué à l’esclave antique » un homme réduit à l’état de « produit » : « des produits (…) consommables tout autant que les autres (11) ». Cette remarque permet de comprendre que c’est exactement en ce sens très menaçant qu’il faut entendre les expressions légèrement euphorisantes qu’on trouve dans toute la littérature néolibérale : le « matériel humain », le « capital humain », la gestion éclairée des « ressources humaines » et la « bonne gouvernance liée au développement humain ».
L’anarcho-capitalisme a accrédité l’idée que se donner des lois est cruel et ne confine qu’à une sorte de masochisme insupportable. Et il renvoie cyniquement ceux qui auraient besoin d’un supplément d’âme au puritanisme obscurantiste. Il faut pourtant rappeler que les philosophes des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, disaient que la liberté ne consiste en rien d’autre qu’à obéir aux lois que l’on s’est données. En fait, nous avons besoin de véritables lois juridiques et morales, et non de ces succédanés moralisants, pour rendre enfin la justice, pour sauvegarder le monde avant qu’il ne soit trop tard, pour préserver l’espèce humaine, menacée par une logique aveugle. Or nous sommes en train d’abroger toutes les lois – sauf celle du plus fort – et, si nous continuons dans cette funeste direction, nous entrerons dans une cruauté bien plus vive que celle d’avoir à se soumettre à des lois. Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans. Pour tenter d’en bricoler un autre.

Dany-Robert Dufour.

De la réduction des têtes au changement des corps, avril 2005
Par Dany-Robert Dufour
Directeur de programme au Collège international de philosophie, Paris.

Notes
(1) Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Denoël, Paris, 2003.
(2) Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, trad. Laura Lafargue, Editions sociales, Paris, 1976, p. 35.
(3) Pic de la Mirandole (1463-1494), Discours sur la dignité de l’homme, cité par Jean Carpentier, Histoire de l’Europe, Points Seuil, Paris, 1990, pp. 224-225.
(4) Dans « La fin de l’Histoire dix ans après », Fukuyama répète son credo : « La démocratie libérale et l’économie de marché sont les seules possibilités viables pour nos sociétés modernes. » Mais il reconnaît une insuffisance quant à sa conception de la fin de l’histoire : « L’Histoire ne peut s’achever aussi longtemps que les sciences de la nature contemporaines ne sont pas à leur terme. Et nous sommes à la veille de nouvelles découvertes scientifiques qui, par leur essence même, aboliront l’humanité en tant que telle. » Le Monde, 17 juin 1999.
(5) Cf. Francis Fukuyama, La Fin de l’homme : les conséquences de la révolution biotechnique, La Table ronde, Paris, 2002.
(6) Voir les travaux du grand anthropologue américain Stephen Jay Gould : Darwin et les grandes énigmes de la vie, Pygmalion, Paris, 1979, et Le pouce du panda, Grasset, Paris, 1982.
(7) Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Mille et une nuits, Paris, 2000.
(8) Conférence reprise dans un recueil intitulé La Domestication de l’Etre, Mille et une nuits, Paris, 2000. Toutes les citations qui suivent sont tirées de cet ouvrage.
(9) En fait, cette diversification est déjà en cours : l’hebdomadaire américain Science, daté du 27 juillet 2001, relatait qu’une équipe américaine a réussi à implanter des cellules-souches cérébrales humaines au sein de cerveaux de fœtus de singes Macaca radiata vers la douzième semaine de leur gestation, cette implantation pouvant mener à la création de singes anthropoïdes dont les cerveaux auraient été, de la sorte, mécaniquement « humanisés ».
(10) Jacques Lacan, « Conférence à l’université de Milan », 12 mai 1972, inédit.
(11) Jacques Lacan, L’Envers de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, séance du 17 décembre 1969, p. 35.
Dany-Robert Dufour
Philosophe, professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII, directeur de programme au Collège international de philosophie ; auteur de La Cité perverse. Libéralisme et pornographie, 2009 ; Le Divin Marché. La révolution culturelle libérale, 2007 ; et On achève bien les hommes, 2005, tous chez Denoël, Paris





B) Transhumanisme de Wikiberal

Le transhumanisme (ou posthumanisme) est un mouvement intellectuel prônant l'utilisation de différentes techniques et technologies pour dépasser les limites imposées par la nature humaine. L'objectif est de dépasser, voire d'éliminer des aspects inhérents à la condition humaine jugés comme négatifs : souffrance, mort, maladie, imbécilité, sénilité, imperfections en tous genres (mémoire, fatigue, etc.).  

La première apparition du mot transhumanisme date de 1957 et est attribuée à J. Huxley, biologiste et frère de Aldous Huxley, l'auteur du "Meilleur des mondes". Il voulait par là qualifier le courant intellectuel selon lequel on pourrait améliorer l'humanité avec l'aide de la science. C'est en cherchant à généraliser les courants existants comme l'eugénisme (une des incarnations du transhumanisme) qu'il a proposé ce mot. Sa définition originelle était la suivante :
« Un homme qui reste homme, mais qui se transcende en utilisant de nouvelles possibilités de et pour sa nature humaine. »
L'acception du mot transhumanisme a depuis évolué, notamment sous l'impulsion de cercles intellectuels dans les universités américaines (New School, University of California, MIT). L'évolution conjointe de différentes branches de la science comme la biologie, les nanotechnologies, les développements en intelligence artificielle, etc., ont introduit l'idée que l'homme pouvait dépasser les limites que sa nature biologique lui imposait. Dès lors le transhumanisme est vu comme « différant essentiellement de l'humanisme par la reconnaissance et l'anticipation d'altérations radicales dans la nature et les possibilités de vie résultant de l'application de diverses sciences et technologies ».

Problématiques philosophiques

Le transhumanisme ouvre de nombreuses questions pour les libéraux. La notion même de nature humaine et par extension de droit naturel est impactée. La place de l'homme dans la nature est elle aussi mise en question, cela a donc des répercussions sur le droit animal. Enfin, en postulant explicitement une humanité différente, le transhumanisme peut être vu comme un mélange inédit de racisme et de constructivisme. Certaines approches du transhumanisme relèvent purement de l'eugénisme. Cependant une approche transhumaniste de type catallaxie peut être pensée où les évolutions de la nature humaine se feraient de manière émergente par l'utilisation de plus en plus poussée et fréquente de nouvelles technologies.

Art et culture

Le transhumanisme est le sujet central de nombreuses créations artistiques. Parmi les plus connues, on peut citer la trilogie des films X-men, les romans Hypérion de Dan Simmons, et Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley.

Citations

  • Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. (Max Stirner)

Liens externes




Le transhumanisme est la prochaine étape de la civilisation, et le laissez-faire est sa justification, sa condition préalable et sa limite :
  • Premièrement, c’est la seule philosophie qui fournisse une justification adéquate à la liberté transhumaniste, et une réponse solide à ceux qui l’opposent ;
  • Deuxièmement, c’est la seule philosophie qui permette au monde d’être suffisamment prospère pour que nous puissions effectivement nous le permettre, et laisse les gens utiliser leur argent à cette fin ;
  • Troisièmement, c’est la seule philosophie qui se développe en un cadre cohérent et rationnel permettant de gérer les nouvelles questions éthiques soulevées par le progrès technologique.

1. Le transhumanisme en tant que droit libéral

La liberté, l’immortalité, et les étoiles !
L. Neil Smith1

1.1. Le droit de vivre contre le devoir de mourir

Laissez-faire résume en un mot toute la philosophie de la liberté : laissez chacun faire ce qu’il veut avec tout ce qui est à lui. Les libéraux considèrent à la fois que tout un chacun devrait être libre de faire ce qu’il lui plaît avec ce qui est à lui, et que chacun a le droit de faire ce qu’il veut avec ce qui est à lui. C’est une position à la fois descriptive et normative : comment est le monde (nous avons ce droit) et comment il devrait être (ce droit devrait être plus largement reconnu). Les lois peuvent reconnaître ou ne pas reconnaître nos droits ; qu’elles le fassent n’affecte pas nos droits, cela affecte notre liberté effective2.

Outre une liberté et un droit, le laissez-faire se traduit aussi par une obligation : laissez-nous faire, c’est-à-dire, ne commettez pas d’agressions contre nous. Le principe de non-agression, la loi d’égale liberté, l’identité des droits de tous les individus3 : je n’ai pas le droit de commettre d’agression contre qui que ce soit, et personne n’a le droit de commettre d’agression contre moi. Quiconque respecte cette obligation est un être civilisé. Quiconque ne la respecte pas est un criminel3bis. Les lois, encore une fois, n’y changent rien, elles peuvent reconnaître cette réalité ou la nier. Arrêter un agresseur est un acte de légitime défense. Arrêter une personne non-agressive constitue une agression en soi, et donc un crime.

Ainsi, les devoirs légitimes ne sont que le miroir des droits légitimes. Toute sorte d’autre obligation, fausse, entrera inévitablement en conflit avec ces obligations et droits réels. Les fausses obligations et les faux droits peuvent être décrits plus précisément comme des tentatives par certains individus d’user de la force pour extorquer du temps ou de l’argent à d’autres individus (en prétendant y avoir « droit », ou en postulant que vous auriez une « obligation » de faire quelque chose à leur service). Ceci constitue une déformation anti-conceptuelle des mots, absurde tant grammaticalement qu’éthiquement4.

Les lois peuvent proclamer toute sorte de comportement « crime », mais appeler « crime » un comportement qui n’est pas une agression par une personne donnée (ou groupe de personnes donné) contre une autre personne donnée (ou groupe de personnes donné) est une absurdité grammaticale. Il n’est pas davantage possible de commettre un crime contre « soi-même » ou « la société » qu’il serait possible de « pleuvoir quelqu’un ».

Le droit de faire ce que je veux avec ce qui est à moi commence, bien entendu, avec mon corps. C’est la raison de la prohibition du viol, des voies de fait et des mutilations. C’est la raison pour laquelle c’est mon droit sacré de choisir de travailler ou de ne pas travailler, d’avoir des rapports sexuels ou de ne pas en avoir (avec ou sans rémunération, avec une ou plusieurs personnes, avec une personne de sexe opposé ou de même sexe, etc.), de prendre des drogues ou de ne pas en prendre, de vivre seul, en famille ou en groupe, de me marier ou de rester célibataire.

Mais tout ces droits partent d’un droit plus fondamental : le droit à ma propre vie. Le droit de me suicider si je le veux, et, plus important, l’interdiction à quiconque d’autre de me tuer sans mon autorisation. Et bien entendu, le droit de me défendre contre quiconque enfreindrait ce droit.

Ainsi, nous n’avons pas de devoir de mourir, et nul n’a le droit de nous y contraindre. Les options de chercher à se protéger contre la maladie, le vieillissement, la douleur et la mort découlent toutes de notre droit à notre propre vie. Nous avons le droit de nous défendre contre toutes ces afflictions. Et nous avons le devoir d’offrir aux autres individus le respect de ces mêmes droits.

1.2. Individualisme contre collectivisme

L’opposition principale à ce droit est toujours venue de la prétention de certains de revendiquer des droits sur la vie d’autres personnes. Sa principale justification philosophique a toujours été, sous une forme ou une autre, le collectivisme. L’antagonisme entre individualisme et collectivisme constitue, en effet, l’enjeu principal dans le monde aujourd’hui5.

Cependant, puisque seuls les individus peuvent effectivement agir et prendre des décisions, toute décision collective est, in fine, la décision de certains individus6. Le collectivisme n’est donc pas seulement contraire à la morale, il est aussi, encore une fois, grammaticalement faux : seuls les individus peuvent manger, aimer, penser, décider7.

La vraie dichotomie, bien comprise, n’est donc pas si les individus décident ou si une « collectivité » mystique décide8. La question est plutôt qui décide de quoi. Les réponses possibles sont : chacun décide pour lui-même, ou, certains décident pour d’autres.

C’est pour cela que cette dichotomie peut également être reformulée comme celle entre l’humanisme et le constructivisme9 : le premier considère que tous les individus ont les mêmes droits universels (en tant qu’êtres humains), alors que le second revient à considérer que certains individus auraient le droit d’imposer leurs décisions à d’autres (généralement sous le prétexte prétentieux de savoir mieux qu’eux ce qui est bon pour eux, au mépris de leur rationalité), construisant ainsi la société en tant que planificateurs centraux.
Ce qui nous amène à encore une autre façon d’exprimer la même opposition : le marché (l’agora) contre le politique (l’État)10. Sur le marché libre, chaque individu décide pour lui-même ; en politique, tous décident pour tous. Les individualistes veulent que rien ne soit politique, les collectivistes souhaitent que tout soit politique11.

L’individualiste pense en termes d’individus, et non de collectifs, de personnes, et non de groupes. Les individus ne sont pas sacrifiables : contrairement au constructiviste, l’humaniste ne traite pas les personnes comme des pièces d’un puzzle ou des pions d’un jeu. Les individualistes ne se soucient guère de la survie des nations, des races ou des espèces, seule la survie de chaque être individuel est pertinente. Les individus ne sont pas des cellules d’un organisme plus large, pour lequel seule la survie de l’organisme serait importante, alors que le vieillissement, la mort et le remplacement des cellules qui le composent seraient sans importance. Les individus sont le seul niveau d’organisme pertinent, l’entité vivante et pensante, l’agent agissant12.

Les droits de l’homme sont des droits de propriété individuels. Il ne peut y avoir de crimes que contre des individus, il ne saurait y avoir de « crimes contre la société », de « crimes contre Dieu », de « crimes contre l’État », de « crimes contre la nation », de « crimes sans victime », ou de « crimes contre l’espèce humaine »13.

1.3. Droit universel contre valeurs subjectives

Et c'est alors que j'ai compris, c'est alors que j'ai compris que la conversation avec la société avait changé profondément au cours de cette dernière décennie. Ce n'est plus une conversation sur comment surmonter des handicaps. C'est une conversation sur l'amélioration. C'est une conversation sur le potentiel.
Aimee Mullins13bis
Le corollaire du mépris des constructivistes envers la rationalité d’autrui est un manque de compréhension de la subjectivité des valeurs.
La valeur de quelque chose est la valeur de quelque chose pour quelqu’un. Il n’y a pas de « valeur absolue » et il n’y a pas de « valeur intrinsèque »14. Encore une fois, c’est de la grammaire : valeur nécessite la préposition pour.

Ainsi, il n’y a pas de distinction pertinente entre les besoins et les désirs humains14b. En termes économiques, nous cherchons tous à accroître notre utilité. Il n’y a pas de définition pertinente de « besoins » auxquels tout un chacun aurait « droit » et de « désirs » qui constitueraient un luxe superflu. À moins qu’il ne soit question de transgression de droits, il n’y a pas de valeur propre à une personne donnée qui lui donnerait le droit d’outrepasser les priorités d’une autre personne donnée et user de coercition contre elle sous le prétexte de ses propres préférences. Les préférences ne sont pas la morale, et la morale n’est pas le droit. Interférer avec les projets de maximisation d’utilité d’une autre personne n’est pas une question de « bien supérieur » ou de « comparaisons d’utilité », c’est une question de droits15. Les droits sont universels et leur respect peut être imposé, alors que les valeurs et les préférences sont subjectives et personnelles.

Les anti-transhumanistes postulent une limite arbitraire et injustifiée au degré de science, de progrès, de technologie, de recherche, d’amélioration de la vie (et d’ailleurs aussi de marché libre), donc en fin de compte de santé et de vie qui doit être « permis », ou même financé16. Les libéraux ne reconnaissent pas une telle limite. Aucun anti-transhumaniste luddite ne pratique vraiment la conclusion logique de sa philosophie de la mort : vivre comme un animal et mourir à l’accouchement, dans la petite enfance, ou à la moindre infection.

Car il n’y a pas de différence morale entre utiliser un désinfectant pour soigner une plaie et prendre une pilule pour inverser le vieillissement. Les deux sont des expressions de notre désir et droit de vivre, et d’utiliser tous les moyens pacifiques que nous voulons pour y parvenir. Il n’y a pas de différence morale entre utiliser une chaise roulante si l’on ne peut pas marcher, obtenir de nouvelles jambes artificielles, ou éviter génétiquement de tels handicaps dès le départ. Il n’y a pas de différence morale non plus entre prévenir, indemniser, en pallier les effets, ou annuler complètement les effets des accidents, et user des mêmes options lorsque ce sont des handicaps de naissance17.

1.4. Liberté d’association contre pouvoir religieux

La plus grande partie de l’opposition à la limitation de la douleur, du vieillissement et de la mort est toujours venue des religions, soit directement, soit indirectement en passant par des pseudo-morales d’inspiration religieuse entérinées dans la loi.

Le laissez-faire, bien entendu, défend une liberté de religion absolue. Mais il ne la défend pas en tant que telle. Il la défend en tant que simple aspect parmi d’autres d’une philosophie bien plus large. Il défend la liberté religieuse comme conséquence de la liberté d’expression et de la liberté d’association. Et il défend celles-ci en tant que simples conséquences du droit de propriété, du principe de non-agression. Il peut y avoir conflit entre la liberté de religion et les autres libertés, mais non entre des droits de propriété correctement définis, qui comprennent tous leur propre limite : mon droit de faire tout ce que je veux avec tout ce qui est à moi n’a jamais compris un droit de le faire avec ce qui n’est pas à moi. La liberté de religion, donc, est une conséquence du droit de propriété — non une excuse pour le bafouer.

En tant que libéraux, nous n’avons rien à dire à propos de Dieu, ou à propos de la religion en général. Et nous n’aurions rien à dire, en tant que libéraux, à propos des organisations religieuses, si elles se contentaient d’exprimer des opinions sur les comportements qui mènent au paradis ou en enfer, sur le sens de la vie ou sur l’origine de l’univers. Nous n’aurions rien à dire contre aucune religion, si elles restaient en dehors de la politique, autrement dit, n’utilisaient pas — ou ne tentaient pas d’utiliser — l’État pour commettre des violences contre nous. Violence dont le but est, au lieu de tenter de nous convaincre de leurs opinions religieuses par des moyens pacifiques, de nous contraindre à les financer, et à nous les imposer par des lois justifiées par des arguments religieux qui ne concernent en rien tous les non-croyants auxquels elles s’appliqueront néanmoins.

Philosophiquement, la plupart des religions acceptent la douleur, la souffrance et la mort, en tant que sacrifice, martyre, comme épreuve de la valeur, comme inévitables, comme volonté divine, comme occasions de faire des choix moraux, comme défis pour s’assurer une meilleure situation dans l’au-delà, etc18. Elles s’opposent à l’amélioration de l’homme et à sa quête d’immortalité, considérant comme blasphématoires notre rapprochement de réalisations de niveau divin. Ils considèrent la vie après la mort, et non l’immortalité, comme la priorité dont il faudrait se préoccuper18bis.

Les religions s’opposent généralement à divers aspects ou degrés du progrès, particulièrement médical, que ce soit la vaccination, les transfusions sanguines (Témoins de Jéhovah19), la vente d’organes (Église catholique20), la procréation médicalement assistée, etc.

Ce qui, bien entendu, va complètement à l’encontre des objectifs du transhumanisme. Pour ce qui est du laissez-faire, il se borne à défendre le droit de chaque individu à choisir pour lui-même. Si les religions n’imposent leurs points de vue à personne, et se contentent de défendre la douleur, la souffrance et la mort en tant que choix personnels, elles peuvent être tolérées tout comme d’autres sortes de pratiques ou de sectes masochistes dont les membres ne sont que des adultes consentants, qui y sont de leur plein gré. Dans le cas contraire, si elles essayent de se servir de leur rationalisation religieuse de la douleur, de la souffrance et de la mort pour les imposer à autrui au travers de législations, alors hélas elles vont également à l’encontre de la position de non-agression du laissez-faire21.

1.5. Présomption de liberté contre principe de précaution

Les libéraux ont toujours défendu la présomption d’innocence, et sa version politique, la présomption de liberté22. Appliquée aux nouvelles technologies, elle signifie que si quelqu’un veut interdire quelque chose, la charge de la preuve repose sur lui, de démontrer que cela constitue une agression et devrait être interdit.

L’attaque contre ce principe, particulièrement dommageable pour le transhumanisme, est venue de son contraire, le « principe de précaution »23, qui a été critiqué par les libéraux.

L’interdiction de nouvelles technologies devrait nécessiter, au minimum, une preuve solide de leur danger... et non simplement des mesures « de précaution » décidées par des « comités éthiques » qui n’offrent aucun argument rationnel pour défendre leurs transgressions de nos droits.

1.6. Pouvoir sur la nature contre pouvoir sur les personnes

La violence est l’outil de l’État ; la connaissance et l’esprit sont les outils des gens libres.
Lew Rockwell24
Et enfin, l’opposition entre le laissez-faire et l’État, entre les moyens économique et politique, s’est aussi traduite par le conflit entre croissance et stagnation, technologie contre bureaucratie, entrepreneurs contre statu quo. En fin de compte, c’est un très vieux conflit, et il revient à civilisation contre barbarisme25.

Les transhumanistes et les libéraux se préoccupent de réaliser des progrès technologiques, contrôler la nature, étendre le pouvoir des individus sur la nature. Les étatistes, en revanche, s’intéressent uniquement à la redistribution du pouvoir dans leur vision statique du monde, cherchant à étendre leur pouvoir sur les hommes. Le pouvoir relatif de statut est plus important pour eux que la croissance de richesse absolue de l’humanité et des individus qui la composent.

Pour nous, au contraire, le progrès technologique, la liberté individuelle, le développement personnel et le transhumanisme font tous partie d’une progression dynamique des individus vers davantage de richesse absolue, de pouvoir sur la nature, de contrôle de leurs environnements, et de bonheur.

2. Le capitalisme de laissez-faire en tant que pré-condition matérielle au transhumanisme

Si l’État avait été aboli il y a un siècle, nous aurions tous déjà des robots domestiques et partirions en vacances dans la ceinture d’astéroïdes.
Samuel Edward Konkin III26

2.1. Croissance économique contre famine

L’anarchie nous entoure. Sans elle, notre monde s’écroulerait. Tout progrès est dû à elle. Tout ordre provient d’elle. Tous les bienfaits qui nous élèvent au-dessus de l’état de nature sont dûs à elle. L’espèce humaine s’épanouit uniquement grâce à l’absence de contrôle, et non grâce à lui. Je dis que nous avons besoin de toujours plus d’absence de contrôle pour rendre le monde encore plus beau.
Jeffrey Tucker
Les États ne créent pas de richesses : les individus créent de la richesse, et chaque fois qu’ils le font ils agissent d’une manière libérale. La seule raison pour laquelle nous pouvons ne serait-ce qu’avoir un débat à propos du transhumanisme est qu’il y a eu suffisamment de laissez-faire pour que nous puissions nous le permettre.

Les habitants de Corée du Nord, luttant contre la famine, n’ont probablement pas ces préoccupations. Vous ne pensez pas à vivre éternellement lorsque vous pouvez à peine trouver assez de nourriture pour survivre la journée. Si nous avons dépassé ce stade de simple survie, c’est grâce à l’entreprenariat, l’innovation, le progrès technologique et l’accumulation de capital.

Autant de principes du libre marché. Leur effet, bien que grandiose, a été saboté et entravé par les États. Par la favorisation d’intérêts particuliers bien établis, statiques. Par le fait de « sauver des emplois », c’est à dire, maintenir artificiellement des emplois dans de vieilles technologiques inefficaces. Par l'imposition du travail et du capital. Par la destruction de monnaie en tant que moyen d’échange. Si vous pensez que l’effet de l’intervention étatique sur le degré de richesse, et donc de technologie, est bénin, revoyez vos calculs27.

Le marché libre est le pouvoir de créer. L’État est le pouvoir de détuire. Le moyen économique est celui de la production. Le moyen politique est celui de la destruction. Sur le marché, les gens créent de la richesse. L’État ne fait que la redistribuer, en détruisant une bonne partie au passage. Les impôts ne produisent rien.

La raison pour laquelle nous pouvons ne serait-ce qu’envisager le transhumanisme est que nous vivons dans des économies mixtes, moitié-capitalistes, moitié-communistes. La raison pour laquelle nous n’avons pas déjà atteint les objectifs du transhumanisme est exactement la même.

2.2. L’immortalité contre les intérêts de l’État

Elle pensait que la production industrielle était une valeur que personne ne pouvait remettre en question ; elle pensait que l’envie de ces hommes d’exproprier les usines appartenant à d’autres impliquait leur reconnaissance de la valeur de ces usines. [...]Elle vit ce qu’ils voulaient et à quel but leurs « instincts », qu’ils proclamaient inexplicables, les menaient. Elle vit qu’Eugene Lawson, l’humanitaire, se réjouissait de la perspective de famine — et le Dr. Ferris, le scientifique, rêvait du jour où les hommes retourneraient à la charrue à bras.
Ayn Rand28
Pensez-vous vraiment que malgré cela l’État pourrait d’une façon ou d’une autre canaliser ses ressources vers les objectifs transhumanistes ? Certes non.

Tout d’abord, l’État pourrait investir l’intégralité de son budget actuel dans le transhumanisme, cela serait toujours insignifiant en comparaison de la richesse que nous y aurions investie par nous-mêmes s’il avait cessé de nous appauvrir il y a quelques siècles29. Tout ce que nous pensons avoir « grâce à l’État », relève du sophisme comptable30.
Mais encore plus fondamentalement, la prolongation de la vie va complètement à l’encontre des intérêts des États et de leur vision du monde. Les États partent d’une vision du monde statique, de ressources à « allouer », de territoires à contrôler. De cycles de vie, de certificats de naissance, de permis de séjour, etc. L’État n’est pas fait pour l’Ère de la mondialisation31, ni pour l’Ère spatiale, et encore moins pour l’Ère de l’immortalité. Leurs systèmes de retraite pyramidaux façon Madoff n’ont pas été conçus pour cela. Et leurs idéologies collectivistes n'y voient pas d'intérêt, et ne le permettront pas.

3. L’éthique libérale en tant que cadre moral et légal de l’ère nouvelle

En tout état de cause, on peut bien tempêter contre l’individualisation du pouvoir sur la vie, mais il faut se rappeler que le monopole de ce pouvoir par l’État s’est traduit par des avortements forcés, des stérilisations, des empêchements au mariage ou à la procréation, et que l’histoire de l’eugénisme d’État n’est pas la plus honorable qui soit. On peut bien sûr préférer à la liberté procréative ou au bien-être des individus à naître les valeurs qu’ils ont remplacées, mais il ne faut pas oublier que ces valeurs n’étaient autres que le « sang allemand », la « nation française » ou le « peuple américain ». Autrement dit, le propre du pouvoir sur la vie contemporain est de rompre une bonne fois avec le fantasme d’entités biologiques collectives, en faisant de l’ensemble de la vie, des processus biologiques, de la matière vitale, un moyen au service de la vie biologique et morale des individus.
Marcela Iacub32

3.1. Pouvoir individuel contre pouvoir collectif sur la génétique

Comme Marcela Iacub l’a résumé, quelqu’un doit prendre les décisions reproductives. Si ce ne sont pas les individus concernés, alors c’est l’État, et ce dernier est bien plus dangereux.
Et, comme nous l’avons vu, ce n’est pas une question du bien-être collectif de « l’espèce » ou de « la nation » contre celui des individus égoïstes33.

Non, c’est une question du choix de certains individus contre le choix d’autres individus. La seule question pertinente est donc qui a le droit de décider de quoi ? Et quels moyens peuvent être utilisés pour appliquer cette décision ?

Le meilleur cadre pour répondre à ces questions est offert par les droits de propriété, l’individualisme et le principe de non-agression.

3.2. Droits individuels contre différences génétiques

Rappellons-nous que les droits sont des droits individuels. Et les droits individuels ne dépendent pas du code génétique, de la « race » ou du « sexe ». Donc, les droits des clones, ou de tout autre individu issu d’altérations génétiques, ne seraient en rien différents des droits de n’importe qui d’autre, pour la même raison que nous n’avons pas de droits différenciés pour les hommes et les femmes, les noirs et les blancs, les jumeaux, etc. Et ces droits comprendraient celui de poursuivre les personnes responsables, si les modifications génétiques étaient néfastes34.
Le droit, grâce à la catégorie de « personne », ne les [les clones] traiterait pas moins comme des réalités uniques ayant chacune d’entre elles une inscription dans l’état civil, un nom, un patrimoine, des droits et des obligations. Chacun des milliers de clones serait une personne à part entière et aucun amoindrissement de leur statut ne résulterait du fait qu’ils possèdent le même patrimoine génétique que des milliers d’autres individus. En d’autres termes, le droit ne connaît pas les clones mais des personnes ayant le même statut les unes que les autres.
Marcela Iacub35
Les différences génétiques ne sont pas pertinentes pour le droit, et donc, leurs descriptions n’ont pas de place dans la loi.
Le rôle du droit est de déterminer dans quels cas il est légitime d’user de violence :
Il n’y a pas de classifications juridiques, de distinctions juridiques qui ne soient fondées sur des normes de contrainte ; toute distinction juridique entre les personnes implique que l’on distribue d’une manière différentielle des droits et des obligations, c’est-à-dire des pouvoirs sociaux à certains individus au détriment d’autres, à certains individus et pas aux autres.
Marcela Iacub36
Rien d’autre ne concerne, ou ne devrait concerner, la loi. Son but n’est pas de « construire » à quoi devrait ressembler la société au-delà du maintien de la paix, ni de préserver des « valeurs anthropologiques » :
De ce fait, l’idée selon laquelle, à travers la mise en place des distinctions anthropologiques, le droit dessine un ordre symbolique n’est adéquate ni pour décrire le fonctionnement du droit, ni pour retrouver des limites à ses transformations, voire pour établir des prédictions d’aucune sorte.
Marcela Iacub37
La loi ne doit pas se préoccuper des différences génétiques entre individus pour la simple et bonne raison qu’elles ne sont pas pertinentes pour la régulation de l’aggression. Il y a certainement des différences importantes entre hommes et femmes, blancs et noirs, hétérosexuels et homosexuels. Mais ces différences n’ont pas de pertinence pour la loi, et aucun de ces mots ne devrait donc apparaître dans aucun texte de loi38. Tout comme les mots « chauve » et « chevelu » n’apparaissent pas dans les textes de loi, puisque la calvitie ou la chevelure abondante, bien que sources de différences pertinentes pour la vie de ces individus, ne sont pas sources de droits différents39. De même, les capacités biologiques ne sont pas sources de droits, et ne doivent pas être confondues avec eux40.

Ainsi, de nouvelles différences génétiques entre humains n’auraient pas non plus de pertinence pour un ordre légal libéral. Pour un système de loi libéral et rationnel, qui se borne à interdire les agressions telles que le meurtre, le viol et le vol, toute autre évolution sociale ou génétique n’est pas un problème. Des règles universelles resteront universelles40bis.

3.3. Identité des droits contre égalité

Des droits identiques n’amènent pas l’« égalité », et ne sont d’ailleurs pas censés le faire. L’« égalité » n’a jamais été correctement définie : égalité de revenus ? De richesses ? De succès ? De bonheur ?

Les égalitaristes se focalisent généralement sur une mesure donnée, dans une vision du monde statique, puis en viennent à l’usage de la contrainte pour la « corriger ».

Dans le monde réel et dynamique, des différences de compétences et de choix amènent des résultats différents. Sur un marché libre, vous êtes aussi riche que les autres personnes sont prêtes à vous rendre en acquérant vos biens et services. Si vous pensez que cette situation est « injuste », alors vous considérez comme « injustes » les choix volontaires des milliers d’individus interagissant sur le marché. Autrement dit, vous désirez user de violence pour imposer vos choix personnels contre les leurs.

« Égalité » est ainsi un concept vide de sens, sans pertinence pour un libéral41. Bien plus importante que la « distribution » relative de richesse est la croissance colossale du niveau de vie au travers des siècles, rendue possible uniquement par la liberté économique.

Mais il faut remarquer que le transhumanisme ne risque guère de satisfaire ceux qui se plaignent déjà des différences de richesse dues à l’accumulation de capital, à l’héritage et aux écarts de revenu. Le transhumanisme implique que certains pourront accumuler du capital durant un laps de temps encore plus long. Les personnes intelligentes deviendront encore plus intelligentes grâce à de nouveaux médicaments améliorant les capacités intellectuelles, et leurs enfants seront encore plus intelligents grâce à l’amélioration génétique.

Cependant, en fin de compte, le progrès profite à tous, que ce soit par les apports du capital accumulé au travers des années ou les avancées technologiques et médicales. Même les pauvres ont vu leurs vies grandement améliorées par l’acroissement des revenus absolus. Des technologies que seuls les riches pouvaient se permettre pour commencer sont désormais disponibles pour le grand public. Les progrès transhumanistes, de même, seront d’abord disponibles que pour certains, mais le plus grand nombre finira par profiter également des nouvelles technologies.

Mais pour que cela puisse arriver, une vision du monde dynamique, comme un jeu à somme positive, et non statique, comme un jeu à somme nulle (qui devient inévitablement un jeu à somme négative) est indispensable. Les préoccupations des gens doivent changer de la jalousie de leurs voisins vers leur propres possibilités42.

L’approche libérale à la non-pertinence de l’inégalité, et une compréhension correcte de l’économie, de l’accumulation de capital et de la moralité de cette dernière, sont donc essentiels pour comprendre et accepter les changements amenés par le transhumanisme.

3.4. Droits et libertés contre le paradigme interdit-ou-obligatoire

Or, nous sommes agoristes : anarchistes propriétaristes. Notre prospérité jusqu’à ce jour est venue en suivant les principes agoristes et nous pouvons prévoir une prospérité encore plus grande lorsque les principes agoristes seront généralement adoptés. Pourquoi donc abandonnerions-nous les principes de marché, que nous avons trouvés efficaces, en faveur de principes hégémoniques qui ont conduit société après société à la ruine ?
J. Neil Schulman42bis
Le paradigme collectiviste est que tout doit être soit interdit, soit obligatoire. Le paradigme individualiste est que la seule chose interdite est l’agression, et la seule chose obligatoire est de ne pas commettre d’agressions. Tout le reste relève de droits et libertés, pour chaque individu de faire ses propres choix.

Ainsi, nul besoin d’avoir un grand débat collectif « pour ou contre » le transhumanisme, débouchant sur une décision collective et politique. Chacun est libre de faire tout ce qu’il lui plaît, tant qu’il n’enfreint pas les droits de propriété d’autrui. Personne n’a le droit d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Il n’y a pas de conflit entre droits et valeurs légitimes, seulement entre vrais droits et faux droits.

Les transhumanistes ont le droit d’améliorer leurs corps. Les Amish ont le droit de vivre sans technologie. Ni les uns ni les autres n’ont le droit d’imposer leurs vues aux autres. Le pouvoir ne peut être utilisé pour imposer le bien, ni même pour rendre le transhumanisme obligatoire, ou sa critique interdite. Tenter d’utiliser le pouvoir de l’État pour la « bonne cause » du transhumanisme, comme nous l’avons vu au point 2.2., est de toutes façons illusoire. Plus fondamentalement, les droits individuels sont absolus, et aucune « bonne cause » ne peut être utilisée pour les bafouer43.

3.5. La question difficile : qui a des droits ?

Le libéralisme investigua la nature de l’homme pour expliquer ces droits provenant de la non-coercition. Il s’ensuivit immédiatement que l’homme (femme, enfant, Martien, etc.) avait un droit absolu à sa vie et à sa propriété — et à nulles autres.
Samuel Edward Konkin III44
Une définition élargie de « être humain » va mettre au défi nos points de vue sur ce qui définit les droits « humains ». C’est la limite et le domaine à explorer de la théorie des droits de l’homme. Mais ce n’est pas un problème pour le transhumanisme et le laissez-faire, au contraire.

La question était déjà posée par les débats comme l’avortement (où commence la vie ?), les droits des personnes handicapées auxquelles il manque des capacités humaines essentielles, les droits des animaux, l’éventuelle interaction avec des formes de vie extra-terrestres, etc. Dans tous ces cas, la question est la même : qui est, et qu’est-ce qui n’est pas, un être sensible individuel doté de droits ?

Aucune philosophie, à ma connaissance, n’a encore fourni une réponse complète et cohérente à cette question. La théorie des droits de propriété du laissez-faire, cependant, est le meilleur point de départ, le meilleur cadre pour réfléchir à la question. Bien que n’ayant pas réponse à tout, elle fournit, d’une part, un cadre cohérent pour règler toutes les questions ultérieures de droits entre ayants-droits ; et d’autre part, même cette question difficile a été mieux traitée par les libéraux que par n’importe qui d’autre45.

Le transhumanisme, en remettant en question nos conceptions sur le sujet, et en élargissant la science jusqu’à explorer les définitions-mêmes de « vie », « sentience », « conscience », et « personne » constitue la seule façon de nous donner les moyens de poursuivre cette quête : pas pour contredire la théorie des droits de propriété, mais pour la clarifier encore davantage, la rendre encore plus forte et plus universelle. Et ainsi, le laissez-faire et le transhumanisme, ensemble, peuvent réaliser une défense encore plus forte pour les droits de propriété individuels qu’aucune que nous ayons jamais eue pour les droits de l’homme.

Conclusion

Le transhumanisme constitue ainsi un composant essentiel du futur grandiose qui attend notre civilisation. Le laissez-faire est sa justification éthique, le laissez-faire est sa pré-condition matérielle, et le laissez-faire est son cadre légal et moral. Certes, le laissez-faire a toujours été tout cela pour toute véritable civilisation, mais plus celle-ci évolue et devient avancée, plus le laissez-faire et la civilisation deviennent indissociables :
Si le contrôle étatique n’a pu accomplir rien d’autre que la paralysie, la famine et le délabrement à l’ère pré-industrielle, que se passe-t-il lorsqu’on impose le contrôle sur une économie hautement industrialisée ? Qu’est-ce qui est plus facile à réglementer pour les bureaucrates : l’activité des métiers à main et de la forge — ou celle des aciéries, des chantiers d’aviation, et des centres d’électronique ? Qui est plus susceptible de travailler sous la contrainte : une horde d’hommes brutalisés faisant du travail manuel non-qualifié — ou le nombre incalculable d’hommes individuels de génie créatif nécessaires à la construction et au maintien d’une civilisation industrielle ? Et si les contrôles étatiques échouent même avec les premiers, quel degré de déni peut bien permettre aux étatistes modernes d’espérer réussir avec les seconds ?
Ayn Rand46
Toute autre approche est illusoire. Espérer que de prétendus « comités de bioéthique » ou des « commissions d’éthique » des Églises ou des États parviendront aux bonnes conclusions sur le bien et le mal est risible. Leurs membres se composent généralement, soit de personnes dont la seule qualification est d’être membre d’organisations religieuses sans aucune compétence sur les questions pertinentes, soit de personnes qui, bien que scientifiques, arrivent étrangement à des conclusions inspirées par des pseudo-éthiques religieuses, et non par une philosophie rationnelle. Espérer que les États, dont la réalisation principale est l’appauvrissement de l’humanité, financent le transhumanisme, une grave contradiction. Espérer que ceux qui tentent déjà de nous empêcher de nous enrichir nous laisseraient atteindre l’objectif encore bien plus ambitieux de l’immortalité — une erreur dangereuse.

Les transhumanistes ne devraient pas attendre quoi que ce soit de l’État. Les transhumanistes ne devraient pas demander de financement à l’État. Les transhumanistes, surtout, ne devraient pas rechercher le pouvoir politique pour imposer le transhumanisme par les mêmes moyens que ceux utilisés pour le combattre. La liberté de haut niveau d’atteindre l’immortalité, d’être libérés de la mort, ne sera pas atteinte en bafouant des libertés plus basiques — comme la liberté de ne pas subir d’agressions, quelque soit leur justification. La question n’est pas comment régner sur les hommes, ni s’il faut régner sur les hommes, mais comment quelqu’un peut-il prétendre avoir le droit de régner sur les hommes. La question n’est pas quelle religion l’État doit-il imposer, ni s’il doit en imposer une, mais pourquoi quiconque aurait-il le droit d’en imposer une. Le but n’est pas le pouvoir sur les personnes, le but est le pouvoir sur la nature. Le laissez-faire s’oppose au premier, le transhumanisme est le défi ultime du second.

Le transhumanisme fait partie de l’avenir grandiose qui attend notre civilisation, mais il ne sera possible, abordable et moral que par le laissez-faire. Le transhumanisme est l’une des raisons qui font que le laissez-faire est essentiel pour l’humanité, et le laissez-faire est l’une des raisons qui font que le transhumanisme est notre droit sacré. Les deux sont des composantes essentielles de la civilisation qui se soutiennent mutuellement : une aspiration transhumaniste souligne la nécessité impérieuse du laissez-faire, et une philosophie libérale permet de dépasser les préjugés habituels et percevoir la grandeur du transhumanisme.
Il est temps que nous construisions le futur : laissez-nous faire.


Notes

1 Le grand auteur de science fiction libérale L. Neil Smith résume ainsi en trois mots comment tout libéral transhumaniste voit le futur.
2 Cette vision des droits comme n’étant pas accordés par la loi, mais simplement reconnus et protégés par elle, est admise par la Déclaration d’indépendance des États-Unis :
Nous tenons ces vérités pour évidentes : que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, que parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. — Que pour garantir ces droits les gouvernements sont établis parmi les hommes.
3 L’égalité en droit au sens libéral signifie droits identiques, la seconde formulation étant moins sujette à confusion conceptuelle.
3bis Et quiconque milite pour davantage de respect du principe de non-agression est libéral, et quiconque milite pour moins de respect du principe de non-agression, c'est à dire pour davantage d'agressions commises contre des personnes pacifiques, ou pour une absence de conséquences pour le fait de commettre des agressions contre des personnes pacifiques, est étatiste.
4 Les vrais droits sont des droits négatifs, des droits-libertés, des droits de. Les faux droits sont des droits positifs, des droits-créances, des droits à. Les vraies obligations sont des obligations de ne pas faire, les fausses obligations sont des obligations de faire. Les vrais droits sont le miroir des vraies obligations, les faux droits et fausses obligations non. Les vrais droits et obligations sont universels, les faux droits et obligations sont contextuels. Les vrais droits et obligations sont opposables par n’importe qui à n’importe qui, les faux droits et obligations non.
L’injustice, ou l’injuste, consiste par suite à faire du tort à autrui. Donc la notion de l’injustice est positive, et celle du juste, qui vient après, est neégative, et s’applique seulement aux actes qu’on peut se permettre sans faire tort aux autres, sans leur faire injustice. [... ]Déjà on voit assez combien la notion de droit est négative, et celle de tort, qui lui fait pendant, positive, par l’explication que donne de cette notion Hugo Grotius, le père de la philosophie du droit, au début de son ouvrage [...][Le mot droit ici signifie simplement ce qui est juste, et a un sens plutôt négatif que positif : en sorte que le droit, c’est ce qui n’est pas injuste.] [...] Une autre preuve du caractère négatif qui, malgré l’apparence, est celui de la justice, c’est cette définition triviale : « Donner à chacun ce qui lui appartient. » Si cela lui appartient, on n’a pas besoin de le lui donner ; le sens est donc : « Ne prendre à personne ce qui lui appartient. » — La justice ne commandant rien que de négatif, on peut l’imposer : tous en effet peuvent également pratiquer le neminem læde.
Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale, « Première vertu : la justice »
Les attaques contre les vrais droits et leurs vraies obligations-miroir proviennent de deux fronts : les faux droits, tels que les « droits à » l’alimentation, un emploi et un logement, qui ressemblent plus à une « lettre au Père Noël » qu’à une liste de droits, et les fausses obligations, telles que les « devoirs citoyens », les déclarations des « Devoirs Humains », etc. Les deux attaques ignorent de manière commode le revers de la médaille : qui va voir ses droits véritables bafoués afin d’être forcé à fournir ces faux droits à quelqu’un (peut-on « fournir » un droit ? encore une fois, nous en revenons à la grammaire élémentaire), et qui pourra impunément ignorer son devoir véritable de non-agression en forçant d’autres à accomplir ces fausses obligations ?
Ayn Rand avait ainsi identifié correctement le « devoir » comme « l’un des anti-concepts les plus destructeurs de l’histoire de la philosophie morale » (Ayn Rand, Philosophy: Who Needs It, « Causality Versus Duty »).
Voir par exemple, pour une proposition de déclaration de « devoirs envers l’être humain » : Simone Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris, Gallimard, 1949. Et plus récemment, le coprince d'Andorre à propos des « droits de l’humanité » : « Conférence climat 2015 : Hollande veut une “déclaration sur les droits de l'humanité pour préserver la planète” », Le Figaro, 31 décembre 2014.
Les faux droits ternissent la réputation de la notion-même de droits de l’homme, et remplacent le droit rationnel par le nihilisme du pouvoir, de l’autorité et de la démocratie. Au lieu de lois nous protégeant des crimes, les lois deviennent l’expression de désirs personnels capricieux (Jan Krepelka, « Qu’est-ce que le laissez-faire? », 1er janvier 2011).
Le gouvernement français, par exemple, après avoir proclamé divers droits positifs, a franchi l’étape suivante, qui est de les rendre « opposables ». Le fait même que certains droits positifs soient « opposables » et d’autres non devrait nous fournir un indice sur la nature de ces « droits ». Le terme lui-même, « droit opposable », implique qu’il peut être « opposé » à quelqu’un : qui ? Encore une fois : un droit est par définition quelque chose qui est opposable à quiconque et applicable par quiconque. Un droit ne saurait être « fourni », un droit ne saurait être « utilisé une ou deux fois » : un droit ne peut qu’être reconnu ou non reconnu, respecté ou violé. Tout autre usage du terme est une absurdité grammaticale et une perversion délibérée d’une théorie rationnelle de l’éthique.
5 Ce conflit a été résumé au mieux par Ayn Rand dans son « Manuel d’américanisme », et analysé dans toutes ses ramifications dans ses romans :
L’enjeu principal dans le monde aujourd’hui est entre ces deux principes : individualisme et collectivisme.
L’individualisme affirme que l’homme a des droits inalinéables qui ne peuvent lui être ôtés par aucun autre homme, ni par aucun nombre, groupe ou collectif d’hommes. Par conséquent, chaque homme existe de son propre droit et pour lui-même, et non pour le groupe.
Le collectivisme affirme que l’homme n’a pas de droits : que son travail, son corps et sa personnalité appartiennent au groupe ; que le groupe peut faire de lui ce qu’il lui plaît, de quelque façon qu’il veut, au nom de quoi que ce soit qu’il décide être son propre bien-être. Par conséquent, chaque homme existe uniquement de par l’autorisation du groupe et pour l’intérêt du groupe.
Ces deux principes sont à la source de deux systèmes sociaux opposés. L’enjeu principal dans le monde aujourd’hui est entre ces deux systèmes.
6 À moins d’une décision unanime — mais alors il n’y a pas de conflit entre les décisions individuelles et celle du groupe. Dans tous les autres cas, une décision « collective » est la décision de certains individus et non d’autres, que ce soit une minorité ou une majorité. En bref, il ne peut pas y avoir de « choix social » ayant un sens. J’ai analysé et réfuté toutes les objections communes à ce fait établi dans Jan Krepelka, « Public Goods and Private Preferences: Are They Reconcilable? ».
Ainsi, il nous faut rectifier la citation de la note précédente : un groupe ne peut pas décider ou désirer quoi que ce soit. Il ne saurait lui plaire quoi que ce soit, et il n’a ni bien-être ni intérêt. Par conséquent, l’enjeu principal dans le monde est en effet entre ces deux systèmes, cependant, ce n’est pas une compétition entre deux visions du monde valables : la première est conceptuellement valide, alors que la seconde est une tromperie.
Je ne crois pas qu’Ayn Rand désapprouverait. Son ancien associé Harry Binswanger fait un constat similaire à propos de « la société » :
Puisqu’il n’y aucune entité « société », la subordination de l’individu à « la société » signifie sa subordination à certains autres individus — la foule du moment ayant réussi à se proclamer la majorité, le concensus, le public, ou (merci Rousseau) les représentants de la « volonté réelle » du « peuple ».
Harry Binswanger, « Statistics Aren’t Enough to Discredit Piketty’s Failed, Blood-Soaked Ideas », 28 mai 2014.
7 Comme nous l’avons vu à la note précédente, il ne saurait y avoir de « choix social », ce qui explique pourquoi « la société » se retrouve si souvent personifiée et décrite comme un individu, dans une tentative de cacher le manque de concepts valides qui s’y appliquent. Cependant, attribuer un comportement individuel à des entités non-individuelles relève d’une erreur aussi absurde que, malheureusement, répandue. Voir Ludwig von Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science, « The Pitfalls of Hypostatization », et Liberpédia, « Réification ».
8 De même, la distinction à faire entre une monarchie et une république n’est pas celle entre un roi de droit divin, qui tient sa légitimité de Dieu, et un parlement démocratique, dont la légitimité provient du peuple. Non, elle est entre un individu qui prétend régner de droit divin, et un groupe d’individus qui prétendent avoir le consentement des gouvernés. Dans les deux cas, il s’agit d’un individu, ou d’un groupe d’individus, qui décident contre la volonté d’autres individus ou groupes d’individus.
9 Voir l’article de Liberpédia, « Humanisme et constructivisme » ainsi que, bien entendu, les travaux grandioses de Friedrich Hayek à ce propos, par exemple son discours d’acceptation du Prix Nobel : « The Pretence of Knowledge ».
10 Pour encore davantage de ces dichotomies équivalentes ou directement liées, voir le tableau comparatif dans François-René Rideau, « L’État, Règne de la Magie Noire — Des sacrifices humains et autres superstitions modernes ». Vu tous les sophismes impliqués par la négation de la théorie libérale des droits individuels, nous pourrions ajouter que, en fin de compte, la dichotomie revient à celle entre une théorie rationnelle des droits, cohérente avec la réalité et des concepts valides, et un nihilisme combiné à un déni de la réalité et des anti-concepts.
11 Voir Jan Krepelka, « In Defense of Laissez-faire ».
12 Raisonner à propos d’un groupe en termes de son bien-être, de ses intérêts et de ses décisions, et ainsi le considérer comme une personne (voir notes 6 et 7), a une conséquence intéressante (et dramatique) : le concept-même de justice, et donc de droits individuels, devient caduc.
Une fois que nous avons personnifié la société afin de transformer le choix social en choix individuel, il n’y a plus rien à considérer sous l’aspect de la justice. Un individu se soucie certes de la distribution des avantages ou des expériences sur les jours de sa vie. Mais il ne s’en soucie pas du point de vue de la justice.
Ronald M. Dworkin, « Is Wealth a Value? », The Journal of Legal Studies, vol. 9, nº 2.
De même, des concepts tels que « nation », « société » ou « race » peuvent être pertinents sous d’autres aspects, mais nullement sous celui de la justice et des droits : la justice et les droits ne sont des concepts pertinents qu’appliqués entre des acteurs individuels.
Il ne saurait dès lors y avoir d’« équilibre » entre les droits et intérêts d’un individu et ceux « du groupe » : c’est l’un ou l’autre. Il ne peut y avoir qu’un seul niveau d’agent agissant doté de droits. Et ce niveau n’est pas celui de « la société » que nous composons, pas plus que ce n’est celui des cellules qui composent nos corps. Non, c’est celui de l’être individuel, la conscience vivante et agissante. Les sociétés ne peuvent pas avoir de droits, pas plus que des coupures d’ongles ou des briques en terre cuite.
13 Comme nous l’avons vu, un crime contre quoi que ce soit d’autre qu’un individu est une absurdité grammaticale. Et pourtant, la loi française, par exemple, dans son actuel Code pénal, a toute une section titre concernant les « crimes contre l’espèce humaine ». Elle contient des articles tels que l’Article 214-2, qui déclare le clonage passible de 30 ans d’emprisonnement, la même peine que celle prévue pour le meurtre (Article 221-1 du même Code pénal).
Pour une analyse critique, voir Marcela Iacub, « Le clonage humain, un “crime” sans victime », Libération, 4 novembre 2003 :
Faire de l’humanité non plus l’instance procédurale qui permet de juger des agents de l’État, mais une substance un peu mystérieuse, a le défaut de remplacer un remarquable outil international visant à contrôler les États, par un outil national qui, au nom de la protection des biens métaphysiques, redouble la puissance punitive de l’État à l’égard d’agissements où il n’y a pourtant pas de victimes. N’est-il pas inquiétant que l’État s’autorise à distribuer des peines aussi lourdes pour punir ce qui n’est après tout qu’une technique procréative, au détriment de toute prise en considération de l’intérêt des individus eux-mêmes ? Aucune puissance, en effet, n’est potentiellement aussi dangereuse que l’État.
Marcela Iacub est une spécialiste de la bioéthique et des législations qui l’entourent et a écrit plus d’une dizaine d’ouvrage et de nombreux articles sur ces questions, d’une importance cruciale pour les enjeux transhumanistes. Bien qu’elle ne se réclame pas du libéralisme, elle applique néanmoins une logique libérale à des questions jusqu’alors non-étudiées et mal comprises, même par des libéraux déclarés. Voir l’article « Marcela Iacub » sur Liberpédia pour un résumé de ses positions.
14 Voir George Reisman, Capitalism: A Treatise on Economics, Ottawa, Ill., Jameson Books, 1990 [1998], pp. 80-83.
14b Ainsi, il n'y a pas de différence de nature entre « réfugiés » et « immigration économique », mais simplement de degré : dans les deux cas, des personnes cherchent simplement à déménager d'une région dominée par un État plus oppresseur (et donc plus pauvre) vers une région dominée par un État moins oppresseur (et donc plus riche).
16 De même, les socialistes qui nous forcent dans des systèmes de santé collectivisés ignorent également cet arbitraire-là, en prétendant détenir une liste officielle de quels « besoins » de santé doivent être payés par la collectivité et lesquels non. Ceci constitue bien entendu une chimère, menant à des débats insolubles sur ce qui doit être remboursé et ce qui ne doit pas l’être, ignorant complètement l’individualité des besoins, désirs, préférences et priorités. Voir par exemple Jan Krepelka, « L’étatisation des assurances, ou la collectivisation de notre vie quotidienne » — ou faire un tour des actualités pour constater la myriade de problèmes moraux prévisibles et insolubles qui surgissent sous la LAMal suisse, la Sécurité sociale française, le NHS britannique, ou plus récemment Obamacare aux États-Unis.
17 Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002, pp. 134-135.
18 Voir par exemple Richard Swinburne, « Why God Allows Evil [Pourquoi Dieu permet le mal] » ainsi que l’encyclique du pape Paul VI, Populorum Progressio, 26 mars 1967 :
Cette voie vers plus d'humanité demande effort et sacrifice, mais la souffrance même, acceptée par amour pour nos frères, est porteuse de progrès pour toute la famille humaine. Les chrétiens savent que l'union au sacrifice du Sauveur contribue à l'édification du Corps du Christ dans sa plénitude: le peuple de Dieu rassemblé.
18bis À propos de la philosophie de l'Église catholique comme étant diamétralement opposée à une perspective rationaliste et pro-accomplissement-humain, voir les critiques proto-transhumanistes par Ayn Rand de deux encycliques papaples :
  • Ayn Rand, « Of Living Death », 8 décembre 1968, réimprimé in The Voice of Reason, ch. 8, pp. 46-63.
  • Ayn Rand, « Requiem for Man », The Objectivist, juillet, août et septembre 1967, réimprimé in Capitalism: The Unknown Ideal, ch. 24, pp. 297-319.
20 Pour leur défense, mentionnons qu’ils ne s’opposent pas au don d’organes en tant que tel. Voir le « Discours du Pape Jean-Paul II au 18e Congrès international sur la transplantation d’organes », 29 août 2000 :
Par conséquent, toute pratique tendant à commercialiser les organes humains ou à les considérer comme des biens pouvant faire l’objet d’échanges ou de commerce doit être considérée comme moralement inacceptable, car utiliser le corps comme un « objet » signifie violer la dignité de la personne humaine.
La « dignité de la personne humaine » étant un autre de ces anti-concepts utilisés comme prétexte pour bafouer les droits véritables de personnes humaines réelles (voir note 33).
Au contraire, l’Iran musulman a permis la vente d’organes, avec l’heureux et prévisible résultat d’être devenu « le seul pays au monde sans liste d’attente pour la transplantation de rein », cf. « Trafficking in organs, tissues and cells and trafficking in human beings for the purpose of the removal of organs ».
Pour une défense de la position libérale et de sa moralité, voir Jan Krepelka, « Pour le libre commerce d’organes », 7 septembre 2006.
22 La présomption de liberté est un impératif à la fois moral et logique. Voir Anthony de Jasay, « Liberalism, Loose or Strict », The Independent Review, vol. IX, nº 3, hiver 2005.
23 Voir par exemple Gérard Bramoullé, « Une précaution liberticide » et l’article de Liberpédia sur le « Principe de précaution ».
24 Lew Rockwell, « The Libertarian Paradox ».
27 Voir Jan Krepelka, « Who says we need roads? », Jan Krepelka, « Laissez-faire: The Political Philosophy of Civilization », sec. 2.1., et Jan Krepelka, « 6 mois de vacances pour tous ! », Le Temps, 27 janvier 2012. Voir également Daniel J. Mitchell, Ph.D., « The Impact of Government Spending on Economic Growth ».
28 Ayn Rand, Atlas Shrugged.
29 Voir note 27.
31 Voir Jan Krepelka, « Laissez-faire: The Political Philosophy of Civilization », sec. 1.2.
32 Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002, pp. 140-141.
33 Voir notes 6, 7 et 12. De même, les autres anti-concepts comme celui de la « dignité humaine » (voir note 20), sont en fait des attaques contre les droits humains véritables. Voir Liberpédia, « Dignité humaine » ; Marcela Iacub, Le crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Paris, Flammarion, 2002, p. 9 ; Olivier Cayla, « Dignité humaine : le plus flou des concepts », Le Monde, 31 janvier 2003 ; et Jan Krepelka, « L’anti-concept dangereux de dignité ».
34 Les subtilités de cette approche sont expliquées par Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, Paris, PUF, 2002. Sur les responsabilités des parents envers leur enfant à naître (ou leur enfant déjà né, d’ailleurs), et une critique de l’approche habituelle consistant à ne constater que certains des dégâts que les parents peuvent lui causer, tout en en ignorant de manière commode toute une panoplie d’autres, voir Jan Krepelka, « Ignorer ses origines est-il vraiment le pire qui puisse arriver à un enfant? », Le Temps, 18 octobre 2012.
35 Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 236.
36 Le crime était presque sexuel..., op. cit., pp. 359-360.
37 Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 360.
38 Même « homme » et « femme », oui, peuvent certes être des catégories pertinentes dans d’autres domaines, mais non dans celui du droit. Cf. Le crime était presque sexuel..., op. cit., pp. 345-346.
La législation française, par exemple, et contrairemnt à la suisse, définit le viol (Art. 222-23 du Code pénal) sans référence au genre depuis 1980, et le mariage n’est pas limité à la combinaison spécifique d’un homme et d’une femme depuis 2013 (Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe).
39 Le crime était presque sexuel..., op. cit., p. 366.
40bis Il y aurait peut-être une innovation légale que nous devrions mentionner : si nous atteignons l'immortalité, ou tout du moins un allongement massif de l’espérance de vie possible, alors le meurtre deviendra d’autant plus choquant, puisqu’il ne privera pas un individu uniquement des quelques décennies restantes d’une existence de toutes façons maudite, mais d’éons de développement possible, de croissances intellectuelle et spirituelle que nous ne pouvons encore pas même appréhender.
Ce d’autant plus que l’immortalité serait vraisemblablement choisie par ceux qui ne croient pas en la vie après la mort (ou du moins, qui ne sont pas prêts à littéralement parier leur vie dessus un jour plus tôt que nécessaire), ce qui signifierait ipso facto que ceux qui la choisissent envisagent ainsi leur « immortalité de l’âme ». Ainsi, tuer un immortel serait l’équivalent non pas simplement de tuer un homme, mais bien d’annihiler son âme, dans une perspective chrétienne équivalente. Si ce n’est que la sacralité de l’âme serait effectivement reconnue et respectée, ici et maintenant.
Et ainsi périt un autre qui aurait pu vivre mille ans.
Kim Stanley Robinson, The Mars Trilogy, cité par Robert Vroman, « Help! The State Is Trying To Kill Me », Anti-state.com, 22 septembre 2001.
La philosophie libérale individualiste, reconnaissant les droits individuels et la valeur unique de chaque être rationnel qua être rationnel, est déjà la philosophie qui respecte le plus la vie humaine, contrairement aux idéologies collectivistes qui voient les êtres humains comme de simples pixels pouvant être réarrangés à volonté. Mais à partir de la perspective d’une philosophie libérale transhumaniste appliquée, nous pouvons ainsi nous attendre à encore davantage de considération pour la vie humaine, puisque l’évitabilité de la mort rendra son absurdité encore plus criante. Voir à ce propos : Nick Bostrom, « The Fable of the Dragon-Tyrant » [La fable du Dragon-Tyran], Journal of Medical Ethics, 2005, Vol. 31, nº 5, pp. 273-277.
41 Concernant le regain récent d’intérêt mal placé sur ce sujet, voir Harry Binswanger, « Statistics Aren’t Enough to Discredit Piketty’s Failed, Blood-Soaked Ideas », 28 mai 2014 :
Économiquement, la thèse de Piketty est que la distribution des richesses devient de plus en plus inégale, la croissance des profits excédant le taux de croissance des salaires. Admettons que cela soit vrai. Et alors ? Il n’y a pas de ratio particulier de ces nombres agrégés qui soit moralement préoccupant. Le problème (si cela était vrai) serait la stagnation des salaires, non la non-stagnation d’autres formes de revenu. Le problème ne serait pas l’amélioration du niveau de vie des capitalistes, mais le manque d’amélioration de celui des autres.
42 Concernant les motivations derrière la quête de l’égalité de richesses, voir Jan Krepelka, « Les initatives Minder et 1:12, ou le rejet du capitalisme ».
42bis J. Neil Schulman, Alongside Night.
43 Sur les droits en général et la question de la « bonne cause » en particulier, voir Ayn Rand, « Manuel d’américanisme », sec. 12, « Le motif change-t-il la nature d’une dictature ? » :
Lorsque nous disons que nous considérons les droits individuels comme inaliénables, nous devons nous y tenir. Inaliénable signifie ce que nous ne pouvons pas enlever, suspendre, enfreindre, restreindre ou violer — jamais, à aucun moment, pour aucune raison.
Vous ne pouvez pas dire que « l’homme a des droits inaliénables excepté par temps froid ou un mardi sur deux », pas plus que vous ne pouvez dire que « l’homme a des droits inaliénables excepté dans une situation d’urgence », ou « les droits de l’homme ne peuvent pas être violés, sauf pour une bonne cause ».
44 Samuel Edward Konkin III, New Libertarian Manifesto.
45 Aussi bien Rothbard que Hoppe ont développé des défenses des droits de propriété individuels fondées sur la logique et pertinents pour toute sentience individuelle, non-dépendants de caractéristiques génétiques données :
46 Ayn Rand, Capitalism: The Unknown Ideal, ch. 13, « Let us alone! ».












D) Le Transhumanisme : ce futur pas si lointain 

Au départ du transhumanisme, un humanisme scientifique.
Parachever l’homme, le rendre meilleur : la question est récurrente dans les textes sacrés des religions monothéistes. La fabrication du Golem en est un exemple parlant. Pendant la Renaissance, l’homme de sciences, des arts et des lettres est également plasticien, à l’instar de Pic de la Mirandole. Il s’étudie comme un objet, il se pense, s’analyse, devenant le « créateur de lui-même ». C’est dans les années 50, avec le mouvement de l’Université de Californie que naitra la notion de transhumanisme dont on attribue la paternité à Julian Huxley. Le message de ce mouvement pro-libéral claque au vent, comme l’étendard d’une émancipation nouvelle : personne ne peut fixer les limites de notre propre nature. Une pensée animée par l’idée que non seulement la science n’asservira pas l’homme, mais qu’elle contribuera activement à sa libération.

Améliorer l’homme, qui peut être contre et qui devrait s’en inquiéter ?
La notion d’amélioration, d’optimisation n’est pas une nouveauté dans l’histoire des idées. Elle est à la base de la pensée de Condorcet. Et entre le tanshumanisme et le courant anglo-saxon de l’« enhancement » ou l’augmentation, la rupture de paradigme culturel est majeure, car il n’est plus question de créer un homme meilleur mais un homme plus performant, plus efficace. Cette idée même de perfection génère des angoisses pour plusieurs raisons. Elle brise l’équilibre ancien d’un déterminisme naturel, avec la possibilité inédite de réparer un homme que la société aurait considéré comme « anormal », hors des normes. Réparer, améliorer, optimiser, le transhumanisme bouleverse tout.

Et de fait, l’augmentation d’une caste génère, une population de laissés-pour-compte. Dans la quête de performance absolue émerge une tranche discriminée, les non-améliorés qui seront logiquement considérés comme « plus à la hauteur », « hors du jeu ». Mais ce n’est pas tout : la technique se régénère, elle se réinvente. A l’image des mises à jours « Windows 1, 2, 3 », ne risque-t-on pas de créer des individus à plusieurs vitesses ? Une humanité version 1, 2, etc ?

Dès lors, la technique est-elle un vecteur d’inégalité ou d’émancipation ?
Question d’autant plus complexe que la distinction entre l’homme augmenté et l’homme réparé n’est pas aussi évidente qu’il n’y parait. Dans un futur pas si lointain, lorsqu’il sera question de réparer un homme, on le fera à l’aide d’une technique reprogrammable, intelligente et évolutive. L’homme réparé aura donc la capacité de se récréer et d’accroître un écart discriminant avec le reste de la population. Et si les techniques  seront dans un premier temps utilisées pour un homme malade, nul doute que les usages de « conforts » ne tarderont pas à s’imposer, portés par tous ceux qui revendiquent un accès équitable aux nouvelles sciences de la santé.

L’humain augmenté n’est pas le sujet d’experts que l’on croit. C’est un vrai sujet de société, de politiques publiques et de questions sociales.
Faire un état des lieux, anticiper les besoins, les appréhensions et les moyens qui entourent l’homme « réparé » et demain l’homme « augmenté », c’est le rôle du Comité consultatif national d’éthique. Dans l’une de ses notes, le comité nous met en garde :

« Les conséquences (du transhumanisme) ne sont cependant pas qu’individuelles car le risque est grand d’aboutir à une classe sociale « améliorée » constituée d’une petite minorité d’individus bien informés et disposant des ressources financières suffisantes pour y accéder. Il en résulterait une aggravation de l’écart qui ne cesse de se creuser entre riches et pauvres. Les  riches devenant non seulement de plus en plus riches mais aussi plus puissants, plus intelligents, voire plus heureux que les autres, avec un risque évident de discrimination et même de domination. La perception qu’aurait cette classe sociale « augmentée » des paramètres de la bonne santé psycho-cognitive pourrait même s’en trouver modifiée au point que soient considérés comme pathologiques les « non augmentés », les « diminués ».

Le comité consultatif redoute également des dérives consuméristes et cosmétiques, au service de la performance :

« Après avoir décrit les techniques biomédicales utilisées en vue de neuro-amélioration, il convient de prendre la mesure de ce que l’on peut appeler le « phénomène sociétal de neuroamélioration », c’est-à-dire le fait que certaines personnes non malades recourent à ces techniques dans un but supposé de neuro-amélioration. Le culte de la performance dans les sociétés modernes, le recours « cosmétique » à de telles techniques, l’usage détourné de médicaments conçus pour des pathologies spécifiques, les enjeux militaires et financiers : cet ensemble de facteurs nécessite une analyse du phénomène de neuro-amélioration quant à ses implications sociétales ».

De la santé publique à la sécurité sociale, le transhumanisme est un enjeu bien plus concret qu’il n’y parait.
Des choix sociétaux et des politiques publiques s’imposent. Si demain notre médecine devient partiellement « améliorative », jusqu’où la collectivité pourra-t-elle participer à son financement ? D’un point de vue économique, il n’est pas exclu de penser que les individus augmentés contribuent de l’accroissement du PIB d’une nation. De ce constat découlent également des choix politiques. Si la technique permet de devenir meilleur, plus performant, ces dispositions permettent-elles seules de légitimer une solidarité collective de l’ « enhancement » ? Nul doute que certains états, pour des raisons idéologiques ou religieuses s’opposeront à une technique vecteur de discriminations et d’inégalités. Pas d’angoisse, le temps de l’appropriation sociale et de la mise en place effective de ces dispositions nous laissera sans doute le temps d’affiner et d’adoucir les déclinaisons régionales et nationales de ces politiques.

Ne pas perdre de temps : le projet Calico
Pour Google et Apple, inutile de tergiverser. Le train est en marche, sa course inévitable. L’humain augmenté, c’est un investissement d’avenir. C’est le projet Calico, acronyme pour  «  California Life Company ». Calico se présente comme une société de biotechnologies fondée en 2013. Avec une audace assumée, aussi fascinante qu’arrogante, la société se donne pour mission la lutte contre le vieillissement et les maladies. Vaste programme. A sa tête, Arthur Levinson, le président d’Apple. Si les géants américains n’ont pas hésité longtemps avant de se lancer dans l’aventure, c’est parce que la quête de l’immortalité colonise nos imaginaires comme un fantasme irrépressible et universel. C’est également une belle opération de marketing.

Faire de la transhumanité un enjeu de société.
Dès lors, peut-on affirmer que nous allons vers une démocratisation de cette immortalité ? Pas vraiment. Mais faire du transhumanisme un objet scientifique périphérique, ou un gadget pour spécialiste chevronné serait un immense gâchis. Un rendez-vous manqué avec une révolution des sciences et de la santé qui nous concerne tous. Des choix de société vont s’imposer à nous et l’improvisation n’est pas une option. C’est aujourd’hui qu’il faut penser l’opportunité et le financement d’une médecine améliorative. C’est aujourd’hui qu’il faut anticiper l’impact économique d’une société de citoyens augmentés. Et c’est enfin cette approche technique qui doit précéder les positionnements politiques et culturels qui détermineront à termes comment chaque pays et chaque individu souhaite ou non s’engager cette évolution en marche.

Pour aller plus loin





E) « Le mythe du surhomme est de retour ! » Le transhumanisme.

Inferno

Dans le dernier roman de Dan Brown intitulé Inferno, qui doit se traduire vraisemblablement en français par le mot « enfer », un super méga méchant qui est un super génial docteur en biologie décide par idéologie de fomenter un attentat biologique dans l’un des endroits les plus touristiques afin de contaminer le plus vite possible la terre entière avec un nouveau type de virus rendant l’ensemble de l’humanité stérile.
Face aux problèmes engendrés par la surpopulation humaine et de façon très pragmatique, ce chercheur arrive à la conclusion logique qu’il faut impérativement réduire de façon drastique le nombre d’êtres humains vivant sur terre.

Pour y arriver, la façon la plus élégante à laquelle sa réflexion aboutit est d’une part l’utilisation d’un virus qui a pour immense avantage de toucher le vivant mais pas les structures et permet d’éviter les destructions matérielles des guerres, et l’infertilité comme manière d’éviter un génocide généralisé. En une génération, son virus étant imparfait, certains pourront tout de même se reproduire avec un taux de l’ordre de 20 %, ce qui permettra la survie de l’espèce et la réduction de la population à moins de 4 milliards d’habitants, ce qui est nettement plus supportable pour notre environnement.

Dans son esprit, il sauve en réalité l’humanité d’elle-même et assure ainsi la survie de l’espèce humaine. L’auteur d’ailleurs ne semble pas si opposé que cela à cette idée de limitation de la population à travers ce que j’appelle le génocide de la stérilité, qui évidemment favorise les pays riches (ayant accès aux méthodes de procréation assistée) au détriment des pays pauvres…

Cela reste avant tout un roman et tout rapport avec une baisse drastique constatée et scientifiquement prouvée dans l’ensemble des pays occidentaux ne serait que purement fortuite.

Ce chercheur se réclame d’une école de pensée appelée le « transhumanisme » et même si pour le moment tout cela vous semble lointain par rapport à l’économie, vous allez voir rapidement comment ce sujet y est terriblement lié. Mais tout d’abord, arrêtons-nous sur cette doctrine du transhumanisme.

Qu’est-ce que le transhumanisme ?

Wikipédia définit relativement bien cette idéologie moderne du surhomme : « Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. Dans cette optique, les penseurs transhumanistes comptent sur les biotechnologies et sur d’autres techniques émergentes. Les dangers comme les avantages que présentent de telles évolutions préoccupent aussi le mouvement transhumaniste.

Le terme «transhumanisme» est symbolisé par «H+» (anciennement «>H») et est souvent employé comme synonyme d’«amélioration humaine». Bien que le premier usage connu du mot «transhumanisme» remonte à 1957, son sens actuel trouve son origine dans les années 1980, lorsque certains futurologues américains ont commencé à structurer ce qui est devenu le mouvement transhumaniste. Les penseurs transhumanistes prédisent que les êtres humains pourraient être capables de se transformer en êtres dotés de capacités telles qu’ils mériteraient l’étiquette de «posthumains». Ainsi, le transhumanisme est parfois considéré comme un posthumanisme ou encore comme une forme d’activisme caractérisé par une grande volonté de changement et influencé par les idéaux posthumanistes. En France, ce mouvement est représenté par des mouvements tels que l’Association française transhumaniste, la Fondation FTSL, ou encore NeoHumanitas. Le grand nombre d’approches transhumanistes différentes se reflète au sein même de ces différents groupes.
La perspective transhumaniste d’une humanité transformée a suscité de nombreuses réactions, tant positives que négatives, émanant d’horizons de pensée très divers. Francis Fukuyama a ainsi déclaré, à propos du transhumanisme, qu’il s’agit de l’idée la plus dangereuse du monde.

Francis Fukuyama, brillant intellectuel américain est l’auteur de La Fin de l’homme, ouvrage dans lequel il exprime « ses inquiétudes face aux progrès des biotechnologies et en particulier de leurs applications possibles sur l’être humain. Parce qu’elles seront capables de transformer l’homme à un degré insoupçonné jusqu’alors, elles risquent d’avoir des conséquences extrêmement graves sur le système politique. Il est un ennemi acharné du transhumanisme, mouvement appelant de ses vœux de nombreuses évolutions technologiques afin de modifier l’humain et la société, notamment dans le domaine des biotechnologies. »
Pour tout vous dire, je partage assez ses inquiétudes et c’est donc maintenant qu’intervient le rapport direct avec l’économie.

Le danger Google !

Nous connaissons tous ou presque Google, le célèbre moteur de recherche, mais en réalité nous ne connaissons qu’une partie de Google, sa partie la plus visible et finalement la plus sympathique. Nous connaissons nettement moins le côté obscur de cette grande entreprise dont le cours de l’action avoisine à très juste titre les 1 200 dollars pièce…

Par exemple, on ne sait pas ou peu que Raymond Kurzweil, un type né en 1948 et disons-le brillantissime et absolument génial, a rejoint la société Google ni plus ni moins comme ingénieur en chef de la firme Google fin 2012. Larry Page, le patron et actionnaire de cette entreprise lui a donné carte blanche pour bâtir le Google du futur, celui de demain, et tout cela va tellement vite que le futur c’est vraiment demain… ou presque.
Ce que l’on ne sait pas ou peu, c’est que Raymond Kurzweil est l’un des papes pour ne pas dire LE pape du mouvement transhumaniste mondial et il incarne à merveille ce nouveau courant de pensée « technopathes » (un nouveau syndrome où l’on devient un psychopathe de la technologie).

Or depuis 2012, depuis que Raymond Kurzweil est à la tête technique de Google, nous assistons à un véritable festival d’acquisition de la part de la société Google qui laisse parfaitement entrevoir la stratégie totalement géniale au demeurant de ce qui va devenir la plus grande entreprise mondiale de tous les temps d’ici une vingtaine d’années, et qui sera bien loin du simple moteur de recherche que vous avez l’habitude d’utiliser aujourd’hui dans votre quotidien.

La convergence des technologies NBIC

Voilà le Saint-Graal que poursuivent Google, Larry Page et Raymond Kurzweil. Faire converger et fusionner les technologies NBIC, c’est-à-dire les nanotechnologies, la bio-ingénierie, l’informatique et la cognitique, le tout avec l’aide et l’appui indispensable de l’IA, l’intelligence artificielle dont on parle depuis des décennies maintenant mais qui devient enfin réalité.

L’objectif de Google est de changer le monde, notre monde, et de le transformer radicalement afin de nous faire rentrer dans l’ère post-humaine, dans un nouvel âge transhumaniste, de créer véritablement LE surhomme, celui capable de fusionner avec la machine.

Dans la vision des dirigeants de cette entreprise, l’homme de demain sera une espèce de cyborg quasi immortel made in Google. Le marché est évidemment immense puisque la quête de l’immortalité est à peu près aussi vielle que l’humanité et elle est à portée de mains… et de brevets !

Évidemment, cela pose quelques petits problèmes d’ordre purement éthiques et pragmatiques du type on ne va pas pouvoir être 100 milliards sur terre, alors… qui doit-on « sacrifier » et « comment » ? Dans une société où la moyenne d’âge serait de 2 siècles… comment aborder la notion « d’enfance »… Heureusement, les transhumanistes pensent à tout et l’utérus artificiel, dont Najat Belkassine voudra vraisemblablement équiper de série tous les hommes uniquement afin de savourer son rêve égalitariste, arrivera inévitablement un jour. Je cite à ce propos un texte « transhumaniste » : « Indépendamment des hypothèses sur l’utérus artificiel, qui pourrait permettre une totale exogenèse, indépendante donc de la santé des parents, le maintien de corps jeunes pourrait permettre à ceux et celles qui le choisiraient d’avoir un enfant à tout âge »… Oui, nos chercheurs travaillent évidemment sur ce sujet passionnant de la procréation par « exogenèse », c’est-à-dire en dehors du corps humain… Quelle libération pour la femme, enfin !

Google s’est donc lancé dans une politique d’acquisition massive d’entreprise de nano-technologie, de biologie et évidemment de robotique en rachetant systématiquement les entreprises les plus prometteuses. Je vous conseille à ce sujet l’excellent article de Laurent Alexandre publiée dans le JDD dont je vous joins le lien en annexe et qui tire un véritable signal d’alarme sur ce qui est en train de se jouer.

Quelques remarques et réflexions

Tout d’abord, ceux qui s’inquiètent de sujets comme la théorie du genre, ou plus généralement des sujets sociétaux, eh bien… vous avez raison de vous inquiéter car finalement, tout cela se regroupe parfaitement bien sous l’étiquette transhumanisme pour changer les hommes, pour changer l’humanité, mais les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont infiniment plus larges et aussi beaucoup plus préoccupants !

Changer l’homme. C’est un vaste sujet, du nazisme aux religions, de la franc-maçonnerie au communisme, nombreux sont ceux, à travers toutes les époques qui ont voulu changer l’homme. Pour certains, il s’agit de le rendre meilleur spirituellement, pour d’autres d’en faire un surhomme au sens presque du super guerrier, et puis maintenant nous avons un nouveau courant de pensée, le transhumanisme et ce qui est terrifiant là-dedans, c’est que cette idéologie est portée et développée par l’une des plus grandes entreprises du monde et qui deviendra vraisemblablement un monstre aux mains d’intérêts uniquement privés et qui, comme tout monstre froid au carrefour du pouvoir et de la richesse, ne sera probablement pas doué de sagesse.

C’est un tout autre sujet mais je pense qu’il est important. Nous sommes en 1997. En 1997, nous étions à l’aube de la révolution Internet. Il s’en est passé des choses entre 1997 et aujourd’hui où nous utilisons presque tous quotidiennement Internet le plus naturellement du monde. Nous avons détesté la technologie, nous en avons eu peur, nous ne souhaitions pas confier notre carte bleue à un site et puis finalement nous l’avons adopté. Les réseaux ont changé notre vie. En bien et en mal. Nous avons connu un essor considérable pour certaines valeurs boursières, puis la bulle Internet a explosé en vol, mais la technologie et ses applications sont restées.

En ce qui concerne la révolution NBIC et la convergence technologique qu’elle va permettre, nous sommes en 1997, à l’aube de la transformation et sa première phase prendra au moins une dizaine d’années, même si les premiers humanoïdes seront commercialisés dès 2015, c’est-à-dire l’année prochaine. Comme nous sommes en 1997, c’est le moment sans doute d’acheter quelques actions de Google, ou encore d’autres entreprises liées à cette révolution NBIC en marche comme celle du secteur de la robotique. J’y reviendrai sans doute dans d’autres éditos tant ce sujet me passionne, me fascine et me fait frémir intellectuellement.
Nous pouvons avoir peur car il y a de quoi. Nous pouvons être enthousiastes aussi, car il y a de quoi. Mais nous devons veiller à préserver ce qui fait de nous des êtres humains.
Bienvenue en 2084 ou 1984, dans Globalia qui est le « meilleur des mondes » et sur lequel règne déjà en maître la société Google dont l’idéologie perceptible n’est pas forcément saine, voire même porte en elle quelques relents qui, pour utiliser un mot très à la mode, sont nauséabonds. Il est important de voir les véritables dangers.
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!

Charles SANNAT

« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »

Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.








F) Différents liens sur le transhumanisme

Les effets de la vie dans l'espace pourraient aboutir à une nouvelle espèce humaine

Les transhumanistes face à la crise écologique

Programme Darpa: bienvenue dans un nouveau paradigme

Humanisme, transhumanisme et post-humanisme

Ouf, pour l'instant, il est impossible de transférer l'esprit d'une personne dans une machine

À quoi ressemblera Google dans 15 ans ?

L'homme qui voulait devenir cyborg: conférence transhumaniste

Anticipons notre "immortalité"

SPAUN, le cerveau artificiel

Réincarnation robotique: de la science-fiction à la science-réalité

Quand les machines nous déshumanisent

Pour ces doux dingues, faire l'amour aux robots allongera l'espérance de vie

Jason Bourne: L'Héritage: modifications technologiques des guerriers de demain

Total Recall: une vision du futur?

Le transhumanisme: nouvelle religion ou hérésie chrétienne?

 

 

G) Luc Ferry ubérisation et transhumanisme 

Luc Ferry : "Le transhumanisme n'est pas absurde"

À rebours des sceptiques ou des catastrophistes, le philosophe voit dans le projet transhumaniste une chance pour l'humanité. Interview.




Depuis des décennies, les philosophes s’interrogent sur les conséquences sociales et culturelles des progrès incessants du génie génétique, qui va bientôt permettre d’augmenter la durée de la vie humaine, d’éradiquer les maladies héréditaires ou encore de sélectionner, dès le stade de l’embryon, des caractéristiques jugées désirables (yeux bleus ? QI élevé ? Haute stature ? Endurance ? Tempérament de chef ? Talent de danseur ?). Dans ce cadre, ils étudient l’émergence, aux Etats-Unis, d’un puissant mouvement scientifique et philosophique, le « transhumanisme », qui milite pour l’amélioration illimitée des facultés physiques et intellectuelles des humains par tous les moyens, génétiques, chimiques, mécaniques, informatiques – une « techno-médecine » qui s’adresserait aux gens bien portants. Dans sa forme ultime, le transhumanisme va jusqu’à préconiser la fusion physique entre les humains et les futurs réseaux d’ordinateurs dotés d’intelligence artificielle.
Parallèlement, des économistes étudient l’impact « disruptif » de l’Internet sur l’organisation du travail et la répartition des richesses – un processus que ses partisans appellent « économie collaborative » et ses détracteurs, « ubérisation de la société », en référence à l’entreprise américaine qui met à mal les compagnies de taxis traditionnelles du monde entier grâce à une application pour smartphones.

Une même infrastructure technique

Dans son dernier ouvrage, le philosophe Luc Ferry, connu du grand public pour avoir été ministre de l’éducation nationale entre 2002 et 2004, se propose d’analyser ces deux révolutions simultanément. Il reconnaît que l’association de « deux questions en apparence fort différentes » peut sembler « curieuse », mais il affirme que, en réalité, les liens entre transhumanisme et ubérisation sont étroits, même s’ils sont « souterrains ».
Selon lui, les deux révolutions, génétique et économique, s’appuient sur la même infrastructure technique : l’Internet, le big data, l’intelligence artificielle, les imprimantes 3D, la robotique, les nanotechnologies… Elles ont aussi le même fondement philosophique : dans les deux cas, il s’agit de donner aux humains la maîtrise de leur destin individuel « dans des pans entiers du réel, qui appartenaient encore naguère à l’ordre de la fatalité ». De même, elles sont sous-tendues par la même idéologie politique – l’ultralibéralisme anglo-saxon « pur et dur » et le techno-capitalisme futuriste, qui veulent « en finir à tout prix avec le poids des traditions ». Enfin, toutes deux sont organisées et financées par les mêmes acteurs : les multinationales de la Silicon Valley, notamment Google, qui s’intéresse à toutes les formes de big data, y compris le patrimoine génétique de l’humanité : le transhumanisme et la Net-économie ont une patrie, l’Amérique.

« Hypercapitalisme » prédateur

Cette transversalité constitue l’originalité principale de l’ouvrage de Luc Ferry, qui, pour le reste, est de facture très classique. L’intention didactique est claire, puisqu’il cite et commente les écrits de divers auteurs de convictions opposées. Cela dit, il injecte massivement ses opinions personnelles. Dans le chapitre consacré au transhumanisme, il fait une distinction entre deux courants. D’une part, un transhumanisme « à visage humain », qu’il juge acceptable : il s’agit selon lui d’un « hyperhumanisme », héritier des philosophes français des Lumières, qui croyaient en la « perfectibilité potentiellement infinie de l’être humain ». D’autre part, il identifie un courant plus extrême, le « posthumanisme », qui prévoit « une hybridation systématique homme-machine », combinant la biologie, la robotique et l’intelligence artificielle – ce qui reviendrait à fabriquer « une tout autre espèce », très éloignée de l’Homo sapiens.Le désir d’immortalité passerait ainsi de la religion à la science. Là, le pédagogue cède la place au polémiste : pour Luc Ferry, le posthumanisme est « inquiétant », « absurdement réductionniste » et surtout « matérialiste », c’est-à-dire à la fois déterministe et athée. En filigrane, il semble reprocher au transhumanisme, modéré ou radical, de ne faire aucune place à la pensée religieuse européenne traditionnelle.
Quand il passe à l’analyse de l’économie collaborative et des géants de l’Internet, Luc Ferry est moins dans son élément, et moins érudit – visiblement, il est plus à l’aise avec Condorcet qu’avec Sergey Brin. Son argumentaire consiste à réfuter les thèses des nouveaux utopistes de l’Internet, selon lesquels l’économie collaborative va détruire le capitalisme et instaurer une société plus équitable et plus solidaire. Luc Ferry affirme au contraire que les entreprises comme Uber ou Airbnb sont en train de créer un « hypercapitalisme » prédateur, « sauvagement concurrentiel, mercantile et dérégulateur », qui n’apportera ni bonheur ni prospérité.
En conclusion, après des digressions allant de Kant à Sophocle, il préconise, sans surprise, le retour d’un Etat à la fois « éclairé » et « fort », qui sera capable de réguler ces révolutions en trouvant le juste milieu entre l’interdiction brutale et le laisser-faire intégral. Il sait que la partie n’est pas gagnée, car il se lamente à plusieurs reprises sur l’ignorance et l’immobilisme des élites françaises, totalement désarmées face à ces immenses bouleversements – une caste qu’il connaît bien car il en fait partie intégrante, même quand il tente de le faire oublier.

La Révolution transhumaniste, de Luc Ferry (Plon, 216 pages, 17,90 euros).

Yves Eudes
Grand reporter  Source le Monde

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