octobre 20, 2018

Au-delà de l’être et du devoir être ! (Murray Rothbard sur Hans-Hermann Hoppe)

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Le Professeur Hans-Hermann Hoppe,  immigrant assez récent d’Allemagne de l'Ouest,  vient de faire un immense cadeau au mouvement libéral américain.  
Dans ce qui constitue une percée fulgurante pour la philosophie politique en général  et pour le libéralisme en particulier, il a réussi à transcender la célèbre dichotomie de l’être et du devoir être, de l’opposition entre les faits et les normes  qui infecte la philosophie depuis la scolastique, et qui avait conduit le libéralisme contemporain dans les impasses épuisantes.
Et pas seulement cela :  
ce que Hans-Hermann Hoppe réussi à faire, c’est mener à bien la démonstration des Droits naturels anarcho-capitalistes à la Locke d'une manière à la fois sans précédent et inattaquable, et qui fait paraître ma propre défense du Droit naturel presque mollassonne en comparaison.
Dans le mouvement libéral moderne,  seuls les tenants du Droit naturel sont parvenus de façon satisfaisante à des conclusions libérales absolues.  
Les divers avatars du « conséquentialisme » - qu’elles soient émotivistes,  utilitaristes, stirnériennes, ou quoi que ce soit d’autre - ont la manie de se déformer au niveau des coutures.  A la fin des fins s’il faut, pour arrêter une décision définitive, attendre que ses conséquences se soient produites,  c’est à peine si l’on peut opter pour une position cohérente, inflexible pour la liberté et la propriété privée dans tous les cas imaginables.



Hans-Hermann Hoppe a été formé dans la tradition philosophique moderne  (dans son cas, kantienne) plutôt que celle de la loi naturelle, obtenant un doctorat en philosophie de l'Université de Francfort.  Puis, pour son « habilitation », il s’est attaqué à une deuxième thèse, en philosophie de la science économique.
C’est à cette occasion  qu’il est devenu un fervent et dévoué adepte de Ludwig von Mises et de son approche « praxéologique »,  ainsi que du système de théorie économique que Mises avait construit dessus, et qui parvient à des conclusions absolues logiquement déduites d’axiomes évidents en soi.
Hans s'est avéré être un praxéologiste remarquablement original et productif, en partie parce qu'il est le seul praxéologiste (pour autant que je sache) qui soit arrivé à la doctrine en partant de la philosophie et non de l'économie.  Il a donc, en l’espèce, quelques titres philosophiques à faire valoir.
La percée la plus importante de Hoppe a été, en partant des axiomes praxéologiques standard  (par exemple, que tout être humain agit, c'est-à-dire utilise des moyens pour parvenir à des fins) pour,  tenez-vous bien, en tirer une normative politique anarcho-Lockéenne sans concession aucune.
Or, cela fait  plus de 30 ans que je prêche à la profession des économistes  que c’est ce qui ne peut pas se faire : que les économistes ne peuvent pas arriver à des conclusions politiques normatives  -- par exemple, que les hommes de l’état devraient faire ceci ou ne pas faire cela -- à partir d’une théorie économique purement descriptive.
Fait remarquable, extraordinaire,
Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort
Pour parvenir à une telle conclusion politique,  ai-je longtemps soutenu, les économistes doivent s’équiper d’une forme ou d’une autre de système normatif.  
Notez que c’est ce que tentent de faire toutes les branches de la  prétendue « économie du bien-être » contemporaine : demeurer « scientifiques » c’est-à-dire purement descriptives,  et n’en pas moins faire toutes sortes de recommandations politiques à la mode (étant donné que la plupart des économistes souhaitent à un moment ou à un autre s’extraire de leurs modèles mathématiques pour formuler des conclusions politiques applicables).  
Même morts,  la plupart des économistes ne laisseraient  pas surprendre en possession d’un système ou d’un principe normatif, s’étant mis dans la tête que cela porterait atteinte à leur statut de « savants ».
Et pourtant,  fait remarquable et extraordinaire,  Hans-Hermann Hoppe a réussi à prouver que j’avais tort :  ce que j’affirmais impossible, il l'a fait ; il a déduit une éthique anarcho-lockéenne des Droits  à partir d’axiomes qu’on ne peut pas réfuter sans contradiction.
Et pas seulement cela : il a démontré que,  tout comme l'axiome de l'action lui-même, il est impossible de nier ou de contredire l'éthique des Droits anarcho-Lockéenne sans tomber immédiatement dans une contradiction pratique  et se réfuter soi-même.

si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même, on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction,  en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.

En d'autres termes,  Hans Hoppe apporte à la réflexion politique normative ce avec quoi les misésiens sont familiers en praxéologie et les aristotéliciens-Randiens en métaphysique :  
ce que nous pourrions appeler un « noyau dur  d’axiomes » .
Nier l'axiome misésien de l'action  (à savoir que tout le monde agit) est contradictoire et donc se réfute soi-même pour quiconque, étant donné que la tentative même pour le nier constitue en elle-même une action.
Nier l'axiome randien de la conscience  est contradictoire et donc se réfute soi-même puisqu’il faut bien que ce soit une espèce de conscience qui entreprend cette tentative pour le nier.  
En effet,  si on ne peut pas tenter de nier une proposition sans s’en servir soi-même,  on n’est pas seulement coincé dans une inextricable contradiction, en même temps on élève cette proposition au statut d'un axiome.
Hoppe avait été l’étudiant du  célèbre philosophe néo-marxiste allemand Jürgen Habermas,  et son approche de la normative politique se fonde sur le concept d’« éthique de l'argumentation. » que l’on doit au tandem Habermas-Apel.
Selon cette théorie,  le fait même d’énoncer un argument,  d'essayer de convaincre un lecteur ou un auditeur,  implique de reconnaître et de mettre en oeuvre certains principes normatifs : par exemple, de  reconnaître dans une argumentation les éléments valides qui s’y trouveraient. Et c’est de cette manière que l’on peut surmonter la dichotomie des faits et des normes : la recherche des faits implique logiquement qu'on y adopte certaines valeurs ou principes normatifs.
De nombreux théoriciens du libéralisme se sont récemment intéressé à ce genre de réflexion en philosophie morale : par exemple,  Frank van Dun, anarchiste belge théoricien du droit et le poppérien britannique Jeremy Shearmur.
Cependant, leur éthique de l’argumentation à eux en est une variante « molle »,  étant donné qu’on peut toujours poser la question de savoir pourquoi il faudrait continuer à argumenter, ou à dialoguer.

Cette problématique-là, Hoppe la dépasse totalement, en apportant un noyau dur axiomatique,  praxéologique à la discussion. Ce à quoi Hoppe s’intéresse, ce n’est pas la raison d’être de l'argumentation,  mais le fait que tout argumentation quelle qu’elle soit  (y compris bien sûr celles qui s’en prennent à l’anarchisme lockéen)  implique nécessairement l'appropriation de leur propre corps à la fois par celui qui parle  et par ceux qui l’écoutent, ainsi qu’un Droit de première appropriation qui permette à ceux qui argumentant ainsi qu’à ceux qui les écoutent de rester en vie pour poursuivre cette argumentation et pour l’écouter.
Dans un sens,  la théorie de Hoppe  ressemble au raisonnement fascinant  de Gewirth et Pilon, où Gewirth et Pilon (le premier un socialiste,  le second un libéral minarchiste) avaient tenté de dire la chose suivante :

le fait que Tartempion agit suffit à prouver qu’il affirme avoir le Droit d’agir de la sorte

-- jusqu'ici tout va bien --

de sorte que Tartempion reconnaît  en même temps aux autres ce même Droit.  

Cette conclusion-là,  bien qu’elle mette du baume à l’âme du libéral,  et ressemble à la praxéologie par l'accent qu’elle a mis sur l'action,  n'avait malheureusement pas suffi
-- car,  comme Henry Veatch, théoricien des Droits naturels l’avait souligné dans sa critique de Gewirth,  au nom de quoi Tartempion devrait-il reconnaître en même temps les droits de quelqu'un d'autre ?  
Pour sa part Hoppe,  c’est en insistant sur la contradiction pratique inhérente  à l’argumentation des non-anarcho-Lockéens qu’il a résolu le problème séculaire de la généralisation d'une norme pour l'humanité.
Cependant,  en paraissant avec une théorie véritablement nouvelle  (ce qui est en soi étonnant, étant donnée la longue histoire de la philosophie politique)  Hoppe risque bien de porter ombrage à tous les intérêts intellectuels installés du camp libéral.
 
Les utilitaristes,  qui devraient se réjouir de ce que la valeur de la liberté s’en trouve renforcée, seront scandalisés de devoir constater que les Droits à la Hoppe sont encore plus absolus et « dogmatiquement démontrés » que le Droit naturel.

Quant aux partisans du Droit naturel,  tout en se réjouissant de ce « dogmatisme »,  ils ne seront pas forcément disposés à accepter une réflexion normative  qui ne se fonde pas sur la nature générale des choses.

Les randiens seront particulièrement outrés parce que le système hoppien se fonde (comme c’était le cas de celui de Mises) sur le satanique Immanuel Kant et son « a priori synthétique. »
Les randiens seront peut-être rassérénés,  cependant, d'apprendre que Hoppe est influencé par un groupe de kantiens allemands (dirigé par le mathématicien Paul Lorenzen) qui interprètent Kant comme un aristotélicien profondément réaliste,  contrairement à l'interprétation idéaliste courante aux États-Unis.

En tant que partisan du Droit naturel,  je n’y vois pour ma part aucune véritable contradiction, ni pourquoi on ne pourrait pas en tenir en même temps pour les droits naturels et la norme hoppienne du Droit.  Ce qui fonde l’une et l’autre philosophie du Droit, après tout, comme la version réaliste du kantisme, c’est la nature de la réalité.
Le droit naturel offre aussi une éthique personnelle et sociale au-delà de la philosophie politique libérale,  et c’est là un domaine dont Hoppe ne s'est pas préoccupé.
Un programme de recherche à venir pour Hoppe  et autres philosophes libéraux serait
(a) de voir jusqu’où on peut étendre l’axiomatique à d'autres domaines de la philosophie morale,  et

(b) de voir si,  et comment, cette axiomatique pourrait s’intégrer à l’approche standard du droit naturel.
Ces questions offrent un fascinant potentiel  pour le philosophe.
Hoppe  vient de libérer le mouvement aux Etats-Unis  de décennies de débat stérile et de blocage, et de nous fournir une voie pour le développement ultérieur de la discipline libérale.

Murray Rothbard , Liberty, Novembre 1988 ; Mises Daily,  24 août 2010

Murray N. Rothbard (1926-1995) était le chef de file de l'École autrichienne d’économie. Il était économiste,  historien de l'économie,  et philosophe politique libertarien.
Voir  l’archive des articles de Murray Rothbard.






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