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novembre 15, 2025

L'"égalité des chances" par Hans-Hermann Hoppe !

L'"égalité des chances"


C'est certainement lorsqu'on choisit la troisième approche redistributive que l'on atteint le plus haut degré de politisation active. Son objectif, de plus en plus influent dans la social-démocratie, est d'atteindre l'égalité des chances. L'idée est de créer, par des mesures redistributives, une situation dans laquelle les chances pour chacun d'atteindre n'importe quelle situation sociale au cours de sa vie seraient "égales" tout à fait comme dans une loterie où chaque billet a la même chance de gagner ou de perdre et, en plus de cela, d'avoir un mécanisme correcteur qui aide à rectifier les situations de "malchance imméritée" (quelque sens qu'on puisse donner à cela) qui pourraient se produire au cours de ce processus aléatoire continuel. Prise littéralement, bien sûr, l'idée est absurde: il n'existe aucun moyen d'"égaliser les chances" entre quelqu'un qui vit dans les Alpes et quelqu'un qui vit au bord de la mer. 

En plus de cela, il semble bien clair que l'idée d'un mécanisme compensateur est tout simplement incompatible avec celle d'une loterie. Pourtant, c'est précisément ce degré élevé de confusion et de vague qui contribue à rendre populaire le concept. Ce qu'est une "chance", ce qui rend les chances différentes ou égales, moins bonnes ou meilleures, quelle compensation il faut et sous quelle forme pour "égaliser les chances" dont on avoue qu'elles ne peuvent pas l'être physiquement (comme dans le cas des Alpes et du bord de la mer), ce qu'est une "malchance imméritée" et ce qui la rectifierait, toutes ces questions sont parfaitement arbitraires. Elles dépendent d'évaluations subjectives, aussi changeantes que possible et nous avons alors (si on prend au sérieux le concept d'"égalité des chances") un inépuisable trésor de prétextes pour exiger une redistribution, pour toutes sortes de raisons et pour toutes sortes de personnes. C'est notamment le cas parce qu'"égaliser les chances" permet de réclamer des différences de revenu monétaire ou de richesse privée. Untel et Tartempion peuvent bien avoir le même revenu ou la même fortune, mais Untel peut être noir, ou une femme, ou avoir mauvaise vue, ou habiter le Texas, ou avoir dix enfants, ou n'avoir pas de mari, ou avoir plus de 65 ans, alors que Tartempion peut n'être rien de tout cela mais quelque chose d'autre, et par conséquent Untel pourrait bien affirmer que ses chances d'arriver à quelque chose (n'importe quoi) dans la vie sont différentes de celles de Tartempion, et qu'il a "droit" à une compensation conséquente, de manière à ce que leurs revenus monétaires, auparavant les mêmes, soient désormais différents. 

Quant à Tartempion, naturellement, il n'a qu'à inverser l'évaluation des "chances" que cela implique pour avoir exactement la même exigence dans l'autre sens. La conséquence est qu'un degré inouï de politisation s'ensuivra. Tout est désormais permis, et les producteurs comme les non-producteurs, les premiers dans un but défensif et les seconds dans un but d'agression, seront conduits à dépenser de plus en plus de temps à évoquer, réfuter ou combattre des exigences de redistribution. Et bien entendu, cette activité n'est pas seulement improductive comme le sont les loisirs mais, en contraste avec eux, elle implique de consacrer du temps à troubler la libre disposition des biens produits comme à entraver la production de nouvelles richesses.

 

Cependant, l'idée d' "égaliser les chances" ne fait pas que stimuler la politisation (au-delà du niveau généralement impliqué par les autres formes de socialisme). C'est peut-être un des traits les plus intéressants du nouveau socialisme social-démocrate si on le compare à sa forme marxiste plus traditionnelle, qu'elle imprime à cette politisation un caractère nouveau et différent. Toute politique de distribution doit avoir une clientèle pour la promouvoir et la défendre. Normalement, quoiqu'il n'en soit pas exclusivement ainsi, elle est faite de ceux qui en profitent le plus. Ainsi, dans un système d'égalisation des revenus et des patrimoines, comme dans celui d'une politique de revenu minimum, ce sont principalement les pauvres qui soutiennent la politisation de la vie sociale. Comme ils se trouvent en moyenne faire partie de ceux dont les capacités intellectuelles et notamment verbales sont relativement faibles, cela conduit à une vie politique qui manque singulièrement de raffinement intellectuel, pour rester modéré (1). En gros, la vie politique tend à être parfaitement ennuyeuse, stupide et atterrante, au jugement même d'un nombre considérable des pauvres eux-mêmes. A l'inverse, si on adopte l'idée d'"égaliser les chances", les différences de revenu monétaire et de patrimoine deviennent licites et même assez accentuées, pourvu qu'on puisse les justifier par quelque "déséquilibre" dans la structure des chances, que les inégalités susmentionnées seraient là pour compenser. Dans cette arène politique-là, les riches eux aussi peuvent prendre leur part. En fait, comme ils sont en général ceux qui parlent le mieux, et comme imposer sa définition de ce qu'est une chance bonne ou mauvaise est largement une question d'aptitude à la rhétorique, c'est précisément le genre de jeu pour lequel ils sont les mieux placés. Ainsi, les riches deviennent-ils le principal élément de la politisation. Ce seront de plus en plus des hommes issus de leurs rangs qui accéderont au sommet de l'appareil socialiste et changeront en conséquence l'aspect et le discours de la vie politique sous le socialisme. Elle deviendra de plus en plus intellectualisée, changeant ses moyens de séduction pour attirer de nouveaux types d'adhérents...

L'exemple le plus instructif, pourrait être fourni par la République Fédérale d'Allemagne. Entre 1949 et 1966 elle avait un gouvernement libéral-conservateur qui faisait preuve d'un attachement remarquable aux principes d'une économie de marché, même s'il y avait dès le départ une dose considérable de protectionnisme socialiste-conservateur et si cet élément devait croître avec le temps. En tous cas, de toutes les grandes nations européennes pendant cette période, la République Fédérale fut certainement le pays le plus capitaliste.

 


Le résultat fut qu'elle devint la société la plus prospère d'Europe, avec des taux de croissance qui surpassaient ceux de tous ses voisins. Jusqu'en 1961, des millions de réfugiés allemands, et ensuite des millions de travailleurs étrangers venus des pays d'Europe du sud s'intégrèrent dans son économie en croissance, alors que le chômage comme l'inflation y étaient presque inconnus. Puis, après une brève période de transition, de 1969 à 1982 (presque une durée égale) une coalition des socialistes et des "libéraux" prit le pouvoir, dirigée par les sociaux-démocrates. Elle augmenta considérablement les impôts et les "cotisations" de "sécurité sociale", augmenta le nombre des fonctionnaires et la masse d'argent public allant aux programmes sociaux existants, en créa de nouveaux, et accrut substantiellement les dépenses pour toutes sortes de prétendus "services collectifs", soi-disant pour "égaliser les chances" et "accroître globalement la qualité de la vie". Par le biais d'une politique keynésienne de déficit budgétaire et d'inflation non anticipée, on put retarder pendant quelques années les effets d'un accroissement des prestations "sociales" minimum garanties aux non-producteurs aux dépens des producteurs plus lourdement taxés. Le slogan de politique économique du Chancelier Helmut Schmidt était à l'époque: "plutôt 5% d'inflation que 5% de chômage". Ces effets ne devaient pourtant en être que plus spectaculaires puisque l'inflation de crédit non anticipée avait créé et prolongé un sur- ou plutôt un mal-investissement typique de ce genre de politique. En conséquence, il n'y eut pas seulement beaucoup plus que 5% d'inflation: le chômage augmenta constamment jusqu'à atteindre 10%. La croissance du PNB se ralentit de plus en plus jusqu'à ce qu'il décline en termes absolus pendant les dernières années de la période. A la place d'une économie en expansion, on vit baisser le nombre absolu des personnes employées. On exerça des pressions croissantes sur les travailleurs étrangers pour leur faire quitter le pays et renforça constamment les barrières contre l'immigration. Pendant tout ce temps, l'économie souterraine croissait constamment en importance.

Il ne s'agit cependant ici que des effets "économiques" au sens étroit. Il y en eut d'autres, de nature différente, et dont l'importance est en fait plus durable. Avec la nouvelle coalition socialiste-"libérale" l'idée d'"égaliser les chances" fut mise sur le devant de la scène. Et comme nous l'avons prédit à partir de l'analyse théorique, ce fut en particulier la diffusion officielle du slogan "Mehr Demokratie wagen" ("Oser plus de démocratie", au début l'un des slogans les plus populaires de l'ère Willy Brandt) qui conduisit à un degré de politisation jusqu'alors inconnu. On avançait toutes sortes de réclamations au nom de l'"égalité des chances" et il n'y eut guère de domaine de l'existence, de l'enfance jusqu'au troisième âge, des loisirs aux conditions de travail, qui ne fût examiné avec ferveur pour découvrir quelles différences il recelait pour différentes personnes en ce qui concerne les "chances" définies comme pertinentes. Inutile de dire que des "chances" et des "inégalités" de cette sorte, on en découvrait constamment; en conséquence, le domaine de la politique s'étendait presque tous les jours. "Tout est politique", entendait-on dire de plus en plus souvent. Pour rester à la hauteur de ces changements, il fallut aussi que les partis politiques changeassent à leur tour. Le parti social-démocrate en particulier, traditionnellement parti d'ouvriers, dut mettre au point une nouvelle image. 

Comme l'idée d'"égaliser les chances" se développait, il devint de plus en plus, comme on aurait pu le prévoir, le parti de l'intelligentsia (du verbe), des sociologues et des enseignants. Et comme pour prouver qu'un processus de politisation sera principalement animé par ceux qui sont le mieux à même de profiter de ses distributions, et que la tâche d'"égaliser les chances" est essentiellement affaire d'arbitraire et de langue bien pendue, ce "nouveau" parti s'attacha principalement à mobiliser les diverses forces politiques mises en branle autour du projet d'"égaliser les chances" en matière d'éducation. En particulier, ils "égalisèrent" les chances d'aller au lycée puis à l'université, non seulement en offrant les services en question sans les faire payer mais en distribuant littéralement de l'argent aux étudiants pour qu'ils y aillent. Cela n'augmenta pas seulement la demande d'éducateurs, d'enseignants et de sociologues, qu'il fallut naturellement payer par l'impôt. De manière assez paradoxale pour un parti socialiste qui prétendait qu'"égaliser les chances à l'école" impliquerait un transfert de ressources des riches vers les pauvres, cela revient aussi à une subvention payée aux plus intelligents aux dépens des moins intelligents, forcés de payer l'impôt. Et, dans la mesure où il y a plus de gens intelligents dans les classes moyennes et supérieures que chez les autres, il s'agit d'un transfert forcé des pauvres vers les riches. Mené par un nombre croissant d'"enseignants" payés par l'impôt et tenant sous leur coupe un nombre croissant d'étudiants, ce processus de politisation eut l'effet qu'on pouvait prédire: on assista à un changement dans la mentalité des gens. De plus en plus, on considéra qu'il était parfaitement normal de satisfaire toutes sortes de besoins par des moyens politiques, et d'invoquer de prétendus "droits" sur d'autres personnes supposées mieux loties et sur leur propriété. Pour toute une génération élevée pendant cette période, il devint de moins en moins naturel de songer à améliorer son sort par l'effort productif et par l'engagement contractuel. Ainsi, quand la crise économique provoquée par cette politique distributive fut bel et bien là, les gens étaient plus mal équipés que jamais pour la surmonter, parce qu'au cours de la même période, cette politique avait précisément affaibli les compétences et les talents dont on avait alors le plus besoin. Ce qui est instructif c'est que lorsque le gouvernement social-démocrate fut chassé en 1982, principalement parce que ses résultats économiques étaient évidemment lamentables, l'opinion prévalait encore qu'on devait résoudre la crise non en éliminant ses causes, à savoir le gonflement des prestations minimum en faveur des non-producteurs vivant sur le dos des autres, mais par une autre mesure redistributive: en égalisant par le force le nombre d'heures de travail disponible entre les personnes employées et les chômeurs. Conformément à cet état d'esprit, le nouveau gouvernement conservateur ne fit pas non plus davantage que ralentir la croissance des impositions.

 


 


* Extrait de: Theory of Capitalism and Socialism par Hans-Hermann Hoppe Ludwig von Mises Institute. François Guillaumat.

(1) Une autre conséquence possible - et peut-être plus probable - du fait que, comme le disait Reiser : "les pauvres sont des cons", serait que les pauvres en question se feront constamment gruger, de sorte que le seul égalitarisme des résultats soit suffisant pour qu'on se retrouve avec une structure redistributive qui vole les pauvres au profit de beaucoup plus riches qu'eux. Il est en effet parfaitement possible que la redistribution politique vole les pauvres comme au coin d'un bois alors qu'ils croient en profiter : rien n'est plus facile que d'énumérer des politiques qui volent les pauvres au profit des riches alors que les politiciens prétendent - et que l'opinion croit dur comme fer - que c'est l'inverse. Outre la pseudo-gratuité de l'enseignement supérieur, c'est aussi le cas de la retraite par répartition, du salaire minimum, du protectionnisme agricole, du logement dit "social", des subventions aux transports en commun... Pour des exemples américains, cf. David Friedman : "Robin des Bois est un vendu" dans Vers une société sans Etat. Paris, les Belles Lettres, 1991.

http://ami.du.laissez-faire.eu/_hoppe3.php5

novembre 02, 2025

Mondialisme: L'économie d'un gouvernement mondial par Hans Hermann HOPPE !

L'économie d'un gouvernement mondial

Pour commencer, je souhaite revenir sur quelques points abordés lors de ma précédente conférence sur le droit et l'économie, avant d'aborder un sujet totalement différent. 

 La rareté des ressources dans le monde engendre des conflits. Et puisque ces conflits peuvent surgir partout où règne la rareté, des normes sont nécessaires pour réguler la vie humaine. Le but des normes est précisément d'éviter les conflits. Afin d'éviter les conflits liés à la rareté des ressources, il nous faut des règles de propriété exclusive, ou, en d'autres termes, des droits de propriété pour déterminer qui est autorisé à contrôler quoi et qui ne l'est pas. 

 


 

 Ces règles, que j'ai défendues lors de ma précédente conférence, celles que les économistes autrichiens considèrent comme capables d'éviter les conflits tout en étant justes, sont les suivantes : chaque personne est propriétaire de son propre corps. Elle en a le contrôle exclusif. La deuxième règle concerne l'acquisition de la propriété, c'est-à-dire le droit de contrôler exclusivement des ressources rares situées hors de notre corps, dans le monde extérieur. Initialement, le monde extérieur n'appartient à personne et nous acquérons la propriété d'objets extérieurs à notre corps en étant les premiers à utiliser certaines ressources, devenant ainsi propriétaires. On parle alors d'appropriation originelle ou d'établissement d'une propriété foncière. Les troisième et quatrième règles découlent implicitement des deux précédentes. Celui qui utilise son corps et les ressources qu'il s'est initialement appropriées pour produire quelque chose, pour transformer les choses en un état de plus grande valeur, devient ainsi propriétaire de sa production. Le producteur est propriétaire du produit. Enfin, la propriété peut également s'acquérir par un transfert volontaire d'un propriétaire précédent à un propriétaire suivant.

Nous insistons une fois de plus dans cette conférence sur l'existence de règles intuitivement sensées concernant notre propriété. Qui devrait nous posséder, sinon nous-mêmes ? L'idée que quelqu'un d'autre puisse nous posséder paraît absurde. Le second propriétaire devrait-il être celui qui n'a rien fait à la ressource, au lieu du premier ? Là encore, cela paraît absurde. Le producteur ne possède pas le produit, mais quelqu'un qui ne l'a pas produit devrait en être propriétaire ? Là encore, cela paraît absurde. Et bien sûr, la quatrième règle stipule que si l'on pouvait simplement prendre quelque chose à autrui sans son consentement, la civilisation s'effondrerait en un instant. 

De plus, vous savez aussi que si l'on respecte ces règles, la richesse sera globalement maximisée. Et si nous les suivons, tous les conflits peuvent être théoriquement évités. 

 La question est maintenant de savoir que certains diront : « Et alors ? » Même si nous pouvons justifier ces règles, démontrer leur intérêt économique et prouver que tous les conflits peuvent être évités si elles sont respectées, il y aura toujours des contrevenants. Il y aura des criminels, des personnes malfaisantes, tant que l'humanité existera. Que faire de ces personnes ? Comment faire respecter les règles ? Les énoncer ne garantit pas que les gens les respecteront en toutes circonstances. Il y aura toujours des personnes malfaisantes. 

Les libéraux classiques ont apporté la réponse suivante à la question de l'application des règles : c'est le rôle exclusif du gouvernement, de l'État. L'État n'a d'autre rôle que de veiller à ce que quiconque enfreint ces lois soit sévèrement puni.

Que penser de cette réponse des libéraux classiques ? Ludwig von Mises en est un exemple. Sa position était précisément la suivante : ces règles sont celles d'une société juste, et il incombe à l'État de veiller à leur respect et de punir – ou de menacer de punir – les contrevenants potentiels. 

Or, la justesse de cette réponse, c'est-à-dire la question de savoir si cette tâche incombe à l'État et s'il l'accomplira efficacement, dépend bien sûr de la définition que l'on donne à l'État. Je ne vous propose pas une définition fantaisiste, mais celle qui est plus ou moins acceptée par tous ceux qui ont écrit sur le sujet. C'est la définition standard de l'État : l'État est le monopole territorial du pouvoir de décision ultime, ou de l'arbitrage ultime, sur un territoire donné. Autrement dit, en cas de conflit, l'État est l'arbitre suprême qui décide qui a raison et qui a tort. Il n'y a pas d'appel possible. Sa décision est sans appel : vous avez raison, vous avez tort. Cela implique également que l'État est l'arbitre suprême, le juge ultime, le décideur final, même en cas de conflit impliquant l'État ou ses agents. Nous verrons dans un instant qu'il s'agit d'une implication fondamentale de la nature même de l'État, et qu'il en découle de nombreuses conséquences. 

Il en découle que l'État est alors la seule instance habilitée à imposer les citoyens, à déterminer unilatéralement le prix à payer pour ce service rendu, à savoir l'application des règles. 

Or, compte tenu de cette définition de l'État, je souhaite démontrer qu'il est illusoire de croire que l'État réussira à accomplir ce qui, selon les libéraux classiques, constitue sa seule et unique mission : faire respecter ces règles.

Le premier argument contre cette position d'un État minimal est le suivant : en économie, on dit toujours que le monopole est néfaste pour les consommateurs, et la concurrence bénéfique. J'insiste sur le « du point de vue des consommateurs ». Du point de vue d'un producteur, un monopole est toujours avantageux et la concurrence toujours néfaste. Mais du point de vue des consommateurs, la concurrence est bénéfique et le monopole néfaste, pour une raison simple : en cas de monopole, le prix du produit est plus élevé et sa qualité est moindre, car le monopole est protégé de la concurrence par l'arrivée d'autres acteurs sur le marché proposant des prix plus bas ou un produit de meilleure qualité. En cas de libre concurrence, les producteurs s'efforcent constamment de produire au moindre coût, de répercuter cette économie sur les consommateurs en baissant les prix et de produire le meilleur produit possible. Autrement, ils perdront tout simplement face à la concurrence. Autrement, ils s'exposeront, en quelque sorte, à une concurrence déloyale. 

 Le premier argument serait donc simple : pourquoi cela ne s'appliquerait-il pas également à la protection de notre propriété privée ? Pourquoi un monopole serait-il bénéfique dans ce domaine, alors que dans tous les autres, nous le considérons comme néfaste ? De plus, si l'on prend l'exemple d'un monopole de la production laitière, force est de constater qu'un tel monopole proposera un produit de qualité médiocre à un prix élevé. On obtient donc, en quelque sorte, un produit de piètre qualité. 

 Mais lorsqu'il s'agit d'un monopole de l'ordre public, du pouvoir de décision ultime, la situation est bien pire. Non seulement un monopole peut produire un bien médiocre, mais il peut aussi produire des maux, et ce de la manière suivante :


Voyez-vous, si j'étais le décideur ultime dans chaque conflit susceptible de survenir, que pourrais-je faire ? Je pourrais provoquer moi-même le conflit et m'ériger en arbitre. Je pourrais alors déterminer qui a raison et qui a tort. Et si j'ai moi-même provoqué le conflit, il est évidemment facile de prédire la décision que prendra généralement un monopoleur. Il conclura : « J'étais parfaitement justifié d'agir ainsi envers la partie plaignante, et j'avais raison. » 
 
 Un policier vous frappe à la tête, vous protestez. Qui décide alors qui avait raison et qui avait tort ? Peut-être pas le policier lui-même, mais une autre personne employée par le même service. Dans ce cas, on peut donc prévoir qu'au lieu d'une coopération pacifique entre les individus, des conflits incessants surgiront de la part de ceux qui sont censés protéger nos vies et nos biens. Et puis une décision sera prise en leur faveur, au détriment des victimes directes des agents de l'État. 
 
Pire encore, ils pourront décider du montant que vous devrez payer pour cette justice expéditive. Autrement dit, ils vous agressent d'abord, puis ils estiment que c'était parfaitement justifié : vous auriez mal regardé, ou autre. Ensuite, ils vous réclament 100 $ pour ce « service », et vous n'avez pas le choix. 
 
Sinon, vous irez en prison. Là encore, cela découle, pour ainsi dire, de la définition même d'un État, arbitre des conflits, même lorsque vous êtes à l'origine du conflit.
 
De plus, les arguments anti-monopole classiques s'appliquent également. La qualité de la justice tendra constamment à se détériorer et, parallèlement, le prix de cette justice de moindre qualité tendra constamment à augmenter. Il faut payer toujours plus cher pour obtenir toujours moins de justice. 
 
 Il s'agit donc, à mon sens, d'un argument totalement fallacieux en faveur d'un État minimal. L'idée même d'un État minimal relève de l'absurdité. 
 
 Par ailleurs, les libéraux classiques, défenseurs des États minimaux, ont commis une autre erreur fatale. Lorsqu'ils ont élaboré leur programme, et face à des États majoritairement monarchiques, avec des rois et des reines, ils ont commis une erreur fatale. Ils ont affirmé que les monarchies étaient de mauvaises institutions car les monarques, rois et reines, bénéficiaient de privilèges. Or, les rois et les reines constituent, en quelque sorte, une violation du principe d'égalité devant la loi. Le roi peut faire certaines choses que les autres ne peuvent tout simplement pas, et nous devons instaurer une société où l'égalité devant la loi est effective. 
 
Quelle solution ont-ils proposée ? La démocratie. Certes, pas tous les libéraux classiques, mais la plupart. Ils affirmaient que la démocratie était compatible avec l'idée d'égalité devant la loi, car chacun pouvait désormais devenir roi, reine, sénateur ou premier ministre, et non plus seulement une classe héréditaire. 
 
Or, je tiens à démontrer, premièrement, que croire que la démocratie implique l'égalité devant la loi est une erreur fatale. En réalité, substituer la démocratie à la monarchie revient simplement à remplacer les privilèges personnels par des privilèges fonctionnels. En démocratie, nos dirigeants bénéficient eux aussi de privilèges par rapport aux citoyens ordinaires.

Je vais vous donner un exemple. Ce privilège se reflète, en quelque sorte, dans la distinction qui existe entre, d'une part, le droit public qui régit les relations entre les gouvernants, notamment les gouvernants démocratiquement élus, et les citoyens, et d'autre part, le droit privé qui régit les relations entre particuliers. 
 
En vertu du droit public, c'est-à-dire si vous êtes un agent public, vous pouvez faire des choses qui, en vertu du droit privé, vous seraient interdites. Si je vous vole de l'argent dans votre portefeuille, je serai puni comme un simple citoyen. En revanche, si je le fais en tant qu'agent du fisc, cela n'est pas considéré comme un crime, même si, du point de vue de la victime, il n'y a absolument aucune différence. Le droit public autorise le vol. 
 
En vertu du droit privé, si je vous enlève et vous oblige à travailler dans mon jardin pendant seize heures, il s'agit d'un enlèvement, d'une réduction en esclavage, etc., et, là encore, d'une infraction punissable. En revanche, si, en tant que fonctionnaire, je vous enrôle dans l'armée et vous envoie mourir au combat pour la démocratie, on appelle cela un service public obligatoire. 
 
Si, en tant que simple citoyen, je prends votre argent pour le donner à quelqu'un d'autre, c'est du vol et du recel. Si, en tant que fonctionnaire, j'agis ainsi, c'est de la politique sociale. 
 
 Il s'agit de prendre aux uns et de se faire passer pour un bienfaiteur généreux envers les autres. Regardez nos politiciens : ils dépensent des millions dans tel ou tel pays pour les distribuer à certaines personnes, et ils reçoivent même une médaille pour cela ! Ce n'est pas leur propre argent qu'ils donnent. C'est donc du recel.
 
En réalité, on pourrait même dire que les agissements des États sont pires que ceux des criminels privés, car ces derniers, au moins, une fois leurs méfaits accomplis, disparaissent. La prochaine fois, on peut se préparer à une telle attaque et peut-être les neutraliser à nouveau. Les États, eux, agissent de manière institutionnelle. Ils vous volent, puis, la semaine suivante, c'est reparti. 
 
Vous pouvez vous attendre à une nouvelle visite de ces individus. 
 
C'est donc une erreur de croire qu'en démocratie, l'égalité devant la loi est garantie. Seuls les privilèges fonctionnels remplacent les privilèges personnels, mais ces derniers existent tout autant que sous une monarchie. 
 
 La situation est encore plus grave. Si l'on considère la transition de la monarchie à la démocratie, où chacun peut accéder à n'importe quel poste au sein du gouvernement et où il n'existe aucun privilège héréditaire, on constate que l'on remplace celui qui considère le pays comme sa propriété privée par un gestionnaire temporaire. Et cela a des conséquences dramatiques. 
 
 Pour illustrer cela, imaginez un instant : je vous donne une maison. Vous en devenez propriétaire. Vous pouvez alors la transmettre à vos enfants, la vendre et garder le produit de la vente. Dans l'autre cas, je vous donne la maison et vous dis que pendant quatre ou cinq ans, vous en avez le contrôle exclusif, mais vous n'en êtes pas propriétaire, vous ne pouvez pas désigner votre successeur, ni la vendre et garder l'argent de la vente. En revanche, vous pouvez essayer de maximiser vos revenus en utilisant la maison pendant quatre ou cinq ans. Cela changera-t-il la façon dont vous gérerez la maison ? La réponse est évidemment : cela changera tout.
 
Dans un cas, vous aurez intérêt à préserver la valeur de votre bien. Si vous êtes propriétaire, vous ne chercherez pas à dégrader rapidement la maison. Après tout, cela en diminuerait la valeur à la revente. Le prix de la maison chuterait. Vous pourriez aussi souhaiter léguer un bien qui conservera une certaine valeur à la génération suivante. En revanche, si vous n'êtes qu'un gardien temporaire, quelle est votre motivation ? Votre motivation sera alors de maximiser les profits tirés de la maison pendant quatre ou cinq ans, indépendamment de l'évolution de sa valeur intrinsèque. Même si la maison est ensuite en ruine, pour ainsi dire, vous aurez au moins profité de quatre ou cinq années fastes. Vous pourriez vous faire de nombreux amis grâce aux revenus locatifs. Vous pourriez loger 20 ou 30 personnes, chacune payant un loyer. Le papier peint se décolle, les toilettes sont bouchées, la plomberie est hors service, les tapis sont fichus, etc. Mais qu'importe ? Après tout, vous n'y êtes pas obligé : ce n'est pas vous qui en subirez les conséquences, notamment la baisse du prix de vente de votre maison. Après tout, elle ne vous appartient pas. 
 
Voilà donc, en quelque sorte, la principale différence entre monarchie et démocratie. Le monarque a une vision à long terme. Il souhaite préserver la valeur de son royaume afin de transmettre un héritage précieux à la génération suivante. Un homme politique démocrate, sachant qu'il ne restera au pouvoir que quelques années, est incité à s'enrichir au plus vite et à s'enfuir, quelles qu'en soient les conséquences. Les hommes politiques démocrates manquent cruellement de vision. Les monarques, comparativement, sont des personnes clairvoyantes. Il y a donc une erreur supplémentaire à croire que la démocratie est une forme avantageuse d'organisation sociale. 
 
Je voudrais également vous présenter un troisième argument contre la démocratie qui, d'une certaine manière, plaide en faveur de la monarchie. Il s'agit de l'argument suivant : « N'êtes-vous pas toujours favorable à la libre entrée ? Ne devons-nous pas adopter la démocratie car elle garantit la libre entrée aux postes et favorise la concurrence ? En revanche, avec des dirigeants héréditaires, il n'y a ni libre entrée ni concurrence.» Or, cet argument est parfaitement juste, sauf qu'il ne s'applique qu'à la production de biens. Autrement dit, la concurrence est souhaitable dans le domaine de la production de biens. Mais elle est proscrite dans celui de la production de méfaits. Il y a méfait à provoquer un conflit et à trancher ensuite à son avantage. Il y a méfait à imposer des taxes, à dire aux gens qu'ils n'ont pas le choix, qu'ils ne peuvent contester mon droit de les taxer, et à leur imposer le montant de leurs impôts. 
 
 Dans le domaine de la production de méfaits, l'absence de concurrence est préférable. Nous ne souhaitons de concurrence que dans la production de biens. Nous ne voulons pas de compétition pour savoir qui est le plus doué pour agresser autrui ou pour gérer un camp de concentration. 
 
Dans ce domaine, l'incompétence aux commandes nous convient parfaitement. 
 
Nous voulons donc l'incompétence au pouvoir. Nous ne voulons pas de personnes compétentes qui nous imposent des taxes et sèment la discorde. 
 
L'argument était donc le suivant : la libre entrée sur le marché fonctionne exactement à l'inverse dès lors que l'on compare précisément les actions des États aux besoins des consommateurs – les consommateurs eux-mêmes – produits par les fabricants. 
 
Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Voyez-vous, un roi accède au pouvoir par le hasard de la naissance. Cela n'empêche pas qu'il puisse être un mauvais personnage. Or, s'il est mauvais, il appartient généralement à une dynastie, c'est-à-dire une famille. S'il se comporte mal et ruine le pays, les membres de sa famille craindront de perdre leur pouvoir. Ils s'entoureront alors souvent de personnes qui le surveillent. Si cela ne fonctionne pas, ils ont parfois recours à la méthode radicale de l'élimination, ce qui, bien sûr, serait une bonne chose. 
 
D'un autre côté, puisqu'il accède au pouvoir par le hasard de la naissance, on ne peut exclure qu'il soit un homme bien, un grand-père attentionné qui se soucie de son peuple. On ne peut pas exclure qu'il soit réellement quelqu'un de bien. Après tout, ces personnes sont éduquées en ce sens. Elles sont préparées à une telle fonction. Et le plus souvent, ce sont des gens bien. 
 
Maintenant, demandez-vous ce qui se passe en démocratie, où la concurrence existe pour ce type de postes. Tout d'abord, vous vous rendez compte que si vous avez de mauvais dirigeants démocratiques, la probabilité qu'ils soient éliminés est relativement faible. Pourquoi ? Parce que chacun se dit : « Ce n'est que pour quatre ans, et puis, bien sûr, un type bien de mon parti viendra à la tête du pays. » Il y a alors une certaine hésitation à éliminer le dirigeant en question, car on se dit simplement : « Il faut attendre quatre ans, et après, ça ira mieux. » Résultat : moins d'assassinats de dirigeants, et je pense que c'est une mauvaise chose.
 
Deuxièmement, posez-vous la question : un homme vertueux peut-il parvenir au sommet de l’État dans une démocratie ? Autrement dit, un homme qui déclare : « Je ne taxerai pas les riches pour donner aux pauvres, je ferai respecter strictement le droit de propriété privée, les riches ne sont pas de mauvaises personnes et les pauvres ne sont pas de bonnes personnes, je ne ferai absolument rien, j’adopterai une politique de laissez-faire », peut-il un jour accéder aux plus hautes fonctions de l’État ? Je vous le dis, c’est absolument impossible. Essayez donc de mener une campagne sur ce genre de principes. Vous pourriez peut-être gagner dans une petite circonscription, ou dans un petit village où tout le monde se connaît, mais c’est tout simplement impossible dans une société de millions d’habitants où chacun est tenté, bien sûr, de spolier les autres, par le vote, de leurs biens et d’en tirer profit personnellement. Même sur ce point, je pense, encore une fois, que les monarchies sont clairement supérieures. Je ne défends pas les monarchies. 
 
J'en viens donc à la réponse à la question initiale : comment faire appliquer ce type de lois ? La réponse est simple : il faut abolir les monopoles. Autrement dit, cette tâche doit être confiée à des individus ou des organismes qui adhèrent aux mêmes principes que tous les autres. C'est la seule façon de garantir l'égalité devant la loi. En d'autres termes, les institutions et les individus qui assurent ce service essentiel de protection de nos vies et de nos biens doivent respecter les mêmes règles que celles imposées à tous. On parle alors d'une société de droit privé pur, une société où seul le droit privé prévaut. La distinction entre droit public et droit privé disparaît. 
 
 Comment fonctionnerait une telle société ? Cela implique, bien sûr, que chacun est parfaitement libre de se défendre. J'y reviendrai plus en détail. Il est clair que, tout comme dans une société complexe nous ne fabriquons pas nos propres chaussures, ne cousons pas nos propres costumes ni ne nous coupons les cheveux nous-mêmes, mais dépendons de la division du travail, dans une société complexe, nous aurons également recours à la division du travail pour cette tâche spécifique. Néanmoins, il convient de souligner d'emblée que, oui, bien sûr, chaque individu a le droit absolu de se défendre contre quiconque porte atteinte à ses droits de propriété privée. Et il ne fait aucun doute que c'est un moyen très efficace d'atteindre cet objectif. Nous savons, par exemple, qu'au Far West, lorsque le pouvoir du gouvernement fédéral ne s'étendait pas à l'ensemble du territoire – et que presque tout le monde était lourdement armé –, le taux de criminalité était en réalité bien inférieur à ce qu'il est aujourd'hui. Les films sur le Far West peuvent parfois donner une impression différente, mais c'est une erreur. De nombreuses études ont été menées à ce sujet.
 
Imaginez, par exemple, la probabilité de réussir un braquage de banque si vous entrez dans une banque où chaque guichetier est armé. Avant même de sortir de la banque, vous serez un homme mort. 
 
 La violence qui sévissait dans l'Ouest américain était, dans la plupart des cas, une violence entre personnes consentantes. Autrement dit, si vous allez dans un bar, que vous vous enivrez, que vous vous battez avec quelqu'un et que vous décidez de régler vos comptes dehors – et que l'un des deux, voire les deux, gisent morts dans la rue –, ce n'est pas un crime. C'est, après tout, comme un combat de boxe. 
 
Deux personnes décident simplement de se livrer à ce genre de choses. Personne d'autre n'a à s'en préoccuper. Si vous vous absteniez d'aller dans les bars et de vous enivrer, vous étiez relativement en sécurité dans l'Ouest américain. 
 
Un ouvrage très important sur ce sujet a été écrit par John Lott : « Plus d'armes, moins de crimes ». Il présente une quantité considérable de données empiriques démontrant que, bien sûr, si les citoyens sont libres de se défendre, les taux de criminalité ont tendance à baisser. 
 
 Mais comme je l'ai dit, dans une société complexe, cela ne représente qu'une petite partie, une contribution mineure à notre propre défense. Nous aurons besoin d'agents et d'agences spécialisés pour assurer ce service. Et les compagnies d'assurance joueraient probablement un rôle particulièrement important dans tout cela. 
 
Je souhaite illustrer ce que serait une société où ce service serait fourni par des compagnies d'assurance concurrentes. Et encore une fois, il ne faut pas penser aux compagnies d'assurance telles qu'elles existent aujourd'hui. Le secteur des assurances est actuellement l'un des plus réglementés. Imaginez plutôt des compagnies d'assurance libres de se faire concurrence sur le marché pour attirer des clients prêts à payer pour leurs services et autorisées à changer de prestataire de services de sécurité si elles sont insatisfaites des prestations de leur agence actuelle.
 

Alors, à quoi pouvons-nous nous attendre dans une situation où plusieurs compagnies d'assurance défense, entre autres, nous fournissent ces services ? Premièrement, comme dans tout secteur où règne la libre concurrence, les prix auront tendance à baisser et la qualité des produits à s'améliorer. En revanche, si ce sont des monopoles qui assurent ces services, il est prévisible que les prix seront plus élevés et la qualité moindre. 
 
Deuxièmement, cette situation nous permet d'éviter la surproduction et la sous-production de sécurité. Combien de ressources faut-il allouer à la production de bière, de lait ou de voitures ? Sur le marché, ce sont les consommateurs qui décident des ressources allouées à chaque activité. Ils font croître ou décliner les entreprises, voire les font disparaître du marché. Si un monopole fournit ce service, personne ne peut le concurrencer. Il peut imposer ses tarifs. Quelles seront leurs réponses ? Combien de ressources faut-il allouer à cet objectif précis ? La réponse est simple : plus nous y consacrons de ressources, mieux nous, en tant que prestataire de ce service, nous portons. Faut-il un seul policier, dix ou mille ? Les policiers doivent-ils être armés d’une simple matraque ou d’une mitrailleuse ? 
 
 Faut-il des chars d’assaut pour assurer ce type de service ? 
 
Imaginez : la quasi-totalité des ressources d’une société est utilisée pour vous protéger, et il ne vous reste presque plus rien pour vous nourrir
 
Le gouvernement n'a pas de réponse quant aux ressources à allouer à ce domaine. Il faut cependant comprendre que le niveau de sécurité souhaité, et le budget que l'on est prêt à consacrer à ce sentiment de sécurité, varient considérablement d'une personne à l'autre et d'une région à l'autre. Dans certaines régions, aucun prestataire de sécurité spécialisé n'est nécessaire. Si vous vivez seul au sommet d'une montagne, vous pouvez parfaitement assurer votre propre sécurité. En revanche, si vous vivez dans une zone urbaine densément peuplée, vous pourriez être disposé à investir davantage dans ce type de protection. Une personne âgée sera probablement plus inquiète et dépensera davantage qu'une personne comme Arnold Schwarzenegger, qui se sent capable de se débrouiller seul ou avec quelques gardes du corps. 
 
 Ce problème serait automatiquement résolu par une libre concurrence dans le secteur de la sécurité. Chacun pourrait obtenir le niveau de sécurité souhaité, l'augmenter ou le diminuer, sans qu'une entité extérieure ne lui impose un niveau de sécurité prédéfini. Or, ces entités ont souvent tendance à penser que plus c'est mieux. Cela ne signifie pas qu'ils offrent davantage de services, mais leurs ressources financières sont de plus en plus importantes. 
 
Autre avantage : les infractions sans victime. Vous savez qu'actuellement, des ressources considérables sont consacrées à la lutte contre ces infractions, notamment, bien sûr, dans le cadre de la guerre contre la drogue. Aux États-Unis, des millions de personnes sont incarcérées simplement pour avoir fumé du cannabis, pris de la cocaïne ou autre, sans avoir commis de crime ayant fait une victime.
 
Imaginez un peu : une compagnie d'assurance qui vous couvrirait contre les délits sans victime facturerait évidemment un prix plus élevé qu'une agence qui s'abstient de proposer ce service. Il est facile de prévoir que la plupart des gens, n'étant pas concernés par ces délits (puisqu'ils n'en sont pas victimes), diraient : « Je ne veux pas dépenser plus d'argent simplement parce qu'une prostituée a un client quelque part, et que lutter contre ce genre d'activité exige des ressources supplémentaires. Après tout, je ne suis impliqué dans aucune de ces activités. Je veux juste être protégé chez moi et avec mes biens. » Les entreprises qui proposeraient ce type de services feraient donc probablement faillite immédiatement. Actuellement, comme je l'ai dit, d'énormes ressources sont gaspillées dans ce genre de lutte contre les délits sans victime. 
 
De plus, et c'est encore plus important, les compagnies d'assurance devraient vous indemniser en cas d'accident. Vous savez, actuellement, avec le monopole de ces services, elles prétendent protéger votre vie et vos biens. Et si quelqu'un est tué ou si sa maison est cambriolée ? L'État va-t-il alors dire : « Nous avons failli à notre devoir et, de ce fait, nous vous devons une indemnisation » ? Je n'ai jamais entendu parler de cas où le gouvernement dirait : « Je suis profondément désolé de ce qui vous est arrivé. J'ai vraiment manqué à mes obligations envers vous et, de ce fait, vous méritez une indemnisation. » 
 
Et parce que les compagnies d'assurance vous auraient indemnisé en cas de sinistre… Imaginez que vous alliez voir une compagnie d'assurance et que vous disiez : « Voilà le prix de la prime, d'accord, je la paie. » Et puis vous demandez : « Et si quelque chose m'arrive ? » Et qu'ils vous répondent : « Tant pis pour vous. » 
 
On voit bien qu'aucune compagnie d'assurance ne pourrait survivre avec une telle attitude.
 
Les gens souhaitent trois choses en particulier. La prévention ? Qu'en est-il de la prévention ? Quel intérêt un policier payé par les contribuables à être efficace en matière de prévention ? Pratiquement aucun. Son salaire ne dépend pas de son efficacité. En réalité, prévenir la criminalité peut même s'avérer dangereux. Il est plus judicieux de distribuer des contraventions pour stationnement irrégulier, excès de vitesse, etc. Le risque d'être blessé par balle est relativement faible dans ce genre d'exercice. 
 
Pourquoi les compagnies d'assurance seraient-elles performantes en matière de prévention ? Tout simplement parce que les sinistres qu'elles peuvent éviter leur coûtent moins d'indemnisation. Cela leur permet de réduire leurs frais d'exploitation, et donc d'être plus performantes dans ce domaine. 
 
 Ensuite, les gens souhaitent que tout ce qui a été volé, endommagé ou autre soit retrouvé. Or, si quelqu'un vole quelque chose chez vous, dans votre voiture ou votre chaîne hi-fi, quelle est la probabilité que la police retrouve réellement ce qui a été volé ? La réponse est simple : oubliez ça. 
 
 Ils ne trouveront pratiquement rien, sauf par hasard. 
 
D'ailleurs, quel est l'intérêt des détectives d'assurance, pour ainsi dire ? Leur intérêt, bien sûr, est de tout faire pour retrouver la voiture, car quoi qu'ils trouvent, ils n'ont pas à indemniser la victime. Par exemple, un de mes amis s'est fait voler sa VW en Italie. Il est allé porter plainte à la police italienne, qui a noté le vol. Il a demandé : « Et maintenant ? » On lui a répondu : « On classe l'affaire. » 
 
Alors, il est allé voir son assurance allemande et a déclaré le vol. Le détective était allemand et la voiture avait été volée en Italie. Il l'a retrouvée trois jours plus tard. Certes, elle était très abîmée, mais elle a tout de même été retrouvée, pour une raison évidente : c'est dans l'intérêt financier de ce genre d'agence. Les forces de police monopolistiques n'ont aucun intérêt financier à faire quoi que ce soit de vaguement similaire. 
 
Ce que nous voulons éviter par-dessus tout, c'est bien sûr d'avoir à arrêter et à punir le coupable. Or, une compagnie d'assurance aurait évidemment intérêt à le retrouver et à l'obliger à indemniser la victime, toujours dans le but de réduire ses propres frais. 
 
Que fait l'État actuellement ? Premièrement, il ne retrouve quasiment jamais ces criminels, sauf dans les affaires de crimes passibles de la peine capitale. Et même lorsqu'il les retrouve, que fait-il ? La victime reçoit-elle une indemnisation ? À ma connaissance, aucun cas de ce genre n'a été recevable. Donc, en réalité, il n'y a pas d'indemnisation. 
 
De plus, ces individus sont ensuite incarcérés. Et qui finance leur détention ? La victime fait partie de ceux qui doivent payer pour l'emprisonnement du criminel. Et l'incarcération des criminels dans les prisons américaines représente un coût considérable. Je ne parierais pas ma vie sur ces chiffres, mais j'ai lu il y a quelque temps qu'il en coûte près de 70 000 dollars par personne et par an rien que pour loger ces gens. Car en attendant, ils peuvent, bien sûr, profiter du buffet du petit-déjeuner et se plaindre de la propreté des toilettes. Ils peuvent jouer au ping-pong, regarder la télévision, faire de l'exercice pour être plus forts à leur sortie. Ils peuvent même étudier le droit, si je ne m'abuse, afin de mieux se défendre la prochaine fois. 
 
Autre point : les compagnies d'assurance ne vous demanderaient certainement pas de vous désarmer. Imaginez que vous alliez voir une compagnie d'assurance : « Je veux que vous me protégiez, quel est le prix de la prime, etc.» Et ils vous répondraient : « Oui, mais pour mieux vous protéger, nous devons d'abord nous assurer que vous nous remettez toutes vos armes.» 
 
 Si vous avez un pistolet, un marteau, un couteau ou quoi que ce soit d'autre chez vous, vous devez tout nous remettre pour que nous puissions mieux vous protéger. S'ils posaient une question de ce genre, vous sauriez immédiatement qu'il y a anguille sous roche.
 
Néanmoins, c'est précisément ce que font les États partout dans le monde. Dans certains cas, ils sont déjà allés plus loin sur cette voie. Dans d'autres, ils ont moins progressé. Mais partout, l'objectif est le même : vous désarmer. Et c'est bien sûr ce que ferait toute organisation dont l'activité consiste à voler. Oui, bien sûr, si j'étais voleur, je serais ravi de savoir qu'aucun d'entre vous ne possède de couteaux, de marteaux, de faucilles, ou quoi que ce soit de ce genre, sans parler de revolvers et de mitrailleuses, car je pourrais alors entrer librement chez vous. Je serais le seul à posséder toutes les armes et il me serait facile de me livrer à mon activité favorite. 
 
Dans un système où la sécurité est concurrentielle, toutes les compagnies d'assurance tenteraient également d'inciter leurs clients à adopter certaines normes de comportement civilisé. Une compagnie d'assurance ne vous couvrirait pas et ne vous aiderait pas si vous provoquiez autrui. Ils ne vous assureront que si vous avez été provoqué, agressé, mais pas si je vous ai simplement donné un coup sur la tête et que vous avez riposté, et que je me suis précipité vers mon assureur en disant « Au secours, cet homme est en train de me tabasser ! » – si toutefois j'étais à l'origine de l'incident. Autrement dit, ils veulent éviter les conflits. Et pour les éviter, chaque client accepté par une compagnie sera contraint de respecter la règle suivante : « Vous devez avoir un comportement non provocateur. Ce n'est qu'à cette condition que nous vous fournirons nos services. Mais si vous vous comportez comme une bête sauvage, nous ne vous accepterons pas comme client.» De fait, il existera des listes de personnes non assurées car considérées comme présentant un risque trop élevé. Et sans assurance, leur vie est très dangereuse. 
 
Ainsi, la justice privée disparaîtrait en grande partie car, encore une fois, elle est coûteuse. Si vous ripostez immédiatement, cela représente un coût important pour les compagnies d'assurance. Ce n'est que si vous êtes directement visé par les attaques que vous serez autorisé à vous défendre. Si l'incident est déjà terminé, que vous connaissez l'identité de l'agresseur et que vous vous en prenez immédiatement à lui, et que sa famille et ses proches exercent ensuite une représailles, tout cela disparaîtrait généralement instantanément dans un marché libre des assurances.
 
Et surtout, il y aurait des contrats qui vous seraient proposés. Voyez-vous, actuellement, nous n'avons aucun contrat avec l'État ; ils disent : « Nous vous protégeons.» Mais avons-nous un document de référence, qui nous indique ce qui se passera dans quel cas et dans quelle situation ? La réponse est : absolument pas. Prenez l'exemple d'une compagnie d'assurance : elle vous annonce le prix de la prime. Demandez-lui ensuite ce qu'elle propose en échange. Elle vous répondra : « Je ne sais pas, cela dépend des circonstances.» On vous proposera alors un contrat qui prévoit, pour ainsi dire, diverses éventualités et ce qui se passera dans telle ou telle situation. 
 
 Et bien sûr, ce contrat est irrévocable. Autrement dit, la compagnie d'assurance ne peut pas vous dire : « Nous vous proposons ce contrat, mais nous nous réservons le droit de le modifier unilatéralement.» Or, c'est précisément ce que font les États. Ils modifient constamment leurs lois, rendant illégal ce qui était légal hier et inversement. Les règles changent donc sans cesse. Aucun contrat proposé par les compagnies d'assurance ne stipulerait jamais : « Nous pouvons modifier unilatéralement les règles, déclarer ceci légal et cela illégal, et changer d'avis demain et redéfinir les choses. » 
 
Le fait que des contrats soient proposés présente désormais les avantages suivants. Prenons trois scénarios. Imaginons deux personnes en conflit, assurées par la même agence. Chacun sait qu'un tel cas peut se produire : un conflit avec un client de la même compagnie. De toute évidence, chaque compagnie inclurait dans ses contrats une clause précisant la procédure à suivre en cas de conflit entre deux assurés. Cette procédure serait acceptée par les deux parties dès le départ et appliquée ensuite, comme c'est le cas actuellement. 
 
Le deuxième cas de figure possible est celui d'un conflit d'intérêts entre deux personnes assurées par des compagnies différentes. Dans ce cas, chaque compagnie propose à ses clients un contrat stipulant la procédure à suivre, car il est évident que ce type de conflit peut survenir. Si les deux compagnies d'assurance parviennent à la même conclusion quant à la responsabilité de l'une ou de l'autre, il n'y a pas de problème. Quelle que soit leur décision, elles doivent parvenir à un accord unanime. Des audiences peuvent être nécessaires, mais la procédure est clairement stipulée et appliquée. 
 
Nous en arrivons maintenant au cas le plus complexe, mais aussi le plus intéressant. Que se passe-t-il si deux personnes assurées par des compagnies différentes sont en conflit et arrivent à des conclusions divergentes ? Autrement dit, si ma compagnie affirme que j'ai raison et la vôtre également ; Mon client a raison. Alors, ils s'affrontent. Bien sûr, tout le monde sait qu'une telle situation peut se produire et, encore une fois, chaque entreprise aura intérêt à dicter sa conduite. Nous ne sommes pas d'accord sur qui a raison et qui a tort ; que faire ? L'entreprise dirait-elle alors : « Dans ce cas, une seule entreprise décide, a le dernier mot, et l'autre est déboutée » ? Aucune entreprise ne proposerait un tel contrat. Personne ne voudrait être assuré auprès d'une compagnie qui perd systématiquement. Non. Dans ce cas, ils feraient appel à des tiers indépendants. Autrement dit, à des organismes d'arbitrage concurrents qui offrent précisément ce service, qui ne font partie ni de l'entreprise A, ni de l'entreprise B, mais sont totalement indépendants. Ils prendraient alors en charge ce type d'affaire. Il pourrait y avoir différents niveaux de procédure, mais quel serait l'intérêt financier d'un tel arbitre tiers indépendant ? La réponse est simple : aucun organisme d’arbitrage indépendant ne peut garantir qu’il sera sollicité à nouveau. Pour assurer la pérennité de son activité, il doit rendre une décision jugée équitable par les deux compagnies d’assurance et, par conséquent, par leurs clients respectifs. Cela implique, bien entendu, que cette décision reflète un consensus aussi large que possible sur les principes de justice. 
 
Pour mieux illustrer ce point, imaginons par exemple des organismes qui adhèrent en interne au droit canonique, au droit mosaïque, au droit islamique, etc. Ceci ne concerne que les personnes appartenant à ces deux groupes. Que se passe-t-il alors en cas de conflit entre, par exemple, un chrétien et une personne assurée par une organisation musulmane (ou une organisation appliquant le droit canonique par opposition au droit mosaïque) ? La réponse est simple : les organismes d’arbitrage chargés de ces cas doivent alors élaborer des principes de justice universels, c’est-à-dire suffisamment généraux pour que tous ces organismes et clients puissent s’y accorder dans leur code de conduite interne. On se retrouverait ainsi avec une plus grande diversité de lois, et une tendance constante à l’élaboration d’un code de droit universel. Ce code de droit universel serait très probablement ce type de code, constituant le plus grand dénominateur commun à tous les systèmes juridiques existants. 
 
En conclusion, il convient de préciser qu’en matière de relations internationales, un système similaire existe déjà, dans une certaine mesure. Que se passe-t-il, par exemple, si un Canadien a un conflit avec un Américain ? Il faut savoir que Canadiens et Américains vivent parfois tout près l’un de l’autre, à peine de l’autre côté de la rue. Ou encore, un conflit entre un Suisse et un Allemand ? Une seule rue les sépare. Dans ce cas, il n’y a pas de juge unique. Autrement dit, ces personnes, Allemand et Suisse, Canadien et Américain, vivent dans une situation d’anarchie les unes envers les autres. Première observation : y a-t-il plus de conflits entre Canadiens et Américains vivant à proximité les uns des autres qu’entre Américains, deux Américains vivant dans la même situation ? Je n’en ai pas connaissance. Y a-t-il plus de conflits entre citoyens suisses et citoyens allemands vivant à proximité les uns des autres qu’entre Suisses, deux Suisses ou deux Allemands vivant à proximité les uns des autres ? Je n’en ai pas connaissance. Que se passe-t-il alors ? Le Suisse saisit les tribunaux suisses. L’Allemand saisit les tribunaux allemands. S’ils sont d’accord, il n’y a pas de problème. S’ils ne parviennent pas à un accord, l’arbitrage sera de nouveau mis en œuvre. Dans le système actuel, cet arbitrage s’effectue, bien entendu, devant des tribunaux d’arbitrage semi-étatiques, puisque même ces juridictions supranationales sont composées de personnes désignées par tel ou tel État. Néanmoins, on constate que, du moins en ce qui concerne la fréquence et le bon déroulement des opérations, l’absence de juge unique ne pose aucun problème. Ce que je propose pourrait, bien sûr, fonctionner également au sein de n’importe quel pays. 
 
Je vous laisse y réfléchir. 
 
 

 
 

 
 



 

 

 


 


 

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