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décembre 26, 2023

Existe-t-il des droits naturels ? *

* Ce texte a été publié pour la première fois en anglais dans la Philosophical Review, 64/2,1955, p. 175-191 (NdT).  
L’auteur emploie tout au long du texte « wrong », qui peut signifier « mal » mais également « injuste », comme l’opposé de l’adjectif « droit » (right). Il utilise également « wrong » comme une substantif désignant « un mal », « une injustice » (NdT).
L’anglais dit « due to » : c’est le premier sens identifié de « to », mieux traduit en français par « envers », qui vaut ici. Mais le français n’autorise pas la formule « dû envers » et reproduit dans ce cas l’ambiguïté propre à l’anglais (NdT).
 
 

 Philosophie analytique du droit

 Existe-t-il des droits naturels ?

Je défendrai ici la thèse suivante : s’il existe des droits moraux
quelconques, il s’ensuit qu’il existe au moins un droit naturel, le droit égal
de tous les hommes à être libres. En disant que ce droit existe, je veux dire
qu’en l’absence de certaines conditions spéciales, qui sont compatibles avec
le fait que ce droit est un droit égal pour tous, tout être humain adulte qui est
capable de choix 1) a le droit que tous les autres s’abstiennent d’employer la
coercition (coercion) ou la contrainte (restraint) contre lui, à moins que ce
ne soit pour empêcher la coercition ou la contrainte ; et 2) est libre
d’accomplir (c’est-à-dire n’a aucune obligation de s’abstenir d’accomplir)
toute action qui n’est pas coercitive ou contraignante, ou n’est pas destinée à
nuire à d’autres personnes2.
 
Je présente le droit égal de tous les hommes à être libres comme un
droit naturel pour deux raisons ; l’une comme l’autre ont toujours été mises
en avant par les théoriciens classiques des droits naturels. (1) Ce droit est un
droit que tous les hommes ont s’ils sont capables de choix ; ils l’ont en tant
qu’hommes et non pas seulement à condition d’être membres d’une société
donnée ou de se trouver dans une relation particulière les uns par rapport
aux autres. (2) Ce droit n’est ni créé ni conféré par l’action volontaire des
hommes ; alors que d’autres droits moraux le sont3. Ma thèse n’est
évidemment pas aussi ambitieuse que les théories traditionnelles des droits
naturels. En effet, bien qu’à mes yeux les hommes aient de manière égale le
droit d’être libres au sens précisé, aucun homme n’a un droit absolu ou
inconditionnel de faire ou de ne pas faire une chose particulière, ou d’être
traité d’une manière particulière ; la coercition ou la contrainte à l’égard
d’une action quelconque peut être justifiée dans des conditions spéciales
sans contredire le principe général. Ainsi mon raisonnement ne montrera pas
que les hommes ont un droit quelconque (hormis le droit égal de tous à être
libres) qui soit « absolu », « inaliénable » ou « imprescriptible ». Cela
réduira peut-être aux yeux de beaucoup l’importance de ma thèse, mais je
pense que le principe selon lequel tous les hommes ont un droit égal d’être
libres, aussi mince qu’il puisse paraître, est probablement tout ce que les
philosophes politiques de la tradition libérale ont besoin d’affirmer pour
défendre un plan d’action quelconque, même s’ils ont affirmé bien plus.
Mais ma thèse selon laquelle ce droit naturel là existe peut paraître
insatisfaisante à un autre égard ; elle consiste uniquement dans l’affirmation
conditionnelle selon laquelle s’il existe des droits moraux, alors ce droit
naturel là doit exister. Peu de gens peut-être seraient désormais disposés à
nier, comme certains l’ont fait, qu’il existe des droits moraux. En effet, le
but de ce déni était habituellement de s’opposer à une thèse philosophique
relative au « statut ontologique » des droits ; or cette objection ne prend
désormais plus la forme du déni de l’existence des droits moraux, mais du
déni de la similarité logique supposée entre les phrases employées pour
affirmer l’existence des droits et d’autres types de phrases. Il faut toutefois
se souvenir de ceci : il peut exister des codes de conduite qui sont désignés
de manière assez appropriée comme des codes moraux (bien que nous
puissions bien sûr dire qu’ils sont « imparfaits ») et qui n’emploient pas la
notion de droits ; et il n’y a rien de contradictoire ou d’absurde dans un code
ou une morale entièrement constitué de prescriptions, ou dans un code qui
prescrit seulement ce qui doit être fait pour la réalisation du bonheur ou d’un idéal de perfection humaine4. Dans de tels systèmes, les actions humaines
seraient évaluées ou critiquées en tant qu’actions conformes aux
prescriptions, ou en tant que bonnes ou mauvaises, justes ou injustes, sages
ou folles, adaptées ou inadaptées ; mais personne n’exercerait ou ne
revendiquerait de droits, ne les violerait ou n’empiéterait sur eux. Ceux qui
vivraient selon de tels systèmes ne pourraient évidemment pas, en
conséquence, être amenés à reconnaître le droit égal de tous à être libres ; en
outre, aucun raisonnement analogique ne pourrait à mon sens être construit
(et c’est là un aspect par lequel la notion de droit diffère d’autres notions
morales) pour montrer que, du simple fait que des actions ont été reconnues
comme devant ou ne devant pas être accomplies, comme justes, injustes,
bonnes ou mauvaises, il s’ensuit qu’un type spécifique de comportement
rentre dans ces catégories.
I.
(A) Les juristes ont en partie disséqué, à leurs propres fins, la notion
de droit légal, et certains de leurs résultats sont utiles5 pour élucider les
propositions de la forme « X a le droit de … » en dehors des contextes
légaux. Il est bien sûr impossible d’identifier simplement les droits moraux
et légaux, mais il y a un lien intime entre eux, et ce lien même est un trait
qui distingue le droit moral des autres concepts moraux fondamentaux. Cela
ne tient pas seulement à ce que les hommes parlent en fait avant tout de
leurs droits moraux quand ils défendent leur incorporation à un système
légal, mais aussi à ce que le concept de droit appartient à la branche de la
moralité qui se préoccupe spécifiquement de déterminer quand la liberté
d’une personne peut être limitée par celle d’une autre6, et donc de déterminer quelles actions peuvent être adéquatement soumises à des règles
légales coercitives. Les mots « droit », « diritto », et « Recht » utilisés par
les juristes continentaux n’ont pas de traduction anglaise simple, et
paraissent, aux yeux des juristes anglais, flotter de manière hésitante entre
droit et morale, mais ils délimitent en réalité une région de la morale (la
morale du droit) qui a des caractéristiques particulières. Elle est habitée par
les concepts de justice, d’équité, de droits, et d’obligation (quand on
n’utilise pas ce dernier, comme le font nombre de philosophes moraux,
comme un label général confus qui englobe toute action que nous devrions
moralement accomplir ou nous abstenir d’accomplir). La plus importante
des caractéristiques communes à ce groupe de concepts moraux est la
suivante : l’usage de la force ou de la menace n’est en rien incongru, mais
au contraire particulièrement approprié, pour assurer que ce qui est juste ou
équitable, ou ce que quelqu’un a le droit de faire, soit effectivement fait, car
c’est précisément dans ces circonstances que la coercition d’un autre être
humain est légitime. Kant, dans la Rechtslehre, considère les obligations qui
émergent dans cette branche de la morale sous le titre des « officia juris »,
« qui ne requièrent pas que le respect du devoir soit par lui-même le
principe déterminant de la volonté », et les oppose aux « officia virtutis »,
qui n’ont aucune valeur morale à moins d’être accomplis par égard pour le
principe moral. Son idée, à mon sens, est que nous devons distinguer du
reste de la morale ces principes réglant la répartition adéquate de la liberté
humaine, qui rendent seuls moralement légitime le fait, pour un être humain,
de déterminer par son choix comment un autre devrait agir ; et le fait que les
relations humaines soient conduites en conformité avec ces principes a une
valeur morale spécifique (qu’il faut distinguer de la vertu morale, dans
laquelle la volonté bonne se manifeste), même s’il a fallu recourir pour cela
à la coercition, car c’est seulement si ces principes sont respectés que la
liberté sera distribuée entre les êtres humains comme elle doit l’être. Une
caractéristique très importante d’un droit moral est à mon sens que l’on
considère que son propriétaire a une justification morale pour limiter la
liberté d’autrui et qu’il a cette justification non parce que l’action qu’il est
autorisé à exiger d’autrui a une certaine qualité morale mais simplement
parce que, dans ces circonstances une certaine répartition de la liberté
humaine sera maintenue s’il lui est permis de déterminer par son choix la
manière dont autrui devrait agir.

(B) Je peux mieux présenter cette caractéristique des droits moraux
en considérant la question de savoir si les droits et les « devoirs »7 moraux
sont corrélatifs. La thèse selon laquelle ils le sont signifie
vraisemblablement que toute proposition de la forme « X a le droit de… »
implique et est impliquée par « Y a le devoir de (ne pas) … », et à ce
moment du raisonnement nous ne devons pas supposer que les valeurs des
variables « X » et « Y » doivent être des personnes différentes. Il y a
certainement un sens de l’expression « un droit » (que j’ai déjà mentionné)
tel que, de ce que X a un droit, il ne s’ensuit pas que X ou quelqu’un d’autre
a un devoir quelconque. Les juristes ont identifié des droits en ce sens et les
ont désignés comme des « libertés », simplement pour les distinguer des
droits au sens essentiel où « droit » a « devoir » comme corrélat. Le premier
sens de « droit » est requis pour décrire ces régions de la vie sociale dans
lesquelles la compétition n’est pas critiquable, du point de vue moral du
moins. Deux personnes marchant ensemble voient toutes deux un billet de
dix dollars sur la route à une vingtaine de mètres devant eux, et il n’y a
aucun indice quant à son propriétaire. Aucun des deux n’a un « devoir » de
laisser l’autre le ramasser ; chacun a en ce sens un droit de le ramasser. Il
peut évidemment y avoir de nombreuses choses que chacun a un « devoir »
de ne pas faire pendant la course vers le billet – aucun ne peut tuer ou
blesser l’autre – et à ces « devoirs » correspondent des droits à ce qu’autrui
s’abstienne (rights to forbearances). Le caractère moralement convenable
de toute compétition économique implique ce sens minimal de « un droit »
dans lequel dire que « X a le droit de » signifie simplement que X n’a aucun
« devoir de ne pas ». Hobbes a vu que l’expression « un droit » pouvait
avoir ce sens, mais il avait tort s’il pensait qu’il n’y a aucun sens en lequel,
de ce que X a un droit, il s’ensuit que Y a un devoir ou en tout cas une
obligation.
(C) Plus importante pour notre propos est la question de savoir si
pour tous les « devoirs » moraux il existe des droits moraux corrélés, car
ceux qui ont donné une réponse affirmative à cette question ont
généralement supposé sans examen suffisant qu’avoir un droit revient
simplement à pouvoir bénéficier de l’exécution d’un « devoir » ; alors qu’en
réalité cela n’est pas une condition suffisante (et probablement pas une
condition nécessaire) pour avoir un droit. Ainsi les animaux et les bébés qui
sont susceptibles de bénéficier de l’accomplissement de notre « devoir » de
ne pas les maltraiter sont dits en conséquence avoir des droits à être traités
correctement. En général, on ne tire pas l’entière conséquence de ce
raisonnement ; la plupart des philosophes ont eu peur de dire que nous
avons des droits contre nous-mêmes car nous sommes susceptibles de
bénéficier de l’accomplissement de notre « devoir » de nous maintenir en
vie ou de développer nos talents. Mais la situation morale qui découle d’une
promesse (dans laquelle la terminologie des droits et des obligations, à
résonance légale, est la plus appropriée) illustre le plus clairement le fait que
la notion d’avoir un droit et celle de bénéficier de l’exécution d’un
« devoir » ne sont pas identiques. X promet à Y, en retour d’une faveur,
qu’il s’occupera de la mère âgée de Y pendant son absence. Des droits
résultent de cette transaction, mais c’est à coup sûr Y, à qui la promesse a
été faite, et non sa mère, qui a ou possède ces droits. La mère de Y est
certainement une personne à propos de laquelle X a une obligation et une
personne qui bénéficiera de l’accomplissement de cette obligation, mais la
personne envers laquelle il a une obligation de s’occuper d’elle est Y. C’est
là quelque chose qui est dû à Y ou possédé par Y ; et si X ne tient pas sa
promesse, ce sont les droits de Y, et non ceux de sa mère, qu’il aura
négligés, et c’est envers Y, et non envers sa mère, qu’il aura mal agi, bien
que la mère puisse être physiquement blessée. Et c’est Y qui a un droit
moral (has a moral claim) sur X, qui a le droit (is entitled) que l’on
s’occupe de sa mère, et qui peut renoncer à ce droit et libérer Y de
l’obligation. Y est, en d’autres termes, moralement en position de
déterminer par son choix comment X doit agir et de limiter de cette manière
la liberté de choix de X ; et c’est ce fait, plutôt que le fait qu’il soit
susceptible d’en bénéficier, qui permet de dire de manière correcte qu’il a
un droit. Bien sûr, la personne à qui une promesse a été faite est souvent la
seule personne susceptible de bénéficier de son accomplissement, mais ceci
ne justifie pas que l’on identifie « avoir un droit » et « bénéficier de
l’accomplissement d’un devoir ». Le point suivant est essentiel pour la
logique d’ensemble des droits : tandis que l’on identifie la personne qui est
susceptible de bénéficier de l’accomplissement d’un devoir en considérant ce qui se produira si ce devoir n’est pas accompli, on identifie la personne
qui a un droit (à qui l’accomplissement est dû (owed or due)) en examinant
la transaction ou la situation antécédente ou encore les relations entre les
parties dont a résulté le « devoir ». Ces considérations devraient nous inciter
à ne pas étendre la notion de droit à un traitement convenable aux animaux
et aux bébés qu’il est mal (wrong) de maltraiter, car la situation morale peut
être simplement et adéquatement décrite alors en disant que c’est mal ou
que nous ne devrions pas les maltraiter, ou, au sens généralisé où le
philosophe entend le « devoir », que nous avons un devoir de ne pas les
maltraiter8. Si l’usage commun autorise à parler de droits des animaux ou
des bébés, il fait un usage oiseux de l’expression « un droit », qui confondra
la situation avec d’autres situations morales différentes dans lesquelles
l’expression « un droit » a une force spécifique et ne peut pas être remplacée
par les autres expressions morales que j’ai mentionnées. On gagnera peut-
être en clarté à ce sujet si l’on considère la force de la préposition « envers »
(to) dans l’expression « avoir un devoir envers Y » (having a duty to Y) ou
« avoir une obligation envers Y » (being under an obligation to Y) (où « Y »
est le nom d’une personne) ; car son sens diffère significativement du sens
de « à » (to) dans « faire quelque chose à Y » (doing something to Y) ou
« faire du mal à Y » (doing harm to Y), où « à » indique la personne affectée
par une action*. Dans le premier couple d’expressions, « envers » (to) n’a
évidemment pas cette force, mais indique la personne envers laquelle est
liée la personne moralement liée. C’est là un développement
compréhensible de l’image du lien (vinculum juris : obligare) ; l’image
précise n’est pas celle de deux personnes liées par une chaine, mais celle
d’une personne liée, l’autre bout de la chaîne se trouvant dans les mains
d’une autre qui peut l’utiliser comme elle le choisit9. Il apparaît ainsi
absurde de parler d’avoir des devoirs ou des obligations envers nous-mêmes
– nous pouvons évidemment avoir des « devoirs » de ne pas nous faire du
mal à nous-mêmes, mais que pourrait vouloir dire, une fois saisie la
distinction entre le sens d’ « envers » (to) et le sens de « à » (to),
l’affirmation selon laquelle nous avons des devoirs ou des obligations
envers nous-mêmes de ne pas nous faire de mal à nous-mêmes ?

(D) Le lien essentiel entre la notion de droits et la limitation justifiée
de la liberté d’une personne par une autre peut être mis en relief si l’on
considère les codes de comportement qui ne prétendent pas conférer des
droits mais seulement prescrire ce qui devrait être fait. La plupart des
penseurs de la loi naturelle jusqu’à Hooker conçoivent la loi naturelle ainsi :
il existe des devoirs naturels, en conformité avec lesquels il serait
certainement bénéfique pour l’homme d’agir – des choses à faire pour
réaliser la fin naturelle de l’homme –, mais non des droits naturels. Et il
existe évidemment bien des types de codes de comportement qui prescrivent
seulement ce qui doit être fait, par exemple ceux qui règlent certaines
cérémonies. Il serait absurde de considérer que ces codes confèrent des
droits, et il est au contraire éclairant de les opposer aux règles d’un jeu, qui
souvent créent des droits, même si ce ne sont évidemment pas des droits
moraux. Même un code qui est manifestement un code moral n’a pas besoin
d’établir des droits ; le décalogue en est peut-être l’exemple le plus
important. Bien sûr, indépendamment des récompenses célestes, les êtres
humains sont susceptibles de bénéficier de leur obéissance générale aux dix
commandements : il est mal de désobéir, et cela fera portera certainement du
tort à des individus. Mais ce serait les interpréter de manière fort
surprenante que de les traiter comme s’ils conféraient des droits. Dans une
telle interprétation, l’obéissance aux dix commandements devrait être
conçue comme due (due or owed) aux individus, et non seulement à Dieu, et
la désobéissance non simplement comme mal (wrong) mais comme un mal
envers (a wrong to) les individus (en même temps qu’un tort qui leur est
fait). Les commandements ne seraient plus à lire comme des lois pénales
conçues seulement pour exclure certains types de comportements, mais
devraient être pensés comme des règles mises à la disposition des individus
et déterminant dans quelle mesure ils pourraient exiger certains
comportements de la part d’autrui. Les droits sont typiquement conçus
comme étant possédés ou détenus par, ou appartenant à, des individus, et ces
expressions reflètent la conception des règles morales non seulement
comme prescrivant une conduite mais aussi comme formant une sorte de
propriété morale des individus à laquelle ils ont droit (are entitled) en tant
qu’individus ; c’est seulement lorsque l’on conçoit ainsi les règles que l’on peut parler de droits (rights) et d’injustices (wrongs)*, en même temps que
d’actions droites (right) et injustes (wrong)10.
II.
Jusqu’ici j’ai cherché à établir qu’avoir un droit implique d’avoir une
justification morale pour limiter la liberté d’une autre personne et pour
déterminer comment elle devrait agir ; il est à présent important de voir que
la justification morale doit être d’un type particulier pour constituer un droit.
Cela ressortira le plus clairement de l’examen des circonstances dans
lesquelles les droits sont affirmés à l’aide de l’expression typique « j’ai le
droit de … ». Il me semble que cette expression est employée dans deux
types principaux de situations : (A) quand le demandeur (claimant) a une
justification spéciale pour interférer avec la liberté d’une autre personne,
que les autres n’ont pas (« J’ai le droit de recevoir ce que vous m’aviez
promis en échange de mes services ») ; (B) quand le demandeur cherche à
résister ou à s’opposer à l’interférence d’une autre personne en affirmant
qu’elle n’a pas de justification (« J’ai le droit de dire que ce que je pense »).
(A) Les droits spéciaux. Quand des droits résultent de transactions
spéciales entre les individus ou d’une relation spéciale dans laquelle ils se
trouvent l’un par rapport à l’autre, ceux qui ont le droit et ceux qui ont
l’obligation correspondante ne peuvent être que les parties impliquées dans
la transaction ou la relation spéciales. J’appelle de tels droits des droits
spéciaux pour les distinguer de ces droits moraux qui sont considérés
comme des droits valant contre (c’est-à-dire imposant des obligations à)11
tout le monde, tels ceux qui sont affirmés quand une interférence injustifiée
se produit ou risque de se produire, comme dans le cas (B) mentionné ci-
dessus.
(i) Les cas de droits spéciaux les plus évidents sont ceux qui
résultent de promesses faites. En promettant de faire ou de ne pas faire
quelque chose, nous contractons volontairement des obligations et nous
créons ou conférons des droits à ceux à qui nous promettons : nous
modifions l’indépendance morale des libertés de choix des parties relativement à une action donnée et nous créons une nouvelle relation
morale entre elles, de sorte qu’il devient moralement légitime pour la
personne à qui la promesse est faite de déterminer comment celui qui a
promis devrait agir. Celui à qui l’on a promis a sur la volonté de l’autre une
autorité ou souveraineté temporaire, relative à un sujet spécifique, ce que
nous exprimons en disant que celui qui a promis a, envers celui à qui il a
promis, une obligation de faire ce qu’il a promis. L’idée que des
phénomènes moraux – droits et devoirs ou obligations – puissent être créés
par l’action volontaire d’individus est apparue entièrement mystérieuse à
certains philosophes. Mais c’est me semble-t-il qu’ils n’ont pas vu
clairement à quel point les notions morales de droit et d’obligation sont
spéciales, ni de quelle façon particulière elles sont reliées à la répartition de
la liberté de choix ; il serait effectivement mystérieux que nous soyons
capables de rendre les actions moralement bonnes ou mauvaises par un
choix volontaire. Le cas de la promesse, qui est le plus simple, illustre deux
traits caractéristiques des droits spéciaux : (1) le droit et l’obligation ne
résultent pas de ce que l’action promise a en elle-même une qualité morale
particulière, mais simplement de la transaction volontaire entre les parties ;
(2) l’identité des parties concernées est cruciale – seule cette personne (celle
à qui l’on a promis) a une justification morale pour déterminer comment
celui qui a promis devrait agir. C’est son droit ; c’est seulement par rapport
à elle que diminue la liberté de choix de celui qui a promis, de telle sorte
que si elle choisit de libérer celui qui a promis, personne d’autre ne peut se
plaindre.
(ii) Mais la promesse n’est pas le seul type de transaction par lequel
des droits sont conférés. Ils peuvent être accordés par une personne qui
consent ou autorise une autre à interférer dans des affaires sur lesquelles,
sans ce consentement ou cette autorisation, elle serait libre de choisir pour
elle-même. Si je consens à ce que vous preniez des précautions pour ma
santé ou mon bonheur, ou si je vous autorise à vous occupez de mes intérêts,
alors vous avez un droit que les autres n’ont pas, et je ne peux pas me
plaindre de votre interférence si elle intervient dans la sphère de votre
autorité. C’est le sens de la situation dans laquelle une personne abandonne
ses droits à une autre ; et les traits typiques d’un droit y sont à nouveau
présents : la personne autorisée a le droit d’interférer non du fait de sa
nature intrinsèque mais parce que ces personnes se sont trouvées dans cette
relation. Personne d’autre (à moins d’être autorisé de la même manière) n’a en théorie un droit quelconque d’interférer12, même si la personne qui y est
autorisée n’exerce pas ce droit.
(iii) Les droits spéciaux ne se limitent pas à ceux qui sont créés par
le choix délibéré de la partie à laquelle une obligation incombe, comme dans
le cas où ils sont accordés ou résultent de promesses, et toutes les
obligations envers d’autres personnes ne sont pas délibérément contractées,
bien qu’il soit à mon sens vrai de tous les droits spéciaux qu’ils résultent
d’actions volontaires préalables. Une troisième source très importante de
droits et d’obligations spéciaux, que nous pouvons identifier dans bien des
sphères de la vie, est ce que nous pouvons appeler la mutualité des
restrictions ; et je pense que l’obligation politique n’est compréhensible que
si nous saisissons précisément ce qu’elle est et en quoi elle diffère des autres
transactions créatrices de droit (le consentement, la promesse) auxquelles
les philosophes l’ont assimilée. Il s’agit schématiquement de ceci :
lorsqu’un certain nombre de personnes conduisent une entreprise conjointe
selon des règles et restreignent ainsi leur liberté, ceux qui se sont soumis à
ces restrictions quand cela était nécessaire ont droit à ce que ceux qui ont
bénéficié de leur soumission s’y soumettent de la même manière. Les règles
peuvent prévoir que les responsables seront autorisés à imposer l’obéissance
et à arrêter des règles supplémentaires, et ceci créera une structure de droits
et de devoirs légaux, mais l’obligation morale d’obéir aux règles dans de
telles circonstances est due aux* membres coopérants de la société, et ils ont
un droit moral corrélatif à l’obéissance. Dans des situations sociales de ce
type (dont la société politique est l’exemple le plus complexe), l’obligation
d’obéir aux règles est distincte de tout autre raison morale que l’on peut
avoir d’obéir et qui soit relative aux bonnes conséquences que peut avoir
l’obéissance (par exemple la prévention de la souffrance). L’obligation est
due aux membres coopérants de la société en tant que tels, et non parce
qu’ils sont des êtres humains à qui il serait injuste d’infliger de la
souffrance. L’explication utilitariste de l’obligation politique échoue à
rendre compte de ce trait de la situation, à la fois dans sa version simple,
selon laquelle l’obligation existe parce que (et seulement si) les
conséquences directes d’un acte de désobéissance donné sont pires que
celles de l’obéissance, et dans sa version plus sophistiquée, selon laquelle
l’obligation existe même lorsque tel n’est pas le cas, si la désobéissance
augmente la probabilité que l’on désobéisse à la loi en question ou à d’autres lois dans des cas où les conséquences directes de l’obéissance sont
meilleures que celles de la désobéissance.
Dire que ceux qui ont bénéficié de la soumission des autres membres
de la société à des règles restrictives ont une telle obligation morale d’obéir
à leur tour à ces règles ne signifie évidemment pas que ce soit là le seul type
de raison morale d’obéir ou qu’il ne puisse exister aucun cas où la
désobéissance soit moralement justifiée. Il n’y a aucune contradiction ou
incorrection à dire « J’ai une obligation de faire X, quelqu’un a le droit de
me demander de le faire, mais je vois à présent que je ne devrais pas le
faire ». Ce sera parfois un moindre mal moral, dans des situations pénibles,
que d’ignorer ce que sont vraiment les droits des personnes et de ne pas
accomplir nos obligations envers elle. Cela me semble particulièrement
évident dans le cas des promesses : je peux promettre de faire quelque
chose, et contracter par là une obligation simplement parce que c’est l’une
des voies par lesquelles les obligations (qui doivent être distinguées d’autres
formes de raisons morales d’agir) sont créées ; la réflexion peut révéler qu’il
serait injuste dans ces circonstances de tenir cette promesse, car cela
causerait de la souffrance. Nous pouvons exprimer cela en disant : « Je ne
devrais pas le faire bien que j’aie une obligation envers lui de le faire », tout
simplement parce les expressions en italiques ne sont pas synonymes mais
relèvent de dimensions différentes de la morale. La tentative d’expliquer
cette situation en disant que notre obligation réelle ici est d’éviter la
souffrance et qu’il y a seulement une obligation à première vue (prima
facie) de tenir la promesse me paraît confondre deux types différents de
raison morale, et en pratique une telle terminologie obscurcit la nature
précise de ce qui est en jeu lorsque nous empiétons sur les droits des
personnes ou n’accomplissons pas nos obligations envers elles « au nom
d’un plus grand bien ».
Les théoriciens du contrat social ont établi avec justesse que
l’obligation d’obéir à la loi n’est pas seulement un cas particulier de
bienveillance (benevolence) (directe ou indirecte), mais quelque chose qui
émerge entre les membres d’une société politique particulière du fait de leur
relation mutuelle. Leur erreur fut d’identifier cette situation de restrictions
mutuelles, qui est créatrice de droits, au cas paradigmatique de la promesse.
Il y a évidemment des similitudes importantes entre les deux, et ce sont
précisément là les traits que tous les droits spéciaux ont en commun, à
savoir qu’ils résultent de relations spéciales entre les êtres humains, et non
de la nature des actions à accomplir ou de leurs effets.
(iv) Il reste un type de situation dont on peut penser qu’il crée des
droits et des obligations : lorsque les parties ont une relation naturelle spéciale, comme dans le cas d’un parent et d’un enfant. Le droit moral du
parent à ce que son enfant lui obéisse sera désormais jugé prendre fin, me
semble-t-il, lorsque l’enfant atteint l’âge « de raison », mais cela vaut la
peine de le mentionner, car certaines philosophies politiques ont recouru à
des analogies avec ce cas pour expliquer l’obligation politique, et aussi car
ce cas manifeste certains des traits des droits spéciaux que nous avons
identifiés, à savoir que le droit résulte de la relation spéciale entre les parties
(bien qu’il s’agisse ici d’une relation naturelle) et non de la nature des
actions à l’accomplissement desquelles on a droit.
(v) Il faut évidemment distinguer des droits spéciaux les libertés
spéciales, dans le cas desquelles une personne est exceptionnellement
exemptée des obligations auxquelles la plupart des autres sont soumises
mais n’acquiert pas de ce fait un droit auquel correspondrait une obligation
corrélative. Si vous me surprenez en train de lire le journal intime de votre
frère, vous me direz : « Vous n’avez aucun droit de le lire ». Je répondrai :
« J’ai le droit de le lire – votre frère m’a dit que je pouvais le faire tant qu’il
ne me disait pas de ne pas le faire, et il ne m’a pas dit de ne pas le faire ».
Dans ce cas j’ai été spécialement autorisé par votre frère, qui avait le droit
de m’interdire de lire son journal intime, donc je suis exempté de
l’obligation morale de ne pas le lire, mais votre frère n’a aucune obligation
de me laisser continuer à le lire. Des droits, et non des libertés, de s’occuper
des affaires d’autrui ou d’interférer avec elles sont accordés lorsque la
personne qui a accordé le droit ne peut pas révoquer l’autorisation quand
elle le veut.
(B) Les droits généraux. À la différence des droits spéciaux, qui
constituent une justification pour interférer avec la liberté d’une autre qui est
propre au porteur du droit, les droits généraux sont affirmés de manière
défensive, lorsque l’on anticipe une interférence injustifiée ou que l’on se
voit menacé d’une telle interférence, afin de signaler que cette interférence
est injustifiée. « J’ai le droit de dire ce que je pense »13. « J’ai le droit de
pratiquer ma religion comme je l’entends ». De tels droits ont en commun
avec les droits spéciaux deux traits importants. (1) Avoir ces droits, c’est
avoir une justification morale pour déterminer comment un autre devrait agir, en l’occurrence pour déterminer qu’il ne devrait pas interférer14. (2) La
justification morale ne résulte pas de la nature de l’action particulière à
l’accomplissement de laquelle a droit le demandeur ; cette revendication est
simplement justifiée – étant donné qu’il n’y a aucune relation spéciale entre
lui et ceux qui menacent d’inférer qui puisse justifier cette interférence – en
tant qu’elle constitue un exemple particulier du droit égal d’être libre. Mais
il y a évidemment des différences frappantes entre de tels droits généraux
défensifs et les droits spéciaux. (1) Les droits généraux ne résultent
d’aucune relation ou transaction spéciales entre les hommes. (2) Ce ne sont
pas des droits qui sont propres à ceux qui les ont, mais des droits que tous
les hommes capables de choix ont en l’absence de ces conditions spéciales
qui donnent lieu aux droits spéciaux. (3) Les droits généraux ont pour
obligations corrélatives des obligations de ne pas interférer, auxquelles tous
les autres sont soumis et non simplement les parties d’une relation ou
transaction spéciales, même s’ils seront évidemment souvent affirmés
lorsque des personnes particulières menacent d’interférer, en tant
qu’objection morale à cette interférence. Affirmer un droit général, c’est
revendiquer, en relation avec une action particulière, le droit égal qu’ont
tous les hommes d’être libres en l’absence de ces conditions spéciales qui
établissent un droit spécial de limiter la liberté d’autrui. Affirmer un droit
spécial, c’est affirmer, en relation avec une action particulière, un droit de
limiter la liberté d’autrui qui est établi par de telles conditions spéciales.
L’affirmation de droits généraux invoque directement le principe selon
lequel tous les hommes ont de manière égale le droit d’être libres,
l’affirmation d’un droit spécial invoque ce principe indirectement (comme
j’essaie de le montrer dans la section III).
III.
J’espère qu’il est clair que si l’on n’admet pas qu’il faut une
justification morale pour interférer avec la liberté d’autrui, alors la notion de
droit n’a aucune place en morale : car affirmer un droit, c’est affirmer qu’il
existe une telle justification. La fonction caractéristique, dans le discours
moral, de ces phrases dans lesquelles on peut trouver la signification de l’expression « un droit » – « J’ai le droit de… », « Vous n’avez aucun droit
de … », « Quel droit avez-vous de … ? » – est de faire porter sur les
interférences avec la liberté d’autrui, ou sur les revendications
d’interférence, un type d’évaluation ou de critique morales spécifiquement
adapté à l’interférence avec la liberté, et typiquement différent de la critique
morale des actions qui emploie des expressions telles que « droit » (right),
« mal » (wrong), « bon » (good) et « mauvais » (bad). Et ce n’est là qu’un
fondement moral parmi les nombreux qui permettent de dire « Vous devez
… » ou « Vous ne devez pas … ». Peut-être l’emploi de l’expression « Quel
droit avez-vous de… ? » montre-t-il cela plus clairement que les autres ; car
nous l’employons précisément au moment où quelqu’un interfère ou menace
d’interférer, afin de demander de quel titre moral la personne à laquelle on
s’adresse dispose pour interférer ; et nous le faisons souvent sans suggérer
en rien que ce qu’elle propose de faire est par ailleurs mal, et parfois en
laissant entendre qu’il n’y aurait rien à objecter à la même interférence de la
part d’une autre personne.
Toutefois, bien que notre emploi dans le discours moral de
l’expression « un droit » présuppose qu’il soit admis que l’interférence avec
la liberté d’autrui requiert une justification morale, ceci ne suffirait pas à soi
seul pour établir que la reconnaissance de droits moraux implique la
reconnaissance de ce que tous les hommes ont un droit à la liberté égale,
sinon en un sens qu’il serait facile de réduire à la trivialité. Car si la
signification de « un droit » ne contenait en elle-même aucune restriction
relative au type de justification morale pour interférer qui peut constituer un
droit, le principe pourrait être rendu entièrement creux. Il serait par exemple
possible d’adopter le principe et ensuite d’affirmer qu’un trait ou un
comportement donné de certains êtres humains (le fait qu’ils sont
imprévoyants ou athées, que ce sont des Juifs ou des Noirs) constitue une
justification morale pour interférer avec leur liberté. À ce stade de mon
raisonnement, n’importe quelle différence entre les hommes pourrait être
traitée comme une justification morale pour interférer et établir ainsi un
droit, de sorte que le droit égal de tous les hommes à être libres serait
compatible avec de graves inégalités. Il est tout à fait possible que le terme
« moral » introduise lui-même une restriction, quant à ce qui peut constituer
une justification morale pour interférer, qui permettrait d’éviter cette
conséquence, mais je ne peux pas encore pour ma part montrer que c’est le
cas. Il est par contre clair à mes yeux que la justification morale de
l’interférence qui doit constituer un droit d’interférer (ce qui diffère de
rendre simplement l’interférence moralement bonne ou désirable) est limitée
à certaines conditions spéciales, et que ceci est inhérent à la signification de « un droit » (à moins que cette expression soit employée de manière si
relâchée qu’elle pourrait être remplacée par les autres expressions morales
mentionnées). Les revendications d’interférence avec la liberté d’autrui qui
s’appuient sur la nature générale des activités avec lesquelles on interfère
(par exemple la folie ou la cruauté de pratiques « indigènes ») ou la nature
générale des parties (« Nous sommes Allemands ; ils sont Juifs »), même
quand elles sont bien fondées, ne relèvent pas de droits ou d’obligations
moraux. Dans de tels cas la soumission, même quand elle est adaptée, n’est
pas due aux (due to or owed to) individus qui interfèrent ; il serait tout aussi
adapté que n’importe qui appartenant à la même classe de personnes
interfère. C’est pourquoi d’autres éléments de notre vocabulaire moral
suffisent à décrire ce cas, et parler ici de droits est source de confusion.
Nous avons vu dans la section II que les types de justification de
l’interférence impliqués dans les droits spéciaux étaient indépendants de la
nature de l’action à l’accomplissement de laquelle il y a un droit, mais
dépendaient de certaines transactions et relations préalables entre individus
(tels que les promesses, le consentement, l’autorisation, la soumission à des
restrictions mutuelles). Deux questions viennent à l’esprit : (1) en vertu de
quel principe intelligible ces formes nues de promesse, de consentement, de
soumission à des restrictions mutuelles, pourraient-elles être nécessaires ou
suffisantes, indépendamment de leur contenu, pour justifier que l’on
interfère avec la liberté d’autrui ? (2) Quelles caractéristiques ces types de
transaction ou de relation ont-ils en commun ? La réponse à ces deux
question est, je pense, la suivante : si nous justifions l’interférence à partir
des fondements que nous invoquons quand nous revendiquons un droit
moral, nous invoquons en réalité indirectement comme justification le
principe selon lequel les hommes ont un droit égal d’être libres. Car nous
disons en réalité, dans le cas des promesses, des consentements et des
autorisations, que cette revendication d’interférence avec la liberté d’autrui
est justifiée par ce qu’il a, dans l’exercice de son droit égal d’être libre,
librement choisit de créer cette revendication ; et dans le cas des restrictions
mutuelles, nous disons en réalité que cette revendication d’interférer avec la
liberté d’autrui est justifiée par ce qu’elle est équitable, et elle est équitable
parce qu’elle seule permettra qu’il y ait une répartition égale des restrictions
et donc de la liberté au sein de ce groupe d’hommes. Ainsi dans le cas des
droits spéciaux comme dans celui des droits généraux, les reconnaître
implique de reconnaître le droit égal qu’ont tous les hommes d’être libres.
 
 
Herbert L. A. Hart
(1907-1992)
Traduit de l’anglais par Charles Girard
 
1 Mr Stuart Hampshire m’a d’abord incité à réfléchir dans la direction exposée ici ; et j’ai
ensuite abouti, par des voies différentes, à une conclusion similaire à la sienne.
 
2 Je crains que la terminologie complexe de la liberté appelle des explications
supplémentaires. La coercition inclut, en plus du fait d’empêcher une personne de faire ce
qu’elle choisit de faire, le fait de rendre par des menaces son choix moins éligible ; la
contrainte (restraint) inclut toute action destinée à rendre impossible l’exercice de ce choix,
et inclut donc le fait de tuer une personne ou de la réduire en esclavage. Toutefois la
concurrence ne relève ni de la coercition ni de la contrainte. Si l’on reprend la distinction
entre « avoir le droit de » et « être libre de », qui est utilisée ci-dessus et est examinée plus
avant à la section I.B, tous les hommes peuvent avoir, sans que cela contredise l’obligation
de s’abstenir de recourir à la coercition, la liberté de satisfaire s’ils le peuvent ceux au
moins de leurs désirs qui ne visent pas à exercer une coercition sur les autres ou à leur
porter préjudice, même si en réalité, du fait de la rareté, la satisfaction d’un homme cause la
frustration d’un autre. Dans des conditions de rareté extrême, cette distinction entre
concurrence et coercition ne mériterait pas d’être établie ; les droits naturels n’ont
d’importance que « quand la paix est possible » (Locke). En outre, la liberté (l’absence de
coercition) peut n’avoir aucune valeur pour ces victimes de la compétition non entravée qui
sont trop pauvres pour en user ; ce serait ainsi ergoter que de leur faire remarquer qu’ils
sont certes affamés mais libres. C’est cette vérité qui se trouve caricaturée par les marxistes
lorsque, en identifiant pauvreté et absence de liberté, ils confondent deux maux différents
 
 3 À l’exception de ces droits généraux (voir section II. B) qui sont des illustrations
particulières du droit de tous les hommes à être libres
 
 4 L’idée d’un droit se trouve-t-elle chez Platon ou Aristote ? Il semble qu’il n’y ait aucun
mot grec qui soit distinct de « droit » ou « juste » (dikaion), quoique des expressions
comme ta ema dikaia [qui pourrait être rendu par « les droits et les devoirs qui
m’incombent » (NdT)] soient, me semble-t-il, des formules légales du quatrième siècle. Les
expressions naturelles chez Platon sont to eautou (ekein) [« (posséder) ce qui est propre à
chacun » (NdT)] ou ta tini opheilomena [« ce qui est dû à quelqu’un » (NdT)] mais elles
semblent confinées à la propriété ou aux dettes. Il n’y a pas de place pour un droit moral
tant que la valeur morale de la liberté individuelle n’est pas reconnue. (NdE : les termes
grecs, aisément reconnaissable, ont été translittérés et désaccentués).

5 Comme l’a vu W. D. Lamont : voir ses Principles of Moral Judgment, Oxford, Clarendon
Press, 1946 ; pour les juristes, voir W. N. Hohfeld, Fundamental Legal Conceptions, New
Haven, Yale University Press, 1923.

6 Dans ce passage et dans ce qui suit, j’emploie « interférer avec la liberté d’autrui »,
« limiter la liberté d’autrui », « déterminer comment autrui devrait agir », pour désigner soit
le recours à la coercition soit le fait de demander qu’une personne accomplisse ou
n’accomplisse pas une action donnée. Le lien entre ces deux types d’« interférence » est
trop complexe pour être examiné ici. Je pense qu’il suffit pour mon présent propos de
signaler ceci : le fait de disposer d’une justification pour demander qu’une personne accomplisse ou n’accomplisse pas une action donnée constitue une condition nécessaire
mais non suffisante pour justifier la coercition

7 J’écris « “devoirs” » ici car l’un des facteurs obscurcissant la nature des droits est l’usage
philosophique de « devoir » et d’ « obligation » pour tous les cas où il existe des raisons
morales de dire qu’une action devrait être accomplie ou non. En réalité « devoir »,
« obligation », « droit », et « bon » viennent de différents segments de la morale,
concernent des types différents de conduite, et produisent des types différents de critique ou
d’évaluation morales. Le plus important est i) que les obligations peuvent être contractées
ou créées volontairement ; ii) qu’elles sont dues envers des personnes particulières (qui ont
des droits) ; iii) qu’elles ne résultent pas de la nature des actions qui sont obligatoires mais
de la relation entre les parties. Le langage confine généralement, mais pas invariablement,
l’usage de l’expression « avoir une obligation » à de tels cas.
 
8 Cet usage du “devoir” généralisé est susceptible d’influencer la réponse que l’on apporte à
la question de savoir si les animaux et les bébés ont des droits.
* Le français, en distinguant le fait d’avoir un devoir ou une obligation envers quelqu’un et
le fait de faire quelque chose à quelqu’un, n’entretient pas la même ambiguïté que l’anglais,
qui utilise dans les deux cas la préposition « to ». Le lecteur francophone doit garder cette
ambiguïté présente à l’esprit pour saisir l’effort de distinction que propose l’auteur ici
(NdT).

9 Voir A. H. Campbell, The Structure of Stair's Institutions, Glasgow, Jackson, 1954, p. 31.

10 Les juristes continentaux distinguent entre « subjektives » et « objektives Recht », ce qui
correspond très bien à la distinction entre un droit, qu’un individu détient, et ce qu’il est
droit (right) de faire.

11 Voir la section (B) ci-dessous

12 Bien que cela puisse être mieux qu’il intervienne (quand ce serait là le moindre de deux
maux). Voir la fin de la sous-section (iii) ci-dessous

13 La différence entre droits spéciaux et droits généraux est souvent marquée à l’oral par le
fait que le pronom est accentué lorsqu’un droit spécial est affirmé ou qu’il est nié : « Vous
n’avez aucun droit de l’empêcher de continuer à lire ce livre » renvoie au droit général du
lecteur ; « Vous n’avez aucun droit de l’empêcher de continuer à lire ce livre » nie que la
personne à laquelle on s’adresse ait un droit spécial d’interférer, mais il est possible que
d’autres aient ce droit.

14 À strictement parler, en affirmant un droit général, on affirme à la fois le droit à ce
qu’autrui s’abstienne de recourir à la coercition, et la liberté d’accomplir l’action spécifiée,
le premier face à la coercition qui nous est imposée ou dont nous sommes menacés, la
seconde en tant qu’objection à l’exigence réelle ou anticipée que l’on n’accomplisse pas
l’action. Le premier a pour corrélat une obligation incombant à tous de s’abstenir de
recourir à la coercition ; le second a pour corrélat le fait que personne n’a de justification
pour une telle exigence. Ici, selon l’expression d’Hohfeld, le corrélat n’est pas une
obligation, mais un « non-droit »
 
 

juillet 21, 2022

Pensées et Marché en toute Liberté !

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Marché libre

Dans les théories économiques, un marché libre est un modèle économique idéal dans lequel les échanges sont libérés de toute mesure coercitive, y compris les interventions gouvernementales comme les tarifs, les taxes, et les régulations, à l'exception de celles qui autorisent la propriété privée des terres, des ressources naturelles 1) et du spectre de radiodiffusion, ainsi que la propriété intellectuelle, les entreprises et autres fictions légales.

La philosophie du laissez-faire économique en politique épouse approximativement ces conditions dans le monde réel en éliminant les tarifs, en minimisant et en simplifiant la taxation et en minimisant ou éliminant les règlementations étatiques et les restrictions telles que celles relevant du droit du travail (salaire minimum et conditions de travail, mais pas les lois qui restreignent l'organisation des travailleurs) ainsi que le monopole légal et les lois antitrust. Dans le domaine de l'économie politique, le « marché libre » est simplement le contraire conceptuel d'une économie dirigiste, dans laquelle tous les biens et services sont produits, tarifés et distribués sous la maîtrise de l'État.

1) Jerry Taylor, 1993, "The growing abundance of natural resources", In: David Boaz, Edward H. Crane, dir., "Market Liberalism: A Paradigm for the 21st Century", Washington, D.C.: Cato Institute, pp363-378

 

 


 

Pour un libre marché des idées

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Soucieux de santé publique, de justice sociale et de fraternité, les politiques croient devoir résoudre les problèmes de société, comme le racisme sur Twitter ou les discours de haine, par des interventions dans la vie privée et des réglementations de plus en plus contraignantes.

Les diverses tentatives de réduire Dieudonné au silence illustrent assez bien ce double discours de la société française. D’un côté, on protège par tous les moyens le droit d’un magazine satirique de se moquer de l’Islam, mais, de l’autre, les Musulmans n’ont pas le droit d’exprimer des opinions que d’autres peuvent considérer comme blessantes.

Bien sûr, le cas de Charlie Hebdo et celui de Dieudonné ne sont pas tout à fait comparables sur le plan moral. On a d’une part des caricatures qui se moquent de la foi religieuse et, de l’autre, des propos qui semblent soutenir le terroriste qui a tué des Juifs simplement parce qu’ils sont juifs. Néanmoins, l’arrestation de Dieudonné nous montre que les autorités françaises ne comprennent toujours pas ce que signifie vraiment la liberté d’expression, ni ce qu’elle implique.
Plus grave encore, les principales menaces contre la liberté d’expression proviennent non des fanatiques proclamés mais des autorités publiques elles-mêmes.

La loi devrait s’appliquer aux actions, non aux paroles


En effet, la France a fait voter certaines des lois les plus restrictives et les plus sévères dans l’Union européenne, concernant les discours de haine et la négation de l’Holocauste. La loi Pleven par exemple (1972) a introduit le délit de provocation à la haine et à la discrimination. La loi Gayssot (1990) a créé un délit d’opinion sur la Shoah, ce qui est contradictoire avec le concept même de science, car la science remet en cause par nature les certitudes précédemment acquises.

Or, ces lois françaises ont en commun de sanctionner des paroles et non des actes criminels. Mais alors, comment prouver que des personnes ont bien subi un tort ? Qu’est-ce que la haine ? Il s’agit d’un sentiment flou, comme l’amour, la joie ou la tristesse. Un sentiment est subjectif, il ne se voit pas et, par conséquent, il est un délit impossible à prouver.
Des règles générales de droit commun sont bien sûr nécessaires pour protéger et renforcer l’exercice de la liberté individuelle. Sans cette infrastructure juridique qui rend possible la coexistence pacifique des libertés, la société ouverte demeure sans consistance. Et c’est bien pourquoi la perversion de la loi, soulignait déjà Frédéric Bastiat en 1850, est la source de la plupart des maux sociaux dont nous souffrons. C’est toujours aussi vrai aujourd’hui. Rappelons le rôle de la Loi. Frédéric Bastiat énonçait que :

« La Loi, c’est l’organisation du Droit naturel de légitime défense ; c’est la substitution de la force collective aux forces individuelles […] pour garantir les Personnes, les Libertés, les Propriétés, pour maintenir chacun dans son Droit, pour faire régner entre tous la Justice. (La Loi, 1850).

Le libéralisme est une philosophie politique qui détermine quand l’usage de la contrainte juridique est justifié ou pas. La prémisse fondamentale de cette philosophie est le principe de non-agression : il n’est pas légitime de se livrer à une agression contre des non-agresseurs. Le terme agression est entendu ici au sens fort d’un usage de la violence physique (et non verbale) contre la personne ou les biens, telle que celle qui s’exerce dans le meurtre, le viol, le vol ou le kidnapping. Aucune parole, aucun discours ni aucune insulte ne peut être assimilé à une agression physique. Les mots ne tuent pas, même s’ils sont stupides, méchants, haineux ou vulgaires. La parole n’engage jamais définitivement celui qui l’émet. À l’inverse, le passage à l’acte est irréversible, il ferme la discussion. Mais, dans l’échange des opinions, tout reste ouvert, tout peut changer. De plus, le préjudice subi par des paroles n’est pas objectivement constatable ni mesurable, comme un préjudice matériel. Aucun lien causal entre une parole et un acte ne peut être démontré. Aucun caractère intrinsèquement nuisible ne peut être attribué à un propos.
C’est pourquoi, une distinction doit clairement être établie entre la parole et l’action. Dire quelque chose n’est pas la même chose qu’agir.

En brouillant cette distinction, on accrédite l’idée que les individus réagissent comme des automates à des mots. Pourtant, ils ne sont pas des robots. Ils pensent et peuvent agir sur leurs pensées et leurs raisonnements. Les mots ont certainement un impact sur le monde réel, mais cet impact n’est pas mécanique. Les mêmes idées sur différents individus auront des conséquences différentes.

Bien sûr, la parole peut appeler l’action et il peut exister des circonstances dans lesquelles il y a un lien direct entre la parole et l’action, par exemple lorsque les mots d’un individu conduisent immédiatement d’autres individus à commettre des violences. Encore faut-il qu’une telle incitation soit bien définie comme un appel à l’agression physique. En effet, la menace d’agression et l’appel à l’agression sont assimilables à des agressions, ce ne sont plus des opinions. C’est là que les institutions doivent être fortes et que la loi doit jouer son rôle de défense des personnes et de leurs droits. Mais aucune pensée en elle-même, y compris des pensées racistes, ne devrait être interdite par la loi. Oui, le racisme est un mal social pernicieux qui doit être combattu. Mais non, on ne lutte pas contre le racisme en interdisant aux opinions racistes de s’exprimer. On les combat par la parole. On ne répond à des opinions que par des opinions. Et on réprime les actes.
Mais la justice n’est fondée à se prononcer que sur un acte extérieur et sur son lien de causalité avec un dommage. Si on sort de ce cadre juridique, on entre dans la police de la pensée et le contrôle des esprits. Comme l’écrit John Stuart Mill :

« Les seules mesures que la société est justifiée à prendre pour exprimer sa répulsion ou sa désapprobation pour un tel comportement sont les conseils, l’instruction, la persuasion, et la cessation de la fréquentation de l’individu par ceux qui l’estimeraient nécessaire pour leur propre bien (De la liberté)

Une société ouverte implique un libre marché des idées


Le concept de libre marché des idées est un concept philosophique ancien. On le trouve déjà dans la défense de la liberté d’imprimer formulée par John Milton dans son Areopagitica en 1644, puis chez Turgot, dans ses Lettres sur la tolérance civile (1754), chez Benjamin Constant dans ses Réfexions sur les Constitutions et les Garanties (1814), dans le plaidoyer de John Stuart Mill en faveur de la liberté de pensée et de discussion dans De la liberté (1859), et enfin dans le concept popperien de « discussion critique » au sein de l’espace public, dans La société ouverte et ses ennemis (1945).

Le principe est le suivant : la mise en œuvre d’une politique de « laissez-faire », fondée sur la protection de la liberté d’expression, est non seulement plus conforme à la dignité humaine, mais conduit également, par le jeu de la concurrence, à un résultat optimal pour tous, la sélection des opinions les plus justes.

Ce libre marché des idées est justifié pour au moins trois raisons que nous allons développer successivement. 

1° Une raison morale d’abord, c’est la plus fondamentale. 

2° Une raison épistémologique ensuite. 

3° Une raison de prudence politique enfin. Puis nous répondrons à la question des limites de la liberté d’expression.

 
De l’impératif moral du libre marché des idées

Il serait faux de prendre la liberté pour une valeur comme une autre. C’est la condition de possibilité de toute valeur. Il ne saurait y avoir de responsabilité morale, de vice ou de vertu sans liberté de choisir et de penser par soi-même. Aucun acte contraint n’est moral. Aristote et Thomas d’Aquin à sa suite l’ont posé comme un principe fondamental de leur éthique : « un acte accompli sous la contrainte ne peut entraîner aucun mérite ni aucun blâme. » Un agent ne peut être vertueux qu’à la condition de savoir ce qu’il fait et d’agir sans contrainte.

Selon Benjamin Constant, le premier intérêt et le premier droit de l’individu, c’est de pouvoir librement développer ses facultés propres. Et le moyen le plus conforme à sa dignité, pour assurer ce développement, c’est de permettre à l’individu de se gouverner lui-même, à ses risques et périls, tant qu’il n’empiète pas sur le droit égal d’autrui. Or, assurer ce libre développement, c’est justement le but des diverses libertés qui constituent les droits individuels : en ne les respectant pas, la société politique manque à sa mission essentielle, et l’État perd sa première et principale raison d’être.
John Stuart Mill a écrit avec justesse que nos idées, sans la possibilité de se confronter à d’autres ou d’être publiquement contestées, deviennent des dogmes morts. Le prix de cette censure est « le sacrifice de tout le courage moral de l’esprit humain ». Mill insiste sur le fait que les « facultés humaines de la perception, du jugement, du discernement, de l’activité intellectuelle, et même la préférence morale, ne s’exercent qu’en faisant un choix. Celui qui n’agit que suivant la coutume ne fait pas de choix. Il n’apprend nullement à discerner ou à désirer ce qui vaut mieux ».

Si la vérité constitue un bien pour tous les hommes, la liberté constitue une condition nécessaire à la réalisation de cette fin. La liberté d’expression en particulier est un principe politique qui permet d’assurer les conditions individuelles nécessaires à la recherche de la vérité et de la perfection morale. Le souci moral de la vérité si souvent invoqué par les interventions étatiques en matière d’expression publique ne s’oppose pas en réalité au droit individuel de libre expression, mais le fonde au contraire.

De l’utilité du libre marché des idées

L’argument que je voudrais développer ensuite est celui de l’efficacité épistémologique : le libre échange des idées est le meilleur moyen de faire émerger la vérité.

Mais il y a une grande différence entre la tolérance, qui consiste à ne pas faire usage de la coercition à l’encontre des autres religions, et le libre marché des idées, qui consiste à reconnaître que le pluralisme intellectuel, religieux et politique est le facteur agissant d’un ordre social supérieur. La compréhension libérale de la liberté consiste à affirmer que celle-ci est créatrice d’un ordre supérieur. Il s’agit d’un ordre spontané ou auto-organisé.

La compréhension ancienne de la liberté consistait à opposer la liberté à l’ordre. Il fallait donc subordonner la liberté individuelle à un principe hiérarchique et directif. Au contraire, la libre interaction des penseurs, des chercheurs et des agents économiques, indépendante d’une autorité centrale discrétionnaire, agissant par-delà les communautés religieuses, les corporations, les pays, a été la raison principale de la croissance de l’Occident depuis l’ère des révolutions.

Comme le note le professeur Philippe Nemo dans Histoire du Libéralisme en Europe, « jusqu’à ce développement majeur, on pensait la Liberté comme le principe directement antinomique de l’ordre. La Liberté individuelle était censée nuire à l’autorité hiérarchique dont elle désorganisait les plans ou au groupe naturel qu’elle désagrégeait. Les penseurs des temps modernes ont donc compris qu’il existe un autre type d’ordre, au-delà des ordres ‘naturel’ et ‘artificiel’ identifiés depuis les Grecs : l’ordre spontané, un ordre qui vit de Liberté au lieu d’être détruit par elle. »
L’optimisme de Mill sur la liberté d’opinion, non réglementée, a parfois été qualifié de déraisonnable ou de naïf. Certains ont objecté, s’appuyant sur une version relativiste ou contextualiste, que la vérité n’est pas une réalité objective préexistante qu’il suffirait de découvrir. D’autres ont dit que les individus n’étaient pas assez rationnels pour être à même de discuter ouvertement et pacifiquement avec les autres.

Mais même en admettant ces hypothèses, le libre échange des idées apparaît encore largement comme le moins inefficace des moyens disponibles pour se prémunir contre l’erreur. En effet, aucun homme, aussi savant soit-il, n’est infaillible, a fortiori un homme politique. Karl Popper écrivait que les gouvernants « ne sont pas toujours capables et sages […] l’histoire a montré que ce sont rarement des hommes supérieurs ». Et il ajoutait : « aucune autorité humaine ne saurait instituer la vérité par décret […] car celle-ci transcende l’autorité humaine. » (Des sources de la connaissance et de l’ignorance)

La seule bonne méthode consiste donc à partir de l’idée que nous pouvons commettre des erreurs et les corriger nous-mêmes ou permettre aux autres de les corriger en acceptant leurs critiques. Elle suppose que nul ne peut se juger lui-même, et que croire en la raison n’est pas seulement croire en la nôtre, mais aussi et peut-être surtout en celle d’autrui. Elle est ainsi consciente de la faillibilité de toutes nos théories et essaie de les remplacer par de meilleures.
Cette conception de la vérité repose sur l’idée qu’on ne progresse vers la vérité qu’en renonçant à la certitude selon une démarche négative de réfutation des hypothèses. C’est par la critique de nos erreurs et de nos fausses certitudes que l’on s’approche de la vérité.

« Nos tentatives pour saisir et découvrir la vérité ne présentent pas un caractère définitif mais sont susceptibles de perfectionnement, notre savoir, notre corps de doctrine sont de nature conjecturale, ils sont faits de suppositions, d’hypothèses, et non de vérités certaines et dernières. Les seuls moyens dont nous disposons pour approcher la vérité sont la critique et la discussion. » (Karl Popper, Conjectures et Réfutations. Retour aux présocratiques, Payot, 2006).

 

Des effets pervers de la censure


La troisième raison de préférer le libre échange des opinions à la censure est une raison politique ou prudentielle. Il convient de souligner les risques de conflits et de violences associés à toute forme de censure. En effet, rendre certaines idées immorales sans se soucier de les contester philosophiquement et politiquement peut s’avérer très dangereux. Car en interdisant les propos haineux, on ne supprime pas la haine raciale ou religieuse. Au contraire, on l’exacerbe en la rendant plus souterraine, plus insidieuse et donc plus difficile encore à combattre.
Par ailleurs, la tendance actuelle à restreindre la liberté d’expression, au nom de l’intérêt général, risque fort de se transformer en outil politique pour réduire au silence toute forme d’opposition ou de dissidence. Les États peuvent facilement tirer parti de ces évolutions juridiques comme d’un prétexte pour combattre l’expression de critiques contre leurs gouvernements.

Prenons l’exemple américain : le Patriot Act, voté suite aux attentats du 11 septembre 2001. De la même manière que notre loi de programmation militaire, la liberté des Américains a été restreinte. Le plus de sécurité s’est soldé par moins de liberté… et c’est tout.

Preuve horrible s’il en est, les attentats de Boston n’ont pu être empêchés malgré la surveillance généralisée par les agences gouvernementales. Pire, le gouvernement américain s’est octroyé le droit d’utiliser la loi hors du cadre du terrorisme. En 2013, sur les 11.129 demandes de perquisitions sur la base du Patriot Act, seules 51 visaient des suspects d’actes terroristes. John Stuart Mill faisait remarquer qu’il est très facile d’utiliser une réglementation, a priori inoffensive, pour réduire au silence un adversaire politique. En effet, il est impossible de tracer une frontière a priori entre ce qui est jugé modéré et ce qui ne l’est pas : « Il convient de se tourner un instant vers ceux qui disent qu’on peut permettre d’exprimer librement toute opinion, pourvu qu’on le fasse avec mesure, et qu’on ne dépasse pas les bornes de la discussion loyale. On pourrait en dire long sur l’impossibilité de fixer avec certitude ces bornes supposées ; car si le critère est le degré d’offense éprouvé par ceux dont les opinions sont attaquées, l’expérience me paraît démontrer que l’offense existe dès que l’attaque est éloquente et puissante : ils accuseront donc de manquer de modération tout adversaire qui les mettra dans l’embarras. » Encore une fois, l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Des limites de la liberté d’expression

1° – L’État ne doit-il pas moraliser la vie publique ?

La moralisation de la vie publique n’est souvent envisagée que par le biais de la loi. Mais n’oublions pas que la loi, c’est l’usage de la force. Le rôle de la loi est simplement de réprimer les agressions, les violences, pas de décider qui, ni quand, ni comment on a le droit de s’exprimer.

En revanche, il y a des règles de civilité qui émergent des pratiques et des coutumes. Ceux qui ne les respectent pas s’exposent au jugement et au blâme du public. C’est de cette manière que Benjamin Constant envisageait la régulation du débat public dans ses Réflexions sur les constitutions et les Garanties :

« Les principes qui doivent diriger un gouvernement juste sur cette question importante sont simples et clairs : que les auteurs soient responsables de leurs écrits, quand ils sont publiés, comme tout homme l’est de ses paroles, quand elles sont prononcées ; de ses actions, quand elles sont commises. L’orateur qui prêcherait le viol, le meurtre ou le pillage, serait puni de ses discours ; mais vous n’imagineriez pas de défendre à tous les citoyens de parler, de peur que l’un d’entre eux ne prêchât le vol ou le meurtre. L’homme qui abuserait de la faculté de marcher pour forcer la porte de ses voisins, se serait pas admis à réclamer la liberté de la promenade ; mais vous ne feriez pas de loi pour que personne n’allât dans les rues, de peur qu’on entrât dans les maisons. » (De la liberté de la presse)

 

2° – Le droit de propriété, seule limite intrinsèque légitime


En fait, la liberté d’expression est intrinsèquement limitée par le respect du droit de propriété. Cela signifie par exemple que j’ai le droit d’empêcher un homme de coller une affiche sur le mur de ma maison. J’ai le droit de proclamer les opinions qui me tiennent à cœur dans mon journal, sur mon blog, dans mon espace privé. J’exerce mon droit de propriété. Un éditeur ou un groupe de presse est maître de ses choix éditoriaux et de ses publications. Un chef d’entreprise ou un directeur d’école est maître du règlement intérieur de son établissement. Quand on y entre, on accepte ce règlement, sous peine de sanctions. Même chose sur un blog ou un site internet. Chacun peut édicter un règlement en vertu duquel il s’engage à censurer tel ou tel propos jugé déplacé. Autrement dit, dans une société libre, on a le droit de tout dire dans la limite des engagements contractuels que l’on a pris et du respect du droit de propriété. Bien entendu, encore faut-il que l’espace public n’envahisse pas la sphère privée. Lorsque l’État s’approprie tout l’espace, au nom de l’intérêt général, il devient difficile, voire impossible d’exercer un quelconque droit de propriété et, par suite, une liberté d’expression.

Conclusion
Il existe de bonnes raisons de croire qu’un environnement libre de toute censure permet non seulement de meilleurs jugements, mais aussi de meilleures personnes, c’est-à-dire des personnes capables d’une plus grande responsabilité morale. Si la libre compétition entre idées concurrentes constitue, d’un point de vue à la fois moral, épistémologique et prudentiel, le meilleur moyen de découvrir la vérité, alors il faut rejeter toutes les interférences étatiques dans le débat public et la communication des idées. L’une des leçons à retenir de la lecture des grands textes libéraux de Tocqueville, de John Stuart Mill, de Benjamin Constant, c’est que les excès de la liberté se combattent par la liberté. Des personnes font certainement un mauvais usage de leur liberté. Mais la réponse à ces abus, c’est toujours d’ouvrir l’espace public de la discussion afin de laisser émerger des critiques, des arguments, des raisons.

Dans l’introduction et le chapitre 10 de La Société ouverte et ses ennemis, Popper indique que la société ouverte se caractérise par un nouveau principe d’organisation sociale basé sur « le primat de la responsabilité individuelle, du libre examen rationnel et critique, qui exige des efforts sur soi-même pour vivre en libre individu dans des rapports pacifiés et détribalisés aux autres. » Une condition de la société ouverte est donc l’institutionnalisation de la critique, qui exige une extension maximale de la liberté d’expression dans la sphère publique.


Chapitre extrait du livre : Libéralisme et liberté d’expression, sous la direction d’Henri Lepage, éditions Texquis, 2015.

juillet 24, 2021

Hans-Hermann Hoppe : L' État et son coronavirus !!

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Thomas Jacob : Professeur Hoppe, vous êtes connu comme un critique de l’État et de la centralisation politique. Le coronavirus ne prouve-t-il pas que les États centralisés et les réglementations du gouvernement central sont nécessaires ?

Hans-Hermann Hoppe

Certes, les différents États centraux et organisations internationales, comme l’Union Européenne (U.E.) ou l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.), ont essayé d’utiliser la pandémie dite « Covid-19 » à leur propre avantage, c’est-à-dire pour étendre leur pouvoir sur leurs sujets respectifs ; et pour tester jusqu’à quel point elles pouvaient régenter les autres personnes face à une menace d’épidémie mondiale d’abord vague, puis systématiquement dramatisée. Et la mesure dans laquelle cela a réussi, au point d’en arriver à une assignation à résidence généralisée, est effrayante.

Mais si le cours des événements actuels a bien montré quelque chose, ce n’est pas la nécessité ou l’efficacité des autorités et des décisions centrales, mais à l’inverse l’importance cruciale des décisions et des décideurs décentralisés.

Le danger émanant d’une épidémie n’est jamais le même partout, pour tous, au même moment. La situation en France est différente de celle de l’Allemagne ou du Congo, et les conditions en Chine ne sont pas les mêmes qu’au Japon. Même au sein des différents pays, le niveau de menace diffère d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, entre les zones urbaines et rurales, en fonction de la composition démographique et culturelle de la population. En outre, il existe une multitude d’analyses et de recommandations contradictoires concernant ce qu’il faut faire ou ne pas faire face à cette menace, défendues par des « experts scientifiques » tout aussi « accrédités » les uns que les autres. Par conséquent, toute mesure centralisée, à l’échelle nationale (dans les cas extrêmes, mondiale), destinée à écarter le danger – un modèle à « taille unique » – doit dès le départ être considéré comme absurde et inappropriée.

Au vu de cette situation, il était tout à fait naturel qu’en plus des représentants des gouvernements centraux, divers dirigeants provinciaux et locaux s’impliquent rapidement et de plus en plus dans la prévention des risques. L’épidémie leur a offert l’occasion idéale de se démarquer de l’État central et de ses représentants, et d’élargir leur propre sphère de pouvoir. Ils ont ignoré, exacerbé, atténué, retardé, ou autrement modifié les mesures de leur gouvernement central pour leurs régions respectives. Toujours en tenant compte de l’opinion publique ou plutôt de l’opinion publiée, et souvent portés par l’espoir de pouvoir éventuellement accéder à la fonction de dictateur central en devenant un dictateur régional admiré par son peuple.

Malgré certaines améliorations dans la maîtrise des risques que cette décentralisation des décisions a permis d’apporter, et malgré le fait qu’une variété de régions différentes avec leurs traitements différenciés permette d’apprendre systématiquement des erreurs passées, la performance globale des États et des décideurs étatiques dans la gestion de l’épidémie a été absolument épouvantable. Comme dans tous les autres domaines, l’État échoue spectaculairement, et c’est particulièrement marquant en ce qui concerne la santé publique et la prévention des maladies. En fait, comme les événements actuels le montrent de plus en plus clairement, l’État tue ou rend malades plus de personnes grâce à ses mesures de protection qu’il ne guérit ou ne protège de la mort.

TJ : Les politiciens sont-ils tout simplement stupides ?

Il est certain que les politiciens dans leur ensemble ne brillent pas par leur esprit. Et le souci du « bien commun » qui les unit tous en tant qu’hommes politiques, c’est-à-dire leur prétention à vouloir et à pouvoir aider d’autres personnes (voire l’humanité entière) à connaître plus de bonheur et de prospérité, doit être considéré comme suspect dès le départ. Mais la véritable raison de l’échec de l’action politique en général, et en particulier dans le traitement des maladies infectieuses, est plus profonde et de nature structurelle.

La raison profonde et structurelle est que les décideurs politiques, qu’ils soient centraux ou régionaux, « ne jouent pas leur peau » comme on dit aujourd’hui dans le langage familier, lorsqu’ils prennent des décisions. En d’autres termes, ils sont largement libérés du risque d’éventuelles mauvaises décisions, de pertes et de coûts éventuels. Ils n’ont pas besoin de réfléchir longuement aux conséquences et aux effets secondaires de leurs actions, mais peuvent prendre des décisions « spontanées » car ils ne sont pas personnellement responsables des conséquences de leurs décisions. En général, ils peuvent faire éponger par d’autres les coûts de leurs actions. C’est la raison profonde pour laquelle la stupidité et la mantra du bien commun – surtout lorsqu’elles sont combinées – deviennent un danger et favorisent systématiquement l’irresponsabilité, l’arbitraire et la mégalomanie.

Prenons, par exemple, le coronavirus : pourquoi ne pas, face à une maladie infectieuse, recourir à des moyens « audacieux » tels que l’interdiction de sortir et de voir des gens, l’assignation à résidence, la fermeture d’entreprises, l’interdiction de travailler et de produire, etc., si l’on ne subit pas de perte directe de revenus en conséquence ? La raison est que, comme pour tous les décideurs politiques et les soi-disant fonctionnaires, leurs propres revenus ne proviennent pas d’un emploi productif rémunéré, mais sont financés par les impôts, c’est-à-dire par des prélèvements obligatoires, et sont donc assurés à court et moyen terme. Et pourquoi devrait-on se préoccuper autant des effets secondaires et des conséquences indirectes et à long terme de ses propres actions, si l’on ne peut être personnellement accusé, tenu responsable et redevable de dommages ? Pour justifier ses propres actions « audacieuses » on peut invoquer un nombre restreint, mais astucieusement gonflé, de personnes supposées avoir été sauvées d’une maladie grave, voire de la mort, en pourcentage de la population totale, tout en ignorant simplement les conséquences d’un confinement, c’est-à-dire le fait qu’un nombre bien plus important de personnes connaîtront des difficultés économiques à la suite de ces mesures et, par conséquent, tomberont indirectement malades et peut-être même finalement mourront.

En fait, au début, il semblait que les décideurs politiques ne savaient pas du tout (ou ne voulaient pas savoir) que même les « opérations de sauvetage », quelque bien intentionnées qu’elles soient, ne sont pas, et ne peuvent pas être, gratuites. Du fait qu’elles sont des opérations de sauvetage, elles ont plutôt été présentées comme « n’ayant pas d’alternative ». Lorsque les effets secondaires sont devenus plus évidents et ne pouvaient plus être niés, ils ont affirmé que leurs décisions concernaient le compromis entre « la santé » et « l’économie ». Et pour eux, bien-pensants qu’ils sont, la vie humaine doit toujours avoir la priorité absolue sur toutes les considérations économiques.

Il y a une idée élémentaire à laquelle les « puissances en place » se sont montrées incapables d’arriver, ou n’ont pas voulu arriver. Et c’est qu’une telle dichotomie n’existe pas du tout. Au contraire, une économie prospère est la base de la sauvegarde de l’homme et de la préservation de sa santé en particulier. Ce sont donc d’abord les régions, les segments de population et les personnes les plus pauvres qui sont le plus gravement touchés par un confinement (notamment en ce qui concerne leur santé). On voit mal comment cette idée élémentaire pourrait être compatible avec la position adoptée par tous les décideurs politiques, qui consiste à être le sauveteur audacieux dans la plus grande urgence.

Et lorsque, enfin, au vu de l’ampleur réelle de l’appauvrissement de la société résultant des interdictions de contact, de production et de vente imposées par l’État, des fermetures d’entreprises, des expropriations, des banqueroutes, du chômage, du chômage partiel, etc., même l’argument naïf de sauver des vies ne tenait plus et que la position des politiciens en tant que sauveurs tout-puissants sonnait de plus en plus creux, voire hypocrite, ils ont soutenu que les pertes subies du fait de leurs mesures seraient compensées de la meilleure façon possible, comme une évidence. D’une certaine manière, cela ferait d’eux un double sauveur : le sauveur d’un sauveteur en détresse. ― Et cet exploit a été accompli en augmentant massivement la masse monétaire. La compensation des pertes ou l’indemnisation a eu lieu simplement en créant à partir de rien une nouvelle quantité de papier-monnaie imprimée par l’État, produite à un coût pratiquement nul.

Cette procédure ne coûte rien aux décideurs politiques et elle met entre leurs mains, ce qu’ils accueillent toujours avec grand plaisir, une enveloppe d’argent supplémentaire, dont l’affectation leur permet de se présenter immédiatement comme des bienfaiteurs venant à la rescousse. Entre-temps, les effets indésirables de cette masse monétaire augmentent, en ce sens que la perte de pouvoir d’achat de l’unité monétaire et l’augmentation du service de la dette future qui en résultent sont dissimulés et imposés à d’autres personnes ou socialisés. L’ensemble de la manœuvre ressemble à l’exemple célèbre du pyromane qui agit ensuite comme un pompier en éteignant la maison qu’il a mise en feu, et devient un héros célèbre dans la foulée. La seule différence est que l’État, en augmentant la somme d’argent, socialise également les coûts d’extinction de l’incendie de la maison qu’il a mise en feu.

Mais – et c’est probablement la chose la plus effrayante de tout l’épisode du coronavirus – l’État n’est pas tenu comptable de son impudence cynique. Certes, il y a ici ou là une résistance au confinement, et plus il dure, plus la résistance s’accroît. Mais la majorité des décideurs politiques sont encore considérés comme des sauveurs héroïques plutôt que comme des pyromanes. Et, ce faisant, l’État et ses représentants ont utilisé l’idée du risque d’être infecté, qui a été systématiquement mise en avant, pour étendre leurs propres pouvoirs à un niveau jamais vu auparavant, du moins en temps de paix. Ceci inclut la suspension de tous les droits et libertés de propriété, et une restriction presque totale de la liberté de mouvement des personnes jusqu’à l’intérieur des ménages privés – et tout cela au nom de la lutte contre l’infection et de la santé publique.

À mon avis, le degré d’asservissement à la politique qui s’exprime dans cette évolution est très inquiétant.

TJ : Comment le problème d’une pandémie serait-il résolu sans réglementation gouvernementale, dans une Société de Droit Privé ?

Dans une Société de Droit Privé, toutes les terres, chaque centimètre carré, sont privées. Tous les appartements, maisons, colonies, routes, voies navigables, ports maritimes et aéroports, usines, bureaux, écoles, hôpitaux, etc., ont un propriétaire privé. Ce propriétaire est soit un individu, soit un groupe d’individus, une association privée, chacun ayant son propre règlement intérieur, sa structure organisationnelle et ses règles et procédures internes de prise de décision.

On obtient ainsi, contrairement à tout centralisme politique, un maximum de décisions décentralisées et, en même temps, un maximum de responsabilités et d’actions responsables. Chaque décision est la décision d’une personne ou d’une association particulière en ce qui concerne sa (et seulement sa) propriété privée. Et chaque décideur est responsable ou couvre les coûts et les frais consécutifs à ses décisions ou à ses mauvaises décisions avec ses propres biens.

Pour le problème spécifique de la gestion d’une pandémie, cela signifie que, tout comme le problème de l’immigration, dont l’urgence est actuellement occultée par le coronavirus, la question qui se pose face à une pandémie est simplement « qui je laisse entrer et qui je refoule » ou « qui je visite et qui j’évite ». Plus précisément : chaque propriétaire privé ou association de propriétaires doit décider, sur la base de sa propre évaluation des risques de maladie infectieuse concernant sa propriété, qui il autorise à entrer sur sa propriété, quand et dans quelles conditions, et qui il interdit. Et, en particulier dans le cas de biens à usage commercial, cette décision peut inclure et inclura ses propres mesures préventives qui visent à faciliter l’accès des visiteurs ou des clients en leur faisant sentir que le risque est réduit ou minimisé. Et inversement, les visiteurs ou clients peuvent également prendre des mesures de précaution de leur côté pour obtenir un accès facilité à divers hôtes potentiels. Le résultat de ces multiples décisions individuelles est un réseau complexe de règles d’accès et de visite.

Toutes les rencontres ou réunions de personnes ont lieu de manière volontaire et délibérée. Elles ont lieu dans chaque cas parce que l’hôte et le visiteur considèrent que le bénéfice de leur rencontre est plus grand que le risque d’une éventuelle contagion infectieuse qui en résulterait. Par conséquent, ni l’hôte ni le visiteur n’ont de droits de responsabilité réciproque, si une infection se produit effectivement à la suite de leur rencontre. Ce risque (y compris les éventuels frais d’hospitalisation, etc.) doit être supporté par chaque partie uniquement. Dans ce cas, des compensations de responsabilité civile ne peuvent être réclamées que si, par exemple, l’hôte a délibérément trompé ses visiteurs sur ses propres mesures de prévention ou si le visiteur a délibérément et intentionnellement violé les conditions d’entrée de l’hôte.

Mais même sans aucune tromperie, les décisions des hôtes et des visiteurs ne sont jamais gratuites. Toute mesure préventive ou de précaution implique un coût supplémentaire qui doit avoir une justification claire, que ce soit par la perspective de profits supplémentaires ou de pertes réduites, ou par une acceptation accrue ou un rejet réduit de la part des visiteurs potentiels. Et, en particulier, chaque décideur privé doit également supporter les coûts d’éventuelles mauvaises décisions à cet égard ; c’est-à-dire si les attentes ne sont pas satisfaites, voire se transforment en un phénomène inverse : si les mesures de défense et de précaution supposées sont non seulement inefficaces, mais s’avèrent contre-productives et augmentent même le risque d’infection global, que ce soit celui des hôtes ou des invités, au lieu de le réduire.

Il s’agit de coûts considérables qui sont à la charge d’un décideur privé et qui pourraient encore être les siens face à une épidémie. Son existence économique et son environnement social intime peuvent en être chamboulés. Dans cette perspective, il réfléchira à sa décision de manière approfondie, et ce d’autant plus qu’il a ou entretient plus de biens et plus de relations amicales. Il doit être rapidement préparé, souvent presque « que ça lui plaise ou non », à tirer les leçons de ses propres erreurs et à corriger ses décisions antérieures afin d’éviter de nouveaux coûts économiques ou sociaux.

Par conséquent, comme pour tous les autres problèmes ou risques – réels ou perçus –, il en va de même pour les maladies infectieuses et les épidémies. Le meilleur moyen – le plus rentable et le plus efficace – de minimiser les dommages liés à une épidémie est de décentraliser la prise de décision au niveau des propriétaires privés ou des associations de propriétaires. En effet, comme mentionné ci-dessus, le danger posé par une épidémie varie en fonction des lieux et des moments et est compris comme tel. Et, en général, il n’existe pas de réponse scientifique unique, définitive et sans ambiguïté pour évaluer le risque d’une maladie infectieuse. Il s’agit plutôt d’une question empirique, et les réponses à ces questions ne sont, en principe, toujours que des réponses hypothétiques et provisoires, qui peuvent très bien différer et changer de manière significative d’un scientifique à l’autre, et des représentants d’une discipline scientifique (par exemple les virologues) à ceux d’une autre discipline (par exemple les économistes), ainsi qu’au fil du temps.

Dans ce contexte, il semble presque évident que les décisions relatives aux mesures de défense appropriées doivent être prises par des décideurs locaux connaissant leurs conditions locales respectives. Et il devrait être tout aussi évident que ces décideurs locaux doivent être des propriétaires privés ou des associations de propriétaires. Car eux seuls sont responsables de leurs décisions et de la sélection des experts sur lesquels se fondent leurs décisions. Et eux seuls ont donc une incitation immédiate à tirer les leçons de leurs propres erreurs ou de celles des autres et à reproduire ou imiter les succès, qu’ils soient les leurs ou ceux des autres, afin d’aborder ainsi une solution au problème étape par étape.

Il convient également de mentionner que dans cet environnement de décideurs privés qui se font concurrence pour résoudre le problème, il y a toujours un nombre considérable de personnes ou de groupes de personnes, bien plus important en tout cas que le nombre des gangs de politiciens réunis dans les parlements et les gouvernements, qui sont supérieurs à ceux-ci (ces derniers) à tous les égards pertinents imaginables : en termes de richesse d’expérience, d’intelligence, de succès entrepreneurial ou de qualifications professionnelles et scientifiques, de performances et de jugement.

Par contraste, s’attendre à ce qu’une solution rapide et indolore au problème des maladies infectieuses soit apportée par, de toutes les personnes, les hommes politiques et leurs courtisans intellectuels – c’est-à-dire par des gens qui prennent des décisions concernant l’utilisation de la propriété et la liberté de mouvement d’un grand nombre de personnes totalement inconnues d’elles-mêmes, sans avoir aucune connaissance des circonstances locales, par des gens qui n’assument pas ou ne sont pas soumises à une quelconque responsabilité ou obligation de rendre compte à d’autres de leurs décisions, et par des personnes qui, en outre, ne sont pas particulièrement brillants non plus – signifie que nous devons littéralement croire aux miracles.

TJ : Pouvez-vous donner un exemple de ce qui se serait passé différemment dans une Société de Droit Privé par rapport à la gestion politique actuelle du virus Corona ? Et comment ?

En bref : Corona n’aurait pas été une pandémie.

Ceci ne signifie pas que le virus n’existe pas, ou qu’il n’est pas contagieux ni dangereux. Cela signifie plutôt que le danger d’infection émanant réellement du coronavirus est si faible qu’il n’aurait pas été perçu comme tel par la plupart des gens (surtout les plus intelligents !) et n’aurait donc pas déclenché de changements significatifs dans leur comportement. Et partout où une augmentation sensible des infections ou des décès devait être enregistrée (par exemple dans les maisons de retraite, les hôpitaux, etc.), cette augmentation aurait été perçue comme un phénomène relativement normal, fluctuant ou variant selon les saisons ou les régions, comme par exemple une grosse épidémie de grippe, à laquelle on réagit avec les mesures de précaution habituelles. En d’autres termes, tous les événements et développements liés à la santé auraient été dans la fourchette normale. Il n’y avait et n’y a toujours pas d’état d’urgence marqué par des hôpitaux ou des unités de soins intensifs surpeuplés de tous côtés, avec des patients gravement malades ou des morts partout, dans l’entourage immédiat de chacun, ou même allongés dans la rue, susceptible de justifier un changement fondamental de mode de vie. La vie aurait continué, dans l’ensemble, comme avant. Pas de raison de paniquer et de déclarer une urgence sanitaire mondiale.

En fait, le nombre total de décès en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, par exemple, en 2020 n’a en aucun cas augmenté de la manière spectaculaire qu’on aurait pu anticiper compte tenu des décrets d’urgence politique sans précédent de cette année. Elle se situe plutôt dans la fourchette de fluctuation des années passées. Si l’on prend en compte l’augmentation globale de la population et le vieillissement croissant de la structure démographique, il y a même des années où le nombre de décès a été plus élevé, mais jamais auparavant les gens n’ont eu recours à des « mesures de sauvetage » aussi drastiques et draconiennes qu’aujourd’hui. Et même en cas de surmortalité, il n’est pas du tout clair que celle-ci soit due au virus Corona ou qu’elle ait des causes entièrement différentes, comme les conséquences du confinement. Ce n’est donc pas le Corona qui a changé le monde, mais les politiciens qui ont utilisé Corona comme excuse pour changer le monde à leur avantage.

La déviation radicale – économiquement ruineuse – par rapport au cours normal des événements qui se produit actuellement n’est pas due à un changement fondamental dans le monde des faits ou de la science. Ni les faits ni la science ne permettent de justifier une « nouvelle normalité » ou une « grande remise à zéro » (Great Reset) à l’échelle mondiale. Elles sont le résultat de machinations délibérées de la part des élites politiques pour élargir leur propre base de pouvoir par le biais de mensonges et d’escroqueries, de désinformation, de tromperie, et d’une propagande continue d’une ampleur jusqu’alors inconnue et inédite.

Ces machinations malhonnêtes consistaient notamment à gonfler systématiquement le nombre de décès dits « Corona » en comptabilisant comme décès Corona tout décès dans lequel le virus pouvait être détecté au moment de la mort, indépendamment du fait qu’il ait ou non une relation de causalité avec le décès. Même une personne infectée par le coronavirus morte dans un accident de voiture fut classée comme morte du coronavirus. Des hôpitaux, et même des régions entières, ont même reçu des subventions pour les décès attribués au coronavirus, alors qu’ils sont restés les poches vides pour les décès normaux, ce qui a naturellement conduit à des transferts correspondants. De plus, on a délibérément évité de relier même ce nombre scandaleusement gonflé de décès par coronavirus au nombre total beaucoup plus élevé de décès. En effet, une vision proportionnelle aurait permis de relativiser clairement le danger du coronavirus et il n’aurait pas semblé si grave. Ils se sont donc focalisés de manière rigide et obstinée sur les chiffres absolus, car ceux-ci sont plus effrayants. Et ils ont aussi délibérément évité de faire état des dommages collatéraux mortels du confinement: le nombre de personnes qui sont mortes parce que les hôpitaux n’étaient temporairement ouverts qu’aux patients de la Corona, le nombre de suicides de personnes économiquement ruinées, ou le nombre de personnes âgées qui sont mortes de solitude forcée.

Mais la tromperie la plus audacieuse et la plus importante a été de changer fondamentalement la définition du « danger », de le redéfinir et, par conséquent, de l’amplifier ou de le faire paraître amplifié. La maladie et le danger de maladie sont généralement et habituellement définis par la présence de certains symptômes. Si une personne ne présente aucun symptôme de maladie, alors, de son point de vue, il n’y a pas de problème de santé. Au lieu de cela, les décideurs politiques ont imposé une nouvelle définition du danger, et en ont fait la base de leur prise de décision. Cette définition mesure le danger non pas par la présence de symptômes, mais par le résultat d’un test dit « coronavirus » (RT-PCR). Le danger se mesure par le nombre absolu de personnes dont le test de dépistage de ce virus est positif ; donc plus on fait de tests, plus on trouve de cas positifs, et ce nombre est ensuite jour après jour, indéfiniment, martelé dans nos têtes et diffusé de manière tapageuse.

Le test lui-même n’est pas fiable, avec des résultats qui sont souvent faussement positifs ou faussement négatifs. Mais surtout, le résultat du test n’a pratiquement aucune valeur pour prédire les symptômes de la maladie ou sa progression. L’écrasante majorité, estimée à 80 %, des personnes dont le test de dépistage du coronavirus est positif sont asymptomatiques, et le risque d’infection par ces personnes est, à notre connaissance, proche de zéro, voire exactement nul. Sans ce test, ils ne sauraient rien du danger et ne le sauraient jamais (et ils éviteraient tout le stress lié aux tests de masse actuels, un stress qui est lui-même mauvais pour la santé).

Dans environ 15 % des cas, il s’agit d’une infection plus grave, pouvant aller jusqu’à l’alitement. Et dans seulement 5 % des cas environ, généralement en rapport avec une détresse respiratoire grave, un traitement médical intensif est nécessaire. – En résumé, si l’on en croit les chiffres du Center for Disease Control (C.D.C. américain : Centre pour le Contrôle des Maladies), qui est financé par le gouvernement et dont toute la raison d’être repose sur l’existence de maladies infectieuses et d’agents pathogènes, et qu’il est donc difficile de classer dans le camp des « négationnistes du coronavirus » ou des sceptiques, le tableau suivant, peu effrayant, se dessine : la probabilité de survivre à une infection à la Corona en vie varie en fonction de l’âge d’une personne, mais est toujours, pour toutes les tranches d’âge, extrêmement élevée. Pour la tranche d’âge 0-19 ans, la probabilité est de 99,997 %. Pour le groupe des 20-49 ans, il est de 99,98%. Pour le groupe des 50-69 ans, il est de 99,5%. Et même pour le groupe des plus de 70 ans, il est toujours de 94,6 %.

Ceci me ramène au début de la réponse. Qui, quels propriétaires ou associations de propriétaires dans une société de droit privé, verraient une raison de changer fondamentalement leur comportement normal et coutumier face à ces taux de dangerosité? Qui se mettrait en banqueroute à cause de cela ? Qui cesserait de travailler et de produire ou de voyager ? Qui s’imposerait une interdiction totale de contact ou imposerait un blocage complet de l’accès à ses biens ? Je pense que la réponse à ces questions est évidente. Sur la base d’une expérience réelle, plutôt que d’un test artificiel et d’un résultat de test qui n’est que marginalement et très vaguement corrélé avec une expérience réelle de la maladie, il est certain qu’une ou deux précautions supplémentaires auraient été prises, comme on l’a fait dans le passé face, par exemple, à une grosse épidémie de grippe.

Il est certain que nous aurions été plus prudents, notamment en ce qui concerne les personnes âgées, qui ont été et sont exposées à un risque de maladie nettement plus élevé. Il est probable qu’un ou deux directeurs d’hôpital auraient augmenté le nombre de lits disponibles. Et peut-être que l’observation de changements ou de nouveaux symptômes de la maladie aurait conduit un ou deux virologues à rechercher un virus qui soit en corrélation avec ces symptômes spécifiques. Peut-être même que cela aurait conduit à la mise au point d’un test. Et peut-être même à la recherche d’un vaccin correspondant, même si cela doit être considéré comme plutôt improbable, compte tenu des coûts élevés de développement par rapport à la demande potentielle de vaccination, étant donné le faible niveau général de risque.

Le fait que le cours actuel des événements ait été et soit en fait complètement différent n’a aucune raison objective, mais est uniquement dû à l’existence d’une classe de personnes, la classe politique ou l’élite politique, qui n’ont pas à assumer la responsabilité ou les coûts et les conséquences de leurs propres actions, et qui peuvent donc accroître leurs actes de «bienfaisance sociale» jusqu’à la mégalomanie.

Depuis des temps immémoriaux, la mégalomanie de la politique, née de l’irresponsabilité, se manifeste par le fait que les hommes politiques, sur la base de divers chiffres-clés fournis par leurs autorités statistiques officielles respectives, ont concocté une justification « scientifiquement fondée » pour leurs interventions étatiques toujours plus nombreuses et plus profondes dans les événements sociaux normaux. Jusqu’à présent, cependant, ces indicateurs étaient essentiellement des chiffres issus du domaine des statistiques économiques, tels que les chiffres sur le revenu, la richesse et leurs répartitions respectives, sur la croissance économique, les importations, les exportations, la masse monétaire, les balances commerciale et des paiements, l’inflation, les prix, les salaires, la production, le niveau d’emploi, etc. Chacun de ces chiffres a offert aux décideurs politiques une raison possible d’intervenir. Soit il était trop élevé ou trop bas, soit il devait être stabilisé par des mesures appropriées. Mais il y avait toujours, soi-disant, quelque chose à rectifier. – Je n’ai pas besoin de m’étendre ici sur l’ampleur des effets de redistribution et des pertes de bien-être qui ont résulté de cet interventionnisme en matière de politique économique.

Mais avec la crise du coronavirus, la politique a pris des chemins complètement nouveaux à cet égard. Les politiciens ont découvert que les statistiques sur la santé offrent une porte d’entrée encore plus grande au despotisme du gouvernement et à la folie des grandeurs de ses membres que n’importe quelle statistique économique. Sur la base d’un test viral, qui a été choisi comme indicateur officiel d’un danger d’infection prétendument aigu, voire mortel, les politiciens ont réussi à paralyser presque toute la vie sociale, plongeant des millions de personnes dans la détresse ou les difficultés économique ou sociales, tout en aidant l’industrie pharmaceutique, c’est-à-dire les fabricants de masques, de tests et de vaccins, à s’enrichir énormément, et en se faisant passer, du moins jusqu’à présent, pour les héros de l’histoire.

Une réalisation effrayante et carrément dévastatrice.

 

Source:

 Entretien avec Hans-Hermann Hoppe réalisé par Thomas Jacob, secrétaire de la « Property and Freedom Society » (abréviation P.F.S., en français : Société pour la Propriété et la Liberté). Traduction française par Olivier Richard, le 11 janvier 2021.

https://quebecnouvelles.info/hans-hermann-hoppe-etat-ou-societe-de-droit-prive-sur-les-reponses-au-coronavirus/

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