Affichage des articles dont le libellé est Liberté. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Liberté. Afficher tous les articles

octobre 03, 2025

La Suisse adopte l’identité numérique - Évolution; Société du contrôle ?

La Suisse adopte l’identité numérique par un vote serré et contesté 

Analyse des enjeux

Le dimanche 29 septembre 2024, les citoyens suisses ont approuvé, par une marge infime de 50,4 % (environ 20 000 voix d’écart), la mise en place d’une identité numérique (e-ID).

Ce vote, qui fait suite à un rejet massif en 2021 (64,4 % contre), est déjà l’objet de vives contestations.

Des comités référendaires demandent l’annulation du scrutin, accusant notamment Swisscom, l’opérateur télécoms historique détenu majoritairement par l’État, d’avoir influencé le processus en finançant la promotion de la réforme. Pour décrypter ces enjeux, Clémence Souakova, animatrice sur Toxin Media, s’est entretenue avec Marc Gabriel Draghi, juriste spécialisé dans l’histoire du droit et auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Grand Reset en marche : 2020-2021 et La Grande Narration, vers la mort des Nations (éditions K Édition).

 


 

Un vote controversé : du rejet de 2021 à l’adoption étroite de 2024

Rappelons le contexte : en mars 2021, en pleine crise sanitaire marquée par les passeports vaccinaux et les restrictions numériques, les Suisses avaient massivement rejeté un premier projet d’identité numérique. Celui-ci prévoyait une délégation à des acteurs privés accrédités par l’État, suscitant des craintes de privatisation des données personnelles et de fuites potentielles. « C’était un rejet massif, avec 64,4 % de non », souligne Marc Gabriel Draghi.

Le nouveau projet, présenté cette année, est porté directement par la Confédération helvétique (l’État suisse). Il est décrit comme plus transparent et sécurisé, avec une gestion étatique des données. Pourtant, le scrutin s’est joué « sur le fil du rasoir », selon l’expert. Les grandes villes ont fait basculer le vote en faveur du « oui », tandis que les zones rurales et provinciales y étaient majoritairement hostiles.

Des anomalies ont été signalées : par exemple, le taux de participation est passé de 49,74 % à 15h36 à 49,55 % quarante minutes plus tard, comme l’a relevé la commentatrice Chloé Framm.

Les contestations portent principalement sur l’intervention de Swisscom, accusée d’avoir franchi « la ligne rouge » en soutenant publiquement la réforme. Le comité référendaire contre la loi sur l’e-ID a déposé un recours pour annulation, rejoint par le Mouvement Fédératif Roman Helvétique Ticino, qui réclame un recomptage manuel dans certains cantons avec observateurs indépendants. « Ces accusations ont été portées avant même le scrutin, ce qui renforce leur légitimité », note Draghi. Swisscom n’a pas répondu à ces allégations, ce qui interroge dans un pays où la neutralité et le débat démocratique sont sacrés.

Les implications pour les Suisses : contrôle accru et intégration européenne

Si le vote est validé, l’identité numérique changera profondément la vie quotidienne des citoyens suisses. Elle permettra une authentification, identification et interaction en ligne plus fluide, mais au prix d’un « moyen de contrôle supplémentaire pour l’État », avertit Marc Gabriel Draghi. Contrairement à la France, la Suisse n’est pas traditionnellement un État interventionniste, mais cette mesure renforce ses outils de surveillance sur internet.

Ce développement s’inscrit dans un contexte international plus large. L’identité numérique est vue comme la « base du protocole de la grande numérisation », liée à la quatrième révolution industrielle et aux monnaies numériques de banque centrale (MNBC). Draghi rappelle que l’agenda mondial est en retard : l’euro numérique ne sera généralisé qu’en 2029 au mieux, et de nombreux pays occidentaux peinent à avancer. Pourtant, une « offensive » se dessine en 2024-2025. Au Royaume-Uni, le Premier ministre Keir Starmer a annoncé une identité numérique obligatoire pour lutter contre l’immigration illégale et le travail au noir, provoquant une pétition de plus de 266 000 signatures.

La Suisse, quant à elle, aligne son cadre sur celui de l’Union européenne (UE), qui a adopté en mai 2024 le règlement eIDAS visant une adoption à 80-90 % d’ici 2030. « La Suisse rattrape l’UE », commente Draghi, soulignant un rapprochement progressif via un « paquet de stabilisation et développement des relations bilatérales ».

Cela inclut une intégration au marché unique européen, malgré un rejet en 2021 d’un accord cadre institutionnel.

La Suisse finance déjà des programmes UE comme Digital Europe, Euratom, et contribue à la cohésion pour l’Europe. Avec 60 % de ses exportations vers l’UE et une coopération sur Schengen et les migrations, la Confédération s’intègre de facto au bloc européen, y compris dans le projet de numérisation « Europe for Digital Future ».


 

Une poussée globale contre la volonté populaire ?

Draghi pointe du doigt les influences sous-jacentes : des sociétés de big data, comme Palantir (financée initialement par In-Q-Tel, lié à la CIA), poussent les gouvernements à adopter ces technologies. Au Royaume-Uni, un contrat massif avec Palantir a précédé les annonces de Starmer. En Suisse, la coopération avec la Banque de France sur les MNBC (via le projet Jura) illustre cette dynamique. « Ces projets sont poussés en silence, contre la volonté des populations », affirme l’expert. Les citoyens n’en voient pas l’utilité, comme pour les MNBC, et les rejets initiaux (comme en Suisse en 2021) sont contournés par des reformulations – Comme Nicolas Sarkozy avec le Traité de Lisbonne qui a contourné le NON au référendum sur l’UE.

Cette adoption étroite et contestée soulève des questions sur la légitimité démocratique. Comme le résume Draghi, « en démocratie, la moitié plus une suffit, mais pour un projet aussi structurant, un écart si faible pose problème ».

Vers une numérisation inéluctable ?

Le vote suisse sur l’identité numérique marque un tournant, mais les recours en cours pourraient encore le renverser. Il reflète une tendance globale où les États, influencés par des agendas technologiques et géopolitiques, imposent la numérisation malgré les résistances populaires. Pour Marc Gabriel Draghi, c’est un pas vers un contrôle accru, aligné sur l’UE et les puissances de la tech. Reste à voir si les contestations helvétiques freineront cette marche forcée.

https://multipol360.com/la-suisse-adopte-lidentite-numerique-par-un-vote-serre-et-conteste-analyse-des-enjeux/

 

 

 

septembre 27, 2025

Chez Youtube, vers une reconquête globale des libertés !

 Parfois tout ne vas pas si mal...

YouTube cède et rétablit les voix conservatrices bannies 

L’annonce de YouTube : un revirement majeur

Le 23 septembre 2025, la plateforme de vidéos en ligne, filiale de Google, géant de la technologie, a marqué un tournant majeur en annonçant la réactivation de comptes supprimés pour des contenus liés à la pandémie ou à la fiabilité des scrutins électoraux. Cette décision, révélée dans un document (disponible également ici) adressé à une commission législative américaine, souligne un engagement renouvelé envers l’ouverture des débats, permettant à des créateurs bannis pour des infractions à des règles désormais caduques de retrouver leur espace.

 


 

C’est un aveu implicite que les anciennes pratiques de modération, souvent influencées par des agendas externes, n’avaient plus lieu d’être.

Parmi les bénéficiaires de ce revirement se trouvent des figures conservatrices de premier plan, écartées pour leurs analyses critiques qualifiées à l’époque de fausses informations. Un ancien agent fédéral devenu animateur médiatique virulent, un ex-conseiller à la sécurité nationale sous une administration républicaine, et l’hôte d’un podcast dédié à l’examen sans complaisance des intrigues politiques font partie de ceux qui pourraient revenir. Ces personnalités, qui attirent des millions de followers, avaient été exclues par un système passablement biaisé, fermant la porte à des perspectives essentielles pour un dialogue équilibré.

Les révélations sur les ingérences de l’administration démocrate

Derrière cette mesure se cachent des révélations sur des interventions répétées de hauts responsables d’une présidence démocrate, qui ont poussé l’entreprise à supprimer des publications sur la crise sanitaire, même conformes aux normes internes. Cela a créé un environnement où les plateformes étaient incitées à aligner leurs actions sur des directives officielles, étouffant les voix alternatives sous prétexte de protection publique.

 


 

Les aveux et réformes chez Meta

Ce geste de la plateforme vidéo s’inscrit dans une tendance plus large où les empires numériques, réalisant que les utilisateurs en ont assez de la censure qu’ils croyaient discrète et craignant des pertes financières si les abonnés les désertent, ajustent opportunément leurs politiques pour s’aligner sur les nouvelles tendances politiques des dirigeants en place.

Mark Zuckerberg, PDG de la firme Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, a confessé dans une correspondance aux élus américains datée du 26 août 2024 que des pressions similaires venues du même exécutif l’ont conduit à censurer des éléments sur la maladie virale, y compris des satires et des caricatures à ce sujet.

Il a aussi admis une erreur dans le traitement de l’affaire de l’ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de Joe Biden, où le New York Post avait publié le 14 octobre 2020 un article explosif révélant des emails et fichiers du PC abandonné dans un magasin de réparation à Delaware, suggérant des affaires de corruption impliquant Hunter avec des entreprises étrangères comme Burisma en Ukraine et des liens avec la Chine, compromettant Joe Biden lui-même en raison d’allégations d’influence et de corruption.

Cette admission pointe vers un mélange néfaste entre pouvoir public et secteurs privés, rappelant l’appel à une séparation stricte entre politique et économie pour préserver les libertés fondamentales.

Poursuivant sur cette lancée, Mark Zuckerberg a dévoilé début janvier 2025, via une intervention vidéo, des réformes pour assouplir les contrôles sur son réseau principal. Il a évoqué un virage culturel post-électoral favorisant l’expression libre, tout en fustigeant les autorités et les organes de presse classiques pour avoir encouragé une répression croissante. Les ajustements incluent une réduction des restrictions, un essor des discussions sur les enjeux publics, et l’ajout d’annotations collectives pour revitaliser un espace de parole sans entraves.

 


 

Le cas Telegram : la répression en Europe

Cette érosion de la liberté d’expression ne se limite pas aux États-Unis ; elle se manifeste avec acuité en Europe, où un entrepreneur tech d’origine russe et française, fondateur de Telegram, une application de messagerie axée sur la confidentialité, a été arrêté en août 2024 à son arrivée en France. Accusé de faciliter des délits graves via un manque de surveillance sur sa plateforme, qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs et repose sur un chiffrement intégral, il a défendu une vision des communications sans ingérence étatique. Les autorités françaises l’ont approché sous couvert de lutte contre des menaces sécuritaires, mais avec des motifs géopolitiques sous-jacents touchant des régions sensibles. Ce cas, perçu comme une attaque contre les innovateurs qui résistent à la surveillance, a déclenché une indignation mondiale, soulignant comment la sécurité sert souvent de prétexte à un contrôle accru du numérique (voir ici et ici).

Les manifestations en France : une révolte populaire

Face à ces restrictions, les peuples se mobilisent de plus en plus pour réclamer leurs droits. En France, des manifestations massives ont paralysé le pays en septembre 2025, avec des blocages de routes, des incendies de barricades et des affrontements avec les forces de l’ordre, en protestation contre les politiques gouvernementales perçues comme répressives. Ces actions, mobilisant des centaines de milliers de personnes, visent à contester un exécutif accusé d’austérité et de dérive autoritaire, amplifiant les appels à plus de transparence et de liberté dans le domaine digital. Des grèves nationales et des perturbations généralisées ont suivi, marquant un refus croissant de la population face à des mesures qui étouffent les voix dissidentes.

Les soulèvements au Népal et aux Philippines : la colère contre la corruption et la censure

Au Népal, des protestations massives menées par la génération Z ont éclaté début septembre 2025 contre une interdiction généralisée de 26 plateformes de médias sociaux, perçue comme une atteinte flagrante à la liberté d’expression, et contre la corruption endémique du gouvernement. Ces manifestations, déclenchées par le blocage de sites comme Facebook, X, YouTube et les messageries de communication (WhatsApp, Telegram, etc…) le 4 septembre, ont tourné à la violence avec des affrontements mortels, l’incendie de bâtiments publics et l’assaut du parlement le 9 septembre, entraînant la démission du Premier ministre et plus de 60 morts. Les citoyens, frustrés par l’instabilité politique et les abus de pouvoir, exigent le respect des droits à l’assemblée pacifique et à la parole libre, forçant un gouvernement intérimaire à prendre le relais. Aux Philippines, des milliers ont défilé le 21 septembre 2025, coïncidant avec l’anniversaire de la loi martiale de 1972, pour dénoncer la corruption massive dans les projets de contrôle des inondations, avec des milliards de fonds publics détournés. Les manifestations, marquées par des arrestations massives – plus de 200 personnes – et l’usage de canons à eau et de gaz lacrymogène par la police, soulignent une exigence d’intégrité et de transparence, amplifiant les appels à protéger la liberté d’expression contre les répressions étatiques.

Même le président a exprimé un soutien symbolique, illustrant la pression populaire qui pousse les autorités à reculer face à la colère collective.

Le rôle des élections aux États-Unis : un réveil démocratique

Aux États-Unis, les élections de 2024 ont joué un rôle primordial dans ce réveil, influençant les politiques sur la liberté d’expression. Des affaires judiciaires ont mis en lumière les tentatives de l’administration démocrate, d’influencer les modérations sur les réseaux sociaux et de censurer des vues opposées. La Cour suprême a statué en faveur du gouvernement dans un cas clé, mais les débats ont amplifié les préoccupations sur les droits constitutionnels, poussant à une transparence accrue pour éviter les interférences dans les futurs scrutins. Post-élection, les implications pour les libertés civiles se font sentir, avec des appels à défendre la démocratie contre toute forme de contrôle narratif imposé.

 


 

Vers une reconquête globale des libertés

Ces mouvements globaux signalent un éveil collectif : les citoyens, las des chaînes numériques imposées par les États, utilisent manifestations, soulèvements et urnes pour exiger un retour à une expression sans frontières. C’est le début d’une reconquête des espaces libres, où la technologie sert l’individu plutôt que le pouvoir.

https://multipol360.com/youtube-cede-et-retablit-les-voix-conservatrices-bannies/

 

septembre 21, 2025

Et si les écoles publiques étaient abolies ?

Dans la culture américaine, les écoles publiques sont louées en public et critiquées en privé, ce qui est à peu près le contraire de la façon dont nous avons tendance à traiter les grandes entreprises comme Walmart. En public, tout le monde dit que Walmart est horrible, rempli de produits étrangers de mauvaise qualité et exploitant ses employés. Mais en privé, nous achetons des produits de qualité à des prix avantageux, et de longues files d'attente se forment pour espérer être embauchés.
 
 

 

Pourquoi ? 
Cela tient en partie au fait que les écoles publiques font partie intégrante de notre religion civique, principale preuve invoquée pour démontrer que les collectivités locales sont au service des citoyens. Il y a également un aspect psychologique. La plupart d'entre nous leur confions nos enfants, elles doivent donc nécessairement avoir à cœur nos intérêts !

Mais est-ce vraiment le cas ? 
Dans son ouvrage intitulé Education: Free and Compulsory, Murray N. Rothbard explique que l'origine et l'objectif véritables de l'enseignement public ne sont pas tant l'éducation telle que nous la concevons, mais l'endoctrinement à la religion civique. Cela explique pourquoi l'élite civique se méfie tant de l'enseignement à domicile et de l'enseignement privé : ce n'est pas la crainte de mauvais résultats scolaires qui motive cette méfiance, mais l'inquiétude que ces enfants n'apprennent pas les valeurs que l'État considère comme importantes.

Mais le but de cet article n'est pas de critiquer les écoles publiques. Il existe des écoles publiques de bonne qualité et d'autres qui sont catastrophiques, il est donc inutile de généraliser. Il n'est pas non plus nécessaire de ressortir les données sur les résultats scolaires. Je vais me concentrer uniquement sur l'aspect économique. Toutes les études ont montré que le coût moyen par élève dans les écoles publiques est deux fois plus élevé que dans les écoles privées (voici un exemple d'étude).

Cela va à l'encontre de l'intuition, car les gens pensent que les écoles publiques sont gratuites et les écoles privées coûteuses. Mais si l'on tient compte de la source de financement (impôts vs frais de scolarité ou dons), l'alternative privée est beaucoup moins coûteuse. En fait, les écoles publiques coûtent autant que les écoles privées les plus chères et les plus prestigieuses du pays. La différence est que le coût de l'enseignement public est réparti sur l'ensemble de la population, tandis que le coût de l'enseignement privé est supporté uniquement par les familles dont les enfants fréquentent ces écoles.

En bref, si nous pouvions abolir les écoles publiques et les lois sur la scolarité obligatoire, et remplacer tout cela par une éducation fournie par le marché, nous aurions de meilleures écoles à moitié prix, et nous serions également plus libres. Nous serions également une société plus juste, où seuls les clients de l'éducation supporteraient les coûts.

Qu'y a-t-il à redire ? 
Eh bien, il y a le problème de la transition. Il existe des difficultés politiques évidentes et graves. On pourrait dire que l'enseignement public bénéficie ici d'un avantage politique en raison des effets de réseau. Un nombre important d'« abonnements », etc. se sont accumulés dans le statu quo, et il est très difficile de les modifier.

Mais faisons un exercice de simulation. Imaginons qu'une ville décide que les coûts de l'enseignement public sont trop élevés par rapport à ceux de l'enseignement privé, et que le conseil municipal décide de supprimer purement et simplement les écoles publiques. La première chose à noter est que cela serait illégal, car chaque État exige des collectivités locales qu'elles assurent l'enseignement public. Je ne sais pas ce qu'il adviendrait du conseil municipal. Ses membres seraient-ils emprisonnés ? Qui sait ? Ils seraient certainement poursuivis en justice.

Mais supposons que nous parvenions à contourner ce problème, grâce, par exemple, à un amendement spécial de la constitution de l'État qui exempterait certaines localités si le conseil municipal l'approuvait. Il y aurait alors le problème de la législation et de la réglementation fédérales. Je ne fais que spéculer, car je ne connais pas les lois en vigueur, mais on peut supposer que le ministère de l'Éducation s'en apercevrait et qu'une sorte d'hystérie nationale s'ensuivrait. Mais supposons que nous surmontions miraculeusement ce problème et que le gouvernement fédéral laisse cette localité suivre sa propre voie.

La transition se fera en deux étapes. Au cours de la première étape, de nombreux événements apparemment négatifs se produiront. Comment les bâtiments physiques sont-ils gérés dans notre exemple ? 
Ils sont vendus au plus offrant, qu'il s'agisse de nouveaux propriétaires d'écoles, d'entreprises ou de promoteurs immobiliers. Et les enseignants et les administrateurs ? Ils sont tous licenciés. Vous pouvez imaginer le tollé que cela suscitera.

Avec la suppression des taxes foncières, les personnes ayant des enfants scolarisés dans le public pourraient déménager. Les maisons situées dans les quartiers scolaires réputés ne bénéficieront plus d'une plus-value. Cela suscitera la colère. Pour les parents qui resteront, se posera le problème majeur de savoir quoi faire de leurs enfants pendant la journée.

Avec la suppression des impôts fonciers, il y aura plus d'argent pour financer les écoles, mais la valeur marchande des actifs aura chuté (même sans l'intervention de la Fed), ce qui posera un sérieux problème pour payer les frais de scolarité. Il y aura bien sûr une hystérie généralisée à propos des pauvres, qui se retrouveront sans autre choix scolaire que l'enseignement à domicile.

Tout cela semble assez catastrophique, n'est-ce pas ? 
En effet. Mais ce n'est que la première phase. Si nous parvenons à passer à la deuxième phase, quelque chose de complètement différent verra le jour. Les écoles privées existantes seront remplies à pleine capacité et il y aura un besoin criant d'en créer de nouvelles. Les entrepreneurs afflueront rapidement dans la région pour proposer des écoles sur une base concurrentielle. Les églises et autres institutions civiques collecteront des fonds pour financer l'éducation.

Au début, les nouvelles écoles s'inspireront du modèle des écoles publiques. Les enfants y seront de 8 h à 16 h ou 17 h, et toutes les matières seront enseignées. Mais très vite, de nouvelles alternatives apparaîtront. Il y aura des écoles proposant des cours d'une demi-journée. Il y aura des écoles grandes, moyennes et petites. Certaines auront quarante enfants par classe, d'autres quatre ou un seul. Le soutien scolaire privé connaîtra un essor fulgurant. Des écoles confessionnelles de toutes sortes verront le jour. Des micro-écoles ouvriront leurs portes pour répondre à des intérêts spécifiques : sciences, lettres classiques, musique, théâtre, informatique, agriculture, etc. Il y aura des écoles non mixtes. C'est au marché qu'il appartiendra de décider si le sport fera partie intégrante de l'école ou s'il sera complètement indépendant.

Le modèle « école primaire, collège, lycée » ne sera plus le seul. Les classes ne seront plus nécessairement regroupées uniquement par âge. Certaines seront également basées sur les capacités et le niveau d'avancement. Les frais de scolarité varieront de gratuits à très élevés. L'essentiel est que ce soit le client qui décide.

Des services de transport verraient le jour pour remplacer l'ancien système de bus scolaires. Les gens pourraient gagner de l'argent en achetant des minibus et en proposant des services de transport. Dans tous les domaines liés à l'éducation, les opportunités de profit seraient nombreuses.

En bref, le marché de l'éducation fonctionnerait comme n'importe quel autre marché. Prenons l'exemple des produits alimentaires. Là où il y a une demande, et il est évident que les gens veulent que leurs enfants soient éduqués, il y a une offre. Il existe de grands magasins d'alimentation, des petits, des magasins discount, des magasins haut de gamme et des magasins pour les achats rapides. Il en va de même pour les autres biens, et il en serait de même pour l'éducation. Encore une fois, c'est le client qui déciderait. Au final, ce qui en ressortirait n'est pas entièrement prévisible – le marché ne l'est jamais –, mais quoi qu'il arrive, cela serait conforme aux souhaits du public.

Après cette deuxième phase, cette ville deviendrait l'une des plus prisées du pays. Les alternatives éducatives seraient illimitées. Elle serait à l'origine d'énormes progrès et servirait de modèle pour la nation. Elle pourrait amener l'ensemble du pays à repenser l'éducation. Ceux qui avaient quitté la ville reviendraient alors pour profiter des meilleures écoles du pays à moitié prix par rapport aux écoles publiques, et ceux qui n'ont pas d'enfants à la maison n'auraient pas à débourser un centime pour l'éducation. Quelle attractivité !


Alors, quelle ville sera la première à tenter l'expérience et à nous montrer la voie ?

 

Lew Rockwell
Llewellyn H. Rockwell Jr.
Llewellyn H. Rockwell, Jr., est fondateur et président du Mises Institute à Auburn, en Alabama, et rédacteur en chef de LewRockwell...

Source


 

Introduction au droit naturel !

A) Loi naturelle et raison


Parmi les intellectuels qui se considèrent comme « scientifiques », l'expression « la nature de l'homme » a tendance à avoir l'effet d'un drapeau rouge sur un taureau. « L'homme n'a pas de nature ! » est le cri de ralliement moderne, et l'affirmation d'un éminent théoricien politique, il y a quelques années, devant une réunion de l'Association américaine de science politique, selon laquelle « la nature de l'homme » est un concept purement théologique qui doit être écarté de toute discussion scientifique, est représentative du sentiment des philosophes politiques d'aujourd'hui. 1
 
 

 
 
Dans la controverse sur la nature humaine et sur le concept plus large et plus controversé de « loi naturelle », les deux camps ont maintes fois proclamé que la loi naturelle et la théologie étaient inextricablement liées. En conséquence, de nombreux défenseurs de la loi naturelle, dans les milieux scientifiques ou philosophiques, ont considérablement affaibli leur argumentation en laissant entendre que les méthodes rationnelles et philosophiques ne suffisaient pas à établir cette loi : la foi théologique serait nécessaire pour maintenir ce concept. D'autre part, les opposants à la loi naturelle ont joyeusement approuvé ; puisque la foi dans le surnaturel est jugée nécessaire pour croire en la loi naturelle, ce dernier concept doit être écarté du discours scientifique et laïc, et relégué à la sphère ésotérique des études divines. En conséquence, l'idée d'une loi naturelle fondée sur la raison et la recherche rationnelle a pratiquement disparu.2
 
Le croyant en une loi naturelle établie rationnellement doit donc faire face à l'hostilité des deux camps : l'un percevant dans cette position un antagonisme envers la religion, l'autre soupçonnant que Dieu et le mysticisme s'introduisent par la petite porte. Il faut dire au premier groupe qu'il reflète une position augustinienne extrême selon laquelle la foi, plutôt que la raison, était le seul outil légitime pour étudier la nature de l'homme et ses fins propres. En bref, dans cette tradition fidéiste, la théologie avait complètement supplanté la philosophie.3  La tradition thomiste, au contraire, était exactement le contraire : elle revendiquait l'indépendance de la philosophie par rapport à la théologie et proclamait la capacité de la raison humaine à comprendre et à découvrir les lois physiques et éthiques de l'ordre naturel. Si la croyance en un ordre systématique de lois naturelles accessibles à la raison humaine est en soi antireligieuse, alors saint Thomas et les scolastiques qui lui ont succédé, ainsi que le juriste protestant Hugo Grotius, étaient également antireligieux. En bref, l'affirmation selon laquelle il existe un ordre de lois naturelles laisse ouverte la question de savoir si Dieu a créé cet ordre ou non ; et l'affirmation de la capacité de la raison humaine à découvrir l'ordre naturel laisse ouverte la question de savoir si cette raison a été donnée à l'homme par Dieu ou non. L'affirmation d'un ordre de lois naturelles découvrable par la raison n'est, en soi, ni pro-religieuse ni anti-religieuse.4

Comme cette position surprend la plupart des gens aujourd'hui, examinons un peu plus en détail cette position thomiste. L'affirmation de l'indépendance absolue de la loi naturelle par rapport à la question de l'existence de Dieu était implicite plutôt qu'affirmée catégoriquement par saint Thomas lui-même ; mais comme tant d'autres implications du thomisme, elle a été mise en avant par Suarez et les autres brillants scolastiques espagnols de la fin du XVIe siècle. Le jésuite Suárez a souligné que de nombreux scolastiques avaient adopté la position selon laquelle la loi naturelle de l'éthique, la loi de ce qui est bon et mauvais pour l'homme, ne dépend pas de la volonté de Dieu. En effet, certains scolastiques étaient allés jusqu'à dire que :

même si Dieu n'existait pas, ou n'utilisait pas sa raison, ou ne jugeait pas correctement les choses, s'il existe chez l'homme un tel diktat de la raison droite pour le guider, il aurait la même nature de loi qu'il a actuellement.5

Ou, comme le déclare un philosophe thomiste moderne :

Si le mot « naturel » a un sens, il fait référence à la nature de l'homme, et lorsqu'il est utilisé avec « loi », « naturel » doit faire référence à un ordre qui se manifeste dans les inclinations de la nature humaine et à rien d'autre. Par conséquent, pris en soi, il n'y a rien de religieux ou de théologique dans la « loi naturelle » de Thomas d'Aquin.6

Le juriste protestant néerlandais Hugo Grotius a déclaré, dans son De Iure Belli ac Pacis (1625) :

Ce que nous avons dit aurait une certaine validité même si nous devions concéder ce qui ne peut être concédé sans la plus grande méchanceté, à savoir qu'il n'y a pas de Dieu.

Et encore :

Aussi illimitée que soit la puissance de Dieu, on peut néanmoins affirmer qu'il existe certaines choses sur lesquelles cette puissance ne s'étend pas... Tout comme Dieu lui-même ne peut empêcher que deux fois deux fasse quatre, il ne peut empêcher que ce qui est intrinsèquement mauvais ne soit mauvais.7

D'Entrèves conclut que :

La définition de la loi naturelle donnée par [Grotius] n'a rien de révolutionnaire. Lorsqu'il affirme que la loi naturelle est l'ensemble des règles que l'homme est capable de découvrir par l'usage de sa raison, il ne fait que reformuler la notion scolastique d'un fondement rationnel de l'éthique. En effet, son objectif est plutôt de restaurer cette notion qui avait été ébranlée par l'augustinisme extrême de certains courants de pensée protestants. Quand il déclare que ces règles sont valables en elles-mêmes, indépendamment du fait que Dieu les ait voulues, il répète une affirmation qui avait déjà été faite par certains scolastiques.8

L'objectif de Grotius, ajoute d'Entrèves, « était de construire un système de lois qui serait convaincant à une époque où les controverses théologiques perdaient progressivement leur pouvoir de conviction ». Grotius et ses successeurs juridiques — Pufendorf, Burlamaqui et Vattel — ont entrepris d'élaborer cet ensemble indépendant de lois naturelles dans un contexte purement séculier, conformément à leurs propres intérêts particuliers, qui n'étaient pas, contrairement à ceux des scolastiques, principalement théologiques.9  En effet, même les rationalistes du XVIIIe siècle, ennemis acharnés des scolastiques à bien des égards, ont été profondément influencés dans leur rationalisme même par la tradition scolastique.10

Ainsi, ne nous y trompons pas : dans la tradition thomiste, la loi naturelle est une loi éthique autant que physique ; et l'instrument par lequel l'homme appréhende cette loi est sa raison — et non la foi, l'intuition, la grâce, la révélation ou quoi que ce soit d'autre.11  Dans le contexte contemporain marqué par une dichotomie prononcée entre la loi naturelle et la raison — et en particulier au milieu des sentiments irrationalistes de la pensée « conservatrice » —, on ne saurait trop insister sur ce point. C'est pourquoi saint Thomas d'Aquin, selon les termes de l'éminent historien de la philosophie, le père Copleston, « a souligné la place et la fonction de la raison dans la conduite morale. Il [Thomas d'Aquin] partageait avec Aristote l'opinion selon laquelle c'est la possession de la raison qui distingue l'homme des animaux » et qui « lui permet d'agir délibérément en vue d'une fin consciemment appréhendée et l'élève au-dessus du niveau du comportement purement instinctif ».12

Thomas d'Aquin a donc compris que les hommes agissent toujours de manière intentionnelle, mais il est allé plus loin en affirmant que les fins peuvent également être appréhendées par la raison comme étant objectivement bonnes ou mauvaises pour l'homme. Pour Thomas d'Aquin, selon les termes de Copleston, « il y a donc place pour le concept de « raison droite », la raison qui guide les actes de l'homme vers la réalisation du bien objectif pour l'homme ». La conduite morale est donc une conduite conforme à la raison droite : « Si l'on dit que la conduite morale est une conduite rationnelle, cela signifie qu'il s'agit d'une conduite conforme à la raison droite, la raison appréhendant le bien objectif pour l'homme et dictant les moyens de l'atteindre ».13

Dans la philosophie du droit naturel, la raison n'est donc pas contrainte, comme dans la philosophie moderne post-humienne, d'être une simple esclave des passions, confinée à produire la découverte des moyens permettant d'atteindre des fins choisies arbitrairement. Car les fins elles-mêmes sont choisies par l'usage de la raison ; et la « raison droite » dicte à l'homme ses fins propres ainsi que les moyens de les atteindre. Pour le thomiste ou le théoricien du droit naturel, la loi générale de la moralité pour l'homme est un cas particulier du système du droit naturel qui régit toutes les entités du monde, chacune ayant sa propre nature et ses propres fins. « Pour lui, la loi morale [...] est un cas particulier des principes généraux selon lesquels toutes les choses finies tendent vers leurs fins par le développement de leurs potentialités. » 14  Et nous arrivons ici à une différence fondamentale entre les créatures inanimées ou même les créatures vivantes non humaines et l'homme lui-même ; car les premières sont contraintes d'agir conformément aux fins dictées par leur nature, tandis que l'homme, « l'animal rationnel », possède la raison pour découvrir ces fins et le libre arbitre pour choisir.15

La question de savoir quelle doctrine, celle du droit naturel ou celle de ses détracteurs, doit être considérée comme véritablement rationnelle a trouvé une réponse incisive chez feu Leo Strauss, dans le cadre d'une critique pénétrante du relativisme des valeurs dans la théorie politique du professeur Arnold Brecht. Car, contrairement au droit naturel,

    Les sciences sociales positivistes […] se caractérisent par l'abandon de la raison ou la fuite devant la raison […].

Selon l'interprétation positiviste du relativisme qui prévaut dans les sciences sociales actuelles […], la raison peut nous dire quels moyens sont propices à quelles fins ; elle ne peut pas nous dire quelles fins réalisables sont préférables à d'autres fins réalisables. La raison ne peut pas nous dire que nous devons choisir des fins réalisables ; si quelqu'un « aime celui qui désire l'impossible », la raison peut lui dire qu'il agit de manière irrationnelle, mais elle ne peut pas lui dire qu'il doit agir de manière rationnelle, ou qu'agir de manière irrationnelle est agir mal ou de manière vile. Si un comportement rationnel consiste à choisir les bons moyens pour atteindre la bonne fin, le relativisme enseigne en fait qu'un comportement rationnel est impossible.16

Enfin, la place unique occupée par la raison dans la philosophie du droit naturel a été affirmée par le philosophe thomiste moderne, feu le père John Toohey. Toohey a défini la philosophie saine comme suit : « La philosophie, au sens où ce mot est utilisé lorsque la scolastique est opposée à d'autres philosophies, est une tentative de la raison humaine, sans aide extérieure, de donner une explication fondamentale de la nature des choses. »17
 
 

 

B) La loi naturelle en tant que « science »


Il est en effet déroutant que tant de philosophes modernes méprisent le terme même de « nature » comme une injection de mysticisme et de surnaturel. Une pomme, si on la laisse tomber, tombera par terre ; nous observons tous cela et reconnaissons que c'est dans la nature de la pomme (ainsi que dans celle du monde en général). Deux atomes d'hydrogène combinés à un atome d'oxygène produiront une molécule d'eau, un comportement qui est propre à la nature de l'hydrogène, de l'oxygène et de l'eau. Il n'y a rien de mystérieux ou de mystique dans ces observations. Pourquoi alors critiquer le concept de « nature » ? Le monde, en fait, se compose d'une myriade de choses ou d'entités observables. C'est certainement un fait observable. Puisque le monde ne se compose pas d'une seule chose ou entité homogène, il s'ensuit que chacune de ces différentes choses possède des attributs différents, sinon elles seraient toutes identiques. Mais si A, B, C, etc. ont des attributs différents, il s'ensuit immédiatement qu'elles ont des natures différentes.18, 19  Il s'ensuit également que lorsque ces différentes choses se rencontrent et interagissent, un résultat spécifiquement délimitable et définissable se produit. En bref, des causes spécifiques et délimitées auront des effets spécifiques et délimités.20

Le comportement observable de chacune de ces entités est la loi de leur nature, et cette loi inclut ce qui se produit à la suite des interactions. Le complexe que nous pouvons construire à partir de ces lois peut être appelé la structure de la loi naturelle. Qu'y a-t-il de « mystique » là-dedans ?21

Dans le domaine des lois purement physiques, ce concept ne diffère généralement de la terminologie positiviste moderne qu'à des niveaux philosophiques élevés ; appliqué à l'homme, cependant, ce concept est beaucoup plus controversé. Et pourtant, si les pommes, les pierres et les roses ont chacune leur nature spécifique, l'homme est-il la seule entité, le seul être qui ne peut en avoir une ? Et si l'homme a une nature, pourquoi ne peut-elle pas elle aussi être ouverte à l'observation et à la réflexion rationnelles ? Si toutes les choses ont une nature, alors la nature de l'homme est sûrement ouverte à l'inspection ; le rejet brutal actuel du concept de nature humaine est donc arbitraire et a priori.

Une critique courante et simpliste formulée par les opposants à la loi naturelle est la suivante : qui est chargé d'établir les prétendues vérités sur l'homme ? La réponse n'est pas « qui », mais « quoi » : la raison humaine. La raison humaine est objective, c'est-à-dire qu'elle peut être utilisée par tous les hommes pour découvrir des vérités sur le monde. Demander quelle est la nature de l'homme, c'est inviter à répondre : « Va, étudie et découvre-le ! » C'est comme si un homme affirmait que la nature du cuivre pouvait faire l'objet d'une investigation rationnelle et qu'un critique le mettait au défi de « prouver » immédiatement cette affirmation en exposant sur-le-champ toutes les lois qui ont été découvertes sur le cuivre.

Une autre critique courante est que les théoriciens du droit naturel divergent entre eux et que, par conséquent, toutes les théories du droit naturel doivent être rejetées. Cette critique est particulièrement déplacée lorsqu'elle émane, comme c'est souvent le cas, d'économistes utilitaristes. En effet, l'économie est une science notoirement controversée, mais rares sont ceux qui préconisent pour autant de rejeter toute l'économie. De plus, les divergences d'opinion ne justifient pas que l'on rejette toutes les parties à un différend ; la personne responsable est celle qui utilise sa raison pour examiner les différents arguments et se forger sa propre opinion.22  Elle ne se contente pas de dire a priori : « Malédiction sur vous tous ! » Le fait que l'homme soit doué de raison ne signifie pas que l'erreur est impossible. Même des sciences « exactes » comme la physique et la chimie ont connu leurs erreurs et leurs débats passionnés.23  Aucun homme n'est omniscient ou infaillible, ce qui est d'ailleurs une loi de la nature humaine.

L'éthique de la loi naturelle décrète que pour tous les êtres vivants, la « bonté » est l'accomplissement de ce qui est le mieux pour ce type de créature ; la « bonté » est donc relative à la nature de la créature concernée. Ainsi, le professeur Cropsey écrit :

La doctrine classique [du droit naturel] veut que chaque chose soit excellente dans la mesure où elle peut accomplir les tâches pour lesquelles son espèce est naturellement équipée... Pourquoi le naturel est-il bon ? ... [Parce qu'il] n'y a ni moyen ni raison de nous empêcher de faire la distinction entre les animaux inutiles et ceux qui sont utiles, par exemple ; et... la norme la plus empirique et... la plus rationnelle de l'utilité, ou la limite de l'activité d'une chose, est fixée par sa nature. Nous ne jugeons pas les éléphants comme étant bons parce qu'ils sont naturels, ou parce que la nature est moralement bonne, quoi que cela puisse signifier. Nous jugeons qu'un éléphant particulier est bon à la lumière de ce que la nature des éléphants leur permet de faire et d'être.24

Dans le cas de l'homme, l'éthique de la loi naturelle stipule que le bien et le mal peuvent être déterminés par ce qui satisfait ou contrecarre ce qui est le mieux pour la nature humaine.25

La loi naturelle élucide donc ce qui est le mieux pour l'homme, c'est-à-dire les fins que l'homme doit poursuivre et qui sont les plus harmonieuses avec sa nature et les plus susceptibles de la satisfaire. Dans un sens important, la loi naturelle fournit donc à l'homme une « science du bonheur », avec les chemins qui mèneront à son bonheur réel. En revanche, la praxéologie ou l'économie, ainsi que la philosophie utilitariste à laquelle cette science est étroitement liée, traitent le « bonheur » dans un sens purement formel comme la réalisation des fins que les gens, pour une raison ou une autre, placent en haut de leur échelle de valeurs. La satisfaction de ces fins procure à l'homme son « utilité », sa « satisfaction » ou son « bonheur ».26 La valeur au sens d'évaluation ou d'utilité est purement subjective et déterminée par chaque individu. Cette procédure est tout à fait appropriée pour la science formelle de la praxéologie, ou théorie économique, mais pas nécessairement ailleurs. En effet, dans l'éthique du droit naturel, les fins sont démontrées comme étant bonnes ou mauvaises pour l'homme à des degrés divers ; la valeur est ici objective, déterminée par la loi naturelle de l'être humain, et le « bonheur » de l'homme est considéré ici dans son sens commun et concret. Comme l'a dit le père Kenealy :

    Cette philosophie soutient qu'il existe en fait un ordre moral objectif dans le champ de l'intelligence humaine, auquel les sociétés humaines sont tenues de se conformer en conscience et dont dépendent la paix et le bonheur de la vie personnelle, nationale et internationale.27

Et l'éminent juriste anglais Sir William Blackstone a résumé ainsi la loi naturelle et son rapport avec le bonheur humain :

    C'est le fondement de ce que nous appelons l'éthique, ou loi naturelle... démontrant que telle ou telle action tend vers le bonheur réel de l'homme, et concluant donc très justement que son accomplissement fait partie de la loi de la nature ; ou, d'autre part, que telle ou telle action détruit le bonheur réel de l'homme, et que la loi de la nature l'interdit donc.28

Sans utiliser la terminologie du droit naturel, le psychologue Leonard Carmichael a indiqué comment une éthique objective et absolue peut être établie pour l'homme à partir de méthodes scientifiques, fondées sur des recherches biologiques et psychologiques :

    étant donné que l'homme possède une constitution anatomique, physiologique et psychologique immuable et ancestrale, déterminée génétiquement, il y a lieu de croire qu'au moins certaines des « valeurs » qu'il reconnaît comme bonnes ou mauvaises ont été découvertes ou sont apparues au fil des millénaires, à mesure que les êtres humains ont cohabité au sein de nombreuses sociétés. Y a-t-il une raison de penser que ces valeurs, une fois identifiées et éprouvées, ne peuvent être considérées comme essentiellement fixes et immuables ? Par exemple, le meurtre gratuit d'un adulte par un autre pour le simple plaisir personnel de l'auteur du meurtre, une fois reconnu comme un acte répréhensible, sera probablement toujours considéré comme tel. Un tel meurtre a des effets néfastes sur le plan individuel et social. Ou, pour prendre un exemple plus modéré tiré de l'esthétique, l'homme est toujours susceptible de reconnaître d'une manière particulière l'équilibre entre deux couleurs complémentaires, car il est né avec des yeux humains spécialement constitués.29

Une objection philosophique courante à l'éthique de la loi naturelle est qu'elle confond, ou identifie, le réalisme des faits et celui des valeurs. Pour les besoins de notre brève discussion, la réponse de John Wild suffira :

    En réponse, nous pouvons souligner que leur point de vue [sur la loi naturelle] identifie la valeur non pas à l'existence, mais plutôt à la réalisation des tendances déterminées par la structure de l'entité existante. En outre, il identifie le mal non pas à la non-existence, mais plutôt à un mode d'existence dans lequel les tendances naturelles sont contrariées et privées de réalisation... La jeune plante dont les feuilles se fanent par manque de lumière n'est pas inexistante. Elle existe, mais dans un mode malsain ou privatif. L'homme boiteux n'est pas inexistant. Il existe, mais avec une puissance naturelle partiellement non réalisée... Cette objection métaphysique repose sur l'hypothèse courante selon laquelle l'existence est pleinement achevée ou complète... [Mais] ce qui est bon, c'est l'accomplissement de l'être.30

Après avoir déclaré que l'éthique, pour l'homme comme pour toute autre entité, est déterminée par l'étude des tendances existantes vérifiables de cette entité, Wild pose une question cruciale pour toute éthique non théologique : « pourquoi ces principes sont-ils considérés comme contraignants pour moi ? » Comment ces tendances universelles de la nature humaine s'intègrent-elles dans l'échelle de valeurs subjective d'une personne ? Parce que

    les besoins factuels qui sous-tendent l'ensemble du processus sont communs à l'homme. Les valeurs qui en découlent sont universelles. Par conséquent, si je ne me suis pas trompé dans mon analyse des tendances de la nature humaine et si je me comprends bien, je dois illustrer cette tendance et la ressentir subjectivement comme une impulsion impérative à l'action.31

David Hume est le philosophe que les philosophes modernes considèrent comme ayant effectivement démoli la théorie du droit naturel. La « démolition » de Hume était double : d'une part, il a soulevé la prétendue dichotomie « fait-valeur », empêchant ainsi de déduire la valeur du fait32 , et d'autre part, il a avancé que la raison est et ne peut être qu'esclave des passions.

En bref, contrairement à la conception de la loi naturelle selon laquelle la raison humaine peut découvrir les fins appropriées que l'homme doit poursuivre, Hume soutenait que seules les émotions peuvent en fin de compte déterminer les fins de l'homme, et que la raison a pour rôle d'être le technicien et le serviteur des émotions. (Sur ce point, Hume a été suivi par les sociologues modernes depuis Max Weber.) Selon cette conception, les émotions des gens sont considérées comme des données primaires et non analysables.

Le professeur Hesselberg a toutefois démontré que Hume, au cours de ses propres discussions, a été contraint de réintroduire une conception du droit naturel dans sa philosophie sociale et en particulier dans sa théorie de la justice, illustrant ainsi la boutade d'Étienne Gilson : « Le droit naturel enterre toujours ses fossoyeurs. » Pour Hume, selon les termes de Hesselberg, « il reconnaissait et acceptait que l'ordre social [...] est une condition préalable indispensable au bien-être et au bonheur de l'homme : et qu'il s'agit là d'un constat ». L'ordre social doit donc être maintenu par l'homme. Hesselberg poursuit :

Mais un ordre social n'est possible que si l'homme est capable de concevoir ce qu'il est, quels sont ses avantages, et aussi de concevoir les normes de conduite nécessaires à son établissement et à sa préservation, à savoir le respect de la personne d'autrui et de ses biens légitimes, qui est l'essence même de la justice... Mais la justice est le produit de la raison, et non des passions. Et la justice est le soutien nécessaire de l'ordre social ; et l'ordre social est nécessaire au bien-être et au bonheur de l'homme. Si tel est le cas, les normes de la justice doivent contrôler et réguler les passions, et non l'inverse.33

Hesselberg conclut que « la thèse originale de Hume sur la « primauté des passions » apparaît donc comme totalement indéfendable pour sa théorie sociale et politique, et [...] il est contraint de réintroduire la raison comme facteur cognitif et normatif dans les relations sociales humaines ».34

En effet, en discutant de la justice et de l'importance des droits de propriété privée, Hume a été contraint d'écrire que la raison peut établir une telle éthique sociale : « la nature fournit un remède dans le jugement et la compréhension de ce qui est irrégulier et inconfortable dans les affections » — en bref, la raison peut être supérieure aux passions.35

Nous avons vu dans notre discussion que la doctrine du droit naturel — l'idée qu'une éthique objective peut être établie par la raison — a dû faire face à deux puissants groupes d'ennemis dans le monde moderne : tous deux soucieux de dénigrer le pouvoir de la raison humaine à décider de son destin. Il s'agit des fidéistes, qui croient que l'éthique ne peut être donnée à l'homme que par une révélation surnaturelle, et des sceptiques, qui croient que l'homme doit tirer son éthique de caprices ou d'émotions arbitraires. Nous pouvons résumer cela par l'opinion sévère mais pénétrante du professeur Grant

    l'étrange alliance contemporaine entre ceux qui doutent de la capacité de la raison humaine au nom du scepticisme (probablement d'origine scientifique) et ceux qui dénigrent cette capacité au nom de la religion révélée. Il suffit d'étudier la pensée d'Ockham pour voir à quel point cette étrange alliance est ancienne. Car on voit chez Ockham comment le nominalisme philosophique, incapable d'affronter la question de la certitude pratique, la résout par l'hypothèse arbitraire de la révélation. La volonté détachée de l'intellect (comme elle doit l'être dans un nominalisme) ne peut rechercher la certitude qu'à travers de telles hypothèses arbitraires.

    Il est intéressant de noter, d'un point de vue historique, que ces deux traditions anti-rationalistes – celle du sceptique libéral et celle du révélationniste protestant – proviennent à l'origine de deux visions opposées de l'homme. La dépendance des protestants à l'égard de la révélation découle d'un grand pessimisme à l'égard de la nature humaine... Les valeurs immédiatement appréhendées par les libéraux trouvent leur origine dans un grand optimisme. Pourtant... après tout, la tradition dominante en Amérique du Nord n'est-elle pas un protestantisme qui a été transformé par la technologie pragmatique et les aspirations libérales ?36
 



C) Droit naturel contre droit positif


Si, donc, le droit naturel est découvert par la raison à partir des « inclinations fondamentales de la nature humaine […] absolues, immuables et universellement valables en tout temps et en tout lieu », il s'ensuit que la loi naturelle fournit un ensemble objectif de normes éthiques permettant d'évaluer les actions humaines à tout moment et en tout lieu.37  La loi naturelle est, par essence, une éthique profondément « radicale », car elle soumet le statu quo existant, qui pourrait violer grossièrement la loi naturelle, à la lumière impitoyable et inflexible de la raison. Dans le domaine de la politique ou de l'action de l'État, la loi naturelle présente à l'homme un ensemble de normes qui peuvent être radicalement critiques à l'égard du droit positif existant imposé par l'État. À ce stade, il suffit de souligner que l'existence même d'une loi naturelle découvrable par la raison constitue une menace potentiellement puissante pour le statu quo et un reproche permanent au règne des coutumes traditionnelles aveugles ou à la volonté arbitraire de l'appareil étatique.

En fait, les principes juridiques de toute société peuvent être établis de trois manières différentes : (a) en suivant les coutumes traditionnelles de la tribu ou de la communauté ; (b) en obéissant à la volonté arbitraire et ponctuelle de ceux qui dirigent l'appareil étatique ; ou (c) en utilisant la raison humaine pour découvrir la loi naturelle — en bref, en se conformant servilement aux coutumes, en suivant des caprices arbitraires ou en utilisant la raison humaine. Ce sont essentiellement les seules façons possibles d'établir le droit positif. Nous pouvons simplement affirmer ici que cette dernière méthode est à la fois la plus appropriée pour l'homme dans ce qu'il a de plus noble et de plus pleinement humain, et la plus potentiellement « révolutionnaire » vis-à-vis de tout statu quo donné.

Au cours de notre siècle, l'ignorance généralisée et le mépris de l'existence même de la loi naturelle ont limité la défense des structures juridiques par les gens à (a) ou (b), ou à un mélange des deux. Cela vaut même pour ceux qui tentent de s'en tenir à une politique de liberté individuelle. Ainsi, certains libertariens adopteraient simplement et sans critique la common law, malgré ses nombreux défauts anti-libertariens. D'autres, comme Henry Hazlitt, supprimeraient toutes les limitations constitutionnelles imposées au gouvernement pour s'en remettre uniquement à la volonté de la majorité telle qu'elle est exprimée par le pouvoir législatif. Aucun de ces deux groupes ne semble comprendre le concept d'une structure de loi naturelle rationnelle pouvant servir de guide pour façonner et remodeler toute loi positive existante.38

Si la théorie du droit naturel a souvent été utilisée à tort pour défendre le statu quo politique, ses implications radicales et « révolutionnaires » ont été brillamment comprises par le grand historien catholique libertaire Lord Acton. Acton a clairement vu que le défaut profond de la conception de la philosophie politique du droit naturel des Grecs anciens – et de leurs disciples ultérieurs – était d'identifier la politique et la morale, puis de placer l'agent moral social suprême dans l'État. D'après Platon et Aristote, la suprématie proclamée de l'État reposait sur leur opinion selon laquelle « la morale ne se distinguait pas de la religion et la politique de la morale ; et dans la religion, la morale et la politique, il n'y avait qu'un seul législateur et une seule autorité ».39

Acton ajouta que les stoïciens avaient développé les principes corrects et non étatiques de la philosophie politique du droit naturel, qui furent ensuite repris à l'époque moderne par Grotius et ses disciples. « À partir de ce moment, il devint possible de faire de la politique une question de principe et de conscience. » La réaction de l'État à cette évolution théorique fut horrifiée :

Lorsque Cumberland et Pufendorf ont révélé la véritable signification de la doctrine [de Grotius], toutes les autorités établies, tous les intérêts triomphants ont reculé avec effroi... Il était évident que toutes les personnes qui avaient appris que la science politique est une affaire de conscience plutôt que de puissance et d'opportunisme devaient considérer leurs adversaires comme des hommes sans principes.40

Acton voyait clairement que tout ensemble de principes moraux objectifs enracinés dans la nature humaine entrerait inévitablement en conflit avec les coutumes et le droit positif. Pour Acton, un tel conflit irrépressible était un attribut essentiel du libéralisme classique : « Le libéralisme aspire à ce qui devrait être, indépendamment de ce qui est. »41  Comme l'écrit Himmelfarb à propos de la philosophie d'Acton :

    le passé n'avait aucune autorité, sauf s'il se conformait à la moralité. Prendre au sérieux cette théorie libérale de l'histoire, donner la priorité à « ce qui devrait être » plutôt qu'à « ce qui est », revenait, selon lui, à instaurer une « révolution permanente ».42

Ainsi, pour Acton, l'individu, armé des principes moraux du droit naturel, se trouve alors dans une position solide qui lui permet de critiquer les régimes et les institutions existants, de les exposer à la lumière crue et impitoyable de la raison. Même John Wild, beaucoup moins politisé, a décrit avec pertinence la nature intrinsèquement radicale de la théorie du droit naturel :

    la philosophie du droit naturel défend la dignité rationnelle de l'individu humain et son droit et son devoir de critiquer par la parole et par l'action toute institution ou structure sociale existante au regard des principes moraux universels qui peuvent être appréhendés par l'intellect individuel seul.43

Si l'idée même de loi naturelle est essentiellement « radicale » et profondément critique à l'égard des institutions politiques existantes, comment se fait-il alors que la loi naturelle soit généralement qualifiée de « conservatrice » ? Le professeur Parthemos considère que la loi naturelle est « conservatrice » parce que ses principes sont universels, fixes et immuables, et constituent donc des principes « absolus » de justice.44  C'est tout à fait vrai, mais en quoi la fixité des principes implique-t-elle le « conservatisme » ? Au contraire, le fait que les théoriciens du droit naturel déduisent de la nature même de l'homme une structure juridique fixe, indépendante du temps et du lieu, des habitudes, de l'autorité ou des normes collectives
 

 
 

D) Loi naturelle et droits naturels


Comme nous l'avons indiqué, le grand défaut de la théorie du droit naturel – de Platon et Aristote aux thomistes, en passant par Leo Strauss et ses disciples actuels – est d'avoir été profondément étatiste plutôt qu'individualiste. Cette théorie « classique » du droit naturel plaçait le lieu du bien et de l'action vertueuse dans l'État, les individus étant strictement subordonnés à l'action de l'État. Ainsi, à partir de l'affirmation correcte d'Aristote selon laquelle l'homme est un « animal social », dont la nature est la mieux adaptée à la coopération sociale, les classicistes ont illégitimement fait un raccourci en identifiant pratiquement la « société » et « l'État », et donc l'État comme le principal lieu de l'action vertueuse.46  Ce sont au contraire les Niveleurs, et en particulier John Locke, dans l'Angleterre du XVIIe siècle, qui ont transformé le droit naturel classique en une théorie fondée sur l'individualisme méthodologique et donc politique. De l'accent mis par Locke sur l'individu en tant qu'unité d'action, en tant qu'entité qui pense, ressent, choisit et agit, est née sa conception du droit naturel en politique comme établissant les droits naturels de chaque individu. C'est la tradition individualiste de Locke qui a profondément influencé les révolutionnaires américains ultérieurs et la tradition dominante de la pensée politique libertaire dans la nouvelle nation révolutionnaire. C'est sur cette tradition du libertaire des droits naturels que le présent ouvrage tente de s'appuyer. 

Le célèbre « Second traité du gouvernement civil » de Locke fut certainement l'une des premières élaborations systématiques de la théorie libertaire, individualiste et fondée sur les droits naturels. En effet, la similitude entre le point de vue de Locke et la théorie exposée ci-dessous apparaîtra clairement dans le passage suivant :

    « Chaque homme a un droit de propriété sur sa propre personne. Personne d'autre que lui-même n'a de droit sur celle-ci. Le travail de son corps et le fruit de ses mains, pouvons-nous dire, lui appartiennent en propre. Tout ce qu'il retire de l'état dans lequel la nature l'a placé et laissé, il y a mêlé son travail et y a joint quelque chose qui lui appartient, et il en fait ainsi sa propriété. Comme il l'a retiré de l'état commun dans lequel la nature l'avait placé, ce travail lui a conféré quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes. Ce travail étant la propriété incontestable du travailleur, nul autre que lui ne peut avoir de droit sur ce qui lui est désormais associé...
Celui qui se nourrit des glands qu'il a ramassés sous un chêne ou des pommes qu'il a cueillies dans les arbres de la forêt s'est certainement approprié ces fruits. Personne ne peut nier que cette nourriture lui appartient. Je demande alors depuis quand ces fruits lui appartiennent-ils ? Il est évident que si le fait de les avoir cueillis pour la première fois ne les a pas rendus siens, rien d'autre ne pouvait le faire. Ce travail a fait la distinction entre eux et le bien commun. Il leur a ajouté quelque chose de plus que la nature, mère commune de tous, n'avait fait : ils sont ainsi devenus son droit privé. Et quelqu'un dira-t-il qu'il n'avait aucun droit sur ces glands ou ces pommes qu'il s'est ainsi appropriés, parce qu'il n'avait pas le consentement de toute l'humanité pour les faire siens ? ... Si un tel consentement avait été nécessaire, l'homme serait mort de faim, malgré l'abondance que Dieu lui avait donnée. Nous voyons dans les biens communs, qui le restent par convention, que c'est le fait de prendre part à ce qui est commun et de le retirer de l'état dans lequel la nature le laisse qui donne naissance à la propriété, sans laquelle le bien commun n'a aucune utilité.47

Il n'est pas surprenant que la théorie des droits naturels de Locke, comme l'ont montré les historiens de la pensée politique, soit truffée de contradictions et d'incohérences. Après tout, les pionniers de toute discipline, de toute science, sont inévitablement confrontés à des incohérences et à des lacunes qui seront corrigées par ceux qui leur succéderont. Les divergences par rapport à Locke dans le présent ouvrage ne surprennent que ceux qui sont imprégnés de la mode moderne malheureuse qui a pratiquement aboli la philosophie politique constructive au profit d'un simple intérêt antiquaire pour les textes anciens. En fait, la théorie libertaire des droits naturels a continué à être développée et purifiée après Locke, pour atteindre son apogée dans les œuvres du XIXe siècle d'Herbert Spencer et de Lysander Spooner.48

Les nombreux théoriciens des droits naturels postérieurs à Locke et aux Niveleurs ont clairement exprimé leur point de vue selon lequel ces droits découlent de la nature de l'homme et du monde qui l'entoure. Voici quelques exemples frappants : le théoricien germano-américain du XIXe siècle Francis Lieber, dans son traité antérieur et plus libertaire, a écrit : « La loi de la nature ou loi naturelle [...] est la loi, l'ensemble des droits, que nous déduisons de la nature essentielle de l'homme. » Et William Ellery Channing, éminent pasteur unitarien américain du XIXe siècle : « Tous les hommes ont la même nature rationnelle et le même pouvoir de conscience, et tous sont également faits pour améliorer indéfiniment ces facultés divines et pour trouver le bonheur dans leur utilisation vertueuse. » Et Theodore Woolsey, l'un des derniers théoriciens systématiques des droits naturels dans l'Amérique du XIXe siècle, a déclaré : les droits naturels sont ceux « dont, par déduction équitable à partir des caractéristiques physiques, morales, sociales et religieuses actuelles de l'homme, celui-ci doit être investi [...] afin d'atteindre les fins auxquelles sa nature l'appelle ».49

Si, comme nous l'avons vu, le droit naturel est essentiellement une théorie révolutionnaire, alors a fortiori sa branche individualiste, celle des droits naturels, l'est aussi. Comme l'a dit le théoricien américain des droits naturels du XIXe siècle, Elisha P. Hurlbut :

    Les lois ne doivent être que déclaratives des droits naturels et des torts naturels, et […] tout ce qui est indifférent aux lois de la nature doit être ignoré par la législation humaine […] et la tyrannie juridique surgit dès qu'il y a dérogation à ce principe simple.50

Un exemple notable de l'utilisation révolutionnaire des droits naturels est, bien sûr, la Révolution américaine, qui s'est fondée sur un développement radicalement révolutionnaire de la théorie lockéenne au cours du XVIIIe siècle.51  Les célèbres mots de la Déclaration d'indépendance, comme Jefferson lui-même l'a clairement indiqué, n'énonçaient rien de nouveau, mais étaient simplement une synthèse brillamment écrite des opinions des Américains de l'époque :

    Nous tenons pour évidentes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur [la triade la plus courante à l'époque était « la vie, la liberté et la propriété »]. Que pour garantir ces droits, des gouvernements sont institués parmi les hommes, tirant leurs pouvoirs légitimes du consentement des gouvernés. Que chaque fois qu'une forme de gouvernement devient destructive à ces fins, le peuple a le droit de la modifier ou de l'abolir.

La prose enflammée du grand abolitionniste William Lloyd Garrison, qui applique de manière révolutionnaire la théorie des droits naturels à la question de l'esclavage, est particulièrement frappante :

    Le droit de jouir de la liberté est inaliénable... Chaque homme a droit à son propre corps, aux produits de son propre travail, à la protection de la loi... Toutes les lois actuellement en vigueur qui admettent le droit à l'esclavage sont donc, devant Dieu, totalement nulles et non avenues... et doivent donc être immédiatement abrogées.52

Tout au long de cet ouvrage, nous parlerons de « droits », en particulier des droits des individus à la propriété de leur personne et de leurs biens matériels. Mais comment définir les « droits » ? Le professeur Sadowsky a donné une définition convaincante et incisive du « droit » :

    Lorsque nous disons qu'une personne a le droit de faire certaines choses, nous voulons dire uniquement qu'il serait immoral qu'une autre personne, seule ou avec d'autres, l'empêche de le faire en recourant à la force physique ou à la menace de la force physique. Nous ne voulons pas dire que toute utilisation que fait une personne de ses biens dans les limites fixées est nécessairement une utilisation morale.53

La définition de Sadowsky met en évidence la distinction cruciale que nous ferons tout au long de cet ouvrage entre le droit d'un homme et la moralité ou l'immoralité de l'exercice de ce droit. Nous soutiendrons qu'un homme a le droit de faire ce qu'il souhaite de son corps ; il a le droit de ne pas être molesté ou victime de violence lorsqu'il exerce ce droit. Mais la question de savoir quelles sont les façons morales ou immorales d'exercer ce droit relève davantage de l'éthique personnelle que de la philosophie politique, qui s'intéresse uniquement aux questions de droit et à l'exercice approprié ou inapproprié de la violence physique dans les relations humaines. On ne saurait trop insister sur l'importance de cette distinction cruciale. Ou, comme l'a dit de manière concise Elisha Hurlbut : « L'exercice d'une faculté [par un individu] est sa seule utilisation. La manière dont elle est exercée est une chose ; cela relève de la morale. Le droit de l'exercer en est une autre. »54
 
 

 

E) La tâche de la philosophie politique


Le but de cet ouvrage n'est pas d'exposer ou de défendre en détail la philosophie du droit naturel, ni d'élaborer une éthique du droit naturel pour la moralité personnelle de l'homme. Son intention est d'exposer une éthique sociale de la liberté, c'est-à-dire d'élaborer ce sous-ensemble du droit naturel qui développe le concept des droits naturels et qui traite de la sphère propre à la « politique », c'est-à-dire de la violence et de la non-violence en tant que modes de relations interpersonnelles. En bref, d'exposer une philosophie politique de la liberté.

À notre avis, la tâche principale de la « science politique » ou, mieux, de la « philosophie politique » est de construire l'édifice du droit naturel pertinent pour la scène politique. Il est évident que cette tâche a été presque complètement négligée au cours de ce siècle par les politologues. La science politique s'est soit lancée dans une « construction de modèles » positiviste et scientiste, imitant en vain la méthodologie et le contenu des sciences physiques, soit elle s'est engagée dans une recherche purement empirique de faits. Le politologue contemporain croit pouvoir éviter la nécessité des jugements moraux et contribuer à l'élaboration des politiques publiques sans s'engager dans une position éthique quelconque. Et pourtant, dès que quelqu'un fait une suggestion politique, aussi étroite ou limitée soit-elle, un jugement éthique – fondé ou non – est forcément émis.55

La différence entre le politologue et le philosophe politique réside dans le fait que les jugements moraux du « scientifique » sont cachés et implicites, et ne sont donc pas soumis à un examen minutieux, ce qui les rend plus susceptibles d'être erronés. De plus, le fait d'éviter les jugements éthiques explicites conduit les politologues à un jugement de valeur implicite prépondérant, à savoir celui en faveur du statu quo politique tel qu'il prévaut dans une société donnée. À tout le moins, l'absence d'une éthique politique systématique empêche le politologue de convaincre quiconque de la valeur d'un changement par rapport au statu quo.

Par ailleurs, les philosophes politiques actuels se limitent généralement, également de manière Wertfrei, à des descriptions et à des exégèses antiquaires des opinions d'autres philosophes politiques disparus depuis longtemps. Ce faisant, ils éludent la tâche principale de la philosophie politique, qui est, selon les termes de Thomas Thorson, « la justification philosophique des positions de valeur pertinentes pour la politique ».56

Pour défendre la politique publique, il faut donc construire un système d'éthique sociale ou politique. Au cours des siècles passés, c'était là la tâche cruciale de la philosophie politique. Mais dans le monde contemporain, la théorie politique, au nom d'une « science » fallacieuse, a rejeté la philosophie éthique et est elle-même devenue stérile en tant que guide pour le citoyen curieux. La même voie a été suivie dans chacune des disciplines des sciences sociales et de la philosophie en abandonnant les procédures du droit naturel. Chassons donc les spectres de la Wertfreiheit, du positivisme, du scientisme. Ignorant les exigences impérieuses d'un statu quo arbitraire, élaborons – même si cela peut sembler un cliché éculé – une norme de droit naturel et de droits naturels à laquelle les sages et les honnêtes gens puissent se référer. Plus précisément, cherchons à établir la philosophie politique de la liberté et de la sphère appropriée du droit, des droits de propriété et de l'État.

Cet article est extrait des cinq premiers chapitres de The Ethics of Liberty. 
 
 
 
Source:
  



1La théoricienne politique était feu Hannah Arendt. Pour une critique typique du droit naturel par un positiviste juridique, voir Hans Kelsen, General Theory of Law and State (New York : Russell and Russell, 1961), pp. 8ff.

2Et pourtant, le Black's Law Dictionary définit le droit naturel d'une manière purement rationaliste et non théologique :
Jus Naturale, la loi naturelle ou loi de la nature ; loi ou principes juridiques censés être découvrables à la lumière de la nature ou du raisonnement abstrait, ou enseignés par la nature à toutes les nations et à tous les hommes de la même manière, ou loi censée régir les hommes et les peuples à l'état naturel, c'est-à-dire avant l'apparition des gouvernements organisés ou des lois promulguées (3e éd., p. 1044). Le professeur Patterson, dans Jurisprudence: Men and Ideas of the Law (Brooklyn : Foundation Press, 1953), p. 333, définit la loi naturelle de manière convaincante et concise comme suit :
Principes de conduite humaine qui peuvent être découverts par la « raison » à partir des inclinations fondamentales de la nature humaine, et qui sont absolus, immuables et universellement valables pour tous les temps et tous les lieux. Il s'agit là de la conception fondamentale de la loi naturelle scolastique... et de la plupart des philosophes de la loi naturelle.

3 De nos jours, les partisans de l'éthique théologique s'opposent généralement avec force au concept de loi naturelle. Voir la discussion sur la casuistique par le théologien protestant néo-orthodoxe Karl Barth, Church Dogmatics 3, 4 (Édimbourg : 11 et T. Clark, 1961), p. 7 et suivantes.

4 Pour une discussion sur le rôle de la raison dans la philosophie de Thomas d'Aquin, voir Etienne Gilson, The Christian Philosophy of St. Thomas Aquinas (New York : Random House, 1956). Une analyse importante de la théorie thomiste du droit naturel est celle de Germain Grisez, « The First Principle of Practical Reason », dans Anthony Kenny, éd., Aquinas: A Collection of Critical Essays (New York : Anchor Books, 1969), pp. 340-82. Pour une histoire du droit naturel médiéval, voir Odon Lottin, Psychologie et morale aux xiie et xiiie siècles, 6 vol. (Louvain, 1942-1960).

5 Tiré de Franciscus Suarez, De Legibus ac Deo Legislatore (1619), lib. II, chap. vi. Suarez a également noté que de nombreux scolastiques « semblent donc admettre logiquement que la loi naturelle ne provient pas de Dieu en tant que législateur, car elle ne dépend pas de la volonté de Dieu ». Cité dans A.P. d'Enfreves, Natural Law (Londres : Hutchinson University Library, 1951), p. 71.

6Thomas E Davitt, S.J., « St. Thomas Aquinas and the Natural Law », dans Arthur L. Harding, éd., Origins of the Natural Law Tradition (Dallas, Tex. : Southern Methodist University Press, 1954), p. 39. Voir également Brendan F. Brown, éd., The Natural Law Reader (New York : Oceana Pubs., 1960), pp. 101-4.

7Cité dans d’Entrèves, Natural Law, pp. 52-53. Voir également Otto Gierke, Natural Law and the Theory of Society, 1500 to 1800 (Boston : Beacon Press, 1957), pp. 98-99.

8D’Entrèves, Natural Law, pp. 51–52. Voir également A.H. Chroust, « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », The New Scholasticism (1943), et Frederick C. Copleston, S.J., A History of Philosophy (Westminster, Md. : Newman Press, 1959), 2, pp. 330f. Sur l'influence négligée du scolastique espagnol Suarez sur les philosophes modernes, voir Jose Ferrater Mora, « Suarez and Modern Philosophy », Journal of the History of Ideas (octobre 1953) : 528-47.

9Voir Gierke, Natural Law and the Theory of Society, p. 289. Voir également Herbert Spencer, An Autobiography (New York : D. Appleton, 1904), vol. 1, p. 415.

10 Voir ainsi Carl L. Becker, The Heavenly City of the Eighteenth-Century Philosophers (New Haven, Connecticut : Yale University Press, 1957), p. 8.

11 Le regretté philosophe réaliste John Wild, dans son important article intitulé « Natural Law and Modern Ethical Theory » (Loi naturelle et théorie éthique moderne), publié dans Ethics (octobre 1952), déclare :
L'éthique réaliste [loi naturelle] est aujourd'hui souvent rejetée comme étant de nature théologique et autoritaire. Mais il s'agit là d'un malentendu. Ses représentants les plus éminents, de Platon et Aristote à Grotius, l'ont défendue sur la base de preuves empiriques uniquement, sans faire appel à aucune autorité surnaturelle (p. 2 et pp. 1-13). Voir également le refus de reconnaître l'existence d'une « philosophie chrétienne » au même titre que des « chapeaux et chaussures chrétiens » par le philosophe social catholique Orestes Brownson. Thomas T. McAvoy, C.S.C., « Orestes A. Brownson and Archbishop John Hughes in 1860 », Review of Politics (janvier 1962) : 29.

12Frederick C. Copleston, S.J., Aquinas (Londres : Penguin Books, 1955), p. 204.

13Ibid., pp. 204-5.

14Ibid., p. 212.

15 Ainsi Copleston :
Les corps inanimés agissent d'une certaine manière précisément parce qu'ils sont ce qu'ils sont, et ils ne peuvent agir autrement ; ils ne peuvent accomplir des actions contraires à leur nature. Et les animaux sont gouvernés par l'instinct. En fin de compte, toutes les créatures inférieures à l'homme participent inconsciemment à la loi éternelle, qui se reflète dans leurs tendances naturelles, et elles ne possèdent pas la liberté nécessaire pour pouvoir agir d'une manière incompatible avec cette loi. Il est donc essentiel que l'homme connaisse la loi éternelle dans la mesure où elle le concerne. Mais comment peut-il la connaître ? Il ne peut pas lire, pour ainsi dire, dans l'esprit de Dieu... [mais] il peut discerner les tendances et les besoins fondamentaux de sa nature, et en y réfléchissant, il peut parvenir à la connaissance de la loi morale naturelle... Chaque homme possède [...] la lumière de la raison grâce à laquelle il peut réfléchir [...] et se promulguer à lui-même la loi naturelle, qui est la totalité des préceptes ou des diktats universels de la raison droite concernant le bien à poursuivre et le mal à éviter (Ibid., pp. 213-214).

16Leo Strauss, « Relativism », dans H. Schoeck et J. W. Wiggins, éd., Relativism and the Study of Man (Princeton, NJ : D. Van Nostrand, 1961), pp. 144-145. Pour une critique cinglante de la tentative d'un politologue relativiste de présenter un argument « sans valeur » en faveur de la liberté et du développement personnel, voir Walter Berns, « The Behavioral Sciences and the Study of Political Things: The Case of Christian Bay's The Structure of Freedom », American Political Science Review (septembre 1961) : 550-59.

17Toohey ajoute que « la philosophie scolastique est la philosophie qui enseigne la certitude de la connaissance humaine acquise par l'expérience sensorielle, le témoignage, la réflexion et le raisonnement ». John J. Toohey, S.J., Notes on Epistemology (Washington, D.C. : Georgetown University, 1952), pp. 111-12.

18Henry B. Veatch, dans son ouvrage For an Ontology of Morals: A Critique of Contemporary Ethical Theory (Evanston, Ill.: Northwestern University Press, 1971), p. 7, déclare :
Il faut recourir à une notion plus ancienne que celle qui est désormais en vogue parmi les scientifiques et les philosophes des sciences contemporains... Il est certain que dans le monde quotidien de l'existence commune où, en tant qu'êtres humains et malgré toute notre sophistication scientifique, nous pouvons difficilement cesser de vivre, de bouger et d'exister, nous nous retrouvons en effet constamment à invoquer une notion plus ancienne et même résolument commune de « nature » et de « loi naturelle ». Car ne reconnaissons-nous pas tous qu'une rose est différente d'une aubergine, un homme d'une souris, et l'hydrogène du manganèse ? Reconnaître ces différences entre les choses, c'est certainement reconnaître qu'elles se comportent différemment : on n'attend pas tout à fait la même chose d'un homme que d'une souris, et vice versa. De plus, la raison pour laquelle nos attentes diffèrent ainsi quant à ce que feront divers types de choses ou d'entités, ou quant à la manière dont elles agiront et réagiront, est simplement qu'il s'agit de choses différentes. Elles ont des « natures » différentes, pour reprendre une terminologie désuète. Leo Strauss (Natural Right and History ) ajoute : Socrate s'est écarté de ses prédécesseurs en identifiant la science de... tout ce qui est, à la compréhension de ce qu'est chacun des êtres. Car « être » signifie « être quelque chose » et donc être différent des choses qui sont « autre chose » : « être » signifie donc « faire partie » (p. 122).

19 Pour une défense du concept de nature, voir Alvin Plantinga, The Nature of Necessity (Oxford : Clarendon Press, 1974), pp. 71-81.

20 Voir H.W.B. Joseph, An Introduction to Logic, 2e éd. rév. (Oxford : Clarendon Press, 1916), pp. 407-9. Pour une défense musclée de l'idée que la causalité établit une relation nécessaire entre les entités, voir R. Harre et E. H. Madden, Causal Powers: A Theory of Natural Necessity (Totowa, N.J. : Rowman and Littlefield, 1975).

21 Voir Murray N. Rothbard, Individualism and the Philosophy of the Social Sciences (San Francisco : Cato Institute, 1979), p. 5.

22 Et il y a un autre point : l'existence même d'une divergence d'opinion semble impliquer qu'il existe quelque chose d'objectif sur lequel un désaccord peut avoir lieu ; sinon, il n'y aurait pas de contradictions entre les différentes « opinions » et aucune inquiétude quant à ces conflits. Pour un argument similaire réfutant le subjectivisme moral, voir G.E. Moore, Ethics (Oxford, 1963 [1912]), pp. 63ff.

23Le psychologue Leonard Carmichael, dans « Absolutes, Relativism and the Scientific Psychology of Human Nature », dans H. Schoeck et J. Wiggins, éd., Relativism and the Study of Man (Princeton, N.J. : 1). Van Nostrand, 1961), p. 16, écrit :
Nous ne nous détournons à aucun moment de ce que nous savons de l'astronomie parce qu'il y a beaucoup de choses que nous ignorons ou parce qu'une grande partie de ce que nous pensions savoir n'est plus reconnue comme vraie. Le même argument ne pourrait-il pas être accepté dans notre réflexion sur les jugements éthiques et esthétiques ?

24Joseph Cropsey, « A Reply to Rothman », American Political Science Review (juin 1962) : 355. Comme l'écrit Henry Veatch dans For an Ontology of Morals, pp. 7-8 :
De plus, c'est en vertu de la nature d'une chose, c'est-à-dire du fait qu'elle est ce qu'elle est, qu'elle agit et se comporte comme elle le fait. N'est-ce pas également en vertu de la nature d'une chose que nous nous considérons souvent capables de juger ce que cette chose pourrait être, mais n'est peut-être pas ? Une plante, par exemple, peut être considérée comme sous-développée ou rabougrie dans sa croissance. Un oiseau blessé à l'aile n'est manifestement pas capable de voler aussi bien que les autres oiseaux de la même espèce... C'est ainsi que la nature d'une chose peut être considérée non seulement comme ce qui fait qu'elle agit ou se comporte comme elle le fait, mais aussi comme une sorte de norme à l'aune de laquelle nous jugeons si l'action ou le comportement de cette chose est tout ce qu'elle aurait pu ou aurait dû être.

25 Pour une approche similaire de la signification du bien, voir Peter Geach, « Good and Evil », dans Philippa R. Foot, éd., Theories of Ethics (Londres : Oxford University Press, 1967), pp. 74-82.

26Contraste avec John Wild, dans « Natural Law and Modern Ethical Theory », Ethics (octobre 1952) : 2, qui dit :
L'éthique réaliste repose sur la distinction fondamentale entre les besoins humains et les désirs ou plaisirs individuels non critiqués, distinction qui n'existe pas dans l'utilitarisme moderne. Les concepts fondamentaux des théories dites « naturalistes » sont psychologiques, tandis que ceux du réalisme sont existentiels et ontologiques.

27William J. Kenealy, S.J., « The Majesty of the Law », Loyola Law Review (1949-1950) : 112-113 ; réimprimé dans Brendan F. Brown, éd., The Natural Law Reader (New York : Oceana, 1960), p. 123.

28Blackstone, Commentaries on the Laws of England, livre 1 : cité dans Brown, Natural Law Reader, p. 106.

29Carmichael, « Absolutes », p. 9. 

30Wild, « Natural Law », pp. 4-5. Wild poursuit à la page 11 :
L'existence n'est pas une propriété, mais une activité structurée. Ces activités sont une sorte de fait. Elles peuvent être observées et décrites par des jugements qui sont vrais ou faux : la vie humaine a besoin d'artefacts matériels ; les efforts technologiques ont besoin d'une orientation rationnelle ; l'enfant a des facultés cognitives qui ont besoin d'être éduquées. Les déclarations de valeur sont fondées sur le fait directement vérifiable de la tendance ou du besoin. La valeur ou la réalisation n'est pas seulement requise par nous, mais aussi par la tendance existante à son accomplissement. À partir d'une description et d'une analyse solides de la tendance donnée, nous pouvons déduire la valeur qui en découle. C'est pourquoi nous ne disons pas que les principes moraux sont de simples déclarations de faits, mais plutôt qu'ils sont « fondés » sur des faits.
Aux pages 2 à 4, Wild dit :
L'éthique de la loi naturelle [...] reconnaît les lois morales prescriptives, mais affirme qu'elles sont fondées sur des faits tendanciels qui peuvent être décrits [...]. La bonté [...] doit [...] être conçue de manière dynamique comme un mode existentiel, la réalisation d'une tendance naturelle. Dans cette perspective, le monde n'est pas constitué uniquement de structures déterminées, mais de structures déterminées dans un acte d'existence qu'elles déterminent vers d'autres actes d'existence appropriés [...] Aucune structure déterminée ne peut exister sans tendances actives déterminées. Lorsqu'une telle tendance se réalise conformément à la loi naturelle, l'entité est dite être dans un état stable, sain ou solide — adjectifs de valeur. Lorsqu'elle est entravée ou déformée, l'entité est dite instable, malade ou malsaine, adjectifs de dévalorisation. Le bien et le mal, dans leur sens ontologique, ne sont pas des phases d'une structure abstraite, mais plutôt des modes d'existence, des façons dont les tendances existentielles déterminées par ces structures sont soit satisfaites, soit à peine maintenues dans un état déficient et déformé.

31Ibid., p. 12. Pour plus d'informations sur la défense de l'éthique du droit naturel, voir John Wild, Plato's Modern Enemies and the Theory of Natural Law (Chicago : University of Chicago Press, 1953) ; Henry Veatch, Rational Man: A Modern Interpretation of Aristotelian Ethics (Bloomington : University of Indiana Press, 1962) ; et Veatch, For An Ontology of Morals.

32 Hume n'a en fait pas réussi à prouver que les valeurs ne peuvent pas être dérivées des faits. On prétend souvent que rien ne peut figurer dans la conclusion d'un argument qui ne figurait pas dans l'une des prémisses et que, par conséquent, une conclusion « devoir » ne peut découler de prémisses descriptives. Mais une conclusion découle des deux prémisses prises ensemble ; le « devoir » n'a pas besoin d'être présent dans l'une ou l'autre des prémisses tant qu'il a été valablement déduit. Dire qu'elle ne peut être déduite de cette manière revient simplement à éluder la question. Voir Philippa R. Foot, Virtues and Vices (Berkeley : University of California Press, 1978), pp. 99-105.

33A. Kenneth Hesselberg, « Hume, Natural Law and Justice », Duquesne Review (printemps 1961) : 46-47.

34 Ibid.

35David Hume, Traité de la nature humaine, cité dans Hesselberg, « Hume, Natural Law, and Justice », p. 61. Hesselberg ajoute avec perspicacité que la dichotomie nette entre le devoir et l'être dans les premiers chapitres du Traité de Hume découle du fait qu'il limite la signification du terme « raison » à la recherche des objets de plaisir et de douleur, et à la détermination des moyens pour les atteindre. Mais, dans les derniers chapitres consacrés à la justice, la nature même du concept a contraint Hume « à attribuer un troisième rôle à la raison, à savoir son pouvoir de juger les actions en fonction de leur adéquation, ou de leur conformité ou non-conformité, à la nature sociale de l'homme, ouvrant ainsi la voie au retour à un concept de justice fondé sur le droit naturel ». Ibid., p. 61-62.
Pour ceux qui doutent que Hume lui-même ait eu l'intention d'affirmer la dichotomie entre les faits et les valeurs, voir A.C. MacIntyre, « Hume on “Is” and 'Ought », dans W.D. Hudson, éd., The Is-Ought Question (Londres : Macmillan, 1969), pp. 35-50.

36George P. Grant, « Plato and Popper », The Canadian Journal of Economics and Political Science (mai 1954) : 191-92.

37 Edwin W. Patterson, Jurisprudence Men and Ideas of the Law (Brooklyn, N.Y. : Foundation Press, 1953), p. 333.

38 La réaction de Hazlitt à ma brève discussion sur les normes juridiques essentielles à toute économie de marché libre [dans Man, Economy, and State: A Treatise on Economic Principles (Princeton, N.J. : D. Van Nostrand, 1962]) fut pour le moins curieuse. Tout en critiquant l'adhésion aveugle à la common law chez d'autres auteurs, Hazlitt ne pouvait que réagir avec perplexité à mon approche ; la qualifiant de « logique doctrinaire abstraite » et d'« a priori extrême », il me reprocha « d'essayer de substituer sa propre jurisprudence instantanée aux principes de la common law élaborés au fil de générations d'expérience humaine ». Il est curieux que Hazlitt considère la common law comme inférieure à la volonté arbitraire de la majorité, mais supérieure à la raison humaine ! Henry Hazlitt, « The Economics of Freedom », National Review (25 septembre 1962) : 232.

39John Edward Emerich Dalberg-Acton, Essays on Freedom and Power (Glencoe, Ill. : Free Press, 1948), p. 45. Voir également Gertrude Himmelfarb, Lord Acton: A Study in Conscience and Politics (Chicago : University of Chicago Press, 1962), p. 135.

40Acton, Essays, p. 74. Himmelfarb a correctement noté que « pour Acton, la politique était une science, l'application des principes de la moralité ». Gertrude Himmelfarb, « Introduction », ibid., p. xxxvii

41Himmelfarb, Lord Acton, p. 204. Comparez cette exclamation de perplexité et d'horreur avec celle du principal conservateur allemand du XIXe siècle, Adam Muller : « Une loi naturelle qui diffère de la loi positive ! » Voir Robert W. Lougee, « German Romanticism and Political Thought », Review of Politics (octobre 1959) : 637.

42Himmelfarb, Lord Acton, p. 205.

43 John Wild, Plato's Modern Enemies and the Theory of Natural Law (Chicago : University of Chicago Press, 1953), p. 176. Notez l'évaluation similaire du conservateur Otto Gierke, dans Natural Law and the Theory of Society, 1500 to 1800 (Boston : Beacon Press, 1957), pp. 35-36, qui était pour cette raison hostile à la loi naturelle :
Contrairement à la jurisprudence positive qui continuait à afficher une tendance conservatrice, la théorie de l'État fondée sur la loi naturelle était radicale dans son essence même... Elle ne visait pas non plus à fournir une explication scientifique du passé, mais à exposer et à justifier un nouvel avenir qui devait voir le jour.

44George S. Parthemos, « Contemporary Juristic Theory, Civil Rights, and American Politics », Annals of the American Academy of Political and Social Science (novembre 1962) : 101-2.

45Le politologue conservateur Samuel Huntington reconnaît le caractère exceptionnel de cet événement :
Aucune théorie idéologique ne peut être utilisée pour défendre de manière satisfaisante les institutions existantes, même lorsque ces institutions reflètent globalement les valeurs de cette idéologie. La nature parfaite de l'idéal de l'idéologie et la nature imparfaite et la mutation inévitable des institutions créent un fossé entre les deux. L'idéal devient une norme permettant de critiquer les institutions, au grand embarras de ceux qui croient en l'idéal et souhaitent néanmoins défendre les institutions. Huntington ajoute ensuite la note de bas de page suivante : « Par conséquent, toute théorie du droit naturel en tant qu'ensemble de principes moraux transcendants et universels est intrinsèquement non conservatrice... L'opposition au droit naturel [est]... une caractéristique distinctive du conservatisme. » Samuel P. Huntington, « Conservatism as an Ideology », American Political Science Review (juin 1957) : 458-459. Voir également Murray N. Rothbard, « Huntington on Conservatism: A Comment », American Political Science Review (septembre 1957) : 784-787.

46 Pour une critique de cette confusion typique par un thomiste moderne, voir Murray N. Rothbard, Power and Market, 2e éd. (Kansas City : Sheed Andrews and McMeel, 1977), pp. 237-238. La défense par Leo Strauss du droit naturel classique et son attaque contre la théorie individualiste des droits naturels se trouvent dans son ouvrage Natural Rights and History (Chicago : University of Chicago Press, 1953).

47John Locke, An Essay Concerning the True Origin, Extent, and End of Civil Government, V. pp. 27-28, dans Two Treatises of Government, P. Laslett, éd. (Cambridge : Cambridge University Press, 1960), pp. 305-7.

48 Les chercheurs actuels, qu'ils soient marxistes ou straussiens, considèrent Thomas Hobbes plutôt que Locke comme le fondateur de la théorie systématique individualiste des droits naturels. Pour une réfutation de ce point de vue et une justification de l'ancienne conception de Hobbes comme étatiste et totalitaire, voir Williamson M. Evers, « Hobbes and Liberalism », The Libertarian Forum (mai 1975) : 4-6 [disponible en PDF]. Voir également Evers, « Social Contract: A Critique », The Journal of Libertarian Studies 1 (été 1977) : 187-88 [disponible en PDF]. Pour une mise en avant de l'absolutisme de Hobbes par un théoricien politique allemand pro-hobbesien, voir Carl Schmitt, Der Leviathan in der Staatslehre Thomas Hobbes (Hambourg, 1938). Schmitt a été pendant un certain temps un théoricien pro-nazi.

49Francis Lieber, Manuel d'éthique politique (1838) ; Theodore Woolsey, Science politique (1877) ; cité dans Benjamin F. Wright, Jr., Interprétations américaines du droit naturel (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1931), pp. 261ff., 255ff., 276ff. William Ellery Channing, Œuvres (Boston : American Unitarian Association, 1895), p. 693.

50Elisha P. Hurlbut, Essays on Human Rights and Their Political Guarantees (1845), cité dans Wright, American Interpretations, pp. 257ff.

51Voir Bernard Bailyn, The Ideological Origins of the American Revolution (Cambridge, Mass. : Belknap Press of Harvard University Press, 1967).

52William Lloyd Garrison, « Declaration of Sentiments of the American Anti-Slavery Convention » (décembre 1833), cité dans W. et J. Pease, éd., The Antislavery Argument (Indianapolis : Bobbs-Merrill, 1965).

53 James A. Sadowsky, S.J., « Private Property and Collective Ownership », dans Tibor Machan, éd., The Libertarian Alternative (Chicago : Nelson-Hall, 1974), pp. 120-121.

54 Hurlbut, cité dans Wright, American Interpretations, pp. 257 et suivantes.

55 Cf. W. Zajdlic, « The Limitations of Social Sciences », Kyklos 9 (1956) : 68-71.

56 Ainsi, comme le souligne Thorson, la philosophie politique est une subdivision de la philosophie éthique, contrairement à la « théorie politique » et à la philosophie analytique positiviste. Voir Thomas Landon Thorson, « Political Values and Analytic Philosophy », Journal of Politics (novembre 1961) : 712n. Le professeur Holton a peut-être raison de dire que « le déclin de la philosophie politique s'inscrit dans un déclin général », non seulement de la philosophie elle-même, mais aussi « du statut de la rationalité et des idées en tant que telles ». Holton ajoute que les deux principaux défis auxquels a été confrontée la philosophie politique authentique au cours des dernières décennies proviennent de l'historicisme — la conception selon laquelle toutes les idées et toutes les vérités sont relatives à des conditions historiques particulières — et du scientisme, l'imitation des sciences physiques. James Holton, « Is Political Philosophy Dead? », Western Political Quarterly (septembre 1961) : 75ff.
Powered By Blogger