Anselme Bellegarrigue
La plupart des révolutionnaires qui se sont tournés vers l'anarchisme après 1848 l'ont fait a posteriori, mais un homme au moins, indépendamment de Proudhon, a défendu l'attitude libertaire durant l'Année des Révolutions elle-même. « L'anarchie, c'est l'ordre ; le gouvernement, c'est la guerre civile. » C'est sous ce slogan, aussi volontairement paradoxal que ceux de Proudhon, qu'Anselme Bellegarrigue fit sa brève et obscure apparition dans l'histoire anarchiste. Bellegarrigue semble avoir reçu une certaine éducation, mais on sait peu de choses de sa vie avant la veille de 1848 ; il revint à Paris le 23 février d'un voyage aux États-Unis, où il avait rencontré le président Polk sur un bateau à vapeur du Mississippi et avait développé une admiration pour les aspects les plus individualistes de la démocratie américaine. Selon son propre témoignage, il fut aussi peu impressionné que Proudhon par la révolution qui éclata le matin de son retour à Paris. Un jeune garde national, posté devant l'Hôtel de Ville, se vanta auprès de Bellegarrigue que, cette fois, on ne volerait pas la victoire aux ouvriers. « On vous l'a déjà volée », répliqua Bellegarrigue. « N'avez-vous pas formé de gouvernement ? »
Bellegarrigue semble avoir quitté Paris très peu de temps après, car, plus tard dans l'année, il publia à Toulouse la première de ses œuvres qui nous soit parvenue, une brochure intitulée Au Fait ! Au Fait ! Interprétation de l'Idée Démocratique ; l'épigraphe, en anglais, se lit comme suit : « Un peuple est toujours trop gouverné. » Durant l'année 1849, Bellegarrigue écrivait des articles attaquant la République dans le journal toulousain La Civilisation, mais, début 1850, il s'était installé dans le petit village de Mézy, près de Paris, où, avec quelques amis ayant formé une Association des Libres Penseurs, il tenta de fonder une communauté vouée à la propagande libertaire et au bio. Leurs activités, en apparence inoffensives, attirèrent bientôt l'attention de la police. L'un de leurs membres, Jules Cledat, fut arrêté, et la communauté se dispersa alors.
Bellegarrigue retourna à Paris, où il projeta de fonder une revue mensuelle consacrée à ses idées. Le premier numéro de L’Anarchie : Journal de l’Ordre parut en avril 1850 ; il s’agissait du premier périodique à adopter ouvertement l’étiquette anarchiste, et Bellegarrigue cumulait les fonctions de rédacteur en chef, de directeur et d’unique contributeur. Faute de moyens, L’Anarchie ne vit le jour que dans deux numéros, et bien que Bellegarrigue ait par la suite envisagé un Almanach de l’Anarchie, celui-ci ne semble pas avoir été publié. Peu après, cet insaisissable pionnier de la liberté disparut au fin fond de l’Amérique latine, où il aurait été enseignant au Honduras et même – brièvement – fonctionnaire au Salvador, avant de mourir – comme il était né – à une date et un lieu inconnus.
Bellegarrigue se situait, aux côtés de Stirner, à l’aile individualiste du courant anarchiste. Il se dissocia de tous les révolutionnaires politiques de 1848, et même de Proudhon, auquel il ressemblait par nombre de ses idées et dont il s'inspirait plus qu'il ne voulait l'admettre, il le traita avec peu de respect, concédant seulement qu'« il sort parfois de sa routine pour éclairer d'un jour nouveau les intérêts généraux ».
Parfois, Bellegarrigue s'exprimait en des termes d'égoïsme solipsiste. « Je nie tout ; je n'affirme que moi-même… Je suis, c'est un fait positif. Tout le reste est abstrait et relève du X mathématique, de l'inconnu… Il ne peut y avoir sur terre d'intérêt supérieur au mien, d'intérêt auquel je doive même le sacrifice partiel des miens. » Pourtant, en apparente contradiction, Bellegarrigue adhérait à la tradition anarchiste centrale dans son idée d'une société nécessaire et naturelle, dotée d'une « existence primordiale qui résiste à toutes les destructions et à toutes les désorganisations ». Bellegarrigue trouve l’expression de la société dans la commune, qui n’est pas une contrainte artificielle, mais un « organisme fondamental » et qui, pourvu que les dirigeants n’interviennent pas, est capable de concilier les intérêts des individus qui la composent. Il est dans l’intérêt de tous les hommes d’observer « les règles de l’harmonie providentielle », et c’est pourquoi tous les gouvernements, armées et bureaucraties doivent être supprimés. Cette tâche ne doit être accomplie ni par les partis politiques, qui chercheront toujours à dominer, ni par la révolution violente, qui a besoin de chefs comme toute autre opération militaire. Le peuple, une fois éclairé, doit agir par lui-même.
Elle fera sa propre révolution, par la seule force du droit, la force de l'inertie, le refus de coopérer. De ce refus découle l'abrogation des lois qui légalisent le meurtre et la proclamation de l'équité.
Cette conception de la révolution par la désobéissance civile suggère qu'en Amérique, Bellegarrigue a pu entrer en contact avec au moins les idées de Thoreau*, et l'on retrouve chez lui, à travers l'accent mis sur la possession comme garantie de liberté, une conception qu'il partageait bien sûr avec Proudhon, une anticipation de l'anarchisme individualiste américain. Sa vision de la progression de l'individu libre le place clairement en marge du courant collectiviste ou communiste de l'anarchisme.
Il travaille et donc il spécule ; il spécule et donc il gagne ; il gagne et donc il possède ; il possède et donc il est libre. Par la possession, il s'oppose par principe à l'État, car la logique de ce dernier exclut rigoureusement la possession individuelle.
George Woodcock (1912-1995)
Extrait de George Woodcock, Anarchisme : Histoire des idées et mouvements libertaires (New York : The World Publishing Company, 1962), p. 276-278.
© 1962 par The World Publishing Company
Anselme Bellegarrigue
Anselme Bellegarrigue est né le 23 mars 1813 à Monfort, dans le Gers, et il est mort le 31 janvier 1869 à San Salvador, au Salvador. Ces dates encadrent la vie d'un homme qui allait devenir une figure marquante de l'anarchisme individualiste au cours du XIXe siècle, prenant même des positions proches de l'anarcho-capitalisme. En 1850, il publie en quelques exemplaires, L'Anarchie, journal de l'ordre,
premier périodique explicitement anarchiste et y publie le premier
manifeste anarchiste. Il est quelquefois identifié comme un anarchiste
fédéraliste. Ce courant de pensée prône la décentralisation politique et
économique, favorisant la création de petites communautés autonomes.
L'anarchisme fédéraliste s'oppose aux structures hiérarchiques et
centralisées, préconisant plutôt une organisation sociale basée sur la
coopération volontaire et la solidarité.
Biographie
- . Enfance et formation. Les détails sur l'enfance et
l'éducation d'Anselme Bellegarrigue sont limités. Il est le fils de Jean
Joseph Bellegarrigue, un négociant, et de Thérèse Goulard, mariés en
1796. Il a fréquenté le lycée d'Auch pendant un certain temps. Après ses
études, il s'essaie à la poésie. Par la suite, il fonde à Toulouse La Mosaïque du Midi,
une revue qui traite d'histoire avec plus de pittoresque que
d'authenticité. Ce projet montre son intérêt pour la diffusion d'idées à
travers la publication écrite, un thème qui se poursuivra tout au long
de sa vie.
- . Voyages et éducation autodidacte. Entre 1846 et 1848,
Anselme Bellegarrigue entreprend un voyage en Amérique du Nord, visite
New York, Boston, La Nouvelle-Orléans et les Antilles. Ce périple, bien
que sans doute motivé par des intérêts personnels, ce périple contribue à
fonder ses convictions démocratiques, comme en témoignent ses
observations sur les bienfaits de la démocratie et de l'exercice des
libertés individuelles. Ces expériences marquent son opposition à
l'autorité excessive et au centralisme. Ces idées deviennent des
éléments clés de sa pensée anarchiste.
- . Retour en France et participation à la Révolution de 1848. Anselme Bellegarrigue revient en France le 21 février 1848, la veille des événements qui allaient déposer Louis-Philippe.
Son retour coïncide avec une période cruciale de l'histoire française
où les idées de changement et de réforme sociale étaient à leur apogée.
Malgré sa participation à la révolte, il ne manque pas de critiquer la
direction que prend le mouvement dès le lendemain du renversement de la
Monarchie de Juillet. Sa position non conventionnelle et sa critique des
partis politiques de la Seconde République reflètent sa vision radicale
et antiautoritaire. Au cours de cette période, il fréquente la Société
Républicaine Centrale, également connue sous le nom de Club Blanqui. Là,
il accuse les partis politiques d'avoir détourné la révolte populaire
vers plus d'autorité et de centralisme, exprimant ainsi son
mécontentement envers la « vermine des nations ».
- Révélation de sa pensée anarchiste. L'année 1848 marque
un tournant dans la vie d'Anselme Bellegarrigue, alors qu'il participe
activement à la Révolution française. Son engagement durant cette
période tumultueuse le place au cœur des événements qui ont conduit au
renversement de la Monarchie de Juillet. Cependant, ses positions
critiques vis-à-vis de la direction prise par le mouvement
révolutionnaire révèlent une perspective unique et non conformiste. En
tant que penseur anarchiste, il est l'auteur de plusieurs écrits
notables. Son journal, L'Anarchie, journal de l'ordre, est considéré comme le premier journal libertaire connu. Son pamphlet Au fait ! Au fait ! Interprétation de l'idée démocratique témoigne de ses réflexions profondes sur la démocratie et ses aspirations à un ordre social sans violence.
Idéologie et positions politiques anarchistes
- . Défense de l'individu. Anselme Bellegarrigue se
distingue par son ardente défense de l'individu. Sa vision anarchiste
repose sur le principe fondamental de l'autonomie individuelle,
considérant que l'émancipation de chaque personne est la clé de
l'émancipation collective. Il rejette toute forme de coercition et
d'autorité qui limiterait la liberté individuelle, affirmant que c'est
dans l'autodétermination que l'individu trouve sa pleine réalisation.
- . Promotion du municipalisme libertaire. Promoteur du municipalisme libertaire
avant que Michael Brochkin ne théorise le concept, Anselme
Bellegarrigue soutient la décentralisation politique et économique. Il
prône la création de petites communautés autonomes, affirmant que la
gouvernance locale permet une participation directe des citoyens aux
décisions qui les concernent. Cette approche s'inscrit dans sa quête
d'une société fondée sur la coopération volontaire et la solidarité, en
opposition aux structures hiérarchiques centralisées.
- . Opposition à la violence révolutionnaire. Contrairement
à certaines tendances révolutionnaires de son époque, Anselme
Bellegarrigue s'oppose fermement à la violence révolutionnaire. Il
critique les mesures autoritaires prises pendant la Révolution de 1848,
soulignant que toute mesure gouvernementale, même entreprise au nom du
progrès social, conduit inévitablement à l'asservissement d'un groupe
par un autre. Pour lui, l'anarchie représente l'ordre, tandis que l'État
engendre la guerre civile.
- . Critique des partis politiques de la Seconde République.
Anselme Bellegarrigue manifeste une profonde méfiance à l'égard des
partis politiques de la Seconde République. Il les accuse d'avoir
détourné la révolte populaire vers plus d'autorité et de centralisme,
les qualifiant de « vermine des nations ». Sa critique va au-delà de la
simple opposition à un gouvernement en place, elle remet en question le
concept même d'État, affirmant que toute révolution doit être la ruine,
non pas d'un gouvernement particulier, mais de l'État en général.
- . Concept d'anarchie comme ordre et rejet de l'État. Pour
Anselme Bellegarrigue, l'anarchie n'est pas synonyme de chaos, mais
plutôt d'ordre. Il voit dans l'autodétermination individuelle et la
coopération volontaire la base d'une société harmonieuse. Son concept
d'anarchie est profondément lié à la notion de refus de l'État, qu'il
considère comme source de conflits et d'oppressions. Dans ses écrits, il
exprime l'idée que là où personne n'obéit, personne ne commande,
soulignant ainsi son rejet radical de l'autorité étatique.
L'ensemble de ces principes constitue la trame idéologique d'Anselme
Bellegarrigue, caractérisée par un individualisme radical, un
municipalisme libertaire décentralisateur, une aversion pour la violence
révolutionnaire, une critique féroce des partis politiques
conventionnels, et enfin, une conception particulière de l'anarchie en
tant qu'ordre sans État. Ces convictions font de lui une figure
emblématique du mouvement anarchiste du XIXe siècle.
Philosophie anarchiste d'Anselme Bellegarrigue
Ces éléments illustrent la singularité de la pensée anarchiste
d'Anselme Bellegarrigue et sa contribution à l'évolution des idées
individualistes au sein du mouvement anarchiste.
- . Défense de l'individualisme et du subjectivisme moral.
Anselme Bellegarrigue place l'individu au cœur de sa philosophie
anarchiste, mettant en avant l'importance de l'autonomie et de la
liberté individuelle. Son engagement en faveur de l'individualisme se
traduit par une confiance profonde dans les capacités et les choix
personnels de chacun. Contrairement à certaines figures majeures de
l'anarchisme comme Proudhon et Stirner, Bellegarrigue s'aligne plutôt sur les idées de Gustave de Molinari.
Son attachement à l'individualisme et son rejet des structures
coercitives le rapprochent davantage de la pensée libérale classique de
Molinari. Il se distingue en rejetant les idées de Pierre-Joseph
Proudhon, notamment sur le sujet du droit de propriété.
- . Parallèle avec Ayn Rand et son concept d'égoïsme vertueux.
La pensée d'Anselme Bellegarrigue présente des similitudes avec le
concept d'égoïsme vertueux d'Ayn Rand, une philosophe individualiste
contemporaine. Il affirme l'égoïsme comme une vertu, position qui le
place en marge des courants de pensée plus collectivistes au sein de
l'anarchisme. L'idée selon laquelle l'égoïsme peut être une force
positive, contribuant à la grandeur individuelle, émerge comme un point
commun entre les deux penseurs.
Citation illustrant son rejet de l'abnégation et sa conception de
l'individualisme.
> « L'abnégation, c'est l'esclavage, l'avilissement, l'abjection ;
c'est le roi, c'est le gouvernement, c'est la tyrannie, c'est la lutte,
c'est la guerre civile. L'individualisme, au contraire, c'est
l'affranchissement, la grandeur, la noblesse ; c'est l'homme, c'est le
peuple, c'est la liberté, c'est la fraternité, c'est l'ordre. »
- . Opposition à un État central et à toute autorité supérieure.
Bellegarrigue se positionne résolument contre l'établissement d'un État
centralisé et rejette toute forme d'autorité supérieure. Sa vision
anarchiste prône une société où les individus jouissent d'une
souveraineté maximale, libérés de l'entrave d'une autorité coercitive.
Sa vision démocratique est singulière dans le sens où elle exclut tout
gouvernement centralisé. Il imagine une démocratie où les individus
participent de manière volontaire à l'administration locale, favorisant
ainsi une souveraineté individuelle maximale.
- . Concept d'intérêt général lié à la multiplication des intérêts individuels.
Il développe l'idée que l'intérêt général ne peut être complet que si
les intérêts individuels demeurent intacts. Pour lui, la société
fonctionne de manière optimale lorsque chaque individu poursuit ses
propres intérêts, créant ainsi une somme d'intérêts individuels
contribuant à l'intérêt collectif.
Il emprunte sa conception de l'intérêt général à la pensée économique
d'Adam Smith en soulignant que l'intérêt général est atteint lorsque
les intérêts privés restent intacts. Cette conception se distingue des
visions collectivistes qui considèrent souvent les intérêts individuels
comme opposés à l'intérêt général.
Activités militantes et associatives
- . Fondation de l'Association des libres penseurs. En 1849,
Anselme Bellegarrigue fonde l'Association des libres penseurs à Mézy,
près de Meulan. Cette organisation témoigne de son engagement militant
en faveur de la liberté de pensée et d'expression. Aux côtés d'amis de
sa région, dont Ulysse Pic (également connu sous le nom de Pic Dugers)
et Joseph Noulens, il établit ce groupe dans le but de publier des
pamphlets anarchistes. L'Association des libres penseurs incarnait son
désir de créer un espace où les idées non conventionnelles pouvaient
être partagées et discutées. Les activités de ce groupe ont été freinées
par les arrestations de plusieurs de ses membres, ce qui a finalement
conduit à la cessation de leurs activités.
- . Activités à Mézy près de Meulan. La localité de Mézy,
près de Meulan, devient un centre d'activités pour Bellegarrigue et ses
compagnons. Là, ils se réunissent, partagent leurs idées, et élaborent
des pamphlets anarchistes. Cette période reflète l'effervescence
intellectuelle et l'engagement actif de Bellegarrigue dans la diffusion
de ses idées anti-autoritaires. Le choix de Mézy comme lieu d'activité
militante souligne peut-être également la volonté de s'éloigner des
centres urbains où la répression gouvernementale était potentiellement
plus intense. Cependant, malgré cette précaution, les autorités
finissent par intervenir, entravant ainsi les activités du groupe.
- . Arrestations et cessation des activités anarchistes.
Les arrestations de plusieurs membres de l'Association marquent un
tournant dans les activités anarchistes de Bellegarrigue. Les membres
sont emprisonnés, ce qui entraîne progressivement la cessation de leurs
activités. Cette période de répression et d'arrestations met en lumière
les défis auxquels étaient confrontés les anarchistes du XIXe
siècle en France. La réaction des autorités a non seulement mis fin à
l'effervescence militante de Bellegarrigue à Mézy, mais a également
souligné les obstacles rencontrés par ceux qui prônaient des idées
radicales et anti-autoritaires.
Bien que brève, l'histoire de l'Association des libres penseurs
illustre le climat politique tendu de l'époque et les difficultés
rencontrées par les militants anarchistes pour faire entendre leurs voix
dans un contexte répressif. Malgré la cessation des activités du
groupe, l'héritage de Bellegarrigue a perduré à travers ses écrits et
son impact sur le mouvement anarchiste.
Départ définitif de la France et installation au Salvador
À l'époque de l'établissement du Second Empire en France, Anselme
Bellegarrigue a décidé de partir en Amérique. Ses voyages l'ont conduit
d'abord au Honduras, où, selon Max Nettlau, il aurait enseigné. Par la
suite, il a occupé des fonctions de ministre plénipotentiaire
représentant le Salvador à Paris. Le départ définitif en Amérique
reflète sa mobilité géographique et sa participation à des activités
variées, même en dehors de la sphère éditoriale.
- . Motifs du départ incertains. Vers 1859,
Anselme Bellegarrigue quitte définitivement la France. Les raisons
précises de son départ ne sont pas clairement établies, mais il est
possible que des pressions politiques et les conséquences de son
engagement anarchiste aient joué un rôle. La répression gouvernementale,
les arrestations, et les difficultés rencontrées par les militants
anarchistes de l'époque peuvent avoir poussé Bellegarrigue à chercher
refuge ailleurs.
- . Accueil au Salvador. Anselme Bellegarrigue trouve
refuge et accueil au Salvador. Il y bénéficie d'une certaine tolérance
politique qui lui permet d'échapper aux persécutions qu'il aurait pu
subir en France. Le Salvador offre un nouvel environnement propice à la
poursuite de ses idées et à la liberté d'expression qu'il a toujours
défendue.
- . Fondation d'une Faculté de droit à l'université nationale.
Au Salvador, Bellegarrigue s'implique activement dans le domaine de
l'éducation. Il fonde une faculté de droit au sein de l'université
nationale du Salvador. Cette initiative témoigne de son engagement en
faveur de la diffusion des connaissances et de son désir de contribuer à
la formation intellectuelle dans son nouveau lieu de résidence. La
création d'une faculté de droit peut également être interprétée comme
une expression de sa vision politique. En promouvant l'éducation
juridique, Bellegarrigue cherchait à renforcer les connaissances et la
compréhension des principes juridiques dans la société salvadorienne,
contribuant ainsi à la promotion de la justice et de la liberté
individuelle.
Publications anarchistes d'Anselme Bellegarrigue
Ses publications et engagements témoignent de la vie active et
polyvalente d'Anselme Bellegarrigue en tant qu'éditeur, écrivain, et
penseur anarchiste au cours de la seconde moitié du XIXe
siècle. Anselme Bellegarrigue s'est impliqué dans divers projets
éditoriaux, collaborant avec des figures telles que Ulysse Pic et Jean
Mouton. Ensemble, ils ont édité des publications engagées, notamment Le Dieu des riches et le Dieu des pauvres ainsi que Jean Mouton et le percepteur. Sa participation à La Civilisation, un quotidien édité à partir de mars 1849, reflète ses premiers engagements dans la diffusion de ses idées anarchistes.
- . L'Anarchie, journal de l'ordre. En avril 1850, Anselme Bellegarrigue lance L'Anarchie, journal de l'ordre,
un jalon important dans l'histoire du mouvement anarchiste. Le choix du
titre, souvent perçu comme contradictoire à l'idée traditionnelle
d'anarchie, reflète la vision particulière de Bellegarrigue, qui
considère l'anarchie comme un ordre naturel et non comme le chaos. L'Anarchie
est le premier journal libertaire et libertarien connu. Son objectif
était de promouvoir les idées anarchistes, défendre la liberté
individuelle et critiquer les structures gouvernementales. Sa ligne
éditoriale était radicalement anti-autoritaire, s'opposant aux formes de
coercition et d'oppression. Bellegarrigue y exprimait sa conviction que
l'anarchie était l'ordre naturel de la société, rejetant ainsi les
États et les institutions qui limitent la liberté individuelle. Au sein
de l'Association des libres penseurs, Bellegarrigue a rédigé un article
intitulé « L'anarchie, c'est l'ordre » pour le numéro du 3 avril 1850 de
La Voix du Peuple. Malheureusement, cet exemplaire n'a pas été publié.
- . Autres pamphlets anarchistes. Outre L'Anarchie,
Anselme Bellegarrigue a contribué à d'autres publications. Ses écrits
ont trouvé leur place dans des revues et journaux partageant des idées
similaires, élargissant ainsi la portée de ses convictions
anti-autoritaires. Les pamphlets et articles d'Anselme Bellegarrigue
reflètent ses positions idéologiques profondes. Il y défendait la
primauté de l'individu, prônait la décentralisation politique,
critiquait la violence révolutionnaire et remettait en question la
légitimité des États. Son langage incisif et sa rhétorique passionnée
ont contribué à façonner le discours anarchiste de l'époque. La première
œuvre notable d'Anselme Bellegarrigue,
- . Au fait ! Au fait ! Interprétation de l'idée démocratique à Toulouse,
a été publiée entre octobre et décembre 1848. Cette période coïncide
avec les bouleversements politiques et sociaux qui ont marqué la
Révolution de 1848 en France. Son ouvrage reflète les idées
démocratiques de l'époque et établit les bases de sa pensée anarchiste
émergente.
- . Le Baron de Camebrac et Les Femmes d'Amérique. Dès 1851, Bellegarrigue a entrepris l'écriture de Le Baron de Camebrac, un roman publié sous forme d'extraits jusqu'en 1854. Parallèlement, il a rédigé Les Femmes d'Amérique,
essai dans lequel il partage ses observations de la société américaine.
Ces travaux témoignent de sa diversité littéraire et de son engagement à
explorer des formes différentes pour communiquer ses idées.
En 1851, Bellegarrigue a contribué aussi à l'élaboration de 'L'Almanach de la Vile Multitude, démontrant son engagement continu dans la production intellectuelle et éditoriale. Malheureusement, son projet ultérieur, L'Almanach de l'Anarchisme pour 1852, n'a pas vu le jour en raison du coup d'État du 2 décembre 1851.
Anselme Bellegarrigue a abordé des notions avant-gardistes telles que la désobéissance civile
et la servitude volontaire, jetant ainsi les bases de concepts qui
allaient influencer d'autres penseurs anarchistes ultérieurs. Bien que
parfois controversés, ses écrits ont laissé une empreinte sur le
mouvement anarchiste du XIXe siècle, contribuant à la formulation et à la diffusion d'idées anti-autoritaires qui perdurent encore aujourd'hui.
Informations complémentaires
Publications
- 1853, "Les Femmes d’Amérique", Paris: Blanchard
Littérature secondaire
- 2012, Michel Perraudeau, "Anselme Bellegarrigue - Le premier des libertaires", Éditions Libertaires
Citations
- Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il y avait des tyrans ? Eh
bien ! vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves : là où nul
n’obéit, personne ne commande.
- Qui dit gouvernement, dit négation du peuple
- Qui dit négation du peuple, dit affirmation de l'autorité politique
- Qui dit affirmation de l'autorité politique, dit dépendance individuelle
- Oui dit dépendance individuelle, dit suprématie de caste
- Qui dit suprématie de caste, dit inégalité
- Qui dit inégalité, dit antagonisme
- Qui dit antagonisme, dit guerre civile
- Donc qui dit gouvernement, dit guerre civile
- […] Oui, l'anarchie c'est l'ordre ; car le gouvernement, c'est la guerre civile.
- Quand vous demandez la liberté
au gouvernement, la niaiserie de votre demande lui apprend aussitôt que
vous n'avez aucune notion de votre droit ; votre pétition est le fait
d'un subalterne, vous avouez votre infériorité ; vous constatez sa
suprématie et le gouvernement profite de votre ignorance et il se
conduit à votre égard comme on doit se conduire à l'égard des aveugles,
car vous êtes des aveugles.
- Les partis
sont la vermine des nations, et il importe de ne pas oublier que c'est
aux prétentions diverses de ces religionnaires politiques que nous
devons de marcher par saccades de révolutions en insurrections, et
d'insurrections en état de siège, pour aboutir périodiquement à
l'inhumation des morts, et au paiement des factures révolutionnaires qui
sont les primes accordées par l'imbécillité de tous à l'audace de
quelques-uns.
- Convaincu comme nous le sommes et comme l’expérience et la
succession des temps nous ont forcé de l’être, que la politique,
théologie nouvelle, est une basse intrigue, un art de roués, une
stratégie de caverne, une école de vol et d’assassinat ; persuadé que
tout homme qui fait métier de politique, à titre offensif ou défensif,
c’est-à-dire comme gouvernant ou opposant, en qualité de directeur ou de
critique, n’a pour objet que de s’emparer du bien d’autrui par l’impôt
ou la confiscation et se trouve prêt à descendre dans la rue, d’une part
avec ses soldats, de l’autre avec ses fanatiques, pour assassiner
quiconque voudra lui disputer le butin ; parvenu à savoir, par
conséquent, que tout homme politique est, à son insu, sans doute, mais
effectivement, un voleur et un assassin ; sûr comme du jour qui nous
éclaire que toute question politique est une question abstraite, tout
aussi insoluble et, partant, non moins oiseuse et non moins stupide
qu’une question de théologie, nous nous séparons de la politique avec le
même empressement que nous mettrions à nous affranchir de la solidarité
d’un méfait.
- Mais quand bien même tout le peuple français consentirait à
vouloir être gouverné dans son instruction, dans son culte, dans son
crédit, dans son industrie, dans son art, dans son travail, dans ses
affections, dans ses goûts, dans ses habitudes, dans ses mouvements, et
jusque dans son alimentation, je déclare qu’en droit, son esclavage
volontaire n’engage pas plus ma responsabilité que sa bêtise ne
compromet mon intelligence. Et si, en fait, sa servitude s’étend sur moi
sans qu’il me soit possible de m’y soustraire, s’il est notoire, comme
je n’en saurais douter, que la soumission de six, sept ou huit millions
d’individus à un ou plusieurs hommes entraîne ma soumission propre à ce
même ou à ces mêmes hommes, je défie qui que ce soit de trouver dans cet
acte autre chose qu’un guet-apens, et j’affirme que, dans aucun temps,
la barbarie d’aucun peuple n’a exercé sur la terre un brigandage mieux
caractérisé. Voir, en effet, une coalition morale de huit millions de
valets contre un homme libre est un spectacle de lâcheté contre la
sauvagerie de laquelle on ne saurait invoquer la civilisation sans la
ridiculiser ou la rendre odieuse aux yeux du monde.
- Séparez-vous de la politique qui mange les peuples et appliquez votre activité aux affaires qui les nourrissent et les enrichissent. Souvenez-vous que la richesse et la liberté sont solidaires comme sont solidaires la servitude et l’indigence. Tournez le dos au gouvernement, le dédain tue les gouvernements, car la lutte seule les fait vivre.
Liens externes
https://www.wikiberal.org/wiki/Anselme_Bellegarrigue