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novembre 24, 2025

Anselme Bellegarrigue

Anselme Bellegarrigue

La plupart des révolutionnaires qui se sont tournés vers l'anarchisme après 1848 l'ont fait a posteriori, mais un homme au moins, indépendamment de Proudhon, a défendu l'attitude libertaire durant l'Année des Révolutions elle-même. « L'anarchie, c'est l'ordre ; le gouvernement, c'est la guerre civile. » C'est sous ce slogan, aussi volontairement paradoxal que ceux de Proudhon, qu'Anselme Bellegarrigue fit sa brève et obscure apparition dans l'histoire anarchiste. Bellegarrigue semble avoir reçu une certaine éducation, mais on sait peu de choses de sa vie avant la veille de 1848 ; il revint à Paris le 23 février d'un voyage aux États-Unis, où il avait rencontré le président Polk sur un bateau à vapeur du Mississippi et avait développé une admiration pour les aspects les plus individualistes de la démocratie américaine. Selon son propre témoignage, il fut aussi peu impressionné que Proudhon par la révolution qui éclata le matin de son retour à Paris. Un jeune garde national, posté devant l'Hôtel de Ville, se vanta auprès de Bellegarrigue que, cette fois, on ne volerait pas la victoire aux ouvriers. « On vous l'a déjà volée », répliqua Bellegarrigue. « N'avez-vous pas formé de gouvernement ? » 
 
 

 
Bellegarrigue semble avoir quitté Paris très peu de temps après, car, plus tard dans l'année, il publia à Toulouse la première de ses œuvres qui nous soit parvenue, une brochure intitulée Au Fait ! Au Fait ! Interprétation de l'Idée Démocratique ; l'épigraphe, en anglais, se lit comme suit : « Un peuple est toujours trop gouverné. » Durant l'année 1849, Bellegarrigue écrivait des articles attaquant la République dans le journal toulousain La Civilisation, mais, début 1850, il s'était installé dans le petit village de Mézy, près de Paris, où, avec quelques amis ayant formé une Association des Libres Penseurs, il tenta de fonder une communauté vouée à la propagande libertaire et au bio. Leurs activités, en apparence inoffensives, attirèrent bientôt l'attention de la police. L'un de leurs membres, Jules Cledat, fut arrêté, et la communauté se dispersa alors.
 
Bellegarrigue retourna à Paris, où il projeta de fonder une revue mensuelle consacrée à ses idées. Le premier numéro de L’Anarchie : Journal de l’Ordre parut en avril 1850 ; il s’agissait du premier périodique à adopter ouvertement l’étiquette anarchiste, et Bellegarrigue cumulait les fonctions de rédacteur en chef, de directeur et d’unique contributeur. Faute de moyens, L’Anarchie ne vit le jour que dans deux numéros, et bien que Bellegarrigue ait par la suite envisagé un Almanach de l’Anarchie, celui-ci ne semble pas avoir été publié. Peu après, cet insaisissable pionnier de la liberté disparut au fin fond de l’Amérique latine, où il aurait été enseignant au Honduras et même – brièvement – ​​fonctionnaire au Salvador, avant de mourir – comme il était né – à une date et un lieu inconnus. 
 

 
Bellegarrigue se situait, aux côtés de Stirner, à l’aile individualiste du courant anarchiste. Il se dissocia de tous les révolutionnaires politiques de 1848, et même de Proudhon, auquel il ressemblait par nombre de ses idées et dont il s'inspirait plus qu'il ne voulait l'admettre, il le traita avec peu de respect, concédant seulement qu'« il sort parfois de sa routine pour éclairer d'un jour nouveau les intérêts généraux ». 
 
 Parfois, Bellegarrigue s'exprimait en des termes d'égoïsme solipsiste. « Je nie tout ; je n'affirme que moi-même… Je suis, c'est un fait positif. Tout le reste est abstrait et relève du X mathématique, de l'inconnu… Il ne peut y avoir sur terre d'intérêt supérieur au mien, d'intérêt auquel je doive même le sacrifice partiel des miens. » Pourtant, en apparente contradiction, Bellegarrigue adhérait à la tradition anarchiste centrale dans son idée d'une société nécessaire et naturelle, dotée d'une « existence primordiale qui résiste à toutes les destructions et à toutes les désorganisations ». Bellegarrigue trouve l’expression de la société dans la commune, qui n’est pas une contrainte artificielle, mais un « organisme fondamental » et qui, pourvu que les dirigeants n’interviennent pas, est capable de concilier les intérêts des individus qui la composent. Il est dans l’intérêt de tous les hommes d’observer « les règles de l’harmonie providentielle », et c’est pourquoi tous les gouvernements, armées et bureaucraties doivent être supprimés. Cette tâche ne doit être accomplie ni par les partis politiques, qui chercheront toujours à dominer, ni par la révolution violente, qui a besoin de chefs comme toute autre opération militaire. Le peuple, une fois éclairé, doit agir par lui-même.
 
Elle fera sa propre révolution, par la seule force du droit, la force de l'inertie, le refus de coopérer. De ce refus découle l'abrogation des lois qui légalisent le meurtre et la proclamation de l'équité. 
 
Cette conception de la révolution par la désobéissance civile suggère qu'en Amérique, Bellegarrigue a pu entrer en contact avec au moins les idées de Thoreau*, et l'on retrouve chez lui, à travers l'accent mis sur la possession comme garantie de liberté, une conception qu'il partageait bien sûr avec Proudhon, une anticipation de l'anarchisme individualiste américain. Sa vision de la progression de l'individu libre le place clairement en marge du courant collectiviste ou communiste de l'anarchisme. 
 
 Il travaille et donc il spécule ; il spécule et donc il gagne ; il gagne et donc il possède ; il possède et donc il est libre. Par la possession, il s'oppose par principe à l'État, car la logique de ce dernier exclut rigoureusement la possession individuelle. 

George Woodcock (1912-1995) 
 

 Extrait de George Woodcock, Anarchisme : Histoire des idées et mouvements libertaires (New York : The World Publishing Company, 1962), p. 276-278. © 1962 par The World Publishing Company

 
 

 


 

Anselme Bellegarrigue

Anselme Bellegarrigue est né le 23 mars 1813 à Monfort, dans le Gers, et il est mort le 31 janvier 1869 à San Salvador, au Salvador. Ces dates encadrent la vie d'un homme qui allait devenir une figure marquante de l'anarchisme individualiste au cours du XIXe siècle, prenant même des positions proches de l'anarcho-capitalisme. En 1850, il publie en quelques exemplaires, L'Anarchie, journal de l'ordre, premier périodique explicitement anarchiste et y publie le premier manifeste anarchiste. Il est quelquefois identifié comme un anarchiste fédéraliste. Ce courant de pensée prône la décentralisation politique et économique, favorisant la création de petites communautés autonomes. L'anarchisme fédéraliste s'oppose aux structures hiérarchiques et centralisées, préconisant plutôt une organisation sociale basée sur la coopération volontaire et la solidarité. 

Biographie

  • . Enfance et formation. Les détails sur l'enfance et l'éducation d'Anselme Bellegarrigue sont limités. Il est le fils de Jean Joseph Bellegarrigue, un négociant, et de Thérèse Goulard, mariés en 1796. Il a fréquenté le lycée d'Auch pendant un certain temps. Après ses études, il s'essaie à la poésie. Par la suite, il fonde à Toulouse La Mosaïque du Midi, une revue qui traite d'histoire avec plus de pittoresque que d'authenticité. Ce projet montre son intérêt pour la diffusion d'idées à travers la publication écrite, un thème qui se poursuivra tout au long de sa vie.
  • . Voyages et éducation autodidacte. Entre 1846 et 1848, Anselme Bellegarrigue entreprend un voyage en Amérique du Nord, visite New York, Boston, La Nouvelle-Orléans et les Antilles. Ce périple, bien que sans doute motivé par des intérêts personnels, ce périple contribue à fonder ses convictions démocratiques, comme en témoignent ses observations sur les bienfaits de la démocratie et de l'exercice des libertés individuelles. Ces expériences marquent son opposition à l'autorité excessive et au centralisme. Ces idées deviennent des éléments clés de sa pensée anarchiste.
  • . Retour en France et participation à la Révolution de 1848. Anselme Bellegarrigue revient en France le 21 février 1848, la veille des événements qui allaient déposer Louis-Philippe. Son retour coïncide avec une période cruciale de l'histoire française où les idées de changement et de réforme sociale étaient à leur apogée. Malgré sa participation à la révolte, il ne manque pas de critiquer la direction que prend le mouvement dès le lendemain du renversement de la Monarchie de Juillet. Sa position non conventionnelle et sa critique des partis politiques de la Seconde République reflètent sa vision radicale et antiautoritaire. Au cours de cette période, il fréquente la Société Républicaine Centrale, également connue sous le nom de Club Blanqui. Là, il accuse les partis politiques d'avoir détourné la révolte populaire vers plus d'autorité et de centralisme, exprimant ainsi son mécontentement envers la « vermine des nations ».
  • Révélation de sa pensée anarchiste. L'année 1848 marque un tournant dans la vie d'Anselme Bellegarrigue, alors qu'il participe activement à la Révolution française. Son engagement durant cette période tumultueuse le place au cœur des événements qui ont conduit au renversement de la Monarchie de Juillet. Cependant, ses positions critiques vis-à-vis de la direction prise par le mouvement révolutionnaire révèlent une perspective unique et non conformiste. En tant que penseur anarchiste, il est l'auteur de plusieurs écrits notables. Son journal, L'Anarchie, journal de l'ordre, est considéré comme le premier journal libertaire connu. Son pamphlet Au fait ! Au fait ! Interprétation de l'idée démocratique témoigne de ses réflexions profondes sur la démocratie et ses aspirations à un ordre social sans violence.

Idéologie et positions politiques anarchistes

  • . Défense de l'individu. Anselme Bellegarrigue se distingue par son ardente défense de l'individu. Sa vision anarchiste repose sur le principe fondamental de l'autonomie individuelle, considérant que l'émancipation de chaque personne est la clé de l'émancipation collective. Il rejette toute forme de coercition et d'autorité qui limiterait la liberté individuelle, affirmant que c'est dans l'autodétermination que l'individu trouve sa pleine réalisation.
  • . Promotion du municipalisme libertaire. Promoteur du municipalisme libertaire avant que Michael Brochkin ne théorise le concept, Anselme Bellegarrigue soutient la décentralisation politique et économique. Il prône la création de petites communautés autonomes, affirmant que la gouvernance locale permet une participation directe des citoyens aux décisions qui les concernent. Cette approche s'inscrit dans sa quête d'une société fondée sur la coopération volontaire et la solidarité, en opposition aux structures hiérarchiques centralisées.
  • . Opposition à la violence révolutionnaire. Contrairement à certaines tendances révolutionnaires de son époque, Anselme Bellegarrigue s'oppose fermement à la violence révolutionnaire. Il critique les mesures autoritaires prises pendant la Révolution de 1848, soulignant que toute mesure gouvernementale, même entreprise au nom du progrès social, conduit inévitablement à l'asservissement d'un groupe par un autre. Pour lui, l'anarchie représente l'ordre, tandis que l'État engendre la guerre civile.
  • . Critique des partis politiques de la Seconde République. Anselme Bellegarrigue manifeste une profonde méfiance à l'égard des partis politiques de la Seconde République. Il les accuse d'avoir détourné la révolte populaire vers plus d'autorité et de centralisme, les qualifiant de « vermine des nations ». Sa critique va au-delà de la simple opposition à un gouvernement en place, elle remet en question le concept même d'État, affirmant que toute révolution doit être la ruine, non pas d'un gouvernement particulier, mais de l'État en général.
  • . Concept d'anarchie comme ordre et rejet de l'État. Pour Anselme Bellegarrigue, l'anarchie n'est pas synonyme de chaos, mais plutôt d'ordre. Il voit dans l'autodétermination individuelle et la coopération volontaire la base d'une société harmonieuse. Son concept d'anarchie est profondément lié à la notion de refus de l'État, qu'il considère comme source de conflits et d'oppressions. Dans ses écrits, il exprime l'idée que là où personne n'obéit, personne ne commande, soulignant ainsi son rejet radical de l'autorité étatique.

L'ensemble de ces principes constitue la trame idéologique d'Anselme Bellegarrigue, caractérisée par un individualisme radical, un municipalisme libertaire décentralisateur, une aversion pour la violence révolutionnaire, une critique féroce des partis politiques conventionnels, et enfin, une conception particulière de l'anarchie en tant qu'ordre sans État. Ces convictions font de lui une figure emblématique du mouvement anarchiste du XIXe siècle.

Philosophie anarchiste d'Anselme Bellegarrigue

Ces éléments illustrent la singularité de la pensée anarchiste d'Anselme Bellegarrigue et sa contribution à l'évolution des idées individualistes au sein du mouvement anarchiste.

  • . Défense de l'individualisme et du subjectivisme moral. Anselme Bellegarrigue place l'individu au cœur de sa philosophie anarchiste, mettant en avant l'importance de l'autonomie et de la liberté individuelle. Son engagement en faveur de l'individualisme se traduit par une confiance profonde dans les capacités et les choix personnels de chacun. Contrairement à certaines figures majeures de l'anarchisme comme Proudhon et Stirner, Bellegarrigue s'aligne plutôt sur les idées de Gustave de Molinari. Son attachement à l'individualisme et son rejet des structures coercitives le rapprochent davantage de la pensée libérale classique de Molinari. Il se distingue en rejetant les idées de Pierre-Joseph Proudhon, notamment sur le sujet du droit de propriété.
  • . Parallèle avec Ayn Rand et son concept d'égoïsme vertueux. La pensée d'Anselme Bellegarrigue présente des similitudes avec le concept d'égoïsme vertueux d'Ayn Rand, une philosophe individualiste contemporaine. Il affirme l'égoïsme comme une vertu, position qui le place en marge des courants de pensée plus collectivistes au sein de l'anarchisme. L'idée selon laquelle l'égoïsme peut être une force positive, contribuant à la grandeur individuelle, émerge comme un point commun entre les deux penseurs.

Citation illustrant son rejet de l'abnégation et sa conception de l'individualisme. > « L'abnégation, c'est l'esclavage, l'avilissement, l'abjection ; c'est le roi, c'est le gouvernement, c'est la tyrannie, c'est la lutte, c'est la guerre civile. L'individualisme, au contraire, c'est l'affranchissement, la grandeur, la noblesse ; c'est l'homme, c'est le peuple, c'est la liberté, c'est la fraternité, c'est l'ordre. »

  • . Opposition à un État central et à toute autorité supérieure. Bellegarrigue se positionne résolument contre l'établissement d'un État centralisé et rejette toute forme d'autorité supérieure. Sa vision anarchiste prône une société où les individus jouissent d'une souveraineté maximale, libérés de l'entrave d'une autorité coercitive. Sa vision démocratique est singulière dans le sens où elle exclut tout gouvernement centralisé. Il imagine une démocratie où les individus participent de manière volontaire à l'administration locale, favorisant ainsi une souveraineté individuelle maximale.
  • . Concept d'intérêt général lié à la multiplication des intérêts individuels. Il développe l'idée que l'intérêt général ne peut être complet que si les intérêts individuels demeurent intacts. Pour lui, la société fonctionne de manière optimale lorsque chaque individu poursuit ses propres intérêts, créant ainsi une somme d'intérêts individuels contribuant à l'intérêt collectif.

Il emprunte sa conception de l'intérêt général à la pensée économique d'Adam Smith en soulignant que l'intérêt général est atteint lorsque les intérêts privés restent intacts. Cette conception se distingue des visions collectivistes qui considèrent souvent les intérêts individuels comme opposés à l'intérêt général. 

Activités militantes et associatives

  • . Fondation de l'Association des libres penseurs. En 1849, Anselme Bellegarrigue fonde l'Association des libres penseurs à Mézy, près de Meulan. Cette organisation témoigne de son engagement militant en faveur de la liberté de pensée et d'expression. Aux côtés d'amis de sa région, dont Ulysse Pic (également connu sous le nom de Pic Dugers) et Joseph Noulens, il établit ce groupe dans le but de publier des pamphlets anarchistes. L'Association des libres penseurs incarnait son désir de créer un espace où les idées non conventionnelles pouvaient être partagées et discutées. Les activités de ce groupe ont été freinées par les arrestations de plusieurs de ses membres, ce qui a finalement conduit à la cessation de leurs activités.
  • . Activités à Mézy près de Meulan. La localité de Mézy, près de Meulan, devient un centre d'activités pour Bellegarrigue et ses compagnons. Là, ils se réunissent, partagent leurs idées, et élaborent des pamphlets anarchistes. Cette période reflète l'effervescence intellectuelle et l'engagement actif de Bellegarrigue dans la diffusion de ses idées anti-autoritaires. Le choix de Mézy comme lieu d'activité militante souligne peut-être également la volonté de s'éloigner des centres urbains où la répression gouvernementale était potentiellement plus intense. Cependant, malgré cette précaution, les autorités finissent par intervenir, entravant ainsi les activités du groupe.
  • . Arrestations et cessation des activités anarchistes. Les arrestations de plusieurs membres de l'Association marquent un tournant dans les activités anarchistes de Bellegarrigue. Les membres sont emprisonnés, ce qui entraîne progressivement la cessation de leurs activités. Cette période de répression et d'arrestations met en lumière les défis auxquels étaient confrontés les anarchistes du XIXe siècle en France. La réaction des autorités a non seulement mis fin à l'effervescence militante de Bellegarrigue à Mézy, mais a également souligné les obstacles rencontrés par ceux qui prônaient des idées radicales et anti-autoritaires.

Bien que brève, l'histoire de l'Association des libres penseurs illustre le climat politique tendu de l'époque et les difficultés rencontrées par les militants anarchistes pour faire entendre leurs voix dans un contexte répressif. Malgré la cessation des activités du groupe, l'héritage de Bellegarrigue a perduré à travers ses écrits et son impact sur le mouvement anarchiste.

Départ définitif de la France et installation au Salvador

À l'époque de l'établissement du Second Empire en France, Anselme Bellegarrigue a décidé de partir en Amérique. Ses voyages l'ont conduit d'abord au Honduras, où, selon Max Nettlau, il aurait enseigné. Par la suite, il a occupé des fonctions de ministre plénipotentiaire représentant le Salvador à Paris. Le départ définitif en Amérique reflète sa mobilité géographique et sa participation à des activités variées, même en dehors de la sphère éditoriale.

  • . Motifs du départ incertains. Vers 1859, Anselme Bellegarrigue quitte définitivement la France. Les raisons précises de son départ ne sont pas clairement établies, mais il est possible que des pressions politiques et les conséquences de son engagement anarchiste aient joué un rôle. La répression gouvernementale, les arrestations, et les difficultés rencontrées par les militants anarchistes de l'époque peuvent avoir poussé Bellegarrigue à chercher refuge ailleurs.
  • . Accueil au Salvador. Anselme Bellegarrigue trouve refuge et accueil au Salvador. Il y bénéficie d'une certaine tolérance politique qui lui permet d'échapper aux persécutions qu'il aurait pu subir en France. Le Salvador offre un nouvel environnement propice à la poursuite de ses idées et à la liberté d'expression qu'il a toujours défendue.
  • . Fondation d'une Faculté de droit à l'université nationale. Au Salvador, Bellegarrigue s'implique activement dans le domaine de l'éducation. Il fonde une faculté de droit au sein de l'université nationale du Salvador. Cette initiative témoigne de son engagement en faveur de la diffusion des connaissances et de son désir de contribuer à la formation intellectuelle dans son nouveau lieu de résidence. La création d'une faculté de droit peut également être interprétée comme une expression de sa vision politique. En promouvant l'éducation juridique, Bellegarrigue cherchait à renforcer les connaissances et la compréhension des principes juridiques dans la société salvadorienne, contribuant ainsi à la promotion de la justice et de la liberté individuelle.

Publications anarchistes d'Anselme Bellegarrigue

Ses publications et engagements témoignent de la vie active et polyvalente d'Anselme Bellegarrigue en tant qu'éditeur, écrivain, et penseur anarchiste au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Anselme Bellegarrigue s'est impliqué dans divers projets éditoriaux, collaborant avec des figures telles que Ulysse Pic et Jean Mouton. Ensemble, ils ont édité des publications engagées, notamment Le Dieu des riches et le Dieu des pauvres ainsi que Jean Mouton et le percepteur. Sa participation à La Civilisation, un quotidien édité à partir de mars 1849, reflète ses premiers engagements dans la diffusion de ses idées anarchistes.

  • . L'Anarchie, journal de l'ordre. En avril 1850, Anselme Bellegarrigue lance L'Anarchie, journal de l'ordre, un jalon important dans l'histoire du mouvement anarchiste. Le choix du titre, souvent perçu comme contradictoire à l'idée traditionnelle d'anarchie, reflète la vision particulière de Bellegarrigue, qui considère l'anarchie comme un ordre naturel et non comme le chaos. L'Anarchie est le premier journal libertaire et libertarien connu. Son objectif était de promouvoir les idées anarchistes, défendre la liberté individuelle et critiquer les structures gouvernementales. Sa ligne éditoriale était radicalement anti-autoritaire, s'opposant aux formes de coercition et d'oppression. Bellegarrigue y exprimait sa conviction que l'anarchie était l'ordre naturel de la société, rejetant ainsi les États et les institutions qui limitent la liberté individuelle. Au sein de l'Association des libres penseurs, Bellegarrigue a rédigé un article intitulé « L'anarchie, c'est l'ordre » pour le numéro du 3 avril 1850 de La Voix du Peuple. Malheureusement, cet exemplaire n'a pas été publié.
  • . Autres pamphlets anarchistes. Outre L'Anarchie, Anselme Bellegarrigue a contribué à d'autres publications. Ses écrits ont trouvé leur place dans des revues et journaux partageant des idées similaires, élargissant ainsi la portée de ses convictions anti-autoritaires. Les pamphlets et articles d'Anselme Bellegarrigue reflètent ses positions idéologiques profondes. Il y défendait la primauté de l'individu, prônait la décentralisation politique, critiquait la violence révolutionnaire et remettait en question la légitimité des États. Son langage incisif et sa rhétorique passionnée ont contribué à façonner le discours anarchiste de l'époque. La première œuvre notable d'Anselme Bellegarrigue,
  • . Au fait ! Au fait ! Interprétation de l'idée démocratique à Toulouse, a été publiée entre octobre et décembre 1848. Cette période coïncide avec les bouleversements politiques et sociaux qui ont marqué la Révolution de 1848 en France. Son ouvrage reflète les idées démocratiques de l'époque et établit les bases de sa pensée anarchiste émergente.
  • . Le Baron de Camebrac et Les Femmes d'Amérique. Dès 1851, Bellegarrigue a entrepris l'écriture de Le Baron de Camebrac, un roman publié sous forme d'extraits jusqu'en 1854. Parallèlement, il a rédigé Les Femmes d'Amérique, essai dans lequel il partage ses observations de la société américaine. Ces travaux témoignent de sa diversité littéraire et de son engagement à explorer des formes différentes pour communiquer ses idées.

En 1851, Bellegarrigue a contribué aussi à l'élaboration de 'L'Almanach de la Vile Multitude, démontrant son engagement continu dans la production intellectuelle et éditoriale. Malheureusement, son projet ultérieur, L'Almanach de l'Anarchisme pour 1852, n'a pas vu le jour en raison du coup d'État du 2 décembre 1851.

Anselme Bellegarrigue a abordé des notions avant-gardistes telles que la désobéissance civile et la servitude volontaire, jetant ainsi les bases de concepts qui allaient influencer d'autres penseurs anarchistes ultérieurs. Bien que parfois controversés, ses écrits ont laissé une empreinte sur le mouvement anarchiste du XIXe siècle, contribuant à la formulation et à la diffusion d'idées anti-autoritaires qui perdurent encore aujourd'hui. 

Informations complémentaires

Publications

  • 1853, "Les Femmes d’Amérique", Paris: Blanchard

Littérature secondaire

  • 2012, Michel Perraudeau, "Anselme Bellegarrigue - Le premier des libertaires", Éditions Libertaires

Citations

  • Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il y avait des tyrans ? Eh bien ! vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves : là où nul n’obéit, personne ne commande.
  • Qui dit gouvernement, dit négation du peuple
Qui dit négation du peuple, dit affirmation de l'autorité politique
Qui dit affirmation de l'autorité politique, dit dépendance individuelle
Oui dit dépendance individuelle, dit suprématie de caste
Qui dit suprématie de caste, dit inégalité
Qui dit inégalité, dit antagonisme
Qui dit antagonisme, dit guerre civile
Donc qui dit gouvernement, dit guerre civile
[…] Oui, l'anarchie c'est l'ordre ; car le gouvernement, c'est la guerre civile.
  • Quand vous demandez la liberté au gouvernement, la niaiserie de votre demande lui apprend aussitôt que vous n'avez aucune notion de votre droit ; votre pétition est le fait d'un subalterne, vous avouez votre infériorité ; vous constatez sa suprématie et le gouvernement profite de votre ignorance et il se conduit à votre égard comme on doit se conduire à l'égard des aveugles, car vous êtes des aveugles.
  • Les partis sont la vermine des nations, et il importe de ne pas oublier que c'est aux prétentions diverses de ces religionnaires politiques que nous devons de marcher par saccades de révolutions en insurrections, et d'insurrections en état de siège, pour aboutir périodiquement à l'inhumation des morts, et au paiement des factures révolutionnaires qui sont les primes accordées par l'imbécillité de tous à l'audace de quelques-uns.
  • Convaincu comme nous le sommes et comme l’expérience et la succession des temps nous ont forcé de l’être, que la politique, théologie nouvelle, est une basse intrigue, un art de roués, une stratégie de caverne, une école de vol et d’assassinat ; persuadé que tout homme qui fait métier de politique, à titre offensif ou défensif, c’est-à-dire comme gouvernant ou opposant, en qualité de directeur ou de critique, n’a pour objet que de s’emparer du bien d’autrui par l’impôt ou la confiscation et se trouve prêt à descendre dans la rue, d’une part avec ses soldats, de l’autre avec ses fanatiques, pour assassiner quiconque voudra lui disputer le butin ; parvenu à savoir, par conséquent, que tout homme politique est, à son insu, sans doute, mais effectivement, un voleur et un assassin ; sûr comme du jour qui nous éclaire que toute question politique est une question abstraite, tout aussi insoluble et, partant, non moins oiseuse et non moins stupide qu’une question de théologie, nous nous séparons de la politique avec le même empressement que nous mettrions à nous affranchir de la solidarité d’un méfait.
  • Mais quand bien même tout le peuple français consentirait à vouloir être gouverné dans son instruction, dans son culte, dans son crédit, dans son industrie, dans son art, dans son travail, dans ses affections, dans ses goûts, dans ses habitudes, dans ses mouvements, et jusque dans son alimentation, je déclare qu’en droit, son esclavage volontaire n’engage pas plus ma responsabilité que sa bêtise ne compromet mon intelligence. Et si, en fait, sa servitude s’étend sur moi sans qu’il me soit possible de m’y soustraire, s’il est notoire, comme je n’en saurais douter, que la soumission de six, sept ou huit millions d’individus à un ou plusieurs hommes entraîne ma soumission propre à ce même ou à ces mêmes hommes, je défie qui que ce soit de trouver dans cet acte autre chose qu’un guet-apens, et j’affirme que, dans aucun temps, la barbarie d’aucun peuple n’a exercé sur la terre un brigandage mieux caractérisé. Voir, en effet, une coalition morale de huit millions de valets contre un homme libre est un spectacle de lâcheté contre la sauvagerie de laquelle on ne saurait invoquer la civilisation sans la ridiculiser ou la rendre odieuse aux yeux du monde.
  • Séparez-vous de la politique qui mange les peuples et appliquez votre activité aux affaires qui les nourrissent et les enrichissent. Souvenez-vous que la richesse et la liberté sont solidaires comme sont solidaires la servitude et l’indigence. Tournez le dos au gouvernement, le dédain tue les gouvernements, car la lutte seule les fait vivre.

Liens externes

https://www.wikiberal.org/wiki/Anselme_Bellegarrigue

 

 

octobre 27, 2025

Les Libertariens en images



























EXPRESSION: La Main Invisible/Stéphane GEYRES et le livre Libres !! 

Stéphane GEYRES et le libertarianisme 

Stéphane Geyres: Y a-t-il des obligations chez les libertariens ?

Qu'est-ce que la Liberté, où en sont les limites, comment peut-elle nous permettre de vivre mieux ? Libres ! ! "opus 2" est sorti, osez la Liberté. 

Stéphane Geyres t-il la Liberté par principe naturel ?

Les mouvements libertariens pour 2017 dans le monde !!

Philosophie libertarienne, les critiques et la réponse !! 

Le Libertarianisme comme Lemennicier

L'anarcho-capitalisme serait-il un idéal de socièté ? La France des "Lumières" serait-elle toujours aussi innovante ?

Droits naturels ou DROIT NATUREL ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 


septembre 07, 2025

Actualité retraites et synthèse de l'étude Inst.Molinari !

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), 

"En 2023, un retraité du public a coûté en moyenne 14 125€, contre 1 230€ pour un retraité du privé. Un rapport de 1 à 12. Depuis 2002, c’est 94% du déficit des retraites." (Le Figaro)
Henri Guaino : «Le terme boomer est une insulte jetée à la face des retraités. C'est scandaleux et pathétique qu'un Premier ministre s'engage sur le terrain de la guerre des générations. Un Premier ministre, c'est fait pour unir et réunir.»
 

 
 Le gouvernement ne prévoit pas seulement de demander un effort aux retraités en 2026 mais jusqu'en… 2030 ➡️ https://trib.al/lP7TrWx
Les retraites, « clé du marasme économique et du déclin de nos finances publiques » ?
Hakim El Karoui : Il y a deux éléments à distinguer. D'abord, le débat sur l'équité intergénérationnelle. Je suis très heureux qu'enfin un responsable politique s'en empare, car c'est, à mes yeux, la clé du marasme économique et du déclin de nos finances publiques. Emmanuel Macron, à son arrivée, en avait l'intuition, mais il n'a jamais...
 

 
EN 2010:
Michel Rocard critique l'attitude du PS sur le dossier des retraites
Pour l'ancien premier ministre, l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 à 60 ans, en 1981, répondait au besoin "de faire plaisir au PC et de magnifier le caractère social du gouvernement".
 
Jacques Attali : « Les retraités privilégiés doivent être mis à contribution »
https://lepoint.fr/tiny/1-2595361
 

 
 
SYNTHESE DE L’ETUDE
Le COR ne prend pas en compte les déficits des régimes de retraite publics subventionnés par l’Etat et considère qu’au sein du secteur public, seule la Caisse nationale des agents des collectivités locales (CNRACL) peut donner lieu à des déficits.
 

 
 Depuis 2002, le COR a occulté 94 % du déficit des retraites ou 943 milliards d’euros
Lorsqu’on corrige cette anomalie méthodologique, le déficit des retraites est 16 fois plus élevé que ce qu’a calculé le COR de 2002 à 2023 : au lieu d’être de 0,13 % du PIB par an, il était de 2,1 % du par an en moyenne.
 
De 2002 à 2023, le COR a occulté des déficits des retraites qui représentent :
2 % du PIB par an ou au total 943 milliards d’euros courants,
47 % du déficit des administrations (qui représente 4,5 % du PIB par an en moyenne de2002 à 2023),
17 % des dépenses de retraite (qui représentent 12,6 % du PIB par an en moyenne de2002 à 2023),
94 % du déficit des retraites sur la période (qui représente 2,1 % du PIB par an en moyenne de 2002 à 2023).
 

 
 
Dans son nouveau rapport de juin 2024, le COR occulte 56 milliards d’euros (ou 2 % du PIB) de déficits au titre de 2023. Lorsqu’on corrige cette omission, les retraites étaient déficitaires de 53 milliards d’euros en 2023, et non en excédent de 3,8 milliards comme le COR le prétend.
 
Le COR a écarté 674 milliards de subventions aux retraites des fonctionnaires d’Etat
Depuis 2002, le COR a écarté dans son calcul de déficit les cotisations dérogatoires que l’Etat verse pour financer les retraites des fonctionnaires de l’Etat (FPE). Elles représentent 674 milliards sur 20 ans, soit en moyenne 1,4 % du PIB chaque année.
 

 
 Les retraites des anciens fonctionnaires d’Etat ont coûté 3 fois plus cher que celles des anciens salariés pour des raisons principalement liées au vieillissement. Les cotisations retraite ont représenté de 2002 à 2023 en moyenne 78 % des traitements indiciaires bruts dans la fonction publique d’Etat, contre 27 % des salaires bruts dans le privé. Les 2/3 des retraites des fonctionnaires d’Etat ont été financées par une subvention que le COR n’a pas pris en compte dans son calcul du déficit des retraites.
 
En 2023, ces subventions écartées par le COR représentent : 40 milliards d’euros ou 1,4 % du PIB ; 57 % des traitements indiciaires des fonctionnaires civils de l’Etat pour lesquels les cotisations retraite représentent 85 % des traitements bruts, alors que les retraites des salariés sont financées avec des prélèvements représentant 28 % de leurs rémunérations ; 109 % des traitements des militaires pour lesquels les cotisations retraites représentent 137 % des traitements bruts, contre 28 % pour les salariés.
Le COR a occulté 115 milliards d’euros de subventions au profit des fonctionnaires des collectivités
 
Depuis 2002, le COR a occulté dans son calcul de déficit les subventions dont bénéficient les retraites des fonctionnaires des collectivités et hôpitaux. Elles représentent 115 milliards sur 22 ans ou en moyenne 0,2 % du PIB chaque année.
Les cotisations des fonctionnaires et hôpitaux ont représenté en moyenne 38 % des traitements indiciaires bruts, contre 27 % des salaires bruts dans le privé de 2002 à 2023. Un tiers des retraites des fonctionnaires locaux et hospitaliers a été financé par une subvention que le COR n’a pas pris en compte dans son calcul du déficit des retraites.
 

 
 En 2023, ces subventions occultées par le COR représentent :
8 milliards d’euros ou 0,3 % du PIB ; 14 % des traitements fonctionnaires locaux pour lesquels les cotisations retraites représentent 42 % des traitements, contre 28 % pour les salariés du secteur privé.
Le COR a écarté 154 milliards de subventions au profit des régimes spéciaux et ouvriers d’Etat
Le COR a occulté dans son calcul de déficit les subventions de l’Etat aux régimes spéciaux du public (SNCF, RATP…). Ces subventions représentent : 122 milliards depuis 2002 ou en moyenne 0,3 % du PIB par an, dont 6 milliards d’euros ou 0,2 % du PIB en 2023.
Le COR a aussi occulté les subventions et sur-cotisations dont bénéficient les retraites des ouvriers d’Etat (FSPOEIE). Elles représentent : 32 milliards depuis 2002 et en moyenne 0,1 % du PIB par an, dont 1,8 milliard d’euros ou 0,1 % du PIB en 2023.
 

 

février 16, 2025

Anarchisme libertarien : réponses à dix objections

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Anarchisme libertarien : réponses à dix objections

par Roderick T. Long

 


 

Merci à Revi N. Nair pour avoir retranscrit cette conférence de l'Université Mises de 2004. Je voudrais parler de certaines des principales objections qui ont été formulées à l'encontre de l'anarchisme libertarien et de mes tentatives pour y répondre. Mais avant de commencer à formuler des objections et d'essayer d'y répondre, il ne sert à rien d'essayer de répondre aux objections à une opinion à moins que vous n'ayez donné une raison positive de soutenir cette opinion en premier lieu. Je voudrais donc simplement dire brièvement ce que je pense être les arguments positifs en sa faveur avant de continuer à la défendre contre les objections. 

Problèmes liés au monopole forcé 

Pensez-y de cette façon. Quel mal y a-t-il à avoir un monopole sur les chaussures ? Supposons que moi et ma bande soyons les seuls légalement autorisés à fabriquer et à vendre des chaussures – ma bande et toute autre personne que j’autorise, mais personne d’autre. Quel mal y a-t-il à cela ? Eh bien, tout d’abord, d’un point de vue moral, la question est : pourquoi nous ? Qu’avons-nous de si spécial ? Maintenant, dans ce cas, parce que je me suis choisi, il est plus plausible que je doive avoir ce genre de monopole, alors peut-être que je devrais choisir un autre exemple ! Mais vous vous demandez peut-être : comment moi et ma bande pouvons-nous prétendre avoir le droit de fabriquer et de vendre quelque chose que personne d’autre n’a le droit de fabriquer et de vendre, de fournir un bien ou un service que personne d’autre n’a le droit de fournir. Au moins, pour autant que vous le sachiez, je ne suis qu’un autre mortel, un autre humain comme vous (plus ou moins). Donc, d’un point de vue moral, je n’ai pas plus le droit de le faire que quiconque.

Ensuite, bien sûr, d’un point de vue pragmatique et conséquentialiste, eh bien, tout d’abord, quel est le résultat probable du fait que moi et ma bande aurions un monopole sur les chaussures ? Eh bien, tout d’abord, il y a des problèmes d’incitation. Si je suis la seule personne qui a le droit de fabriquer et de vendre des chaussures, vous n’allez probablement pas les obtenir à très bas prix chez moi. Je peux demander autant que je veux, tant que je ne demande pas trop cher pour que vous ne puissiez pas vous les permettre du tout ou que vous décidiez que vous êtes plus heureux de ne pas avoir les chaussures. Mais tant que vous le voulez et que vous le pouvez, je vous demanderai le prix le plus élevé que je puisse obtenir de vous, car vous n’avez pas de concurrence, nulle part où aller. Vous ne devriez probablement pas non plus vous attendre à ce que les chaussures soient de très haute qualité, car, après tout, tant qu’elles sont à peine utilisables et que vous préférez toujours les porter à pieds nus, alors vous devez me les acheter. Outre le fait que les chaussures seront probablement chères et de mauvaise qualité, il y a aussi le fait que ma capacité à être la seule personne à fabriquer et à vendre des chaussures me donne un certain pouvoir sur vous. Supposons que je ne vous aime pas. Supposons que vous m’ayez offensé d’une manière ou d’une autre. Eh bien, peut-être que vous n’aurez tout simplement pas de chaussures pendant un certain temps. Il y a donc aussi des problèmes d’abus de pouvoir.  

Mais ce n’est pas seulement le problème de l’incitation, car, après tout, supposons que je sois un parfait saint et que je fabrique les meilleures chaussures possibles pour vous, que je demande le prix le plus bas possible et que je n’abuse pas de mon pouvoir. Supposons que je sois totalement digne de confiance. Je suis un prince parmi les hommes (pas au sens de Machiavel). Il reste un problème : comment puis-je savoir exactement que je fais le meilleur travail possible avec ces chaussures ? Après tout, il n’y a pas de concurrence. Je suppose que je pourrais interroger les gens pour essayer de savoir quel genre de chaussures ils semblent vouloir. Mais il existe de nombreuses façons différentes de fabriquer des chaussures. Certaines sont plus chères, d’autres moins chères. Comment puis-je le savoir, étant donné qu’il n’y a pas de marché et que je ne peux pas vraiment faire grand-chose en termes de comptabilité des profits et des pertes ? Je dois juste faire des suppositions. Donc, même si je fais de mon mieux, la quantité et la qualité que je produis ne sont peut-être pas les mieux adaptées pour satisfaire les préférences des gens, et j’ai du mal à trouver ces choses. 

Le gouvernement est un monopole forcé 

Voilà donc toutes les raisons pour lesquelles il ne faut pas avoir le monopole de la fabrication et de la vente de chaussures. A première vue, il semble que ce soient toutes de bonnes raisons pour ne pas avoir le monopole de la prestation de services de règlement des litiges, de protection des droits et de tout ce qui est impliqué dans ce que l’on pourrait appeler, au sens large, l’entreprise juridique. Tout d’abord, il y a la question morale : pourquoi un groupe de personnes obtient-il le droit d’être le seul sur un territoire donné à pouvoir offrir certains types de services juridiques ou à faire respecter certains types de règles ? Ensuite, il y a ces questions économiques : quelles seront les incitations ? Une fois de plus, il s’agit d’un monopole. Il semble probable qu’avec une clientèle captive, ils vont facturer des prix plus élevés qu’ils ne le feraient autrement et offrir une qualité inférieure. Il pourrait même y avoir des abus de pouvoir occasionnels. Et puis, même si vous parvenez à éviter tous ces problèmes et à faire entrer tous ces saints dans le gouvernement, il reste toujours le problème de savoir comment ils savent que la manière particulière dont ils fournissent des services juridiques, la combinaison particulière de services juridiques qu’ils offrent, les façons particulières dont ils le font sont vraiment les meilleures ? Ils essaient simplement de comprendre ce qui fonctionnera. Comme il n’y a pas de concurrence, ils n’ont pas beaucoup de moyens de savoir si ce qu’ils font est la chose la plus efficace qu’ils pourraient faire. L’objectif de ces considérations est donc de faire peser la charge de la preuve sur l’adversaire. C’est donc à ce stade que l’adversaire de la concurrence dans les services juridiques doit soulever des objections.

 


 

DIX OBJECTIONS À L’ANARCHISME LIBERTARIEN

(1) Le gouvernement n’est pas un monopole coercitif 

L’une des objections qui est parfois soulevée n’est pas tant une objection à l’anarchisme qu’une objection à l’argument moral en faveur de l’anarchisme : eh bien, écoutez, ce n’est pas vraiment un monopole coercitif. Ce n’est pas comme si les gens n’avaient pas consenti à cela, car dans un certain sens, les gens ont consenti au système existant – en vivant dans les frontières d’un territoire particulier, en acceptant les avantages offerts par le gouvernement, etc., ils ont, en effet, consenti. Tout comme si vous entrez dans un restaurant et que vous vous asseyez et dites : « Je prendrai un steak », vous n’avez pas à mentionner explicitement que vous acceptez de le payer ; c’est juste en quelque sorte compris. En vous asseyant au restaurant et en demandant le steak, vous acceptez de le payer. De la même manière, si vous vous installez sur le territoire d’un État donné et que vous acceptez de bénéficier de la protection de la police ou d’autres services, vous acceptez implicitement de vous conformer à ses exigences. Or, même si cet argument fonctionne, il ne règle pas la question pragmatique de savoir s’il s’agit du meilleur système possible.  

Mais je pense qu’il y a quelque chose de douteux dans cet argument. Il est certainement vrai que si je vais sur la propriété de quelqu’un d’autre, alors il semble que l’on s’attende à ce que tant que je suis sur sa propriété, je doive faire ce qu’il dit. Je dois suivre ses règles. Si je ne veux pas suivre ses règles, alors je dois partir. Alors, je vous invite chez moi, et quand vous entrez, je dis : « Vous devez porter le chapeau rigolo. » Et vous dites : « Qu’est-ce que c’est ? » Et je réponds : « Eh bien, c’est comme ça que ça fonctionne chez moi. Tout le monde doit porter le chapeau rigolo. Ce sont mes règles. » Eh bien, vous ne pouvez pas dire : « Je ne porterai pas le chapeau mais je reste quand même. » Ce sont mes règles – elles sont peut-être stupides, mais je peux le faire. Supposons maintenant que vous êtes chez vous en train de dîner, que je suis votre voisin d’à côté et que je vienne frapper à votre porte. Vous ouvrez la porte, j’entre et je dis : « Vous devez porter ce drôle de chapeau. » Et vous demandez : « Pourquoi est-ce que c’est comme ça ? » Et je réponds : « Eh bien, vous avez emménagé à côté de chez moi, n’est-ce pas ? En faisant ça, vous avez en quelque sorte accepté. » Et vous dites : « Attendez une seconde ! Quand ai-je accepté cela ? » Je pense que la personne qui avance cet argument suppose déjà que le gouvernement a une certaine compétence légitime sur ce territoire. Et ensuite, elle dit : « Eh bien, maintenant, toute personne qui se trouve sur le territoire accepte donc les règles en vigueur. » Mais elle suppose exactement ce qu’elle essaie de prouver, à savoir que cette compétence sur le territoire est légitime. Si ce n’est pas le cas, alors le gouvernement n’est qu’un groupe de personnes de plus vivant sur ce vaste territoire géographique général. Mais j’ai ma propriété, et je ne sais pas exactement quelles sont leurs dispositions, mais je suis là, dans ma propriété, et ils n’en sont pas propriétaires – du moins, ils ne m’ont pas donné d’arguments pour le prouver – et donc, le fait que je vive dans « ce pays » signifie que je vis dans une certaine région géographique sur laquelle ils ont certaines prétentions – mais la question est de savoir si ces prétentions sont légitimes. Vous ne pouvez pas supposer cela comme un moyen de le prouver.

Un autre problème avec ces arguments de contrat social implicite est qu’il n’est pas clair en quoi consiste le contrat. Dans le cas d’une commande de nourriture dans un restaurant, tout le monde sait à peu près en quoi consiste le contrat. On pourrait donc invoquer le consentement implicite. Mais personne ne suggérerait qu’on puisse acheter une maison de la même manière. Il y a toutes ces règles et ce genre de choses. Quand il s’agit de quelque chose de compliqué, personne ne dit : « Vous avez simplement accepté en hochant la tête à un moment donné », ou quelque chose comme ça. Vous devez découvrir ce qui est réellement dans le contrat ; à quoi acceptez-vous ? Ce n’est pas clair si personne ne connaît exactement les détails du contrat. Ce n’est pas si convaincant. Bon, eh bien, la plupart des arguments dont je vais parler sont pragmatiques, ou un mélange de moral et de pragmatisme. 

 (2) Hobbes : Le gouvernement est nécessaire à la coopération 

 L’argument le plus célèbre contre l’anarchie est probablement celui de Hobbes. L’argument de Hobbes est le suivant : « eh bien, écoutez, la coopération humaine, la coopération sociale, nécessite une structure de droit en arrière-plan. La raison pour laquelle nous pouvons nous faire confiance pour coopérer est que nous savons qu’il existe des forces juridiques qui nous puniront si nous violons les droits des autres. Je sais qu’elles me puniront si je viole vos droits, mais elles vous puniront également si vous violez les miens. Je peux donc vous faire confiance parce que je n’ai pas à me fier à votre personnalité. Je dois juste me fier au fait que vous serez intimidé par la loi. Ainsi, la coopération sociale nécessite ce cadre juridique soutenu par la force de l’État. » Eh bien, Hobbes suppose plusieurs choses à la fois ici. Tout d’abord, il suppose qu’il ne peut y avoir de coopération sociale sans loi. Deuxièmement, il suppose qu’il ne peut y avoir de loi à moins qu’elle ne soit appliquée par la force physique. Et troisièmement, il suppose qu’une loi ne peut être appliquée par la force physique à moins que ce ne soit par un État monopoliste.  

Mais toutes ces hypothèses sont fausses. Il est vrai que la coopération peut émerger et émerge, peut-être pas aussi efficacement qu’elle le ferait avec la loi, mais sans loi. Dans son livre Order Without Law, Robert Ellickson parle de la façon dont les voisins parviennent à résoudre leurs conflits. Il donne de nombreux exemples de ce qui se passe si la vache d’un agriculteur erre sur le territoire d’un autre agriculteur et que les deux parties règlent le problème par le biais d’accords coutumiers mutuels, etc., sans qu’il existe de cadre juridique pour résoudre le problème. Ce n’est peut-être pas suffisant pour une économie complexe, mais cela montre certainement qu’il est possible d’avoir une certaine forme de coopération sans cadre juridique réel. Deuxièmement, il est possible d’avoir un cadre juridique qui ne soit pas soutenu par la force. Un exemple serait le Law Merchant à la fin du Moyen Âge : un système de droit commercial qui était soutenu par des menaces de boycott. Le boycott n’est pas un acte de force. Mais il y a toujours des marchands qui concluent tous ces contrats, et si vous ne respectez pas le contrat, alors le tribunal le dit à tout le monde : « cette personne n’a pas respecté le contrat ; tenez-en compte si vous voulez conclure un autre contrat avec elle. » Et troisièmement, vous pouvez avoir des systèmes juridiques formels qui utilisent la force sans être monopolistiques. Puisque Hobbes n’envisage même pas cette possibilité, il ne donne pas vraiment d’argument contre elle. Mais vous pouvez certainement en voir des exemples dans l’histoire. L’histoire de l’Islande médiévale, par exemple, où il n’y avait pas de centre unique d’application. Bien qu’il y ait eu ce que l’on pourrait peut-être appeler un gouvernement, il n’avait aucun bras exécutif du tout. Il n’y avait pas de police, pas de soldats, rien. Il y avait une sorte de système judiciaire compétitif. Mais l’application de la loi était à la discrétion de qui que ce soit. Et des systèmes ont évolué pour s’en occuper. 

(3) Locke : Trois « inconvénients » de l’anarchie 

Bon, bon, les arguments les plus intéressants viennent de Locke. Locke soutient que l’anarchie implique trois choses qu’il appelle des « inconvénients ». Et « inconvénient » a un son un peu plus lourd dans l’anglais du XVIIe siècle que dans l’anglais moderne, mais son argument en l’appelant « inconvénients », qui est toujours un peu plus faible, était que Locke pensait que la coopération sociale pouvait exister dans une certaine mesure sous l’anarchie. Il était plus optimiste que Hobbes. Il pensait que, sur la base des sympathies morales d’une part et de l’intérêt personnel d’autre part, la coopération pouvait émerger. Il pensait qu’il y avait trois problèmes. L’un d’eux, disait-il, était qu’il n’y aurait pas de corpus général de lois qui seraient généralement connues, acceptées et comprises. Les gens pourraient saisir certains principes fondamentaux de la loi de la nature. Mais leurs applications et leurs détails précis seraient toujours controversés. Même les libertariens ne sont pas d’accord. Ils peuvent être d’accord sur des choses générales, mais nous sommes toujours en train de discuter entre nous sur divers points de détail. Ainsi, même dans une société de libertariens pacifiques et coopératifs, il y aura toujours des désaccords sur les détails. Et donc, à moins qu’il n’y ait un corpus général de lois que tout le monde connaisse et qui permette à chacun de savoir ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, cela ne fonctionnera pas. C’était donc le premier argument de Locke. Il doit y avoir un corpus de lois universel connu de tous, applicable à tous et que chacun connaisse à l’avance. Deuxièmement, il y a un problème de pouvoir d’application. Il pensait que sans gouvernement, on n’a pas un pouvoir suffisamment unifié pour faire respecter les lois. On a juste des individus qui font respecter les lois de leur propre chef, et ils sont tout simplement trop faibles, ils ne sont pas assez organisés, ils pourraient être envahis par une bande de bandits ou quelque chose comme ça.

Troisièmement, Locke a dit que le problème est que l’on ne peut pas faire confiance aux gens pour être juges de leur propre cause. Si deux personnes sont en désaccord et que l’une d’elles dit : « Je sais ce qu’est la loi de la nature et je vais vous l’imposer », eh bien, les gens ont tendance à être partiaux et vont trouver plus plausible l’interprétation de la loi de la nature qui favorise leur propre cause. Il pensait donc qu’on ne peut pas faire confiance aux gens pour être juges de leur propre cause ; par conséquent, ils devraient être moralement tenus de soumettre leurs différends à un arbitre. Peut-être qu’en cas d’urgence, ils peuvent toujours se défendre sur place, mais dans d’autres cas où il ne s’agit pas d’une question de légitime défense immédiate, ils doivent déléguer cette tâche à un arbitre, à une tierce partie – et c’est l’État. Locke pense donc que ce sont là trois problèmes que l’on rencontre en anarchie, et que l’on ne les rencontrerait pas sous un gouvernement ou du moins sous un gouvernement approprié. Mais je pense que c’est exactement l’inverse. Je pense que l’anarchie peut résoudre ces trois problèmes, et que l’État, de par sa nature même, ne peut pas les résoudre. Prenons d’abord le cas de l’universalité, ou de l’existence d’un corpus de lois universellement connu, que les gens peuvent connaître à l’avance et sur lequel ils peuvent compter. Maintenant, est-ce que cela peut émerger dans un système non étatique ? En fait, cela est apparu dans le droit marchand précisément parce que les États ne le fournissaient pas. L’une des choses qui a contribué à l’émergence du droit marchand est que les États européens avaient chacun des ensembles de lois différents régissant les commerçants. Ils étaient tous différents. Et un tribunal en France ne pouvait pas confirmer un contrat conclu en Angleterre en vertu des lois anglaises, et vice versa. Ainsi, la capacité des commerçants à s’engager dans le commerce international était entravée par le fait qu’il n’existait pas de système uniforme de droit commercial pour toute l’Europe. Les commerçants se sont donc réunis et ont dit : « Bon, créons-en quelques-uns de nos propres. Les tribunaux édictent des règles farfelues, toutes différentes, qui ne respectent pas les décisions des autres. Nous allons donc les ignorer et créer notre propre système. » Il s’agit donc d’un cas où l’uniformité et la prévisibilité ont été produites par le marché et non par l’État. Et vous pouvez comprendre pourquoi cela n’est pas surprenant. Il est dans l’intérêt de ceux qui fournissent un système privé de le rendre uniforme et prévisible si c’est ce dont les clients ont besoin.

C’est pour la même raison que vous ne trouvez pas de cartes de retrait triangulaires. Autant que je sache, aucune loi n’interdit d’avoir des cartes de retrait triangulaires, mais si quelqu’un essayait de les commercialiser, elles ne seraient pas très populaires parce qu’elles ne s’adapteraient pas aux machines existantes. Lorsque les gens ont besoin de diversité, lorsque les gens ont besoin de systèmes différents pour différentes personnes, le marché les fournit. Mais il y a des choses où l’uniformité est meilleure. Votre carte de retrait a plus de valeur pour vous si tout le monde utilise le même type de carte ou un type compatible avec elle, de sorte que vous pouvez tous utiliser les machines où que vous alliez ; et donc, les commerçants, s’ils veulent faire du profit, vont offrir de l’uniformité. Le marché a donc intérêt à offrir de l’uniformité d’une manière que le gouvernement ne fait pas nécessairement. En ce qui concerne la question d’avoir suffisamment de pouvoir pour s’organiser pour la défense – eh bien, il n’y a aucune raison pour que vous ne puissiez pas avoir d’organisation dans l’anarchie. L’anarchie ne signifie pas que chacun fabrique ses propres chaussures. L’alternative à ce que le gouvernement fournisse toutes les chaussures n’est pas que chaque personne fabrique ses propres chaussures. De même, l’alternative au fait que le gouvernement fournisse tous les services juridiques n’est pas que chaque personne doive être son propre gendarme indépendant. Il n’y a aucune raison pour que les gens ne puissent pas s’organiser de diverses manières. En fait, si vous craignez de ne pas avoir suffisamment de force pour résister à un agresseur, eh bien, un gouvernement monopoliste est un agresseur bien plus dangereux qu’une simple bande de bandits ou autre, car il a unifié tout ce pouvoir en un seul point de la société entière. Mais je pense que, ce qui est le plus intéressant, c’est que l’argument selon lequel il faut être juge dans sa propre affaire se retourne contre l’argument de Locke ici. Car tout d’abord, ce n’est pas un bon argument en faveur du monopole, car c’est une erreur de prétendre que tout le monde devrait soumettre ses différends à un tiers, alors qu’il devrait y avoir un tiers à qui tout le monde soumet ses différends. C’est comme prétendre que tout le monde aime au moins une émission de télévision, alors qu’il y a au moins une émission de télévision que tout le monde aime. Cela ne va pas de soi. Vous pouvez demander à tout le monde de soumettre ses litiges à des tiers sans qu’il y ait un tiers auquel chacun soumette ses litiges. Supposons que vous ayez trois personnes sur une île. A et B peuvent soumettre leurs litiges à C, et A et C peuvent soumettre leurs litiges à B, et B et C peuvent soumettre leurs litiges à A. Vous n’avez donc pas besoin d’un monopole pour incarner ce principe selon lequel les gens doivent soumettre leurs litiges à un tiers.

Mais en plus, non seulement vous n’avez pas besoin d’un gouvernement, mais un gouvernement est précisément ce qui ne satisfait pas à ce principe. Car si vous avez un différend avec le gouvernement, le gouvernement ne le soumet pas à un tiers. Si vous avez un différend avec le gouvernement, il sera réglé par un tribunal gouvernemental (si vous avez de la chance – si vous n’avez pas de chance, si vous vivez sous l’un des gouvernements les plus rudes et les plus rétifs, vous n’arriverez même pas jusqu’à un tribunal). Bien sûr, il est préférable que le gouvernement lui-même soit divisé, qu’il y ait des freins et des contrepoids, etc. C’est un peu mieux, cela se rapproche de l’existence de tiers, mais ils font toujours partie du même système ; les juges sont payés par l’argent des impôts, etc. Ce n’est donc pas comme si vous ne pouviez pas avoir des approximations meilleures ou pires de ce principe parmi différents types de gouvernements. Néanmoins, tant qu’il s’agit d’un système de monopole, par sa nature, il est dans un certain sens sans loi. Elle ne soumet jamais ses différends à un tiers. 

(4) Ayn Rand : Les agences de protection privées se battront 

L’argument le plus populaire contre l’anarchie libertaire est probablement : que se passe-t-il si (et c’est le célèbre argument d’Ayn Rand) je pense que vous avez violé mes droits et que vous pensez que non, alors j’appelle mon agence de protection et vous appelez votre agence de protection – pourquoi ne veulent-ils pas simplement se battre ? Qu’est-ce qui garantit qu’ils ne se battront pas ? À quoi, bien sûr, la réponse est : eh bien, rien ne garantit qu’ils ne se battront pas. Les êtres humains ont le libre arbitre. Ils peuvent faire toutes sortes de choses folles. Ils pourraient aller au combat. De même, George Bush pourrait décider d’appuyer sur le bouton nucléaire demain. Ils pourraient faire toutes sortes de choses.  

La question est la suivante : qu’est-ce qui est le plus susceptible de régler ses différends par la violence : un gouvernement ou une agence de protection privée ? La différence est que les agences de protection privées doivent supporter les coûts de leur propre décision d’entrer en guerre. Partir en guerre coûte cher. Si vous avez le choix entre deux agences de protection et que l’une règle ses différends par la violence la plupart du temps, et l’autre par l’arbitrage la plupart du temps, vous pourriez penser : « Je veux celle qui règle ses différends par la violence, ça a l’air vraiment cool ! » Mais ensuite, vous regardez vos primes mensuelles. Et vous vous demandez : « Dans quelle mesure êtes-vous attaché à cette mentalité viking ? » Vous êtes peut-être tellement attaché à la mentalité viking que vous êtes prêt à payer pour cela, mais cela reste plus cher. Beaucoup de clients diront : « Je veux aller chez une qui ne facture pas tout ce supplément pour la violence. » Alors que les gouvernements – tout d’abord, ils ont des clients captifs, ils ne peuvent pas aller ailleurs – mais comme ils taxent les clients de toute façon, et donc les clients n’ont pas la possibilité de changer d’agence. Et donc, les gouvernements peuvent externaliser les coûts de leur participation à la guerre beaucoup plus efficacement que les agences privées. 

(5) Robert Bidinotto : Pas d’arbitre final des conflits 

Une objection courante – c’est celle que l’on trouve, par exemple, chez Robert Bidinotto, qui est un Randien qui a écrit un certain nombre d’articles contre l’anarchie (lui et moi avons eu une sorte de débat en ligne à ce sujet) – sa principale objection à l’anarchie est que dans l’anarchie, il n’y a pas d’arbitre final dans les conflits. Sous le gouvernement, un arbitre final arrive à un moment donné et résout le conflit d’une manière ou d’une autre. Eh bien, dans un régime d’anarchie, comme il n’existe pas d’organisme unique qui ait le droit de régler les choses une fois pour toutes, il n’y a pas d’arbitre final, et donc les conflits, dans un certain sens, ne finissent jamais, ne sont jamais résolus, restent toujours ouverts.  

Alors, quelle est la réponse à cette question ? Je pense qu’il y a une ambiguïté dans le concept d’arbitre final. Par « arbitre final », on pourrait entendre l’arbitre final dans ce que j’appelle le sens platonicien. C’est-à-dire quelqu’un ou quelque chose ou une institution qui garantit absolument que le conflit est résolu pour toujours ; qui garantit absolument la résolution. Ou, au contraire, par « arbitre final », on pourrait simplement entendre une personne ou un processus ou une institution ou quelque chose qui garantit de manière plus ou moins fiable la plupart du temps que ces problèmes seront résolus. Il est vrai que dans le sens platonicien d’une garantie absolue d’un arbitre final – dans ce sens, l’anarchie n’en fournit pas. Mais aucun autre système n’en fournit non plus. Prenez une république constitutionnelle minarchiste du type de celle que favorise Bidinotto. Y a-t-il un arbitre final dans ce système, au sens de quelque chose qui garantit absolument la fin du processus de conflit pour toujours ? Eh bien, je vous poursuis en justice, ou j’ai été poursuivi, ou je suis accusé de quelque chose, peu importe – je suis dans une sorte de procès. Je perds. Je fais appel. Je fais appel à la Cour suprême. Ils vont contre moi. Je fais pression sur le Congrès pour qu’il modifie les lois en ma faveur. Ils ne le font pas. Alors j’essaie de lancer un mouvement pour un amendement constitutionnel. Cela échoue, alors j’essaie de rassembler les gens pour élire de nouveaux membres du Congrès qui voteront pour. Dans un certain sens, cela peut durer éternellement. Le conflit n’est pas terminé. Mais, en fait, la plupart du temps, la plupart des conflits juridiques finissent par se terminer. Quelqu’un trouve trop coûteux de continuer à se battre. De même, dans l’anarchie – bien sûr, rien ne garantit que le conflit ne durera pas éternellement. Il y a très peu de garanties de ce genre. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’attendre à ce qu’il fonctionne. 

(6) Le droit de la propriété ne peut pas émerger du marché  

Un autre argument populaire, souvent utilisé par les Randiens, est que les échanges sur le marché présupposent un contexte de droit de la propriété. Vous et moi ne pouvons pas faire d’échanges de biens contre des services, ou d’argent contre des services, ou quoi que ce soit d’autre, à moins qu’il n’existe déjà un contexte stable de droit de la propriété qui nous assure les titres de propriété que nous avons. Et comme le marché, pour fonctionner, présuppose l’existence d’un contexte de droit de la propriété, ce droit de la propriété ne peut pas lui-même être le produit du marché. Le droit de la propriété doit émerger – ils doivent vraiment penser qu’il doit émerger d’un robot infaillible ou quelque chose comme ça – mais je ne sais pas exactement de quoi il émerge, mais d’une certaine manière, il ne peut pas émerger du marché. Mais leur raisonnement est un peu comme : d’abord, il y a ce droit de la propriété, et tout est mis en place, et aucune transaction sur le marché n’a lieu – tout le monde attend juste que toute la structure juridique soit mise en place. Et puis, c’est en place – et maintenant, nous pouvons enfin commencer à échanger dans les deux sens. Il est certainement vrai qu’il ne peut pas y avoir de marchés fonctionnels sans un système juridique fonctionnel ; c’est vrai. Mais ce n’est pas comme si le système juridique était d’abord en place, puis le dernier jour, il était enfin terminé – et que les gens commençaient à commercer. Ces choses naissent ensemble. Les institutions juridiques et le commerce économique naissent ensemble au même endroit, au même moment. Le système juridique n’est pas quelque chose d’indépendant de l’activité qu’il contraint. Après tout, un système juridique n’est pas un robot, ni un dieu, ni quelque chose de séparé de nous. L’existence d’un système juridique consiste dans le fait que les gens lui obéissent. Si tout le monde ignorait le système juridique, il n’aurait aucun pouvoir. C’est donc seulement parce que les gens l’acceptent en général qu’il survit. Le système juridique dépend aussi du soutien volontaire. Je pense que beaucoup de gens – une des raisons pour lesquelles ils ont peur de l’anarchie est qu’ils pensent que sous l’autorité du gouvernement, c’est comme si une sorte de garantie leur était retirée sous l’anarchie. Qu’il existe en quelque sorte ce fondement solide sur lequel nous pouvons toujours nous appuyer et qui, sous l’anarchie, disparaît. Mais ce fondement solide n’est que le produit de l’interaction des gens avec les incitations qu’ils ont. De même, quand les anarchistes disent que les gens sous l’anarchie seraient probablement incités à faire ceci ou cela, les gens disent : « Eh bien, ce n’est pas suffisant ! Je ne veux pas seulement qu’il soit probable qu’ils soient incités à faire ceci. Je veux que le gouvernement garantisse absolument qu’ils le feront ! » Mais le gouvernement, ce sont juste des gens. Et selon la structure constitutionnelle de ce gouvernement, il est probable qu’ils feront ceci ou cela. Vous ne pouvez pas concevoir une constitution qui garantira que les gens au gouvernement se comporteront d’une manière particulière. Vous pouvez la structurer de telle manière qu’ils soient plus susceptibles de faire ceci ou cela. Et vous pouvez considérer l’anarchie comme une simple extension du système de freins et contrepoids à un niveau plus large.

Par exemple, les gens se demandent : « Qu’est-ce qui garantit que les différentes agences résoudront les problèmes d’une manière particulière ? » Eh bien, la Constitution américaine ne dit rien sur ce qui se passe si les différentes branches du gouvernement ne s’entendent pas sur la manière de résoudre les problèmes. Elle ne dit pas ce qui se passe si la Cour suprême estime qu’une chose est inconstitutionnelle mais que le Congrès pense le contraire et veut aller de l’avant et agir quand même. Il est bien connu qu’elle ne dit pas ce qui se passe en cas de conflit entre les États et le gouvernement fédéral. Le système actuel, où une fois que la Cour suprême déclare quelque chose inconstitutionnel, le Congrès et le président n’essaient plus de le faire (ou du moins pas autant), n’a pas toujours existé. Souvenez-vous que lorsque la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la décision d’Andrew Jackson, lorsqu’il était président, il a simplement dit : « Eh bien, ils ont pris leur décision, qu’ils la fassent appliquer. » La Constitution ne dit pas si la façon dont Jackson a procédé était la bonne. La façon dont nous procédons aujourd’hui est celle qui a émergé de la coutume. Peut-être êtes-vous pour, peut-être êtes-vous contre – quoi qu’il en soit, cela n’a jamais été codifié dans la loi. 

 (7) Le crime organisé prendra le dessus 

Une objection est que dans l’anarchie, le crime organisé prendra le dessus. Eh bien, c’est possible. Mais est-ce probable ? Le crime organisé tire son pouvoir de sa spécialisation dans des choses illégales – des choses comme la drogue et la prostitution, etc. Pendant les années où l’alcool était interdit, le crime organisé se spécialisait dans le commerce de l’alcool. Aujourd’hui, il n’est plus aussi important dans le commerce de l’alcool. Le pouvoir du crime organisé dépend donc dans une large mesure du pouvoir du gouvernement. C’est en quelque sorte un parasite des activités du gouvernement. Les gouvernements, en interdisant certaines choses, créent des marchés noirs. Les marchés noirs sont dangereux car il faut se soucier à la fois du gouvernement et des autres personnes douteuses qui se lancent dans le marché noir. Le crime organisé se spécialise dans cela. Je pense donc que le crime organisé serait plus faible, et non plus fort, dans un système libertaire. 

(8) Les riches domineront  

Une autre crainte est que les riches règnent. Après tout, la justice ne va-t-elle pas être rendue au plus offrant dans ce cas, si l’on transforme les services juridiques en biens économiques ? C’est une objection courante. Curieusement, c’est une objection particulièrement courante chez les Randiens, qui deviennent soudainement très préoccupés par les masses pauvres et démunies. Mais dans quel système les riches sont-ils plus puissants ? Dans le système actuel ou dans l’anarchie ? Bien sûr, on a toujours un certain avantage si l’on est riche. C’est bien d’être riche. On est toujours mieux placé pour corrompre les gens si l’on est riche que si l’on ne l’est pas ; c’est vrai. Mais, dans le système actuel, le pouvoir des riches est amplifié. Supposons que je sois un riche malfaisant et que je veuille que le gouvernement fasse telle ou telle chose qui coûte un million de dollars. Dois-je soudoyer un million de dollars un bureaucrate pour y parvenir ? Non, parce que je ne lui demande pas de le faire avec son propre argent. Bien sûr, si je lui demandais de le faire avec son propre argent, je ne pourrais pas le convaincre de dépenser un million de dollars en le soudoyant moins d’un million. Il faudrait au moins un million de dollars et un centime. Mais les gens qui contrôlent l’argent des impôts qu’ils ne possèdent pas personnellement et qui ne peuvent donc pas en faire ce qu’ils veulent, le bureaucrate ne peut pas simplement empocher le million et rentrer chez lui (même si cela peut s’en rapprocher étonnamment). Tout ce que j’ai à faire, c’est de le soudoyer de quelques milliers de dollars, et il peut consacrer ce million de dollars d’argent des impôts à mon projet préféré ou autre, et ainsi le pouvoir de mon pot-de-vin est multiplié. Alors que, si vous étiez le chef d’une agence de protection privée et que j’essayais de vous convaincre de faire quelque chose qui coûte un million de dollars, je devrais vous soudoyer plus d’un million. Donc, le pouvoir des riches est en fait moindre dans ce système. Et bien sûr, tout tribunal qui aurait la réputation de discriminer les millionnaires au détriment des pauvres aurait aussi probablement la réputation de discriminer les milliardaires au détriment des millionnaires. Les millionnaires ne voudraient donc pas avoir affaire à ce genre de choses tout le temps. Ils ne voudraient y être confrontés que lorsqu’ils ont affaire à des personnes plus pauvres, pas à des personnes plus riches. Les effets sur la réputation – je ne pense pas que ce serait une pratique très populaire.

Les victimes pauvres qui ne peuvent pas se permettre de recourir à des services juridiques ou qui meurent sans héritiers (là encore, les Randiens sont très inquiets de voir des victimes mourir sans héritiers) peuvent faire ce qu’ils faisaient dans l’Islande médiévale. Vous êtes trop pauvre pour payer des services juridiques, mais si quelqu’un vous a fait du mal, vous avez droit à une indemnisation de la part de cette personne. Vous pouvez vendre cette réclamation, une partie ou la totalité de la réclamation, à quelqu’un d’autre. En fait, c’est un peu comme engager un avocat sur la base d’honoraires conditionnels. Vous pouvez vendre à quelqu’un qui est en mesure de faire valoir votre réclamation. Ou, si vous mourez sans héritiers, en un sens, l’un des biens que vous avez laissés derrière vous était votre demande d’indemnisation, et vous pouvez la conserver. 

 (9) Robert Bidinotto : Les masses exigeront de mauvaises lois 

Une autre inquiétude de Bidinotto – et c’est en quelque sorte l’opposé de l’inquiétude de voir les riches gouverner – est la suivante : « eh bien, écoutez, Mises n’a-t-il pas raison de dire que le marché est comme une grande démocratie, où il y a la souveraineté du consommateur, et où les masses obtiennent tout ce qu’elles veulent ? C’est formidable quand il s’agit de réfrigérateurs, de voitures, etc. Mais ce n’est sûrement pas une bonne chose quand il s’agit de lois. Car, après tout, les masses sont une bande d’idiots ignorants et intolérants, et si elles obtiennent simplement les lois qu’elles veulent, qui sait quelles horreurs elles vont créer. » Bien sûr, la différence entre la démocratie économique du type de Mises et la démocratie politique est la suivante : eh bien, oui, elles obtiennent tout ce qu’elles veulent, mais elles vont devoir payer pour cela. Maintenant, il est parfaitement vrai que si vous avez des gens qui sont suffisamment fanatiques pour vouloir imposer quelque chose de misérable à d’autres personnes, si vous avez un groupe suffisamment large de personnes qui sont suffisamment fanatiques à ce sujet, alors l’anarchie pourrait ne pas conduire à des résultats libertariens.  

Si vous vivez en Californie, vous avez suffisamment de gens qui sont absolument fanatiques de l’interdiction du tabac, ou peut-être si vous êtes en Alabama et que c’est l’homosexualité plutôt que le tabac qu’ils veulent interdire (aucun des deux ne l’interdirait, je pense) – dans ce cas, il se pourrait qu’ils soient tellement fanatiques qu’ils l’interdisent. Mais n’oubliez pas qu’ils vont devoir payer pour cela. Donc, lorsque vous recevez votre prime mensuelle, vous voyez : eh bien, voici votre service de base – vous protéger contre les agressions ; oh, et puis voici également votre service étendu, et le supplément pour cela – regarder par la fenêtre de vos voisins pour s’assurer qu’ils ne sont pas – soit à cause du tabac, soit à cause de l’homosexualité ou de quoi que ce soit qui vous inquiète. Maintenant, les gens vraiment fanatiques diront : « Oui, je vais débourser de l’argent supplémentaire pour cela. » (Bien sûr, s’ils sont aussi fanatiques, ils vont probablement aussi causer des problèmes sous la junte.) Mais s’ils ne sont pas aussi fanatiques, ils diront : « Eh bien, si tout ce que j’ai à faire est d’aller voter pour ces lois qui restreignent la liberté des autres, eh bien, j’irais, c’est assez facile d’aller voter pour cela. » Mais s’ils doivent réellement payer pour cela – « Eh bien, je ne sais pas. Peut-être que je peux me résigner à cela. » 

(10) Robert Nozick et Tyler Cowen : Les agences de protection privées deviendront un gouvernement de facto 

Bon, une dernière considération dont je veux parler. C’est une question qui a été soulevée à l’origine par Robert Nozick et qui a depuis été poussée plus loin par Tyler Cowen. Nozick a dit : Supposons que vous ayez l’anarchie. Une des trois choses se produira. Soit les agences se battront – et il donne deux scénarios différents de ce qui se passera si elles se battent. Mais j’ai déjà parlé de ce qui se passe s’ils se battent, alors je vais parler de la troisième option. Et s’ils ne se battent pas ? Ensuite, il dit que s’ils acceptent ces contrats d’arbitrage mutuel et ainsi de suite, alors fondamentalement, tout cela se transforme en un gouvernement. Et puis Tyler Cowen a poussé cet argument plus loin. Il a dit que ce qui se passe, c’est que cela se transforme en fait en un cartel, et il sera dans l’intérêt de ce cartel de se transformer en quelque sorte en un gouvernement. Et toute nouvelle agence qui apparaît, ils peuvent simplement la boycotter. 

De la même manière que vous avez intérêt à ce que votre nouvelle carte bancaire soit compatible avec les machines de tous les autres, si vous créez une nouvelle agence de protection, vous avez intérêt à faire partie de ce système de contrats et d’arbitrage, etc., qui existe déjà. Les consommateurs ne s’adresseront pas à vous s’ils découvrent que vous n’avez pas conclu d’accord sur ce qui se passera en cas de conflit avec ces autres agences. Ce cartel pourra donc exclure tout le monde. Est-ce que cela pourrait arriver ? Bien sûr. Toutes sortes de choses pourraient se produire. La moitié du pays pourrait se suicider demain. Mais est-ce probable ? Ce cartel pourrait-il abuser de son pouvoir de cette façon ? Le problème est que les cartels sont instables pour toutes les raisons habituelles. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible qu’un cartel réussisse. Après tout, les gens ont le libre arbitre. Mais c’est peu probable, car les motivations mêmes qui vous poussent à former un cartel vous poussent aussi à le trahir, car il est toujours dans l’intérêt de quiconque de conclure des accords en dehors du cartel une fois qu’il en fait partie. Bryan Caplan fait une distinction entre les boycotts auto-exécutoires et les boycotts non auto-exécutoires. Les boycotts auto-exécutoires sont ceux où le boycott est assez stable, car il s’agit d’un boycott contre, par exemple, le fait de faire des affaires avec des personnes qui trompent leurs partenaires commerciaux. Maintenant, vous n’avez pas besoin d’avoir une résolution d’engagement moral de fer pour éviter de faire des affaires avec des personnes qui trompent leurs partenaires commerciaux. Vous avez une raison parfaitement intéressée de ne pas faire affaire avec ces personnes. Mais pensez plutôt à un engagement à ne pas faire affaire avec quelqu’un parce que vous n’aimez pas sa religion ou quelque chose de ce genre, ou parce qu’il est membre de la mauvaise agence de protection, une agence avec laquelle vos collègues vous ont dit de ne pas traiter – eh bien, le boycott pourrait fonctionner. Peut-être que suffisamment de personnes (et peut-être tout le monde) au sein du cartel sont tellement déterminées à soutenir le cartel qu’elles ne veulent tout simplement pas traiter avec la personne. Est-ce possible ? Oui. Mais, si nous supposons qu’ils ont formé le cartel pour leur propre intérêt économique, alors c’est précisément cet intérêt économique qui conduit à la déstabilisation, car il est dans leur intérêt de traiter avec la personne, tout comme il est toujours dans votre intérêt de vous engager dans des échanges mutuellement bénéfiques. 

 PÉRIODE DE QUESTIONS 

Quoi qu’il en soit, voilà quelques-unes des objections et quelques-unes de mes réponses, et je vais les aborder. 

Q1 : Ma principale préoccupation concernant l’anarchisme est la suivante : pourquoi ne peut-on pas dire que le gouvernement n’est qu’une autre division du travail ? Parce qu’il se pourrait que certaines personnes soient meilleures ou possèdent des capacités naturelles qui les rendent plus aptes à gouverner les autres. Je ne dis pas que l’anarchie ne peut pas fonctionner, mais uniquement à partir de preuves empiriques, le fait qu’aucune des régions industrialisées du monde ne soit en état d’anarchie, et qu’elles n’aient jamais été longtemps en état d’anarchie, en dit long sur la stabilité ou la viabilité des sociétés humaines complexes dans l’état actuel. Et aussi, pour revenir à ce que j’ai dit plus tôt, on peut concevoir la relation entre le dirigeant et les dirigés comme une autre division du travail courante. Certaines personnes possèdent des capacités de leadership qui leur permettent de mieux organiser les gens que d’autres. Certaines personnes n’en ont pas. 

 RL : Sur le point de la division du travail, dans la mesure où la division du travail est volontaire – si vous êtes meilleur que moi dans tel ou tel domaine, et donc vous le faites, et ensuite j’achète vos services – tant que c’est volontaire, c’est bien. Mais quand nous parlons de division du travail et que certaines personnes sont meilleures que d’autres pour gouverner – eh bien, si je consens à ce que vous me dirigiez – peut-être que je vous engage comme conseiller parce que je pense que vous êtes meilleur que moi pour prendre des décisions, alors je prends une dernière décision qui est de vous embaucher comme conseiller, et à partir de là je fais ce que vous dites – ce n’est pas du gouvernement ; vous êtes mon employé, vous êtes un employé que je suis très religieusement. Mais gouverner implique de gouverner les gens sans leur consentement. Le fait que la division du travail soit bénéfique pour toutes les personnes concernées ne semble pas s’appliquer dans les cas où un groupe force l’autre à accepter ses services. 

Et pour ce qui est de savoir pourquoi nous ne voyons aucun pays industrialisé qui connaît l’anarchie – bien sûr, nous ne voyons pas non plus de pays industrialisés qui connaissent la monarchie. Mais les pays industrialisés n’existent pas depuis si longtemps. Il fut un temps où les gens disaient que tous les pays civilisés (ou presque tous les pays civilisés) étaient des monarchies. On trouve des gens aux XVIIe et XVIIIe siècles qui disaient : regardez, tous les pays civilisés sont des monarchies ; la démocratie ne fonctionnerait jamais. Et en disant que la démocratie ne fonctionnerait jamais, ils ne voulaient pas seulement dire qu’elle aurait divers effets négatifs à long terme ; ils pensaient simplement qu’elle s’effondrerait complètement dans le chaos en quelques mois. Quoi que vous puissiez penser de la démocratie, elle était plus viable que ce qu’ils avaient prévu. Elle pourrait durer plus longtemps, en tout cas, que ce qu’ils avaient prévu. Les choses sont donc en constante évolution. Il fut un temps où il n’y avait que des monarchies. Aujourd’hui, ce sont toutes des démocraties semi-oligarchiques. La nuit ne fait que commencer. 

Q2 : Roderick, nous apprécions tous le travail formidable que vous faites ici à l’Institut Mises, mais Ludwig von Mises n’était pas un anarchiste. Je me demandais donc si vous pouviez nous en dire plus sur votre institut et l’Institut Molinari. 

RL : Mises n’était pas vraiment un misésien ! [rires] Eh bien, j’ai mon propre groupe de réflexion. Il est un peu plus petit que celui-ci. Je ne sais pas s’il a une taille physique. Il est composé de plus d’une personne. Le conseil d’administration est composé de trois personnes. Donc, c’est trois personnes plus un site Web. Un jour, il dominera la Terre – de manière anarchique. Pour l’instant, ce qu’il fait principalement, c’est publier divers classiques libertaires et anarchistes sur son site Web. Il existe une ramification de celui-ci – la Société Molinari, qui est composée des mêmes trois personnes plus une de plus. Dans la mesure où, comme l’a dit Hayek, les faits sociaux consistent en l’attitude des gens à leur égard, plus les gens pensent qu’ils existent, plus ils existent. Tout cela existe un peu plus parce que nous nous sommes affiliés à l’American Philosophical Association. La Molinari Society organise une session lors des réunions de l’American Philosophical Association en décembre. Il s’agira donc en fait d’un événement Molinari en décembre impliquant les trois personnes plus une autre. Voilà donc le grand et glorieux progrès. Sa mission est de renverser le gouvernement. Nous avons demandé au gouvernement un statut d’exonération fiscale. (Nous verrons à quel point ils sont stupides ! Nous avons formulé la description un peu différemment lorsque nous avons envoyé les formulaires.) 

Q3 : J’allais appuyer votre argument concernant l’objection de Rand selon laquelle les transactions sur le marché nécessitent une certaine base juridique. Le fait qu’il existe des marchés noirs contredit cette affirmation. Si vous êtes un trafiquant de cocaïne et que vous vous faites arnaquer par votre intermédiaire, vous ne pouvez certainement pas aller devant un tribunal et dire « Allez l’arrêter, il ne m’a pas donné la cocaïne qu’il était censé me donner »…

 RL : Je suis sûr que quelqu’un a essayé… 

Q3 : …Maintenant, bien sûr, cela peut très facilement conduire à la violence, mais n’oubliez pas qu’il y a des gens qui essaient activement de vous arrêter, non seulement qu’ils ne vous laissent pas arbitrer, mais qu’ils vous empêchent activement de le faire. 

 RL : David Friedman avance l’argument selon lequel l’une des principales fonctions de la mafia est de servir en quelque sorte de système judiciaire pour les criminels. Ce n’est pas tout, mais la Mafia s’intéresse aux activités criminelles qui se déroulent sur son territoire, car elle veut sa part, mais elle ne veut pas non plus que des gangs se tirent dessus sur son territoire. Si vous avez un conflit, que vous avez conclu un accord criminel avec quelqu’un et qu’il vous a trompé, et que cela s’est produit dans la juridiction d’un groupe mafieux particulier, ils s’y intéresseront tant que vous lui versez votre part. S’ils ne coopèrent pas, la Mafia agira comme un tribunal et une police. Ce sont en quelque sorte des flics pour les criminels. 

Q4 : Qu’est-ce qui empêchera les sociétés de protection de devenir un racket de protection ? 

 RL : Eh bien, d’autres sociétés de protection. Si elles y parviennent, alors elles deviennent un gouvernement. Mais pendant la période où il essaie de le faire, il n’est pas encore devenu un gouvernement, donc nous supposons qu’il existe encore d’autres agences, et il est dans l’intérêt de ces autres agences de s’assurer que cela n’arrive pas. Est-ce que cela pourrait devenir un racket de protection ? En principe, les agences de protection pourraient-elles évoluer vers un gouvernement ? Certaines le pourraient. Je pense que c’est probablement le cas historiquement. Mais la question est : est-ce un résultat probable ou inévitable ? Je ne le pense pas, car il existe un système de freins et contrepoids. Les freins et contrepoids peuvent échouer dans l’anarchie, tout comme ils peuvent échouer dans le cadre des constitutions. Mais il existe un système de freins et contrepoids qui consiste en la possibilité de faire appel à d’autres agences de protection ou de créer une autre agence de protection avant que cette chose n’ait eu la chance d’acquérir ce genre de pouvoir. 

Q5 : Qui explique le mieux l’origine de l’État ? 

RL : Il existe une théorie populaire du XIXe siècle sur l’origine de l’État, que l’on retrouve sous différentes formes. On la trouve chez Herbert Spencer, chez Oppenheimer, et chez certains libéraux français comme Comte et Dunoyer, et chez Molinari, qui n’était pas vraiment français, mais belge (« Je ne suis pas un Français, je suis un Belge ! »). Cette théorie – ils en ont eu différentes versions, mais elles sont toutes assez similaires – était qu’un groupe en conquiert un autre. Souvent, la théorie était qu’une sorte de groupe de chasseurs-maraudeurs conquiert un groupe d’agriculteurs. Dans la version de Molinari, ce qui se passe est le suivant : d’abord, ils vont tuer des gens et s’emparent de leurs biens. Puis, petit à petit, ils se rendent compte qu’il vaut mieux peut-être attendre et ne pas les tuer parce que nous voulons qu’ils cultivent davantage la prochaine fois que nous reviendrons. Alors, au lieu de ça, on viendra et on prendra leurs affaires sans les tuer, puis ils cultiveront encore plus et l’année prochaine on reviendra. Et puis ils se disent, eh bien, si on prend toutes leurs affaires, alors ils n’auront pas assez de semences pour les cultiver, ou ils n’auront aucune raison de les cultiver – ils s’enfuiront ou quelque chose comme ça – donc on ne prendra pas tout. Et finalement, ils se disent : on n’a pas besoin de partir et de revenir sans cesse. On peut simplement s’installer. Et puis petit à petit, au fil du temps, on obtient une classe dirigeante et une classe dirigée. Au début, la classe dirigeante et la classe dirigée peuvent être ethniquement différentes parce qu’elles étaient des tribus différentes. Mais même si, au fil du temps, les tribus se marient entre elles et qu’il n’y a plus de différence dans leurs compositions, elles ont toujours la même structure, celle d’un groupe dirigeant et celle d’un groupe dirigé. C’était donc une théorie populaire sur l’origine de l’État, ou du moins sur l’origine de nombreux États. Je pense qu’une autre origine que l’on peut voir dans certains États ou entités apparentées est celle de situations similaires, mais dans les cas où ils réussissent à repousser les envahisseurs. Un groupe local au sein du groupe envahi dit : nous allons nous spécialiser dans la défense – nous allons nous spécialiser dans la défense du reste d’entre vous contre ces envahisseurs. Et ils y parviennent. Si vous regardez l’histoire de l’Angleterre, je pense que c’est ce qui se passe avec la monarchie anglaise. Avant la conquête normande, les premiers monarques anglais étaient des chefs de guerre dont la tâche principale était la défense nationale. Ils avaient très peu à faire à l’intérieur du pays. Ils étaient principalement dirigés contre les envahisseurs étrangers. Mais c’était un monopole. (Maintenant, la question est de savoir comment ils ont obtenu ce monopole. Je n’en suis pas si sûr.) Mais une fois qu’ils l’ont obtenu, ils ont progressivement commencé à s’impliquer de plus en plus dans le contrôle intérieur également. 

Q6 : Hector, l’histoire de Murray sur Hector ? Elle ressemble beaucoup à cette histoire et elle est sur le Web, et c’est une histoire magnifique. 

 RL : De quelle histoire sur Hector s’agit-il ? 

Q6 : La première, pourquoi devons-nous partir, restons-y… 

RL : Oh, oui. 

Q6 : Murray a fait un très bon travail là-dessus, et je le recommande. 

RL : Dans quoi ça se trouve ? 

Q6 : C’est sur LewRockwell.com. 

RL : C’est l’un des articles de Rothbard qui s’y trouvent ? D’accord. 

Q6 : Je voulais étayer votre thèse de plusieurs manières. Un autre argument en faveur de l’anarchie est que si vous êtes vraiment en faveur du gouvernement, vous devez être en faveur du gouvernement mondial, car en ce moment, il y a l’anarchie entre les gouvernements, et nous ne pouvons pas avoir cela si vous voulez un gouvernement. Très peu de gens sont en faveur d’un gouvernement mondial, et c’est incompatible avec la thèse contre l’anarchie. 

 RL : Il faut qu’il y ait un arbitre final. 

 Q6 : Un autre argument en faveur de cette idée est la question des négociations. Les fuseaux horaires et l’écartement standard des voies ferrées ont été déterminés par des négociations entre les compagnies ferroviaires. 

 RL : Et Internet. Certains aspects sont légaux, mais d’autres sont simplement coutumiers. 

 Q6 : Un autre argument en faveur de cette idée est la question du cartel. À une époque, la National Basketball Association comptait huit équipes et ne permettait à personne d’y participer, alors ils ont créé l’ABA (l’American Basketball Association, avec le ballon rouge-blanc-bleu). Donc si vous aviez un cartel qui ne laissait pas entrer d’autres personnes, ils pouvaient en créer un autre. 

RL : Que leur est-il arrivé ? 

Q6 : Ils ont fini par fusionner. Aujourd’hui, il y a une trentaine d’équipes dans la NBA. Et si ce n’est pas assez, une autre ligue peut encore voir le jour. 

RL : Le point crucial est que dans la définition autrichienne de la concurrence, ce n’est pas le nombre d’entreprises concurrentes qui compte, mais la libre entrée. Tant qu’il est possible d’en créer un autre, cela peut avoir le même effet que de le faire réellement. 

Q6 : En plus de la dissolution d’un cartel, d’autres cartels peuvent entrer en concurrence avec le premier cartel. 

RL : La XFL a-t-elle eu un effet positif ? [rires] 

 Q6 : Je voulais poser une question. Dans votre réponse à la première question, où vous avez dit que vous le nommiez comme guide, cela signifie-t-il que vous êtes de mon côté ? 

 RL : Non. 

 Q6 : — sur l’aliénabilité ? 

RL : Non, non. C’est pourquoi j’ai dit qu’il était l’employé plutôt que le propriétaire. Je crois aux droits inaliénables. 

Q6 : C’est un employé, mais vous ne pouvez pas le licencier… 

 RL : Non, je peux le licencier. C'est mon conseiller, je le suivrai toujours, mais je n'ai pas renoncé à mon droit de le licencier. 

 Le meilleur de Roderick T. Long 

Anarchisme libertarien

Par Roderick T. Long 19 août 2004 

https://www.lewrockwell.com/2004/08/roderick-t-long/libertarian-anarchism/ 

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