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novembre 16, 2025

L'incohérence intellectuelle du conservatisme par Hans-Hermann Hoppe

L'incohérence intellectuelle du conservatisme

Le conservatisme moderne, aux États-Unis et en Europe, est confus et déformé. Sous l'influence de la démocratie représentative et avec la transformation des États-Unis et de l'Europe en démocraties de masse après la Première Guerre mondiale, le conservatisme, autrefois force idéologique anti-égalitaire, aristocratique et anti-étatique, s'est mué en un mouvement d'étatistes culturellement conservateurs : l'aile droite des socialistes et des sociaux-démocrates. 
 

 
 La plupart des conservateurs contemporains autoproclamés s'inquiètent, à juste titre, du déclin de la famille, du divorce, des naissances hors mariage, de la perte d'autorité, du multiculturalisme, de la désintégration sociale, du libertinage sexuel et de la criminalité. Ils perçoivent tous ces phénomènes comme des anomalies et des déviations de l'ordre naturel, ou de ce que l'on pourrait appeler la normalité. 
 
Cependant, la plupart des conservateurs contemporains (du moins la plupart des porte-parole de l'establishment conservateur) soit ne reconnaissent pas que leur objectif de rétablissement de la normalité exige les changements sociaux anti-étatiques les plus drastiques, voire révolutionnaires, soit (s'ils en sont conscients) ils trahissent de l'intérieur le programme culturel du conservatisme afin de promouvoir un programme entièrement différent.

Que cela soit largement vrai pour les soi-disant néoconservateurs ne nécessite pas d'explications supplémentaires. En effet, en ce qui concerne leurs dirigeants, on peut supposer que la plupart appartiennent à cette dernière catégorie. Ils ne se soucient guère des questions culturelles, mais reconnaissent devoir jouer la carte du conservatisme culturel pour ne pas perdre le pouvoir et promouvoir leur objectif, tout autre, de social-démocratie mondiale.<sup>1</sup> Le caractère fondamentalement étatiste du néoconservatisme américain se résume parfaitement dans une déclaration d'Irving Kristol, l'un de ses principaux défenseurs intellectuels : 
 
« Le principe fondamental d'un État-providence conservateur devrait être simple : dans la mesure du possible, les individus devraient pouvoir conserver leur propre argent – ​​plutôt que de le voir transféré (par le biais des impôts) à l'État – à condition qu'ils l'utilisent à des fins bien définies.» (<i>Two Cheers for Capitalism</i> [New York : Basic Books, 1978], p. 119) 
 
Ce point de vue est essentiellement identique à celui des sociaux-démocrates européens modernes, post-marxistes. Ainsi, le Parti social-démocrate allemand (SPD), par exemple, adopta dans son programme de Godesberg de 1959 la devise « autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ». 
 
Une seconde branche, plus ancienne mais aujourd’hui presque indiscernable de la précédente, du conservatisme américain contemporain est représentée par le nouveau conservatisme (d’après-guerre) lancé et promu, avec l’aide de la CIA, par William Buckley et sa revue National Review. Alors que l’ancien conservatisme américain (d’avant-guerre) se caractérisait par des positions résolument anti-interventionnistes en matière de politique étrangère, le nouveau conservatisme de Buckley se distingue par son militarisme exacerbé et sa politique étrangère interventionniste.
 
Dans un article intitulé « Le point de vue d'un jeune républicain », publié dans Commonweal le 25 janvier 1952, trois ans avant le lancement de sa National Review, Buckley résumait ainsi ce qui allait devenir le nouveau credo conservateur : face à la menace soviétique, « nous [les nouveaux conservateurs] devons accepter un État omniprésent pour la durée du conflit, car aucune guerre offensive ni défensive ne peut être menée… autrement que par le biais d'une bureaucratie totalitaire sur notre territoire.» 
 
Les conservateurs, écrivait Buckley, avaient le devoir de promouvoir « les lois fiscales étendues et productives nécessaires au soutien d'une politique étrangère anticommuniste vigoureuse », ainsi que « les armées et les forces aériennes importantes, l'énergie atomique, les services de renseignement centraux, les commissions de production de guerre et la centralisation du pouvoir à Washington qui en découle.» 
 
 Sans surprise, depuis l'effondrement de l'Union soviétique à la fin des années 1980, cette philosophie est restée fondamentalement inchangée. Aujourd'hui, le maintien et la préservation de l'État-providence et de l'État-militant américain sont tout simplement justifiés et encouragés par les néoconservateurs et les nouveaux conservateurs, qui invoquent d'autres ennemis et dangers étrangers : la Chine, le fondamentalisme islamique, Saddam Hussein, les « États voyous » et la menace du « terrorisme mondial ». 
 
Cependant, il est également vrai que de nombreux conservateurs sont sincèrement préoccupés par la désintégration ou le dysfonctionnement de la famille et le déclin culturel. Je pense ici en particulier au conservatisme représenté par Patrick Buchanan et son mouvement. Le conservatisme de Buchanan n'est en rien aussi différent de celui de l'establishment du Parti républicain conservateur que lui et ses partisans le croient. Sur un point décisif, leur conception du conservatisme rejoint pleinement celle de l'establishment conservateur : tous deux sont étatistes. Ils divergent quant aux mesures à prendre pour rétablir la normalité aux États-Unis, mais ils s'accordent sur le fait que cela doit être fait par l'État. On ne trouve chez aucun des deux la moindre trace d'anti-étatisme de principe.
 
Permettez-moi d'illustrer mon propos en citant Samuel Francis, l'un des principaux théoriciens et stratèges du mouvement buchananiste. Après avoir déploré la propagande « anti-blanche » et « anti-occidentale », le « laïcisme militant, l'égoïsme avide de profit, le mondialisme économique et politique, la croissance démographique et le centralisme étatique débridé », il expose un nouvel esprit, celui de « l'Amérique d'abord », qui « implique non seulement de privilégier les intérêts nationaux à ceux des autres nations et à des abstractions telles que le "leadership mondial", l'"harmonie mondiale" et le "Nouvel Ordre Mondial", mais aussi de donner la priorité à la nation sur la satisfaction des intérêts individuels et infranationaux ». 
 
Comment propose-t-il de remédier au problème de la dégénérescence morale et du déclin culturel ? Il ne reconnaît pas que, par nature, l'éducation ne relève pas de l'État. L'éducation est pour lui une affaire entièrement familiale et devrait être produite et diffusée dans le cadre d'accords coopératifs, au sein de l'économie de marché. 
 
De plus, on ne reconnaît pas que la dégénérescence morale et le déclin culturel ont des causes plus profondes et ne peuvent être guéris par de simples changements de programmes scolaires imposés par l'État, ni par des exhortations et des discours. Au contraire, François propose que le redressement culturel – le retour à la normale – puisse être réalisé sans changement fondamental de la structure de l'État-providence moderne. En effet, Buchanan et ses idéologues défendent explicitement les trois institutions centrales de l'État-providence : la sécurité sociale, l'assurance maladie et les allocations chômage. Ils souhaitent même étendre les responsabilités « sociales » de l'État en lui confiant la tâche de « protéger », par le biais de restrictions nationales à l'importation et à l'exportation, les emplois américains, notamment dans les secteurs d'intérêt national, et de « protéger les salaires des travailleurs américains de la main-d'œuvre étrangère qui doit travailler pour un dollar de l'heure ou moins ».
 
En réalité, les partisans de Buchanan admettent volontiers être étatistes. Ils abhorrent et ridiculisent le capitalisme, le laissez-faire, le libre marché et le commerce, la richesse, les élites et la noblesse ; et ils prônent un nouveau conservatisme populiste – voire prolétarien – qui amalgame conservatisme social et culturel et économie socialiste. Ainsi, poursuit Francis:
 
si la gauche a pu séduire les Américains moyens par ses mesures économiques, elle les a perdus par son radicalisme social et culturel, et si la droite a pu attirer les Américains moyens en invoquant l’ordre public et la défense de la normalité sexuelle, des mœurs et de la religion traditionnelles, des institutions sociales traditionnelles et en faisant appel au nationalisme et au patriotisme, elle les a perdus en ressortant ses vieilles recettes économiques bourgeoises. 
 
Il est donc nécessaire de combiner les politiques économiques de la gauche et le nationalisme et le conservatisme culturel de la droite, afin de créer « une nouvelle identité synthétisant à la fois les intérêts économiques et les loyautés culturelles et nationales de la classe moyenne prolétarisée dans un mouvement politique séparé et unifié ».2 Pour des raisons évidentes, cette doctrine n’est pas ainsi nommée, mais il existe un terme pour ce type de conservatisme : il s’agit du nationalisme social ou du national-socialisme.
 
Quant à la plupart des dirigeants de la soi-disant Droite chrétienne et de la « majorité morale », ils souhaitent simplement remplacer l'élite libérale de gauche actuelle, chargée de l'éducation nationale, par une autre, à savoir eux-mêmes. « Depuis Burke », a critiqué Robert Nisbet, « il est devenu un précepte conservateur et un principe sociologique, depuis Auguste Comte, que le moyen le plus sûr d'affaiblir la famille, ou tout groupe social vital, est que l'État s'approprie, puis monopolise, les fonctions historiques de la famille. » À l'inverse, une grande partie de la droite américaine contemporaine « s'intéresse moins aux immunités burkéennes face au pouvoir gouvernemental qu'à la concentration maximale du pouvoir gouvernemental entre les mains de ceux en qui l'on peut avoir confiance. C'est le contrôle du pouvoir, et non sa réduction, qui prime. » 
 
 Je ne m'attarderai pas ici sur la question de savoir si le conservatisme de Buchanan jouit d'une popularité importante ni si son analyse de la politique américaine est sociologiquement juste. Je doute que ce soit le cas, et le sort de Buchanan lors des primaires présidentielles républicaines de 1995 et 2000 ne semble pas le contredire. Je souhaite plutôt aborder des questions plus fondamentales : à supposer que cette approche exerce un tel attrait, c’est-à-dire à supposer que le conservatisme culturel et l’économie socialiste puissent être psychologiquement compatibles (en d’autres termes, que l’on puisse adhérer simultanément à ces deux idées sans dissonance cognitive), peuvent-ils également être combinés efficacement et concrètement (économiquement et praxéologiquement) ? Est-il possible de maintenir le niveau actuel de socialisme économique (sécurité sociale, etc.) et d’atteindre l’objectif de restaurer la normalité culturelle (familles traditionnelles et règles de conduite normales) ? 
 
Buchanan et ses théoriciens n’éprouvent pas le besoin de soulever cette question, car ils considèrent la politique comme une simple affaire de volonté et de pouvoir. Ils ne croient pas à l’existence de lois économiques. Si les gens désirent quelque chose suffisamment et qu’on leur donne le pouvoir de le faire, tout est possible. L’« économiste autrichien décédé » Ludwig von Mises, auquel Buchanan faisait référence avec mépris lors de ses campagnes présidentielles, qualifiait cette croyance d’« historicisme », la posture intellectuelle des Kathedersozialisten allemands, les socialistes universitaires de la Chaire, qui justifiaient toutes les mesures étatiques.
 
Mais le mépris historiciste et l'ignorance de l'économie ne changent rien à l'existence inéluctable des lois économiques. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre, par exemple. Ce que l'on consomme aujourd'hui ne pourra plus être consommé demain. Produire davantage d'un bien implique nécessairement de produire moins d'un autre. Nul ne saurait faire disparaître ces lois. Croire le contraire ne peut mener qu'à l'échec. « En réalité », notait Mises, « l'histoire économique est un long récit de politiques gouvernementales qui ont échoué parce qu'elles ont été conçues au mépris des lois de l'économie. »³ 
 
À la lumière de ces lois économiques élémentaires et immuables, le programme de nationalisme social prôné par Buchanan n'est qu'un rêve audacieux, mais irréalisable. Nul ne saurait nier que le maintien des institutions fondamentales de l'État-providence actuel et le désir de revenir aux familles, aux normes, aux comportements et à la culture traditionnels sont des objectifs incompatibles. On peut avoir l'un – le socialisme (l'État-providence) – ou l'autre – la morale traditionnelle – mais pas les deux, car l'économie social-nationaliste, pilier du système actuel d'État-providence que Buchanan souhaite préserver, est précisément la cause des anomalies culturelles et sociales. 
 
Pour clarifier ce point, il suffit de rappeler l'une des lois fondamentales de l'économie : toute redistribution obligatoire des richesses ou des revenus, quels que soient les critères sur lesquels elle repose, implique de prendre à certains – ceux qui possèdent quelque chose – pour le donner à d'autres – ceux qui ne possèdent rien. De ce fait, l'incitation à posséder diminue, et celle à ne pas posséder augmente. Ce que possède le premier est généralement considéré comme « bon », et ce qui manque au second est perçu comme « mauvais » ou comme une carence. C'est d'ailleurs l'idée même qui sous-tend toute redistribution : certains ont trop de biens et d'autres pas assez. Toute redistribution a pour conséquence de produire moins de bien et de plus en plus de mal, moins de perfection et plus d'imperfections. Subventionner les pauvres par l'impôt (argent prélevé sur les autres) ne fera qu'accroître la pauvreté (ce qui est néfaste). Subventionner les chômeurs ne fera qu'augmenter le chômage (ce qui est néfaste). Subventionner les mères célibataires ne fera qu'accroître le nombre de mères célibataires et de naissances hors mariage (ce qui est néfaste), etc.
 
De toute évidence, cette observation fondamentale s'applique à l'ensemble du système de prétendue sécurité sociale mis en place en Europe occidentale (à partir des années 1880) et aux États-Unis (depuis les années 1930) : une « assurance » publique obligatoire contre la vieillesse, la maladie, les accidents du travail, le chômage, l'indigence, etc. Conjuguée au système encore plus ancien d'enseignement public obligatoire, cette institution et ces pratiques constituent une attaque massive contre la famille et la responsabilité individuelle. 
 
En dispensant les individus de l'obligation de subvenir à leurs propres besoins (revenus, santé, sécurité, vieillesse et éducation des enfants), on réduit la portée et l'horizon temporel de l'autonomie financière, et on dévalorise le mariage, la famille, les enfants et les liens de parenté. L'irresponsabilité, le manque de clairvoyance, la négligence, la maladie et même le destructivisme (les méfaits) sont encouragés, tandis que la responsabilité, la prévoyance, la diligence, la santé et la prudence (les biens) sont sanctionnées. 
 
Le système d'assurance vieillesse obligatoire, qui subventionne les retraités grâce aux impôts prélevés sur les jeunes actifs, a systématiquement affaibli le lien intergénérationnel naturel entre parents, grands-parents et enfants. Les personnes âgées n'ont plus besoin de compter sur l'aide de leurs enfants si elles n'ont pas prévu leur propre retraite ; et les jeunes (généralement moins fortunés) doivent subvenir aux besoins des personnes âgées (généralement plus aisées), et non l'inverse, comme c'est souvent le cas au sein des familles. 
 
Par conséquent, non seulement les gens souhaitent avoir moins d'enfants – et de fait, le taux de natalité a diminué de moitié depuis la mise en place des politiques modernes de protection sociale –, mais le respect que les jeunes portaient traditionnellement aux aînés s'est également amoindri, et tous les indicateurs de désintégration et de dysfonctionnement familial, tels que les taux de divorce, de naissances hors mariage, de maltraitance infantile, de violence parentale, de violence conjugale, de familles monoparentales, de célibat, de modes de vie alternatifs et d'avortement, ont augmenté.
 
De plus, la socialisation du système de santé par le biais d'institutions telles que Medicaid et Medicare, ainsi que la réglementation du secteur des assurances (en limitant le droit de refus des assureurs – c'est-à-dire leur capacité à exclure tout risque individuel comme non assurable et à discriminer librement, selon des méthodes actuarielles, entre différents groupes de risques), ont mis en branle un mécanisme monstrueux de redistribution des richesses et des revenus. Ce mécanisme se fait au détriment des individus responsables et des groupes à faible risque, au profit des acteurs irresponsables et des groupes à haut risque. Les subventions accordées aux malades, aux personnes en mauvaise santé et aux personnes handicapées engendrent la maladie et l'invalidité, et affaiblissent la motivation à travailler pour gagner sa vie et à mener une vie saine. On ne saurait mieux faire que de citer à nouveau l'économiste autrichien Ludwig von Mises : 
 
 « Être malade n'est pas un phénomène indépendant de la volonté consciente… L'efficacité d'un homme ne résulte pas uniquement de sa condition physique ; elle dépend largement de son esprit et de sa volonté… » L’aspect destructeur de l’assurance accident et maladie réside avant tout dans le fait que ces institutions favorisent les accidents et les maladies, entravent la guérison et, très souvent, créent, ou du moins intensifient et prolongent, les troubles fonctionnels consécutifs à une maladie ou un accident… Se sentir en bonne santé est bien différent d’être en bonne santé au sens médical du terme… En affaiblissant, voire en détruisant complètement, la volonté d’être en bonne santé et apte au travail, l’assurance sociale engendre la maladie et l’incapacité de travail ; elle produit l’habitude de se plaindre – ce qui est en soi une névrose – et d’autres névroses… En tant qu’institution sociale, elle rend une population malade physiquement et mentalement, ou du moins contribue à multiplier, prolonger et intensifier la maladie… L’assurance sociale a ainsi fait de la névrose de l’assuré une dangereuse maladie publique. Si l’institution est étendue et développée, la maladie se propagera. Aucune réforme ne peut y remédier. On ne peut affaiblir ou détruire la volonté de rester en bonne santé sans engendrer la maladie.⁴ 
 
Je ne souhaite pas exposer ici l’absurdité économique de l’idée, encore plus radicale, de Buchanan et de ses théoriciens, de politiques protectionnistes (visant à protéger les salaires américains). S'ils avaient raison, leur argument en faveur du protectionnisme économique reviendrait à condamner tout commerce et à défendre l'idée que chaque famille serait mieux lotie si elle ne commerçait jamais avec personne. Dans ce cas, personne ne risquerait de perdre son emploi et le chômage dû à une concurrence « déloyale » serait ramené à zéro.
 
Pourtant, une telle société de plein emploi ne serait ni prospère ni forte ; elle serait composée de personnes (de familles) qui, malgré un travail acharné du matin au soir, seraient condamnées à la pauvreté et à la famine. Le protectionnisme international de Buchanan, bien que moins destructeur qu'une politique de protectionnisme interpersonnel ou interrégional, aboutirait exactement au même résultat. Il ne s'agit pas de conservatisme (les conservateurs souhaitent que les familles soient prospères et fortes), mais de destructionnisme économique. 
 
Quoi qu'il en soit, il devrait désormais être clair que la plupart, sinon la totalité, de la dégénérescence morale et du déclin culturel – signes de décivilisation – qui nous entourent sont les conséquences inéluctables de l'État-providence et de ses institutions fondamentales. Les conservateurs classiques, à l'ancienne, le savaient et s'opposaient farouchement à l'instruction publique et à la sécurité sociale. Ils savaient que les États, partout dans le monde, cherchaient à démanteler, voire à détruire, les familles, les institutions, les strates et les hiérarchies d'autorité qui découlent naturellement des communautés familiales, afin d'accroître et de renforcer leur propre pouvoir. Ils savaient que, pour ce faire, les États devraient exploiter la rébellion naturelle des adolescents contre l'autorité parentale. Et ils savaient que l'éducation et la responsabilisation socialisées étaient les moyens d'atteindre cet objectif. 
 
L'éducation et la sécurité sociales offrent aux jeunes rebelles la possibilité d'échapper à l'autorité parentale (et de persister dans leurs écarts de conduite). Les conservateurs de la vieille école savaient que ces politiques émanciperaient l'individu de la discipline familiale et communautaire pour le soumettre au contrôle direct et immédiat de l'État. 
 
De plus, ils savaient, ou du moins pressentaient, que cela conduirait à une infantilisation systématique de la société – une régression émotionnelle et mentale de l'âge adulte à l'adolescence, voire à l'enfance.
 
À l'inverse, le conservatisme populiste-prolétarien de Buchanan – le nationalisme social – témoigne d'une ignorance totale de ces enjeux. Concilier conservatisme culturel et État-providence est impossible, et donc économiquement absurde. L'État-providence – la sécurité sociale sous toutes ses formes – engendre le déclin et la dégénérescence morale et culturelle. Par conséquent, si l'on se préoccupe réellement de la décadence morale de l'Amérique et que l'on souhaite restaurer la normalité au sein de la société et de la culture, il faut s'opposer à tous les aspects de l'État-providence moderne. Un retour à la normale exige ni plus ni moins que la suppression pure et simple du système actuel de sécurité sociale : assurance chômage, sécurité sociale, Medicare, Medicaid, éducation publique, etc. – et donc la dissolution et la déconstruction quasi complètes de l'appareil d'État et du pouvoir gouvernemental. Si l'on veut un jour rétablir la normalité, les fonds et le pouvoir de l'État doivent diminuer jusqu'à atteindre, voire diminuer, leur niveau du XIXe siècle. Dès lors, les véritables conservateurs doivent être des libertariens intransigeants (anti-étatiques). Le conservatisme de Buchanan est fallacieux : il prône un retour à la morale traditionnelle tout en défendant le maintien des institutions mêmes qui sont responsables de sa destruction. 
 
La plupart des conservateurs contemporains, notamment les chouchous des médias, ne sont donc pas des conservateurs, mais des socialistes – soit internationalistes (les néoconservateurs, partisans d’un État interventionniste et social-démocrate mondialiste), soit nationalistes (les populistes buchananiens). Les véritables conservateurs doivent s’opposer aux deux. Pour restaurer les normes sociales et culturelles, les vrais conservateurs ne peuvent être que des libertariens radicaux, et ils doivent exiger la démolition – en tant que perversion morale et économique – de toute la structure de l’État interventionniste. 
 
Publié initialement en mars 2005.
 

 
1. Sur le conservatisme américain contemporain, voir notamment Paul Gottfried, <i>The Conservative Movement</i>, éd. rév. (New York : Twayne Publishers, 1993) ; George H. Nash, <i>The Conservative Intellectual Movement in America</i> (New York : Basic Books, 1976) ; Justin Raimondo, <i>Reclaiming the American Right: The Lost Legacy of the Conservative Movement</i> (Burlingame, Californie : Center for Libertarian Studies, 1993) ; voir également le chapitre 11. 
 
2. Samuel T. Francis, « From Household to Nation: The Middle American populism of Pat Buchanan », <i>Chronicles</i> (mars 1996) : 12-16 ; voir aussi <i>Beautiful Losers: Essays on the Failure of American Conservatism</i> (Columbia : University of Missouri Press, 1993) ; <i>Revolution from the Middle</i> (Raleigh, Caroline du Nord : Middle American Press, 1997).  
 
3Ludwig von Mises, L’action humaine : Traité d’économie, édition pour chercheurs (Auburn, Alabama : Ludwig von Mises Institute, 1998), p. 67. « Les princes et les majorités démocratiques », écrit Mises, « sont ivres de pouvoir. Ils doivent admettre à contrecœur qu’ils sont soumis aux lois de la nature. Mais ils rejettent la notion même de loi économique. Ne sont-ils pas les législateurs suprêmes ? N’ont-ils pas le pouvoir d’écraser tout opposant ? Aucun chef de guerre n’est enclin à reconnaître d’autres limites que celles que lui impose une force armée supérieure. Les scribouillards serviles sont toujours prêts à encourager cette suffisance en exposant les doctrines appropriées. Ils appellent leurs présomptions confuses « économie historique ». » 
 
4Ludwig von Mises, Le socialisme : Analyse économique et sociologique (Indianapolis, Indiana : Liberty Fund, 1981), p. 43, 1-32.
 

 

 

 

 

octobre 27, 2025

Les Libertariens en images



























EXPRESSION: La Main Invisible/Stéphane GEYRES et le livre Libres !! 

Stéphane GEYRES et le libertarianisme 

Stéphane Geyres: Y a-t-il des obligations chez les libertariens ?

Qu'est-ce que la Liberté, où en sont les limites, comment peut-elle nous permettre de vivre mieux ? Libres ! ! "opus 2" est sorti, osez la Liberté. 

Stéphane Geyres t-il la Liberté par principe naturel ?

Les mouvements libertariens pour 2017 dans le monde !!

Philosophie libertarienne, les critiques et la réponse !! 

Le Libertarianisme comme Lemennicier

L'anarcho-capitalisme serait-il un idéal de socièté ? La France des "Lumières" serait-elle toujours aussi innovante ?

Droits naturels ou DROIT NATUREL ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 


septembre 07, 2025

Dans national-socialisme, il y a socialisme par François Guillaumat

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La Route de la Servitude par Friedrich Hayek

par François Guillaumat

Alors même qu’il y a dix ans tout le monde était pour le socialisme, on imagine mal aujourd’hui l’extraordinaire domination de cette chimère sur le monde intellectuel dans les années quarante. C’est vraiment à ce moment-là que le socialisme fut au plus haut, et l’humanité semblait devoir se résigner à le subir soit par voie de nationalisation - la méthode marxiste - soit par voie de réglementation : la méthode allemande. 

 

Les pays autrefois libéraux ne l’étaient plus: en Grande-Bretagne, les privilèges syndicaux de 1906 avaient rendu l’économie ingérable et provoqué intervention après intervention ; la guerre servait de prétexte pour habituer les citoyens à l’économie de contrainte et de pénurie. Aux Etats-Unis Roosevelt avait pu, en double violation de la Constitution, imposer l’Etat-Providence et se faire réélire une deuxième fois.

Le socialisme léniniste avait conquis la Russie, et le socialisme hitlérien l’Allemagne. Leurs idées contaminaient le monde entier : aux Etats-Unis, le monde intellectuel était depuis le début du siècle sous l’influence de la philosophie allemande et du pragmatisme, son avatar local. L’interventionnisme keynésien n’y avait rencontré aucune résistance intellectuelle alors que Ludwig von Mises, le seul économiste alors capable de le réfuter, était opportunément réduit au silence par la persécution hitlérienne.

Les quelques intellectuels libéraux dans le monde avaient essayé de se regrouper avant la guerre, qui les avait dispersés. Ils étaient cependant d’une qualité exceptionnelle, et il suffit de circonstances favorables pour qu’ils se fissent de nouveau entendre. Le succès de son premier roman We the Living avait permis à Ayn Rand de mettre en avant ses idées dans son deuxième roman The Fountainhead en 1943 ; Mises, grâce au soutien de Henry Hazlitt et à l’admiration d’un éditeur, pourra publier Le gouvernement omnipotent, La bureaucratie et L’action humaine assez peu de temps après son arrivée aux Etats-Unis. C’est ce genre d’occasion qui a permis à Hayek d’écrire La route de la servitude.

Hayek avait beau s’être installé à Londres depuis 1931, il était malgré tout d’origine autrichienne, et ne pouvait participer, comme la plupart des économistes britanniques, à la planification de l’effort de guerre de Sa Majesté. La London School of Economics, où il occupait la chaire Tooke de théorie économique, avait dû s’installer à Cambridge pour éviter les bombardements de Londres. Keynes, quoiqu’intellectuellement malhonnête, était en bons termes avec ce rival et lui trouva une petite maison ; Hayek avait encore à cette époque l’intention de réfuter la prétendue Théorie générale à l’occasion d’une véritable théorie générale du capital, mais ne jugeait pas opportun de s’opposer à lui à ce moment ; il avait donc le temps pour d’autres recherches.

Disciple de Mises en économie après avoir été social-démocrate, Hayek est Docteur en Droit et en Sciences Politiques de l’Université de Vienne. Il s’était déjà essayé à la philosophie du Droit en publiant au Caire en 1935 The Political Ideal of the Rule of Law ; on le connaissait cependant surtout pour ses travaux dans le domaine où il est meilleur, la théorie économique. Son livre le plus important de méthodologie économique, The Counter-Revolution of Science et ses autres contributions théoriques vraiment personnelles, le reste étant dû à von Mises (« The Use of Knowledge in Society » et autres articles parus dans Individualism and Economic Order en 1948) paraissent d’ailleurs en même temps. L’économie politique et la philosophie politique sont évidemment liées, et la participation de Hayek au débat des années 30 sur la possibilité du calcul économique rationnel dans un cadre de centralisation autoritaire l’avait rendu particulièrement à même de discuter des effets de l’ambition socialiste sur l’organisation sociale.

The Road to Serfdom, paru en 1944, fut immédiatement un succès de librairie ; on en discuta même pendant l’élection de 1945, qui vit la victoire des travaillistes. Hayek fut invité à organiser une série de conférences à propos de son livre ; il put ainsi rencontrer un peu partout des penseurs libéraux qui devaient, en avril 1947, constituer la Société du Mont-Pèlerin. La route de la servitude devait changer la carrière de Hayek puisqu’elle l’amena à enseigner la philosophie morale à l’université de Chicago entre 1950 et 1956. Elle préfigure The Constitution of Liberty, son meilleur livre de philosophie politique, paru en 1960, et ses quatre derniers ouvrages : les trois tomes de Droit, législation et liberté (1978) et The Fatal Conceit, paru cette année [1988].

Le thème de la route de la servitude est que les traits déplaisants du national-socialisme et du fascisme sont communs à tous les régimes qui veulent réaliser le socialisme, c’est-à-dire soumettre la production à la violence politique pour réaliser une redistribution particulière des revenus. En somme, dans « national-socialisme », il y a « socialisme » et tous les traits déplaisants du nazisme, y compris l’extermination des minorités, se retrouveront dans toute société politique qui prend au sérieux l’ambition de réaliser la « justice sociale ».

Dans une succession de chapitres organisés par thèmes, Hayek démolit un certain nombre des illusions que se faisaient les intellectuels socialistes de son temps sur la société qu’ils appelaient de leurs vœux.

Le socialisme est né de l’abondance créée par le capitalisme, et de l’incapacité des intellectuels à la comprendre. Si l’on a cru, à partir de John Stuart Mill, qu’on pouvait redistribuer les richesses sans se soucier des effets de cette prédation sur la production, c’est d’abord parce qu’il y avait des richesses. La planification centrale, c’est-à-dire la confiscation par l’autorité centrale de tout contrôle sur les moyens de produire, est nécessaire dès que l’on cherche à réaliser une distribution des revenus déterminée à l’avance. C’est cette ambition qui explique l’accroissement du contrôle politique de la société et non une prétendue « nécessité technique », car la complexité est précisément ce qui condamne la centralisation.

Pour « planifier » à la mode socialiste, il faut imposer la volonté des hommes de l’Etat à un degré tel, et à un tel niveau de détail, que la démocratie est vidée de sa substance. Quand le vote subsiste, il permet de choisir le gouvernement, mais le peuple ne contrôle pas les lois, pas plus que les dépenses publiques. En effet la législation ne se borne plus à énoncer les règles que chacun doit suivre y compris les hommes de l’Etat. Elle consiste uniquement, comme le dit François Lefebvre, à « énoncer en quelles circonstances, et par quels moyens les hommes de l’Etat interviennent arbitrairement dans l’économie ».

Cette intervention affecte nécessairement tous les aspects de la vie, puisque toute action est productive de valeur pour celui qui l’accomplit. L’« économique » n’est pas un domaine particulier de l’action humaine, mais un des ses aspects universels. La liberté d’expression, la liberté personnelle ne se conçoivent pas là où les Droits de contrôler les moyens de l’action ont été confisqués. L’inconséquence des auteurs qui, comme George Orwell, veulent à la fois la démocratie et le socialisme, ou le socialisme et les droits de l’homme, est ainsi tragiquement démontrée. De même, la distinction entre le socialisme allemand (celui du parti ouvrier allemand national-socialiste) et le socialisme soviétique est de pure forme car la réglementation ou la nationalisation sont synonymes : les hommes de l’Etat s’y emparent tout autant par la force du contrôle des choses qu’ils n’ont pas produites.

La question essentielle, comme le disait Lénine, est de savoir qui a le pouvoir de décision. Or le pouvoir politique ne remplace pas le pouvoir économique. Il commence là où finit le premier, et tout accroissement du pouvoir politique accroît le pouvoir tout court. Evidemment, il n’existe pas de moyen de déterminer rationnellement à quoi doit servir ce pouvoir. Le concept de « bien-être social » ou d’« intérêt général » ne sont pas plus objectivement définissables que celui de « justice sociale ». Trente ans plus tard, Hayek, dans Le mirage de la justice sociale, s’avisera qu’il est intellectuellement honteux de se servir, pour faire violence à autrui, de prétextes auxquels on ne peut même pas donner de sens intelligible.

Comme il y a autant de pommes de discorde que de formes de redistribution, la paix sociale est inévitablement détruite à mesure que le socialisme progresse : des bandes armées, syndicalistes, puis loubards, puis groupes paramilitaires, se partagent la rue, et imposent leur loi. Pour rétablir un semblant d’ordre, les gens sont alors prêts à supporter un gouvernement autoritaire. Comme il faut bien donner des rationalisations à toutes ces violences, on impose le mensonge : mensonge du socialisme lui-même, et mensonge sur les « réalisations » du socialisme, dont il est interdit de contester la réalité. Soljénitsyne rappelle que l’aspect le plus pénible du socialisme léniniste est le mensonge obligatoire ; mais il caractérisait aussi le socialisme hitlérien.

Comme il est impossible que le socialisme, qui est un vol, profite à tout le monde, il ne peut bénéficier qu’à une caste de privilégiés. A ce titre, le fascisme et le nazisme sont bien des réactions contre les mouvements socialistes, mais non contre le principe socialiste lui-même : ils voulaient le socialisme, c’est-à-dire la spoliation légale, mais un socialisme qui leur aurait profité à eux, et pas à la bande de leurs rivaux. C’est le socialisme « de gauche » qui a inventé l’embrigadement des enfants, la constitution d’une contre-société, et les méthodes politiques violentes comme la police politique et les camps d’extermination. De ce point de vue Hitler n’est qu’un pâle imitateur de Lénine, pour lequel il affichait son admiration.

De même, le socialisme au pouvoir est inévitablement nationaliste, puisque la clique de ses profiteurs est issue de la société politique nationale et qu’une fois atteintes les limites de ce qu’elle peut voler à la population, ils devront chercher leurs victimes ailleurs. Il est aussi inévitablement corrompu : il s’agit de voler les autres, et de disposer arbitrairement du butin, en l’absence de tout principe et de toute règle identifiable, et l’enjeu est formidable, puisqu’il s’agit de faire partie des maîtres ou de devenir esclave. Ceux qui se retrouvent au pouvoir sous le socialisme sont ceux qui ont accepté l’abolition de tout Droit qu’il implique, et qui ont été les plus malins ou les plus brutaux dans l’élimination des autres bandes.

On parle aujourd’hui (éventuellement comme « révisionnistes ») d’historiens allemands qui font remarquer le grand nombre d’anciens dirigeants socialistes parmi les dignitaires nazis ; c’est aussi un fait avéré que les communistes ont tout fait en Allemagne pour y aider les nazis à détruire ce qui restait de régime représentatif. Mussolini était lui-même un haut dirigeant du parti socialiste italien. Mais ce qui est moins connu, parce que les intellectuels socialistes qui ont fui le nazisme ont propagé les interprétations qui leur convenaient, c’est que l’Allemagne de Weimar elle-même avait pratiquement mis en place tous les instruments de la Zwangswirtschaft, le socialisme réglementaire, dont Hitler n’a eu qu’à se servir sans devoir les créer.

Par ailleurs, les courants de pensée de la gauche dans l’Allemagne de Weimar étaient tout aussi irrationalistes, antilibéraux et antidémocrates que ceux de la droite nationaliste. Hayek rappelle leurs références intellectuelles communes : Rodbertus et Lassalle étaient cités par Hitler comme des précurseurs. A l’irrationalisme ouvert des réactionnaires, correspond le polylogisme marxiste ; l’apologie de la violence est la même, souvent inspirée par les mêmes auteurs (Georges Sorel,).

La Route de la servitude est écrite pour faire comprendre aux intellectuels socialistes anglo-saxons que, les mêmes causes conduisant aux mêmes effets, les mêmes idées conduiront au même type de société. L’Allemagne, pour n’avoir été touchée que tardivement par les libéralismes démocratiques, était simplement en avance sur un chemin que tout le monde était en train de parcourir.

A quoi peut servir aujourd’hui La Route de la servitude? Ce livre fut en son temps le point de départ d’une reconquête des esprits par le mouvement libéral, d’une organisation systématique des réfutations du socialisme par des institutions et des groupes dans le monde entier. Inspiré par une connaissance alors unique des raisons pour lesquelles la décision économique rationnelle est impossible dans une organisation étatique, le livre décrit précisément les caractéristiques de toute société socialiste.

Pour qui n’est pas encore convaincu que toute ambition de réaliser une forme quelconque de « justice sociale » doit conduire à une organisation politique semblable à celle des nazis, et que sous ses accidents singuliers (Staline, Pol Pot, Hitler, etc.) le socialisme reste toujours essentiellement le même, lire La Route de la servitude est une obligation. De même, pour ceux qui veulent connaître les origines intellectuelles du nazisme, c’est un livre intéressant, quoique The Ominous Parallels de Leonard Peikoff soit plus profond.

On pourra aussi s’en servir pour identifier les effets du socialisme installé dans nos pays. La corruption, la censure, la bassesse des hommes politiques résultent bel et bien de l’ambition redistributrice, même si elle en rabat quelque peu sur ses prétentions moralisantes. Si elle a battu en retraite, c’est d’ailleurs largement parce qu’on a popularisé les idées contenues dans La Route de la servitude ; on peut mentionner Socialisme et fascisme : une même famille ? où le Club de l’Horloge montre bien que le fascisme est une variante du socialisme, plus précisément la version autoritaire du corporatisme social-démocrate.

Sur deux points cependant, on peut dire que le livre a mal vieilli, ou plutôt qu’il n’a jamais été l’un des meilleurs. C’est tout ce qui touche à la théorie économique et à la philosophie libérale. Si Hayek a mis les socialistes français dans l’embarras, ce n’est pas seulement parce qu’ils n’avaient aucune pensée valable à lui opposer. C’est aussi parce que c’est à partir de leurs propres prémisses collectivistes qu’il réfute le socialisme. Comme Adam Smith, Hayek démontre l’excellence du libéralisme à partir de ce qu’Ayn Rand appelle la prémisse tribale, pour laquelle il irait de soi que la société politique a le droit de disposer de ses membres comme elle l’entend. Ce qui le rend si convaincant pour des socialistes, c’est donc que son discours est proche de leurs conceptions. A ce jeu, il leur fait des concessions de principe majeures, ce qui donne l’impression agaçante d’une réflexion insuffisamment rigoureuse.

On peut dire que comme tous les savants qui se sont interdit d’examiner l’essence des phénomènes et des actes (il prendra de plus en plus ce chemin sous l’influence de son ami Karl Popper), Hayek se prive d’une connaissance générale et concise et ne cesse de tourner autour du pot. Au lieu de mettre l’esprit humain au centre des phénomènes économiques et sociaux, d’élucider la nature des rapports entre cet esprit et ses productions, et d’en déduire que toute interférence violente avec le contrôle de l’esprit sur ses produits engendre destruction et irrationalité, et qu’elle est par conséquent objectivement mauvaise, il ne fait que décrire pragmatiquement, quoi qu’exhaustivement, les effets des formes les plus extrêmes de cette intervention.

Cela fait que son libéralisme, tant économiquement que philosophiquement, est très en retard. Alors que la nature du laissez-faire avait été élucidée dès le début du siècle dernier par les économistes libéraux français : Destutt de Tracy, Jean-Baptiste Say, Charles Comte et Charles Dunoyer, on peut dire que Hayek n’a jamais compris le laissez-faire. Tout en minimisant leur validité mais sans voir qu’il adhère par là à l’utilitarisme qu’il dénonce par ailleurs, il reprend à son compte les rationalisations de l’intervention de l’État les plus traditionnelles: les soi-disant « biens publics », les prétendues « externalités », les « monopoles » imaginaires sur un marché libre, et même (il changera d’avis par la suite) la production de l’information (!) et de la monnaie. Il croit même que la redistribution « sociale » est compatible avec un état de Droit!

A force de parler le langage de ses adversaires, qui sont des irrationalistes vrais, et de développer des argumentaires qui mettent en cause la capacité rationnelle de l’homme alors que ce qu’il fallait, c’était persuader les hommes de l’État qu’il n’existe pas de norme objective par quoi la violation du consentement d’autrui puisse être guidée (Ayn Rand), Hayek finit aujourd’hui dans la peau d’un ennemi de la raison. Ce qu’il appellera plus tard le constructivisme, et dont il décrira exactement les effets, n’est pas un rationalisme : il consiste tout simplement à nier a priori la rationalité d’autrui.

Une immense faille traverse l’œuvre de Hayek, et ce n’est donc certainement pas lui qui peut servir de référence à la pensée libérale. Cette faille résulte de l’influence de la philosophie moderne, qui refuse de croire au pouvoir de la raison en matière d’éthique et de Droit. Paradoxalement, alors que le premier message qu’on peut tirer de son œuvre, c’est qu’un discours rationnel est possible en philosophie politique (ce pourquoi il avait d’ailleurs été comparé à un « dinosaure » en 1960), il refuse de tirer les conséquences de ce fait, et de reconnaître qu’on peut déduire rationnellement une définition objective du Bien et du Juste à partir de l’observation des lois de la nature. Ses normes d’« efficacité » sociale ou même de « sélection naturelles des institutions » ne sont pas davantage fondées que la « justice sociale » qu’il a excellemment dénoncée et ses normes ne reposent sur rien. Après tout, est-ce un hasard s’il lui a fallu soixante-dix ans pour se rendre compte qu’un mot qui ne voulait rien dire détruisait toute forme de pensée qui en ferait usage?

Il n’y a donc pas de philosophie politique libérale hayékienne. Sa définition du Droit ne va pas jusqu’au bout parce qu’elle repose sur ce qu’Ayn Rand appelle des « concepts volés », c’est-à-dire des mots dont il se sert sans être capable de rendre compte de leur validité logique et épistémologique. Sa théorie économique s’en ressent aussi. Aujourd’hui, aucun des économistes qui l’admirent comme tel ne croit que les hommes de l’Etat ne puissent jamais, par leurs interventions, améliorer l’efficacité productive. Le fait est que de meilleurs logiciens sont passés par là, notamment Murray Rothbard, qui a réfuté tout cela dès 1962 (dans Man, Economy and State) et Ayn Rand qui, en dépit des pétitions de principe de sa métaphysique, est de très loin la meilleure philosophe libérale. (Cf. notamment Capitalism: The Unknown Ideal, où l’on trouve la meilleure théorie de la valeur avec celle de Mises.) C’est à partir de ces auteurs, qui prennent vraiment la logique au sérieux, qu’on peut établir une théorie sans faille. 

https://fr.liberpedia.org/Dans_national-socialisme,_il_y_a_socialisme

 Voir lectures ici: https://fr.liberpedia.org/National-socialisme

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