Le conservatisme moderne, aux États-Unis et en Europe, est confus et déformé.Sous l'influence de la démocratie représentative et avec la transformation des États-Unis et de l'Europe en démocraties de masse après la Première Guerre mondiale, le conservatisme, autrefois force idéologique anti-égalitaire, aristocratique et anti-étatique, s'est mué en un mouvement d'étatistes culturellement conservateurs : l'aile droite des socialistes et des sociaux-démocrates.
La plupart des conservateurs contemporains autoproclamés s'inquiètent, à juste titre, du déclin de la famille, du divorce, des naissances hors mariage, de la perte d'autorité, du multiculturalisme, de la désintégration sociale, du libertinage sexuel et de la criminalité.Ils perçoivent tous ces phénomènes comme des anomalies et des déviations de l'ordre naturel, ou de ce que l'on pourrait appeler la normalité.
Cependant, la plupart des conservateurs contemporains (du moins la plupart des porte-parole de l'establishment conservateur) soit ne reconnaissent pas que leur objectif de rétablissement de la normalité exige les changements sociaux anti-étatiques les plus drastiques, voire révolutionnaires, soit (s'ils en sont conscients) ils trahissent de l'intérieur le programme culturel du conservatisme afin de promouvoir un programme entièrement différent.
Que cela soit largement vrai pour les soi-disant néoconservateurs ne nécessite pas d'explications supplémentaires.En effet, en ce qui concerne leurs dirigeants, on peut supposer que la plupart appartiennent à cette dernière catégorie.Ils ne se soucient guère des questions culturelles, mais reconnaissent devoir jouer la carte du conservatisme culturel pour ne pas perdre le pouvoir et promouvoir leur objectif, tout autre, de social-démocratie mondiale.<sup>1</sup> Le caractère fondamentalement étatiste du néoconservatisme américain se résume parfaitement dans une déclaration d'Irving Kristol, l'un de ses principaux défenseurs intellectuels :
« Le principe fondamental d'un État-providence conservateur devrait être simple : dans la mesure du possible, les individus devraient pouvoir conserver leur propre argent – plutôt que de le voir transféré (par le biais des impôts) à l'État – à condition qu'ils l'utilisent à des fins bien définies.» (<i>Two Cheers for Capitalism</i> [New York : Basic Books, 1978], p. 119)
Ce point de vue est essentiellement identique à celui des sociaux-démocrates européens modernes, post-marxistes.Ainsi, le Parti social-démocrate allemand (SPD), par exemple, adopta dans son programme de Godesberg de 1959 la devise « autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ».
Une seconde branche, plus ancienne mais aujourd’hui presque indiscernable de la précédente, du conservatisme américain contemporain est représentée par le nouveau conservatisme (d’après-guerre) lancé et promu, avec l’aide de la CIA, par William Buckley et sa revue National Review.Alors que l’ancien conservatisme américain (d’avant-guerre) se caractérisait par des positions résolument anti-interventionnistes en matière de politique étrangère, le nouveau conservatisme de Buckley se distingue par son militarisme exacerbé et sa politique étrangère interventionniste.
Dans un article intitulé « Le point de vue d'un jeune républicain », publié dans Commonweal le 25 janvier 1952, trois ans avant le lancement de sa National Review, Buckley résumait ainsi ce qui allait devenir le nouveau credo conservateur : face à la menace soviétique, « nous [les nouveaux conservateurs] devons accepter un État omniprésent pour la durée du conflit, car aucune guerre offensive ni défensive ne peut être menée… autrement que par le biais d'une bureaucratie totalitaire sur notre territoire.»
Les conservateurs, écrivait Buckley, avaient le devoir de promouvoir « les lois fiscales étendues et productives nécessaires au soutien d'une politique étrangère anticommuniste vigoureuse », ainsi que « les armées et les forces aériennes importantes, l'énergie atomique, les services de renseignement centraux, les commissions de production de guerre et la centralisation du pouvoir à Washington qui en découle.»
Sans surprise, depuis l'effondrement de l'Union soviétique à la fin des années 1980, cette philosophie est restée fondamentalement inchangée.Aujourd'hui, le maintien et la préservation de l'État-providence et de l'État-militant américain sont tout simplement justifiés et encouragés par les néoconservateurs et les nouveaux conservateurs, qui invoquent d'autres ennemis et dangers étrangers : la Chine, le fondamentalisme islamique, Saddam Hussein, les « États voyous » et la menace du « terrorisme mondial ».
Cependant, il est également vrai que de nombreux conservateurs sont sincèrement préoccupés par la désintégration ou le dysfonctionnement de la famille et le déclin culturel.Je pense ici en particulier au conservatisme représenté par Patrick Buchanan et son mouvement.Le conservatisme de Buchanan n'est en rien aussi différent de celui de l'establishment du Parti républicain conservateur que lui et ses partisans le croient.Sur un point décisif, leur conception du conservatisme rejoint pleinement celle de l'establishment conservateur : tous deux sont étatistes.Ils divergent quant aux mesures à prendre pour rétablir la normalité aux États-Unis, mais ils s'accordent sur le fait que cela doit être fait par l'État.On ne trouve chez aucun des deux la moindre trace d'anti-étatisme de principe.
Permettez-moi d'illustrer mon propos en citant Samuel Francis, l'un des principaux théoriciens et stratèges du mouvement buchananiste.Après avoir déploré la propagande « anti-blanche » et « anti-occidentale », le « laïcisme militant, l'égoïsme avide de profit, le mondialisme économique et politique, la croissance démographique et le centralisme étatique débridé », il expose un nouvel esprit, celui de « l'Amérique d'abord », qui « implique non seulement de privilégier les intérêts nationaux à ceux des autres nations et à des abstractions telles que le "leadership mondial", l'"harmonie mondiale" et le "Nouvel Ordre Mondial", mais aussi de donner la priorité à la nation sur la satisfaction des intérêts individuels et infranationaux ».
Comment propose-t-il de remédier au problème de la dégénérescence morale et du déclin culturel ?Il ne reconnaît pas que, par nature, l'éducation ne relève pas de l'État.L'éducation est pour lui une affaire entièrement familiale et devrait être produite et diffusée dans le cadre d'accords coopératifs, au sein de l'économie de marché.
De plus, on ne reconnaît pas que la dégénérescence morale et le déclin culturel ont des causes plus profondes et ne peuvent être guéris par de simples changements de programmes scolaires imposés par l'État, ni par des exhortations et des discours.Au contraire, François propose que le redressement culturel – le retour à la normale – puisse être réalisé sans changement fondamental de la structure de l'État-providence moderne.En effet, Buchanan et ses idéologues défendent explicitement les trois institutions centrales de l'État-providence : la sécurité sociale, l'assurance maladie et les allocations chômage.Ils souhaitent même étendre les responsabilités « sociales » de l'État en lui confiant la tâche de « protéger », par le biais de restrictions nationales à l'importation et à l'exportation, les emplois américains, notamment dans les secteurs d'intérêt national, et de « protéger les salaires des travailleurs américains de la main-d'œuvre étrangère qui doit travailler pour un dollar de l'heure ou moins ».
En réalité, les partisans de Buchanan admettent volontiers être étatistes.Ils abhorrent et ridiculisent le capitalisme, le laissez-faire, le libre marché et le commerce, la richesse, les élites et la noblesse ;et ils prônent un nouveau conservatisme populiste – voire prolétarien – qui amalgame conservatisme social et culturel et économie socialiste.Ainsi, poursuit Francis:
si la gauche a pu séduire les Américains moyens par ses mesures économiques, elle les a perdus par son radicalisme social et culturel, et si la droite a pu attirer les Américains moyens en invoquant l’ordre public et la défense de la normalité sexuelle, des mœurs et de la religion traditionnelles, des institutions sociales traditionnelles et en faisant appel au nationalisme et au patriotisme, elle les a perdus en ressortant ses vieilles recettes économiques bourgeoises.
Il est donc nécessaire de combiner les politiques économiques de la gauche et le nationalisme et le conservatisme culturel de la droite, afin de créer « une nouvelle identité synthétisant à la fois les intérêts économiques et les loyautés culturelles et nationales de la classe moyenne prolétarisée dans un mouvement politique séparé et unifié ».2 Pour des raisons évidentes, cette doctrine n’est pas ainsi nommée, mais il existe un terme pour ce type de conservatisme : il s’agit du nationalisme social ou du national-socialisme.
Quant à la plupart des dirigeants de la soi-disant Droite chrétienne et de la « majorité morale », ils souhaitent simplement remplacer l'élite libérale de gauche actuelle, chargée de l'éducation nationale, par une autre, à savoir eux-mêmes. « Depuis Burke », a critiqué Robert Nisbet, « il est devenu un précepte conservateur et un principe sociologique, depuis Auguste Comte, que le moyen le plus sûr d'affaiblir la famille, ou tout groupe social vital, est que l'État s'approprie, puis monopolise, les fonctions historiques de la famille. » À l'inverse, une grande partie de la droite américaine contemporaine « s'intéresse moins aux immunités burkéennes face au pouvoir gouvernemental qu'à la concentration maximale du pouvoir gouvernemental entre les mains de ceux en qui l'on peut avoir confiance. C'est le contrôle du pouvoir, et non sa réduction, qui prime. »
Je ne m'attarderai pas ici sur la question de savoir si le conservatisme de Buchanan jouit d'une popularité importante ni si son analyse de la politique américaine est sociologiquement juste.Je doute que ce soit le cas, et le sort de Buchanan lors des primaires présidentielles républicaines de 1995 et 2000 ne semble pas le contredire.Je souhaite plutôt aborder des questions plus fondamentales : à supposer que cette approche exerce un tel attrait, c’est-à-dire à supposer que le conservatisme culturel et l’économie socialiste puissent être psychologiquement compatibles (en d’autres termes, que l’on puisse adhérer simultanément à ces deux idées sans dissonance cognitive), peuvent-ils également être combinés efficacement et concrètement (économiquement et praxéologiquement) ?Est-il possible de maintenir le niveau actuel de socialisme économique (sécurité sociale, etc.) et d’atteindre l’objectif de restaurer la normalité culturelle (familles traditionnelles et règles de conduite normales) ?
Buchanan et ses théoriciens n’éprouvent pas le besoin de soulever cette question, car ils considèrent la politique comme une simple affaire de volonté et de pouvoir.Ils ne croient pas à l’existence de lois économiques.Si les gens désirent quelque chose suffisamment et qu’on leur donne le pouvoir de le faire, tout est possible.L’« économiste autrichien décédé » Ludwig von Mises, auquel Buchanan faisait référence avec mépris lors de ses campagnes présidentielles, qualifiait cette croyance d’« historicisme », la posture intellectuelle des Kathedersozialisten allemands, les socialistes universitaires de la Chaire, qui justifiaient toutes les mesures étatiques.
Mais le mépris historiciste et l'ignorance de l'économie ne changent rien à l'existence inéluctable des lois économiques.On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre, par exemple.Ce que l'on consomme aujourd'hui ne pourra plus être consommé demain.Produire davantage d'un bien implique nécessairement de produire moins d'un autre.Nul ne saurait faire disparaître ces lois.Croire le contraire ne peut mener qu'à l'échec.« En réalité », notait Mises, « l'histoire économique est un long récit de politiques gouvernementales qui ont échoué parce qu'elles ont été conçues au mépris des lois de l'économie. »³
À la lumière de ces lois économiques élémentaires et immuables, le programme de nationalisme social prôné par Buchanan n'est qu'un rêve audacieux, mais irréalisable.Nul ne saurait nier que le maintien des institutions fondamentales de l'État-providence actuel et le désir de revenir aux familles, aux normes, aux comportements et à la culture traditionnels sont des objectifs incompatibles.On peut avoir l'un – le socialisme (l'État-providence) – ou l'autre – la morale traditionnelle – mais pas les deux, car l'économie social-nationaliste, pilier du système actuel d'État-providence que Buchanan souhaite préserver, est précisément la cause des anomalies culturelles et sociales.
Pour clarifier ce point, il suffit de rappeler l'une des lois fondamentales de l'économie : toute redistribution obligatoire des richesses ou des revenus, quels que soient les critères sur lesquels elle repose, implique de prendre à certains – ceux qui possèdent quelque chose – pour le donner à d'autres – ceux qui ne possèdent rien.De ce fait, l'incitation à posséder diminue, et celle à ne pas posséder augmente.Ce que possède le premier est généralement considéré comme « bon », et ce qui manque au second est perçu comme « mauvais » ou comme une carence.C'est d'ailleurs l'idée même qui sous-tend toute redistribution : certains ont trop de biens et d'autres pas assez.Toute redistribution a pour conséquence de produire moins de bien et de plus en plus de mal, moins de perfection et plus d'imperfections.Subventionner les pauvres par l'impôt (argent prélevé sur les autres) ne fera qu'accroître la pauvreté (ce qui est néfaste).Subventionner les chômeurs ne fera qu'augmenter le chômage (ce qui est néfaste).Subventionner les mères célibataires ne fera qu'accroître le nombre de mères célibataires et de naissances hors mariage (ce qui est néfaste), etc.
De toute évidence, cette observation fondamentale s'applique à l'ensemble du système de prétendue sécurité sociale mis en place en Europe occidentale (à partir des années 1880) et aux États-Unis (depuis les années 1930) : une « assurance » publique obligatoire contre la vieillesse, la maladie, les accidents du travail, le chômage, l'indigence, etc. Conjuguée au système encore plus ancien d'enseignement public obligatoire, cette institution et ces pratiques constituent une attaque massive contre la famille et la responsabilité individuelle.
En dispensant les individus de l'obligation de subvenir à leurs propres besoins (revenus, santé, sécurité, vieillesse et éducation des enfants), on réduit la portée et l'horizon temporel de l'autonomie financière, et on dévalorise le mariage, la famille, les enfants et les liens de parenté.L'irresponsabilité, le manque de clairvoyance, la négligence, la maladie et même le destructivisme (les méfaits) sont encouragés, tandis que la responsabilité, la prévoyance, la diligence, la santé et la prudence (les biens) sont sanctionnées.
Le système d'assurance vieillesse obligatoire, qui subventionne les retraités grâce aux impôts prélevés sur les jeunes actifs, a systématiquement affaibli le lien intergénérationnel naturel entre parents, grands-parents et enfants.Les personnes âgées n'ont plus besoin de compter sur l'aide de leurs enfants si elles n'ont pas prévu leur propre retraite ;et les jeunes (généralement moins fortunés) doivent subvenir aux besoins des personnes âgées (généralement plus aisées), et non l'inverse, comme c'est souvent le cas au sein des familles.
Par conséquent, non seulement les gens souhaitent avoir moins d'enfants – et de fait, le taux de natalité a diminué de moitié depuis la mise en place des politiques modernes de protection sociale –, mais le respect que les jeunes portaient traditionnellement aux aînés s'est également amoindri, et tous les indicateurs de désintégration et de dysfonctionnement familial, tels que les taux de divorce, de naissances hors mariage, de maltraitance infantile, de violence parentale, de violence conjugale, de familles monoparentales, de célibat, de modes de vie alternatifs et d'avortement, ont augmenté.
De plus, la socialisation du système de santé par le biais d'institutions telles que Medicaid et Medicare, ainsi que la réglementation du secteur des assurances (en limitant le droit de refus des assureurs – c'est-à-dire leur capacité à exclure tout risque individuel comme non assurable et à discriminer librement, selon des méthodes actuarielles, entre différents groupes de risques), ont mis en branle un mécanisme monstrueux de redistribution des richesses et des revenus. Ce mécanisme se fait au détriment des individus responsables et des groupes à faible risque, au profit des acteurs irresponsables et des groupes à haut risque.Les subventions accordées aux malades, aux personnes en mauvaise santé et aux personnes handicapées engendrent la maladie et l'invalidité, et affaiblissent la motivation à travailler pour gagner sa vie et à mener une vie saine.On ne saurait mieux faire que de citer à nouveau l'économiste autrichien Ludwig von Mises :
« Être malade n'est pas un phénomène indépendant de la volonté consciente… L'efficacité d'un homme ne résulte pas uniquement de sa condition physique ;elle dépend largement de son esprit et de sa volonté… »L’aspect destructeur de l’assurance accident et maladie réside avant tout dans le fait que ces institutions favorisent les accidents et les maladies, entravent la guérison et, très souvent, créent, ou du moins intensifient et prolongent, les troubles fonctionnels consécutifs à une maladie ou un accident… Se sentir en bonne santé est bien différent d’être en bonne santé au sens médical du terme… En affaiblissant, voire en détruisant complètement, la volonté d’être en bonne santé et apte au travail, l’assurance sociale engendre la maladie et l’incapacité de travail ;elle produit l’habitude de se plaindre – ce qui est en soi une névrose – et d’autres névroses… En tant qu’institution sociale, elle rend une population malade physiquement et mentalement, ou du moins contribue à multiplier, prolonger et intensifier la maladie… L’assurance sociale a ainsi fait de la névrose de l’assuré une dangereuse maladie publique.Si l’institution est étendue et développée, la maladie se propagera.Aucune réforme ne peut y remédier.On ne peut affaiblir ou détruire la volonté de rester en bonne santé sans engendrer la maladie.⁴
Je ne souhaite pas exposer ici l’absurdité économique de l’idée, encore plus radicale, de Buchanan et de ses théoriciens, de politiques protectionnistes (visant à protéger les salaires américains).S'ils avaient raison, leur argument en faveur du protectionnisme économique reviendrait à condamner tout commerce et à défendre l'idée que chaque famille serait mieux lotie si elle ne commerçait jamais avec personne.Dans ce cas, personne ne risquerait de perdre son emploi et le chômage dû à une concurrence « déloyale » serait ramené à zéro.
Pourtant, une telle société de plein emploi ne serait ni prospère ni forte ;elle serait composée de personnes (de familles) qui, malgré un travail acharné du matin au soir, seraient condamnées à la pauvreté et à la famine.Le protectionnisme international de Buchanan, bien que moins destructeur qu'une politique de protectionnisme interpersonnel ou interrégional, aboutirait exactement au même résultat.Il ne s'agit pas de conservatisme (les conservateurs souhaitent que les familles soient prospères et fortes), mais de destructionnisme économique.
Quoi qu'il en soit, il devrait désormais être clair que la plupart, sinon la totalité, de la dégénérescence morale et du déclin culturel – signes de décivilisation – qui nous entourent sont les conséquences inéluctables de l'État-providence et de ses institutions fondamentales.Les conservateurs classiques, à l'ancienne, le savaient et s'opposaient farouchement à l'instruction publique et à la sécurité sociale.Ils savaient que les États, partout dans le monde, cherchaient à démanteler, voire à détruire, les familles, les institutions, les strates et les hiérarchies d'autorité qui découlent naturellement des communautés familiales, afin d'accroître et de renforcer leur propre pouvoir.Ils savaient que, pour ce faire, les États devraient exploiter la rébellion naturelle des adolescents contre l'autorité parentale.Et ils savaient que l'éducation et la responsabilisation socialisées étaient les moyens d'atteindre cet objectif.
L'éducation et la sécurité sociales offrent aux jeunes rebelles la possibilité d'échapper à l'autorité parentale (et de persister dans leurs écarts de conduite).Les conservateurs de la vieille école savaient que ces politiques émanciperaient l'individu de la discipline familiale et communautaire pour le soumettre au contrôle direct et immédiat de l'État.
De plus, ils savaient, ou du moins pressentaient, que cela conduirait à une infantilisation systématique de la société – une régression émotionnelle et mentale de l'âge adulte à l'adolescence, voire à l'enfance.
À l'inverse, le conservatisme populiste-prolétarien de Buchanan – le nationalisme social – témoigne d'une ignorance totale de ces enjeux.Concilier conservatisme culturel et État-providence est impossible, et donc économiquement absurde.L'État-providence – la sécurité sociale sous toutes ses formes – engendre le déclin et la dégénérescence morale et culturelle.Par conséquent, si l'on se préoccupe réellement de la décadence morale de l'Amérique et que l'on souhaite restaurer la normalité au sein de la société et de la culture, il faut s'opposer à tous les aspects de l'État-providence moderne.Un retour à la normale exige ni plus ni moins que la suppression pure et simple du système actuel de sécurité sociale : assurance chômage, sécurité sociale, Medicare, Medicaid, éducation publique, etc. – et donc la dissolution et la déconstruction quasi complètes de l'appareil d'État et du pouvoir gouvernemental.Si l'on veut un jour rétablir la normalité, les fonds et le pouvoir de l'État doivent diminuer jusqu'à atteindre, voire diminuer, leur niveau du XIXe siècle.Dès lors, les véritables conservateurs doivent être des libertariens intransigeants (anti-étatiques).Le conservatisme de Buchanan est fallacieux : il prône un retour à la morale traditionnelle tout en défendant le maintien des institutions mêmes qui sont responsables de sa destruction.
La plupart des conservateurs contemporains, notamment les chouchous des médias, ne sont donc pas des conservateurs, mais des socialistes – soit internationalistes (les néoconservateurs, partisans d’un État interventionniste et social-démocrate mondialiste), soit nationalistes (les populistes buchananiens).Les véritables conservateurs doivent s’opposer aux deux.Pour restaurer les normes sociales et culturelles, les vrais conservateurs ne peuvent être que des libertariens radicaux, et ils doivent exiger la démolition – en tant que perversion morale et économique – de toute la structure de l’État interventionniste.
1. Sur le conservatisme américain contemporain, voir notamment Paul Gottfried, <i>The Conservative Movement</i>, éd.rév.(New York : Twayne Publishers, 1993) ;George H. Nash, <i>The Conservative Intellectual Movement in America</i> (New York : Basic Books, 1976) ;Justin Raimondo, <i>Reclaiming the American Right: The Lost Legacy of the Conservative Movement</i> (Burlingame, Californie : Center for Libertarian Studies, 1993) ;voir également le chapitre 11.
2. Samuel T. Francis, « From Household to Nation: The Middle American populism of Pat Buchanan », <i>Chronicles</i> (mars 1996) : 12-16 ;voir aussi <i>Beautiful Losers: Essays on the Failure of American Conservatism</i> (Columbia : University of Missouri Press, 1993) ;<i>Revolution from the Middle</i> (Raleigh, Caroline du Nord : Middle American Press, 1997).
3Ludwig von Mises, L’action humaine : Traité d’économie, édition pour chercheurs (Auburn, Alabama : Ludwig von Mises Institute, 1998), p.67. « Les princes et les majorités démocratiques », écrit Mises, « sont ivres de pouvoir. Ils doivent admettre à contrecœur qu’ils sont soumis aux lois de la nature. Mais ils rejettent la notion même de loi économique. Ne sont-ils pas les législateurs suprêmes ? N’ont-ils pas le pouvoir d’écraser tout opposant ? Aucun chef de guerre n’est enclin à reconnaître d’autres limites que celles que lui impose une force armée supérieure. Les scribouillards serviles sont toujours prêts à encourager cette suffisance en exposant les doctrines appropriées. Ils appellent leurs présomptions confuses « économie historique ».»
4Ludwig von Mises, Le socialisme : Analyse économique et sociologique (Indianapolis, Indiana : Liberty Fund, 1981), p. 43, 1-32.
Les célébrations entourant le quatre-vingtième anniversaire de la Sécurité sociale battent leur plein et il faut s'attendre à un grand déferlement de contresens, avec en prime l’effet de ruine déclenché par les fêtes elles-mêmes.
En attendant, le fameux déficit de la « Sécu » ne cesse de s’agrandir nourrissant les lamentos officiels et personne ne voit comment le combler, puisque personne, parmi les politiques, ne souhaite apporter le vrai remède, celui de la liberté.
Voici ce que l’on ne sait pas, ou l'on ne veut pas savoir: le ver était dans le fruit dès la naissance de l’institution et la Sécu, depuis son début, est une malade potentielle, même si le fait fut longtemps masqué.
Le premier effet négatif fut la stérilisation d’immenses capitaux.
De tous temps, les hommes épargnaient pour le jour où la maladie interviendrait et ces épargnes contribuaient à la richesse générale. Quand la Sécu fut rendue obligatoire, elle obligea tout le monde à cotiser dans son immense gouffre, ce qui tua l’épargne et la richesse future qu’elle devait générer, avec notamment le jeu fabuleux des intérêts composés. Quelle est aujourd’hui la richesse manquante et quels sont les gigantesques capitaux qui ne sont pas nés? Difficile à calculer. L’on observe seulement que ce manque tragique est une composante majeure du désastre français et de la paupérisation de la nation.
Mais au moins aussi grave s’est produit l’asservissement progressif de la médecine au monstre étatique. Là aussi, impossible de calculer la ruine infligée à la santé par le biais de la Sécu combinée avec d’autres facteurs voisins. Le système comporte direction des prix, suppression des choix individuels, mise au pas des médecins et de l’industrie pharmaceutique.
Les manifestations de cette ruine sont nombreuses: retard permanent dans la diffusion des appareils les plus modernes, remboursements de plus en plus faibles, manque d’infirmières, dégradation économique des hôpitaux publics, etc.
La santé est prisonnière d’un système à la soviétique, telle une quelconque éducation nationale.
Citons aussi, comme signe de la ruine, les efforts perpétuels pour limiter les dépenses – ces efforts étant rendus nécessaires par le déficit permanent. Dans un pays potentiellement aussi riche que la France, l’augmentation des dépenses en santé devrait être un signe et un élément de la richesse générale. Comment cette maladie interne a-t-elle été masquée pendant 60 ans?
Les intérêts financiers personnels des classes dirigeantes, hommes de l’État tous confondus, sont attachés éternellement au développement du monstre. Les frais de la Sécu représentant la moitié des charges étatiques, on peut penser que la moitié de la richesse personnelle de ces personnes vient indirectement ou non de la Sécu: les innombrables syndicalistes embusqués en sont un exemple emblématique. Tout devait donc être fait pour cacher la vérité aux Français et garder ouverte la rivière argentée.
Ensuite, on trouve le développement inouï des nouvelles technologies depuis ces 80 ans. Les Français finalement ne sont pas si malheureux, du fait des progrès de niveaux de vie apportés par ces nouvelles technologies.
Et puis, il faut citer la combinaison de deux facteurs extérieurs; d’abord le vent de richesse qui vient des États-Unis, dont la gestion dans la liberté irrigue la planète toute entière; vient ensuite ce que l’on peut résumer par l’expression inexacte mais parlante du travail à un dollar – que les fourmis asiatiques, détestées par nos politiciens, les sauvent de la faillite n’est pas le moindre paradoxe.
Mentionnons que ces explications s’appliquent à tous les aspects du désastre français et donc bien au-delà de la Sécu.
Pour les fêtes en vue faisons confiance au talent et à l’expérience de cette bureaucratie.
À Pékin, en septembre 2004, simultanément avec la sortie d’une nouvelle non-réforme de l’assurance-maladie, 180 dirigeants français des caisses de la sécurité sociale ont séjourné, aux frais des « moujiks contribuables », dans les plus luxueux hôtels de la capitale chinoise. Se payer de tels voyages fait aussi partie de la richesse!
Motif: participer à l'assemblée générale de l'Association internationale de sécurité sociale. Un millier de délégués représentaient 130 pays, dont 30 Allemands, 25 Américains, et pas moins de 180 Français – à la stupéfaction de tous les autres. Cent quatre-vingt, cela fait 18% des heureux fêtards internationaux.
Le premier jour, les travaux ont été ouverts à 15h30 pour se terminer par un cocktail à 18h00 – l’horaire n’était pas harassant. Les jours suivants ont été réservés à des réflexions techniques, ce qui a permis aux congressistes, peu intéressés par ces parlottes, de s’enfuir discrètement pour visiter la Cité interdite.
De même, n’était-il pas passionnant de consacrer son après-midi du 17 septembre à suivre l’exposé sur la sécurité sociale chinoise. Enfin, les débats, qui devaient en principe se clore le 18, ont pris fin la veille pour être sûr de ne pas trop fatiguer les congressistes... Le coût officiel du séjour des quasi-fonctionnaires de la sécurité sociale française fut évalué à 700 000 euros – son coût réel fut bien plus élevé.
En 1995, pendant les grèves, alors que précisément toutes les vraies forces vivantes de la nation souffraient gravement de ces grèves voulues par les « branches mortes » que sont les syndicats, la même fête avait eu lieu dans un autre pays d’Asie. Il n’y avait eu alors « que » 115 fêtards venant de France!
La chaîne France 3 pour une fois s’est échappée récemment de la P.U.T. ou Pensée Unique Totalitaire en disant: « La Sécu avait dès son départ le déficit inscrit dans ses gênes ».
"L'esclavage, la restriction, le monopole trouvent
des défenseurs non seulement dans ceux qui en profitent, mais encore
dans ceux qui en souffrent. Essayez de proposer quelques doutes sur
la moralité [des] institutions. 'Vous êtes, dira-t-on, un novateur dangereux,
un utopiste, un théoricien, un contempteur des lois ; vous ébranlez
la base sur laquelle repose la société.'"
Depuis que l'économie a été
séparée du droit, la science économique s'est développée sans référence
à la propriété, à la responsabilité et à la liberté de contracter de
l'individu. Beaucoup ont alors essayé de faire en sorte que certaines
de ces notions deviennent le fondement de ... droits nouveaux. Et ils
y ont réussi ces derniers siècles. C'est, par exemple, le cas du "droit
du travail" qui a désormais un peu plus d'un siècle d'existence
et dont Bastiat écrivait, le 24 juillet 1848, à sa naissance :
"Un droit nouveau frappe
à la porte de la constitution : c'est le Droit au travail. Il n'y demande
pas seulement une place, il prétend y prendre, en tout ou en partie,
celle du Droit de propriété."[2]
C'est aussi le cas du "droit
des accidents du travail" dans la décennie 1890 (avec la loi de
1898 sur la "responsabilité forfaitaire"), du "droit
des assurances" à partir de la décennie 1930 (avec, en particulier,
les lois de 1928-30 sur les "assurances sociales") ou du "droit
de la sécurité sociale" à partir de 1945 (avec en particulier les
ordonnances de 1945 sur la "sécurité sociale"). Et plus près
de nous, dans la décennie 1980, le succès semble être parachevé avec
la réforme du "droit de la réparation des accidents de la circulation"
et avec celle du "droit des faillites" qui est devenu pour
l'occasion "droit des entreprises en difficulté".
Malheureusement, la science
économique la plus répandue qui a produit ce droit procède par altération
et dénaturation, ce qui lui permet de croître et embellir. Comment méconnaître
en effet que ses artisans ou promoteurs se situent, en général, dans
un contexte d'information parfaite, ou à défaut, d'omniscience des hommes
de l'État ? Comment ne pas condamner qu'ils ne préviennent pas les non-familiers
de ces postulats ?
Comment accepter qu'ensuite
ils glosent sur le risque ou l'incertitude que leurs hypothèses excluent
et, en conséquence ne définissent pas ? Comment accepter leurs conclusions,
les préceptes qu'ils en tirent et qui s'articulent à des notions comme
le "mauvais risque", le "risque moral", l'"asymétrie
de l'information", l'"anti-sélection", le "coût
de l'accident", la prévention, la protection ou même l'assurance
? Comment accepter les remèdes juridiques qu'ils préconisent et qu'on
peut schématiser chaque fois par une interdiction ou une obligation
réglementaire nouvelle édictée par le législateur à l'individu pour
réduire ou faire disparaître les conséquences néfastes stigmatisées
?
Comment enfin ne pas prévoir
que leur emploi instaurera une situation pire que la situation de référence,
déplorée ?
Il faut être juriste d'une
grande honnêteté, pour prendre pour argent comptant toutes les notions
prétendument économiques qu'ils se façonnent ou pour se fier à ce que
certains dénomment la genèse, l'histoire ou la théorie de l'une ou l'autre,
et n'y voir que du feu.[3]Il est tentant de rappeler qu'il existe pourtant
des économistes depuisau moins
le XVIIIème siècle :
"On croit que les théories
destructives qui sont désignées de nos jours sous le nom de socialisme
sont d'origine récente; c'est une erreur : ces théories sont contemporaines
des premiers économistes. Tandis que ceux-ci employaient le gouvernement
tout-puissant qu'ils rêvaient à changer les formes de la société, les
autres s'emparaient en imagination du même pouvoir pour en ruiner les
bases".[4]
Certes, en 1928, en France,
les choses étaient encore assez claires en ce qui concerne l'"assurance
sociale" :
a) Tandis que, dans l'assurance
ordinaire, la prime individuelle est aussi exactement que possible proportionnée
au risque couru par chacun, dans l'assurance sociale le rapport est
bien moins étroit entre la prime et le risque. [...] à côté de la notion
proprement dite d'assurance, intervient celle de solidarité sociale.
b) D'autre part, les charges
des assurances sociales ne sont presque jamais supportées exclusivement
par les assurés eux-mêmes ; ceux-ci n'en supportent qu'une partie plus
ou moins grande, à côté des assurés qui sont à la fois cotisants et
bénéficiaires, il y a le patron et l'État, tantôt l'un ou l'autre seulement,
tantôt l'un et l'autre, qui sont cotisants sans être bénéficiaires.
Cela encore est une application de l'idée de solidarité sociale.
Trois types d'assurances sociales
coexistent en fait : l'assurance facultative, subventionnée ou non par
des tiers, la subvention étant elle-même facultative ; l'assurance facultative
pour le bénéficiaire, mais obligatoirement subventionnée, de sorte que
l'assuré, sans subir aucune contrainte, est cependant poussé vers l'assurance
par le désir de déclencher la subvention ; l'assurance obligatoire,
soit avec une cotisation fournie par l'assuré seul, soit le plus souvent
avec cotisation fournie, en même temps que par l'assuré, par des tiers
qui sont l'employeur et l'État".[5]
Mais on n'en est plus là aujourd'hui
en France. L'"assurance sociale" a été détruite en 1945 et
remplacée, de jure, par la
"sécurité sociale" qui elle-même a été supplantée, mais seulement
dans la phraséologie, par la "protection sociale"' puis, le
cas échéant, par la "justice sociale", notion relativement
nouvelle en France. Dans le monde anglo-saxon, l'évolution semble avoir
été autre.[6]
La notion d'assurance sociale est encore en cours à défaut d'être comprise
exactement, et la notion de justice sociale y est maintenant ancienne.
Pour ces raisons, il est possible
de proposer une mise en perspective de l'assurance sociale différente
de celle de Mackaay (première partie). Mais il est surtout nécessaire
de procéder à une restauration de la notion et d'en extirper les multiples
altérations dont elle a été et est l'objet (seconde partie).
2. L'assurance sociale en
perspective
"Ce qui nous broie aujourd'hui, c'est une logique historique que
nous avons créée de toutes pièces et dont les nœuds finiront par nous
étouffer." Albert Camus[7]
Contrairement aux propos que
Truchy tenait sur l'assurance sociale et qui se suffisent à eux-mêmes,
la notion présente aujourd'hui, les rares fois où elle est utilisée
en France, une grande obscurité. Celle-ci est à imputer à l'expression
même d'"assurance sociale" qui est une alliance de mots qui
peut être envisagée de deux grandes façons. Selon l'une, il apparaît
qu'elle n'exprime jamais qu'un mirage. Selon l'autre, véritable pléonasme,
elle désigne une richesse qui a été découverte par l'homme et tient
dans un progrès de sa connaissance.
2.1. Un mirage
Il ne semble pas excessif de
considérer qu’ « assurances sociale » est une expression
vide de sens comme l'a affirmé Friedrich von Hayek[8] à propos de l'expression
"justice sociale"[9], la raison principale
étant qu'il y a abus de mot[10]
2.1.1. Le mot "social"
Le mot "social" a
en effet de nos jours de nombreux sens. Dans La présomption fatale, Hayek[11] dresse une liste
de plus de cent quatre-vingts expressions où figure l'adjectif "social".
L'épidémie verbale a pris naissance, il y a une centaine d'années, dans
l'Allemagne de Bismarck quand le sens originel du mot faisait référence
à la société :
"A l'origine, 'social'
avait assurément un sens clair (analogue aux formations verbales telles
que 'national', 'tribal', 'organisationnel'), à savoir: ce qui appartient
à, ou ce qui est caractéristique de la structure et du fonctionnement
de la société." [12]
Mais pour autant que la définition
du mot "société" prêtait elle-même à confusion, le sens originel
du mot "social" n'était pas si clair qu'on pouvait le penser.
La porte à la dérive était ouverte :
"C'est parce que l'on
rapportait 'social' à la totalité de la société, ou aux intérêts de
la totalité de ses membres, que le terme a graduellement acquis sa connotation
dominante d'approbation morale."[13]
Et il y a eu dérive :
"Lorsqu'il est devenu
d'usage courant durant le troisième quart du siècle dernier, il était
compris comme adressant aux classes encore dirigeantes un appel à se
soucier davantage du bien-être des pauvres bien plus nombreux, dont
les intérêts n'avaient pas été assez pris en considération. La 'question
sociale' était posée comme un appel à la conscience des classes dominantes,
d'avoir à reconnaître leur responsabilité en ce qui concerne la situation
et la sécurité des secteurs négligés de la société [...]. La 'politique
sociale' (ou 'Sozialpolitik' dans la langue du pays qui était alors
à la tête de ce mouvement) devint la préoccupation majeure de tous les
honnêtes gens soucieux de progrès, et 'social' en vint peu à peu à remplacer
des mots tels que 'moral' ou, simplement 'bon'. Mais en partant de cet
appel à la conscience du public, pour que l'on se soucie des malheureux
et qu'on les reconnaisse comme membres de la même société, le concept
[de justice sociale] en vint graduellement à signifier que 'la société'
devait se considérer comme responsable de la situation matérielle de
tous ses membres, et chargée de faire en sorte que chacun reçoive ce
qui lui était 'du'. Cela impliquait que les processus au sein de la
société soient délibérément dirigés vers des résultats définis et, en
personnifiant la société, la représentait comme un sujet doué d'un esprit
conscient, capable d'être guidée dans ses opérations par des principes
moraux. [...]. Mais alors que ce développement étendait indéfiniment
le champ d'application du terme 'social', il ne lui donnait pas le nouveau
sens qui eut été requis. Le mot fut ainsi à un tel point dépouillé de
son sens descriptif initial, que des sociologues américains ont éprouvé
le besoin de forger un nouveau mot, sociétal, pour le remplacer. Cette
transformation a conduit en fait à une situation où le mot 'social'
peut être employé pour dire de presque n'importe quelle action qu'elle
est publiquement désirable [...]."[14]
On est arrivé ainsi à la dérive
extrême. L'individu appelle "social" ce que jugent tel ceux
qui se font entendre (ou lire) et qui prétendent soit parler au nom
de "la" société, soit mener des activités dans l'intérêt de
celle-ci, dans l'intérêt général, c'est-à-dire en définitive ce qu'ils
jugent leur convenir. Ce dernier sens du mot "social" est
très voisin, pour ne pas écrire qu'il se confond à celui que veulent
rendre ceux qui emploient les expressions de "sécurité sociale"
et de "justice sociale".
2.1.1.a. La société, "sécurité
sociale spontanée libre" démontrée
Une des conditions de la vie
en société des individus est la sécurité. La sécurité des personnes
(et de leurs propriétés) est le fondement même de toute vie de celles-ci
en société, digne de ce nom. Toutes les activités que mènent les individus
en société[15]
n'auraient pu être menées à bien par les individus sans (un minimum
de) sécurité :
"Au nombre des besoins
de l'homme, il en est un d'une espèce particulière et qui joue un rôle
immense dans l'histoire de l'humanité, c'est le besoin de sécurité.
[...] Supposez, en effet, qu'un homme se trouve incessamment menacé
dans sa personne et dans ses moyens d'existence ; sa première et plus
constante préoccupation ne sera-t-elle pas de se préserver des dangers
qui l'environnent ? Cette préoccupation, ce soin, ce travail, absorberont
nécessairement la plus grande partie de son temps, ainsi que les facultés
les plus énergiques et les plus actives de son intelligence. Il ne pourra,
en conséquence, appliquer à la satisfaction de ses autres besoins qu'un
travail insuffisant, précaire et une attention fatiguée." [16]
Autrement dit, à la base de
la vie en société, il y a la sécurité de celle-ci, c'est-à-dire la sécurité
sociale. Société et sécurité sociale sont plus que des synonymes, ce
sont un seul et même fait. Bien plus, étant donné le sens originel du
mot "social", il revient au même de parler de "société"
ou de "sécurité sociale spontanée libre" démontrée. La vie
en société témoigne des efforts diffus des individus pour se protéger
contre l'insécurité qu'ils imaginent, contre ce à quoi ils s'attendent
ou se considèrent être exposés, étant donné leur ignorance de l'avenir
et les règles de conduite dont ils conviennent spontanément pour vivre
ensemble.
Pour ces raisons, rien ne s'oppose
à avancer que la société en France jusqu'à la décennie 1930 a été en
grande partie synonyme de "sécurité sociale spontanée libre"
démontrée. La sécurité était démontrée par toutes les activités que
choisissaient de mener les personnes (par les activités de prévoyance
et tout particulièrement par l'activité de l'assurance) et par leurs
résultats dans le cadre national (la sécurité était elle-même un de
ces résultats). Sans sécurité, en vérité sans sécurité attendue par
les individus[17],
il n'y aurait pas eu possession de biens par ceux-ci, ni accumulation
(épargne), ni exercice d'activité autre.
2.1.1.b. La société, la
solidarité sociale et la sécurité sociale
A partir de la fin du XIXème
siècle, la sécurité comme signe distinctif de la vie des personnes en
société a été passée à la trappe par certains. Tout s'est passé comme
s'il avait été inculqué que la vie en société était possible sans sécurité.
Et cela s'harmonisait avec l'idée de "la" société, entité
indépendante des individus en société. A ainsi été préférée l'idée que
"la" société doit connaître la solidarité, une idée voisine
de celle des membres solidaires du "corps social" défendue
entre autres par les révolutionnaires du XVIIIème siècle.
A peine colportée, cette idée
"révolutionnaire", ou plus simplement "nouvelle",
a posé des difficultés à maints de ses contemporains et en particulier
Pareto qui en arrive à écrire :
"Solidarité sociale. Je
voudrais bien savoir quelle est précisément la chose que l'on entend
sous ce nom ; c'est avec le plus grand soin que je lis les auteurs qui
en traitent, mais j'avoue que cela ne m'avance guère. Que cette solidarité
soit une panacée universelle, un moyen de résoudre toutes les difficultés
économiques et sociales, une sorte de formule magique à l'instar de
Sésame ouvre-toi ! Et qu'elle soit notamment une recette merveilleuse
pour secouer le joug des capitalistes et annuler le profit de l'infâme
capital, tout cela est évident ; mais on ne conçoit pas aussi aisément
comme ces beaux effets se produiront. C'est malheureusement un point
sur lequel nos réformateurs ne s'expliquent pas volontiers. Ils louent
en de fort beaux discours les vertus de la douce solidarité, qu'ils
opposent à la cruelle concurrence ; ils anathématisent — cela va sans
dire — les économistes libéraux ; les manchestériens maudits ; mais
[...] c'est à peine s'ils daignent se rappeler notre pauvre vie terrestre
et ses dures nécessités".[18]
L'idée de la solidarité sociale
est le point de départ de l'autre façon de concevoir la sécurité sociale,
celle qui consiste à la définir comme un système de solidarité mis en
œuvre par "la" société. Les personnes en société, qui ne sont
plus "la" société, deviennent les sujets d'une solidarité
qui va être jugée insuffisante ou imparfaite par "la" société,
en fait par les hommes de l'État.
2.1.1.c. La "justice
sociale"
Mais vers la même époque, la
"justice sociale" était aussi évoquée :
"La justice dite "sociale"
(ou quelques fois 'économique') fut considérée comme un attribut que
devaient présenter les 'actions' de la société, ou le 'traitement' des
individus ou de groupes par la société. Comme le fait la pensée primitive
lorsqu'elle constate pour la première fois des processus réguliers,
les résultats de l'agencement spontané du marché furent interprétés
comme si quelque être pensant les avait délibérément visés, ou comme
si les avantages particuliers ou dommages particuliers des diverses
personnes, découlant de ces résultats, avaient été l'objet de décisions
délibérées et donc auraient pu être orientés selon des règles morales.
Cette conception de la justice 'sociale' est ainsi une conséquence directe
de cet anthropomorphisme, de cette tendance à la personnification à
travers laquelle la pensée naïve essaie de rendre compte de tous les
processus intrinsèquement ordonnés. C'est un signe de l'immaturité de
notre esprit, que nous ne soyons pas encore sortis de ces concepts primitifs,
et que nous exigions encore d'un processus impersonnel qui permet de
satisfaire les désirs humains plus abondamment que ne pourrait le faire
aucune organisation délibérée, qu'il se conforme à des préceptes moraux
élaborés par les hommes pour guider leurs actions individuelles. L'emploi
de l'expression 'justice sociale' en ce sens est d'origine récente,
apparemment pas plus ancien qu'une centaine d'années."[19]
C'est à Hayek qu'il reviendra
de démontrer que la justice sociale est un mirage car, en particulier
:
"L'objectif politique
dans une société d'hommes libres ne peut être un maximum de résultats
connus d'avance, mais seulement un ordre abstrait".[20]
Mais la principale raison qu'il
donne s'articule ainsi :
"L'intervention dans une
[économie de marché] par voie de commandement crée un désordre et ne
peut en aucun cas être juste".[21]
"Les tentatives pour 'corriger'
l'ordre de marché conduisent à sa destruction".[22]
"Dans un ordre économique
basé sur le marché, le concept de 'justice sociale' a-t-il un sens,
un quelconque contenu ?[...] Est-il possible de maintenir un ordre de
marché tout en lui imposant (au nom de la 'justice sociale' [...]) un
modèle de rémunération fondé sur l'estimation des performances ou des
besoins des différents individus ou groupes par une autorité ayant pouvoir
de le rendre obligatoire ? La réponse aux deux questions est nettement
non".[23]
2.1.2. "Social"
et assurance sociale
D'une certaine façon, tout
ce qui vient d'être rappelé schématiquement à propos de la "sécurité
sociale" ou de la "justice sociale", se transpose et
s'applique directement à l' « assurance sociale »[24].
En particulier, comme la justice ou la sécurité, l'assurance n'est pas
un attribut que doivent présenter les actions de la société, ou le traitement
des individus (ou de groupes) par la société. Tout concourt ainsi à
soutenir que les trois expressions sont synonymes et que l'appel à l'"assurance
sociale", qui a doublé dans le passé l'appel à la "solidarité
sociale", a amené en France ses prosélytes à lui substituer celui
de la "justice sociale", argument favori aujourd'hui de la
discussion politique[25]. Pour toutes ces raisons, rien ne s'oppose à
soutenir que l'assurance sociale est un mirage. Mais il y en a d'autres.
Citons Mackaay :
"La première assurance
sociale créée touche les accidents du travail. Elle est le produit de
la fin du XIXè siècle. François Ewald a étudié en grand détail sa genèse[26].
[...] A l'origine, au cours de la deuxième moitié du XVIIè siècle [...][27]
[...] le travail ainsi que les nouveaux modes de vie entraînaient des
risques jusqu'alors inconnus. Hobsbawn [...][28] [...] Le travail
dans l'industrie posait des risques nouveaux. [...] L'ampleur de ces
risques, les liens avec la santé des travailleurs et les moyens de les
pallier n'étaient pas connus. Il fallait les découvrir".[29]
En vérité, dans le sens que
nous analysons, la première "assurance sociale" créée est
bien plus ancienne que les panoplies réglementaires dont les hommes
de l'État vont habiller les accidents du travail à la fin du XIXè siècle.
Faut-il rappeler le développement des hospices ou hôpitaux de l'Église
chrétienne dès le premier millénaire en Occident, pour venir en aide
aux démunis ? Leur étatisation en France par les séides de la "révolution
française" dans la décennie 1790 ne saurait les faire oublier.
Faut-il rappeler l'apparition des universités (et de leurs "nations")
en Europe à partir du début du second millénaire qui visent non seulement
à ce que l'individu applique son "libre arbitre", nouvellement
reconnu, au "libre examen", mais aussi à le protéger contre
les abus de pouvoir de toute nature dont les résultats de son libre
examen pourraient être le détonateur. Leur étatisation par la suite
ne saurait là encore les cacher.
De tous temps, l'être de chair
et de sang a cherché à se rendre maître des pertes incertaines auxquelles
il s'attendait et que lui-même ou ses proches, voire ses semblables,
supporteraient le cas échéant. Hospices et hôpitaux répondaient au dénuement
total ou à certaines pauvretés. Leur existence démontre rétrospectivement
que certains s'attendaient à ces situations dans l'avenir et tentaient
d'y remédier. Les universités répondaient à l'ignorance, définie comme
l'abus de pouvoir de la nature, du Pape ou du Roi sur l'individu, au
"forcé de penser" qui devient de nos jours, dans la décennie
1990, le "prêt à penser". Leur existence démontre rétrospectivement
que certains s'attendaient à la pérennité de l'abus de pouvoir et tentaient
d'y remédier.
Mais, de tous temps, des hommes
ont aussi cherché à maximiser leurs pouvoirs en dépit des propos qu'ils
affichaient, et y sont parvenus, ce sont les hommes de l'État. Différentes
méthodes ont été utilisées. Pour procéder à l'étatisation des hospices
et hôpitaux, les "révolutionnaires" ont recouru à la calomnie
des hommes de l'Église...comme y avaient recouru, au fil des siècles,
ceux qui voulaient faire rentrer dans le droit commun les universités
en France. Pour mettre en route l'instruction-éducation publique au
XVIIIè siècle, la méthode a été plus "subtile". Il a été fait
référence implicite à l'époque médiévale, symbole de liberté : il fallait
protéger l'individu contre l'abus de pouvoir des hommes de l'État du
XVIIIè siècle dont il souffrait. Mais il y a eu supercherie puisqu'en
fin de compte, ces derniers s'en sont emparés...
Par la suite, vraisemblablement
étant donnée l'efficacité qui leur était reconnue, les mêmes méthodes
ont été de nouveau employées. Pour faire voter la loi sur les accidents
du travail dans la décennie 1890, une prétendue "théorie nouvelle
du risque" n'a-t-elle pas été agitée[30]
? Pour mettre en œuvre les "assurances sociales" à partir
de 1928-30, calomnie et supercherie ont été combinées et l'assurance
existante en a fait les frais[31]. Enfin, pour faire accepter et mettre en œuvre,
à partir de 1945, la "sécurité sociale", ce sera l'économie
de marché, le capitalisme, la vie en société non encore totalement étatisée,
qui seront l'objet du double traitement.
Au total, l'assurance sociale,
digne de ce nom, sera passée à la trappe.
2.2. Un progrès de la connaissance
Comment ne pas s'étonner —
au moins, dans un premier temps — d'une telle évolution quand on n'oublie
pas qu'à partir du XVIIè siècle, ce qui touchait l'attente de l'avenir
a commencé à retenir l'attention des individus épris de mathématiques
(Pascal et Fermat en France) ? Pourquoi méconnaître que, d'une part,
il en résulta la théorie du calcul des probabilités, la théorie des
grandeurs aléatoires ou encore l'analyse combinatoire ? Qui songerait
aujourd'hui à expliquer qu'il faut avoir telle ou telle action, ou voter
pour "X", à partir de considérations reposant sur un modèle
d'attentes de l'avenir en définitive indépendant de ces actions ? C'est
pourtant l'explication rationnelle qu'a choisie Blaise Pascal pour persuader
ses amis "libertins" qu'ils devraient croire en Dieu et vivre
en harmonie avec les préceptes de la religion chrétienne. En outre,
ces théories reçurent une application "industrielle" comme
en témoigne vers cette époque l'émergence d'une industrie de l'assurance,
au sens propre de ce dernier terme, à savoir l'"assurance mutuelle".
Pourquoi ne pas y insister ?
Nos historiens oublient, cachent
ou, tout simplement, ne savent pas que l'assurance est en définitive
l'une des dernières grandes découvertes de l'homme, l'un des derniers
grands progrès technologiques dans le domaine économique et social[32].
Celui-ci tient à ce qu'elle combine des techniques tant juridiques qu'économiques
ou mathématiques qui avaient été découvertes antérieurement et qui,
comme la propriété, la responsabilité juridique, le contrat ou la prévoyance
(l'épargne, financière ou non, la spéculation) avaient fait leur preuve
pour accroître le domaine du certain de tout être humain. Il contribue
à ce que les individus choisissent de vivre en société, sinon en toute
connaissance, du moins en une ignorance réduite.
Il faut qu'un déluge ignoré
ait emporté le bon sens pour que ces faits ne soient pas le plus souvent
mentionnés. Tocqueville lui a d'ailleurs, semble-t-il, donné un nom
au XIXè siècle avant qu'il ne se réalise dans sa plénitude, c'est le
nom rappelé ci-dessus : "socialisme".
A défaut d'être vide de sens
comme la première façon de l'envisager le suggère, avec cette seconde
façon de voir, l'expression "assurance sociale" en est trop
pleine et avoisine le pléonasme parce que l'assurance ne saurait être
autre que "sociale" puisqu'elle est, par définition, "mutuelle"
: elle réunit des individus, les assurés volontaires, en une société
précisée et dénommée par le droit, c'est la "mutualité".
2.2.1. L'assureur
L'assurance est une activité
que choisissent de mener certains individus (à qui est donné le nom
d'"assureur"). L'expérience le démontre, l'assureur ne saurait
être une personne isolée. Seules peuvent exploiter l'activité, des personnes
réunies au sein d'une firme ou d'un marché organisé (exemple du Lloyd's
de Londres) et ayant, les unes des connaissances de droit, d'autres
des connaissances économiques, d'autres encore des connaissances mathématiques.
L'assureur mène son activité
dans un objectif : le revenu net attendu (le profit attendu), c'est-à-dire
le non gaspillage des richesses découvertes (et si difficiles à découvrir
tant qu'elles ne l'ont pas été).
2.2.2. La technologie de
l'assureur
Pour la mener, il utilise une
technologie. Comme toute technologie, l'assurance fait intervenir des
facteurs de production variés (travail, capital, matières premières)
et combinés selon certaines techniques. Elle comporte aussi des originalités,
l'une tient à certaines matières premières, la deuxième aux modalités
de leur achat et la troisième à leur traitement.
2.2.2. a. Les matières premières
Au départ, l'assureur cherche
à acheter à des individus des "pertes incertaines attendues",
c'est-à-dire des pertes d'objets donnés auxquelles ceux-ci s'attendent,
ou à quoi lui s'attend. L'objet donné est chaque fois un objet de type
"bien", c'est-à-dire qui est valorisé, ou une action que l'individu
a choisi de mener. Malgré leur caractère immatériel, ces "pertes
incertaines attendues" sont de véritables matières premières de
la technologie.
A l'individu, l'assureur rend
ou vend un premier type de service
s'il contribue à délimiter ou à préciser la "perte incertaine attendue".
Pour l'individu qui vit au jour le jour ou dans le passé, qui n'a donc
pas d'attente, la "perte incertaine attendue" n'existe pas,
ni par conséquent le risque. Mais l'individu qui vit au jour le jour
existe-t-il ? Il y a fort à parier que non dans un état de droit où
des produits sont rendus disponibles et la rapine est interdite.
2.2.2.b.Évaluation en monnaie des matières premières
La "perte incertaine attendue"
d'un objet donné de type "bien" est un objet de type "mal".
L'individu ne peut tirer satisfaction ou préférer l'objet incertain
attendu endommagé, voire détruit, à l'objet incertain attendu intact
; il ne peut accorder une valeur plus grande au produit endommagé ou
détruit. L'assureur permet à l'individu d'exprimer l'écart de satisfaction
ou l'écart de valeur qu'il établit entre les deux situations attendues,
en un prix monétaire. Autrement dit, l'écart de valeur n'est jamais
que le prix en monnaie accordé à la perte incertaine attendue.
A l'individu qui n'a pas d'attentes
propres, l'assureur rend ou vend un deuxième
type de service s'il lui communique l'évaluation en monnaie qu'il
fait de la perte incertaine attendue et que lui-même ne parvient à faire
: il l'informe qu'elle se situe entre x et y francs (x inférieur à y).
L'individu qui a des attentes
propres, estime la perte incertaine attendue entre a et b francs (a
inférieur à b). Ses attentes peuvent être semblables ou différentes
de celles de l'assureur qui les situent entre aa et bb francs (aa inférieur
à bb). En l'en informant et en lui permettant la comparaison, l'assureur
lui rend ou vend un service[33].
Le prix en monnaie, z, de la
perte incertaine attendue qu'envisage l'assureur ne peut qu'être négatif
comme celui de tout objet de type "mal". Il s'ensuit que,
si la perte incertaine attendue est susceptible d'être échangée, son
échange procurera une recette négative en monnaie à son vendeur, c'est-à-dire
lui occasionnera une dépense en monnaie, et une dépense négative à son
acheteur, c'est-à-dire une recette en monnaie.
2.2.2.c. La technique d'assurance
Les matières premières sont
traitées par une technique au sens propre du terme : la technique d'assurance.
Celle-ci se résume à la détermination du "sinistre certain attendu
mutuel", évalué en monnaie, à la mise en regard des matières premières
évaluées en monnaie et du "sinistre certain attendu mutuel",
évalué en monnaie, et à l'égalisation de leurs montants en monnaie.
Étant donnée la mutualité d'individus
qu'il cherche à réunir (les N "pertes incertaines attendues"
des individus qu'il est prêt à prendre), l'assureur s'attend à la réalisation
de certaines d'entre elles, c'est-à-dire à une perte (ou sinistre) mutuelle.
Dès qu'il s'attend, avec un maximum de vraisemblance ou de certitude,
à une perte de la population (par exemple, de l'ordre de S francs),
sa technologie est opérationnelle, les pertes incertaines attendues
individuelles de sa mutualité ont été transformées techniquement en
une perte certaine attendue mutuelle[34].
Le troisième type de service de l'assureur est d'avertir chaque individu
du "prix en monnaie négatif" qu'il attache à sa perte incertaine
attendue : soit S/N francs. Dans le langage de la profession, il n'est
pas question de prix en monnaie négatif, mais de "prime pure monétaire"
.
Étant donné la démarche de
l'assureur, chaque individu de la mutualité possède désormais en fait
dans son patrimoine à la fois un même objet donné et une même perte
incertaine attendue de celui-ci (de prix en monnaie S/N), élément de
l'objet donné.
A chaque individu de la mutualité
qu'il cherche à constituer, l'assureur rend ou vend un quatrième type de service qui consiste
en la proposition de l'échange de la perte incertaine attendue, et le
cinquième en son achat, au prix en monnaie
négatif (S/N), par contrat à option. L'option est que, si la perte incertaine
attendue se réalise dans l'avenir convenu, l'assureur indemnisera l'individu.
Il couvrira la perte selon les modalités convenues au moment de l'achat,
à la signature du contrat. Le mode de couverture donne lieu à production
d'un sixième type de service.
Si l'individu accepte l'échange,
il vend alors sa perte incertaine attendue à un prix en monnaie négatif,
avec l'option de couverture, mais conserve l'objet donné, ou mène l'activité
qui la comporte. Pour l'individu, la vente de la perte incertaine attendue
à un prix en monnaie négatif (S/N) est une recette en monnaie négative,
c'est-à-dire une dépense monétaire. L'option qui lui est attachée lui
donne des droits. Pour l'assureur, l'achat de la perte incertaine attendue
à ce prix est une dépense monétaire négative, c'est-à-dire une recette
monétaire.
Dans un contexte théorique
où on fait abstraction de la durée, la technique d'assurance fait ainsi
intervenir :
— les primes pures monétaires que versent individuellement
les individus qui désirent être assurés et que perçoit l'assureur,
— et les couvertures, évaluées en monnaie, que s'attend
à verser à la population des individus sinistrée l'assureur, étant donnés
les contrats convenus ;
— l'égalisation ex
ante du montant des couvertures, évaluées en monnaie, et de celui
des primes pures monétaires, en d'autres termes, l'égalisation ex ante du montant des dépenses négatives en maux achetés et du montant
des dépenses certaines attendues positives en biens à acheter[35].
Mais en réalité, toute chose
a une durée. Il est exclu de faire abstraction de celle-ci, sauf exceptions
comme dans le cas où, par exemple, le législateur édicte l'obligation
de faire comme si elle n'existait pas (on reviendra sur ce point ci-dessous).
Par rapport à ce qui vient d'être dit, il faut supposer que l'assureur
utilise un facteur de production spécifique supplémentaire, à savoir
la période de temps futur dont il convient avec l'assuré. La technique
d'assurance "broie" alors les matières premières précédentes,
mais dotées désormais de la même dimension temporelle. En fait, elle
intègre la technique de l'actualisation (ou de la capitalisation) en
faisant intervenir maintenant :
— les primes pures monétaires actualisées que vont
verser, dans l'avenir convenu, individuellement les assurés et que percevra
l'assureur ; plusieurs modèles de versement sont possibles désormais
(prime unique, prime périodique, prime d'abonnement) ;
— les couvertures actualisées, évaluées en monnaie,
que s'attend à verser à la population des individus sinistrée l'assureur
(dépenses positives), étant donné les contrats convenus ; là encore
plusieurs modèles de couverture sont possibles (couverture une fois
pour toutes ou couvertures échelonnées, couverture en nature ou en espèce)
;
— l'égalisation ex
ante, pour la période du contrat des couvertures actualisées, évaluées
en monnaie, et des primes pures monétaires actualisées.
2.2.3. Les individus en
mutualité
Ce qui importe à l'assureur,
c'est donc de rencontrer les goûts d'un grand nombre d'individus, indépendants
les uns des autres, à défaut d'être identiques, qu'il rend semblables
et ainsi, de cristalliser la mutualité.
Rien ne justifie dans ces conditions
de distinguer l'assurance, l'assurance sociale et l'assurance mutuelle,
voire la mutualité, sauf à vouloir désorienter l'individu peu familier
avec le sujet. A fortiori,
rien ne justifie que le droit positif en soit parvenu à construire un
Code de la mutualité[36]
et un Code de l'assurance[37]
comme c'est le cas aujourd'hui. Sauf à vouloir enfoncer des portes ouvertes
dans un monde de bon sens, où alors on parlera d'assurance mutuelle,
il est préférable de parler tout simplement d'assurance pour désigner
l'activité. Mais dans un monde dénaturé, d'altération, d'où a disparu
le bon sens, où le mot "assurance" fait partie de la catégorie
des mots, non pas non définis, mais dénaturés et pervertis, ou dans
un monde que certains désirent tel pour conforter leurs ambitions, une
autre attitude est à adopter. Il convient de parler de l'assurance mutuelle,
et non pas "simplement" de l'assurance, pour ne pas anéantir
le progrès majeur de la connaissance que l'assurance représente, le
progrès technique qu'elle concrétise.
2.2.4. Le produit de la
technologie de l'assureur
Grâce à la technologie, l'assureur
rend disponibles des services qu'on peut regrouper en deux grands types
: les services d'acceptation de la "perte incertaine attendue individuelle"
et les services d'indemnisation du sinistre (en cas de réalisation de
la "perte incertaine attendue individuelle"). Le produit de
l'assurance est ainsi un panier de services.
Il y a une autre façon d'envisager
le produit, à commencer par l'appeler par son nom le plus courant :
le contrat d'assurance. Celui-ci est conclu entre deux parties, l'assureur
et l'assuré. Contrat "aléatoire" pour le juriste[38],
le contrat d'assurance est, pour l'économiste, un type de contrat évolué
dont le but est précis, bien que multiple. C'est :
— un moyen d'identification des pertes incertaines
attendues par les individus dans le contexte d'ignorance où ils se trouvent
;
— un moyen de mettre le doigt sur le "risque moral
ambiant", autre façon de signaler l'ignorance fondamentale qu'ils
ont sur le comportement de leurs semblables avec qui ils vivent en société
et où ils prennent leurs décisions, et de le réduire à un "risque
moral résiduel" (cf. ci-dessous) ;
— un moyen de certification de la situation attendue,
future ou à venir, convenue.
A ce titre, le contrat d'assurance
allie les avantages nets du contrat en général et ceux de son application
à l'échange de l'objet valorisé "perte incertaine attendue d'un
bien donné".
2.2.5. Le prix du produit
En tant que produit, l'assurance
fait intervenir deux prix en monnaie qu'il convient de séparer : le
prix des services rendus disponibles par l'assureur et la prime pure
monétaire caractéristique de la technique mise en œuvre.
Les services que le contrat
comporte sont des produits de type "bien". Ils ont chacun
un prix en monnaie positif[39]. Pour notre part, nous réduirons ces prix à un
seul : le prix du panier des services. L'assureur est prêt à vendre
le panier au-dessus d'un prix plancher, évalué en monnaie. C'est le
véritable prix de l'assurance, c'est le prix comparable à ceux des autres
produits.
Ce prix en monnaie — positif
— doit être distingué de la prime pure monétaire, prix en monnaie —
négatif — de la matière première "perte incertaine attendue".
Caractéristique de la technique d'assurance, celle-ci est une évaluation-plancher,
en monnaie, du prix auquel l'assureur est prêt à acheter la matière
première à chaque individu. C'est un faux prix de l'assurance en tant
que produit. La prime pure monétaire ne devrait qu'être comparée aux
prix des autres facteurs de production et, plus particulièrement, à
ceux d'entre eux qui sont non pas positifs, mais négatifs !
Contrairement à ce qui est
trop souvent cru ou colporté, la prime d'assurance au sens courant du
terme, celle qui, par exemple, supporte les taxes que paie le consommateur,
n'est pas le prix de l'assurance, mais l'addition de ces deux prix de
nature économique différente[40].
2.2.6. La concurrence
Comme toute activité[41],
l'assurance était soumise à la concurrence des activités existantes,
caractéristique de l'économie de marché où elle a été découverte. Résultat
observable : elle a émergé et s'est développée. En la faisant émerger,
la concurrence a révélé, sans contestation possible fondée, son avantage
net, concrétisation d'un progrès de la connaissance[42], un avantage net
comparable à celui des autres activités des individus en société[43].
Par la suite, et chaque fois qu'est né et a perduré un nouveau type
d'assurance, la concurrence a sanctionné la comparaison : un avantage
net de la nouvelle assurance supérieur ou au moins égal à ce qui existait
et, en particulier, à celui des activités dirigées par les hommes de
l'État. Si l'avantage net avait été inférieur, l'assurance ne serait
pas apparue, ou le serait un temps et n'aurait pas progressé car la
concurrence ne l'aurait pas propulsée.
Dans ces conditions, il faut
convenir que l'assurance a un avantage véritable sans commune mesure
avec les insuffisances réelles (visibles ou non) sur quoi certains ont
tendance à insister (on reviendra sur ce point ci-dessous). A ce titre,
elle est un progrès de la connaissance qui ne devrait pas être dilapidé.
Il est particulièrement destructeur de stigmatiser des insuffisances
pour condamner l'assurance et la faire interdire ou réglementer par
la loi. Il ne faut pas être dupe de ces pratiques qui font abstraction
de l'avantage net et concourent à le cacher.
3. L'assurance sociale,
application de principes altérés
"Le trait le plus significatif de la faiblesse inhérente aux théories
totalistes est l'extraordinaire paradoxe de ceux qui, après avoir affirmé
que la société est en un sens "plus" que le simple agrégat
de tous les individus, passent, par une sorte de saut périlleux à la
thèse qu'il faut, pour sauvegarder la cohérence de cette entité plus
grande, la soumettre à un contrôle conscient [d'un] esprit individuel
"
Puisque l'assurance sociale
peut être considérée soit comme un mirage soit comme un progrès de la
connaissance, des commentateurs en concluront qu'elle est d'une grande
complexité, ou bien n'en parleront plus — comme c'est le cas en France
aujourd'hui — sauf à être taxés de vouloir retourner dans le passé,
au temps de la lampe à huile ou de la marine à voile, ou faire disparaître
la "sécurité sociale", sa forme, prétendument supérieure,
institutionnalisée à partir de 1945. Une autre démarche consiste à être
exact sur les principes de l'assurance et à montrer en quoi et comment
ceux-ci ont été ou sont altérés. C'est la démarche adoptée ci-dessous.
3.1. Les principes
L'assurance n'a pas été sortie
d'un chapeau par un magicien. Elle est l'art de l'assureur, c'est son
premier principe. Son second grand principe est que les assurés sont
des individus dignes de ce nom, des personnes juridiques, c'est-à-dire
propriétaires, responsables et libres de contracter. Les mathématiques
et l'économie sont, certes, des ingrédients premiers, mais le droit
est sa matrice.
L'art de l'assureur tient avant
tout dans la sélection d'une mutualité de personnes juridiques, les
futurs assurés. A la base de l'art, il y a certes, vient-on de rappeler,
une perte incertaine attendue par l'individu concernant un objet donné
qu'il valorise (objet de type "bien"). Mais, cela est insuffisant
pour que l'assurance fonctionne. Pourquoi oublier, cacher ou ignorer
qu'il y a d'abord l'objet qu'il possède en propriété ou dont il a la
responsabilité ? Il y a aussi la perte incertaine attendue que l'action
qu'il mène peut asséner à autrui. Mais pourquoi oublier ou cacher ou
ignorer qu'il la juge sienne (action responsable) ?
De plus, le Droit préside aux
attentes que se forme l'individu, il lui fournit des points de repère.
Si on l'exclut, plus rien n'est compréhensible[46]. Pourquoi l'individu
se préoccuperait-il de la perte dans l'avenir d'un objet qu'il ne possède
pas en propriété ou dont il n'a pas la responsabilité ? Pourquoi l'individu
s'inquiéterait-il d'une action que le législateur le contraint à mener[47] ?
La perte incertaine attendue
d'un objet donné de type "bien" étant un objet de type "mal"
(cf. ci-dessus), l'individu responsable est aussi propriétaire de "maux"
dont la théorie économique courante a fait abstraction pendant longtemps[48] . Autrement dit,
il est "riche de maux". Et, étant donné la démarche technique
de l'assureur, chaque individu de la mutualité que celui-ci réussit
à constituer, se trouve posséder dans son patrimoine à la fois un même
bien donné et un même mal, élément du bien. Pour sa part, l'assureur
rend échangeable le mal. Si l'individu accepte l'échange, il vend alors
son mal à un prix en monnaie négatif, avec l'option de couverture, mais
conserve la propriété entière du bien donné, ou la responsabilité entière
de l'activité qui le comporte.
3.1.2. Les responsabilités
de l'assuré
Responsable, l'individu ne
recherche pas, a priori, la
perte incertaine à quoi il s'attend, il ne vise pas à ce que son action
soit dommageable pour autrui. Il se préoccupe surtout des moyens de
prévenir, de protéger, d'abriter le bien ou l'action, il évite de faire
des erreurs ou est prêt à apporter des garanties. Et s'il ne les trouve
pas, tout porte à penser que, libre de décider, il ne prend pas la propriété
ou la responsabilité du bien ou renonce à l'action. Autrement dit, il
y a un "intérêt assurable" clair. Le cas échéant, il y a une
"indemnité" qu'il est prêt à acheter pour le conserver en
toutes circonstances.
Après avoir fait abstraction
du Droit, les économistes ont eu beau jeu de soutenir que l'individu
est un délinquant potentiel, "sans foi ni loi", et qu'il est
utopique de l'envisager autrement quand on sait que les juristes mettent
en question parfois l'existence de l’"intérêt assurable" ou
le montant de l'indemnité plafonnée. Après avoir fait abstraction de
la durée, ils peuvent aussi avancer qu'il vit au jour le jour, n'a pas
d'attente de l'avenir. Mais, auparavant, ils devraient se demander comment,
dans de telles conditions, il est possible que les individus vivent
en société, ce que la réalité démontre. Si la contrainte légale est
la raison invoquée comme explication, la question est de savoir comment
cette contrainte peut être appliquée ? "Qui contraint les contraignants"
? Une chose est certaine dans un tel contexte de postulats : l'assurance
est une activité rendue logiquement impossible. Il est difficile d'envisager
un assureur passant des contrats avec des délinquants ou avec des "cigales".
Parce que la réalité observable
a toujours été autre, force est de faire valoir que l'individu est naturellement
conscient de la durée et attaché au Droit, à la propriété, à la responsabilité,
à la liberté de contracter, qui sont pour lui autant de repères, tandis
que les hypothèses les plus courantes de la science économique n'ont
aucun sens. Le Droit a en particulier pour raison d'être d'accroître
le domaine du certain[49] ou, autrement dit,
de réduire le domaine de l'incertain :
"[...] c'est la raison
d'être du droit que d'accroître le domaine du certain, il ne peut éliminer
que quelques-unes des sources d'incertitude et deviendrait lui-même
nuisible s'il tentait d'éliminer toute incertitude [...]"[50]
Cependant le Droit ne saurait
éliminer toutes les sources d'incertitude, en particulier celles concernant
la valeur, ni protéger toutes les anticipations. Il existe toujours
une perte incertaine résiduelle à laquelle l'individu doit s'attendre
du fait du comportement de ses semblables avec qui il vit en société.
Ceux-ci peuvent lui faire encourir des pertes auxquelles il s'attend
de façon floue, c'est-à-dire un "risque moral résiduel", autre
façon de signaler l'ignorance fondamentale où il se trouve.
En vérité, si la propriété
du bien ne soulève pas trop de difficultés[51], il en va différemment
de la responsabilité. Il est possible de distinguer deux types de responsabilité.
Il y a la responsabilité juridiqueex post. La jurisprudence
la développe à partir des articles 1382 et 1383 du Code Civil et les tribunaux essaient de
l'enrichir chaque fois que nécessaire, quand une perte d'un bien est
observable, qu'elle ait été attendue ou non[52]. La responsabilité
de l'individu est alors synonyme de cause événementielle déterminée
a posteriori et réduite à une intention, à une faute ou à une négligence
de celui-ci.
Comme tout aspect du Droit,
cette responsabilité présente des avantages et des inconvénients que
teste la tradition. Pour autant qu'elle existe dans un contexte de concurrence,
il faut reconnaître qu'elle présente un avantage net (cf. ci-dessus,
§ 2.2.6.) : elle affine le Droit, sa matrice. Le principe de la responsabilité
juridique de la personne physique garantit,
ex ante, une réparation à
l'individu qui s'attend à être victime de l'action de celle-ci défavorable
à l'intégrité de sa personne ou de ses biens. Mais il ne peut en connaître
l'ampleur, voire simplement l'encadrer. Méconnaître pour autant la garantie
qu'apporte le Droit, par l'intermédiaire de cette responsabilité, ouvre
la voie à tous les errements et aux attaques contre celle-ci. Dans un
contexte de responsabilité juridique
totale et complète, le "risque moral résiduel" du Droit ne
saurait exister, il serait réduit à zéro[53]. Mais, de
facto, la responsabilité juridiqueex post est toujours limitée par les décisions que prennent les tribunaux.
L'individu ne peut qu'être inquiet de cet état de fait. Certains se
féliciteront de la situation d'après l'argument selon lequel l'individu
ne doit pas perdre de vue le "risque moral résiduel", et pour
qu'il s'en préoccupe, il faut qu'il admette que son semblable n'est
pas responsable sans limites de
jure. D'autres en tireront argument pour affirmer que la responsabilité
juridique ne protège pas comme elle le devrait, bref qu'elle a des
insuffisances. Par exemple, l'individu qui agit et est conscient qu'il
s'expose à une responsabilité seulement partielle, voire à sa non responsabilité,
pourra faire n'importe quoi. Il reste que, étant donné la responsabilité
juridique, on peut soutenir que le "risque
moral résiduel" du Droit a été réduit.
Mais il y a aussi la responsabilité
qu'on qualifiera de contractuelle
ou d'ex ante et sur quoi assuré
et assureur peuvent s'accorder par contrat. La responsabilité en question
est alors synonyme de perte incertaine, ce à quoi s'attend l'assuré
du fait de son action dommageable pour autrui, qu'il ne veut pas faire
supporter à celui-ci, ni à lui-même, et dont l'assureur partage l'attente
au point d'accepter de la couvrir. Cette responsabilité contractuelle
ex ante a pour conséquence de rendre moins floue la situation attendue
de l'individu dans un contexte de Droit avec
ou sans responsabilité juridiqueex post. Pour autant qu'elle donne lieu
à des contrats d'assurance, on ne peut qu'admettre d'elle un avantage
net. De ce point de vue, le progrès de la connaissance que concrétise
l'assurance est rehaussé d'un progrès social. Il reste que la responsabilité
incertaine à laquelle l'individu doit s'attendre est aussi souvent limitée,
de jure, par le législateur ou les hommes
de l'État, les clauses du contrat ne sont pas libres. Et, si elle est
limitée, la réparation à attendre de la perte attendue l'est aussi.
Par conséquent, il existe un "risque moral résiduel" qu'encourt
l'individu et qui est vraisemblablement supérieur à ce qu'il pourrait
être sans réglementation.
3.2. La dénaturation à l'œuvre
L'assurance est donc le fruit
de l'application de deux grands principes de nature différente. Ceux-ci
ne demandent qu'à être altérés. Et souvent ils l'ont été par mégarde
ou par attaque délibérée.
3.2.1. L'altération de la
responsabilité juridique
Vers la fin du XIXè siècle
par exemple, des inconvénients de la responsabilité juridique dans certains
domaines ont été mis en exergue avec insistance, en particulier pour
les raisons que résume aujourd'hui Dupeyroux :
"La responsabilité suppose
en effet d'abord, l'intervention d'un tiers dans la réalisation du dommage.
Or un grand nombre de risques sont indépendants de toute intervention
d'autrui : maladie, vieillesse, etc. ; ensuite, une intervention susceptible
d'engager la responsabilité de son auteur conformément au droit positif
(responsabilité pour faute, responsabilité du gardien, etc.) ; enfin
la solvabilité du responsable".[54]
D'autres critiques sont allés
beaucoup plus loin entre temps :
"La responsabilité, notion
notoirement antidémocratique, est un vieux ressort des morales réactionnaires,
un de ces privilèges arrogants dont se flattent les chefs et nous avons
justement rétabli la République pour nous débarrasser une bonne fois
des chefs, de leurs sornettes mystiques et vertus barbares".[55]
Au total, les uns et les autres
ont contribué à éluder son avantage net qui lui avait donné droit de
cité pour mettre l'accent sur des insuffisances.
Et le législateur en est venu
à conclure qu'il était le seul remède. C'est ainsi que, par exemple,
il a modifié, en 1898, la responsabilité juridique
de l'employé dans l'accident du travail. Il a institué la "responsabilité
forfaitaire" de l'employeur. D'après Truchy, l'état des choses
était le suivant avant la loi de 1898 :
"Jusqu'aux vingt dernières
années du XIXè siècle, les questions de responsabilité soulevées à l'occasion
des accidents du travail étaient réglées conformément à la théorie de
la faute, qui est celle du droit commun.
[Théorie de la faute] L'employeur
n'était responsable envers le salarié victime d'un accident que de la
faute commise par lui-même ou par ses préposés, et c'était à la victime
de l'accident à faire en justice la preuve de cette faute : par exemple,
le mauvais état d'une machine ayant déterminé une explosion. En fait,
dans cet état du droit, la victime de l'accident ne pouvait que rarement
obtenir une indemnité, soit parce que la preuve d'une faute commise
par l'employeur, alors même que cette faute existe réellement, est difficile
à faire, soit parce que, dans la majorité des cas, l'accident est déterminé
par un concours de circonstances qui ne permettent d'imputer la faute
à personne en particulier. Le salarié exposé aux risques d'accident
dans son travail n'avait de garantie que dans l'assurance librement
contractée par lui, mais celle-ci n'était pratiquée que par une infime
minorité de salariés."[56]
Avec la loi de 1898, la théorie
de la faute est abandonnée et remplacée par la "nouvelle théorie
du risque professionnel" :
"La législation relative
aux accidents du travail est dominée par une théorie juridique admise
aujourd'hui dans la plupart des pays : la théorie du risque professionnel.[...]
[Théorie du risque professionnel]
- Le principe nouveau posé par la loi du 9 avril 1898 est celui du risque
professionnel ; il peut se formuler ainsi : l'accident est un risque
inhérent à l'exercice de l'activité économique ; il incombe à celui
qui organise et dirige cette activité, d'abord de prendre les mesures
de sécurité propres à diminuer l'intensité du risque, puis de supporter
les conséquences de l'accident si, malgré les précautions prises, le
risque s'est réalisé. La responsabilité patronale ne découle pas de
la notion de faute ; la victime de l'accident n'a donc pas à prouver
qu'une faute a été commise ; bien plus, l'employeur ne peut pas écarter
sa responsabilité en offrant de prouver qu'il n'a commis aucune faute
; il est responsable en tant que chef de l'exploitation, ayant les profits
et les charges. Le corollaire de la responsabilité attachée à la notion
du risque professionnel, c'est la tarification légale et forfaitaire
de l'indemnité"[57].
En 1905, le législateur substituera
à l'employeur l'assureur de celui-ci qui deviendra le débiteur direct
de la victime d'un accident du travail[58] .
3.2.2. "L'assureur
n'est pas un artiste"
Activité de marché, capitaliste
par excellence, l'assurance a fourni, au début du XXème siècle, un cas
d'école aux critiques : à les écouter ou les lire, elle alliait les
échecs du marché et les abus du capitalisme. En quoi consiste le produit
d'assurance à l'époque ? Il est admis qu'économiquement, l'assurance
est "un service d'utilité générale."[59]
Mais le produit est insuffisant car il s'agit d'un "service coûteux".
Parmi les éléments qui contribuent à ce qu'il soit jugé ainsi l'on a
invoqué sa faible extension :
"La collectivité tout
entière est intéressée à ce que le service des assurances prenne une
grande extension."[60]
Ou encore le fait que le recours
à l'assurance et, plus généralement, à la prévoyance (c'est-à-dire la
consommation du produit) soient difficiles à comprendre pour l'individu
:
"Il n'y a qu'un nombre
infime de travailleurs qui, soit par l'épargne individuelle, soit par
le mécanisme de l'assurance, parviennent, s'ils ne sont pas contraints
ou tout au moins aidés, à organiser leur propre garantie contre les
risques. L'insuffisance constatée de l'assurance libre a conduit à poser
le principe de l'obligation."[61]
De plus, le produit incite
à la perversité :
"Il n'y a pas de système
d'assurance qui ne soit une occasion, une tentation de dissimulation
et de fraudes".[62]
Pour sa part, au début du XXème
siècle, la technologie de l'assurance apparaît "simple" :
"L'exploitation de la
plupart des assurances (en particulier, des assurances sur la vie) est
relativement simple : elle consiste dans la perception des primes et
la répartition des indemnités"[63].
Mais elle comporte des risques
qui se répercutent sur le montant de la prime pure monétaire. Celui-ci
est parfois trop élevé pour que certains individus, voire tous, puissent
acheter le produit. Mais il n'est pas juste que les riches puissent
être protégés sous prétexte qu'ils peuvent acheter le produit, "qu'ils
peuvent en payer le prix" :
"La collectivité tout
entière est intéressée à ce que le service des assurances prenne une
grande extension : pour cela, il faut établir des tarifs modérés ; mettre
les assurés à l'abri des clauses sournoises et des déchéances imprévues
; faciliter aux classes populaires l'accès de l'assurance ; fournir
aux assurés la garantie que les indemnités seront payées en cas d'accident,
qu'ils n'auront pas à entamer contre les assureurs des procès longs
et coûteux."[64]
Autre insuffisance de la technique,
les sinistres sont mal remboursés. En matière d'assurance-vieillesse,
par exemple, l'actualisation-capitalisation est accusée de maints maux
qu'on peut réduire à un[65] : le travailleur
se fait berner par les aigrefins de la finance (par les "patrons"
dans le cas des retraites d'entreprise ou par les "assureurs en
cas de vie") ou par le marché financier (le capitalisme est inflationniste
et en inflation, l'actualisation-capitalisation ruine le créancier à
taux d'intérêt fixe, met en faillite les sociétés d'assurance-vie ou
de retraite).
La firme d'assurance, en général
privée avant la décennie 1940, est jugée insuffisante :
parce qu'elle choisit d'assurer les riches :
"Il est certain, en particulier,
que les compagnies d'assurance se soucient très peu de faciliter aux
classes populaires l'accès de l'assurance : elles recherchent avant
tout les polices donnant des bénéfices."[66]
parce qu'elle est de mauvaise foi :
"Leur [les assureurs]
esprit de chicane est aussi bien connu."[67]
— parce qu'elle est limitée
: L'assureur n'amène pas les individus à mettre le doigt sur tous les
dangers vitaux qu'ils courent ou à quoi ils sont exposés. Il y a des
risques de perte dont ils n'ont pas conscience, dont ils devraient avoir
conscience, dont seul a conscience le législateur et contre quoi "ils
doivent être protégés". Il faut "étendre la liste des risques
susceptibles d'être assurés."[68]
C'est ainsi qu'au début du
XXème siècle, il a été avancé que l'assurance démontrait des insuffisances
dans les domaines du risque d'accident du travail, du risque-maladie,
du risque invalidité, du risque-vieillesse ou du risque-chômage. Elle
n'amène pas les individus à identifier tous les dangers sociaux qu'ils
courent ou auxquels ils sont exposés. Enfin, loin de protéger contre
tous les risques sociaux, l'assurance accroît elle-même les risques
sociaux (on ne peut écarter la faillite de l'assureur). L'assureur n'est
pas toujours en prise directe sur les pertes incertaines auxquelles
s'attendent les individus ou la société. Des pertes lui échappent car
"elles ne sont pas 'assurables'" (ignorance ou impossibilité
technologique), ou elles le sont mais à des conditions insuffisantes
ou insupportables, non sociales, pour les individus. Au total les personnes
supportent des coûts du fait de l'assurance : tous les risques de perte
ne sont pas assurables, le produit est insuffisant ; tous les individus
ne sont pas assurés, l'offre est insuffisante par rapport à la demande.
Bien plus, l'on avance que les coûts sont croissants et rien ne laisse
présager leur infléchissement. En d'autres termes, au lieu de permettre
de faire face au "risque social", l'assurance tend à le pérenniser
ou à l'accroître.
Enfin, l'organisation-même
de l'assurance a des insuffisances. L'une est que l'exploitation tend
au monopole :
"En fait, l'exploitation
des assurances tend au monopole. Il n'existe, dans les différents pays,
qu'un petit nombre de grandes sociétés d'assurances, lesquelles forment
entre elles des syndicats destinés à imposer leurs conditions aux assurés."[69]
L'autre, que les assureurs forment des ententes oppressives
:
"Ces ententes sont tellement
oppressives que parfois l'opinion publique a exigé l'intervention du
législateur pour contrecarrer ces ententes. Ainsi, en France, au lendemain
de l'organisation par la loi du 9 avril 1898 sur l'assurance obligatoire
contre les accidents du travail, le Parlement a dû étendre les opérations
de la Caisse nationale d'assurances en cas d'accidents (loi du 24 mai
1899 et décrets du 8 décembre 1904 et du 22 novembre 1906) ; grâce à
la concurrence de la Caisse publique d'assurance, on a pu déjouer les
manœuvres des compagnies d'assurance et les empêcher d'élever abusivement
le taux des primes."[70]
3.2.3. Exemples de remède
Selon Jèze, un problème général
se pose dans la décennie 1930 : "Comment organiser les assurances
?". Et Jèze de décomposer le problème en plusieurs questions, parfois
emmêlées, auxquelles il donne, de temps à autre, une réponse (cf. Annexe
1).
Mais, parallèlement aux remèdes
théoriques de Jèze, des remèdes ont été ou sont apportés par le législateur
aux insuffisances de l'assurance : ce sont la réglementation de l'assurance
et les lois sur les "assurances sociales" qui tantôt contraignent
davantage l'individu, tantôt contraignent davantage l'assureur (cf.,
Annexe 2).
C'est ainsi que, constituées
sans plan préconçu, vont coexister dans la décennie 1940 trois législations
différentes : celle des accidents du travail, celle des assurances sociales
(maladie, invalidité et vieillesse) et celle des allocations familiales.
Tout se passe alors comme si les hommes de l'État avaient décidé que
la mise en regard des pertes incertaines attendues individuelles et
du sinistre attendu mutuel se ferait autrement, non plus à partir de
la technique de l'assurance, mais à partir de leurs propres lois, c'est-à-dire
à partir des ordonnances, lois et règlements qu'ils édicteraient. Bien
plus, cela s'est produit dans le moins mauvais des cas. Car souvent
le législateur n'a pas hésité à aller encore plus loin et à laisser
de côté les pertes incertaines attendues individuelles elles-mêmes,
leur définition ou leur mesure. La négligence de ces matières premières
a parachevé la destruction de l'assurance nécessaire à la construction
de la sécurité sociale.
S'agissant de l'assurance-vieillesse,
par exemple, étant donné l'échec prétendu du marché, le remède a été
de faire disparaître celui-ci : ce n'est rien d'autre que la "répartition".
Véritable "non marché" "non capitaliste", elle protégera
le travailleur contre lui-même, en se mettant à sa place ; elle protégera
le travailleur et sa famille contre le marché et ses échecs ; elle leur
permettra de faire abstraction de l'avenir ; elle les fera bénéficier
de l'inflation au lieu d'en souffrir. De plus, étant donné le plan où
elle est insérée — le "plan de sécurité sociale" — et qui
va permettre le développement de la natalité et le maintien du plein-emploi,
de la croissance et de la paix, elle va pouvoir servir : dès à présent
(1946), des pensions de retraite pour certains (régime général et régimes
spéciaux) ; demain, des pensions pour tous (il sera même possible d'augmenter
le pouvoir d'achat des pensions et d'abaisser l'âge légal de la retraite).
On connaît ce qu'il est advenu.
3.3. Et la supercherie à
la rescousse
Comme si l'oubli ou la dénaturation
des principes de l'assurance et de la responsabilité ne suffisaient
pas à convaincre à eux seuls, les hommes de l'État ont eu recours à
la supercherie. Ils les ont dépeints avec des mots ambigus et à partir
de pseudo-notions.
3.3.1. Le " risque
"
Aujourd'hui, il est devenu
traditionnel de parler, d'un air entendu, "du" risque. Mais
le risque n'existe pas d'emblée. La première supercherie commence avec
l'oubli de ce fait. Qu'est-ce que le risque ? Personne n'est omniscient,
l'homme est incertain sur le milieu où il vit et vivra, où il agit et
agira, et sur les relations qu'il entretient et entretiendra avec ses
proches, ses semblables, autrui. Il ne peut que s'attendre à des résultats
incertains, à des gains, à des pertes ou des responsabilités incertains.
Par application de la méthode du poète (A. de Lamartine en l'espèce),
à savoir de la réponse affirmative à la question suivante :
"Objets inanimés, avez-vous
donc une âme qui s'attache à notre âme et
la force d'aimer ?"
il peut objectiver la perte (ou la responsabilité)
incertaine attendue dans l'avenir de sorte qu'elle devient, à ses yeux,
"risque de perte (ou de responsabilité)", "objet économique"
de type "mal" composante de son patrimoine. L'état de droit
le fait "riche de risques de perte".
Pour ces raisons (mais il y
en a d'autres qui vont être vues ci-dessous), le risque de perte, en
tant que perte incertaine attendue qui s'est réalisée conformément ou
non à ce qui été envisagé, n'est pas à mettre sur le même plan méthodologique
que la perte inattendue qui s'est réalisée. Sa réalité ex
ante explique en partie les décisions prises pour l'avenir. Au contraire,
la perte inattendue échappe à la décision. Elle démontre seulement rétrospectivement
l'ignorance des individus (assureur ou non). Il en résulte que l'assurance
n'est pas mise en œuvre. Elle permet aussi d'affirmer que la situation
ne saurait être imputée à une quelconque irresponsabilité de l'individu
comme c'est si couramment le cas.
Il n'en reste pas moins qu'une
fois la perte inattendue survenue et observable, ses causes sont parfois
recherchées et invoquées, dans le cadre du droit, par les tribunaux.
Bien qu'elles puissent être multiples, elles s'inscrivent dans deux
catégories principales. Il y a les causes objectives liées à l'ignorance
de l'homme ex ante, ou à son irresponsabilité reconnue
(incapacité juridique ou physique). Il y a aussi les causes subjectives
liées à sa responsabilité, mais dont, de temps à autre, sont exclues
l'intention, la faute ou la négligence.
Les causes de la perte inattendue
observable, recherchées et données ex post, sont à distinguer des causes du risque de perte. Parmi ces dernières, il y a des causes attendues
et des causes inattendues.
Il est traditionnel de dénommer
"accident" certaine cause mise à jour ex post, que la perte ait été attendue ou non. L'accident est présenté
comme la "cause objective" une fois qu'a été dégagée la responsabilité
de tout individu. De plus, un accident s'étant produit, il est supposé
parfois qu'il devra se produire de nouveau ; apparaît ainsi l'"accident
incertain attendu" ou, par application de la règle du poète, le
"risque ... d'accident". Et ce cas amène certains à identifier
le risque de perte et le risque d'accident. Si on refuse le principe
que les mêmes causes provoquent les mêmes effets, l'identification est
sans intérêt car rien ne permet d'affirmer que, si l'accident attendu
se réalise, la perte en conséquence aura un montant, évalué en monnaie,
identique. Seulement, c'est ce montant qui compte en définitive dans
l'assurance, pour l'assuré comme pour l'assureur. Pour autant que l'accent
soit mis sur l'accident attendu, il fait perdre de vue la perte incertaine
attendue ; l'identification est une véritable supercherie qui contribue
à la dénaturation de l'art de l'assureur.
Comme la perte, l'accident
a parfois des causes recherchées ex
post. Plus encore dans ce cas que dans le précédent, la question
se pose de savoir si la recherche en vaut la peine quand l'assurance
est disponible. Quelles que soient les causes obtenues et celle retenue,
des moyens de réparation de la perte seront mis en œuvre, mais ils ne
seront pas des remèdes à la perte. Ce qui a été perdu est perdu. Ce
qui a été perdu par un individu pourra être recouvré sous une forme
ou une autre par celui-ci, mais sera alors perdu par un ou plusieurs
autres. Pour ces derniers, le coût de la recherche s'ajoutera à la réparation
de la perte pour grever le "coût de l'accident".
3.3.2. Le "coût d'un
accident"
Une autre raison pour laquelle
la notion d'"accident" est à manier avec grande précaution
est qu'une fois que la perte incertaine attendue n'est plus au centre
des préoccupations, il n'y a plus qu'un pas à faire pour confondre le
montant en monnaie de la perte incertaine attendue qui s'est réalisée
et le "coût de l'accident", et qu'un second pour mettre l'accent
sur ce dernier. Et les pas sont en général franchis, à tort. Mais, l'accident,
par définition, n'est pas une activité de l'homme, ni a
fortiori de la société. Il n'est ni un objectif, ni un produit.
Il ne saurait avoir un coût sauf à dénaturer le vocabulaire employé
ou à se placer d'un point de vue implicite sans le dire...
Qui parle du "coût d'un
accident" ? Certes, il y a l'assureur qui considère que les primes
pures monétaires versées par les assurés ne doivent pas être "dépensées"
; ou que les indemnités qu'il s'est engagé à fournir ne devraient pas
l'être. Mais que penserait-on d'un chimiste, qui a choisi l'activité
de produire cet objet de la nature qu'on appelle l'eau (H2O),
qui déciderait de réduire la quantité d'hydrogène (H) ou celle d'oxygène
(02) pour l'obtenir ? Qui viendrait à déclarer qu'il a raison
d'agir ainsi parce qu'en définitive "l'eau est trop chère",
que la "nature est trop chère", que "la nature a un coût
trop élevé" ? Qui le prendrait au sérieux ? Personne. Certes, la
transmutation du plomb en or est un thème fort de l'alchimie ; mais
l'alchimie n'est pas la chimie. Si, par conséquent, on laisse de côté
l'"aléconomie" pour s'intéresser à l'économie, force est de
reconnaître que l'assurance est à l'eau ce que les risques de perte
individuels réunis par l'assureur sont à l'oxygène et le sinistre certain
mutuel attendu qu'il met en regard est à l'hydrogène. Pour l'assureur
digne de ce nom, l'accident n'a donc pas de coût ; certaines indemnisations
ne sauraient pas ne pas être versées ; toutes les primes pures monétaires
doivent être dépensées sans réticence, ni jugement de valeur. Les seuls
coûts qu'il supporte tiennent dans la rémunération des facteurs de production
qu'il utilise pour rendre disponible le contrat d'assurance. A ces divers
coûts s'ajoutent les coûts des erreurs[71]
que l'assureur commet dans son activité : erreurs sur l'évaluation en
monnaie des risques de perte individuels, sur l'évaluation en monnaie
du risque de sinistre mutuel, sur la mise en regard (sur l'égalisation)
des uns et des autres[72].
L'accident a en revanche un
"coût" pour l'individu, propriétaire ou responsable du bien
donné, ou plus généralement responsable. Il a un "coût" ex post s'il n'a pas été attendu : c'est la perte observable. Il a
un "coût" ex post
s'il a été attendu : c'est encore la perte observable. Mais, dans ce
dernier cas, pour l'individu concerné qui a souscrit une assurance,
il est largement inférieur à ce qu'il aurait été s'il n'avait pas été
attendu et assuré. Le cas échéant, le "coût" fait référence
à la méthode d'indemnisation qu'emploie l'assureur et qui ne plaît pas
à l'assuré sinistré car il s'attendait à une autre. Il n'en reste pas
moins là encore que, pour l'assuré, l'accident en tant que tel est sans
importance ; lui importent seulement la perte incertaine attendue et
le prix en monnaie négatif auquel il peut la vendre, avec option, à
l'assureur.
Le "coût d'un accident"
est, en fait, une notion essentiellement invoquée par les tiers au contrat
d'assurance et, principalement parmi eux, les hommes de l'État. Ignorants
mais s'estimant omniscients et omnipotents, ils se fondent ex post sur cette notion, une fois tout
connu. Il faut admettre à leur décharge qu'une autre attitude leur est
impossible : ils ne sauraient en particulier avoir connaissance des
données qui ont présidé au contrat d'assurance et a
fortiori s'immiscer dans la conclusion de celui-ci. Seulement, en
utilisant l'expression "coût d'un accident", ils contribuent
à dénaturer l'assurance et le progrès que ses caractéristiques constituent
pour le bonheur de l'homme. L'emploi de la notion leur permet aussi
d'accroître leur domaine d'action sur les individus. Ils leur déclarent
qu'ils peuvent faire diminuer le coût par telle ou telle réglementation,
puis peuvent l'édicter. Au départ, la notion peut laisser indifférents
assurés et assureurs dignes de ce nom, mais elle réjouit ses prosélytes
qui s'attendent à la baisse des "coûts de l'accident" qu'on
leur fait miroiter, suite à l'instauration de la réglementation. Mais
quand les indifférents réagissent car la baisse des "coûts des
accidents" prend toujours la forme, immédiate pour eux, de pertes
bien réelles de propriété, de liberté ou de responsabilité du fait des
nouvelles règles, dont le coût est sans commune mesure avec le "coût
de l'accident", il est trop tard : le législateur ne revient pas
en arrière, les hommes de l'État ont réussi dans leur manœuvre et accru
leur domaine d'action.
3.3.3. Les " mauvais
risques "
Alors que le risque d'accident ne saurait faire l'objet
d'échange, le risque de perte,
en tant qu'objet de type "mal" en propriété ou en responsabilité,
est rendu échangeable par l'assurance. Pour autant qu'il existe, le
"mauvais risque"[73]apparaît comme un obstacle sur le chemin de
son assurance. Pour autant qu'il n'existe pas, il apparaît comme une
pièce montée par les détracteurs de l'assurance contre celle-ci. La
notion mérite discussion. Parce qu'elle n'informe pas sur le risque
en question et ne dit pas si c'est un risque
de perte ou un risque d'accident, il faut être en alerte.
Parce qu'elle l'affuble du qualificatif "mauvais", on ne peut
qu'avoir le sentiment qu'elle est destinée à impressionner.
En vérité, le risque en question
s'articule à l'accident. Il est qualifié de "bon" par l'observateur
dès lors que celui-ci connaît l'accident (et la perte qu'il provoque)
ou suppose que l'assuré n'a pas d'action sur sa survenance. Il est qualifié
de "mauvais" dans le cas où la perte résultant de l'accident
n'est pas connue ou bien quand l'assuré est déclaré avoir une action
sur sa survenance. A fortiori,
l'accident que peut délibérément provoquer un assuré, sans que cela
se sache, est un risque "mauvais". Ainsi, "bon"
ou "mauvais", le risque en question est toujours un risque
d'accident, non un risque
de perte. Cela étant, le "mauvais risque" ne saurait concerner
l'assurance. On regrettera que certains assureurs y soient sensibles
car il met en danger leur activité. A défaut de provoquer la disparition
immédiate de l'échange du risque sous conditions, la notion peut justifier,
dans un premier temps, aux yeux de certains observateurs, que le prix
d'échange ne soit pas contractuel, mais administré par les hommes de
l'État ou que l'échange lui-même soit mis sous tutelle ou contrôle de
ceux-ci.
Quitte à vouloir absolument
établir des distinctions entre les pertes incertaines attendues par
l'individu, autant se fonder sur le critère de la vérité et séparer
sans réserve la notion de perte incertaine attendue en "vraie perte"
et "fausse perte". Par "vrai risque de perte", il
faut entendre la matière première de l'assurance évoquée ci-dessus.
A cette vérité s'oppose, sinon le mensonge, du moins la fausseté. Il
faut entendre par "faux risques de perte", un certain nombre
de vols-dons légaux, résultat de la "redistribution" commise
par les hommes de l'État. Les individus qui les possèdent ne peuvent
les vendre à des conditions contractuelles. Exemple de faux risque :
le risque social. C'est un "risque" sans définition précise[74],
latent dans l'assurance sociale, monté en épingle à partir de 1945,
contre quoi la sécurité sociale va couvrir, et l'individu est obligé
de se couvrir.
3.3.4. Le "risque moral"
Une notion comparable, d'un
point de vue méthodologique, au "mauvais risque" est le "risque
moral". Son emploi s'avère tout autant pernicieux pour l'assurance
et enrichit la supercherie. Un assureur se considère courir un "risque
moral" ou y être exposé pour autant qu'il s'attend à ce que tel
ou tel assuré de la mutualité qu'il a constituée se comporte autrement
après avoir conclu le contrat d'assurance et à ce que ce changement
de comportement lui fasse supporter une perte. Le "risque moral"
est synonyme de perte incertaine attendue par l'assureur et que celui-ci
objective. L'assureur peut juger ce risque comme un risque naturel inhérent
à son activité. Il peut aussi considérer qu'il est une anomalie. Logique
avec lui-même, il doit voir, en ce cas, dans tous les assurés ou certains
d'entre eux, des irresponsables ou des délinquants en puissance. La
question se pose alors de savoir pourquoi il a contracté avec ceux-ci.
Une réponse est : par ignorance. Dans ce cas, le risque moral fait apparaître
sa nature de sous-produit de l'"accident attendu". Ex
post, un changement de comportement des assurés est invoqué comme
cause de la perte réalisée, c'est-à-dire comme accident ! Il s'est produit.
Attendu désormais dans l'avenir, il devient "risque moral"
: un nom est ainsi donné à un type d'accident incertain attendu.
Une autre réponse est: par
obligation légale. Dans ce cas, l'assureur renvoie dos à dos le législateur
qui oblige et l'assuré en contrat. Tout se passe comme s'il cherchait
à justifier l'erreur d'avoir contracté et à dégager sa responsabilité.
Pour l'avenir, l'irresponsabilité à laquelle il prétend prend la forme,
dans un premier temps, d'évaluations de la perte incertaine attendue,
biaisées au détriment de l'assuré. Elle a trois déguisements principaux
habituels.
Le premier amène à déclarer
que le "risque moral" "charge" la technique d'assurance.
Dans un contexte sans risque moral, l'assureur mène l'activité d'assurance
à des pertes incertaines attendues près (qu'on peut appeler "risque
d'entreprise"). Dans un contexte sans risque moral et sans concurrence,
l'assureur a toute latitude pour augmenter les primes et réduire les
indemnisations. Dans un contexte sans risque moral et avec concurrence,
pour faire face au risque d'entreprise, l'assureur a diverses stratégies
possibles spécifiques à l'activité qu'il mène. Parmi elles, les plus
connues sont la réassurance, la co-assurance, la co-réassurance. Dans
un contexte avec risque moral les attentes de perte que se forme l'assureur
augmentent, ou bien celui-ci juge certaine la perte et ne s'engage pas
dans l'activité. Dans un contexte avec risque moral et sans concurrence,
l'assureur a la stratégie possible qui consiste à faire face au risque
en "chargeant la technique d'assurance", par augmentation
des primes (surprimes), par réduction des couvertures. Mais dans un
contexte avec risque moral et avec concurrence, le marché empêche l'assureur
de recourir à cette dernière stratégie.
Deuxième déguisement : le "risque
moral" élève le prix de l'assurance au-dessus de ce qu'il devrait
être. Dans un contexte sans concurrence et sans risque moral, l'assureur
a toute latitude pour modifier les services qu'il rend disponibles et
leur prix. Dans un contexte avec risque moral, l'assureur a la stratégie
qui consiste à faire face au risque en modifiant les (services que comportent
les) contrats et leur prix. Étant donné son erreur toujours possible,
l'assureur a tendance à proposer aux assurés un prix minimum du contrat
d'assurance supérieur à celui qu'il leur offrirait s'il était certain
qu'il n'y a pas de risque moral.
Le troisième déguisement est
que le "risque moral" exclut de l'assurance certains individus,
voire tous. Étant donné le deuxième déguisement, le risque moral rend
le prix du contrat d'assurance trop élevé pour certains individus (il
les rend non solvables, c'est le cas des "pauvres"), voire
infini pour tous (cas des individus-consommateurs qui recherchent une
couverture complète et ne la trouvent pas car ils ne peuvent vendre
à l'assureur le "mal", qu'est leur risque de perte, à un prix
infini). Autrement dit, les assureurs ne veulent pas proposer à certains
individus le contrat d'assurance pour cause de "risque moral".
Le cas échéant, ils renoncent purement et simplement à le rendre disponible
pour qui que ce soit.
On peut opposer à ces assertions
sur le "risque moral" divers contre-feux. Le contre-feu essentiel
se résume à dire que, pour l'assureur, le "risque moral" est
d'abord une perte incertaine attendue de l'achat de la matière première
"perte incertaine attendue individuelle", une espèce de "risque
fournisseur" :
"The moral hazard problem is no different than the problem posed by
any cost. Some iron ore is left unearthed because it is too costly to
bring to the surface."[75]
Plus généralement, il n'est
qu'une facette particulière du "risque d'entreprise" auquel
il s'expose en ayant choisi de mener l'activité d'assurance et rien
d'autre. Grâce à la concurrence et à la réduction de l'ignorance que
le processus de marché permet dans un contexte de liberté, l'assureur
réduit cette facette comme les autres. Tout pousse à penser que, dans
un tel contexte, la notion de "risque moral" ne saurait être
agitée.
Il est à remarquer, que le
"risque moral" est une notion qui, dans le sens précédent,
ne concerne pas l'assuré qui a signé un contrat d'assurance. Sauf à
ce qu'il s'attende, de son côté, à ce que son assureur soit un "requin".
Dans ce cas, le "risque moral" le concerne et désigne son
attente que l'assureur n'honore pas ses engagements. Mais dans ce cas,
même réflexion que précédemment: pourquoi contracte-t-il une assurance
? Parce qu'il ne sait pas ? Parce qu'il est obligé par le législateur
? Ce dernier cas semble être l'unique réponse raisonnable[76].
Pour autant qu'on laisse de
côté ce dernier cas[77], il ne faut pas
être dupe de la démarche qui consiste à présenter le contrat d'assurance
comme une obligation comparable à l'obligation légale qui pèserait sur
l'assuré. C'est une supercherie de plus qui consiste à dénaturer le
contrat d'assurance. Il est en fait critiqué parce qu'il est d'abord
un contrat. L'attaque n'est pas nouvelle. Au XVIIIè siècle déjà, le
contrat était roulé dans la poussière ... par les "économistes"
:
"Vers le milieu du siècle,
on voit paraître un certain nombre d'écrivains qui traitent spécialement
des questions d'administration publique, et auxquels plusieurs principes
semblables ont fait donner le nom commun d'économistes ou de physiocrates.
Les économistes ont eu moins d'éclat dans l'histoire que les philosophes.
[...] Ils n'ont pas seulement la haine de certains privilèges, la diversité
même leur est odieuse : ils adoreraient l'égalité jusque dans la servitude.
Ce qui les gêne dans leurs desseins n'est bon qu'à briser. Les contrats
leur inspirent peu de respect ; les droits privés, nuls égards; ou plutôt,
il n'y a déjà plus à leurs yeux, à bien parler, de droits privés, mais
seulement une utilité publique"[78] .
Principale raison avancée :
une partie contractante domine toujours l'autre. Appliquée au contrat
d'assurance, l'attaque consiste à dire que l'assureur impose ses volontés
à l'assuré.
Mais il faut être juste, laisseront
entendre parfois les hommes de l'État — partageant ainsi le point de
vue de certains assureurs —, beaucoup d'assurés sont des irresponsables
ou des délinquants en puissance ; il y a "risque moral", les
assureurs n'ont pas tous les torts :
"Il n'y a pas de système
d'assurance qui ne soit une occasion, une tentation de dissimulation
et de fraudes".[79]
Que faire, dans ces conditions,
d'une part, face au contrat d'assurance supposé par certains, assurés
ou tiers, nécessairement léonin, et d'autre part, face au risque moral
que disent courir des assureurs ? La situation est intenable. Qu'intervienne
l'État, sera-t-il préconisé ! Et ce seront la réglementation de l'assurance,
les lois sur les assurances sociales et celles sur la "sécurité
sociale".
3.3.5. Les " effets
externes "
A l'occasion, le législateur
ou les hommes de l'État se veulent pédagogues, convaincants et, comme
ils disent ou le croient, fournissent des explications de leurs décisions.
On s'attendrait à ce que leurs principes soient ceux du Droit (de la
propriété, de la liberté, de la responsabilité), mais il n'en est rien.
Ils emploient toutes sortes de notions et, en particulier, celle d'"effet
externe" ou d'"externalité'' ! Par exemple :
"L'action en responsabilité
'internalise' [...] l'externalité qu'impose l'employeur aux travailleurs".[80]
Et la notion est combinée avec
les notions de "risque", de "mauvais risque", de
"risque social", de "risque moral" ou de "coût
d'un accident", l'ensemble formant une magnifique pièce montée
(puisque, rappelons-le, l'élément essentiel, la perte incertaine attendue
par l'individu et envisagée contractuellement par l'assureur et l'assuré,
est perdue de vue). C'est ainsi qu'à côté de ces notions qui amènent
certains assureurs à franchir les premières marches vers la sortie du
domaine de l'assurance et ... de la connaissance, les "effets externes"
leur font atteindre allègrement les dernières et la sortie vers ...
l'absurde.
Revenons à ce propos sur le
cas des accidents du travail, et plaçons-nous dans la perspective des
"hommes de l'État". Leur point de départ n'est pas qu'il y
a un employeur A, un employé B, un contrat de travail accordant les
volontés de A et B. Il est qu'il y a un employeur A qui impose sa volonté
à B dans le but de lui faire courir des "risques d'accident du
travail". Les accidents sont attendus par A et celui-ci les cache
à B pour la bonne raison que c'est B qui en fera les frais. Ces risques
ne figurent pas bien évidemment au contrat, ils lui sont "extérieurs",
ce sont des effets externes du contrat de travail[81].
Ils ont et auront un coût pour l'employé.
Étant donnée la pièce montée,
il faut un remède ajusté. Ce qui signifie en vérité qu'il faut un remède
qui ne le sera pas au regard des principes de l'assurance : l'action
en responsabilité de l'employeur est un excellent remède pour le législateur
de la décennie 1890. L'employeur sera désormais tenu pour responsable
de l'accident que pourrait connaître tout employé dans son travail[82].
Ainsi l'employé est rendu, de
jure, irresponsable bien qu'il agisse et l'employeur, de jure, responsable bien qu'il n'agisse pas. Quel assureur sera assez
fou, à la fin de XIXème siècle, pour proposer un contrat à l'employeur
A, confronté à la "nouvelle responsabilité" ? On n'est pas
encore à l'époque que nous connaissons aujourd'hui où des satellites
de télécommunication peuvent être envoyés dans l'espace parce qu'ils
font l'objet d'une assurance spatiale. L'État alors ? Mais les électeurs
sont-ils prêts à voter pour la création d'une assurance d'Etat dans
ce domaine ? A coup sûr, pas encore. On veut alors croire que la nouvelle
règle obligera les employeurs à faire "de la prévention",
à effectuer de nouvelles dépenses dans ce sens.
3.3.6. "Les" techniques
d'assurance
Nous avons rappelé que tout
l'art de l'assureur vise à ce que les recettes actualisées en monnaie
qu'il tire de l'achat des pertes incertaines attendues individuelles,
égalisent les dépenses actualisées en monnaie auxquelles l'indemnisation
de la "perte certaine attendue mutuelle" l'expose. Les pertes
incertaines attendues individuelles ont une dimension temporelle dont
conviennent par contrat assurés et assureur et que celui-ci maîtrise
par la technique de l'actualisation (ou de la capitalisation si l'on
préfère ce mot). Cette dernière caractéristique amène certains à parler
de la "technique par capitalisation" comme si d'autres techniques
d'assurance avaient été découvertes. Il en est ainsi en particulier
pour l'assurance vieillesse où ils opposent "technique par capitalisation"
et "technique par répartition". Dans le meilleur des cas,
ils qualifient de "technique par répartition" la technique
qui fait abstraction de la durée, comme si, pour eux, l'important était
la négation de l'avenir :
"L'avenir est une idée
bien fâcheuse, tant par les espoirs fallacieux qu'elle soulève que par
les pratiques contraignantes qu'elle autorise"[83] .
Dans le pire, ils utilisent
l'expression pour dépeindre la "capitalisation" comme un épouvantail
et au total disqualifier la technique d'assurance.
Cependant, il n'y a pas des techniques d'assurance, il n'y en a
qu'une seule. Si certains
aiment la décorer du mot de "capitalisation", libre à eux.
Il n'en reste pas moins que l'assurance est une technique qui vise à
gérer l'avenir de pertes attendues par les individus. Elle est une technique
contractuelle évolutive car incertaine, d'où le législateur devrait
être absent pour ne pas bloquer l'évolution, sauf à ce que le contrat
ne soit pas respecté[84].
Est appelé, en revanche, "technique
par répartition" un ensemble de règles plus arbitraires et aveugles
les unes que les autres. La première consiste à obliger, à chaque instant,
des individus à verser des primes pures monétaires (dénommées "cotisations")
indépendamment des pertes incertaines auxquelles ils pourraient s'attendre,
elles sont calculées sur la base d'un critère arbitraire (par exemple,
le revenu instantané) :
"Les problèmes qui se
rattachent à l'incertitude du facteur humain obligent l'utopiste [...]
à essayer de contrôler l'élément personnel par des moyens institutionnels"[85]en contrepartie de quoi, il leur est versé des "droits"[86]. La "répartition"
nie ainsi à la fois le temps,[87]
l'incertitude, ou l'ignorance :
"On peut [...] considérer
que le totalitarisme résulte d'une volonté de maîtrise tellement totale
du temps que celui-ci en vient à être nié."[88]
Dans le cadre de la sécurité
sociale-vieillesse, elle est ainsi une action du législateur qui depuis
1945 consiste à obliger des individus à vivre au jour le jour dans ce
domaine de décision (à se moquer de l'avenir, à ne pas s'en soucier),
c'est-à-dire à violer la liberté de choix des citoyens, à fixer arbitrairement
un âge légal de retraite (soixante-cinq ans jusqu'en mars 1983, à partir
de soixante ans depuis lors, avec moult exceptions), à ce qu'ils soient
affiliés et immatriculés à un monopole réglementaire et assujettis aux
cotisations. La deuxième règle consiste à verser, au même instant, un
même montant de retraite, ou presque, à chaque individu d'une autre
population, indépendamment des primes pures monétaires qu'il a pu verser
antérieurement et qui n'en verse plus car il a atteint l'âge de la retraite;
autrement dit, les individus de cette population qui avaient accumulé
des "droits", voient leurs "droits monétisés". La
troisième règle consiste à égaliser, au même instant, le montant des
cotisations au montant des retraites à verser.
Beaucoup affirment qu'il y
a un choix possible entre "technique par capitalisation" et
"technique par répartition". Il n'en est rien. Comme, en "répartition",
ni les dépenses en monnaie ne limitent les recettes en monnaie, ni les
recettes ne limitent les dépenses, toutes les égalisations sont imaginées,
appliquées, et aucune ne saurait être assimilée à une technique. De
plus, parce que l'obligation légale est nécessaire à la "technique
par répartition" et ne l'est pas à la "technique par capitalisation",
la répartition est abusivement identifiée à une technique, sauf à voir
dans l'obligation légale une technique. En définitive, ce qui est dénommé
"technique par répartition" et opposé àla technique par capitalisation
n'est jamais qu'une supercherie de plus. La "répartition"
n'est qu'une expression rénovée pour désigner la spoliation légale ou
la redistribution forcée.
4. Conclusion: comment retrouver
le "bon sens" ?
Bien que la science économique
la plus courante n'ait plus pour fondement le droit, et qu'elle ait
été utilisée pour construire des droits nouveaux, il faut reconnaître
que l"'insécurité sociale" qui a été dénoncée, à tort ou à
raison, jusqu'à la décennie 1940 et qui a été considérée, en particulier,
comme l'échec de l'assurance, activité de marché, capitaliste par excellence,
n'a pas disparu avec l'instauration en 1945 de la forme "supérieure"
de l'"assurance sociale". Aujourd'hui où cette insécurité
est omniprésente, il faut admettre par souci de cohérence qu'elle est
en grande partie le résultat du système, l'échec du "non marché"[89],
ou l'abus de pouvoir du "non-capitalisme", étant donnée l'extension
qu'elle a acquise sous le nom de protection sociale. Mais il est exclu
de faire une comparaison entre la situation de 1945 ou d'auparavant
et celle d'aujourd'hui, et d'en tirer des enseignements, car ainsi que
l'a exprimé Hayek :
"En jugeant les adaptations
à des situations changées, les comparaisons entre la position nouvelle
et la position ancienne sont sans valeur"[90].
On remarquera seulement que,
dans l'intervalle, l'assurance qui a été laissée libre par les hommes
de l'État, a évolué, comme on pouvait s'y attendre sans entrer dans
le détail. Qui aurait songé à l'époque, par exemple, à l"'assurance
spatiale" ? Pour sa part, la sécurité sociale n'a pas évolué d'un
pouce, comme on pouvait aussi s'y attendre. Faut-il s'en féliciter ?
Il n'en reste pas moins que
la situation actuelle était prévisible hier dans ses grandes lignes
et a été prévue par certains, à savoir tous ceux qui se sont opposés
ou ont critiqué l'édification de la sécurité sociale. Sa détérioration
dans l'avenir étant de la même façon prévisible, il faudrait en sortir.
Pour en sortir, il suffit de
retrouver le "bon sens". Cela suppose d'abord de retrouver
le sens des mots. L'"assurance sociale" n'existe pas, elle
n'est qu'un mirage, sauf à identifier les qualificatifs "sociale"
et "mutuelle". Dans ce cas, loin d'être un mirage, l'expression
est un pléonasme qui désigne plus qu'une réalité économique passagère
; elle conceptualise un progrès majeur de la connaissance de l'homme
puisque, grâce à elle, il peut combiner la durée à venir (balisée par
la finance depuis longtemps) et les résultats incertains attendus de
son action dans un état de droit.
Il convient ensuite de retrouver
le sens de la connaissance, à savoir une connaissance orientée du droit
vers l'économie et mâtinée de considérations mathématiques, le cas échéant.
La science économique ne saurait construire des droits nouveaux. Au
vu des résultats qu'ils obtiennent, les économistes officiels devraient
se convaincre qu'ils font fausse route avec la démarche, orientée dans
le sens opposé, qu'ils suivent depuis maintenant près d'un siècle. Prétendre
débusquer les insuffisances de l'art de l'assureur à partir de modèles
fondés sur la certitude ou presque, puis se proposer d'y mettre un terme
en instaurant obligations légales nouvelles et droits nouveaux est vain,
sinon absurde. Cela est surtout coûteux pour les plus pauvres dont ils
déclarent défendre les intérêts car elle nuit au progrès de la connaissance
que permettrait dans le domaine la concurrence.
La connaissance économique
ne peut progresser qu'à partir de la connaissance juridique pour la
raison complémentaire, exprimée par Jacques Rueff, ancien juge à la
Cour de Justice des Communautés Européennes, selon laquelle :
"Ce qu'une Cour enseigne
surtout à un économiste [...], c'est le caractère contingent des phénomènes
économiques en fonction du cadre juridique dans lequel ils se trouvent
placés [...] C'est le cadre institutionnel dans lequel les acteurs de
la vie économique sont placés, qui fixe la forme [...] de tous les phénomènes
économiques qu'étudie l'économie politique".[91]
Mais cela ne signifie pas que
la connaissance économique ne puisse aider à la connaissance juridique,
elle n'est pas serve. Elle lui a déjà rendu de fiers services en lui
montrant les richesses insoupçonnées de certaines de ses notions comme
le tripôle "liberté, responsabilité et propriété" ou le contrat.
Un autre service non négligeable qu'elle peut lui rendre est d'attirer
son attention sur des "pailles" qu'elle comporte comme, par
exemple, l'impasse sur la distinction ex
ante-ex post en matière de responsabilité, ou l'utilisation des
pseudo-notions de "coût d'un accident", de "mauvais risque",
de "risque social", de "risque moral", d'"effet
externe" ou de "techniques d'assurance" .
Bref, en cheminant ensemble,
les connaissances juridique et économique ne pourront que réduire à
néant la méthode d'anti-connaissance, qu'est la recherche des prétendues
insuffisances de la responsabilité de l'individu ou de l'art de l'assureur,
dont le support est en définitive le jeu avec les mots et l'effet principal
a été de faire passer, en définitive, l'a-sécurité sociale pour quelque
chose de mieux que l'assurance. La sécurité sociale véritable, fondée
sur la responsabilité de l'individu et l'art de l'assureur, ne saurait
être confondue avec le système actuel.
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- Question 1: "1° Faut-il en faire un service
public ? Ou bien convient-il de laisser l'industrie des assurances à
l'initiative privée ?"
Pas de réponse nette isolable.
- Question 2: "2° Si les assurances sont organisées
en service public, convient-il de monopoliser ce service public, comme
l'est, par exemple, le service des postes, télégraphes, etc. ? "
Réponse
:
"Le monopole
des assurances donne l'unité
d'organisation : ceci permet d'avoir un service moins coûteux.
Il est certain, en effet, que plus nombreux sont les assurés faisant
partie d'un même groupement, plus certain est le calcul des risques,
plus faible peut être la prime d'assurance, moindres sont les frais
d'exploitation [...] Le monopole permettra de modifier le principe
directeur d'après lequel se fera l'exploitation : en particulier,
le monopole permettra d'étendre la liste des risques susceptibles
d'être assurés. [...] Avec le monopole disparaît le difficile problème
de la répercussion et de l'incidence des impôts sur les assurances.
C'est un avantage considérable."
Et Jèze de remarquer :"L'Uruguay est le seul pays
ayant adopté le monopole public de toutes les assurances. En France,
le problème du monopole des assurances est depuis très longtemps discuté.
La question a été agitée dès la Monarchie de Juillet.
En 1848, le ministre des finances Garnier-Pagès se déclara partisan
du monopole d'Etat des assurances contre l'incendie; le ministre des
finances Duclerc saisit l'Assemblée nationale d'un projet de loi organisant
ce monopole (8 juin 1848).Au début du XXè siècle, la question fut
reprise devant la Chambre des députés :propositions Carlier (27 février 1908, n°1543) ; Couderc (12
juillet 1909, n°2690) ; rapport Buisson (15 mars 1910, n°3212) ; propositions
Dumont (10 juin 1910 n°43) ; Vaillant (10 juin 1910, n°81) ; Tarbouriech
(8 juillet 1910, n°289). En 1909, le ministre des finances Cochery
déclarait à la Chambre des députés qu'il prévoyait l'établissement
prochain du monopole de assurances ou de certaines assurances.
[...] Il existe, en France, des caisses publiques d'assurances,
sans monopole ; caisse nationale d'assurance en cas d'accidents ;
caisses départementales d'assurance contre l'incendie, contre la grêle,
contre la mortalité du bétail ; caisse d'assurance mutuelle obligatoire
contre les accidents de force majeure de nature à avarier le récoltes
de tabac (inondation, grêle, ouragan). La légalité de la création
de caisses publiques d'assurance par les conseils généraux de départements
a été contestée."
Et Jèze d'ajouter en passant : "Les partisans
du monopole d'Etat ont rencontré et rencontreront, dans les riches
compagnies d'assurance et dans les journaux à leur solde, des adversaires
redoutables"°°°
- Question 3 : "3° Le service public monopolisé
doit-il être renforcé par l'obligation imposée aux individus de s'assurer
contre certains risques ? "
Pas de réponse isolable.
- Question 4 : "4° Comment le monopole public
des assurances fonctionnera-t-il ? Comme régale fiscale, en vue d'obtenir
le maximum de bénéfices, comme cela a lieu pour le tabac, l'alcool
? Ou comme service administratif, en vue de fournir au public le maximum
d'avantages avec le minimum de redevance, comme le service postal
?"
Réponse :
"Le monopole des assurances doit être exploité
non pas comme une régale fiscale (tabac, allumettes), mais comme un
service administratif d'intérêt public, comme institution de prévoyance.
Les bénéfices à retirer de l'exploitation doivent être modérés. D'ailleurs,
cela dépendra de la nature des risques assurés, suivant que l'intérêt
social exige le développement rapide de telle ou telle catégorie d'assurance.
Pour telle assurance, le service devra fonctionner à prix coûtant
ou avec bénéfice très modéré (incendie, accidents) ou même à perte
(maladie), ou avec bénéfices (assurance-vie)".
- Question 5 : "5° Le service public d'assurances
aura-t-il l'autonomie financière ?"
Pas de réponse isolable.
- Question 6 : "Au cas d'établissement du monopole
public, se posent de délicats problèmes touchant l'exclusion des compagnies
d'assurances existantes, nationales ou étrangères. Une indemnité leur
sera-t-elle accordée? L'État se substituera-t-il aux compagnies pour
les polices en cours ?"
Pas de réponse précise.
Annexe N°2
1905 :
La loi sur les sociétés d'assurance
institue en particulier la distinction entre assurance-vie et assurance
de dommages (IARD). Une firme d'assurance sera désormais soit une
firme d'assurance-vie, soit une firme d'assurance-IARD, et non les
deux à la fois.
1910 :
La loi sur les retraites ouvrières et paysannes institue
un système général de pensions de vieillesse. La loi distingue deux
catégories d'assurés : assurés obligatoires et assurés facultatifs.
1919 :
"Le principe du risque professionnel, appliqué
à la maladie, n'a pu jusqu'ici s'introduire que sous la forme de règle
applicable à des maladies nommément déterminées ; la loi [...] procède
ainsi en déclarant maladies professionnelles celles qui sont mentionnées
aux tableaux annexés au texte de la loi" (Truchy, op.cit., p.
278)
1922 :
Un décret crée des obligations communes à toutes les
compagnies d'assurances concernant les réassurances, l'escompte, ainsi
que l'évalution des placements.
1921-1928 :
"Un projet de loi très important sur les assurances
sociales a été déposé en 1921. La Chambre l'a voté en 1924 ; le Sénat
en a abordé la discussion au mois de juin 1927 et l'a terminée au
début de juillet."
1928 :
La loi institue l'obligation des assurances sociales
(maladie, invalidité, vieillesse) pour les salariés de l'industrie
et du commerce dont le salaire est inférieur à un salaire donné (plafond
annuel).
1930 :
Loi sur les assurances sociales et les régimes spéciaux
d'assurance sociale (agriculteurs par exemple). Les assurés choisissent
leur assureur qui gère la totalité des risques visés par la loi tandis
que l'assureur perçoit un pourcentage du salaire (moitié employeur,
moitié salarié). Le contrat d'assurance fait aussi l'objet d'une réglementation.
1932 :
Loi sur les allocations familiales (qui devient des
articles du Code du travail)
1935 :
Décret-loi sur l'extension des lois sur les assurances
sociales.
1938 :
Loi sur les accidents du travail (indemnisation à la
charge des compagnies d'assurances privées et des caisses de mutualité
agricole) ; décret-loi visant à harmoniser l'ensemble de l'appareil
législatif réglementaire ; loi sur le contrôle des sociétés d'assurance.
l939 :
Code de la famille.
l941 :
Décret-loi sur la retraite des vieux travailleurs et
allocation de salaire unique.
[1] Phrase écrite par Frédéric Bastiat dans "La
loi" en juin 1850, Bastiat-1863, p. 348.
[24] Et on se rappellera en particulier que, comme
tout mirage, l'assurance sociale est dangereuse car : "Dans la
Grande Société, la 'Justice sociale' devient une force de dislocation"
(Hayek-1986, p. 165).
[25] Cf. ibid. p. 78. En vérité, ces dernières années, comme si la "justice
sociale" s'avérait insuffisante pour produire ses effets, la
"solidarité" a été à nouveau invoquée. C'est ainsi qu'en
1981, en France a été créé un "Ministère de la solidarité et
des affaires sociales".
[30]C'est la théorie du risque professionnel : "Le
principe nouveau posé par la loi du 9 avril 1898 est celui du risque
professionnel" (Truchy-op.cit., p. 275). On reviendra sur cette
question ci-dessous.
[32] Le dernier, selon nous, est la découverte des
marchés à terme, fermes ou conditionnels, organisés.
[33] Les attentes des uns et des autres peuvent n'avoir
aucun fondement rationnel. Chacun forme alors des attentes sans raison
apparente pour l'observateur. Elles peuvent aussi reposer sur les
mathématiques, sur des tables de fréquences empiriques, sur des lois
de probabilités mathématiques. Elles peuvent enfin faire intervenir
d'autres variables explicatives sans relation avec fréquences empiriques
ou probabilités mathématiques.
[34] Selon Maurice Allais : "Il résulte [...]
que l'industrie de l'assurance est une industrie dont la fonction
de production est la loi des grands nombres". Cf. Allais-1953.
[35] Dans ce contexte théorique sans durée, il est
supposé le plus souvent en outre que la technique est appliquée, l'égalisation
réalisée, sans erreur par l'assureur. En d'autres termes, il est supposé
que l'assureur ne court pas de "risque d'entreprise". Si
on abandonne cette dernière hypothèse et si on la remplace par celle
de l'incertitude, de l'ignorance de l'assureur, comme toute technique,
celle de l'assurance ne peut qu'avoir des résultats attendus incertains.
L'assureur ne peut que s'attendre à ce que le montant monétaire des
sinistres, et par conséquent des couvertures monétaires à verser à
la population sinistrée, soit différent du montant des primes pures
monétaires que les assurés ont versées.
L'assureur a différentes techniques de gestion
de cet écart incertain attendu à sa disposition et principalement
la réassurance et la coassurance. Elles s'insèrent dans la technologie
de l'assurance et sont autant de facettes supplémentaires de celle-ci.
L'individu assureur A utilise la technique de réassurance quand il
transfère tout ou partie des risques de perte qu'il a pris à un individu
B : le réassureur. L'individu assureur C utilise la technique de coassurance
quand, étant donné le risque de perte, il en prend une partie tandis
que d'autres individus assureurs D en prennent chacun d'autres parties
: les D sont des coassureurs.
[36] 1898 : le Code de la mutualité amène à distinguer
la firme d'assurance à but lucratif des firmes à but non lucratif.
Il sera revu en 1945 et 1985.
[37] Mis en chantier en 1956, il sera achevé en 1976.
L'ensemble des textes d'ordre législatif ou réglementaire a été codifié
à l'origine par un décret du 10 décembre 1956 et un autre du 27 septembre
1958.
"Le contrat aléatoire est une convention
réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit
pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles,
dépendent d'un événement incertain. Tels sont : le contrat d'assurance,
le prêt à grosse aventure, le jeu et le pari, le contrat de rente
viagère. Les deux premiers sont régis par les lois maritimes."
[39] Même si la comptabilité officielle et légale
les ignore.
[40] Pour l'assureur, la prime d'assurance au sens
courant du terme est l'addition d'une recette positive en monnaie
tirée de la vente d'un produit de type "service" et d'une
dépense en matières premières non pas de type "bien", mais
de type "mal" et à ce titre négative. Pour l'assuré, elle
est l'addition de la recette négative tirée de la vente d'un risque
de perte individuel et de la dépense positive entraînée par l'achat
du service.
[41] Avant d'être réglementée ou interdite par le
législateur.
[42] Quand la concurrence existe, elle sanctionne
en effet non pas d'un côté les avantages et de l'autre les inconvénients
de telle ou telle technologie, mais la résultante, les avantages nets.
Si les avantages nets n'existent pas, la technologie n'émerge pas.
S'ils disparaissent, il y a perte, technologie ou produit ne sont
pas viables (ou ne le sont plus). Ceux-ci doivent disparaître.
[43] Compte tenu éventuellement des distorsions introduites
par la fiscalité édictée par les hommes de l'Etat ou par les contraintes
discriminatoires édictées par le législateur.
"L'économie politique ne considère l'agriculture,
le commerce et les arts que dans les rapports qu'ils ont avec l'accroissement
ou la diminution des richesses, et non dans leurs procédés d'exécution.
Elle indique les cas où le commerce est véritablement productif, ceux
où ce qu'il rapporte à l'un est ravi à l'autre, ceux où il est profitable
à tous ; elle enseigne même à apprécier chacun de ses procédés, mais
seulement dans leurs résultats. Elle s'arrête là. Le surplus de la
science du négociant se compose de la connaissance de son art. Il
faut qu'il connaisse les marchandises qui sont l'objet de son trafic,
leurs qualités, leurs défauts, le lieu d'où on les tire, leurs débouchés,
les moyens de transport, les valeurs qu'il peut donner en échange,
la manière de tenir ses comptes" (Cf. Say-1826, pp. 7-8.)
[46] Préside aussi à l'attente de l'individu qu'il
ne vive au jour le jour (on reviendra sur ce point ci-dessous).
[47] Pour l'individu qui vit au jour le jour ou dans
le passé, qui n'a donc pas d'attente, l'assureur est inutile. Mais
quel individu vit au jour le jour ? Il y a fort à parier que dans
un état de droit où les objets sont appropriés et la rapine interdite,
personne ne saurait vivre au jour le jour.
[48] Elle en tient compte aujourd'hui quand il s'agit
des questions d'environnement, de pollution.
[51] Malgré la "doctrine de l'intérêt assurable"
ou le "principe de l'indemnité", chers au droit des assurances,
qui l'écornent.
[52] Art. 1382 : "Tout fait quelconque de l'homme,
qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé, à le réparer".
Art. 1383 : "Chacun est responsable du
dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par
sa négligence ou par son imprudence".
[53]Quiconque porterait préjudice à son semblable
saurait qu'il devrait fournir une réparation dans une mesure au moins
équivalente. Si l'individu raisonne à partir de l'hypothèse que son
semblable est juridiquement responsable, il n'y a pas à se préoccuper
du "risque moral résiduel" du droit, sauf dans le cas des
biens qu'il estime "irremplaçables". Il s'attend à ce que,
si son semblable commet une action qui lui porte tort, celui-ci sera
tenu pour responsable. D'une certaine façon, il fait confiance à la
responsabilité juridique pour recouvrer ce qui lui aura été pris.
Pour un individu, un bien est irremplaçable dès l'instant qu'une fois
perdu, il ne peut s'en procurer un semblable avec l'indemnisation-réparation
qu'il aura reçu du responsable. L'individu lui accorde une valeur
sentimentale car le bien est unique.
[59] Cf. Jèze-1932, p. l26. Si nous allons
attacher de l'importance aux écrits de Jèze, professeur à la Faculté
de Droit de l'université de Paris dans les décennies 1920-30, directeur
de la Revue de Science et de Législation financière,
c'est que nous considérons qu'il a ouvert la voie où s'enfoncera et
nous enfoncera le législateur ou l'homme de l'Etat (cf. ci-dessous),
et que ses écrits sont prolongés aujourd'hui par ceux de J.J. Dupeyroux,
professeur de droit à l'Université Paris II Assas, son successeur
en matière de sécurité sociale.
[71] Ces erreurs se retrouvent dans toute activité
de production.
[72] De même, le chimiste qui met en regard les "bons"
volumes d'hydrogène et d'oxygène commettra une erreur et n'obtiendra
pas d'eau s'il ne fournit pas de l'énergie...
[74]Selon Doublet : "A la conception d'un
risque social unique qui avait été celle des auteurs du système français
de 1945 [...] succède une conception (1967) distinguant nettement
trois branches autonomes dans la gestion de la sécurité sociale :
maladie et accidents du travail, d'une part, prestations familiales
d'autre part, assurance vieillesse en troisième lieu".(Doublet-1972, p. 59).
Selon Dupeyroux, il convient de noter que :
"Il paraît inexact de définir le risque social par sa cause.
Ce n'est pas en se plaçant sur le plan de leur cause, mais sur celui
de leurs incidences qu'il faut rechercher le dénominateur commun des
'risques sociaux', et en circonscrire la notion : les uns concernent
l'acquisition des revenus individuels ; les autres concernent la menace
que les risques sociaux font peser sur la sécurité économique des
individus [...] Si les droits positifs contemporains s'efforcent d'assurer
la réparation des conséquences des risques sociaux, c'est certainement
pour garantir la sécurité économique de chacun. On est alors tenté
de mettre cette fin au premier plan, et, à rejeter au second plan
la liste habituelle des risques sociaux. [...] Les risques sont donc
économiques par nature et ne sont 'sociaux' que dans la mesure où
une garantie collective est aménagée". (Dupeyroux-1986, pp. 8-11).
[84] Il convient de souligner que jusqu'en 1945, le
législateur s'est progressivement insinué dans la capitalisation-actualisation.
Il a réglementé les divers aspects de la technique, prétendument dans
l'intérêt des consommateurs, en fait dans l'intérêt ... de l'Etat.
Aujourd'hui encore, par exemple, les tables de mortalité que les compagnies
d'assurance-vie (qui fonctionnent par capitalisation) utilisent sont
fixées par le législateur, le taux d'actualisation qu'elles pratiquent
est réglementé, les placements que celles-ci peuvent effectuer sont
réglementés, etc.
[86] Il est à remarquer que les "droits"
en question ne sont pas échangeables et n'ont pas un prix donné.
[87] Bien que le modèle mécaniciste qui la sous-tend,
ne le nie plus : "Après plus de trois siècles, la physique a
retrouvé le thème de la multiplicité des temps [...] Le 6 avril 1922,
Henri Bergson tenta de plaider, contre Einstein, la multiplicité des
temps vécus coexistant dans l'unité d'un temps réel, de défendre l'évidence
intuitive qui nous donne à penser que ces durées multiples participent
à un même monde [...] La physique, aujourd'hui, ne nie plus le temps.
[...] La découverte de la multiplicité des temps n'est pas une 'révélation'
surgie soudain de la science ; bien au contraire, les hommes de science
ont cessé aujourd'hui de nier ce que, pour ainsi dire, chacun savait.
C'est pourquoi l'histoire de la science négatrice du temps fut aussi
une histoire des tensions sociales et culturelles". (Prigogine/Stengers-1979,
pp. 274-276.)
Le contrôle des travailleurs: la privatisation de la Sécurité Sociale au Chili
Un spectre hante le monde: celui de la faillite du système de retraite de l'Etat. Le système de retraite par répartition qui règne en suprématie à travers la plus grande partie de ce siècle a un défaut fondamental enraciné dans une fausse conception sur le comportement de l'être humain: il détruit à un niveau individuel le lien essentiel entre l'effort et la récompense. En d'autres termes, entre les responsabilités personnelles et les droits individuels. Chaque fois que cela se produit à grande échelle et sur une longue période, le résultat est désastreux.
Deux facteurs extérieurs aggravent en plus ce problème: premièrement, la démographie globale tend vers la baisse du taux de natalité; et deuxièmement, les progrès médicaux rallongent l'espérance de vie. Comme résultat, de moins en moins de travailleurs supportent de plus en plus de retraités. Puisque l'augmentation de l'âge de la retraite et des taxes sur salaire ont une limite maximale, ces signes révélateurs de la faillite du système entraîneront tôt ou tard le système à réduire les prestations promises.
Si cette réduction des prestations est faite à travers l'inflation, comme dans la plupart des pays en voie de développement, ou à travers la législation, le résultat final pour les retraités est le même: l'angoisse des vieux jours. Celle-ci est créée paradoxalement par l'insécurité inhérente au système de "sécurité sociale."
En 1980, le Gouvernement Chilien décida de prendre le taureau par les cornes. Un système de retraite gouvernementale était remplacé par une innovation révolutionnaire: un système national de Plan Epargne-Retraite privé.
Après 16 ans de fonctionnement, les résultats parlent d'eux mêmes. Les retraites du nouveau système sont déjà de 50 à 100 pour cent supérieures à celles du système de retraite par répartition, suivant qu'elles soient allocations vieillesse, d'invalidité ou au dernier vivant. Les ressources administrées par les fonds de retraites privées se chiffrent à $30 milliards ou aux alentours de 42 pour cent du PNB comme en 1996. Dès l'amélioration du fonctionnement des marchés du capital et du travail, les retraites privées ont été l'une des réformes clé qui ont poussé le taux de croissance économique du 3 pour cent historique par an au 7 pour cent en moyenne durant les 12 dernières années. C'est aussi un fait que le taux d'épargne chilien a augmenté jusqu'à 28 pour cent du PNB et le taux de chômage a baissé jusqu'à 5 pour cent depuis que la réforme a été appliquée.
Plus important encore: les pensions ont cessé d'être une question gouvernementale, ainsi on dépolitise un énorme secteur de l'économie et on donne aux individus d'avantage le contrôle de leur vie. La défectuosité structurelle a été eliminée et l'avenir des retraités dépend du comportement individuel et du développement du marché.
Le succès du système de retraite privé chilien a incité sept autres pays d'Amérique à le suivre. Le Pérou en 1993, l'Argentine et la Colombie en 1994, l’Uruguay en 1995, et le Mexique, le Salvador et la Bolivie en 1997 ont entrepris une réforme similaire. Dans ces sept pays d'Amérique, environ 25 millions de travailleurs ont un compte de retraite privé.
L'expérience chilienne peut être instructive pour tous les pays du monde. Même les Etats Unis commencent sérieusement à débattre sur la privatisation de leur plan de pension vieux de 62 ans. Il devrait être souligné que le système de Sécurité Sociale américain est à lui seul le plus grand programme gouvernemental au monde qui dépense plus de $350 milliards par an (plus que le budget de défense américain pendant la Guerre Froide).
Il est possible qu'avant l'entrée dans le nouveau millénaire, de nombreux pays, incluant tous ceux des Amériques, auront leur système de retraite privatisé. Cela signifierait une importante redistribution du pouvoir de l'Etat vers l'individu. Et aussi, un accroissement de la liberté personnelle, promouvant une croissance rapide de l'économie et la réduction de la pauvreté, particulièrement chez les personnes âgées.
Le système chilien
Ce qui détermine le niveau de retraite du travailleur sous le système de retraite par capitalisation au Chili, c'est la somme d'argent qu'il a accumulée pendant ses années travaillées. Ni le travailleur ni l'employeur ne paye de taxe de Sécurité Sociale à l'Etat. Le travailleur ne reçoit pas une retraite du gouvernement. Au lieu de cela, pendant sa période d'activité son employeur dépose automatiquement 10 pour cent du salaire mensuel sur le compte épargne-retraite individuel du travailleur. Ce pourcentage s'applique seulement aux premiers $22,000 de revenu annuel. Par conséquent, à mesure que les salaires augmentent avec la croissance de l'économie, le volume de "l'épargne obligatoire" du système de retraite diminue.
Un travailleur peut payer 10 pour cent supplémentaire de son salaire mensuel, qui en tant qu'épargne volontaire, est aussi déductible des impôts sur le revenu. Généralement un travailleur payera plus de 10 pour cent de son salaire s'il veut partir plus tôt à la retraite ou obtenir une pension plus élevée.
Un travailleur choisit une des enterprises privés d'administration de fonds de retraites ("Administradoras de Fondos de Pensiones," AFPs) pour gérer son compte épargne-retraite. Ces entreprises ne peuvent pas s'engager dans d'autres activités et sont soumises à la réglementation gouvernementale dans le but de garantir un portefeuille diversifié et à risque peu élevé afin de prévenir le vol ou la fraude. Une entité gouvernementale indépendante, une "Superintendence des AFPs" hautement technique, assure la surveillance. Bien sûr, c'est la libre entrée à l'industrie des AFPs.
Chaque AFP gère l'équivalent du fonds mutuel qu'elle investit en actions et obligations. Les décisions d'investissement sont prises par les AFPs. La réglementation gouvernementale détermine seulement les limites du pourcentage maximal, pour les types d'instruments spécifiques et pour la diversification du portefeuille. L'esprit de la réforme est que ces régulations soient réduites constamment avec le temps et avec l'acquisition de l'expérience des AFP. Il n'y a aucune obligation d'investir dans le gouvernement ni dans d'autres types d'engagements. Légalement les AFPs et le fonds mutuel qu’elles gèrent sont deux entités séparées. Ainsi les actifs du fonds mutuel, qui sont les investissements des travailleurs, ne sont pas affectés en cas de faillite de l’AFP.
Les travailleurs sont libres de changer d'une AFP à une autre. Pour cette raison, il y a une compétition entre les entreprises afin d'assurer un gain plus important sur les retours d'investissements, un meilleur service clientèle ou une commission moins élevée. On donne à chaque travailleur la libreta, le petit carnet d’épargne-retraite, et tous les trois mois il reçoit un état régulier l'informant du montant accumulé sur son compte de retraite et combien son fonds investi lui rapporte. Le carnet porte le nom du travailleur, il lui appartient, et sera utilisé pour payer sa pension retraite (avec une disposition de versement au dernier vivant).
Comme cela pouvait être attendu, les préférences individuelles au sujet de l'âge diffèrent autant que les autres préférences. Certaines personnes veulent travailler toute leur vie, d'autres attendent la retraite avec impatience afin de se livrer à leur vrai vocation ou leur passe-temps favori comme l'écriture ou la pêche. L'ancien système de retraite par répartition ne permettait pas la satisfaction de telles préférences, excepté à travers la pression collective pour avoir, par exemple, une retraite anticipée pour une puissante circonscription électorale. C'était un plan unique qui imposait un prix au bonheur humain.
D'un autre côté, le système de retraite par capitalisation permet aux préférences individuelles d'être traduites en décisions individuelles qui produiront le résultat désiré. Dans les succursales de nombreuses AFP, il y a des sympathiques informaticiens qui permettent aux travailleurs de calculer la valeur attendue de sa future pension, basée sur l'argent de son compte et sur l'année à laquelle il désire prendre sa retraite. Ou bien, le travailleur peut déterminer le montant de sa retraite qu'il espère recevoir et demander à l'ordinateur combien il doit déposer chaque mois s'il veut se retirer à un âge précis. Une fois qu'il a la réponse, il demande simplement à son employeur d'enlever ce nouveau pourcentage à son salaire. Bien sûr, il peut ajuster ces chiffres avec le temps par rapport au rendement actuel de son fonds de retraite. Le point le plus important est que le travailleur peut déterminer sa pension désirée et l'âge de sa retraite aussi simplement que quelqu'un qui commande un tailleur sur mesure.
Comme noté ci-dessus, les contributions du travailleur sont déductibles des impôts sur le revenu. Le rendement du compte épargne-retraite est sans taxation. A la retraite, quand les fonds sont retirés, les taxes sont payées suivant la tranche d'impôt sur le revenu du moment.
Le système chilien de retraite par capitalisation inclus autant les employés du secteur privé que ceux du secteur public. Les seuls exclus sont les membres de la police et des forces armées. Comme dans d'autres pays, les systèmes de retraite sont une part de leur salaire et de leur condition de travail. Selon mon avis, mais pas encore le leur, ils feraient mieux de quitter ce système pour un compte épargne-retraite. Tous les autres employés doivent posséder un compte épargne-retraite. Les travailleurs en nom propre peuvent entrer dans le système s'ils le désirent, ce qui crée un stimulant pour les travailleurs irréguliers afin de rejoindre l'économie régulière.
Une fois l'âge de la retraite atteint et son compte épargne-retraite épuisé, un travailleur qui a cotisé au moins 20 ans mais dont la retraite est en dessous de la pension minimale légale reçoit une pension de l'Etat. Ce qui doit être souligné ici: personne n'est défini comme "pauvre" à priori. Seulement à posteriori, après que sa période d'activité ait cessé et que son
compte épargne-retraite soit épuisé, un retraité pauvre reçoit une subvention de l'Etat. Ceux qui n'ont pas 20 ans de cotisation peuvent demander une retraite de l'Etat à un niveau beaucoup moins élevé.
Le système de retraite par capitalisation inclus aussi une assurance contre la mort prématurée et l'incapacité. Chaque AFP assure ce service à ses clients en souscrivant un assurance vie et une couverture d'invalidité auprès d'une entreprise d'assurance vie privée. Cette couverture est payée par une cotisation supplémentaire d'environ 2.9 pour cent du salaire qui inclut la commission de l'AFP.
Le niveau d'épargne minimum obligatoire de 10 pour cent était calculé sur l'hypothèse d'un revenu net moyen de 4 pour cent durant la période d'activité. Un travailleur type devrait avoir assez d'argent sur son compte épargne-retraite afin d'obtenir une retraite équivalente à 70 pour cent de son salaire de fin de carrière.
Le soi-disant âge legal de la retraite est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Ces âges de retraite, traditionnels dans le système de retraite par répartition, n’ont pas été discutés dans la réforme de privatisation car ils ne représentent pas un critère fondamental dans le nouveau système. Mais la notion de retraite dans le système de retraite par capitalisation diffère de celle du système traditionnel. Premièrement les travailleurs peuvent continuer à travailler après leur retraite. S'ils le font, ils reçoivent la retraite que leur capital accumulé rend possible et il ne leur est plus demandé de cotiser à un plan. Deuxièmement, les travailleurs qui ont une épargne suffisante sur leur compte, afin de percevoir une pension acceptable, peuvent choisir de prendre une retraite anticipée quand ils le veulent (tant que celle-ci est plus élevée que la "retraite minimale" soit 50 pour cent du salaire moyen des 10 dernières années).
Ainsi, le seuil des 65-60 n'est pas un aménagement rigide du système. A moins qu'un travailleur n'ait choisi de partir plus tôt à la retraite—c’est à dire, qu’il ait commencé à retirer son argent comme une retraite mensuelle, ce qui n’est pas la même chose que se retirer de la main d’ouvre—il doit continuer à cotiser 10 pour cent sur son compte épargne-retraite jusqu'à ce qu'il atteigne cet âge. Cependant le travailleur doit atteindre le seuil de l'âge pour avoir droit à la subvention de l'Etat qui garantit une retraite minimale.
Mais en aucun cas il n'y a obligation d'arrêter une activité, quelque soit l'âge, ni obligation de continuer à travailler ou à épargner pour la retraite une fois que vous vous êtes assurés une pension confortable comme décrite ci-dessus.
A la retraite, un travailleur a le choix entre deux options de paiement. Dans le premier cas le retraité peut utiliser le capital de son compte épargne-retraite pour acheter une annuité à une compagnie privée d'assurance vie. La pension viagère garantit un revenu mensuel, indexé sur l'inflation, plus les profits destinés aux personnes à charge du travailleur (il y a des obligations indexées disponibles sur le marché capital chilien afin que les compagnies puissent investir en conséquence). Ou bien, le retraité peut laisser ses fonds sur un compte épargne-retraite et effectuer des retraits programmés soumis aux limites basées sur l'espérance de vie du retraité et de ses ayants droit. Dans le dernier cas, s'il meurt les fonds restants sur son compte constituent une part de son patrimoine. Dans les deux cas il peut retirer comme une somme forfaitaire le capital en plus duquel il a besoin pour obtenir une annuité ou un retrait programmé équivalent à 70 pour cent de ses derniers salaires.
Le système de retraite par capitalisation résout le problème typique du système de retraite par répartition avec respect du la démographie du marché du travail: dans une population vieillissante, le nombre de travailleurs par retraité baisse. Sous le système de retraite par capitalisation, la population active ne paie pas pour la population à la retraite. Donc, en contraste avec le système de retraite par répartition, le potentiel pour le conflit intergénérationel et la faillite éventuelle sont evités. Le problème des retraites qui ne sont pas fondées, auquel font face un grand nombre de pays, n'existe pas dans le système de retraite par capitalisation.
Le contraste avec les systèmes de retraite privés basés sur les sociétés: généralement ils imposent des pénalités aux travailleurs qui partent avant un nombre donné d'années et qui quelquefois aboutissent à la faillite de leur fonds de retraite. Les travailleurs sont privés en même temps de leur emploi et de leur droit à la retraite. Le système de retraite par capitalisation est lui complètement indépendant de la compagnie qui emploie les travailleurs. Puisque le compte épargne-retraite est lié au travailleur et non à la compagnie, le compte est complètement transportable. Etant donné que le fond de retraite doit être investi en valeurs négociables, le compte épargne-retraite a une valeur journalière et par conséquent il est facile de le transférer d'une AFP vers une autre. Le soucis du "job lock" est complètement écarté. La mobilité du travail n'est pas un problème, que ce soit à l'intérieur du pays ou internationalement. Le système de retraite par capitalisation crée une flexibilité du marché qui ne prime ou ne pénalise les immigrés.
Un système de retraite par capitalisation est aussi beaucoup plus efficace et facilite une flexibilité du marché du travail. En fait, les gens, tout spécialement les femmes et les jeunes, décident de plus en plus de travailler seulement quelques heures par jour ou d'interrompre leur activité. Dans le système de retraite par répartition, ces manières flexibles de travailler engendre des problèmes quand il faut combler les contributions manquantes. Ce qui n'est pas le cas dans le plan des comptes épargne-retraite ou l'arrêt et la reprise des cotisations ne sont pas du tout un handicap.
La transition
Un des défis est de définir le système permanent de retraite par capitalisation. L'autre, est de réussir la transition dans le système de retraite par capitalisation pour les pays qui ont déjà un système de retraite par répartition. La transition doit prendre en compte les caractéristiques particulières de chaque pays, bien sûr, spécialement les contraintes posées par la situation budgétaire.
Au Chili nous avons établi trois règles de base pour la transition:
1. Le Gouvernement garantit à ceux qui reçoivent déjà leur retraite que leur pension ne serait pas affectée par cette réforme. Cette règle fut importante car les services de la Sécurité Sociale ne recevront évidemment plus les cotisations des travailleurs qui sont passés dans le nouveau système. Par conséquent, les autorités ne seront plus capable de continuer à payer les retraités avec ses propres ressources. Mais avant tout, il serait injuste pour les personnes âgées de modifier leur avantages ou leurs espérances à ce moment de leur vie.
2. Le choix de rester ou de passer dans le nouveau système de retraite par capitalisation a été donné à tous les travailleurs qui cotisaient déjà au système de retraite par répartition. Un "bon de reconnaisance" avait été donné et déposé dans le nouveau compte épargne-retraite à ceux qui avaient quitté l'ancien système. Le bon était indexé et porte à un taux de 4 pour cent. Le Gouvernement paye le bon seulement quand le travailleur atteint l'âge légal de la retraite. Deuxièmement, les bons sont négociés sur un marché secondaire, ce qui leur permet d'être utilisés pour les retraites anticipées. Ce bon réflète les droits du travailleur déjà acquis dans le système de retraite par répartition. De plus un travailleur qui cotise depuis des années n'a pas à repartir de zero quand il entre dans le nouveau système.
3. Tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail étaient obligés d'entrer directement dans le système de retraite par capitalisation. La porte était close pour le système de retraite par répartition car il n'était pas soutenable. Cette demande assurait la fin complète de l'ancien système une fois que le dernier travailleur avait atteint l'âge de la retraite (à partir de ce moment et pour une période limitée, le Gouvernement doit payer seulement les pensions au retraités de l'ancien système). Cette règle est importante car le moyen le plus efficace de réduire l'emprise du gouvernement dans notre vie est de mettre complètement fin aux programmes, et non seulement de les repousser jusqu'à ce qu'un nouveau gouvernement puisse plus tard les ressuciter.
Après plusieurs mois de débat national sur les réformes proposées, une communication et un effort d'éducation pour les expliquer au peuple, la loi sur la réforme de la retraite a été ratifiée le 4 Novembre 1980.
Afin de donner un accès égal à la création des AFPs à tous ceux qui auraient pu être intéressés, la loi établit une période de 6 mois durant laquelle aucune AFP ne pouvait commencer d'opérations (ni même faire de publicité). De plus, l'industrie de retraite par capitalisation est unique étant donné qu'elle a un jour de conception précis: le 4 Novembre 80; et une date anniversaire précise: le 1er Mai 81.
Au Chili, comme dans la plupart des pays, le 1er Mai est la fête du travail. Le choix de cette date ne fut pas une coïncidence, les symboles sont importants et cette date de naissance permet aux travailleurs de célébrer le 1er Mai, non pas comme un jour de lutte des classes mais comme le jour où ils furent libres de choisir leur propre système de retraite et de se libérer "des chaines" du système gouvernemental de sécurité sociale.
En même temps que la création du nouveau système de retraite par capitalisation, tous les salaires bruts furent redéfinis afin d'inclure la plupart des cotisations de l'employeur de l'ancien système de retraite. (Le reste des cotisations de l'employeur fut changé en une taxe transitoire du travail afin d'aider au financement de la transition, et une fois que cette taxe fut éliminée progressivement, comme établie dans la loi de réforme sur les retraites, le coût de l'employeur à l'embauche a diminué.) La cotisation du travailleur fut déduite du salaire brut plus élevé. Du fait que le total de la cotisation fut plus faible dans le nouveau système que dans l'ancien, les salaires nets de ceux qui passèrent dans le nouveau système augmentèrent d'environ 5 pour cent.
De ce fait, l'illusion que l'employeur et le travailleur contribuent à la Sécurité Sociale, un stratagème qui permet une manipulation politique de ces taux, est terminée. Du point de vue économique, les travailleurs supportent presque l'entière charge des taxes sur salaire car l'offre de travail globale est trop inélastique. Aussi, toutes les cotisations sont payées en fin de compte par la productivité marginale du travailleur et les employeurs doivent prendre en considération tous les coûts du travail lors de leur décision d'embauche et de salaire, tantôt appelée cotisation salariale ou Sécurité Sociale. En renommant les cotisations de l'employeur, le système rend évident que toutes les cotisations sont faites par le salarié. Dans ce scénario, le niveau du salaire final est bien sûr déterminé par le jeu des forces du marché.
Le financement de la transition est une question technique très complexe et chaque pays doit adapter le problème suivant ses propres circonstances. En 1980, la dette implicite de la retraite par répartition du Chili avait été estimée à environ 80 pour cent du PIB. La valeur de la dette avait été réduite par une réforme du vieux système en 1978, spécialement grâce à la rationalisation de l'indexation, l'élimination des régimes spéciaux et l'allongement de l'âge de la retraite.
Une étude récente de la Banque Mondiale (1994: 268) établit que "le Chili montre qu'un pays avec un système bancaire raisonnablement compétitif, un marché de dettes qui fonctionne bien, et un degré acceptable de stabilité macroéconomique peut financer des déficits considérables de transition sans importantes répercussions sur les taux."
Le Chili utilisa 5 méthodes pour financer les coûts fiscaux à court terme de la transition vers le système de retraite par capitalisation:
1. Dans le bilan de l'Etat, dans lequel chaque gouvernement devrait montrer son actif et son passif, les dettes des retraites de l'Etat furent compensées jusqu'à un certain point par les ventes des entreprises publiques et autres actifs. La privatisation n'était pas le seul moyen de financer la transition mais avait de nombreux atouts supplémentaires tels que l'augmentation de l'efficacité, le développement des propriétés et la dépolitisation de l'économie.
2. Etant donné que la cotisation nécessaire, dans le système de capitalisation pour financer les niveaux de retraite adéquats, est généralement inférieure aux taxes salariales en vigueur, une toute petite différence entre elles peut être utilisée comme taxe transitoire temporaire sans réduire les salaires nets ou augmenter le coût du travail chez l'employeur.
3. En utilisant les dettes, le coût de la transition peut être partagée par les générations futures. Au Chili, environ 40 pour cent du coût a été financé par l’émission des obligations publiques avec des taux d’intérêt du marché. Ces obligations ont été achetées en majeure partie par les AFPs comme part de leur portefeuille d'investissement et la "dette pont" devrait être complètement remboursée lorsque les retraités de l'ancien système ne seront plus parmis nous.
4. Le besoin de financer la transition fut un puissant stimulant afin de réduire les gaspillages gouvernementaux. Depuis des années le directeur budgétaire a été capable d'utiliser cet argument afin d'éliminer de nouvelles dépenses ou de réduire les programmes gouvernementaux complètement inutiles.
5. L'augmentation de la croissance économique, promue par le système de retraite par capitalisation, a favorisé substanciellement l'augmentation des revenus des taxes, particulièrement ceux des taxes sur la valeur ajoutée. 16 ans seulement après la réforme des retraites, le Chili s'est trouvé avec un budget fiscal excédentaire.
Les résultats
Les comptes épargne-retraite ont déjà accumulé un fonds d'investissement de $30 milliards, un large regroupement inhabituel de capitaux produits intérieurement pour un pays en voie de développement de 14 millions d'habitants et un PIB de $70 milliards.
Ce capital investi à long terme a non seulement aidé à consolider la croissance économique mais aussi à stimuler le développement des marchés financiers et des institutions efficients. La décision de créer d'abord le système de retraite par capitalisation et en un deuxième temps de privatiser les grandes compagnies publiques eut pour résultat "un cercle vertueux." Cela donna la possibilité aux travailleurs de bénéficier librement de l'augmentation collossale en productivité des entreprises privatisées, à travers des prix élevés de la bourse qui leur a accru le rendement de leur compte épargne-retraite, et leur a permis de saisir une grande part de la richesse créée par le processus de privatisation.
Il y a environ 15 sociétés d’administration de fonds de pension. Certaines appartiennent aux conglomérats des assurances ou des banques. D'autres sont des travailleurs indépendants ou liés aux syndicats des travailleurs ou à des associations spécifiques à l'industrie ou au commerce. Certaines incluent la participation de compagnies financières internationales telles que AIG, Aetna ou Banco Santander.
Plusieurs de ces grandes AFPs sont elles-mêmes publiquement cotées à la bourse chilienne, et récemment, l'une d'entre elles a lancé "American Depository Receipts" à Wall Street, aidé par le récent "A-" degré de credibilité de l'obligation suprême chilienne.
Un des résultats clés du nouveau système a été l'augmentation de la productivité du capital et ainsi du taux de croissance de l'économie chilienne. Le système de retraite par capitalisation a rendu le marché du capital plus efficace et a influencé sa croissance sur les 16 dernières années. Les vastes ressources administrées par les AFPs ont encouragé la création de nouvelles formes d'outils financiers en même temps qu'elles rehaussaient les autres déjà existants mais qui n'étaient pas complètement développés. Une autre des contributions de la réforme des retraites au Chili, vers l'opération d'assainissement et la transparence du marché du capital, a été la création d'une industrie nationale à faible taux et l'amélioration de l’administration des sociétés comerciales. (Les AFPs nomment des directeurs externes dans les compagnies dans lesquelles ils possèdent des actions.)
Depuis que le système a commencé le 1er Mai 1981, la moyenne du gain effectif sur l'investissement a été de 12 pour cent par an (trois fois plus par rapport aux 4 pour cent du rendement prévu). Bien sûr, le rendement annuel a montré des fluctuations qui sont intrinsèques au marché libre--elles s'étendent de moins 3 pour cent à plus 30 pour cent en termes réels--mais l'importance du rendement est la moyenne à long terme.
Les pensions sous le nouveau système ont été beaucoup plus élevées que sous l'ancien système, qui en plus nécessitait une taxe sur le salaire d'environ 25 pour cent. Par rapport à la récente étude de Sergio Baeza (1995), les retraités des comptes épargne-retraite reçoivent en moyenne une pension égale à 78 pour cent de leur revenu annuel le plus important sur les dix dernières années de travail. Comme mentionné auparavant, les retraités peuvent retirer la somme globale de leur "excédent d'épargne" soit, plus de 70 pour cent du plafond salarial. Si la valeur monétaire était incluse dans le calcul de la valeur de la retraite, la valeur totale approcherait le 84 pour cent du revenu de la période active. Les bénéficiaires de pension d'invalidité reçoivent eux aussi, en moyenne, 70 pour cent de leurs revenus.
Par conséquent, le nouveau système de retraite a contribué de façon significative à la réduction de la pauvreté par l'augmentation du nombre des pensions de vieillesse, des bénéficiaires et d’invalidité, et par l'effet indirect mais néanmoins très puissant qui favorise la croissance économique et l'emploie.
Ce nouveau système a aussi éliminé les injustices de l'ancien. Selon la sagesse populaire, les plans de retraite par répartition redistribuent les revenus des riches vers les pauvres. Bien que les études récentes ont montré que certains caracteristiques des revenus spécifiques des travailleurs et de l'opération du système politique sont pris en compte, les projets publics redistribuent généralement les revenus aux riches--et spécialement aux groupes de travailleurs les plus puissants.
Conclusion
Il n'est pas surprenant que le système de retraite par capitalisation au Chili se soit démontré si populaire et a aidé à promouvoir la stabilité sociale et économique. Les travailleurs apprécient la justesse du système et ils ont obtenu à travers leur compte retraite un jalon direct et visible dans l'économie. Puisque les fonds de retraite privée possèdent une part importante des actions en bourses des plus grandes compagnies du Chili, les travailleurs sont actuellement des investisseurs dans les fortunes du pays.
Quand en 1981, le système de retraite par capitalisation a été inauguré au Chili, les travailleurs ont eu le choix d'entrer dans le nouveau système ou de rester dans l'ancien. 500.000 travailleurs chiliens (un quart de la population active) ont choisi de rejoindre le nouveau système dès le premier mois d’opération, bien plus que les 50.000 qui étaient attendus. Aujourd'hui, plus de 90 pour cent des travailleurs chiliens qui étaient dans l'ancien système sont passés dans le nouveau. Dès 1995, 5 millions de Chiliens possédaient un compte épargne-retraite, bien qu'ils n'appartenaient pas tous à la population active, aux travailleurs à temps plein, et bien plus, ils ne contribuaient pas tous les mois.
Le point le plus important est lorsque le choix leur est donné, les travailleurs choisissent de façon accablante le libre marché, même si on touche à un "monstre sacré" tel que la Sécurité Sociale.
A mesure que le système de retraite de l'Etat disparaît, les politiciens ne décideront plus désormais si les versements de retraite ont besoin d'être augmentés et de quel montant ou pour quelles catégories. Ainsi, les retraites ne sont plus désormais une source de conflits politiques et de démagogie, comme autrefois, pendant les périodes électorales. La pension de retraite d'une personne dépendra de son seul travail et du succès de l'économie et non du gouvernement ni des pressions causées par les groupes d'intérêts spéciaux.
Pour les Chiliens, les comptes épargne-retraite représentent maintenant un réel et visible droit de propriété et ce sont les premières sources de sécurité pour la retraite. En fait, après 16 ans de mise en application du nouveau système, le bien principal du travailleur chilien type n'est pas sa voiture ni même sa petite maison (qui est surement encore hypothéquée), mais le capital sur son compte épargne-retraite.
Finalement, le système de retraite privée a eu une conséquence politique et culturelle très importante. L'accablante majorité des travailleurs chiliens qui choisirent de passer dans le nouveau système le firent plus rapidement que les Allemands de l'Est ne passèrent à l'Ouest après la chute du mur de Berlin. Ces travailleurs décidèrent librement d'abandonner le système de l'Etat malgré que les dirigeants syndicaux et les anciennes classes politiques le leur déconseillerent. Les travailleurs sont très attentifs aux sujets qui touchent leur vie de près, tels que les retraites, l'éducation, la santé et ils prennent leurs décisions en tenant compte de leur famille et non pas des courants politiques.
En fait, le nouveau système de retraite donne aux Chiliens un jalon dans l'économie. Un travailleur chilien type n'est pas indifférent au comportement de la bourse ou aux taux d'intérêt. Par intuition, il sait qu'un mauvais ministre des finances peut réduire la valeur de ses droits à la retraite. Quand les travailleurs ressentent qu'ils possèdent une part du pays, non pas au travers des patrons ou du Politburo, ils sont bien plus attachés au libre marché et à la société libre.
Ceci est la petite histoire d'un rêve qui est devenu réalité. La dernière leçon est que seulement les révolutions qui réussissent sont celles qui font confiance aux individus et aux merveilles que ces derniers peuvent faire quand ils sont libres.
Au sens large, la sécurité sociale désigne la couverture des risques « sociaux » (maladie, chômage, vieillesse, maternité, invalidité, décès, veuvage, etc.) par des mécanismes de mutualisation des risques tels que les assurances ou les mutuelles. Au sens étroit, la Sécurité sociale
désigne l'institution regroupant des organismes chargés de s'occuper de
la gestion des risques sociaux. Dans certains pays, il s'agit
d'organismes étatiques qui offrent une couverture minimale, dans
d'autres (comme la France) il s'agit d'organismes de droit privé (caisses, mutuelles) chargés d'une mission de service public.
Analyse libérale sur la Sécurité sociale
Les libéraux sont opposés à une gestion étatique ou para-étatique de
la sécurité sociale (au sens large), car cette gestion se caractérise
(en France et dans la plupart des pays) par :
l'existence d'un monopole attribué à l'État ou à certains organismes, d'où un surcoût important ;
l'absence de liberté de choix et, par conséquent, l'absence complète de responsabilité
des assurés (on ne peut pas demander à quelqu'un d'être responsable
quand on l'empêche d'être libre, c'est ce qu'on appelle une double contrainte) ;
des règles comptables spécifiques, sans relation avec la comptabilité
digne de ce nom, faisant apparaître un déficit perpétuel et une dette
toujours accrue (les prestations sont déconnectées des cotisations, qui
sont des prélèvements obligatoires) ;
une incertitude dans le temps quant aux prestations et aux risques
couverts (définis et révisables par la loi plutôt que fixés par contrat) ;
un caractère redistributif injuste sous prétexte d'égalité
mal comprise (cotisations proportionnelles au revenu et non liées au
risque couvert ; assujettis aux cotisations qui ne peuvent employer
leurs « droits acquis » en caution d'emprunt et a fortiori les
échanger ; ayants droit qui ne cotisent pas ; ayants droit qui, du jour
au lendemain, à cause du décès de l'assujetti, ne reçoivent plus rien) ;
les responsables ne cachent d'ailleurs pas que la seule règle de
gestion est « chacun cotise selon ses moyens, et reçoit selon ses
besoins »[1], définition même du communisme ;
un mélange apparemment inextricable d'assurance individuelle et de solidarité
(forcée), alors qu'il conviendrait de séparer les deux domaines. En
réalité, la Sécurité sociale telle qu'elle existe dans sa version
étatiste n'a strictement rien à voir avec l'assurance dont elle
n'utilise pas les techniques (pas de contrat, pas de prime liée au risque), et qui n'est pour elle qu'un prétexte et un camouflage commode.
La Sécurité sociale, un poids mort économique
Les premiers éléments de la Sécurité sociale unique ont été réalisés par le gouvernement pétainiste de Vichy (constitution des numéros d'immatriculation de Sécurité sociale en vue de ficher toute la population).
La création de ce numéro d'immatriculation était la première
étape vers le monopole de la Sécurité sociale, puisque ce fichier était
alors géré par un organisme étatique unique.
Depuis 1945, autrement dit depuis la mise en place et la massification de la Sécurité sociale, celle-ci est devenue un poids mort économique, voire un gouffre sans fond.
Depuis près de soixante dix ans, il y a eu sensiblement un plan
de « sauvegarde » de la Sécurité sociale tous les deux ans. Ces plans
consistaient dans la mise à contribution de structures ou
d'organisations extérieures. Cette « solution » est, par
définition, une solution de facilité, puisqu'elle consiste dans le
maintien, voire l'hypertrophie des structures de la Sécurité sociale,
sans que, pour autant, il y ait eu des réformes internes à la Sécurité sociale.
En effet, il n'y a jamais eu ces « restructurations internes »
qui se seraient opérées, d'une part, par des plans comptables pour
limiter les dépenses et, d'autre part, par des « plans sociaux » pour
réduire très fortement les effectifs devenus au cours du temps trop
importants.
Georges Lane, dans son ouvrage La Sécurité sociale et comment s'en sortir (Éditions du Trident) et la Monographie numéro 11 sous la direction éditoriale de Contribuables Associés[2], Claude Reichman, dans son ouvrage La Sécurité sociale le vrai mal français (Éditions Les Belles Lettres), Leslie Varenne et Philippe Blanchard, dans leur ouvrage Sécurité Sociale. Main basse sur le trou et Michel Godet, dans son ouvrage Le choc de 2006
montrent tous, effectivement, que la Sécurité sociale est devenue un
frein considérable au progrès économique, mais que ce frein économique a
quand même profité financièrement à certains (intérêts corporatistes
syndicaux). Ces observations ont été confirmées par Guillaume Prache,
dans son ouvrage Les scandales de l'épargne retraite et par Gérard Maudrux, dans son ouvrage Retraites. Le mensonge permanent.
Le manque de réformes internes, la répartition, causant une
injustice certaine, la très mauvaise gestion, voire des affaires ayant
eu des implications judiciaires, sont la cause de cette situation de
poids mort économique de la Sécurité sociale.
Le monopole de la Sécurité sociale et ses conséquences sur la qualité de la médecine
Impact sur la médecine officielle
L'influence de la Sécurité sociale, dans le domaine médical, a des
conséquences dramatiques. La principale loi de toute activité économique
libre et librement consentie repose sur la loi de l'offre et de la
demande, c'est-à-dire sur un équilibre de satisfaction entre les parties
contractantes. Or, le caractère monopolistique de la Sécurité sociale
implique une modification forcée, voire une dénaturation de cette loi.
En effet, la Sécurité sociale établit trois contraintes arbitraires,
sans aucune relation avec le marché, qui ont une influence sur la
qualité de la médecine et des soins :
L'établissement du montant des consultations et du nombre d'actes médicaux
L'établissement du montant des cotisations
L'établissement du montant des remboursements
Ces trois contraintes ont entraîné une dégradation de la qualité de
la médecine, pouvant mettre en danger la vie des patients.
Le professeur Cabrol, dans une des émissions de REICHMANTV, a établi le
lien entre les contraintes administratives et charges financières trop
importantes imputées aux médecins, d'une part, et la dégradation de la
qualité des actes médicaux, d'autre part, alors que le savoir-faire
médical français est remarquable (opération à cœur ouvert). Ces charges
(CSG, CRDS, URSSAF, AGIRC, ARCCO), et ces surveillances administratives
ont empêché les médecins d'investir, de moderniser leur matériel, et de
diriger des centres de formation. Ce qui a entraîné une multiplication
d'erreurs médicales, en raison du manque de moyens alloués par les
médecins dans ces domaines. En outre, le numerus clausus, imposé
apparemment pour des raisons comptables, a provoqué la diminution du
nombre de médecins. Le vieillissement de la population et les demandes
croissantes de prestations médicales relatives à cet état ont entraîné
un accroissement d'actes médicaux de médecins de moins en moins
nombreux. Des pénalités de plus en plus fortes sont adressées par les
URSSAF, en raison du dépassement d'actes médicaux entraînant, de fait,
un cercle vicieux qui, non seulement détruit l'idée d'une médecine
correctement appliquée, mais crée aussi une fragilisation de soin pour
la population.
Autrement dit, la Sécurité sociale, en raison de son caractère
monopolistique, et donc en raison des décisions faisant abstraction du
marché, a fragilisé le tissu médical établi en France. Le lien existe
entre l'abrogation du monopole de la Sécurité sociale, la restauration
des caractéristiques de l'exercice d'une médecine libre et
perfectionnée, et une qualité de soin exigée par les patients.
Impact sur la médecine alternative
La Sécurité sociale a aussi un impact sur la médecine alternative.
Que l'on y croit ou pas, le choix d'y recourir devrait être du ressort
des individus, et non de décisions de la Sécurité sociale. Pourtant,
compte tenu de ce qui précède, la Sécurité sociale empêche donc le libre
soin des patients (autrement dit, le libre choix des médicaments), en
raison des prix de remboursement des médicaments fixés à l'avance sans
tenir compte de la loi de l'offre et de la demande et sans tenir compte non plus des attentes véritables des patients, ni de leurs problèmes avérés.
Pierre Lance
a dénoncé cette entrave à la liberté de soin et de recherche
scientifique et médicale, dans ses ouvrages constituant les quatre tomes
Savants maudits, Chercheurs exclus. De même, Sophie Chervet, dans Enquête sur un survivant illégal : l'Affaire Gérard Weidlich, ou Monique et Mirko Beljanski, dans La santé confisquée et dans Chronique d'une fatwa scientifique (collection Guy Trédaniel).
Dans ces différents ouvrages, il est ainsi montré que ces
différents faits se sont principalement déroulés en France, liés, d'une
certaine façon au monopole de la Sécurité sociale, laquelle est d'une
certaine manière impliquée dans les procédures lourdes d'AMM
(Autorisation de Mise sur le Marché), puisqu'elle fixe arbitrairement
les prix des remboursements des frais médicaux, les montants des
cotisations et les montants des honoraires des médecins, interdisant le
libre exercice de la recherche médicale et de la profession de médecin.
La réglementation trop lourde et trop contraignante contribue, en outre
et en effet, à détruire toute recherche scientifique et médicale et le
libre exercice de la médecine, et ce, dans n'importe quel domaine que ce
soit.
Ce que coûte véritablement la Sécurité sociale
Le coût de la Sécurité sociale pour l'économie française et surtout
pour les Français est largement sous-estimé dans l'esprit de chacun, de
par la structure « cachée » des cotisations sociales, entre cotisations
patronales, salariales, etc. En moyenne, un salarié reçoit, avant même le paiement de l'impôt sur le revenu, la moitié de ce que son employeur a payé (ou salaire complet). L'autre moitié correspond à la Sécurité sociale au sens large, entre maladie, retraites, prévoyance, etc.
Différentes études ont été réalisées pour chiffrer plus précisément ces impacts, par exemple Georges Lane : La Sécurité sociale et comment s'en sortir[3]. Étude prolongée dans une monographie pour Contribuables Associés : « Combien nous coûte, à vous et à moi, la Sécurité sociale ? »[2].
Dans une autre étude, Claude Reichman et Gérard Pince ont chiffré le coût de la Sécurité sociale pour une famille de la classe moyenne[4] :
en supposant que les cotisations payées à la Sécurité sociale aient été
versées à la famille et placées, elles auraient représenté 1,8 million
d'euros, soit largement plus que les prestations versées par la Sécurité
sociale.
Dans ces études, Claude Reichman, Gérard Pince et Georges Lane
montrent qu'effectivement, le coût des cotisations de Sécurité sociale
devient démesurément élevé, non seulement par rapport aux revenus et aux
salaires, mais aussi par rapport aux remboursements auxquels les
personnes peuvent prétendre, en raison, effectivement, de la qualité de
prestation médicale de « service ». Ces études montrent aussi que c'est
le système de la répartition,
origine de ce surcoût, qui est aussi un facteur d'appauvrissement,
puisqu'il faut financer toutes les branches de la Sécurité sociale, avec
les coûts non seulement à court terme, mais aussi à moyen terme et à
long terme. Avec des caisses de Sécurité sociale et de retraite privées,
ces coûts seraient trois à quatre fois inférieurs à ceux générés par la
Sécurité sociale.
La Sécurité sociale, frein à l'exportation
Si l'on admet que les salaires sont un facteur de coût très important
pour les entreprises, en raison du poids très lourd des cotisations
sociales (patronales et salariales), il ne faut pas oublier les données
fondamentales de l'entreprise et donc il faut remonter au bilan (actif
et passif) de l'entreprise.
Le bilan des entreprises françaises montre que les charges, taxes et impôts sont très lourds :
Charges sociales (patronales et salariales) environ 50 % de la fiche de paie
Taxes et impôts fonciers
Taxes professionnelles
Impôts sur les bénéfices ou Impôt sur les sociétés
TIPP( Taxe Intérieure Produits Pétroliers) 80 % du prix du carburant
qui s'ajoutent aux dettes, aux amortissements et aux intérêts des
dettes que l'entreprise doit payer lors des achats de locaux et de
machines.
Ces éléments très défavorables rendent les entreprises françaises
beaucoup moins compétitives que les entreprises étrangères au sein de
l'Union européenne, avec des difficultés beaucoup plus importantes à
exporter. En effet, pour l'année 2007, le déficit commercial en France
est de 41 milliards d'euros, alors que l’excédent commercial, en
Allemagne, est de 200 milliards d'euros. Or, depuis que les directives
européennes 92/49/CEE, 92/50/CEE et 92/96/CEE (mettant en œuvre l'Abrogation du monopole de la Sécurité sociale)
ont été correctement appliquées au sein de l'Union européenne, les
entreprises étrangères ont, effectivement, enregistré des résultats
supérieurs à ceux enregistrés en France.
Il existe une relation entre l'Abrogation du monopole de la Sécurité sociale, la croissance économique d'un pays et le facteur d'excédent ou de déficit commercial de ce pays. En effet, lorsque l'Abrogation du monopole de la Sécurité sociale
a bien été appliquée, dans un État-nation de l'Union européenne, les
entreprises ont vu se modifier les caractéristiques de leur bilan de
telle sorte que les sommes qui étaient utilisées pour le système de
protection sociale du pays en question ont été transférées vers les
postes de recherche, de développement et d'investissement, en vue de la
croissance de ces entreprises. Cela entraîne la croissance économique du
pays et permet à ces entreprises de conquérir des parts de marché, ce
qui se traduit par des excédents commerciaux. Autrement dit, la non
application de l'Abrogation du monopole de la Sécurité sociale
entraîne, par un raisonnement identique, un effondrement chronique de
la compétitivité des entreprises et donc des déficits commerciaux de
plus en plus importants.