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novembre 16, 2025

L'incohérence intellectuelle du conservatisme par Hans-Hermann Hoppe

L'incohérence intellectuelle du conservatisme

Le conservatisme moderne, aux États-Unis et en Europe, est confus et déformé. Sous l'influence de la démocratie représentative et avec la transformation des États-Unis et de l'Europe en démocraties de masse après la Première Guerre mondiale, le conservatisme, autrefois force idéologique anti-égalitaire, aristocratique et anti-étatique, s'est mué en un mouvement d'étatistes culturellement conservateurs : l'aile droite des socialistes et des sociaux-démocrates. 
 

 
 La plupart des conservateurs contemporains autoproclamés s'inquiètent, à juste titre, du déclin de la famille, du divorce, des naissances hors mariage, de la perte d'autorité, du multiculturalisme, de la désintégration sociale, du libertinage sexuel et de la criminalité. Ils perçoivent tous ces phénomènes comme des anomalies et des déviations de l'ordre naturel, ou de ce que l'on pourrait appeler la normalité. 
 
Cependant, la plupart des conservateurs contemporains (du moins la plupart des porte-parole de l'establishment conservateur) soit ne reconnaissent pas que leur objectif de rétablissement de la normalité exige les changements sociaux anti-étatiques les plus drastiques, voire révolutionnaires, soit (s'ils en sont conscients) ils trahissent de l'intérieur le programme culturel du conservatisme afin de promouvoir un programme entièrement différent.

Que cela soit largement vrai pour les soi-disant néoconservateurs ne nécessite pas d'explications supplémentaires. En effet, en ce qui concerne leurs dirigeants, on peut supposer que la plupart appartiennent à cette dernière catégorie. Ils ne se soucient guère des questions culturelles, mais reconnaissent devoir jouer la carte du conservatisme culturel pour ne pas perdre le pouvoir et promouvoir leur objectif, tout autre, de social-démocratie mondiale.<sup>1</sup> Le caractère fondamentalement étatiste du néoconservatisme américain se résume parfaitement dans une déclaration d'Irving Kristol, l'un de ses principaux défenseurs intellectuels : 
 
« Le principe fondamental d'un État-providence conservateur devrait être simple : dans la mesure du possible, les individus devraient pouvoir conserver leur propre argent – ​​plutôt que de le voir transféré (par le biais des impôts) à l'État – à condition qu'ils l'utilisent à des fins bien définies.» (<i>Two Cheers for Capitalism</i> [New York : Basic Books, 1978], p. 119) 
 
Ce point de vue est essentiellement identique à celui des sociaux-démocrates européens modernes, post-marxistes. Ainsi, le Parti social-démocrate allemand (SPD), par exemple, adopta dans son programme de Godesberg de 1959 la devise « autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ». 
 
Une seconde branche, plus ancienne mais aujourd’hui presque indiscernable de la précédente, du conservatisme américain contemporain est représentée par le nouveau conservatisme (d’après-guerre) lancé et promu, avec l’aide de la CIA, par William Buckley et sa revue National Review. Alors que l’ancien conservatisme américain (d’avant-guerre) se caractérisait par des positions résolument anti-interventionnistes en matière de politique étrangère, le nouveau conservatisme de Buckley se distingue par son militarisme exacerbé et sa politique étrangère interventionniste.
 
Dans un article intitulé « Le point de vue d'un jeune républicain », publié dans Commonweal le 25 janvier 1952, trois ans avant le lancement de sa National Review, Buckley résumait ainsi ce qui allait devenir le nouveau credo conservateur : face à la menace soviétique, « nous [les nouveaux conservateurs] devons accepter un État omniprésent pour la durée du conflit, car aucune guerre offensive ni défensive ne peut être menée… autrement que par le biais d'une bureaucratie totalitaire sur notre territoire.» 
 
Les conservateurs, écrivait Buckley, avaient le devoir de promouvoir « les lois fiscales étendues et productives nécessaires au soutien d'une politique étrangère anticommuniste vigoureuse », ainsi que « les armées et les forces aériennes importantes, l'énergie atomique, les services de renseignement centraux, les commissions de production de guerre et la centralisation du pouvoir à Washington qui en découle.» 
 
 Sans surprise, depuis l'effondrement de l'Union soviétique à la fin des années 1980, cette philosophie est restée fondamentalement inchangée. Aujourd'hui, le maintien et la préservation de l'État-providence et de l'État-militant américain sont tout simplement justifiés et encouragés par les néoconservateurs et les nouveaux conservateurs, qui invoquent d'autres ennemis et dangers étrangers : la Chine, le fondamentalisme islamique, Saddam Hussein, les « États voyous » et la menace du « terrorisme mondial ». 
 
Cependant, il est également vrai que de nombreux conservateurs sont sincèrement préoccupés par la désintégration ou le dysfonctionnement de la famille et le déclin culturel. Je pense ici en particulier au conservatisme représenté par Patrick Buchanan et son mouvement. Le conservatisme de Buchanan n'est en rien aussi différent de celui de l'establishment du Parti républicain conservateur que lui et ses partisans le croient. Sur un point décisif, leur conception du conservatisme rejoint pleinement celle de l'establishment conservateur : tous deux sont étatistes. Ils divergent quant aux mesures à prendre pour rétablir la normalité aux États-Unis, mais ils s'accordent sur le fait que cela doit être fait par l'État. On ne trouve chez aucun des deux la moindre trace d'anti-étatisme de principe.
 
Permettez-moi d'illustrer mon propos en citant Samuel Francis, l'un des principaux théoriciens et stratèges du mouvement buchananiste. Après avoir déploré la propagande « anti-blanche » et « anti-occidentale », le « laïcisme militant, l'égoïsme avide de profit, le mondialisme économique et politique, la croissance démographique et le centralisme étatique débridé », il expose un nouvel esprit, celui de « l'Amérique d'abord », qui « implique non seulement de privilégier les intérêts nationaux à ceux des autres nations et à des abstractions telles que le "leadership mondial", l'"harmonie mondiale" et le "Nouvel Ordre Mondial", mais aussi de donner la priorité à la nation sur la satisfaction des intérêts individuels et infranationaux ». 
 
Comment propose-t-il de remédier au problème de la dégénérescence morale et du déclin culturel ? Il ne reconnaît pas que, par nature, l'éducation ne relève pas de l'État. L'éducation est pour lui une affaire entièrement familiale et devrait être produite et diffusée dans le cadre d'accords coopératifs, au sein de l'économie de marché. 
 
De plus, on ne reconnaît pas que la dégénérescence morale et le déclin culturel ont des causes plus profondes et ne peuvent être guéris par de simples changements de programmes scolaires imposés par l'État, ni par des exhortations et des discours. Au contraire, François propose que le redressement culturel – le retour à la normale – puisse être réalisé sans changement fondamental de la structure de l'État-providence moderne. En effet, Buchanan et ses idéologues défendent explicitement les trois institutions centrales de l'État-providence : la sécurité sociale, l'assurance maladie et les allocations chômage. Ils souhaitent même étendre les responsabilités « sociales » de l'État en lui confiant la tâche de « protéger », par le biais de restrictions nationales à l'importation et à l'exportation, les emplois américains, notamment dans les secteurs d'intérêt national, et de « protéger les salaires des travailleurs américains de la main-d'œuvre étrangère qui doit travailler pour un dollar de l'heure ou moins ».
 
En réalité, les partisans de Buchanan admettent volontiers être étatistes. Ils abhorrent et ridiculisent le capitalisme, le laissez-faire, le libre marché et le commerce, la richesse, les élites et la noblesse ; et ils prônent un nouveau conservatisme populiste – voire prolétarien – qui amalgame conservatisme social et culturel et économie socialiste. Ainsi, poursuit Francis:
 
si la gauche a pu séduire les Américains moyens par ses mesures économiques, elle les a perdus par son radicalisme social et culturel, et si la droite a pu attirer les Américains moyens en invoquant l’ordre public et la défense de la normalité sexuelle, des mœurs et de la religion traditionnelles, des institutions sociales traditionnelles et en faisant appel au nationalisme et au patriotisme, elle les a perdus en ressortant ses vieilles recettes économiques bourgeoises. 
 
Il est donc nécessaire de combiner les politiques économiques de la gauche et le nationalisme et le conservatisme culturel de la droite, afin de créer « une nouvelle identité synthétisant à la fois les intérêts économiques et les loyautés culturelles et nationales de la classe moyenne prolétarisée dans un mouvement politique séparé et unifié ».2 Pour des raisons évidentes, cette doctrine n’est pas ainsi nommée, mais il existe un terme pour ce type de conservatisme : il s’agit du nationalisme social ou du national-socialisme.
 
Quant à la plupart des dirigeants de la soi-disant Droite chrétienne et de la « majorité morale », ils souhaitent simplement remplacer l'élite libérale de gauche actuelle, chargée de l'éducation nationale, par une autre, à savoir eux-mêmes. « Depuis Burke », a critiqué Robert Nisbet, « il est devenu un précepte conservateur et un principe sociologique, depuis Auguste Comte, que le moyen le plus sûr d'affaiblir la famille, ou tout groupe social vital, est que l'État s'approprie, puis monopolise, les fonctions historiques de la famille. » À l'inverse, une grande partie de la droite américaine contemporaine « s'intéresse moins aux immunités burkéennes face au pouvoir gouvernemental qu'à la concentration maximale du pouvoir gouvernemental entre les mains de ceux en qui l'on peut avoir confiance. C'est le contrôle du pouvoir, et non sa réduction, qui prime. » 
 
 Je ne m'attarderai pas ici sur la question de savoir si le conservatisme de Buchanan jouit d'une popularité importante ni si son analyse de la politique américaine est sociologiquement juste. Je doute que ce soit le cas, et le sort de Buchanan lors des primaires présidentielles républicaines de 1995 et 2000 ne semble pas le contredire. Je souhaite plutôt aborder des questions plus fondamentales : à supposer que cette approche exerce un tel attrait, c’est-à-dire à supposer que le conservatisme culturel et l’économie socialiste puissent être psychologiquement compatibles (en d’autres termes, que l’on puisse adhérer simultanément à ces deux idées sans dissonance cognitive), peuvent-ils également être combinés efficacement et concrètement (économiquement et praxéologiquement) ? Est-il possible de maintenir le niveau actuel de socialisme économique (sécurité sociale, etc.) et d’atteindre l’objectif de restaurer la normalité culturelle (familles traditionnelles et règles de conduite normales) ? 
 
Buchanan et ses théoriciens n’éprouvent pas le besoin de soulever cette question, car ils considèrent la politique comme une simple affaire de volonté et de pouvoir. Ils ne croient pas à l’existence de lois économiques. Si les gens désirent quelque chose suffisamment et qu’on leur donne le pouvoir de le faire, tout est possible. L’« économiste autrichien décédé » Ludwig von Mises, auquel Buchanan faisait référence avec mépris lors de ses campagnes présidentielles, qualifiait cette croyance d’« historicisme », la posture intellectuelle des Kathedersozialisten allemands, les socialistes universitaires de la Chaire, qui justifiaient toutes les mesures étatiques.
 
Mais le mépris historiciste et l'ignorance de l'économie ne changent rien à l'existence inéluctable des lois économiques. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre, par exemple. Ce que l'on consomme aujourd'hui ne pourra plus être consommé demain. Produire davantage d'un bien implique nécessairement de produire moins d'un autre. Nul ne saurait faire disparaître ces lois. Croire le contraire ne peut mener qu'à l'échec. « En réalité », notait Mises, « l'histoire économique est un long récit de politiques gouvernementales qui ont échoué parce qu'elles ont été conçues au mépris des lois de l'économie. »³ 
 
À la lumière de ces lois économiques élémentaires et immuables, le programme de nationalisme social prôné par Buchanan n'est qu'un rêve audacieux, mais irréalisable. Nul ne saurait nier que le maintien des institutions fondamentales de l'État-providence actuel et le désir de revenir aux familles, aux normes, aux comportements et à la culture traditionnels sont des objectifs incompatibles. On peut avoir l'un – le socialisme (l'État-providence) – ou l'autre – la morale traditionnelle – mais pas les deux, car l'économie social-nationaliste, pilier du système actuel d'État-providence que Buchanan souhaite préserver, est précisément la cause des anomalies culturelles et sociales. 
 
Pour clarifier ce point, il suffit de rappeler l'une des lois fondamentales de l'économie : toute redistribution obligatoire des richesses ou des revenus, quels que soient les critères sur lesquels elle repose, implique de prendre à certains – ceux qui possèdent quelque chose – pour le donner à d'autres – ceux qui ne possèdent rien. De ce fait, l'incitation à posséder diminue, et celle à ne pas posséder augmente. Ce que possède le premier est généralement considéré comme « bon », et ce qui manque au second est perçu comme « mauvais » ou comme une carence. C'est d'ailleurs l'idée même qui sous-tend toute redistribution : certains ont trop de biens et d'autres pas assez. Toute redistribution a pour conséquence de produire moins de bien et de plus en plus de mal, moins de perfection et plus d'imperfections. Subventionner les pauvres par l'impôt (argent prélevé sur les autres) ne fera qu'accroître la pauvreté (ce qui est néfaste). Subventionner les chômeurs ne fera qu'augmenter le chômage (ce qui est néfaste). Subventionner les mères célibataires ne fera qu'accroître le nombre de mères célibataires et de naissances hors mariage (ce qui est néfaste), etc.
 
De toute évidence, cette observation fondamentale s'applique à l'ensemble du système de prétendue sécurité sociale mis en place en Europe occidentale (à partir des années 1880) et aux États-Unis (depuis les années 1930) : une « assurance » publique obligatoire contre la vieillesse, la maladie, les accidents du travail, le chômage, l'indigence, etc. Conjuguée au système encore plus ancien d'enseignement public obligatoire, cette institution et ces pratiques constituent une attaque massive contre la famille et la responsabilité individuelle. 
 
En dispensant les individus de l'obligation de subvenir à leurs propres besoins (revenus, santé, sécurité, vieillesse et éducation des enfants), on réduit la portée et l'horizon temporel de l'autonomie financière, et on dévalorise le mariage, la famille, les enfants et les liens de parenté. L'irresponsabilité, le manque de clairvoyance, la négligence, la maladie et même le destructivisme (les méfaits) sont encouragés, tandis que la responsabilité, la prévoyance, la diligence, la santé et la prudence (les biens) sont sanctionnées. 
 
Le système d'assurance vieillesse obligatoire, qui subventionne les retraités grâce aux impôts prélevés sur les jeunes actifs, a systématiquement affaibli le lien intergénérationnel naturel entre parents, grands-parents et enfants. Les personnes âgées n'ont plus besoin de compter sur l'aide de leurs enfants si elles n'ont pas prévu leur propre retraite ; et les jeunes (généralement moins fortunés) doivent subvenir aux besoins des personnes âgées (généralement plus aisées), et non l'inverse, comme c'est souvent le cas au sein des familles. 
 
Par conséquent, non seulement les gens souhaitent avoir moins d'enfants – et de fait, le taux de natalité a diminué de moitié depuis la mise en place des politiques modernes de protection sociale –, mais le respect que les jeunes portaient traditionnellement aux aînés s'est également amoindri, et tous les indicateurs de désintégration et de dysfonctionnement familial, tels que les taux de divorce, de naissances hors mariage, de maltraitance infantile, de violence parentale, de violence conjugale, de familles monoparentales, de célibat, de modes de vie alternatifs et d'avortement, ont augmenté.
 
De plus, la socialisation du système de santé par le biais d'institutions telles que Medicaid et Medicare, ainsi que la réglementation du secteur des assurances (en limitant le droit de refus des assureurs – c'est-à-dire leur capacité à exclure tout risque individuel comme non assurable et à discriminer librement, selon des méthodes actuarielles, entre différents groupes de risques), ont mis en branle un mécanisme monstrueux de redistribution des richesses et des revenus. Ce mécanisme se fait au détriment des individus responsables et des groupes à faible risque, au profit des acteurs irresponsables et des groupes à haut risque. Les subventions accordées aux malades, aux personnes en mauvaise santé et aux personnes handicapées engendrent la maladie et l'invalidité, et affaiblissent la motivation à travailler pour gagner sa vie et à mener une vie saine. On ne saurait mieux faire que de citer à nouveau l'économiste autrichien Ludwig von Mises : 
 
 « Être malade n'est pas un phénomène indépendant de la volonté consciente… L'efficacité d'un homme ne résulte pas uniquement de sa condition physique ; elle dépend largement de son esprit et de sa volonté… » L’aspect destructeur de l’assurance accident et maladie réside avant tout dans le fait que ces institutions favorisent les accidents et les maladies, entravent la guérison et, très souvent, créent, ou du moins intensifient et prolongent, les troubles fonctionnels consécutifs à une maladie ou un accident… Se sentir en bonne santé est bien différent d’être en bonne santé au sens médical du terme… En affaiblissant, voire en détruisant complètement, la volonté d’être en bonne santé et apte au travail, l’assurance sociale engendre la maladie et l’incapacité de travail ; elle produit l’habitude de se plaindre – ce qui est en soi une névrose – et d’autres névroses… En tant qu’institution sociale, elle rend une population malade physiquement et mentalement, ou du moins contribue à multiplier, prolonger et intensifier la maladie… L’assurance sociale a ainsi fait de la névrose de l’assuré une dangereuse maladie publique. Si l’institution est étendue et développée, la maladie se propagera. Aucune réforme ne peut y remédier. On ne peut affaiblir ou détruire la volonté de rester en bonne santé sans engendrer la maladie.⁴ 
 
Je ne souhaite pas exposer ici l’absurdité économique de l’idée, encore plus radicale, de Buchanan et de ses théoriciens, de politiques protectionnistes (visant à protéger les salaires américains). S'ils avaient raison, leur argument en faveur du protectionnisme économique reviendrait à condamner tout commerce et à défendre l'idée que chaque famille serait mieux lotie si elle ne commerçait jamais avec personne. Dans ce cas, personne ne risquerait de perdre son emploi et le chômage dû à une concurrence « déloyale » serait ramené à zéro.
 
Pourtant, une telle société de plein emploi ne serait ni prospère ni forte ; elle serait composée de personnes (de familles) qui, malgré un travail acharné du matin au soir, seraient condamnées à la pauvreté et à la famine. Le protectionnisme international de Buchanan, bien que moins destructeur qu'une politique de protectionnisme interpersonnel ou interrégional, aboutirait exactement au même résultat. Il ne s'agit pas de conservatisme (les conservateurs souhaitent que les familles soient prospères et fortes), mais de destructionnisme économique. 
 
Quoi qu'il en soit, il devrait désormais être clair que la plupart, sinon la totalité, de la dégénérescence morale et du déclin culturel – signes de décivilisation – qui nous entourent sont les conséquences inéluctables de l'État-providence et de ses institutions fondamentales. Les conservateurs classiques, à l'ancienne, le savaient et s'opposaient farouchement à l'instruction publique et à la sécurité sociale. Ils savaient que les États, partout dans le monde, cherchaient à démanteler, voire à détruire, les familles, les institutions, les strates et les hiérarchies d'autorité qui découlent naturellement des communautés familiales, afin d'accroître et de renforcer leur propre pouvoir. Ils savaient que, pour ce faire, les États devraient exploiter la rébellion naturelle des adolescents contre l'autorité parentale. Et ils savaient que l'éducation et la responsabilisation socialisées étaient les moyens d'atteindre cet objectif. 
 
L'éducation et la sécurité sociales offrent aux jeunes rebelles la possibilité d'échapper à l'autorité parentale (et de persister dans leurs écarts de conduite). Les conservateurs de la vieille école savaient que ces politiques émanciperaient l'individu de la discipline familiale et communautaire pour le soumettre au contrôle direct et immédiat de l'État. 
 
De plus, ils savaient, ou du moins pressentaient, que cela conduirait à une infantilisation systématique de la société – une régression émotionnelle et mentale de l'âge adulte à l'adolescence, voire à l'enfance.
 
À l'inverse, le conservatisme populiste-prolétarien de Buchanan – le nationalisme social – témoigne d'une ignorance totale de ces enjeux. Concilier conservatisme culturel et État-providence est impossible, et donc économiquement absurde. L'État-providence – la sécurité sociale sous toutes ses formes – engendre le déclin et la dégénérescence morale et culturelle. Par conséquent, si l'on se préoccupe réellement de la décadence morale de l'Amérique et que l'on souhaite restaurer la normalité au sein de la société et de la culture, il faut s'opposer à tous les aspects de l'État-providence moderne. Un retour à la normale exige ni plus ni moins que la suppression pure et simple du système actuel de sécurité sociale : assurance chômage, sécurité sociale, Medicare, Medicaid, éducation publique, etc. – et donc la dissolution et la déconstruction quasi complètes de l'appareil d'État et du pouvoir gouvernemental. Si l'on veut un jour rétablir la normalité, les fonds et le pouvoir de l'État doivent diminuer jusqu'à atteindre, voire diminuer, leur niveau du XIXe siècle. Dès lors, les véritables conservateurs doivent être des libertariens intransigeants (anti-étatiques). Le conservatisme de Buchanan est fallacieux : il prône un retour à la morale traditionnelle tout en défendant le maintien des institutions mêmes qui sont responsables de sa destruction. 
 
La plupart des conservateurs contemporains, notamment les chouchous des médias, ne sont donc pas des conservateurs, mais des socialistes – soit internationalistes (les néoconservateurs, partisans d’un État interventionniste et social-démocrate mondialiste), soit nationalistes (les populistes buchananiens). Les véritables conservateurs doivent s’opposer aux deux. Pour restaurer les normes sociales et culturelles, les vrais conservateurs ne peuvent être que des libertariens radicaux, et ils doivent exiger la démolition – en tant que perversion morale et économique – de toute la structure de l’État interventionniste. 
 
Publié initialement en mars 2005.
 

 
1. Sur le conservatisme américain contemporain, voir notamment Paul Gottfried, <i>The Conservative Movement</i>, éd. rév. (New York : Twayne Publishers, 1993) ; George H. Nash, <i>The Conservative Intellectual Movement in America</i> (New York : Basic Books, 1976) ; Justin Raimondo, <i>Reclaiming the American Right: The Lost Legacy of the Conservative Movement</i> (Burlingame, Californie : Center for Libertarian Studies, 1993) ; voir également le chapitre 11. 
 
2. Samuel T. Francis, « From Household to Nation: The Middle American populism of Pat Buchanan », <i>Chronicles</i> (mars 1996) : 12-16 ; voir aussi <i>Beautiful Losers: Essays on the Failure of American Conservatism</i> (Columbia : University of Missouri Press, 1993) ; <i>Revolution from the Middle</i> (Raleigh, Caroline du Nord : Middle American Press, 1997).  
 
3Ludwig von Mises, L’action humaine : Traité d’économie, édition pour chercheurs (Auburn, Alabama : Ludwig von Mises Institute, 1998), p. 67. « Les princes et les majorités démocratiques », écrit Mises, « sont ivres de pouvoir. Ils doivent admettre à contrecœur qu’ils sont soumis aux lois de la nature. Mais ils rejettent la notion même de loi économique. Ne sont-ils pas les législateurs suprêmes ? N’ont-ils pas le pouvoir d’écraser tout opposant ? Aucun chef de guerre n’est enclin à reconnaître d’autres limites que celles que lui impose une force armée supérieure. Les scribouillards serviles sont toujours prêts à encourager cette suffisance en exposant les doctrines appropriées. Ils appellent leurs présomptions confuses « économie historique ». » 
 
4Ludwig von Mises, Le socialisme : Analyse économique et sociologique (Indianapolis, Indiana : Liberty Fund, 1981), p. 43, 1-32.
 

 

 

 

 

octobre 08, 2025

Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d'État !!

L’Amérique tourne discrètement vers le capitalisme d’État

Au cours des dernières années, les États-Unis, traditionnellement considérés comme le bastion du capitalisme libéral et du libre marché, ont opéré un virage subtil mais significatif vers une forme de capitalisme d’État. Ce phénomène, souvent qualifié de « silencieux », se manifeste par une intervention accrue du gouvernement fédéral dans l’économie, particulièrement dans des secteurs stratégiques comme la technologie, l’énergie et la défense. Bien que ce changement ne soit pas officiellement proclamé, il reflète une réponse aux défis géopolitiques mondiaux, notamment la concurrence avec la Chine, et aux crises internes telles que la délocalisation industrielle et les inégalités économiques.

 


 

Ce tournant n’est pas une rupture radicale avec le modèle américain, mais plutôt une hybridation où l’État utilise des outils économiques pour orienter les investissements privés vers des objectifs nationaux.

Inspiré par des analyses récentes, comme celles publiées par l’International Institute for Strategic Studies (IISS), cet article explore les mécanismes de cette évolution, ses implications et ses perspectives futures.

Les signes d’une intervention étatique croissante

Le capitalisme d’État se définit par un rôle actif de l’État dans la direction de l’économie, sans pour autant nationaliser les moyens de production. Aux États-Unis, cela se traduit par des politiques interventionnistes initiées sous les administrations récentes, tant démocrates que républicaines.

Sous la présidence de Joe Biden, des lois phares comme le CHIPS and Science Act (2022) et l‘Inflation Reduction Act (IRA, 2022) illustrent parfaitement cette tendance. Le CHIPS Act alloue plus de 50 milliards de dollars pour relancer la production de semi-conducteurs sur le sol américain, en subventionnant des entreprises comme Intel et TSMC. L’objectif est clair : réduire la dépendance vis-à-vis de Taïwan et contrer l’ascension technologique chinoise. De même, l’IRA injecte des centaines de milliards dans les énergies renouvelables, favorisant des industries vertes tout en imposant des critères « Buy American » pour privilégier les chaînes d’approvisionnement nationales.

Ces mesures ne sont pas isolées. L’administration Trump avait déjà imposé des tarifs douaniers sur les importations chinoises, une politique protectionniste prolongée par Biden. Plus récemment, en 2025, des restrictions sur les investissements américains en Chine dans des secteurs sensibles comme l’intelligence artificielle et les biotechnologies renforcent cette orientation.

Washington utilise ainsi des leviers comme les subventions, les incitations fiscales et les régulations pour guider les capitaux privés vers des priorités stratégiques.

Les racines historiques et géopolitiques

Ce virage n’est pas inédit dans l’histoire américaine. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’État fédéral est massivement intervenu dans l’industrie via le War Production Board, transformant des usines automobiles en producteurs d’armement. De même, pendant la Guerre froide, des programmes comme le Space Race ont vu l’État financer des innovations technologiques, donnant naissance à des géants comme Boeing ou Lockheed Martin.

 


 

Aujourd’hui, le contexte géopolitique est dominé par la rivalité sino-américaine. La Chine, avec son modèle de capitalisme d’État dirigé par le Parti communiste, a démontré l’efficacité d’une économie planifiée dans des domaines comme les véhicules électriques et les semi-conducteurs.

Face à cela, les États-Unis adoptent une approche similaire, mais adaptée à leur système démocratique : un « industrial policy » qui mélange marché et intervention publique.

Des experts soulignent que cette stratégie vise à préserver la suprématie technologique américaine, essentielle pour la sécurité nationale.

Cependant, ce tournant soulève des débats. Les critiques libéraux craignent une distorsion du marché, où l’État choisit les « gagnants » au détriment de l’innovation libre. À l’inverse, les partisans arguent que dans un monde multipolaire, le laissez-faire pur est obsolète.

Implications économiques et politiques

Économiquement, cette évolution pourrait revitaliser des régions industrielles délaissées, comme le Rust Belt, en créant des emplois dans les technologies avancées. Par exemple, des usines de batteries pour véhicules électriques financées par l’IRA émergent dans des États comme le Michigan et la Géorgie. Pourtant, les coûts sont élevés : ces subventions augmentent le déficit budgétaire et pourraient entraîner des bulles spéculatives si elles sont mal gérées.

Politiquement, ce capitalisme d’État renforce le pouvoir exécutif, avec des agences comme le Département du Commerce jouant un rôle accru dans les décisions industrielles.

Cela pourrait mener à une polarisation accrue, les républicains accusant les démocrates de « socialisme », tandis que les progressistes poussent pour plus d’interventions sociales.

Sur la scène internationale, les États-Unis influencent leurs alliés, comme l’Europe avec son propre Green Deal, à adopter des politiques similaires. Cela pourrait redessiner les alliances économiques, favorisant un bloc occidental face à la Chine et à la Russie.

Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d’État marque une adaptation pragmatique à un monde en mutation. En fusionnant le dynamisme du secteur privé avec la vision stratégique de l’État, Washington cherche à maintenir sa position dominante. Toutefois, ce modèle hybride doit naviguer entre efficacité et risques de bureaucratisation. À l’horizon 2030, il sera crucial d’évaluer si cette approche renforce ou érode les fondements du rêve américain. Comme l’indiquent des analyses expertes, ce n’est pas une révolution, mais une évolution nécessaire dans un paysage géoéconomique compétitif.

https://multipol360.com/lamerique-tourne-discretement-vers-le-capitalisme-detat/ 

 


 

 Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d'État
L'intervention croissante de Washington dans le monde des entreprises américaines marque un virage vers un capitalisme davantage influencé par l'État, qui allie pouvoir commercial et influence politique. 

Les relations entre le gouvernement américain et les entreprises américaines connaissent actuellement une profonde transformation. Sous la deuxième administration du président Donald Trump, Washington abandonne sa position traditionnelle en faveur du libre marché au profit d'un modèle plus interventionniste où le respect des objectifs de sécurité nationale est de plus en plus monétisé. Cette approche en pleine évolution comprend certains éléments du capitalisme dirigé par l'État, tel qu'il est pratiqué dans des pays comme la Chine et la Russie. Ce changement est remarquable en ce qu'il n'est pas motivé par une crise économique ou une nécessité en temps de guerre, mais par l'objectif de générer des revenus et de réaffirmer délibérément le contrôle politique sur des secteurs stratégiques.

Approche transactionnelle
Au cours des derniers mois, l'administration a pris des mesures extraordinaires pour s'implanter dans le secteur privé. Le gouvernement a acquis une « action privilégiée » dans U.S. Steel comme condition pour approuver son acquisition par la société japonaise Nippon Steel. Trump a conclu un accord avec Nvidia et Advanced Micro Devices, délivrant des licences d'exportation en échange de 15 % des revenus liés à la Chine provenant des ventes de puces H20 de ces sociétés. En juillet, le Pentagone a acheté une participation de 15 % dans MP Materials, une importante société d'extraction de terres rares, devenant ainsi son principal actionnaire. Plus récemment, en août, l'administration a pris une participation de 10 % dans Intel, un fabricant de puces évalué à 8,9 milliards de dollars, marquant l'une des interventions les plus importantes du gouvernement américain dans une entreprise privée depuis le sauvetage de l'industrie automobile mis en œuvre à la suite de la grande crise financière de 2008.


Ces accords de type « pay-to-play » reflètent l'approche de plus en plus transactionnelle de l'administration américaine à l'égard des entreprises américaines, une approche qui remet en question les fondements du système américain traditionnellement axé sur le marché. Elle brouille la frontière entre la surveillance réglementaire et la négociation commerciale. Ces accords reposent souvent sur des bases juridiques fragiles, avec peu de contrôle ou de transparence. Pourtant, rares sont les entreprises qui osent défier le gouvernement. Pour beaucoup, ces accords constituent une assurance politique, un moyen d'« acheter la certitude » dans un environnement réglementaire instable. Pour d'autres, il s'agit d'une mesure défensive visant à éviter des pressions plus agressives ou l'exclusion des marchés publics. En effet, les entreprises paient pour éviter des conséquences plus graves. Ces accords de contrepartie pourraient servir de modèles pour une application plus large dans des secteurs stratégiques, des discussions étant en cours concernant des accords similaires pour les entrepreneurs du secteur de la défense.

Les nuances du capitalisme d'État
Deux modèles d'intervention étatique semblent émerger. Le premier modèle, souvent qualifié de « capitalisme patriotique », considère les entreprises ou les secteurs comme des champions nationaux et des instruments du pouvoir étatique. Dans ce cas, l'État américain se comporte de manière très similaire à son homologue chinois, en intégrant les entreprises dans ses stratégies géopolitiques. Par exemple, en août, Howard Lutnick, secrétaire au Commerce, a qualifié Lockheed Martin de « bras armé du gouvernement américain », car l'entreprise dépend fortement des contrats fédéraux. Dans le cadre de son accord avec MP Materials, le Pentagone acquerra des terres rares à des prix garantis afin de mettre en place une chaîne d'approvisionnement complète en minéraux essentiels aux États-Unis, imitant ainsi largement la tactique nationale chinoise. De même, au début de l'année, le gouvernement américain a annoncé son intention d'investir massivement dans le secteur de la construction navale afin de contrer la domination de la Chine dans ce domaine. Contrairement à la Chine, qui s'appuie sur des subventions massives, l'administration Trump préfère utiliser son pouvoir réglementaire sur les entreprises stratégiques et donner plus de moyens aux institutions soutenues par le gouvernement, telles que l'International Development Finance Corporation. Par exemple, dans le cadre de l'accord avec MP Materials, le ministère de la Défense a obtenu un financement privé d'un milliard de dollars auprès de JPMorgan Chase et Goldman Sachs pour construire une usine de fabrication d'aimants au Texas.

Le deuxième modèle, qui prédomine actuellement, est plus transactionnel et opportuniste : il cible des entreprises telles que Nvidia ou Apple, car elles sont trop grandes ou trop rentables pour ne pas participer. Cela ressemble au système de capitalisme d'État russe, dans lequel les entreprises sont censées partager leurs bénéfices avec l'État en échange d'un accès au marché ou d'une protection. Pour rendre ces accords impossibles à refuser, le gouvernement américain recourt de plus en plus à la guerre juridique, en intentant des poursuites sous divers prétextes. Par exemple, Apple a obtenu une exemption tarifaire en échange d'un engagement d'investissement de 600 milliards de dollars, alors même qu'elle fait l'objet d'une poursuite antitrust du ministère de la Justice pour sa position dominante sur le marché des smartphones.

Le gouvernement peut également utiliser d'autres leviers réglementaires pour faire pression sur les entreprises en leur bloquant l'accès aux marchés publics (le Kremlin privilégie notamment les enquêtes pour détournement de fonds et la rétention des certificats de sécurité incendie). Comme le montre l'exemple russe, il n'existe pas de taxe ponctuelle : les entreprises resteront sous pression, car de nouvelles exigences suivront, souvent dans un contexte de multiplication des poursuites judiciaires.

Accords mondiaux de type « pay-to-play »
Le plus inquiétant est la propagation de ce modèle à l'échelle internationale. L'administration Trump teste déjà des accords internationaux de type « pay-to-play » dans le cadre de ses efforts visant à réorienter le commerce mondial en faveur des États-Unis. Cela crée deux risques distincts : premièrement, que les multinationales – tant américaines qu'étrangères – deviennent des instruments géopolitiques pris entre deux feux entre Pékin, Bruxelles et Washington ; et deuxièmement, que les entreprises américaines exercent activement des pressions sur les gouvernements étrangers pour qu'ils s'alignent sur le programme politique de l'administration.

Les entreprises européennes ayant des liens avec les États-Unis – par le biais de transactions libellées en dollars ou de leur dépendance vis-à-vis du marché et de la technologie américains – sont de plus en plus soumises à des pressions pour se conformer aux contrôles à l'exportation américains. Le Bureau de l'industrie et de la sécurité, qui gère les contrôles à l'exportation américains, a déjà intensifié la pression sur les entreprises des pays alliés. En août, l'administration a retiré les entreprises sud-coréennes Samsung et SK Hynix de la liste des « utilisateurs finaux validés », les privant ainsi de la possibilité d'expédier sans licence des puces et des outils de fabrication de puces fabriqués aux États-Unis depuis la Corée du Sud vers des usines basées en Chine. En septembre, elle a révoqué l'autorisation de licence de la multinationale taïwanaise TSMC (Taiwanese Semiconductor Manufacturing Company). S'il n'est pas nouveau que les États-Unis exercent une pression extraterritoriale sur des entreprises étrangères, il est moins courant que Washington le fasse sur des entreprises clés de pays alliés. Comme dans le cas de l'accord conclu avec Nvidia, les entreprises technologiques européennes pourraient être contraintes de renoncer à des revenus ou d'investir dans les chaînes d'approvisionnement américaines pour éviter des droits de douane secondaires.

 Il existe un risque que les investisseurs chinois puissent accéder à des secteurs sensibles aux États-Unis s'ils concluent le bon accord et offrent un prix suffisamment élevé, malgré la surveillance exercée par le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. Malgré les préoccupations persistantes en matière de sécurité nationale, TikTok, propriété de la société chinoise ByteDance, est de plus en plus utilisé comme monnaie d'échange dans le conflit tarifaire entre les États-Unis et la Chine, l'administration ayant manifesté son intérêt pour l'acquisition d'une participation via un accord de « golden share ». Les entreprises américaines pourraient également être poussées à revenir sur le marché russe si cela sert les objectifs politiques de Trump. Moscou ayant exprimé son souhait de voir Boeing revenir, il est concevable que l'administration fasse pression sur l'entreprise pour qu'elle reprenne ses activités en Russie dans le cadre d'un accord de paix plus large.

En contrepartie, l'approche transactionnelle permet aux entreprises américaines de poursuivre leurs propres intérêts en se ralliant aux objectifs politiques de l'administration Trump. Les frontières entre le public et le privé sont de plus en plus floues. Tirant parti du programme anti-climatique de Trump, certaines entreprises américaines ont exhorté Washington à utiliser les négociations commerciales avec l'Union européenne pour affaiblir la directive de Bruxelles sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises de 2024 (qui impose aux entreprises non européennes de veiller à ce que leurs chaînes d'approvisionnement ne nuisent pas à l'environnement et ne violent pas les droits humains). D'autres pourraient chercher à influencer l'administration sur la loi européenne de 2022 sur les services numériques, qui a déjà eu des répercussions négatives sur les grandes entreprises technologiques américaines. Conscients de l'aspiration de Trump à mettre fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine, les dirigeants d'ExxonMobil ont déjà sollicité le soutien du gouvernement pour un éventuel retour sur le marché russe et auraient reçu un « accueil favorable ».

 Ce à quoi nous assistons n'est pas seulement un changement de politique, mais une transformation systémique de la manière dont le gouvernement américain envisage ses relations avec l'industrie. Le modèle américain traditionnel, dans lequel le marché mène et l'État suit, pourrait céder la place à un nouveau paradigme où le pouvoir économique est politisé et où l'autonomie des entreprises est subordonnée à l'alignement national. S'il reste peu probable que les États-Unis adoptent pleinement le capitalisme d'État, une chose est sûre : les règles d'engagement entre les entreprises et le gouvernement sont en train d'être réécrites, et les implications mondiales commencent seulement à se faire sentir.

Maria Shagina

Senior Fellow, Diamond-Brown Economic Sanctions, Standards and Strategy

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Trump II : l'imposture souverainiste et le triomphe de l'étatisme, par Elise Rochefort

Lors de son investiture en janvier dernier, Donald Trump promettait à l'Amérique un "nouvel âge d'or". Il s'était vendu à l'électorat, et à une partie du monde fascinée par son discours, comme le champion du peuple contre les élites, le rempart souverainiste contre la dissolution mondialiste, et l'homme d'affaires pragmatique qui allait "assécher le marais" de Washington. Un Asselineau ou un Philippot américain au fond.

Dix mois plus tard, le bilan est cinglant. L'Amérique est plongée dans la plus longue paralysie budgétaire de son histoire (36 jours), l'inflation résiste, la Cour Suprême examine la légalité de sa politique commerciale, et un scandale de favoritisme pharmaceutique éclate. Ces crises nous obligent à poser la question fondamentale : Donald Trump est-il vraiment le leader populiste et souverainiste authentique qu'il a "vendu" aux électeurs ?

Pour l'observateur libertarien, la réponse est un non catégorique. Son mandat révèle une réalité bien plus sombre : le triomphe de l'étatisme, du capitalisme de connivence (crony capitalism) et de l'autoritarisme exécutif.

Le protectionnisme : l'économie dirigée par décret

Le cœur de la stratégie "America First" réside dans un protectionnisme agressif. C'est précisément ce qui est contesté aujourd'hui devant la Cour Suprême dans l'affaire Learning Resources v. Trump. L'enjeu dépasse la simple économie ; il est constitutionnel.

Le président utilise une loi d'urgence de 1977 (IEEPA) pour imposer des tarifs douaniers massifs, s'arrogeant de facto le pouvoir de taxation qui appartient explicitement au Congrès. Ici, le souverainisme sert de prétexte à une expansion dangereuse du pouvoir exécutif.

D'un point de vue libertarien, les tarifs douaniers ne sont rien d'autre qu'un impôt déguisé payé par les consommateurs et les entreprises nationales. Loin de libérer les forces du marché, la politique de Trump soumet le commerce international aux caprices du Prince. C'est une forme d'économie planifiée, où la Maison Blanche décide quels secteurs doivent être protégés et lesquels peuvent être sacrifiés. La prétendue défense de l'industrie nationale masque une dérive vers l'arbitraire étatique.

Le "Shutdown" : le mythe du défenseur du peuple

L'image populiste de Trump, celle d'un défenseur de l'homme ordinaire contre la bureaucratie, vole en éclats face à la réalité du "shutdown". Cette lecture, populaire chez certains de ses soutiens en France, est d'une naïveté confondante.

Dans son bras de fer politique, Trump n'hésite pas à prendre en otage 800 000 fonctionnaires fédéraux. Ces agents – contrôleurs aériens, garde-côtes, employés de la sécurité – ne sont pas le "Deep State" fantasmé. Ce sont des travailleurs ordinaires, dont beaucoup sont désormais contraints de travailler sans salaire.

Si Trump souhaitait réellement réduire la taille de l'État – un objectif libertarien louable –, il proposerait des réformes structurelles, pas une asphyxie chaotique. Forcer des individus à travailler sans rémunération n'est pas un acte de bonne gestion ; c'est un acte coercitif typique d'un État qui se croit tout permis. Cela démontre un mépris flagrant pour la sécurité contractuelle et l'État de droit, piliers de la philosophie libertarienne. Ce shutdown ne vise pas à moins d'État, mais à un État plus docile à la volonté présidentielle.

"TrumpRx" : le scandale du capitalisme de connivence

La révélation la plus accablante est sans doute l'accord négocié avec les géants pharmaceutiques Novo Nordisk (Ozempic) et Eli Lilly, révélé par le Wall Street Journal. C'est un cas d'école de ce que les libertariens dénoncent depuis toujours.

Pour obtenir des rabais limités sur les médicaments anti-obésité via une plateforme baptisée "TrumpRx", l'administration s'apprête à commettre un acte de corruption institutionnelle majeur. La contrepartie est exorbitante : l'extension de la couverture de l'assurance publique Medicare à ces médicaments.

Il s'agit d'une trahison absolue des principes de marché libre et de responsabilité fiscale :

  • Expansion massive de l'État-Providence : cela représente des dizaines de milliards de dollars de dépenses publiques nouvelles. Trump, loin de réduire le poids de l'État, l'augmente massivement.
  • Crony Capitalism caractérisé : l'accord enrichit spécifiquement deux entreprises en leur garantissant un marché captif financé par le contribuable. L'État choisit les gagnants, dont une entreprise directement détenue par le Président ! On en reste les bras ballants !
  • Capture réglementaire : l'administration offrirait en prime des faveurs réglementaires (accélération des approbations de la FDA) et prévoit de contourner le Congrès pour imposer cette dépense.

Loin d'"assécher le marais", Trump l'irrigue avec de l'argent public pour favoriser des intérêts privés en échange d'un bénéfice politique personnel. C'est la négation absolue du marché libre.

Conclusion : l'étatiste démasqué

Les faits sont têtus. Le souverainisme de Donald Trump n'est pas synonyme de liberté économique ou de gouvernement limité. C'est un étatisme nationaliste, où le pouvoir centralisé dicte la politique commerciale, intervient dans les marchés pour favoriser ses alliés et méprise les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs.

Les défaites électorales cinglantes subies hier en Virginie, dans le New Jersey et à New York montrent que les Américains commencent à percevoir le décalage entre la rhétorique populiste et la réalité d'une gouvernance erratique et corrompue. Pour ceux qui chérissent la liberté individuelle et la responsabilité fiscale, le mirage de "l'âge d'or" s'est dissipé, laissant place à une forme d'autoritarisme chaotique qui est, en soi, une menace pour la République.

Par la même occasion, ce naufrage de l'imposture trumpiste soulève la question de l'imposture souverainiste et statophile en France, telle qu'elle est défendue par un Asselineau ou un Philippot. Je veux la souveraineté du peuple pour le mettre sous la domination d'une bureaucratie d'Etat. On comprend la musique. 


Commentaire:

Alban C.:

Article entièrement à charge, qui manque de nuances.

Qui est responsable du blocage budgétaire ? Trump ou les démocrates ?

Un président qui lutte contre le wokisme (interdiction aux hommes de participer aux compétitions féminines, refus du politiquement correct) : pas d’intérêt ?

Un président qui éteint les conflits dans le monde plutôt que de les déclencher : Pas d’intérêt ?

Un président qui repositionne les droits de douane US parmi les plus bas du monde à des niveau plus équilibrés pour favoriser la production intérieure, attirer les capitaux étrangers et, accessoirement, remplir les caisses de l’Etat américain : pas d’intérêt ?

Un président qui remet la puissance de son pays comme axe central de sa politique : pas d’intérêt ?

Un président qui remet de l’ordre dans la protection des frontières ? Qui demande la pièce d’identité pour pouvoir voter aux élections (!) Qui lutte contre le réseau Soros et la fuite d’argent vers des organismes non contrôlés : pas d’intérêt ?

C’était tellement mieux avec Biden…

On peut être en désaccord sur tel ou tel point de sa politique, mais il faut un jugement d’ensemble objectif et posé. Tout condamner après 10 mois seulement d’exercice du pouvoir, est-ce sage ? Emporter dans sa critique des patriotes français qui luttent avec sincérité contre le macronisme et la caste, est-ce utile ?

https://www.lecourrierdesstrateges.fr/trump-ii-limposture-souverainiste-et-le-triomphe-de-letatisme-par-elise-rochefort/

 

 

 

 

 

 

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