Comment des notions nées à gauche ou à droite se sont retrouvées de l’autre côté du paysage politique. De la Révolution française à nos jours, la carte idéologique des valeurs a souvent été rebattue quand elle ne s'est pas tout simplement inversée.
| Nationalisme | Égalité en droit |
| Individualisme | Égalité de fait |
| Collectivisme | Protectionnisme |
| Progressisme | Écologie |
| Cosmopolitisme | Religion |
| Conservatisme | Travail |
| Mérite | Puritanisme |
Nationalisme
À la Révolution française, le nationalisme est une idée de gauche.
Le peuple se libère du roi, forme une nation souveraine. C’est le peuple
qui se « réuni en nation » pour fonder la légitimité politique. Le
nationalisme y désigne le mécanisme de réunion du peuple autour d’un
idéal de liberté individuelle.
Un siècle et demi plus tard, le nationalisme est rejeté par la gauche et
par le gaullisme au nom d’un internationalisme bienveillant. « Le
patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui
des autres » (de Gaulle). « Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le
nationalisme, c'est la haine des autres » (Romain Gary).
Le nationalisme devient pour la gauche un marqueur de droite associé aux
notions d’enracinement, de protection et de devoir. Le terme est
aujourd’hui approprié par la droite mais certaines de ses composantes
extrêmes le rejettent toujours pour lui préférer le patriotisme qui lui,
n’a jamais été connoté à gauche.
Individualisme
L’individualisme naît à gauche : c’est l’émancipation de l’individu
face aux ordres, aux traditions, à l’Église, l’homme libre et éclairé,
maître de son destin.
Aujourd’hui, c’est la droite (au moins libérale) qui le revendique :
réussite personnelle, liberté de choix, responsabilité individuelle.
La gauche, elle, dénonce désormais ses excès au nom du bien collectif et
de l’intérêt général en oubliant son attachement passé à l'émancipation
individuelle.
Collectivisme
À l’origine, la collectivité est de droite : famille, clan, religion, ordre social, corporations.
La gauche révolutionnaire combat ces appartenances au nom de l’émancipation individuelle.
Puis, au XIXe siècle, le collectivisme envahit progressivement la gauche
jusque là libérale avec la montée du socialisme : propriété collective,
adhésion imposée à l’idéal révolutionnaire, valeurs universelles d’une
société sans classes, sortie de l’histoire.
Si le collectivisme est aujourd’hui une valeur phare de la gauche
socialisante, les valeurs du collectivisme de droite n’ont pas disparues
et retrouvent même un regain de vigueur avec les notions d’appartenance
civilisationnelles et religieuses.
Seule une petite minorité libérale résiste.
Progressisme
Le progrès est un grand marqueur de la gauche aux XIXe et XXe siècle.
La science, la technique et la raison servent la marche en avant de l’humanité et bousculent l’ordre établi conservateur.
Mais dans la seconde moitié du XXe siècle, les penseurs postmodernes
remettent cela en cause. Le progrès devient suspect : la science serait
une idéologie comme une autre.
La méfiance envers le progrès est accentuée par l’adhésion de la gauche à l’écologie politique.
La droite en profite pour s’approprier le progrès, la modernité, la
technologie, et en est devenue aujourd’hui la meilleure représentante.
Cosmopolitisme
Longtemps réservé aux élites de droite — aristocrates, diplomates,
marchands, intellectuels — le cosmopolitisme devient au XIXe siècle une
valeur de gauche avec Marx et l’internationalisme : « Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous ! ».
En ce début de XXIe siècle, il est devenu sélectif à gauche : oui aux
migrations entrantes mais méfiance envers les expatriés, traîtres à la
nation.
Conservatisme
Le conservatisme : mot honni de la gauche révolutionnaire.
Pourtant, il revient en grâce à gauche avec l’écologie, les terroirs, le local, la lenteur, l’authentique.
La gauche défend aujourd’hui ce que la droite n’a jamais cessé d’aimer :
la préservation. Conservatisme vert, contre modernité libérale.
Mérite
Bien présent à droite, le mérite était dans l’ancien régime une des
conditions de l’anoblissement. Mais l’hérédité des titres l’a transformé
en privilèges de naissance.
Avec son mot d’ordre « La carrière ouverte aux talents », la gauche
révolutionnaire fait du mérite une valeur phare de la république.
Aujourd’hui, la gauche critique le mérite comme justification des inégalités.
La réussite devient suspecte ; l’échec, une preuve d’injustice. La
notion de « justice sociale » désigne des coupables et des victimes.
Le mérite est clairement redevenu une valeur de droite étendue à l’ensemble de la société sous l’action de la gauche.
Égalité en droit
L’égalité devant la loi est une grande conquête de la gauche
révolutionnaire. Plus de castes, plus de privilèges et l’égalité des
chances.
Après s’y être opposée : privilèges, suffrage censitaire, la droite finit par se rallier à ce nouveau concept.
Mais à partir du milieu du XXe, la gauche socialiste conteste l’égalité
de droit pour corriger les inégalités de fait. Au XXIe siècle la
discrimination positive parachève le divorce de la gauche avec l’égalité
en droit.
L’égalité des droits cède donc le pas à l’équité des résultats à gauche
tandis que la droite lui reste fidèle et l’utilise comme rempart contre
l’interventionnisme redistributeur.
Égalité de fait
Ignorée par la gauche de 1789 et de la première partie du XIXe siècle
qui récompense le talent et le mérite, l’égalité de fait est également
ignorée par la droite.
La gauche, libérale jusqu’à la fin du XIXe, se fait socialiste, puis
communiste. L’égalité de conditions devient centrale avec Marx : « De
chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. »
La voie discordante de John Rawls tentera de rétablir l’inégalité de fait à gauche dans les années 1970, sans succès.
Au cours du XXe siècle la droite sociale chrétienne tolère de moins en moins les inégalités de fait les plus flagrantes.
Protectionnisme
Le protectionnisme est une doctrine typiquement de droite au XIXe
siècle, attachée à la patrie et à l’industrie. La gauche libérale la
combat tout au long de cette période et jusqu’au début du XXe siècle.
Fin XIXe, la gauche socialiste l’introduit dans son camp pour protéger les ouvriers.
Au XXIe siècle, la tendance s’accentue : localisme, relocalisation,
circuits courts ; le protectionnisme devient une revendication de gauche
tout en restant réclamé par une partie de la droite.
Écologie
L’écologie naît à l’extrême droite au XIXe siècle en Allemagne.
Vision organiciste, nostalgie du sol et du sang, refus du cosmopolitisme, xénophobie.
À partir des années 1970, l’écologie politique migre à gauche : critique
du capitalisme, défense des communs, altermondialisme, décroissantisme.
Aujourd’hui, elle est devenue un marqueur conservateur de la gauche.
La droite, devenue progressiste, est plus méfiante à son égard mais ne la rejette pas en tant que science.
Religion
La religion a longtemps été le bastion de la droite et l’adversaire de la gauche républicaine et laïque.
Une première brèche est ouverte dans la 2e moitié du XXe siècle avec le ralliement de chrétiens au socialisme.
Mais au XXIe siècle, la gauche redécouvre la religion sous un autre
angle : relativisme culturel, défense des minorités, respect des
croyances. Son adhésion à l’écologie comprend également une composante
religieuse panthéiste qui attribue des vertus à une nature déifiée.
La droite reste attachée à la foi pour d’autres raisons : héritage, tradition, identité.
Travail
Travail : totalement méprisé dans les valeurs de la droite avant la
révolution – on ne travaille pas, on « exerce » ses talents innés- , le
travail revient progressivement en grâce au sein de la droite au cours
du XIXe siècle. Il incarne aujourd’hui pour elle l’effort qui doit être
récompensé.
La gauche, avec Marx, en fait le pilier de la valeur et veut le
soustraire à l’exploitation capitaliste. Passée par l’exaltation du
stakhanovisme au milieu du XXe siècle, la gauche est devenue plus
méfiante à son égard. Difficile pour elle de concilier les aides
sociales et la rémunération due au travail.
Au sein des libéraux, passés de gauche au XIXe à droite au XXe, le
travail est une notion respectable mais ne peut servir d’étalon à la
valeur, qui se crée uniquement lors de l’échange.
Puritanisme
Contrairement aux idées reçues le puritanisme est d’abord né à
gauche. Si on admet l’anachronisme, le protestantisme rigoriste qui
rejette la hiérarchie et les ors de l’Église, peut être assimilé à la
gauche. Cette quête de pureté intransigeante se retrouve à la révolution
française dans le culte de l’être suprême. La bourgeoisie montante - à
gauche début XIXe - moralise les mœurs, codifie le travail, la famille,
la respectabilité. Elle emportera ces valeurs à droite lorsqu’elle sera
chassée de la gauche par la marée socialiste.
Après avoir déserté la gauche durant la deuxième moitié du XXe siècle,
le puritanisme y revient au XXIe : contrôle du langage, morale de la
faute, surveillance des comportements, voile islamique, « cancel »
culture.
La droite du XIXᵉ siècle, héritière de la noblesse et de l’église, est
jouisseuse, mondaine, attachée à la fête, à l’apparat, à la tradition.
Ce n’est qu’après 1945 (et surtout après 1968) que le puritanisme
devient de droite en réaction à la libération sexuelle à
l’individualisme hédoniste et à la perte des sens civique et religieux.
Il est aujourd’hui partagé entre la droite et la gauche.
Alain Cohen-Dumouchel est ingénieur et entrepreneur dans le domaine IT. Il anime le site www.gaucheliberale.org. Ancien conseiller national d'Alternative Libérale, passionné de philosophie politique, il est convaincu que la pensée libérale doit retrouver sa place à gauche.
https://www.gaucheliberale.org/post/2025/12/03/Le-grand-voyage-des-id%C3%A9es-politiques
Gauche libérale
La Gauche libérale est une association qui vise à incarner le courant des libéraux de gauche dans le paysage politique français. Ses membres fondateurs sont pour l'essentiel des transfuges d'Alternative libérale, autour de David Poryngier. Celui-ci dit, à propos d'Alternative libérale :
| “ | Il n'y a pourtant pas grand-chose de commun entre des contribuables en colère, dont la seule préoccupation est de payer moins d'impôts, et d'authentiques progressistes attachés aux libertés individuelles, voire très en avance sur une grande partie de la gauche sur des thèmes comme la légalisation du cannabis, l'adoption par les couples homosexuels, l'immigration ou la mise en place d'un revenu universel… | ” |
| “ | Nous ne voulons surtout pas nous retrouver dans une posture caricaturalement libérale-libertaire, qui ferait de nous des gens de droite au plan économique et de gauche sur les questions sociétales. Nous avons au contraire des points de vue assez radicaux à exposer sur la crise financière, le système bancaire, les oligopoles industriels, les relations entre le pouvoir et certains grands groupes, voire les paradis fiscaux qui ne sont que rarement exposés. C'est peut-être le moment de le faire… | ” |
Manifeste
| “ | Les valeurs de la gauche : égalité des chances, laïcité, solidarité et accès au travail sans le boulet de l'économie et de la morale socialiste-communiste.
Une démocratie qui repose sur la liberté et sur la tolérance. Une pratique politique dans laquelle on ne prétend pas gouverner au nom de Sa Morale, encore moins au nom de La Morale, mais dans laquelle on essaye de limiter, autant que faire se peut, la dictature de la majorité. Un État recentré sur ses fonctions les plus essentielles. Un État fort et sûr, garant des libertés individuelles et capable de faire appliquer la loi sans faiblesse ni compromission. La réforme en profondeur de notre société pour, dans tous les domaines, aller vers une économie de marché, valoriser la prise de responsabilité et le goût d'entreprendre. Pourquoi la gauche serait-elle indéfiniment prisonnière du modèle économique dit socialiste au sens large ? Les idées de gauche : tolérance, progrès, solidarité, égalité des chances, laïcité doivent elles rester accrochées à un modèle économique et social qui n'a jamais fonctionné correctement, qui entraine inéluctablement la société vers l’appauvrissement et la restriction des libertés individuelles, quand ce n'est pas la misère les épurations politiques, la dictature puis le totalitarisme ? Pourquoi la droite, dans le but louable de défendre le dynamisme économique et la création de richesse devrait-elle hériter de toutes les valeurs réactionnaires et passéistes qui y sont traditionnellement associées : immobilisme culturel, rejet des immigrés, affairisme, refus de partage du travail, rigidité des valeurs morales ? Gauche libérale défend des idées de gauche, progressistes et modernes, applicables dans le cadre d'une éthique libérale et d'une économie de marché. Rien ne sert de se voiler la face. C'est bien le modèle libéral qui est le plus efficace, qui se marie au mieux avec la démocratie, qui génère le dynamisme économique et une amélioration des conditions matérielles. La droite libérale n'a jamais réussi à faire prospérer le modèle libéral. La théorie libérale de droite, si éloignée des conservatismes et si solide soit-elle, n'a pu dissiper le malentendu de la loi de la jungle et du chacun pour soi, que ses adversaires lui opposent à tort. Contrairement aux affirmations de la droite libérale, ce modèle ne se régule pas toujours de lui-même. Pour éviter ses dérives : enrichissement excessif de quelques-uns au détriment des autres, création de monopoles, ententes illicites, il faut des interventions intelligentes et limitées mais fermes. L'État doit veiller au libre fonctionnement des marchés. Il ne doit intervenir que pour briser les monopoles, et pour s'assurer du libre accès de tous aux marchés (et non pas au Marché). Le laissez faire des libéraux classiques doit être complété par la création artificielle de marchés destinés à résoudre des problèmes de société. Le marché ne résoudra pas seul les problèmes d'environnement, mais on peut résoudre les problèmes d'environnement avec une mécanique apparentée au marché. Au lieu de créer des monstres monolithiques et étatiques pour affronter chaque problème (chomage, logement, intégration, enseignement), il faut créer des marchés, au besoin aidés par l'État mais ouverts à tous, entreprises, associations, individus, sans clientélisme ni favoritisme. Il est temps pour la gauche progressiste d'admettre les erreurs du passé et d'arrêter de mentir par orgueil. L'étatisme, le dirigisme, l'interventionnisme sont devenus des valeurs rétrogrades et passéistes qui sont d'ailleurs largement partagées par la gauche et la droite. Gauche libérale se veut le porte-parole d'une gauche honnête, généreuse et dynamique. Elle rejette la gauche revendicative devenue synonyme d'immobilisme, de défense des avantages acquis de protectionnisme économique et culturel. |
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