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décembre 07, 2025

Le grand voyage des idées politiques - Gauche libérale !

Comment des notions nées à gauche ou à droite se sont retrouvées de l’autre côté du paysage politique. De la Révolution française à nos jours, la carte idéologique des valeurs a souvent été rebattue quand elle ne s'est pas tout simplement inversée.

Nationalisme Égalité en droit
Individualisme Égalité de fait
Collectivisme Protectionnisme
Progressisme Écologie
Cosmopolitisme Religion
Conservatisme Travail
Mérite Puritanisme

 


Nationalisme

À la Révolution française, le nationalisme est une idée de gauche.
Le peuple se libère du roi, forme une nation souveraine. C’est le peuple qui se « réuni en nation » pour fonder la légitimité politique. Le nationalisme y désigne le mécanisme de réunion du peuple autour d’un idéal de liberté individuelle.
Un siècle et demi plus tard, le nationalisme est rejeté par la gauche et par le gaullisme au nom d’un internationalisme bienveillant. « Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres » (de Gaulle). « Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres » (Romain Gary).
Le nationalisme devient pour la gauche un marqueur de droite associé aux notions d’enracinement, de protection et de devoir. Le terme est aujourd’hui approprié par la droite mais certaines de ses composantes extrêmes le rejettent toujours pour lui préférer le patriotisme qui lui, n’a jamais été connoté à gauche.
 

Individualisme

L’individualisme naît à gauche : c’est l’émancipation de l’individu face aux ordres, aux traditions, à l’Église, l’homme libre et éclairé, maître de son destin.
Aujourd’hui, c’est la droite (au moins libérale) qui le revendique : réussite personnelle, liberté de choix, responsabilité individuelle.
La gauche, elle, dénonce désormais ses excès au nom du bien collectif et de l’intérêt général en oubliant son attachement passé à l'émancipation individuelle.
 

Collectivisme

À l’origine, la collectivité est de droite : famille, clan, religion, ordre social, corporations.
La gauche révolutionnaire combat ces appartenances au nom de l’émancipation individuelle.
Puis, au XIXe siècle, le collectivisme envahit progressivement la gauche jusque là libérale avec la montée du socialisme : propriété collective, adhésion imposée à l’idéal révolutionnaire, valeurs universelles d’une société sans classes, sortie de l’histoire.
Si le collectivisme est aujourd’hui une valeur phare de la gauche socialisante, les valeurs du collectivisme de droite n’ont pas disparues et retrouvent même un regain de vigueur avec les notions d’appartenance civilisationnelles et religieuses.
Seule une petite minorité libérale résiste.
 

Progressisme

Le progrès est un grand marqueur de la gauche aux XIXe et XXe siècle.
La science, la technique et la raison servent la marche en avant de l’humanité et bousculent l’ordre établi conservateur.
Mais dans la seconde moitié du XXe siècle, les penseurs postmodernes remettent cela en cause. Le progrès devient suspect : la science serait une idéologie comme une autre.
La méfiance envers le progrès est accentuée par l’adhésion de la gauche à l’écologie politique.
La droite en profite pour s’approprier le progrès, la modernité, la technologie, et en est devenue aujourd’hui la meilleure représentante.
 

Cosmopolitisme

Longtemps réservé aux élites de droite — aristocrates, diplomates, marchands, intellectuels — le cosmopolitisme devient au XIXe siècle une valeur de gauche avec Marx et l’internationalisme : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
En ce début de XXIe siècle, il est devenu sélectif à gauche : oui aux migrations entrantes mais méfiance envers les expatriés, traîtres à la nation.
 

Conservatisme

Le conservatisme : mot honni de la gauche révolutionnaire.
Pourtant, il revient en grâce à gauche avec l’écologie, les terroirs, le local, la lenteur, l’authentique.
La gauche défend aujourd’hui ce que la droite n’a jamais cessé d’aimer : la préservation. Conservatisme vert, contre modernité libérale.
 

Mérite

Bien présent à droite, le mérite était dans l’ancien régime une des conditions de l’anoblissement. Mais l’hérédité des titres l’a transformé en privilèges de naissance.
Avec son mot d’ordre « La carrière ouverte aux talents », la gauche révolutionnaire fait du mérite une valeur phare de la république.
Aujourd’hui, la gauche critique le mérite comme justification des inégalités.
La réussite devient suspecte ; l’échec, une preuve d’injustice. La notion de « justice sociale » désigne des coupables et des victimes.
Le mérite est clairement redevenu une valeur de droite étendue à l’ensemble de la société sous l’action de la gauche.
 

Égalité en droit

L’égalité devant la loi est une grande conquête de la gauche révolutionnaire. Plus de castes, plus de privilèges et l’égalité des chances.
Après s’y être opposée : privilèges, suffrage censitaire, la droite finit par se rallier à ce nouveau concept.
Mais à partir du milieu du XXe, la gauche socialiste conteste l’égalité de droit pour corriger les inégalités de fait. Au XXIe siècle la discrimination positive parachève le divorce de la gauche avec l’égalité en droit.
L’égalité des droits cède donc le pas à l’équité des résultats à gauche tandis que la droite lui reste fidèle et l’utilise comme rempart contre l’interventionnisme redistributeur.


 


Égalité de fait

Ignorée par la gauche de 1789 et de la première partie du XIXe siècle qui récompense le talent et le mérite, l’égalité de fait est également ignorée par la droite.
La gauche, libérale jusqu’à la fin du XIXe, se fait socialiste, puis communiste. L’égalité de conditions devient centrale avec Marx : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. »
La voie discordante de John Rawls tentera de rétablir l’inégalité de fait à gauche dans les années 1970, sans succès.
Au cours du XXe siècle la droite sociale chrétienne tolère de moins en moins les inégalités de fait les plus flagrantes.
 

Protectionnisme

Le protectionnisme est une doctrine typiquement de droite au XIXe siècle, attachée à la patrie et à l’industrie. La gauche libérale la combat tout au long de cette période et jusqu’au début du XXe siècle.
Fin XIXe, la gauche socialiste l’introduit dans son camp pour protéger les ouvriers.
Au XXIe siècle, la tendance s’accentue : localisme, relocalisation, circuits courts ; le protectionnisme devient une revendication de gauche tout en restant réclamé par une partie de la droite.
 

Écologie

L’écologie naît à l’extrême droite au XIXe siècle en Allemagne.
Vision organiciste, nostalgie du sol et du sang, refus du cosmopolitisme, xénophobie.
À partir des années 1970, l’écologie politique migre à gauche : critique du capitalisme, défense des communs, altermondialisme, décroissantisme. Aujourd’hui, elle est devenue un marqueur conservateur de la gauche.
La droite, devenue progressiste, est plus méfiante à son égard mais ne la rejette pas en tant que science.
 

Religion

La religion a longtemps été le bastion de la droite et l’adversaire de la gauche républicaine et laïque.
Une première brèche est ouverte dans la 2e moitié du XXe siècle avec le ralliement de chrétiens au socialisme.
Mais au XXIe siècle, la gauche redécouvre la religion sous un autre angle : relativisme culturel, défense des minorités, respect des croyances. Son adhésion à l’écologie comprend également une composante religieuse panthéiste qui attribue des vertus à une nature déifiée.
La droite reste attachée à la foi pour d’autres raisons : héritage, tradition, identité.
 

Travail

Travail : totalement méprisé dans les valeurs de la droite avant la révolution – on ne travaille pas, on « exerce » ses talents innés- , le travail revient progressivement en grâce au sein de la droite au cours du XIXe siècle. Il incarne aujourd’hui pour elle l’effort qui doit être récompensé.
La gauche, avec Marx, en fait le pilier de la valeur et veut le soustraire à l’exploitation capitaliste. Passée par l’exaltation du stakhanovisme au milieu du XXe siècle, la gauche est devenue plus méfiante à son égard. Difficile pour elle de concilier les aides sociales et la rémunération due au travail.
Au sein des libéraux, passés de gauche au XIXe à droite au XXe, le travail est une notion respectable mais ne peut servir d’étalon à la valeur, qui se crée uniquement lors de l’échange.
 

Puritanisme

Contrairement aux idées reçues le puritanisme est d’abord né à gauche. Si on admet l’anachronisme, le protestantisme rigoriste qui rejette la hiérarchie et les ors de l’Église, peut être assimilé à la gauche. Cette quête de pureté intransigeante se retrouve à la révolution française dans le culte de l’être suprême. La bourgeoisie montante - à gauche début XIXe - moralise les mœurs, codifie le travail, la famille, la respectabilité. Elle emportera ces valeurs à droite lorsqu’elle sera chassée de la gauche par la marée socialiste.
Après avoir déserté la gauche durant la deuxième moitié du XXe siècle, le puritanisme y revient au XXIe : contrôle du langage, morale de la faute, surveillance des comportements, voile islamique, « cancel » culture.
La droite du XIXᵉ siècle, héritière de la noblesse et de l’église, est jouisseuse, mondaine, attachée à la fête, à l’apparat, à la tradition. Ce n’est qu’après 1945 (et surtout après 1968) que le puritanisme devient de droite en réaction à la libération sexuelle à l’individualisme hédoniste et à la perte des sens civique et religieux.
Il est aujourd’hui partagé entre la droite et la gauche.

Alain Cohen-Dumouchel est ingénieur et entrepreneur dans le domaine IT. Il anime le site www.gaucheliberale.org. Ancien conseiller national d'Alternative Libérale, passionné de philosophie politique, il est convaincu que la pensée libérale doit retrouver sa place à gauche.

https://www.gaucheliberale.org/post/2025/12/03/Le-grand-voyage-des-id%C3%A9es-politiques 


Gauche libérale

La Gauche libérale est une association qui vise à incarner le courant des libéraux de gauche dans le paysage politique français. Ses membres fondateurs sont pour l'essentiel des transfuges d'Alternative libérale, autour de David Poryngier. Celui-ci dit, à propos d'Alternative libérale :

Il n'y a pourtant pas grand-chose de commun entre des contribuables en colère, dont la seule préoccupation est de payer moins d'impôts, et d'authentiques progressistes attachés aux libertés individuelles, voire très en avance sur une grande partie de la gauche sur des thèmes comme la légalisation du cannabis, l'adoption par les couples homosexuels, l'immigration ou la mise en place d'un revenu universel
Nous ne voulons surtout pas nous retrouver dans une posture caricaturalement libérale-libertaire, qui ferait de nous des gens de droite au plan économique et de gauche sur les questions sociétales. Nous avons au contraire des points de vue assez radicaux à exposer sur la crise financière, le système bancaire, les oligopoles industriels, les relations entre le pouvoir et certains grands groupes, voire les paradis fiscaux qui ne sont que rarement exposés. C'est peut-être le moment de le faire…

Manifeste

Les valeurs de la gauche : égalité des chances, laïcité, solidarité et accès au travail sans le boulet de l'économie et de la morale socialiste-communiste.

Une démocratie qui repose sur la liberté et sur la tolérance. Une pratique politique dans laquelle on ne prétend pas gouverner au nom de Sa Morale, encore moins au nom de La Morale, mais dans laquelle on essaye de limiter, autant que faire se peut, la dictature de la majorité. Un État recentré sur ses fonctions les plus essentielles. Un État fort et sûr, garant des libertés individuelles et capable de faire appliquer la loi sans faiblesse ni compromission.

La réforme en profondeur de notre société pour, dans tous les domaines, aller vers une économie de marché, valoriser la prise de responsabilité et le goût d'entreprendre.

Pourquoi la gauche serait-elle indéfiniment prisonnière du modèle économique dit socialiste au sens large ? Les idées de gauche : tolérance, progrès, solidarité, égalité des chances, laïcité doivent elles rester accrochées à un modèle économique et social qui n'a jamais fonctionné correctement, qui entraine inéluctablement la société vers l’appauvrissement et la restriction des libertés individuelles, quand ce n'est pas la misère les épurations politiques, la dictature puis le totalitarisme ?

Pourquoi la droite, dans le but louable de défendre le dynamisme économique et la création de richesse devrait-elle hériter de toutes les valeurs réactionnaires et passéistes qui y sont traditionnellement associées : immobilisme culturel, rejet des immigrés, affairisme, refus de partage du travail, rigidité des valeurs morales ?

Gauche libérale défend des idées de gauche, progressistes et modernes, applicables dans le cadre d'une éthique libérale et d'une économie de marché. Rien ne sert de se voiler la face. C'est bien le modèle libéral qui est le plus efficace, qui se marie au mieux avec la démocratie, qui génère le dynamisme économique et une amélioration des conditions matérielles.

La droite libérale n'a jamais réussi à faire prospérer le modèle libéral. La théorie libérale de droite, si éloignée des conservatismes et si solide soit-elle, n'a pu dissiper le malentendu de la loi de la jungle et du chacun pour soi, que ses adversaires lui opposent à tort. Contrairement aux affirmations de la droite libérale, ce modèle ne se régule pas toujours de lui-même. Pour éviter ses dérives : enrichissement excessif de quelques-uns au détriment des autres, création de monopoles, ententes illicites, il faut des interventions intelligentes et limitées mais fermes. L'État doit veiller au libre fonctionnement des marchés. Il ne doit intervenir que pour briser les monopoles, et pour s'assurer du libre accès de tous aux marchés (et non pas au Marché).

Le laissez faire des libéraux classiques doit être complété par la création artificielle de marchés destinés à résoudre des problèmes de société. Le marché ne résoudra pas seul les problèmes d'environnement, mais on peut résoudre les problèmes d'environnement avec une mécanique apparentée au marché.

Au lieu de créer des monstres monolithiques et étatiques pour affronter chaque problème (chomage, logement, intégration, enseignement), il faut créer des marchés, au besoin aidés par l'État mais ouverts à tous, entreprises, associations, individus, sans clientélisme ni favoritisme. Il est temps pour la gauche progressiste d'admettre les erreurs du passé et d'arrêter de mentir par orgueil. L'étatisme, le dirigisme, l'interventionnisme sont devenus des valeurs rétrogrades et passéistes qui sont d'ailleurs largement partagées par la gauche et la droite. Gauche libérale se veut le porte-parole d'une gauche honnête, généreuse et dynamique. Elle rejette la gauche revendicative devenue synonyme d'immobilisme, de défense des avantages acquis de protectionnisme économique et culturel.

Liens externes

 https://www.wikiberal.org/wiki/Gauche_lib%C3%A9rale

mai 24, 2015

Les Libéraux ou la "gauche" de 1789 !!

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Sommaire:

A) Le Mouvement Libéral Citoyen - (pour une démocratie libérale populaire) - MLG

B) Libéraux de gauche de Wikiberal

C) Emmanuel Macron, sera t-il le premier réformateur libéral de gauche ? - Alain Cohen-Dumouchel - Gauche libérale. - Gauche libérale, la grande amnésie

D) Audier Serge, « Introduction / Le socialisme libéral, une voie d'avenir pour la gauche ? »,  Le socialisme libéral, Paris, La Découverte , «Repères», 2006, 128 pages 

E) Jules Ferry, libéral de gauche - france culture

F) Edmund Burke (1729-1797) par Denis Touret

G) La gauche, la droite, le libéralisme - par Matthieu Longobardi - Ouvrez-vous

H) Le libéralisme par la voie de gauche - Née avec la Révolution, l'idée d'autonomie de l'individu a été mise à mal par l'Etat tout-puissant au XXe siècle. L'ère numérique pourrait lui être fatale. - Le Révolutionnaire, l'Expert et le Geek Combat pour l'autonomie (Par Gaspard Koenig, Plon, 272 pages ; 15,90 euros)

I) Divers liens


A) Le Mouvement Libéral Citoyen - (pour une démocratie libérale populaire)

Fondé au début de l’année 2010, le Mouvement des Libéraux de Gauche veut rassembler tous les libéraux de progrès qui ne trouvent aujourd’hui aucune tribune dans le champ politique français.

A l’heure où la gauche cherche une nouvelle voie, peine à se réinventer et à proposer aux Français un chemin d’espoir, le temps est venu de raviver un message oublié : celui d’une gauche libérale, celle des Lumières, du Droit et de la Raison, qui a inspiré la Révolution de 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

A mille lieues des recettes étatistes et collectivistes éternellement recyclées par la vieille gauche, le MLG appelle à la renaissance d’une gauche individualiste et émancipatrice qui se donne pour nouvelle frontière, comme l’a fort bien dit un député socialiste il y a quelques temps, d’apporter à chaque individu les moyens de son autonomie.

Ce n’est pas en renforçant encore les pouvoirs de l’État et des administrations que nous construirons une société plus juste, mais bien en luttant contre les privilèges et les statuts particuliers, en favorisant l’égalité des chances et l’accès libre au marché, en promouvant l’initiative individuelle et la responsabilité, en défendant les libertés fondamentales.

Annoncée dans un premier temps sur Facebook, la création du mouvement a aussitôt été saluée par des militants issus de différentes formations politiques, du Parti Socialiste à la Gauche Moderne, en passant par le Modem, les Radicaux de Gauche, Alternative Libérale et le Parti Libéral-Démocrate.

David Poryngier, initiateur et premier Président du mouvement, fut l’un des fondateurs d’Alternative Libérale il y a quelques années, formation sur laquelle il jette désormais un regard critique : « A vouloir rassembler les sympathisants libéraux de tous horizons, des plus progressistes aux plus réactionnaires, AL a fini par mécontenter tous ses militants. »
Convaincu que de nombreux français partagent les valeurs libérales tout en se sentant profondément à gauche, il ne voit là aucune contradiction : 

« Le socialisme n’a été qu’une parenthèse dans l’histoire de la gauche : celle-ci a été libérale avant d’être marxiste et doit le redevenir aujourd’hui si elle ne veut pas disparaître ».

Les projets du mouvement dans les prochains mois : 

« rassembler ceux qui attendaient depuis longtemps cette initiative pour s’engager, poser les fondations d’un mouvement pérenne et avancer des idées nouvelles, parfois taboues, dans le débat politique ».

Le Manifeste du MLG

Nous sommes de gauche et nous sommes libéraux

Ceux qui ignorent l’histoire des idées y verront un paradoxe. Pour nous, il s’agit de retrouvailles salutaires et longtemps espérées.

Nous n’avons pas oublié que le libéralisme, le vrai, est celui des Lumières, de la Révolution, des Droits de l’Homme et de la République. Gauche et libéralisme n’ont fait qu’un contre l’Ancien Régime, les privilèges, les ordres et les corporations. La gauche se méfiait alors de l’État et du dirigisme. Elle prônait la liberté individuelle, la libre association des travailleurs, les coopérations volontaires et le mutualisme pour construire une société plus juste.

Ce n’est qu’avec l’avènement de l’idéologie marxiste, à la fin du XIXème siècle, que libéraux et socialistes prirent des chemins irréconciliables. La gauche s’est longtemps perdue dans ces illusions, devenues désillusions, et peine encore aujourd’hui, plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin, à retrouver le chemin de la liberté et du progrès.

Pourtant, une gauche affranchie du marxisme, réconciliée avec la pensée libérale, ayant tiré les leçons de l’histoire et des tragédies du XXème siècle, peut aujourd’hui renaître de ses cendres à condition de se réinventer.

C’est l’entreprise à laquelle nous voulons nous atteler.

La France à bout de souffle

Comme l’Ancien Régime avant la révolution, la France est aujourd’hui organisée sur un mode corporatiste, cogérée par la sphère politique et administrative, les grands groupes industriels et financiers et des syndicats essentiellement au service des « droits acquis » des corps privilégiés, dans la fonction publique et les grandes entreprises.

Ce capitalisme de connivence, qu’on tente de faire passer pour du libéralisme alors qu’il en est tout le contraire, est étranger aux principes républicains et profondément inégalitaire. Il est également économiquement inefficace et extraordinairement dépensier de fonds publics. Ses bénéficiaires, à droite comme à gauche, le défendent avec ardeur et résistent à toute réforme qui remettrait leurs statuts et privilèges en cause, aussi modestes soient-ils.

Les autres restent aux portes du paradis. C’est la France des outsiders, ceux qui n’ont ni le pédigrée, ni le carnet d’adresse qui gagent la réussite. C’est la France du travail précaire, des salaires minables, des logements délabrés, des quartiers abandonnés, des écoles de seconde zone, des universités appauvries, des stagiaires méprisés, des entrepreneurs découragés. C’est la France de ceux qui toujours subissent et jamais ne choisissent.

C’est aussi la France de la misère et de la grande pauvreté, scandale infamant dans l’un des pays les plus riches du monde et qui se targue d’un modèle social sans égal, celle de ces centaines de milliers de damnés qui hantent les rues des villes et qu’on ne nomme plus désormais que par un sigle. Celle aussi des retraités dits modestes, qui ne doivent souvent plus qu’aux organisations caritatives de consommer encore des repas chauds.

Il serait illusoire de penser que ces deux France, celle des privilèges et celle des exclusions, vont cohabiter longtemps encore sans s’affronter un jour. Élection après élection, de promesses de rupture en espoirs de changement, c’est toujours la même déception, la même désillusion. Rien ne change et l’égalité par le bas, comme dit la chanson. Avons-nous déjà oublié les émeutes de 2005 ? Les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Ce n’est pas la droite qui libérera le système

Nous n’attendons rien de la droite française. Oscillant entre un conservatisme gestionnaire plus ou moins éclairé pour les uns et un bonapartisme autoritaire et dirigiste pour les autres, elle n’a jamais rien entendu au libéralisme. De Gaulle avait fait la synthèse de ses contradictions, Sarkozy en explore aujourd’hui les impasses.

Au pouvoir, elle sert avec arrogance les seuls intérêts des puissants, ne réforme qu’à la marge et méprise le peuple auquel elle ne s’adresse que pour attiser ses peurs. Internet, microbes, climat, immigration, drogues, mondialisation, terrorisme : tout est bon à prendre, jusqu’au moindre fait divers, pour instiller la crainte et mieux étendre sur nos frêles épaules la « protection » de l’État sécuritaire.

Car sous le masque du pseudo-modernisme dont elle s’affuble désormais, c’est bel et bien toujours la même droite conservatrice, ascétique et paternaliste qui est aux affaires. Qui s’étonnera qu’elle sacralise le travail, préfère l’ordre à la justice, flatte les racismes ou promette de « liquider l’héritage de mai 68  » ?

Face à elle, la gauche est introuvable

Orpheline d’idéologie de référence depuis l’effondrement du marxisme, la gauche française l’est aussi de projet. Comme si, en faisant le deuil des lendemains qui chantent, les socialistes avaient aussi renoncé à tout espoir de progrès.

Accrochée à ses niches électorales en régions qui sont autant de baronnies, elle n’intéresse plus au niveau national que par ses divisions et se montre incapable de proposer une alternative politique crédible.

Faute de projet, les socialistes donnent dans la démagogie sociale comme la droite le fait en matière sécuritaire. Au programme, toujours les mêmes rengaines : plus de dépenses publiques, plus de fonctionnaires, plus de subventions, plus de régulation, plus de législation, plus d’intervention, plus de protection. Et des impôts pour les riches, bien sur.
Ainsi prétendent-ils maintenir la flamme d’un idéal qui ne consiste plus aujourd’hui qu’à défendre des privilèges sectoriels anachroniques, et un modèle social épuisé qu’ils se refusent à réformer.

Mais la mondialisation des échanges, la révolution numérique, l’évolution des modes de vie et des parcours professionnels, ont transformé en autant d’archaïsmes les solutions que la rhétorique socialiste nous ressasse. Et ce sont les plus pauvres qui subissent aujourd’hui en France l’absence de forces de progrès et de modernisation.

Une autre gauche est possible

L’essence de la gauche n’est pas d’être dirigiste, étatiste ou interventionniste. Elle est de favoriser les conditions du progrès, au service de l’émancipation des hommes et des femmes, dans le respect de leur liberté. L’oublier a mené les socialistes et les peuples qui en attendaient la libération dans des impasses tragiques.

Avant d’être socialiste, la gauche fut libérale et libertaire, humaniste et hédoniste. Elle a exercé sa volonté émancipatrice au service des individus, ici et dans le reste du monde. Elle a réinventé une relation entre l’Etat et les citoyens dans laquelle le premier est le garant des droits et des libertés des seconds.

Il est désolant que la gauche française ait refoulé, avec tant de constance et d’aveuglement, ses racines libérales. Ce n’est qu’en les redécouvrant et en redonnant toute sa place à la pensée libérale dans sa réflexion, qu’elle peut redevenir cette gauche généreuse, respectueuse du libre choix de chacun, qui ouvre les possibles au lieu de les refermer.

Le temps est venu de raviver le message de cette gauche libérale, celle des Lumières, du Droit et de la Raison, mère de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Ce n’est pas en renforçant encore les pouvoirs de l’État et des administrations que nous construirons une société plus juste, c’est en luttant contre les privilèges et les statuts particuliers, en favorisant l’égalité des chances et l’accès libre au marché, en promouvant l’initiative individuelle et la responsabilité, en défendant les libertés fondamentales.

Le Mouvement des Libéraux de Gauche veut favoriser l’émergence en France de cette gauche nouvelle, à la fois ambitieuse et lucide, lui donner le poids qu’elle mérite dans le débat politique, et pour cela présenter des candidats aux élections législatives de 2012.
Vaincre la grande pauvreté, en finir avec les privilèges, construire un nouveau modèle social qui laisse toute sa place à la liberté et à l’initiative des individus, rendre au marché sa véritable nature de lieu d’échange de biens, d’idées et de solidarités, sortir de la société de la peur, ce ne sont pas des utopies. Ce sont des ambitions réalisables.

Nous espérons rassembler tous celles et ceux, libéraux de gauche et de progrès, qui attendaient depuis longtemps pareille initiative pour s’engager en politique afin de poser les bases d’un mouvement pérenne, qui porte ces idées dont la gauche et la France ont aujourd’hui tant besoin pour envisager à nouveau un avenir meilleur.

Parmi les idées nouvelles que nous voulons explorer, on trouvera en bonne place l’allocation universelle, à laquelle nous consacrerons un colloque à l’automne 2010.

MLG et

La Coccinelle



B) Libéraux de gauche de Wikiberal

Le libéralisme est un ensemble de courants qui vise à faire reconnaître la primauté de l'individu. Parmi les libéraux, les libéraux de gauche se distinguent en insistant sur la nécessité d'une certaine égalité des conditions de départ pour tous.  

Caractéristiques des libéraux de gauche

Les libéraux de gauche soulignent les limites du principe de première appropriation, qui fait partie du droit naturel, en s'appuyant sur une argumentation a contrario du paragraphe 33 du Traité du gouvernement civil de John Locke [1]. Ils proposent pour rétablir l'égalité des conditions initiales de nombreux mécanismes souvent complexes : allocation universelle, “propriété” collective, principe de compensation, loyer, etc.
Ce qu’ils essaient de faire est de résoudre un conflit : les ressources sont rares et il faut les répartir entre les individus. Comment résoudre ce conflit ? Pour eux, la solution apportée par le droit naturel n’est pas la bonne. Bien qu’ils acceptent le reste du droit naturel, ils cherchent à le concilier avec un principe de répartition des ressources qui serait plus égalitaire (notion subjective et qui varie d’un libéral de gauche à un autre).
Historiquement, on qualifie parfois de libéraux de gauche ceux des libéraux qui en France siégeaient à gauche à l'Assemblée nationale : Frédéric Bastiat, Yves Guyot, etc., la gauche française à l'époque n'étant pas dans sa totalité collectiviste ni étatiste.
Certains libéraux, tels Jean-François Revel, se considèrent comme des hommes de gauche, attachés à une justice sociale qui ne soit pas de la simple redistribution, mais plutôt l'abolition de privilèges étatiques indus.

Applications concrètes

La Gauche libérale a illustré cette vision des choses, en l'illustrant de la situation politique française.  

Cette carte dessine le paysage politique français sur deux axes :

  • en abscisse, le traditionnel droite-gauche, incontournable curseur médiatique du positionnement politique,
  • en ordonnée, le degré de libéralisme des partis politiques, à savoir l'importance qu'ils accordent à la liberté individuelle ou au dirigisme.
Cette représentation, montre donc le libéralisme comme une deuxième dimension de la vie politique. Le contraire du libéralisme ce n'est ni la gauche, ni la droite, c'est l'étatisme, le dirigisme et le constructivisme.
Bien entendu les idées politiques ne se limitent pas non plus, à cette cartographie en deux dimensions, mais cette représentation s'avère nettement plus précise que le traditionnel positionnement linéaire droite - gauche.

Erreur courante : le libéralisme est une idéologie de droite

En toute rigueur, le libéralisme ne peut être classé ni à droite ni à gauche. En déduire qu'il est « centriste » serait aussi une erreur, sauf à dire qu'il est éloigné tant des tendances redistributives de la gauche (et aussi de la droite) que des tendances autoritaires de la droite (et aussi de la gauche), ces deux types de tendances reposant sur l'étatisme et l'interventionnisme, réprouvés par les libéraux :
« Les conservateurs veulent tous être votre papa, qui vous dit ce qu'il faut faire et ne pas faire. Les sociaux-démocrates veulent tous être votre maman, qui vous nourrit, borde vos draps et vous mouche. » (David Boaz, Libertarianism: A Primer)
Si on tient à tout prix à coller des étiquettes politiques sur les libéraux, on aura :

Citations

  • « Il existe des courants de gauche, il faut le souligner, qui, au plan économique, sont des partisans des libertés économiques. A la fin du 19ème siècle, les solidaristes, par exemple, ne considèrent pas antithétique par nature avec le libre marché de construire une société plus solidaire. On a tendance à couper les courants de pensée dans un axe gauche-droite, suivant leur position sur le libéralisme économique. Mais même au sein du parti socialiste d’avant 1914, il existait un courant assez libéral en économie qui s’opposait aux dirigistes. C’est le cas de l’opposition entre Jaurès et Jules Guesde. Jaurès a écrit un article faisant l’éloge du chef d’entreprise. Malheureusement, il a été assassiné, il eut mieux valu que ce fût Guesde ! Jaurès ne récusait pas du tout une économie libérale. » (Philippe Nataf)
  • « Si elles étaient établies, la réalité et la viabilité d’un libéralisme de gauche aussi authentiquement libéral que de gauche contribuerait assurément à dédroitiser et recentrer une tradition libérale au champ élargi et à la dynamique revivifiée. En tête de leurs conditions théoriques de possibilité figure l’existence d’une gauche dont l’engagement anti-totalitaire serait également anti-collectiviste. Qui ne se fourvoie pas dans l’illusion syncrétique d’une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme, ne s’en tienne pas à la dimension politique du libéralisme pour oser en finir avec les excès de l’interventionnisme assistanciel, redistributif et ultra-règlementariste de l’État-providence – et adhère sans restriction aux principes individualistes de responsabilité individuelle, de liberté contractuelle et de respect du droit de propriété. Sur la base du paradigme libéral, le libéralisme de gauche illustrerait alors la possibilité intellectuelle d’en déduire des conséquences et applications pratiques autres que celles du libéralisme de pur laissez-faire. Son pari : dans la ligne des idées d’un Karl Popper suggérant dès 1958 de « réduire ce qui semble tant faire question dans l’État welfare : la bureaucratisation et la mise en tutelle de l’individu » (En quoi croit l’Occident ?), parvenir à concilier l’éradication des principes et effets pervers de l’État providence avec l’exigence d’accompagner le libre marché de dispositifs qui en suppriment la brutalité et la clôture pour les moins bien lotis. Il s’agirait de « rendre tout un chacun capable de prendre ses responsabilités et de faire preuve d’initiative pour affirmer sa compétence sur le marché au lieu de se comporter comme un « raté » et de recourir à l’assistance de l’État », pour reprendre les termes d’Habermas dans Après l’État-nation. » (Alain Laurent)
  • « Si j’avais le malheur de ne voir dans le capital que l’avantage de capitalistes, et de ne saisir ainsi qu’un côté, et, assurément, le côté le plus étroit et le moins consolant de la science économique, je me ferais Socialiste ; car de manière ou d’autre, il faut que l’inégalité s’efface progressivement, et si la liberté ne renfermait pas cette solution, comme les socialistes je la demanderais à la loi, à l’État, à la contrainte. » (Frédéric Bastiat, Gratuité du crédit)

Bibliographie

  • 2006,
    • V. Bourdeau, "Les républicains du 19eme siècle étaient-ils des libertariens de gauche?", Raisons politiques, vol 23, pp93-108
    • Nicolas Tenzer et Monique Canto-Sperber, Faut-il sauver le libéralisme?

Tentative de recensement

La liste suivante de "libéraux de gauche", ou assimilés comme tels, se base sur les travaux d'Alain Laurent (La Philosophie libérale et Les grands courants du libéralisme) et ceux de Peter Vallentyne et Hillel Steiner.

XVIe siècle

XVIIIe siècle

XIXe siècle

XXe siècle

Notes et références

  1. Voir la légitimité de l'appropriation individuelle chez John Locke
  2. Voir Néolibéralisme
  3. Voir Alain Laurent

Voir aussi

Lien interne

Lien externe



C) Emmanuel Macron, sera t-il le premier réformateur libéral de gauche ? - Gauche libérale, la grande amnésie

Emmanuel Macron, notre nouveau ministre de l’économie, pourrait-il être un homme de gauche libéral-compatible ? Tenons-nous enfin la perle rare, de gauche, capable d’engager les réformes qu’aucun gouvernement de droite ou de gauche n’a eu le courage ou la volonté de faire depuis trente ans ? 

Pour répondre à ces questions il faut en examiner d’autres plus générales. Tout d’abord, il faut essayer d’évaluer quelles peuvent être les idées directrices, le « référentiel » de pensée suivi par un homme seul pour engager des « réformes ».

En effet, pour agir de façon cohérente en politique et en économie, l’histoire nous apprend qu’il existe deux méthodes bien distinctes : le pragmatisme et l’idéologie.

C’est en vertu de ce premier concept qu’une bonne partie de la droite et une part croissante de la gauche envisagent aujourd’hui des réformes. C’est lui aussi qui pourrait faire naître une volonté de changement de la part du président Hollande. On imagine mal en effet à quelle idéologie pourrait se raccrocher le chef de l’État pour éviter de sombrer. Ce n’est certes pas celle, bien réelle, de la « gauche de la gauche » qui peut l’aider. Et il n’en a pas d’autre !
Quant au premier ministre, il était bien en quête d’une nouvelle idéologie lorsqu’il choisit le titre de son livre Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche. Malheureusement, l’ouvrage reste cantonné à des banalités sociales-démocrates, c’est à dire à un vaste courant politique davantage gouverné par le pragmatisme que par l’idéologie. Le seul courant de pensée un tant soit peu théorique que l’on peut raccrocher à la social-démocratie est le keynésianisme, c’est maigre.

Emmanuel Macron lui-même, malgré son parcours atypique vu du socialisme classique, parait peu enclin à s’appuyer sur une quelconque forme d’idéologie sociale-libérale tout simplement parce que celle-ci n’existe pas.

Le « socialisme libéral » de Monique Canto-Sperber, ne se distingue en rien de la sociale-démocratie dans la pratique. Sa réhabilitation sélective du libéralisme s’apparente à une tentative de récupération du mot libéral dans l’intention, plus ou moins consciente, de sauver le mot socialisme.

L’apport de Rawls est beaucoup plus intéressant mais considérablement brouillé par l’adhésion maladroite de l’auteur de Théorie de la justice à la sociale-démocratie. Rejeté par les socialistes et très mal compris des libéraux, il est politiquement méconnu en France. Il n’existe donc aucune théorie libérale de gauche, connue, publique, capable d’entraîner un mouvement politique ou de servir de pilote à un petit groupe de réformateurs.

La gauche n’a qu’un seul guide : l’idéologie marxiste plus ou moins réformée, qui indique au peuple que les droits de propriété existant sont « monstrueusement injustes » (suivant l’expression de Murray Rothbard).

Dans ce contexte, les sociaux-démocrates sont des « pragmatiques » qui composent avec l’injustice fondamentale du capitalisme dans le but utilitariste de créer plus de valeur. Il est évidemment impensable de mobiliser la jeunesse, toujours idéaliste, avec une telle tambouille idéologique.

« Être de gauche et de bon sens » parait donc clairement ranger Emmanuel Macron dans le camp des pragmatiques : on ne change rien au référentiel de pensée mais on va essayer d’appliquer des mesures de bon sens dans des buts précis : redresser l’économie, faire diminuer le chômage ; c’est le « pragmatisme », qu’Hayek oppose à l’idéologie dans le portrait suivant, extrait de Droit, législation et liberté :
(…) cette attitude à la mode de mépris pour l’«idéologie» et pour tous les principes généraux et mots en «isme», est caractéristique des socialistes déçus ; ayant été obligés d’abandonner leur propre idéologie à cause de ses contradictions internes, ils en ont conclu que toutes les idéologies doivent être erronées et que pour être rationnel il faut s’en passer. Mais il est impossible de se guider seulement, comme ils s’imaginent pouvoir le faire, par les objectifs explicitement définis que l’on se propose consciemment, en rejetant toutes les valeurs générales dont il ne peut être démontré qu’elles conduisent à des résultats concrets désirables. Se conduire uniquement par ce que Max Weber appelle la rationalité finalisée est une impossibilité. (…) Si l’on se met à intervenir, sans avoir de ligne de conduite cohérente, dans le fonctionnement de l’ordre spontané, il n’y a pratiquement pas de point auquel on puisse s’arrêter.
Dans un monde sans référent, l’idéologie est la seule manière de réformer. Lorsque Turgot engage ses réformes libérales en 1775, il n’a que la théorie pour se guider. Il ne peut copier sur rien ni sur personne. C’est la théorie économique naissante et l’influence des physiocrates qui lui dictent les mesures profondément réformatrices (restauration partielle de la liberté du commerce des grains, suppression de la corvée, abolition des jurandes), qui auraient pu sauver le royaume et Louis XVI. Ses ennemis annuleront toutes ses actions et chasseront les physiocrates de l’administration.

À l’inverse nous devons au pragmatisme du Général de Gaulle, dans sa relation avec les communistes au lendemain de la guerre, toutes les chaînes de Ponzi en phases terminales qui plombent la société et l’économie française contemporaine : paritarisme, retraite par répartition, affairisme étatique, mandarinat public, droit du travail, etc.

Aujourd’hui il y a deux manières de réformer ; la manière idéologique est absolument hors de portée d’un Emmanuel Macron, elle demanderait l’appui d’une école de pensée « de gauche », structurée, cohérente, capable d’établir une ligne directrice tournée vers la prééminence de la liberté des échanges, de la monnaie, de la construction, pour aboutir à une nouvelle nuit du 4 août ; reste donc la manière « pragmatique » qui ne peut rien faire de mieux que de copier « les autres » en appliquant leurs « recettes ».

Or qui sont ces voisins, amis, alliés, qui font mieux que nous et que nous devrions imiter ? L’Allemagne ? Ses dépenses publiques atteignent près de 45% de son PIB et elles augmentent. Les États-Unis ? Le poids du secteur public connaît une inflation galopante et se rapproche, avec une quinzaine d’années de retard, de celui de l’Europe. Le Japon ? Il est en quasi faillite avec une dette égale à 200% de son PIB. Les pays nordiques ? Outre le poids du public, leur hygiénisme malsain et leur rigorisme sociétal laissent peu de place à la liberté.

Le « redressement de la France » dans ce contexte serait donc de s’aligner sur le consensus mondial, à savoir : 50% de dépenses publiques (c’est vrai, c’est mieux que 57%), le retour à 3% de déficit, l’économie sous contrôle, le principe de précaution et l’hygiénisme physique et moral. Cet objectif déprimant ne mobilisera ni la jeunesse ni les intellectuels de gauche et ne réussira pas à calmer les sarcasmes de la droite étatiste.
 
 
 

Gauche libérale, la grande amnésie

Le fait de situer les libéraux à droite du spectre politique est un curieux accident de l'histoire, pour ne pas dire une anomalie qui n'est pas sans conséquence sur le faible succès des idées libérales et sur leur incompréhension de la part du public.
Car il est clair qu'un mouvement politique ne se définit pas seulement par ses idées, sa doctrine, sa philosophie, mais aussi par celles qu'il combat.

Pendant cent cinquante ans, les libéraux ont occupé les bancs de la gauche en France.  De 1789 à 1930, les libéraux et mouvements affiliés ont majoritairement siégé à gauche. En 1840, les députés libéraux les plus purs occupaient l'extrême gauche de la chambre. Non content de combattre la droite nationaliste, cléricale, corporatiste et protectionniste, ils se démarquaient même d'autres libéraux, plus prêts à des compromissions avec le pouvoir. L'autre gauche, la gauche jacobine, était à cette époque complètement déconsidérée. Le souvenir de ses violences et de ses échecs économiques et financiers était encore vivace.

Cette gauche libérale, ces "économistes" comme ils s'appelaient, militaient pour la démocratie républicaine, pour le libre échange, pour l'éducation gratuite et obligatoire, pour l'université libre, pour la liberté syndicale et d'association, pour l'état de droit, le respect des contrats et de la propriété privée individuelle, pour une vraie laïcité.  Ils luttaient contre les unions et comités de patrons qui cherchaient à influencer les pouvoirs publics pour obtenir l'exclusion des produits étrangers. Ils ont rétabli la liberté syndicale et d'association interdite par les jacobins au lendemain de la révolution. Ils ont également aboli l'esclavage par deux fois, avant et après Napoléon, Ils ont compté parmi leurs membres les rares opposants à la colonisation (sans être unanimes sur la question) bien au contraire du socialisme montant.

Jusqu'au milieu de XIXe siècle, la gauche était presque exclusivement le parti de l'individu, contre la droite, qui était le parti du collectif, de la famille, de la patrie et de la religion. Le revirement de la gauche vers le collectif, à peine perceptible en 1830, s'intensifie en 1848 et ira crescendo jusqu'à la fin du siècle. La présence à gauche de libéraux républicains ou radicaux se maintient toutefois jusqu'au début du XXe. Il est à noter qu'à cette époque, la montée du socialisme fait disparaître les libéraux de la gauche sans pour autant les rejeter à droite. Avec l'avènement du socialisme, ce sont les principes de 89 qui sont oubliés et qui disparaissent, sans être repris par la droite, toujours nationaliste, cléricale et protectionniste.


La mouvance politique libérale "de droite" n'apparaîtra que bien plus tard, au lendemain de 1945 en réaction à la domination de l'intellectualisme marxiste. Elle restera en France extrêmement minoritaire politiquement, au contraire du libéralisme "de gauche" qui a largement participé au pouvoir pendant tout le XIX siècle.

Ce qui est assez extraordinaire c'est que cette appartenance des libéraux à la gauche est aujourd'hui plus qu'oubliée. On peut raisonnablement affirmer qu'elle est gommée, c'est à dire volontairement occultée. Cette étonnante amnésie est principalement le fait de la gauche socialiste mais elle est également perceptible au sein des libéraux dont certains semblent s’accommoder et même revendiquer leur classement à droite.

L'une des manifestations les plus visibles de ce révisionnisme historique tient dans l'invention et dans l'emploi constant par les médias des termes : "première" et "deuxième" gauche. Le terme de "deuxième gauche" a été inventé par les journalistes Hervé Hamon et Patrick Rotman dans leur ouvrage  "La Deuxième Gauche : Histoire intellectuelle et politique de la CFDT". Il a été repris et rendu célèbre par le fameux discours de Michel Rocard sur les deux cultures de la gauche prononcé lors du congrès du PS à Nantes en juin 1977.

La "deuxième gauche" se définit par son opposition à la gauche marxiste, centralisatrice, et jacobine. Demeurée très anticapitaliste tout en affichant un certain réalisme économique, la "deuxième gauche" se veut décentralisatrice, auto gestionnaire et affirme prendre en compte la participation des "citoyens" (le concept d'individus y est toujours tabou). La notion de dictature du prolétariat en est exclue et, chose nouvelle, cette gauche, comporte en son sein des chrétiens sociaux issus de la CFTC. Bien entendu la dénomination de "deuxième gauche" soutenue par les rocardiens et très largement reprise depuis lors par tous les médias suggère et même impose aux français l'idée qu'avant la première gauche il n'y avait ... rien ! Étonnant, les bancs de la gauche à l'assemblée étaient donc vides avant que les socialistes et les marxistes ne les envahissent ?

Pourtant la création du parti socialiste est très tardive en France. Il faut attendre 1905 pour que les multiples micros partis d'obédience socialiste s'unissent pour créer la SFIO, ancêtre de la formation politique que nous connaissons actuellement. A la fin du XIXe siècle les premiers socialistes à se faire élire députés sont des indépendants, tel Jean Jaurès, le plus connu d'entre eux. Les communistes, quant à eux n'apparaitront à l'assemblée qu'après la scission du congrès de Tours en 1920

Donc, malheureusement pour les inventeurs de la "deuxième gauche", avant la soi-disant "première" gauche guesdiste ou stalinienne,  il y avait bien une autre gauche, individualiste, libérale et républicaine, que les socialistes veulent absolument gommer de l'histoire. Dans cette numérotation socialiste des gauches il faudrait l'appeler la "gauche moins un".

L'un des paradoxes de cette occultation de la gauche libérale, c'est qu'en essayant de faire croire que l'histoire de la gauche débute avec celle du socialisme, les inventeurs de la "deuxième gauche" emploient, plus ou moins consciemment, les méthodes de la gauche stalinienne qu'ils prétendent combattre.
Alain Cohen-Dumouchel




D) Audier Serge, « Introduction / Le socialisme libéral, une voie d'avenir pour la gauche ? »,  Le socialisme libéral

Quand les historiens analyseront les expressions surgies dans le champ politique depuis la fin du XXe siècle, peut-être noteront-ils celles de « social libéralisme » et de « socialisme libéral ». En France notamment, elles sont devenues banales sans que leur sens soit bien défini. Péjoratives ou non, elles semblent désigner la mutation en cours des social-démocraties depuis les années 1990, suite à la fin du communisme et aux changements économiques liés à la mondialisation libérale. En gros, partisans et adversaires de cette mutation entendent par « socialisme libéral » une redéfinition sans précédent du socialisme qui aurait renoncé, ouvertement ou non, à ses thèmes classiques : non seulement la lutte des classes et la défense du monde ouvrier, mais aussi l’intervention de l’État dans l’économie et la protection sociale, une politique de solidarité visant à protéger les individus, une large redistribution des richesses, l’impératif sinon d’un dépassement, du moins d’une domestication forte du capitalisme, etc. Le socialisme libéral désignerait donc l’avenir, souhaitable ou redouté, d’une social-démocratie ayant plus ou moins rejeté ces formes d’intervention et convertie aux vertus du capitalisme, moyennant quelques encadrements et correctifs. La distinction entre gauche et droite ne serait plus dès lors de nature mais de degré : on a pu voir ainsi dans le socialisme libéral une voie centriste recevable tant par la droite que par un « libéralisme de gauche » très modéré. Aussi l’idée de socialisme libéral fut-elle Pourtant, tout indique que cette issue idéologique aurait stupéfait les créateurs du socialisme libéral et qu’ils y auraient vu une trahison de leurs idéaux.

L’objectif de ce livre est précisément de sortir le socialisme libéral de ces confusions en montrant qu’il ne correspond pas à la vulgate dominante. Car il faut se méfier des erreurs de filiation faisant du centre-gauche du début du XXIe siècle, voire du Parti démocrate américain, des exemples de socialisme libéral. Certes, le sens des mots est conventionnel, mais si l’on entend par socialisme libéral une tendance politique et intellectuelle qui a réellement existé et s’est ainsi désignée, alors celle-ci n’a pas grand-chose à voir avec l’acception commune. Pour le prouver, une généalogie s’impose afin d’exhumer cette tradition oubliée. Si l’idée de socialisme libéral a été défendue dans bien des contextes, c’est surtout en Italie qu’elle s’est imposée, quoique très minoritairement. Le livre le plus connu de ce courant, Socialisme libéral (1930), est l'œuvre du socialiste et antifasciste Carlo Rosselli. Contre le libéralisme « bourgeois » et le totalitarisme communiste, il prônait une refondation du socialisme évitant une double impasse : celle d’un libéralisme économique trop confiant dans les vertus du marché et indifférent aux injustices, et celle d’un socialisme menacé de dérives autoritaires pour n’avoir pas intégré les acquis du libéralisme politique : défense des droits de l’individu, distinction entre « société civile » et État, rôle du pluralisme, place du marché, etc. Les penseurs du socialisme libéral et du « libéralsocialisme », tel Guido Calogero, savaient que cette doctrine était déconcertante pour les libéraux : ainsi, Benedetto Croce, bien qu’inspirateur indirect de ce courant, jugeait l’idée de libéralsocialisme incohérente — sorte de « licorne », de « bouc-cerf » ou de « poisson mammifère », selon les mots de Calogero.


De fait, l’histoire moderne a été le théâtre d’un conflit entre « libéralisme » et « socialisme ». Le premier désigne un courant complexe qui s’affirme aux XVIIe et XVIIIe siècles contre l’absolutisme monarchique, autour d’événements décisifs — la Glorious Revolution de 1688 — et d’oeuvres fondatrices — de Locke à Montesquieu et Smith — en défendant certains thèmes clés : la tolérance religieuse, la protection des droits individuels, le constitutionnalisme, la distinction entre société civile et État, le rôle bénéfique du libre-échange, etc. Dans sa version vulgarisée, que résume souvent la formule « Laissez faire, laissez passer », le libéralisme économique pose que l’État, quoique indispensable, doit en principe limiter son intervention à la protection des personnes et des biens, voire à certains services d’intérêt public : pour le reste, le marché assurera l’harmonie générale dans l’intérêt du plus grand nombre. Ce discours libre-échangiste, qui s’épanouira au XIXe siècle, se heurtera cependant, avec la révolution industrielle, à la critique « socialiste ». Courant multiforme, porté dans les années 1810 en Angleterre par Robert Owen et son mouvement coopératif, le socialisme se définit lui aussi diversement. On peut, avec Élie Halévy dans son cours posthume sur l’Histoire du socialisme européen, le résumer grossièrement en ces termes : « Il est possible de remplacer la libre initiative des individus par l’action concertée de la collectivité dans la production et la répartition des richesses. » Aussi le socialisme a-t-il fait l’objet de critiques virulentes des économistes libéraux. L’antisocialisme a même été une tendance lourde de la pensée économique, qui englobait aussi dans son refus les projets de solidarité portés par les « républicains ». Or il est significatif que la quasi totalité des théoriciens du « socialisme libéral » se soient définis ou comme « socialistes » ou comme « républicains », mais très rarement comme « libéraux ».

Ce n’est qu’à la lumière de cette hostilité jamais éteinte des économistes libéraux pour les socialistes, mais aussi pour les républicains, que l’on peut saisir le sens du socialisme libéral. Car, loin d’être le fruit naturel de la doctrine libérale, celui-ci s’est imposé contre le libéralisme économique et son antisocialisme doctrinal. Le seul grand courant dit « libéral » qui se soit ouvert au socialisme a été le « nouveau libéralisme » anglais, esquissé par John Stuart Mill puis théorisé par Thomas Hill Green et Leonard T. Hobhouse : encore doit-on rappeler qu’il visait à dépasser les limites du libéralisme classique jugé incapable de résoudre la question sociale et de légitimer un rôle accru de l’État. Aussi a-t-il exercé une influence sur le socialisme libéral.

Pour prouver l’irréductibilité du socialisme libéral au libéralisme classique, on examinera la rupture historique que marque le « nouveau libéralisme » (chapitre I), avant d’exhumer l’originalité de la voie française, portée surtout par les républicains (chapitre II), et d’analyser la complexité du courant italien (chapitre III). Notre hypothèse sera que le socialisme libéral, loin d’être une simple version ou interprétation du libéralisme classique, ouvre, au-delà de sa diversité, une voie originale. Car le libéralisme, par son évolution interne, ne pouvait muter spontanément en socialisme libéral. Celui-ci n’a pu naître que par l’intégration d’un triple héritage : celui du libéralisme politique — protection de la liberté individuelle, tolérance, distinction entre société civile et État, place du marché, etc. ; celui du républicanisme — recherche du « bien commun », rôle clé du civisme, complémentarité entre liberté et égalité ; et enfin, indissociable du mouvement ouvrier, celui du socialisme — exigence de dépasser ou du moins de réguler collectivement le capitalisme selon un idéal de justice. Cette généalogie d’un domaine très peu exploré soulignera le caractère créateur de cette synthèse, et invitera à réfléchir sur son actualité : que pourrait être une position socialiste libérale au XXIe siècle ? L’examen des perspectives contemporaines (chapitre IV) confirmera que ce courant n’est pas une simple adaptation de la social-démocratie au capitalisme : renouant avec la tradition socialiste et républicaine, il vise à rendre effectives la citoyenneté et la solidarité, dans une relation critique aux principes du libéralisme économique.

Audier Serge, « Introduction / Le socialisme libéral, une voie d'avenir pour la gauche ? »,  Le socialisme libéral, Paris, La Découverte , «Repères», 2006, 128 pages
URL : www.cairn.info/le-socialisme-liberal--9782707147110-page-3.htm






E) Jules Ferry, libéral de gauche

On peut rêver de nombreux ajouts aux Lieux de mémoire, dirigé par Pierre Nora, auxquels vous avez collaboré, Mona Ozouf. Et par exemple, d’un chapitre consacré à Jules Ferry. A constater le nombre de rues et de places de nos villes qui portent son nom, on croirait avoir à faire un objet d’unanimité républicaine. A l’une de ces gloires de gauche, que les modérés ont décidé de partager, en raison de son éminente contribution à l’enracinement d’un régime – la République - que personne ne songe plus à contester.

Ce serait ignorer les haines qu’il a pu susciter. De son vivant, il fut affublé des pires sobriquets : « Ferry-famine », lors du siège de Paris par les Prussiens, lors de l’hiver 1870/71. Pour l’ex-communard et boulangiste Henri Rochefort, il est « Ferry l’Allemand » : un agent de Bismarck, qui cherche à détourner les Français de la revanche contre l’Allemagne, en engageant l’armée dans d’inutiles opérations de conquêtes coloniales. Devenu président du Conseil, il tombe en mars 1885, sur un bon mot de Clémenceau, qui le traite de « Ferry-Tonkin », lui attribuant la responsabilité de la défaite française de Lang-Son, face aux armées chinoises.

Et voilà que le procès de Jules Ferry reprend. De nos jours, il encourt la double accusation de phallocratisme (pour avoir prôné l’apprentissage de la couture » dans les écoles de filles), et de colonialisme, voire de racisme – pour ses fameux discours sur le devoir des « races inférieures » d’apporter la civilisation aux « races inférieures ».

Or votre livre, Mona Ozouf, est un formidable procès en réhabilitation de cette gloire républicaine.

Vous nous montrez, comment, après le traumatisme national de la défaite et de l’amputation du territoire national des provinces alsacienne et de la Moselle, malgré la méfiance du pays profond envers le régime républicain – assimilé au jacobinisme – une poignée de républicains ont su frayer son chemin au régime. Les uns, par leur enthousiasme organisateur, comme Gambetta. Les autres, par une bonne connaissance des besoins du pays et une capacité à se saisir les opportunités qui se présentaient – ce pourquoi, ils portent dans nos livres d’histoire, le nom ambigu d’opportunistes.

Jules Ferry est un républicain modéré : il adhère à l’histoire de la Révolution selon Quinet – et peut-être préfigure-t-il, du moins le suggérez-vous, celle de François Furet… Il refuse toute excuse à la dictature de Salut Public. Cette tyrannie préfigure, pour lui, le despotisme bonapartiste. Car notre républicain est aussi un libéral : il veut la liberté (on lui doit le fameux « bouquet » des grandes lois libératrices des années 80 : liberté de la presse, liberté de réunion, liberté municipale, liberté syndicale) et la diversité.

Mais comment concilier ce programme libéral, ces libertés et cette diversité, avec la nécessité de « refaire la France », qui est au programme de tous les partis, à cette époque, suite à notre effondrement de 1870/71 ? Cet homme d’Etat, de gauche et libéral, se méfie, nous dites-vous, d’une unité qui serait imposée de manière autoritaire et uniforme. Il croit – je vous cite – en une « unité construite sur la convergence des volontés libres ».

D’où sa priorité politique : l’éducation des jeunes Français, des deux sexes, de toutes les conditions et de toutes les croyances. Le fondateur de notre école publique, laïque, gratuite et obligatoire, n’est nullement un militant de l’athéisme, au contraire. Jules Ferry n’est pas Emile Combes. Il ne fait pas la guerre à l’Eglise. C’est elle qui, dans un premier temps, combat la République. Il réclame seulement que les cours d’instruction religieuse soient délivrés aux seuls enfants dont les parents en font la demande. Il prévoit même un jour de la semaine, pour cette activité, le jeudi. Mais pas dans les salles de classe – sinon, il faudrait donner un double des clefs au curé. Et de cela, il ne saurait être question…

Bref, vous faites de Jules Ferry, une incarnation de la synthèse républicaine – homme d’ordre et de progrès, partisan d’un exécutif renforcé, mais refusant toute abolition du Sénat, favorable à un Etat fort, mais appuyé sur des communes dotées des pouvoirs de s’administrer elles-mêmes, à la fois positiviste et libéral. C’est à ce réformisme équilibré que la France doit d’avoir renoué avec la stabilité ; et la République, son ancrage définitif dans notre culture politique.

Quant aux détracteurs, ceux qui l’accusent de colonialisme et de phallocratisme, on les laissera méditer cette sentence de Nietzsche (Considérations Intempestives) :

« Ces historiens naïfs appellent “objectivité” le fait de mesurer des opinions et des actes passés aux opinions courantes du moment présent, où ils trouvent le canon de toute vérité ; leur travail est d’accommoder le passé à la trivialité actuelle. »

La fin de votre ouvrage, qui comporte des attaques contre une gauche déclamative, qui voit « dans le compromis une trahison » semble montrer que le combat de Jules Ferry conserve une certaine actualité. Lui-même pestait contre la "politique par les fenêtres", celle qui fait étalage de radicalité pour se donner bonne conscience, mais qui, refusant les résistances du réel, se condamne à l'impuissance. Qui visez-vous ? Et que souhaitez-vous démontrer ?

Jules Ferry| Mona Ozouf





F) Edmund Burke (1729-1797) 
 
Irlandais, de père anglican, un notaire, et de mère catholique, Edmund Burke est un libéral (La vie et l'oeuvre § 1), mais un libéral "à la britannique", un libéral violemment hostile à la Révolution française, révolution libérale en 1789 mais révolution socialiste en 1793, un libéral irlandais dont la philosophie politique reste attachée à un ordre divin providentiel fondé sur un droit naturel historique (§ 2).

§ 1 - La vie et l'oeuvre


Né à Dublin en 1729, Edmund Burke est un homme politique, un whig - c'est-à-dire un libéral "à l'anglaise", qui ne dédaigne pas de philosopher : ainsi publie-t-il en 1757 une "Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublim and Beautiful" ; ou de s'intéresser à l'histoire du droit : "Essays towards a history of the laws of England".

Mais Burke est également un journaliste politique, c'est-à-dire un commentateur en même temps qu'un acteur politique, ce qui 1'amène à écrire, dans un style plutôt vif, dans le "feu de l'action", sur des sujets d'actualité : pour les colons d'Amérique contre la métropole, pour les catholiques irlandais (sa mère est catholique s'il est anglican), contre la Compagnie des Indes pour les droits des Hindous, contre la traite des Noirs et pour la défense des pauvres, sans oublier les homosexuels anglais qu'il souhaite voir traiter par le droit d'une manière moins répressive.

En novembre 1790 il fait donc paraître à Londres un ouvrage éminemment d'actualité, ses fameuses "Reflexions on the Revolution in France", ouvrage qui aura un succès considérable chez les monarchistes français, notamment, le point de vue exprimé n'étant pas celui d'un conservateur (tory) mais celui d'un whig, c'est-à-dire de quelqu'un "de gauche".

L'année suivante sera publié un ouvrage plus directement indigène : "Appeal from the New to the Old Whigs".

§ 2 - La philosophie politique d'Edmund Burke : pour l'ordre providentiel par le droit naturel historique


A - Nature et société


La Nature, c'est-à-dire l'Histoire, est gouvernée par la Providence divine. La finalité historique est le développement humain tel qu'il est voulu par Dieu.

La méthode du développement est une lente transformation des choses et des gens par l'expérience historique, qui repose sur l'héritage.

C'est l'héritage qui permet le passage de ce qui est à ce qui va devenir, qui sera le nouveau présent avant d'être le futur...

C'est donc l'hérédité, qui est le principe naturel qui permet la transmission de la vie et des biens, qui assure la stabilité de la société politique dans son évolution : donc hérédité de la Couronne, hérédité de la Pairie, succession héréditaire des libertés, franchises et privilèges, accordées par les ancêtres aux Communes et au peuple ; autrement dit, succession naturelle d'un type de gouvernement qui est le produit d'un certain développement historique.

C'est que la nature humaine est complexe et qu'il serait absurde de compter sur la raison individuelle pour "découvrir" le système politique idéal.

L'être humain n'est pas rationnel. Les passions dominent 1'homme. Il croit agir logiquement, selon ses intérêts, mais est inconsciemment dominé par ses sentiments.

Les relations interindividuelles en sont incertaines, mais encore plus incertaines les relations sociales et notamment politiques. C'est que l'honune-individu se double alors d'un homme-citoyen, écartelé entre ce qu'il croit être ses intérêts personnels à court, moyen et long terme, l'intérêt du groupe social qui est le sien et l'intérêt du groupe social global.

Le législateur est donc confronté à une réalité qui est d'une telle complexité qu'elle échappe à la raison individuelle, au demeurant bien faible, de l'être humain.

Seule la raison collective, générale, historique, permet de déterminer ce qu'il convient de faire pour aller dans le sens de l'histoire ; c'est-à-dire dans le sens du développement humain tel qu'il est voulu par Dieu.

C'est la raison collective qui crée les habitudes sociales qui se transmettent, tout en se modifiant, de génération en génération et qui conduisent à agir dans le bon sens moral comme les saines habitudes physiques conditionnent le bon comporteoent du corps.

Donc la raison bstraite, a-historique, ne peut conduire qu'à la métaphysique des Droits de l'Homme, tels qu'ils sont inscrits dans la Déclaration française de 1789.

B - Contre les Droits de l'Homme "à la française"


Selon Burke, les Droits de l'Homme, tels qu'ils sont proclamés en France en 1789, comme étant inaliénables et sacrés, ne peuvent être qu'une imposture. C'est l'effet d'une perversion de l'esprit et de la morale. Tout d'abord, cette doctrine n'est que mensonge éhonté destiné à couvrir les exactions d'arrivistes corrompus et sanguinaires.
Les Droits de l'Homme ne s'exercent pas réellement. La démocratie n'est pas le gouvernement du peuple mais la dictature des clubs. La loi de la majorité n'est que la loi d'une toute petite minorité d'excités. La majorité des Français n'a pas voulu le renversement de la monarchie.
Si la propriété est sacrée, pourquoi spolier les émigrés et l'Eglise ? Si la liberté d'opinion existe et si les arrestations ne peuvent être arbitraires, pourquoi, sans autre forme de procès, sabrer les opposants et faire défiler sous les fenètres de l'Assemblée leurs têtes au bout des piques ?

En vérité, le système politique qui découle des "Droits de l'Homme" est absurde parce que métaphysique, e'est-à-dire abstrait. Cela résulte du fait que les philosophes révolutionnaires se font de l'Homme une "idée" qui n'a rien à voir avec la réalité et construisent à partir de leurs "idées" un système théorique qui, donc, ne peut avoir aucune base véritablement naturelle dans le sens d'historique.

Hobbes, le premier, part de l'"idée" que l'homme isolé dans l'état de nature est libre, alors que l'homme ne peut être isolé dans l'état de nature mais est un animal social.

Locke, Wolff, Thomasius et leurs disciples du siècle des "Lumières" prennent leurs songes métaphysiques au sérieux et leurs robinsonnades pour argent comptant. Aussi prétendent-ils que les droits qu'ils accordent eux-mêmes à leur Homme fictif sont inaliénables.

A ces droits abstraits Burke oppose les droits concrets dont bénéficient les Britanniques. Ce sont des droits "hérités" et historiquement mérités.

Ils ne sont jamais "absolus", comme les droits français de 1789, mais limités et relatifs, car chaque membre de la société a des devoirs envers celle-ci et ne saurait, s'il est pauvre, bénéficier des mêmes droits que le noble et/ou le riche.

Les droits sont inégalitaires. Ils sont variables selon le temps et l' espace.

Les Anglais bénéficient de "leurs" droits, 1es Français devraient bénéficier des droits substantiels reconnus sous l'Ancien Régime.

Chaque peuple, selon les circonstances historiques, peut bénéficier de droits, ou n'en point bénéficier...


par Denis Touret






G) La gauche, la droite, le libéralisme
 
Les socialistes sont-ils de gauche ?
 
L’objet principal de cet article est de définir la droite et la gauche, ces deux « camps » politiques, donnant une grille d’analyse de l’espace politique aussi insatisfaisante théoriquement que jugée indispensable par la plupart des électeurs. Cela permettra de comprendre comment positionner les libéraux sur l'échiquier politique.
 
Qu’est-ce que la gauche ?
 
Les préoccupations de la gauche sont traditionnellement centrées sur la justice sociale, l'égalité, la solidarité, l'humanisme, la liberté, la lutte contre l’oppression, le progrès, la défense des plus faibles, l’universalisme.
 
L’histoire de la gauche commence par une lutte pour l’obtention de droits économiques et politiques, lors de la Révolution Française. Cette lutte mène à la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789. La gauche est alors essentiellement libérale.
 
Au XXème siècle, la gauche, alors principalement constituée des socialistes et des communistes, incarne aussi le collectivisme, dans un souci de mener à une égalité réelle entre les citoyens, quitte à utiliser la contrainte de la loi. On peut souligner la contradiction entre cette tendance et le souci de lutte contre l’oppression, puisque le collectivisme revient à imposer à tous la volonté d’une majorité sur de nombreux sujets. D’où la question, un brin provocatrice : « Les socialistes sont-ils de gauche ? ».
 
La gauche, c’est aussi la volonté de changement, changements radicaux, ambitieux. La gauche a une attitude critique face au présent, et plus encore face au passé : elle est révolutionnaire ou réformiste, et en tout cas progressiste.
 
On voit aussi parfois la gauche comme défendant essentiellement l’égalité, en ignorant toute autre considération (notamment de liberté). Ainsi, pour vaincre les résistances, briser l’ordre établi, la gauche peut être amenée à limiter, au moins temporairement, les libertés. Dans le but de parvenir à l’égalité économique réelle, elle aura aussi tendance à se concentrer sur la répartition des richesses existantes, plutôt que sur la capacité à créer de nouvelles richesses. Dans ce cas, les socialistes paraissent plus clairement à gauche.
 
Qu’est-ce que la droite ?
 
La droite se pose traditionnellement en défenseuse de l’ordre, du travail, de la famille et de la responsabilité individuelle devant des normes établies. Stabilité, légalité, préoccupation de l’avenir comme perpétuation du passé et du présent sont les principales revendications de la droite. Elle montre un respect important de la hiérarchie, accorde une importance élevée à la sécurité, à la défense de la patrie. Elle valorise l’effort, l’émulation, la concurrence. Elle conçoit la justice comme distributrice de sanctions ou de récompenses, plus que comme une instance permettant de rétablir des droits bafoués.
 
La droite souligne l’inégalité des talents et des performances, qu’elle refuse d’égaliser par la loi. Elle souhaite protéger les plus faibles, mais sans que cela décourage ceux qu’elle voit comme les plus entreprenants, les plus talentueux ou les plus riches.
 
Une partie de la droite considère l’individu comme maître de son destin, autonome, responsable et elle défend la propriété. Cela la rapproche du libéralisme. Elle s’en éloigne lorsqu’elle cherche à favoriser un modèle d’organisation (issu de la tradition), en pénalisant les choix alternatifs, ou encore lorsqu’elle fait passer « l’intérêt supérieur de la nation » devant les droits individuels (notamment de propriété).
 
A l’extrême droite, on trouvera le traditionalisme, le nationalisme, l'autoritarisme, c’est-à-dire les partisans d'un pouvoir fort.
 
Les libéraux : compatibles avec la droite et la gauche
 
On le voit, les définitions de la droite et de la gauche, même si l’on se restreint aux valeurs, sont floues et elles changent dans le temps. Il est cependant possible d’en dégager des tendances, décrites ci-dessus.
 
Le libéralisme partage certaines valeurs de la droite (responsabilité individuelle, propriété) et certaines valeurs de la gauche (lutte contre l’oppression, justice) : il incarne la défense de la liberté et de la responsabilité individuelle face à autrui. Il ne semble donc pouvoir être placé clairement d’un côté ou de l’autre.
 
C’est, somme toute, assez logique : les libéraux souhaitent principalement laisser chacun libre de gouverner sa vie, avec comme limite le respect des droits des autres. Comme le souligne Alcodu sur son blog Gauche libérale : « il y a des libéraux de droite et des libéraux de gauche, mais le propre des libéraux c'est de ne pas vouloir gouverner la société au nom d'une morale de droite ou d'une morale de gauche ».
 
par Matthieu Longobardi - Ouvrez-vous 
 
Bibliographie :
- André Comte Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2001, article Droite/gauche
- Mathieu Burelle, Qu'est­-ce que la gauche ? (article web aujourd’hui inaccessible)
 
Je recommande par ailleurs le texte Les libertariens sont-ils à droite ? du site Le Québéquois libre.




H) Le libéralisme par la voie de gauche - Née avec la Révolution, l'idée d'autonomie de l'individu a été mise à mal par l'Etat tout-puissant au XXe siècle. L'ère numérique pourrait lui être fatale.

Il existe à gauche une longue tradition libérale dont les socialistes « frondeurs » d'aujourd'hui devraient s'inspirer, écrit Gaspard Koenig. Qui, mieux que le marché, accueille ceux qui n'ont pas le bon diplôme, le bon accent ou le bon air de famille ? La concurrence n'est-elle pas le meilleur moyen de favoriser l'ascension sociale ? L'austérité budgétaire n'éclaircit-elle pas notre horizon illimité de répression fiscale ? Ravivons la flamme vacillante de la gauche libérale ! 

Gaspard Koenig

La France a un problème avec le libéralisme. Elle en est en partie le berceau, à travers des auteurs des XVIIIe et XIXe siècles comme Jean-Baptiste Say ou Alexis de Tocqueville. Mais, depuis près d'un siècle, elle lui a tourné le dos. En préambule de son dernier livre, Gaspard Koenig raconte que, en huit ans d'études de philosophie, « jamais, pas une minute [...], on ne m'a parlé du libéralisme. Il m'a fallu, comble de l'ironie, passer une année à Columbia University (New York) pour découvrir, au hasard d'un cours sur la philosophie continentale, cette tradition française ». Cette découverte tardive est devenue un idéal pour le jeune agrégé en philosophie, qui l'a amené à créer un think tank (GénérationLibre) et à devenir chroniqueur pour plusieurs revues et journaux, dont « Les Echos ».

L'autonomie avant tout

Pour lui, le libéralisme ne saurait se réduire au modèle économique dominé par le marché auquel on tend à le ramener. C'est la mise en avant comme priorité absolue de l'autonomie, c'est-à-dire de « la capacité de l'individu à effectuer ses propres choix ». L'idée est au coeur de son dernier essai, « Le Révolutionnaire, l'Expert et le Geek ». Le titre peut sembler abscons, mais il symbolise « trois systèmes de représentation du monde, ancrés dans trois moments de l'histoire de France : le modèle révolutionnaire ; la tentation planiste ; l'utopie numérique ». Gaspard Koenig mêle avec brio l'histoire, la philosophie et l'économie pour explorer successivement ces trois stades, mais aussi pour jeter les bases de réformes radicales qui pourraient remettre l'individu au centre de la vie publique. 

Le révolutionnaire, ce pourrait être la figure d'Isaac Le Chapelier, « comète de la vie politique française ». Député du tiers état en 1789, il préside l'Assemblée nationale lors de la nuit du 4 août durant laquelle, « les uns après les autres, dans une allègre surenchère, les privilèges furent abolis - ceux des nobles et du clergé, mais aussi ceux des régions », écrit Gaspard Koenig. Guillotiné en 1794, il laissera à la France une loi qui porte son nom, qui « visait à "anéantir "(le terme est savoureux) toutes les corporations de métiers [...] de manière à briser les rentes et à fluidifier le marché », afin de garantir la liberté d'entreprise.
Deux siècles plus tard, alors qu'Uber subit les foudres des taxis et des pouvoirs publics, Gaspard Koenig n'hésite pas à jouer les provocateurs pour appeler de ses voeux une nouvelle nuit du 4 août : « Notre boussole, c'est l'autonomie individuelle, pas la liberté aristocratique du privilège. C'est pourquoi nous devrons faire un grand feu de joie des innombrables statuts, corps, catégories, ordres, syndicats et autres chapelles qui cherchent à créer leur propre norme et polluent notre horizon social. » A la place de ces « rentiers », et à rebours de nombreux politiciens dits « libéraux », il propose d'établir un revenu universel, assuré par l'Etat : « Donnons à chacun de quoi se libérer de la peur du lendemain - non pas au nom de la justice ni de la paix sociale, mais de l'autonomie. »
 
L'expert, deuxième figure invoquée par Koenig, est avant tout un repoussoir. Il symbolise le planisme, « cette idée perverse selon laquelle les choix individuels [...] doivent être orientés et limités [...]. Par qui ? Non par la volonté générale [...] ni par les associations de l'espace civil, mais par des experts, qui ont peu à peu envahi toutes les structures de l'Etat et tracé la diagonale mortifère du pouvoir ». Koenig fait remonter la tradition planiste française au régime de Vichy, qui mit en place la carte d'identité, le statut de la fonction publique, les ordres professionnels (médecins, experts-comptables...), le Code de l'urbanisme, la retraite par répartition ( « en fait, un vaste système de Ponzi qui cause la ruine de ma génération ») ou l'Ecole des cadres d'Uriage, ancêtre de l'ENA. Autant d'institutions qui perdureront à la Libération, le Conseil national de la Résistance et le général de Gaulle s'accommodant très bien de la vision planiste : « Aucune différence, sur le fond, entre l'économie organisée du Maréchal et "l'économie dirigée" du Général. [...] L'Etat n'est plus un outil au service d'un certain ordre démocratique, mais s'identifie à la nation elle-même, qu'il couronne et englobe. » Pour Gaspard Koenig, « il ne faut pas chercher plus loin les maux dont souffre la France aujourd'hui ».
 
Et demain ? La troisième partie de l'ouvrage y est consacrée, à travers la figure du « geek », symbole de l'utopie numérique planétaire promise par les géants du Web : individus connectés en permanence, règne des plates-formes et des algorithmes prédictifs, disparition de la notion de vie privée, remplacement du salarié par le « freelancer » ou le robot, et même transhumanisme, c'est-à-dire transformation de l'humanité par les nouvelles technologies.  

« Ce monde que la Silicon Valley nous prépare arrivera vite en France, avec des conséquences importantes pour notre conception de l'individu, de l'Etat et de l'autonomie. »
 
S'il appartient à la génération numérique, Gaspard Koenig ne se prive pas d'en dénoncer les abus et renvoie dos à dos les « ultraplanistes de toute obédience », de l'extrême gauche à l'extrême droite, et les « ultratechnologiques ». Au-delà du risque de la « concentration de pouvoirs extravagante » que représentent les maîtres des réseaux, que deviendra en effet l'autonomie dans un monde où Google et Amazon sauront, avant moi, ce dont j'ai envie ?
Benoît Georges



I) Divers liens

Libéralisme (gauche/droite; social) qu'en est-il exactement ? avec François-René Rideau et Jacques de Guenin 

John Dewey et le libéralisme (remettre les hommes au coeur de la politique et de l'économie, pour préserver et renouveler la démocratie)

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