octobre 08, 2025

Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d'État !!

L’Amérique tourne discrètement vers le capitalisme d’État

Au cours des dernières années, les États-Unis, traditionnellement considérés comme le bastion du capitalisme libéral et du libre marché, ont opéré un virage subtil mais significatif vers une forme de capitalisme d’État. Ce phénomène, souvent qualifié de « silencieux », se manifeste par une intervention accrue du gouvernement fédéral dans l’économie, particulièrement dans des secteurs stratégiques comme la technologie, l’énergie et la défense. Bien que ce changement ne soit pas officiellement proclamé, il reflète une réponse aux défis géopolitiques mondiaux, notamment la concurrence avec la Chine, et aux crises internes telles que la délocalisation industrielle et les inégalités économiques.

 


 

Ce tournant n’est pas une rupture radicale avec le modèle américain, mais plutôt une hybridation où l’État utilise des outils économiques pour orienter les investissements privés vers des objectifs nationaux.

Inspiré par des analyses récentes, comme celles publiées par l’International Institute for Strategic Studies (IISS), cet article explore les mécanismes de cette évolution, ses implications et ses perspectives futures.

Les signes d’une intervention étatique croissante

Le capitalisme d’État se définit par un rôle actif de l’État dans la direction de l’économie, sans pour autant nationaliser les moyens de production. Aux États-Unis, cela se traduit par des politiques interventionnistes initiées sous les administrations récentes, tant démocrates que républicaines.

Sous la présidence de Joe Biden, des lois phares comme le CHIPS and Science Act (2022) et l‘Inflation Reduction Act (IRA, 2022) illustrent parfaitement cette tendance. Le CHIPS Act alloue plus de 50 milliards de dollars pour relancer la production de semi-conducteurs sur le sol américain, en subventionnant des entreprises comme Intel et TSMC. L’objectif est clair : réduire la dépendance vis-à-vis de Taïwan et contrer l’ascension technologique chinoise. De même, l’IRA injecte des centaines de milliards dans les énergies renouvelables, favorisant des industries vertes tout en imposant des critères « Buy American » pour privilégier les chaînes d’approvisionnement nationales.

Ces mesures ne sont pas isolées. L’administration Trump avait déjà imposé des tarifs douaniers sur les importations chinoises, une politique protectionniste prolongée par Biden. Plus récemment, en 2025, des restrictions sur les investissements américains en Chine dans des secteurs sensibles comme l’intelligence artificielle et les biotechnologies renforcent cette orientation.

Washington utilise ainsi des leviers comme les subventions, les incitations fiscales et les régulations pour guider les capitaux privés vers des priorités stratégiques.

Les racines historiques et géopolitiques

Ce virage n’est pas inédit dans l’histoire américaine. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’État fédéral est massivement intervenu dans l’industrie via le War Production Board, transformant des usines automobiles en producteurs d’armement. De même, pendant la Guerre froide, des programmes comme le Space Race ont vu l’État financer des innovations technologiques, donnant naissance à des géants comme Boeing ou Lockheed Martin.

 


 

Aujourd’hui, le contexte géopolitique est dominé par la rivalité sino-américaine. La Chine, avec son modèle de capitalisme d’État dirigé par le Parti communiste, a démontré l’efficacité d’une économie planifiée dans des domaines comme les véhicules électriques et les semi-conducteurs.

Face à cela, les États-Unis adoptent une approche similaire, mais adaptée à leur système démocratique : un « industrial policy » qui mélange marché et intervention publique.

Des experts soulignent que cette stratégie vise à préserver la suprématie technologique américaine, essentielle pour la sécurité nationale.

Cependant, ce tournant soulève des débats. Les critiques libéraux craignent une distorsion du marché, où l’État choisit les « gagnants » au détriment de l’innovation libre. À l’inverse, les partisans arguent que dans un monde multipolaire, le laissez-faire pur est obsolète.

Implications économiques et politiques

Économiquement, cette évolution pourrait revitaliser des régions industrielles délaissées, comme le Rust Belt, en créant des emplois dans les technologies avancées. Par exemple, des usines de batteries pour véhicules électriques financées par l’IRA émergent dans des États comme le Michigan et la Géorgie. Pourtant, les coûts sont élevés : ces subventions augmentent le déficit budgétaire et pourraient entraîner des bulles spéculatives si elles sont mal gérées.

Politiquement, ce capitalisme d’État renforce le pouvoir exécutif, avec des agences comme le Département du Commerce jouant un rôle accru dans les décisions industrielles.

Cela pourrait mener à une polarisation accrue, les républicains accusant les démocrates de « socialisme », tandis que les progressistes poussent pour plus d’interventions sociales.

Sur la scène internationale, les États-Unis influencent leurs alliés, comme l’Europe avec son propre Green Deal, à adopter des politiques similaires. Cela pourrait redessiner les alliances économiques, favorisant un bloc occidental face à la Chine et à la Russie.

Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d’État marque une adaptation pragmatique à un monde en mutation. En fusionnant le dynamisme du secteur privé avec la vision stratégique de l’État, Washington cherche à maintenir sa position dominante. Toutefois, ce modèle hybride doit naviguer entre efficacité et risques de bureaucratisation. À l’horizon 2030, il sera crucial d’évaluer si cette approche renforce ou érode les fondements du rêve américain. Comme l’indiquent des analyses expertes, ce n’est pas une révolution, mais une évolution nécessaire dans un paysage géoéconomique compétitif.

https://multipol360.com/lamerique-tourne-discretement-vers-le-capitalisme-detat/ 

 


 

 Le virage discret des États-Unis vers le capitalisme d'État
L'intervention croissante de Washington dans le monde des entreprises américaines marque un virage vers un capitalisme davantage influencé par l'État, qui allie pouvoir commercial et influence politique. 

Les relations entre le gouvernement américain et les entreprises américaines connaissent actuellement une profonde transformation. Sous la deuxième administration du président Donald Trump, Washington abandonne sa position traditionnelle en faveur du libre marché au profit d'un modèle plus interventionniste où le respect des objectifs de sécurité nationale est de plus en plus monétisé. Cette approche en pleine évolution comprend certains éléments du capitalisme dirigé par l'État, tel qu'il est pratiqué dans des pays comme la Chine et la Russie. Ce changement est remarquable en ce qu'il n'est pas motivé par une crise économique ou une nécessité en temps de guerre, mais par l'objectif de générer des revenus et de réaffirmer délibérément le contrôle politique sur des secteurs stratégiques.

Approche transactionnelle
Au cours des derniers mois, l'administration a pris des mesures extraordinaires pour s'implanter dans le secteur privé. Le gouvernement a acquis une « action privilégiée » dans U.S. Steel comme condition pour approuver son acquisition par la société japonaise Nippon Steel. Trump a conclu un accord avec Nvidia et Advanced Micro Devices, délivrant des licences d'exportation en échange de 15 % des revenus liés à la Chine provenant des ventes de puces H20 de ces sociétés. En juillet, le Pentagone a acheté une participation de 15 % dans MP Materials, une importante société d'extraction de terres rares, devenant ainsi son principal actionnaire. Plus récemment, en août, l'administration a pris une participation de 10 % dans Intel, un fabricant de puces évalué à 8,9 milliards de dollars, marquant l'une des interventions les plus importantes du gouvernement américain dans une entreprise privée depuis le sauvetage de l'industrie automobile mis en œuvre à la suite de la grande crise financière de 2008.


Ces accords de type « pay-to-play » reflètent l'approche de plus en plus transactionnelle de l'administration américaine à l'égard des entreprises américaines, une approche qui remet en question les fondements du système américain traditionnellement axé sur le marché. Elle brouille la frontière entre la surveillance réglementaire et la négociation commerciale. Ces accords reposent souvent sur des bases juridiques fragiles, avec peu de contrôle ou de transparence. Pourtant, rares sont les entreprises qui osent défier le gouvernement. Pour beaucoup, ces accords constituent une assurance politique, un moyen d'« acheter la certitude » dans un environnement réglementaire instable. Pour d'autres, il s'agit d'une mesure défensive visant à éviter des pressions plus agressives ou l'exclusion des marchés publics. En effet, les entreprises paient pour éviter des conséquences plus graves. Ces accords de contrepartie pourraient servir de modèles pour une application plus large dans des secteurs stratégiques, des discussions étant en cours concernant des accords similaires pour les entrepreneurs du secteur de la défense.

Les nuances du capitalisme d'État
Deux modèles d'intervention étatique semblent émerger. Le premier modèle, souvent qualifié de « capitalisme patriotique », considère les entreprises ou les secteurs comme des champions nationaux et des instruments du pouvoir étatique. Dans ce cas, l'État américain se comporte de manière très similaire à son homologue chinois, en intégrant les entreprises dans ses stratégies géopolitiques. Par exemple, en août, Howard Lutnick, secrétaire au Commerce, a qualifié Lockheed Martin de « bras armé du gouvernement américain », car l'entreprise dépend fortement des contrats fédéraux. Dans le cadre de son accord avec MP Materials, le Pentagone acquerra des terres rares à des prix garantis afin de mettre en place une chaîne d'approvisionnement complète en minéraux essentiels aux États-Unis, imitant ainsi largement la tactique nationale chinoise. De même, au début de l'année, le gouvernement américain a annoncé son intention d'investir massivement dans le secteur de la construction navale afin de contrer la domination de la Chine dans ce domaine. Contrairement à la Chine, qui s'appuie sur des subventions massives, l'administration Trump préfère utiliser son pouvoir réglementaire sur les entreprises stratégiques et donner plus de moyens aux institutions soutenues par le gouvernement, telles que l'International Development Finance Corporation. Par exemple, dans le cadre de l'accord avec MP Materials, le ministère de la Défense a obtenu un financement privé d'un milliard de dollars auprès de JPMorgan Chase et Goldman Sachs pour construire une usine de fabrication d'aimants au Texas.

Le deuxième modèle, qui prédomine actuellement, est plus transactionnel et opportuniste : il cible des entreprises telles que Nvidia ou Apple, car elles sont trop grandes ou trop rentables pour ne pas participer. Cela ressemble au système de capitalisme d'État russe, dans lequel les entreprises sont censées partager leurs bénéfices avec l'État en échange d'un accès au marché ou d'une protection. Pour rendre ces accords impossibles à refuser, le gouvernement américain recourt de plus en plus à la guerre juridique, en intentant des poursuites sous divers prétextes. Par exemple, Apple a obtenu une exemption tarifaire en échange d'un engagement d'investissement de 600 milliards de dollars, alors même qu'elle fait l'objet d'une poursuite antitrust du ministère de la Justice pour sa position dominante sur le marché des smartphones.

Le gouvernement peut également utiliser d'autres leviers réglementaires pour faire pression sur les entreprises en leur bloquant l'accès aux marchés publics (le Kremlin privilégie notamment les enquêtes pour détournement de fonds et la rétention des certificats de sécurité incendie). Comme le montre l'exemple russe, il n'existe pas de taxe ponctuelle : les entreprises resteront sous pression, car de nouvelles exigences suivront, souvent dans un contexte de multiplication des poursuites judiciaires.

Accords mondiaux de type « pay-to-play »
Le plus inquiétant est la propagation de ce modèle à l'échelle internationale. L'administration Trump teste déjà des accords internationaux de type « pay-to-play » dans le cadre de ses efforts visant à réorienter le commerce mondial en faveur des États-Unis. Cela crée deux risques distincts : premièrement, que les multinationales – tant américaines qu'étrangères – deviennent des instruments géopolitiques pris entre deux feux entre Pékin, Bruxelles et Washington ; et deuxièmement, que les entreprises américaines exercent activement des pressions sur les gouvernements étrangers pour qu'ils s'alignent sur le programme politique de l'administration.

Les entreprises européennes ayant des liens avec les États-Unis – par le biais de transactions libellées en dollars ou de leur dépendance vis-à-vis du marché et de la technologie américains – sont de plus en plus soumises à des pressions pour se conformer aux contrôles à l'exportation américains. Le Bureau de l'industrie et de la sécurité, qui gère les contrôles à l'exportation américains, a déjà intensifié la pression sur les entreprises des pays alliés. En août, l'administration a retiré les entreprises sud-coréennes Samsung et SK Hynix de la liste des « utilisateurs finaux validés », les privant ainsi de la possibilité d'expédier sans licence des puces et des outils de fabrication de puces fabriqués aux États-Unis depuis la Corée du Sud vers des usines basées en Chine. En septembre, elle a révoqué l'autorisation de licence de la multinationale taïwanaise TSMC (Taiwanese Semiconductor Manufacturing Company). S'il n'est pas nouveau que les États-Unis exercent une pression extraterritoriale sur des entreprises étrangères, il est moins courant que Washington le fasse sur des entreprises clés de pays alliés. Comme dans le cas de l'accord conclu avec Nvidia, les entreprises technologiques européennes pourraient être contraintes de renoncer à des revenus ou d'investir dans les chaînes d'approvisionnement américaines pour éviter des droits de douane secondaires.

 Il existe un risque que les investisseurs chinois puissent accéder à des secteurs sensibles aux États-Unis s'ils concluent le bon accord et offrent un prix suffisamment élevé, malgré la surveillance exercée par le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. Malgré les préoccupations persistantes en matière de sécurité nationale, TikTok, propriété de la société chinoise ByteDance, est de plus en plus utilisé comme monnaie d'échange dans le conflit tarifaire entre les États-Unis et la Chine, l'administration ayant manifesté son intérêt pour l'acquisition d'une participation via un accord de « golden share ». Les entreprises américaines pourraient également être poussées à revenir sur le marché russe si cela sert les objectifs politiques de Trump. Moscou ayant exprimé son souhait de voir Boeing revenir, il est concevable que l'administration fasse pression sur l'entreprise pour qu'elle reprenne ses activités en Russie dans le cadre d'un accord de paix plus large.

En contrepartie, l'approche transactionnelle permet aux entreprises américaines de poursuivre leurs propres intérêts en se ralliant aux objectifs politiques de l'administration Trump. Les frontières entre le public et le privé sont de plus en plus floues. Tirant parti du programme anti-climatique de Trump, certaines entreprises américaines ont exhorté Washington à utiliser les négociations commerciales avec l'Union européenne pour affaiblir la directive de Bruxelles sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises de 2024 (qui impose aux entreprises non européennes de veiller à ce que leurs chaînes d'approvisionnement ne nuisent pas à l'environnement et ne violent pas les droits humains). D'autres pourraient chercher à influencer l'administration sur la loi européenne de 2022 sur les services numériques, qui a déjà eu des répercussions négatives sur les grandes entreprises technologiques américaines. Conscients de l'aspiration de Trump à mettre fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine, les dirigeants d'ExxonMobil ont déjà sollicité le soutien du gouvernement pour un éventuel retour sur le marché russe et auraient reçu un « accueil favorable ».

 Ce à quoi nous assistons n'est pas seulement un changement de politique, mais une transformation systémique de la manière dont le gouvernement américain envisage ses relations avec l'industrie. Le modèle américain traditionnel, dans lequel le marché mène et l'État suit, pourrait céder la place à un nouveau paradigme où le pouvoir économique est politisé et où l'autonomie des entreprises est subordonnée à l'alignement national. S'il reste peu probable que les États-Unis adoptent pleinement le capitalisme d'État, une chose est sûre : les règles d'engagement entre les entreprises et le gouvernement sont en train d'être réécrites, et les implications mondiales commencent seulement à se faire sentir.

Maria Shagina

Senior Fellow, Diamond-Brown Economic Sanctions, Standards and Strategy

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