Égalitarisme
L'égalitarisme est une doctrine politique prônant l'égalité
absolue des citoyens en matière politique, économique et sociale. Les
égalitaristes soutiennent que les riches ne servent aucun objectif
global dans la société et que les vastes accumulations de richesses
doivent être réduites. Ces défenseurs de la justice sociale
soutiennent que la seule façon de parvenir à une société équitable est
de modifier substantiellement la répartition des richesses. Très
souvent, ils demandent des taux d'imposition marginale plus élevés, des
droits de succession plus élevés et même des plafonds sur la richesse
personnelle ou sur les salaires.
Point de vue libéral
Tandis que pour ses partisans, l'égalitarisme se justifie par des raisons morales, pour le libéralisme, l'égalitarisme est philosophiquement le refus de l'autre dans une volonté coercitive de nivellement par le plus petit facteur commun, et une atteinte à la liberté de l'individu. L'égalitarisme s'oppose ainsi aux besoins des Hommes, aux besoins d'une société moderne, et ne peut aboutir qu'au totalitarisme. Il a besoin d’imposer une échelle de valeur à tout le monde. Cette conception d'une justice distributive
ramène tout à des mesures quantitatives arbitraires. C'est le supplice
antique du lit de Procuste, du nom de ce brigand qui réalisait l'égalité
en raccourcissant les grands et allongeant les petits.
Pour les libertariens,
l'égalitarisme n'est pas autre chose qu'une attaque contre la propriété
légitime, qui ne serait pas tolérée dans une société libre :
- L’égalitarisme, sous toutes ses formes, est incompatible avec
l’idée de propriété privée. La propriété privée implique exclusivité,
inégalité et différence. [...] Dès que des membres matures de la société
expriment fréquemment leur approbation des sentiments égalitaires,
voire en font la promotion, que ce soit sous forme de démocratie (règne de la majorité) ou de communisme,
il devient essentiel que d’autres membres, et en particulier les élites
sociales naturelles, soient prêts à agir avec résolution et, en cas de
non-conformité persistante, excluent et in fine expulsent ces membres de
la société. (Hans-Hermann Hoppe, Démocratie, le dieu qui a échoué)
-
-
L'égalitarisme est une utopie
arbitraire, injuste et de plus absolument impossible à réaliser en
pratique. À supposer que l'on puisse donner le même revenu à tout le
monde, ou une richesse initiale identique pour tous, l'utilisation même
de ce revenu égal ou de cette richesse égale créerait des inégalités :
comme l'explique Nozick, les fans d'une vedette de la chanson ou du
sport paient très cher pour la voir, ce qui viole la « juste »
distribution des revenus et crée un « très riche » ipso facto avec le consentement de tous. La seule solution serait de tout rendre gratuit et de supprimer la monnaie,
ce qui conduirait rapidement à la disparition de la civilisation.
Conscients malgré tout de l'absurdité de l'égalitarisme, ses partisans
dans l'arène politique n'envisagent que des prélèvements fiscaux pour
« réduire les inégalités » ; ils abandonnent l'absurdité de l'utopie pour l'arbitraire de la spoliation étatique.
D'un point de vue épistémologique, cette doctrine repose sur la croyance fallacieuse en la possibilité de créer un homme nouveau
par voie autoritaire. Pour tenter d'être appliqué, l'égalitarisme a de
surcroît besoin que soit supprimée la seule égalité véritable : l'isonomie (l'égalité devant la loi). Dans cette perspective, les égalitaristes confondent délibérément les contraintes naturelles avec la coercition.
Par exemple, ils dénoncent la différence homme-femme comme une
manifestation de l'oppression masculine. Notons, d'ailleurs, le paradoxe
qui devrait sauter aux yeux : on se réfère à la masculinité comme un
fait établi tout en la définissant comme une fiction !
En fustigeant un fait de nature comme s'il s'agissait d'un acte
de domination, les partisans de l'égalitarisme prouvent qu'ils ne
conçoivent la réalité qu'en termes politiques. Leur double mot d'ordre
est « la vérité n'existe pas » et « tout est politique ». De la sorte, par nihilisme, ils manifestent un déni pur et simple de la logique et de la réalité.
Refusant la structure logique et naturelle du monde, les égalitaristes veulent opérer une tabula rasa. Leur projet ne peut par conséquent prendre forme, conformément à leur constructivisme, qu'au moyen de lois
autant absurdes que tyranniques. En vue de supprimer les particularités
propres à chacun, l'égalitarisme en vient nécessairement à promouvoir
l'installation au pouvoir
d'une élite artificielle, s'appuyant sur l'envie et le ressentiment.
Comme dans toute tentative politique de détruire l'ordre du monde -
caractéristique du totalitarisme -, le sens des mots est inversé : la liberté devient l'esclavage, et la coercition un acte de délivrance.
Une application concrète de l'égalitarisme s'observe en France à l'Éducation
nationale dans le refus des classes de niveaux, avec une volonté
délibérée de ne pas reconnaître la diversité des élèves. Les élèves très
rapides et très lents sont censés être dans les mêmes classes au nom de
l'égalité, ce qui a pour conséquence de freiner les meilleurs, ou de
perdre définitivement les moins bons. Tout comme étaient ignorés jusqu'à
récemment les besoins spécifiques des élèves dit surdoués ainsi que
ceux dyslexiques.
Égalitarisme libéral
On désigne sous ce terme la théorie de la justice de John Rawls (Théorie de la justice, publié en 1971), qui relève cependant davantage de la social-démocratie que du libéralisme (bien que le principe de liberté y reste central).
Citations
- Le principe égalitaire a quelque chose d’égalitaire en effet.
D’abord il empêcherait le capital de se former ; car qui voudrait
épargner ce dont on ne peut tirer aucun parti ? Et ensuite, il réduirait
les salaires à zéro ; car où il n’y a pas de capital (instruments,
matériaux et provisions), il ne saurait y avoir ni travail d’avenir ni
salaires. Nous arriverions donc bientôt à la plus complète des égalités,
celle du néant. (Frédéric Bastiat, Harmonies économiques)
- La revendication d’une égalité matérielle des situations ne peut
être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires. (Friedrich Hayek)
- La doctrine égalitaire est manifestement contraire à tout les faits
établis par la biologie et par l'histoire. Seuls les partisans
fanatiques de cette théorie peuvent affirmer que ce qui distingue un
génie d'un imbécile est entièrement l'effet d'influences postnatales. La
présomption que la civilisation et le progrès sont issues de
l'opération d'un facteur mythique - dans la philosophie marxiste, des
forces productives matérielles - [...] est une fable absurde. (Ludwig von Mises, Theory and History)
- Imposer de force l'égalité, c'est nier la nature humaine et léser absolument tout le monde, y compris ceux auxquels l'égalité était supposée bénéficier. (Hans Sennholz)
- L'égalité de fait ne correspond à aucun instinct de l'Homme, sauf peut-être au sentiment paralysant et stérile qu'est l'envie. (Albert Schatz)
- Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes
inégalités ne frappent point l'œil ; quand tout est à peu près de
niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir de
l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est
plus grande. (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)
- L'égalitarisme n'est pas seulement une révolte contre la nature des
choses, c'est une révolte contre l'essence de l'existence — et il
traduit une haine de l'existence concrète, souvent associée à la haine
de soi. (François Guillaumat)
- Grattez un peu, et sous l'égalitariste vous trouverez inévitablement un étatiste. (Murray Rothbard)
- Une société égalitariste ne peut espérer atteindre ses buts que par des méthodes de coercition totalitaires
[...]. La révolte égalitariste contre la réalité biologique, aussi
significative soit-elle, n'est qu'une partie d'une révolte plus
profonde, contre la structure ontologique de la réalité elle-même,
contre l'organisation même de la nature, contre l'univers en tant que
tel. Au cœur de la gauche égalitariste réside une croyance pathologique : que la réalité est sans structure, que le monde entier est une tabula rasa
que l'on peut modifier à tout instant dans la direction souhaitée par
le seul exercice de la volonté humaine - en bref, que la réalité peut
être instantanément transformée par la simple volonté ou le simple
caprice de l'être humain. (Murray Rothbard)
- La société qui refuse d'accorder son estime à l'envieux n'est pas forcément injuste. Le législateur et la justice ne doivent pas partager le point de vue d'un éventuel envieux, mais être aveugles, ce que précisément l'envieux n'est pas. (Helmut Schoeck)
- On ne devient plus ni riche ni pauvre : c'est trop pénible. Qui
voudrait encore gouverner ? Qui voudrait encore obéir ? C'est trop
pénible. Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même
chose, tous sont égaux : quiconque est d'un autre sentiment va de son
plein gré dans la maison des fous. (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
- L'injustice ne se trouve jamais dans les droits inégaux, elle se trouve dans la prétention à des droits égaux. (Friedrich Nietzsche, Aurore)
- Que tout soit égal, cela, pour certains esprits, est très beau et
satisfait leur esthétique particulière ; et pour que tout soit égal, le
meilleur moyen est que toutes choses soient la même chose. Une seule
pensée dans tout l’État, cela nivelle et égalise admirablement tous les
cerveaux et ne permet pas ces différences entre les esprits supérieurs
et les esprits moindres qui sont si désagréables à la vue. Une seule
pensée dans tout l’État, cela est l’ordre même, puisqu’il est le
contraire de l’irrégularité et par conséquent du désordonné. Une seule
pensée dans tout l’État, c’est la fin de l’anarchie et l’anarchie
impossible. Il n’y a pas de plus beau spectacle ; c’est la Beauce. La
Beauce est une perspective admirable. (Émile Faguet[1])
- "C'est un crime d'être né sous des conditions favorables : car de la
sorte on a déshérité les autres, on les a mis à l'écart, condamnés au
vice et même au travail"... "Qu'y puis-je, si je suis misérable ! Mais
il faut que quelqu'un y puisse quelque chose, autrement ce ne serait pas
tolérable !"... Bref, le pessimisme par indignation invente des
responsabilités, pour se créer un sentiment agréable - la vengeance...
"Plus douce que le miel" l'appelait déjà le vieil Homère. (Friedrich Nietzsche[2])
- Quant à l’effet de la sempiternelle, et très populaire proposition
égalitaire de taxer les « riches » pour donner aux « pauvres » en
particulier : un tel programme ne réduit ni n’atténue la pauvreté,
mais, bien au contraire, il augmente la pauvreté. Il réduit
l’incitation à rester ou à devenir riche et à être productif, tout en
augmentant l’incitation à rester ou à devenir pauvre et à être
non-productif. (Hans-Hermann Hoppe)
- L’égalitarisme, sous toute forme et genre, est incompatible avec
l’idée de propriété privée. La propriété privée implique exclusivité,
inégalité et différence. (Hans-Hermann Hoppe)
- L'expérience historique montre que toute société égalitaire se
condamne à l'inefficacité et que, si l'on supprime les contraintes du
marché et les sanctions des revenus, il faut leur substituer des
contraintes et des sanctions autoritaires. (Maurice Allais, Le Figaro du 23 novembre 1975)
- On crée, au nom de l'égalitarisme, de nouvelles inégalités,
par exemple celles qui existent entre ceux qui vivent de leurs propres
efforts et ceux qui profitent de la contrainte organisée ; ou encore
entre ceux qui ont accès au pouvoir politique, instrument supposé de
l'égalitarisme, et ceux qui en sont écartés. (Pascal Salin, Libéralisme, 2000)
- Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres
ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux c’est qu’ils ne sont pas
libres. (Alexandre Soljenitsyne)
- C’est une caractéristique de la domination des pouvoirs que
d’imposer comme équivalentes des choses qui ne le sont pas. En
politique, l’équivalence reine, celle qui est organisatrice de nos
sociétés, c’est l’égalité, un homme en vaut un autre. Une voix en vaut
une autre, c’est en ce sens que les démocraties sont structurellement,
par construction, égalitaristes. La dérive a consisté à faire glisser
l’équivalence politique à tous les domaines. On a favorisé, par
démagogie, l’envahissement de l’égalitarisme à toutes les sphères de la
société. (Bruno Bertez, 13 février 2014)
- L'égalitarisme doctrinaire s'efforce vainement de contraindre la
nature biologique et sociale. Il ne parvient pas à l'égalité mais à la
tyrannie. (Raymond Aron[3])
- Le principe de l'institution des castes, si complètement incompris
des Occidentaux, n'est pas autre chose que la différence de nature qui
existe entre les individus humains, et qui établit parmi eux une hiérarchie
dont la méconnaissance ne peut amener que le désordre et la confusion.
C'est précisément cette méconnaissance qui est impliquée dans la théorie
« égalitaire » si chère au monde moderne, théorie qui est contraire à
tous les faits les mieux établis, et qui est même démentie par la simple
observation courante, puisque l'égalité n'existe nulle part ailleurs.
(René Guénon - Autorité spirituelle et pouvoir temporel)
- L’égalitarisme est une passion triste, insatiable, acharnée. La
volonté de puissance qu’elle nourrit ne se contente pas de fictions,
même juridiques. Elle veut régner sans partage sur une réalité
dépouillée jusqu’à l’os de toute trace de diversité verticale ou
horizontale. (Marc Fumaroli[4])
- La vision égalitaire du monde qu’a la gauche n’est pas seulement incompatible avec le libertarianisme,
cependant. Elle est tellement déconnectée de la réalité qu’on doit se
demander comment quiconque peut la prendre au sérieux. L’homme de la rue
ne croit certainement pas à l’égalité de tous les hommes. Le simple bon
sens et des préjugés solides s’y opposent. Et je suis d’autant plus
confiant qu’aucun des partisans réels de la doctrine égalitaire ne croit
vraiment, au fond de lui, ce qu’il proclame. Pourtant, comment, alors,
la vision gauchiste du monde a-t-elle pu devenir l’idéologie dominante
de notre époque ? Pour un libertarien, au moins, la réponse devrait être
évidente : la doctrine égalitaire a atteint ce statut non pas parce
qu’elle est vraie, mais parce qu’elle fournit la couverture
intellectuelle parfaite pour la poussée vers un contrôle social
totalitaire par une élite dirigeante. (Hans-Hermann Hoppe, Bien comprendre le libertarianisme, 2017)
Informations complémentaires
Notes et références
Émile Faguet, Le Culte de l’Incompétence, 1910
Friedrich Nietzsche,"Volonté de Puissance", II, 227
Raymond Aron, in Essai sur les Libertés
- Marc Fumaroli, in Partis Pris
Bibliographie
- 2001,
- Christopher Mayer, "Egalitarianism Run Amok", The Freeman, Vol 51, n°1, Janvier
- Jim Peron, "The Ideals of Tyranny. The Achievement of Equality Requires the Abolition of Freedom", The Freeman, Mars, Vol 51, n°3
Liens externes
https://www.wikiberal.org/wiki/%C3%89galitarisme
Égalité
L'égalité
est un terme portant sur plusieurs sens. Soit elle désigne une relation
entre personnes, soit la relation entre les personnes et des objets,
des biens ou des richesses, soit encore une comparaison entre qualités,
facultés ou moyens relevant des caractéristiques propres à chaque
individu en rapport à d'autres. Il s'agit, en outre, d'une condition,
d'une position ou un état d'équivalence, en équilibre ou en concordance
selon un certain rapport. Le principe d'égalité désigne le fait que
personne n'est au-dessus de la loi et qu'elle est égale pour tous, cela
implique que l'idée d'égalité soit liée à l'idée de justice.
Définition
L'égalité du point de vue du libéralisme est l'affirmation que tous les individus sont égaux en droit (principe d’isonomie). Le droit dont il est question ici est le droit naturel, et non l'ensemble des « faux droits » octroyés par l'État, qui précisément favorisent les uns aux dépens des autres, et donc accroissent les inégalités. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits (article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789). Pour un libéral, toute distinction fondée sur la naissance (Ancien régime, société de castes, société raciste), le présumé « intérêt général » (collectivisme), l'intérêt de quelques-uns (oligarchie), ou la « tyrannie de la majorité » (démocratie)
aboutit à l'injustice et au mépris des droits de l'individu. On obtient
donc une définition négative de l'égalité : chaque individu a un droit
égal à ne pas être agressé dans sa liberté ni dans sa propriété.
La définition de l'égalité rejoint celle de la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû (suum cuique tribuere, selon le vieux principe du droit romain). C'est ce qui distingue l'égalité de l'égalitarisme :
l'égalité tient compte de la nature de chacun, c'est aussi un « droit à
la différence » et un respect de l'autre, alors que l'égalitarisme tend
à nier toute différence (physique, intellectuelle, économique). Comme Friedrich Hayek l'a bien expliqué :
- Alors que l'égalité des droits dans un gouvernement limité est possible en même temps qu'elle est la condition de la liberté individuelle, la revendication d'une égalité matérielle des situations ne peut être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires.
Ainsi, ce que le collectivisme ou la social-démocratie entendent par « égalité » sociale, est une « justice » distributive, l'égalité économique, l'égalitarisme, sous divers prétextes (partage des fruits du travail, solidarité, cohésion sociale, etc.). L'idéal visé plus ou moins avoué est celui de l'égalité économique parfaite, selon le principe communiste
apparemment généreux de « à chacun selon ses besoins », principe qui,
outre son caractère immoral et coercitif, fait totalement fi de la
réalité de la vie humaine, qui est celle d'un monde de rareté, dans lequel seuls le travail, l'épargne, l'investissement, l'action, peuvent créer des biens.
Égalité des chances
L'égalité des chances, expression typiquement française (même si elle rappelle l'equal opportunity anglo-saxonne), est pernicieuse. Désigne-t-elle l'égalité en droit, exigence libérale, ou bien un droit à bénéficier des bienfaits de l'État-providence redistributeur ? Dans cette dernière acception, on tend à développer l'assistanat et à récuser la liberté et la responsabilité des individus :
- De fil en aiguille, on est finalement venu à l'égalité des
conditions, à l'égalité des résultats, quelles que soient les actions
individuelles, quels que soient les mérites ou les vices de chacun. La
chance porte un nom nouveau : l'État-providence. L'égalité des chances,
c'est l'égalité devant les bienfaits de la société. Dans cette logique,
l'échec n'est pas admissible, l'inégalité est scandaleuse. Aujourd'hui
l'égalité des chances est une forme d'envie (avoir tout ce qu'ont les
autres), une forme d'incurie (avoir tout sans rien devoir à personne,
faire n'importe quoi), une forme de folie vengeresse (« les ratés ne
vous rateront pas », disait Céline). (Jacques Garello)
La plupart des libéraux rejettent la notion d'égalité des chances, car elle est intrusive et coercitive. Certains libéraux de gauche, tels John Rawls,
soutiennent cependant que « personne ne mérite ses capacités naturelles
supérieures ni un point de départ plus favorable dans la société » et
voient comme injuste la répartition inégale des talents. Les structures
d'une société juste devraient faire en sorte d'atténuer au maximum les
différences. Ainsi, Rawls ajoute au principe d'égale liberté pour tous
(« chaque personne doit avoir un droit égal à la plus grande liberté
fondamentale avec une liberté semblable pour tous ») un second principe
ainsi défini :
- Les inégalités sociales et économiques doivent être arrangées de telle sorte qu'elles soient :
- - liées à des emplois et à des postes, accessibles à tous, dans
des conditions d'égalité impartiale des chances (principe d'égalité des
chances) ;
- - pour le plus grand profit des plus désavantagés (principe de différence).
Pour la plupart des libéraux (tel Nozick qui critique les conceptions de Rawls) le droit à l'égalité des chances n'en est pas un, puisqu'il doit respecter le droit de propriété
avant de s'appliquer. Le « principe de différence » de Rawls permet de
justifier les mesures les plus coercitives : revenu maximum (Rawls
affirme qu'il y a « un gain maximum autorisé pour les plus favorisés »),
redistribution par l'impôt (possible théoriquement jusqu’à ce qu’elle
ait tellement d’effets désincitatifs que les plus favorisés produiraient
beaucoup moins, et ce aux dépens des individus les plus désavantagés),
etc. Bien que Rawls se défende d'être utilitariste,
sa théorie a un défaut majeur, qui est l’hypothèse de comparabilité des
préférences individuelles. L'idée que la répartition inégale des
talents puisse être injuste et doive être corrigée mène directement à l'égalitarisme et au totalitarisme.
Erreur courante : égalité et égalitarisme
La critique la plus courante, venant le plus souvent de la gauche (encore qu'elle existe aussi à droite),
est que le libéralisme aurait une notion restrictive de l'égalité : en
effet, il n'envisage que l'égalité en droit et non l'égalité matérielle.
Les inégalités économiques que l'on peut constater entre les individus
ne le touchent pas : loin de les condamner, il les conforterait. Il
mènerait donc au conservatisme le plus rétrograde.
La réponse à cette objection est que l'égalité en droit a un
sens, alors que l'égalité matérielle ou économique n'en a absolument
aucun, à moins que tous les Hommes soient absolument identiques,
interchangeables et bâtis sur le même modèle, ce qui n'est pas le cas.
Dès lors que les Hommes sont différents, il est impossible de réaliser
l'égalité matérielle ou économique, car les capacités de chacun, les
aspirations, les besoins, sont différents. L'égalitarisme
n'est pas autre chose qu'une révolte contre la nature : il est injuste
qu'un autre soit plus beau, plus grand, plus jeune, plus intelligent ou
plus riche que moi. Le droit à la différence est vu comme un faux droit.
C'est la nature qui est jugée injuste, et la société des Hommes devrait
réparer toute injustice, si besoin (et il est impossible que ce soit
autrement) par la coercition et la violence. [1]
Une société égalitariste se détruirait elle-même par sa recherche
pathologique du nivellement par le bas. L'expérience historique montre
qu'en réalité elle réintroduit des inégalités, non pas sur la base des
capacités, aspirations et mérites différents (comme c'est le cas dans la
société libérale idéale) mais sur des bases politiques d'allégeance à
un leader ou au parti au pouvoir, illustration de l'anomie conduisant à la loi du plus fort.
Ceux qui croient aux vertus de l'égalitarisme, plutôt que de
chercher à asservir ceux qui n'y croient pas, devraient faire la preuve
par l'exemple, en créant des communautés pratiquant l'égalité matérielle
la plus complète (la famille n'est-elle pas une communauté de ce
type ?). Comme le dit Christian Michel :
- Le communisme
est un bel idéal. Que les communistes s'organisent dans leurs communes
et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront
rejoints par des millions et des milliards de gens. [...] Ce qu'il faut
combattre n'est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la
traduction politique de cette idéologie.
Malheureusement, l'égalitarisme n'est le plus souvent pas autre chose qu'une traduction idéologique de la jalousie sociale : l'égalitariste, qu'il soit libertaire,
communiste ou socialiste, veut seulement prendre aux plus riches que
lui. Il n'est pas question pour lui de partager avec ceux qui sont plus
pauvres que lui : c'est de la solidarité à sens unique.
Le prétendu conservatisme que le libéralisme entérinerait en ne
remettant pas en cause les positions sociales, n'existe pas en réalité.
Le libéralisme dénie toute légitimité à toute position sociale qui
serait contraire aux droits des individus. Loin d'être conservateur, le
libéralisme (plus particulièrement le libertarisme) est révolutionnaire car il entend souligner les injustices et y porter remède. Il reconnaît qu'il existe bel et bien une lutte des classes entre les dominants et les opprimés, entre ceux, étatistes, politiciens, qui violent perpétuellement le principe de non-agression en imposant l'arbitraire étatique par l'impôt et la loi, et ceux qui sont victimes de cette forme d'esclavage. Les inégalités existent bien : l'ennemi n'est pas le riche ou le capitaliste (du moins, tant qu'ils se limitent à pratiquer l'échange libre dans le respect du droit d'autrui), c'est celui qui me vole (qui prend ma propriété sans mon consentement) ou qui m'impose injustement sa volonté (qui attente à ma liberté). On retrouve l'exigence d'égalité libérale : l'obligation de respecter le droit de chacun, sa liberté et sa propriété.
Citations
- « Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel
pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment, et
ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour
l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils
veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils
la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté,
l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas
l’aristocratie. »
- (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)[2]
- « Il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens
de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une
condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une
nouvelle forme de servitude. »
- (Friedrich August von Hayek, Vrai et faux individualisme)
- « L’égalité proclamée dans la déclaration des droits de l’Homme
de 1789 est une égalité de condition sociale qui rend possible une
justice équitable. La loi est la même pour tous, c’est ce que ça veut
dire. L'État idéologique a transformé cette égalité de droit en égalité
de moyen, ce sont les clauses de moyens introduites dans la déclaration
des droits de l’Homme des Constitutions de 1946 et 1958. L’égalité n’est
plus seulement la promesse que la justice ne tiendra pas compte du
statut social des personnes comme sous la monarchie, mais qu’elle
devient aussi une égalité matérielle des conditions. C’est mettre à mort
l’équité dont le premier principe est « à chacun selon ses mérites »
pour produire un principe contraire, le principe égalitaire qui est « ce
qui est juste, c’est ce qui est égal ». »
- (Claude Lamirand – 7 décembre 2004)
- « La justice s’applique à la conduite des individus, pas aux
conséquences économiques de leurs actions. Elle est affaire de règles,
pas de résultat. Dans une société libre, c’est seulement les décisions
des acteurs que nous avons le droit de juger. Si un avantage est acquis
par la tromperie ou la violation d’une loi justement applicable à tous,
nous le déclarons injuste. Mais si quelqu’un n’a bénéficié d’aucune
entorse pour obtenir le même avantage, il n’y a aucune raison d’être
critique à son égard. Lorsque tu participes à un jeu, tu ne demandes pas
à l’arbitre de déclarer vainqueur le joueur le plus méritant. Il
importe seulement que la partie soit jouée loyalement, que les règles
soient respectées. »
- (Christian Michel)
- « L'inégalité des revenus et des fortunes est un caractère inhérent de l'économie de marché.
Son élimination détruirait complètement l'économie de marché. Ceux qui
réclament l'égalité ont toujours à l'esprit un accroissement de leur
propre pouvoir de consommation. Personne, en adoptant le principe
d'égalité comme postulat politique, ne souhaite partager son propre
revenu avec ceux qui en ont moins. Lorsque le salarié
américain parle d'égalité, il veut dire que les dividendes des
actionnaires devraient lui être attribués. Il ne suggère pas une
réduction de son propre revenu au profit des 95 % de la population
mondiale qui gagnent moins que lui. »
- (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- « L'inégalité [véritable] consiste à s'enrichir par ses
relations, à gagner sans rendre service, à extorquer sous la menace, à
créer une classe privilégiée de décideurs non responsables sur leurs
biens mais sur celui des autres. »
- (Prégentil)
- « À partir du moment où quelqu’un s’enrichit plus vite que vous,
une inégalité surgit. Sauf à contrôler la vie de tout le monde,
l’inégalité est le résultat, à un instant donné, d’un processus de
développement qui est par nature dynamique. Comme la croissance repose
sur la libération des énergies et des potentiels de chacun, il en
découlera nécessairement des trajectoires de revenus différentes. »
- (Jean-Louis Caccomo)
- « Le libéral combat les inégalités vraiment injustes,
c'est-à-dire celles qui profitent aux hommes politiques et aux
fonctionnaires, et les inégalités qui résultent du vol ou de la
coercition, qui sont souvent le fait de l'État, ou le fait que l'État ne
fait pas son travail. Le socialiste, lui, recherche l'égalité de
résultat, et c'est ainsi que dans ce pays tout est fait pour encourager
celui qui ne veut rien faire, et tout est fait pour mettre des bâtons
dans les roues à celui qui entreprend. C'est ainsi que l'Éducation
nationale, n'ayant pas réussi à uniformiser les résultats des élèves par
le haut, s'est résigné à les uniformiser par le bas. »
- (Jacques de Guenin)
- « L'égalité la plus fondamentale entre les hommes est sans doute
liée au fait qu'ils sont des êtres humains, et que par nature ils ont
une dignité et une vocation que ne possède aucune autre espèce. [...]
Cette égalité fondamentale et personnelle prend corps avec l'égalité des
droits. Ce qui sépare une société barbare d'une société civilisée, c'est que des règles sociales sont établies et respectées pour garantir les droits individuels qui permettent à l'homme de vivre dignement. »
- (Jacques Garello)
- « L’égalité est un état artificiel qui demande à être
constamment entretenu d’une manière artificielle. Les Hommes ne sont pas
égaux par définition. »
- (Vladimir Boukovski)
- « Les Hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont
libres, ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne
sont pas libres. »
- (Alexandre Soljenitsyne)
- « La France a toujours cru que l’égalité consistait à trancher ce qui dépasse. »
- (Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie française, 1955)
- « Tous les êtres de toutes les galaxies sont égaux devant la
Grande Matrice, indépendamment de leur forme, du nombre de leurs
écailles ou de leurs bras, et indépendamment même de l'état physique
(solide, liquide ou gazeux) dans lequel il se trouve qu'ils vivent. » (humour)
- (Umberto Eco)
Notes et références
Une
expérience de pensée classique montre que l'inégalité est inhérente à
la société humaine. Si on donnait strictement le même capital de départ à
tous, il suffirait qu'apparaisse une personne dont les services soient
appréciés par une grande partie de la population (une vedette de la
chanson, un écrivain à succès, un grand sportif, etc.) pour créer une
inégalité en sa faveur, très forte qui plus est, et ceci avec le
consentement de la plus grande partie de la population.
Sources
- 1960, R. Carter Pittman, "Equality Versus Liberty: The Eternal Conflict", ABA Journal, Vol 46
- 2011, Leonid Nikonov, "The moral logic of equality and inequality in market society", In: Tom G. Palmer, dir., "The Morality of Capitalism", Students for Liberty and Atlas Foundation, Arlington, VA
- Traduit en français en 2012 par Emmanuel Martin, "La logique morale de l’égalité et de l’inégalité dans la société de marché", In: Tom G. Palmer, dir., "La moralité du capitalisme Ce que vos professeurs ne vous diront pas", Students For Liberty et Atlas Economic Research Foundation, Lituanie: Petro Ofsetas, ISBN 978-609-420-265-0, pp64-71
- Traduit en espagnol en 2013, "La lógica moral de la igualdad y la desigualdad en la sociedad de mercado", In: Tom G. Palmer, dir., "La moralidad del capitalismo. Lo que no le contarán sus profesores", Chili, Santiago: Fundación para el Progreso, pp103-114
Voir aussi
Liens externes
Égalité en droit
L’égalité devant la loi ou égalité en droit est le principe selon lequel tout individu doit être traité de la même façon par la loi (principe d’isonomie). Aucun individu ou groupe d'individus ne doit donc avoir de privilèges garantis par la loi.
Concept
Ce principe s'est développé dans la philosophie politique occidentale au XVIIIe siècle et fut mis en œuvre dans des systèmes de démocratie libérale en France ou aux États-Unis
après les révolutions de 1787 et 1789. Ainsi, la Déclaration des droits
de l'Homme et du Citoyen de 1789 proclame-t-elle dans son premier
article que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ».
Le principe d'égalité devant la loi est un principe central du libéralisme et de la démocratie libérale. Alors que l'Ancien Régime
fonctionnait sur le principe de l'inégalité en droits, les régimes
issus des révolutions française et américaine prennent pour fondement
l'égalité en droits[1].
Se contentant de traiter les individus de la même façon, l'État
doit les laisser libres dans leur propre « recherche du bonheur »[2].
Égalité en droits et égalité sociale
Il est généralement opposé par les penseurs libéraux à celui d'égalité de résultats ou d'égalitarisme.
Pour l'économiste et philosophe autrichien Friedrich Hayek,
l'égalité matérielle et l'égalité en droit sont incompatibles, car
l'inégalité des conditions matérielles est une conséquence directe de
l'égalité devant la loi, en raison des aptitudes différentes des
individus. Il écrit ainsi : « Il y a toutes les différences du monde
entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux.
La première est une condition pour une société libre alors que la
seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude. » [3]
Pascal Salin revient dans Libéralisme
sur cette distinction et écrit qu'« il existe en effet deux notions
différentes de l'égalité, l'égalité des droits et l'égalité des
résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l'Homme et
du Citoyen de 1789 [...] mais c'est la seconde notion qui est devenue
dominante [...]. La première notion est manifestement libérale et individualiste,
puisqu'elle consiste à reconnaître l'égale dignité de chacun, mais à le
laisser libre de développer son propre destin à partir du moment où ses
droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme,
puisqu'elle consiste à penser que l'on peut interférer avec les
résultats de l'action humaine et imposer une répartition des richesses
conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a
priori à chacun des droits sur l'activité d'autrui. » [4]
Notes et références
Francis-Paul Bénoit, La démocratie libérale, édition 1978, pp.24 et suivantes
"The pursuit of happiness" ou « recherche du bonheur » est exprimée par exemple dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis
« Vrai et faux individualisme », Discours prononcé à University College Dublin, le 17 décembre 1945, [lire en ligne]
Citations
- Toutes les fois que l'homme réfléchit, et qu'il parvient, par la
réflexion, à cette force de sacrifice qui forme sa perfectibilité, il
prend l'égalité pour point de départ ; car il acquiert la conviction
qu'il ne doit pas faire aux autres ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui
fît, c'est-à-dire qu'il doit traiter les autres comme ses égaux, et
qu'il a le droit de ne pas souffrir des autres ce qu'ils ne voudraient
pas souffrir de lui, c'est-à-dire que les autres doivent le traiter
comme leur égal. (Benjamin Constant, De la perfectibilité de l'espèce humaine)
Bibliographie
- Francis-Paul Bénoit, La démocratie libérale, PUF, 1978, ISBN 978-2-13-035733-9
- Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette, ISBN 978-2-01-278865-7
- Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté, PUF, ISBN 978-2-13-056496-6
Voir aussi
https://www.wikiberal.org/wiki/%C3%89galit%C3%A9_en_droit
En France, le 15 novembre 1793, un décret implacable de la Convention déclare que tous les Français doivent manger le « même pain ».
Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain, dit de l'égalité.