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octobre 29, 2025

Le prix Nobel d'économie 2025 : une « trahison créative » de la vision de Schumpeter par Aghion et Howitt

Les lauréats du prix Nobel 2025, Philippe Aghion et Peter Howitt, ont tenté de formaliser la théorie de la « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter. Leur modèle mathématique n'est pas créatif, mais il détruit la théorie elle-même. 

 Zhang Shizhi

Le prix Nobel d'économie 2025 : une « trahison créative » de la vision de Schumpeter

Le prix Nobel d'économie 2025 a été décerné à Joel Mokyr, Philippe Aghion et Peter Howitt pour leurs « contributions à la compréhension de la croissance économique tirée par l'innovation ». Aghion et Howitt ont notamment été récompensés pour leurs travaux sur la manière dont une croissance durable peut émerger grâce à la « destruction créatrice ». Cependant, si Joseph Schumpeter pouvait voir comment son concept de destruction créatrice a été réinterprété pour justifier l'intervention de l'État, il se retournerait dans sa tombe. 

 Le « père de l'économie de l'innovation » a forgé ce terme non pas pour défendre l'activisme étatique, mais pour décrire la vitalité intrinsèque du capitalisme – sa capacité à renouveler sa structure économique de l'intérieur. Aghion et Howitt, quant à eux, ont enrobé l'intuition de Schumpeter d'équations élégantes et l'ont transformée en « preuve » que les marchés sont défaillants et que les gouvernements doivent les corriger. En France, cette logique a même servi à légitimer des politiques qui ont propulsé la dette publique à des niveaux records. Ce qu’ils appellent « développer la théorie de Schumpeter » est, en réalité, une trahison créative de celle-ci. 

Les deux visages de la destruction créatrice 

Dans leur article de 1990 intitulé « Un modèle de croissance par la destruction créatrice », Aghion et Howitt affirmaient être les premiers à formaliser l'idée de Schumpeter. Dans leurs équations, la destruction créatrice devenait un « moteur de croissance » calculable : les entreprises investissent de la main-d'œuvre dans la R&D, les innovations surviennent aléatoirement selon un processus de Poisson, chaque innovation réduit les coûts de production et les innovateurs perçoivent des rentes de monopole – jusqu'à ce que la prochaine innovation les « détruise ». 

 Cette approche semble sophistiquée, mais elle réduit la vision de Schumpeter à une simple comptabilité analytique. L'innovation cesse d'être un acte d'aventure entrepreneuriale et devient un résultat mécanique des dépenses de R&D. La « destruction » n'est plus le renouvellement naturel des technologies obsolètes, mais une « externalité » à corriger par des subventions et des taxes. Aghion calcule même que les marchés produisent « trop ou trop peu d'innovations » et conclut que l'État doit intervenir. 

 Dans son ouvrage *Capitalisme, socialisme et démocratie* (1942), Schumpeter définit la destruction créatrice comme le mécanisme fondamental de l'évolution capitaliste. Les entrepreneurs, en recombinant les facteurs de production existants de manière inédite, révolutionnent sans cesse la structure économique de l'intérieur, détruisant les industries anciennes et en créant de nouvelles. Pour Schumpeter, la destruction n'était jamais une fin en soi, mais une composante nécessaire de la création.

« Le capitalisme, donc », écrivait-il, « est par nature une forme ou une méthode de changement économique et non seulement il n'est jamais, mais ne peut jamais être, stationnaire. » La destruction marque simplement le passage d'une ancienne combinaison à une nouvelle. Sans elle, il n'y aurait pas eu de révolution industrielle, d'ère électrique ni d'économie numérique. 

Schumpeter n'a jamais perçu la destruction comme une perte, mais comme la plus grande force du capitalisme : son mécanisme d'auto-renouvellement. Les « nouvelles combinaisons » de production ne sont pas créées à partir de rien, mais par la renaissance de ressources existantes. L'innovation n'est pas une création ex nihilo, mais la redécouverte et la recombinaison de ce qui existe déjà. La chaîne de montage de Ford n'a pas inventé l'acier ni le caoutchouc ; elle a combiné des pièces standardisées, des convoyeurs et la division du travail pour transformer les voitures, autrefois biens de luxe, en produits de masse. 

 La croissance économique, soutenait Schumpeter, provient d'un « changement interne, auto-généré ». Le développement ne repose pas sur des injections externes, mais sur la réactivation de facteurs internes. Lorsque les technologies obsolètes sont remplacées, les ressources ne sont pas gaspillées ; elles sont libérées et réaffectées à des usages plus productifs. 

 Pour Schumpeter, les profits monopolistiques n’étaient pas le signe d’une défaillance du marché, mais la récompense de l’innovation. Aghion déplore l’« inefficacité statique » du monopole, tandis que Schumpeter y voyait la juste récompense de la prise de risque par l’entrepreneur. Les entrepreneurs innovent précisément parce qu’ils anticipent un monopole temporaire, c’est-à-dire le fait d’être le seul vendeur.


 

De la destruction créatrice à l'interventionnisme destructeur 
 
À partir de ses modèles mathématiques, Aghion a élaboré une série de « prescriptions » politiques que Schumpeter aurait catégoriquement rejetées. Il soutient que la destruction créatrice engendre chômage et désorganisation sociale, et que l'État doit donc amortir le choc par des programmes sociaux et une assurance chômage. Si cette approche peut paraître humaine, elle freine en réalité l'innovation. Les entreprises, réticentes à supporter des coûts de licenciement élevés, éviteront les technologies risquées, tandis que les travailleurs bénéficiant d'une protection sociale importante seront moins incités à acquérir de nouvelles compétences. 
 
 Schumpeter avertissait que « la vitalité du capitalisme repose sur des entrepreneurs prêts à prendre des risques ». L'État-providence sape précisément cet esprit. Le taux de chômage des jeunes en France, qui se maintient autour de 20 % – bien au-dessus de la moyenne européenne – résulte d'une surprotection qui dissuade les entreprises d'embaucher et les jeunes de se dépasser. 
 
Aghion préconise également des subventions publiques pour « l'innovation verte » et la création d'agences de type DARPA pour « cibler les technologies de rupture ». Mais Schumpeter aurait demandé : qu'est-ce qui rend les bureaucrates plus aptes que les entrepreneurs à décider des innovations à mener ? L'innovation de marché est guidée par la demande des consommateurs ; l'innovation publique, par le pouvoir discrétionnaire du pouvoir politique. La première engage des capitaux privés ; la seconde joue avec l'argent public. Quand l'entrepreneur échoue, il en subit les conséquences ; quand le bureaucrate échoue, c'est tout le monde qui en pâtit.
 
La courbe d'innovation en « U inversé » d'Aghion affirme qu'une « concurrence modérée » maximise la croissance, l'incitant ainsi à démanteler les monopoles. Or, ce raisonnement inverse la cause et l'effet : le monopole n'est pas l'ennemi de l'innovation, mais souvent sa conséquence. Lorsque le ministère de la Justice américain a cherché à démanteler Microsoft, il a présumé que les bureaucrates comprenaient mieux l'innovation que le marché lui-même. 
 
Économiste français, Aghion est un invité régulier du cercle restreint du président Emmanuel Macron. Lors de la campagne présidentielle de 2017, il a joué un rôle clé au sein de l'équipe de conseillers économiques qui a élaboré le cadre politique. Et le résultat ? Après huit années de pouvoir, le ratio dette/PIB de la France est passé de 98 % en 2017 à 115,6 % en 2025. L'économie est entrée dans un cercle vicieux d'endettement croissant, de croissance stagnante et d'innovation en berne. La croissance du PIB a chuté de 2,3 % à seulement 0,64 %, faisant de la France un pays à la traîne en Europe, caractérisé par un système de « providence élevée, une fiscalité élevée et une faible croissance ». Si Schumpeter pouvait voir cela, il soupirerait sans doute : « Ce n’est pas du capitalisme, c’est de l’interventionnisme déguisé en innovation. »
 
Le triomphe des mathématiques et l'effondrement de la pensée 
 
 Les équations différentielles et les modèles stochastiques d'Aghion donnent à la destruction créatrice une apparence « scientifique », mais ils occultent l'intuition la plus profonde de Schumpeter :
 
- L'innovation est un acte subjectif d'audace entrepreneuriale, et non un problème d'optimisation objectif ; - Le marché est un processus de découverte spontané, et non une cible de régulation ; 
- La destruction est le prélude à la création, et non une maladie à guérir. 
 
Schumpeter avait prédit que « le capitalisme périrait sous l'effet de la surréglementation et dériverait vers le socialisme ». Les solutions politiques proposées par Aghion semblent confirmer cette prophétie. Plus le modèle est « précis », plus il s'éloigne de la réalité ; plus la politique est « bienveillante », plus elle étouffe la vitalité du marché. 
 
En réalité, la destruction créatrice ne détruit rien d'essentiel ; elle permet simplement à l'ancien de disparaître dignement pour que le nouveau puisse émerger. Le véritable danger réside dans la tentative d'arrêter ce processus. Les mathématiques n’ont pas enrichi la pensée économique d’Aghion ; elles l’ont seulement rendue plus stérile. Son prix Nobel symbolise le triomphe du formalisme mathématique, mais l’échec de la pensée économique.
 
28/10/2025 • Mises Wire   



   

octobre 27, 2025

Histoire et libéralité: Comment le monde s’est enrichi ? Suivez Edouard Hesse !

Comment le monde s’est enrichi

Pourquoi le monde moderne est-il si riche ? 
 
La technologie, à elle seule, ne l’explique pas. Pour Joel Mokyr, auteur de La culture de la croissance et nouveau prix Nobel d’économie aux côtés de Philippe Aghion et Peter Howitt, la Révolution industrielle est née d’un big bang intellectuel : l’apparition d’une culture du progrès… que nous avons peut-être oubliée depuis.
 
 



Pendant des millénaires, les innovations — moulin à eau, harnais, imprimerie — améliorent la vie sans créer de progrès durable. Au point que chaque génération contemple avec nostalgie la grandeur disparue de l’Antiquité. Les savants, issus des élites cultivées, et les inventeurs, en prise avec le quotidien, ne se côtoient pas. Ils travaillent séparément, sans théorie commune. Impossible, pour un innovateur médiéval, de passer du moulin à eau aux lois de l’hydraulique.

Mais vers 1760, tout bascule. Les innovations s’enchaînent, se renforcent, et le progrès devient une habitude. D’une génération à l’autre, les gens vivent plus longtemps, mangent mieux, travaillent moins et accèdent à des ressources qui, jadis, étaient le privilège exclusif des rois.

Joel Mokyr montre que cette révolution ne vient pas seulement des institutions ou des marchés, mais d’une mutation culturelle : la foi dans la connaissance, le goût du progrès, la récompense de l’innovation. Au cœur de cette culture, des « entrepreneurs culturels » qui osent transformer le monde. À leur sujet, l’économiste cite George Bernard Shaw : « L’homme raisonnable s’adapte au monde ; le déraisonnable persiste à essayer d’adapter le monde à lui-même. Tout progrès dépend donc de l’homme déraisonnable. »



Bouleverser l’ordre établi


Deux figures se trouvent au cœur de ce bouleversement : Francis Bacon et Isaac Newton.
Au début du XVIIᵉ siècle, la science n’est qu’une branche de la philosophie, soumise à l’autorité des Anciens. Bacon rompt avec cette tradition : elle ne doit pas servir uniquement à décrire le monde, mais à le transformer pour améliorer concrètement la condition humaine. Il appelle à unir la théorie des savants et le savoir-faire des artisans. La connaissance devient utile, la recherche se met au service du progrès.

Newton en offre la démonstration. Ses "Principia Mathematica" révèlent que l’univers obéit à des lois simples, universelles et accessibles à la raison. Cet ordre nouveau nourrit un immense optimisme : comprendre la nature, c’est pouvoir l’utiliser. Dans la Grande-Bretagne du XVIIIᵉ siècle, entrepreneurs et manufacturiers en tirent la conviction que la science peut résoudre leurs problèmes concrets ou offrir de meilleurs produits à leurs clients. La science se diffuse, elle se démocratise.

    A lire : Le savant et l’artisan

Premier savant mondialement célèbre, anobli et enterré à Westminster, Newton fait de la science une voie d’accès au prestige social. Avec Bacon, il pose les fondations culturelles sur lesquelles les Lumières bâtiront le monde moderne. La confiance dans la raison et le progrès devient alors la source de l’explosion de richesse qui suivra.

Unité intellectuelle, fragmentation politique


La Révolution industrielle n’avait rien d’inévitable. Elle aurait pu ne jamais avoir lieu, ou surgir ailleurs. Des « entrepreneurs culturels » sont apparus en Chine ou dans le monde islamique, mais ils furent étouffés, marginalisés, réduits au silence.

En Europe, au contraire, ils ont trouvé un allié inattendu : le chaos politique. Entre 1500 et 1700, le continent, morcelé en royaumes, principautés et cités rivales, ressemble à un champ de bataille permanent. Ce désordre crée un véritable marché des idées. Aucun pouvoir ne peut imposer son orthodoxie à tous. Un savant chassé de Paris se réfugie à Amsterdam, un inventeur censuré à Rome s’installe à Londres. Descartes, Locke et Bayle prospèrent grâce à cette libre circulation.

Les princes européens eux-mêmes se disputent les talents. Mathématiciens, ingénieurs et philosophes négocient leur patronage, changent de protecteur et accroissent leur prestige.
 
 

 

A lire : Quand l’Europe osa ce que la Chine refusa

Ce dynamisme s’appuie sur la République des Lettres, un réseau informel de savants qui communiquent par-delà les frontières et inventent ce que nous appelons aujourd’hui la science ouverte. La réputation joue un rôle clé : pour l’obtenir, il faut publier, soumettre ses travaux à la critique des pairs, établir l’antériorité de sa découverte. Le secret devient contre-productif.

Enfin, l’Europe se distingue par sa perméabilité intellectuelle. Là où d’autres civilisations dressent des barrières, elle emprunte sans complexe : poudre et imprimerie chinoises, chiffres arabes, techniques textiles indiennes. Le continent devient le lieu de convergence des savoirs du monde.

Que reste-t-il aujourd’hui de la culture qui a permis le Grand Enrichissement ? 
De cette foi dans la connaissance, de cette volonté de comprendre la nature pour l’harnacher aux besoins humains ? 
La marche du progrès n’est pas éternellement acquise. Elle peut s’éroder, se diluer, disparaître. La peur des OGM, des vaccins, de l’intelligence artificielle ou du nucléaire en témoigne : autant d’inquiétudes souvent démesurées face à des technologies qui améliorent la vie et préservent l’environnement. Comme au XVIIIᵉ siècle, nous devons célébrer la connaissance plutôt que la craindre, encourager l’innovation plutôt que la freiner, voir dans la science un instrument d’émancipation plutôt qu’une menace.
 
Edouard Hesse 

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