Affichage des articles dont le libellé est Pufendorf. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pufendorf. Afficher tous les articles

octobre 29, 2014

MONTESQUIEU

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal démocratique moderne émerge à l'aube du XVIIIe siècle d'une nouvelle conception de l'Homme: libre et doué de volonté autonome, celui-ci n'est plus soumis à la divine Providence. La liberté est définie comme une faculté inhérente à la personne humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de droits naturels, inaliénables et sacrés. Cette conception, qui ébranle la société d'ordres et de privilèges de l'Ancien Régime, est solennellement affirmée dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, qui proclame que «les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit». 

Une doctrine libérale
Les grands principes d'organisation du pouvoir - fondés sur une définition restrictive du peuple, sur le système représentatif et sur le caractère exclusivement politique de la démocratie - auxquels se référaient les premières démocraties relèvent d'un large courant intellectuel issu de Locke et de Montesquieu.
 
Une démocratie parlementaire

Selon la doctrine de la démocratie libérale, le peuple souverain ne s'identifie nullement avec la réalité sociologique de l'ensemble des individus. En effet, dans le souci de n'accorder des droits politiques qu'à des individus jouissant d'une autonomie réelle, donc détachés des contraintes matérielles (tels les propriétaires ou les personnes payant un impôt) et des liens de dépendance sociale, les pères fondateurs des institutions américaines comme les révolutionnaires de 1789 vont prôner le suffrage censitaire. Si en France le suffrage universel masculin est admis dès 1848, les Etats-Unis n'ont renoncé qu'en 1964 au système des «poll-taxes», qui maintenait dans certains Etats un cens électoral. Par ailleurs, à la notion de «peuple», la doctrine libérale substitue celle de «nation», conçue comme un être abstrait, indépendant des contingences économiques et sociales (Sieyès). Erigée en souverain, la nation ne peut s'exprimer que par l'intermédiaire de représentants.
 

Dans le système de démocratie représentative adopté par les sociétés modernes, les citoyens n'exercent donc qu'indirectement le pouvoir. Par l'intermédiaire d'élections aux modalités diverses, ils désignent ceux qui seront chargés d'exprimer leur volonté. Les rapports entre les individus et le pouvoir sont ainsi médiatisés. Les représentants élus déterminent la loi imposée à tous. Dès lors, la démocratie libérale prend la forme d'une démocratie parlementaire, où tout un ensemble de mécanismes institutionnels - séparation des pouvoirs (conformément à la théorie de Montesquieu), soumission des gouvernants à la loi, élections libres, respect des droits de l'Homme - protège la société contre l'arbitraire du pouvoir.  
 

Une démocratie politique

Enfin, l'action du pouvoir libéral se limite à la sphère politique, qui est nettement dissociée du champ économique et social. Pour les libéraux, la démocratie a pour finalité de garantir l'épanouissement des droits inhérents à la personne humaine: le pouvoir doit assurer par des moyens légaux le respect des libertés afin que les relations sociales entre les individus, juridiquement égaux, se développent librement. Les individus ne doivent compter que sur eux-mêmes pour réaliser leur destinée. Contrairement à la démocratie américaine, très attachée dès sa naissance à la vie associative, au lendemain de l'Ancien Régime, caractérisé par ses corporations et ses confréries, les groupements et associations sont interdits en France. Mais les bouleversements socio-économiques du XIX e  siècle infléchiront considérablement la doctrine de la démocratie libérale. 

S'appuyant sur la méthode expérimentale, Montesquieu définit les lois comme des «rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses»; elles expliquent rationnellement les rapports constants de la création divine, de la physique, de la vie animale, mais aussi des hommes, même si la nature passionnée, l'ignorance et la liberté humaines conduisent à leur violation et à la révision des lois morales, politiques et civiles.
A la différence de Hobbes, Montesquieu croit à une sociabilité naturelle et considère qu'avec les sociétés commence la formation de lois positives, distinctes selon leurs objets: le droit des gens, qui règle les rapports des nations, le droit politique, qui établit les rapports entre gouvernants et gouvernés, et le droit civil, qui organise les rapports entre les citoyens. En énonçant des rapports, les lois inscrivent l'infinité des cas particuliers dans un système rationnel général. Elles sont ainsi relatives au physique d'un pays, à son climat, à ses mœurs, à son économie, à la religion qu'il pratique, aux valeurs, et, surtout, à la nature et au principe de son gouvernement. Cet ensemble de rapports forme l'«esprit des lois», qui doit être en harmonie avec la nature et la liberté humaines.  


Les systèmes de lois
Montesquieu reprend la traditionnelle typologie des régimes politiques - république, monarchie, despotisme - afin de définir leur nature, et surtout leur principe d'action, essentiel pour comprendre leurs systèmes de lois respectifs. Au sein du régime républicain, il distingue les formes démocratique et aristocratique selon que la souveraineté appartient à tous ou à quelques-uns. Le pouvoir monarchique est pratiqué en relation avec des lois fondamentales et à travers des corps intermédiaires. Le despotisme, quant à lui, est exercé par un seul pour son seul plaisir. Cette typologie permet d'établir une seconde distinction, nouvelle, entre les gouvernements républicain et monarchique, qui sont susceptibles d'être modérés, tandis que le régime despotique, contre nature, est déréglé. Plus que cette catégorisation, c'est la mise en évidence du «ressort» de chaque gouvernement qui est nouvelle. Le régime républicain a pour principe la vertu, qui rend compatible l'exercice de la souveraineté par le peuple et son obéissance; aussi modère-t-il le pouvoir des aristocrates. L'honneur est le principe de la monarchie parce qu'il forme et maintient distinctions et rangs sociaux. Enfin, limitant les ambitions des aristocrates et contraignant le peuple, la crainte est le principe du despotisme. La combinaison des natures et des principes des gouvernements rend possible la modération de la république et de la monarchie, et marque l'extrême dérèglement du despotisme, que seule la religion peut brider. Les gouvernements modérés doivent établir les lois nécessaires à la conservation de leurs principes contre le péril de leur corruption en despotisme. 

La liberté par la modération

La liberté politique, relative au rapport entre le citoyen et la Constitution, et la liberté civile, qui concerne le rapport entre le citoyen et les lois, forment l'objet essentiel de De l'esprit des lois. Affirmant que «tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser», Montesquieu tente de trouver les moyens par lesquels «le pouvoir arrête le pouvoir» et de garantir par là la liberté des citoyens. La Constitution de l'Angleterre, établie sur la séparation des pouvoirs, fournit un modèle de gouvernement modéré dont le but est la liberté. 
 

La distribution des pouvoirs
Montesquieu distingue le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, mais il attache aussi une importance capitale à la distribution des pouvoirs de l'Etat: pour éviter qu'une partie de la société ne craigne une autre partie, chacune d'elles doit disposer au moins d'un pouvoir; d'autre part, il convient d'établir des liens fonctionnels entre législatif, exécutif et judiciaire. C'est pourquoi chaque pouvoir aura une double faculté: celle de statuer et celle d'empêcher. Ainsi, aucun d'eux ne saurait statuer sans être en même temps empêché par le contrepoids de l'un des autres. En fait, c'est leur collaboration qui réalise la sécurité des hommes et qui les protège contre les abus du pouvoir.

Le libéralisme politique
Mais l'opposition inaugurée par Montesquieu entre pouvoir et liberté, qui fait de lui l'un des fondateurs du libéralisme politique, ne se réduit pas à la séparation des pouvoirs. Dans la lignée de Locke, il considère que la représentation politique offre «la meilleure espèce de gouvernement que les hommes aient pu imaginer». Exécutif et législatif forment deux partis parmi les citoyens libres et jaloux de leur indépendance. Pour conserver celle-ci, les citoyens équilibrent la puissance des deux partis. Ainsi placés dans une haine réciproque impuissante, les pouvoirs se maintiennent sans jamais nuire à la liberté. Le principe de modération se traduit dans ce modèle, d'une part, par la distribution des pouvoirs de l'Etat, d'autre part, par la représentation de citoyens libres. En recherchant «la tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté», qui définit la liberté politique, Montesquieu découvre la capacité des lois à garantir la liberté. 

La liberté de tous

Dans la conception libérale du magistrat, la liberté signifie le droit non pas de tout faire mais «de faire tout ce que les lois permettent; et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir». Inscrite dans la légalité, la liberté se définit négativement, par l'absence d'empiétement sur les libertés d'autrui. Elle est la conséquence non pas d'un régime politique spécifique mais de la modération des gouvernements qui règle la liberté d'indépendance et les excès du pouvoir. Montesquieu étudie donc avec une attention particulière les lois pénales et fiscales qui portent sur la situation du citoyen dans la vie civile et qui permettent au gouvernement d'assurer la liberté de tous.

L'esprit général d'une nationMontesquieu est autant un sociologue qu'un penseur politique et un philosophe de l'histoire. L'écrivain politique attribue une influence déterminante aux facteurs géographiques sur la mentalité d'une nation et sur l'esprit des lois. Il inaugure ainsi une théorie des climats et des terrains, selon laquelle les sociétés humaines varieraient en fonction de facteurs physiques dont les conséquences doivent être contrebalancées par les législateurs: les lois ont à lutter contre les tendances négatives générées par la chaleur ou le froid asiatiques, mais elles sont appelées à conserver les effets bénéfiques du climat tempéré. Montesquieu établit ainsi une opposition entre l'Asie et l'Europe, dont les climats respectifs font de la première le terrain d'élection de la servitude et de la seconde celui de la liberté.  

Cette hypothèse inédite, ancrée dans l'esprit des Lumières, selon laquelle les différences géographiques et le niveau d'exploitation des terres participeraient au degré de liberté des peuples, à l'évolution de leurs mœurs et à la formulation des lois civiles, s'inscrit dans une théorie, plus globale, de «l'esprit général d'une nation», que Montesquieu définit tout à la fois par «le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières». 
 

L'économie

L'économie est un moyen fondamental des sociétés pour modérer le pouvoir politique. Ainsi, le commerce et la monnaie, bannis des sociétés despotiques mais favorisés par les gouvernements modérés, constituent une forme de communication entre les nations: ils adoucissent les mœurs et contribuent à la paix, dans la mesure où ils rapprochent les peuples en tenant compte de leurs intérêts réciproques.  
 

L'histoire et l'esprit des nations
Montesquieu, pour qui la grande diversité des lois et de la nature des gouvernements tient à la variété des faits sociaux qui les déterminent, est un philosophe de l'histoire, ni fataliste ni relativiste. Dans le tableau qu'il dresse de l'histoire des peuples, des institutions et des mœurs, l'ensemble des facteurs qui forment l'esprit général des nations obéit à une causalité rationnelle, déjà perceptible dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Selon lui, il règne un équilibre entre les diverses causes: « Quand les unes agissent avec force, les autres leur cèdent d'autant .» Aussi reconnaît-il aux hommes la capacité d'infléchir et de corriger toutes les tendances qui s'écartent du principe des gouvernements modérés et qui conduisent au despotisme.

Montesquieu

De Wikiberal
Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un philosophe et magistrat français du siècle des Lumières né le 18 janvier 1689 à la Brède (Gironde), et mort à Paris le 10 février 1755.
Certains ont voulu le réduire, à l'image d'un doctrinaire univoque du libéralisme, mais en fait il fut l'inspirateur le plus lucide avec John Locke des principes d'organisation politique et sociale sur lesquels nos sociétés modernes s'appuient.
« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal: il suffit qu'ils raisonnent; de là sort la liberté, qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements ».
Il est le père de la théorie de la séparation des pouvoirs afin d'en neutraliser les abus. Montesquieu voit dans le législatif le pouvoir le plus susceptible d'abuser de son autorité. Toutefois, Montesquieu ne désirait rien d'autre que de voir évoluer la monarchie française vers le modèle britannique, alors que les pères fondateurs de la Révolution française (excepté Mounier) fuyaient au contraire ce modèle gangrené par la corruption
Fils de Jacques de Secondat, baron de Montesquieu (1654-1713) et de Marie-Françoise de Pesnel, baronne de la Brède (1665-1696), Montesquieu naît dans une famille de magistrats, au château de la Brède (près de Bordeaux) dont il porte d'abord le nom et auquel il sera toujours très attaché. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain afin qu'il se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères[1].
Après une scolarité au collège de Juilly et des études de droit, il devient conseiller du parlement de Bordeaux en 1714. En 1715, il épouse à 26 ans Jeanne de Lartigue, une protestante issue d'une riche famille et de noblesse récente qui lui apporte une dot importante. C'est en 1716, à la mort de son oncle, que Montesquieu hérite d'une vraie fortune, de la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux et de la baronnie de Montesquieu, dont il prend le nom. Délaissant sa charge dès qu'il le peut, il s'intéresse au monde et au plaisir.
À cette époque l'Angleterre s'est constituée en monarchie constitutionnelle à la suite de la Glorieuse Révolution (1688-1689) et s'est unie à l'Écosse en 1707 pour former la Grande-Bretagne. En 1715, le Roi Soleil Louis XIV s'éteint après un très long règne et lui succèdent des monarques plus faibles. Ces transformations nationales influencent grandement Montesquieu ; il s'y référera souvent.
Il se passionne pour les sciences et mène des expériences scientifiques (anatomie, botanique, physique...). Il écrit, à ce sujet, trois communications scientifiques qui donnent la mesure de la diversité de son talent et de sa curiosité : Les causes de l'écho, Les glandes rénales et La cause de la pesanteur des corps.
Puis il oriente sa curiosité vers la politique et l'analyse de la société à travers la littérature et la philosophie. Dans les Lettres persanes, qu'il publie anonymement (bien que personne ne s'y trompe) en 1721 à Amsterdam, il dépeint admirablement, sur un ton humoristique et satirique, la société française à travers le regard de visiteurs perses. Cette œuvre connaît un succès considérable : le côté exotique, parfois érotique, la veine satirique mais sur un ton spirituel et amusé sur lesquels joue Montesquieu, plaisent.
En 1726, Montesquieu vend sa charge pour payer ses dettes, tout en préservant prudemment les droits de ses héritiers sur celle-ci. Après son élection à l'Académie française (1728), il réalise une série de longs voyages à travers l'Europe, lors desquels il se rend en Autriche, en Hongrie, en Italie (1728), en Allemagne (1729), en Hollande et en Angleterre (1730), où il séjourne plus d'un an. Lors de ces voyages, il observe attentivement la géographie, l'économie, la politique et les mœurs des pays qu'il visite. Avant 1735, il avait été initié à la franc-maçonnerie en Angleterre[2].
De retour au château de la Brède, en 1734, il publie une réflexion historique intitulée Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, monument dense, couronnement de ses années de voyages et il accumule de nombreux documents et témoignages pour préparer l'œuvre de sa vie, De l'esprit des lois. D'abord publié anonymement en 1748 grâce à l'aide de Mme de Tencin, le livre acquiert rapidement une influence majeure alors que Montesquieu est âgé de 59 ans. Ce maître-livre, qui rencontre un énorme succès, établit les principes fondamentaux des sciences économiques et sociales et concentre toute la substance de la pensée libérale. Il est cependant critiqué, attaqué et montré du doigt, ce qui conduit son auteur à publier en 1750 la Défense de l'Esprit des lois. L'Église catholique romaine interdit le livre - de même que de nombreux autres ouvrages de Montesquieu - en 1751 et l'inscrit à l'Index (La partie religion avait été écrite au même titre que les autres). Mais à travers l'Europe, et particulièrement en Grande-Bretagne, De l'esprit des lois est couvert d'éloges.
Dès la publication de ce monument, Montesquieu est entouré d'un véritable culte. Il continue de voyager notamment en Hongrie, en Autriche, en Italie où il demeure un an, au Royaume-Uni où il reste 18 mois. Il poursuit sa vie de notable, mais reste affligé par la perte presque totale de la vue. Il trouve cependant le moyen de participer à l'Encyclopédie, que son statut permettra de faire connaître, et entame la rédaction de l'article Goût : 'il n'aura pas le temps de terminer, c'est Voltaire qui s'en chargera.
C'est le 10 février 1755 qu'il meurt d'une fièvre inflammatoire.


http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/presentation/

Montesquieu possède une édition des œuvres latines de Hobbes (1668, Catalogue, no 1473) et les traductions françaises du De cive par Sorbière (1651, Catalogue, no 2394) et par Du Verdus (1660, no 2393). Nous ignorons s’il a lu ou consulté le Léviathan dans sa version anglaise. Montesquieu fréquente aussi le Droit de la nature et des gens, où Hobbes est très longuement cité, paraphrasé et critiqué par Pufendorf.

Du Traité général des devoirs (1725) à la Défense de l’Esprit des lois (1750), l’attaque est constante contre le « système terrible » de Hobbes (Défense) qui risque de « gâter » le lecteur comme ce fut le cas pour le duc d’Orléans (Spicilège, no 505). La critique explicite concerne les principes de la morale et du droit et se maintient sans changements significatifs de 1725 à 1748. Cependant certains thèmes essentiels de L’Esprit des lois (la différence entre le gouvernement despotique et le gouvernement monarchique, l’éloge de la modération politique, l’éclipse de la souveraineté, le refus de couper les hommes du reste de la nature) ouvrent des nouveaux fronts avec Hobbes ou tout au moins, puisqu’il n’est plus nommé, révèlent l’éloignement des deux auteurs.


Lecteur de Pufendorf, Montesquieu connaît la complexité des thèses de Hobbes sur les lois naturelles : Hobbes est moins « outré » que Spinoza (Pensées, no 1266 ; transcrit entre 1734 et 1739), il sait que les pactes doivent être observés (Pensées, no 224 ; antérieur à 1731). Pufendorf jouait de cette complexité pour écarter les thèses les plus sulfureuses, dissocier Hobbes de Spinoza et le réintégrer dans la tradition du droit naturel. Ce n’est pas le point de vue de Montesquieu : « beaucoup moins outré » que Spinoza, Hobbes « est, par conséquent, beaucoup plus dangereux » (Pensées, no 1266). Débarrassé de ses complexités, ramené à l’essentiel, Hobbes « me dit que la justice n’est rien en elle-même, qu’elle n’est autre chose que ce que les lois des empires ordonnent et défendent » (ibid.). De même, selon la relation par la Bibliothèque française de la communication faite par Montesquieu des premiers chapitres d’un Traité général des devoirs (OC, t. VIII, p. 429-439), « l’auteur, dans les chapitres iv et v, fait voir que la justice n’est pas dépendante des lois humaines […] Cette question conduit à la réfutation des principes de Hobbes sur la morale ». Ce thème est repris dès le premier chapitre de L’Esprit des lois : au lieu de « dire avec Hobes qu’il n’y a rien de juste ou d’injuste que ce qu’ordonnent les lois positives […] il faut [...] avouer des rapports d’équité anterieurs à la loi positive qui les établit » (EL, I, 1 ; OC, t. III, p. 7). Notons cependant que Montesquieu admet avec Hobbes (sans expliciter ce point d’accord) que les rapports d’équité sont établis par les lois positives. Montesquieu a biffé cette première référence à Hobbes : peut-être sait-il que ce dernier ne se laisse pas si facilement réduire à ce positivisme sans nuance et que cette manière de le critiquer est peu originale. Quand Hobbes entre directement en scène au chapitre qui suit, Montesquieu expose la critique qui lui est propre, qu’il a formulée bien plus tôt (Pensées, no 1266 ; transcrit entre 1734 et 1739, mais « n’ayant pu entrer dans le Traité des devoirs », de 1725) et qui sera ensuite reprise et développée par Rousseau : avant l’établissement des sociétés, les hommes sont proches de l’animalité, raisonnables seulement en puissance, poussés par la crainte à se fuir et ensuite à se regrouper et non à se faire la guerre pour la domination. Or cette critique est préparée par la distance prise au préalable avec le rationalisme du droit naturel moderne. Si les bêtes « ont des lois naturelles, parce qu’elles sont unies par le sentiment » (EL, I, 1), on ne peut plus, comme Grotius et Pufendorf, réduire la loi naturelle à la loi de raison propre aux animaux raisonnables. De même les premières lois naturelles, selon l’ordre temporel, procéderaient pour les hommes du sentiment et de l’instinct, et non de la raison. C’est dans ce mouvement où l’actualisation de la raison dépend du développement de la société que Hobbes se voit reprocher d’attribuer « aux hommes, avant l’établissement des sociétés, ce qui ne peut leur arriver qu’après cet établissement […] » (EL, I, 2). On pourra donc user du concept d’état de guerre (là encore Montesquieu tait ce qu’il emprunte à Hobbes) si on cesse de le confondre avec l’état de nature qui devient ainsi le point de départ d’une histoire hypothétique de l’humanité. L’annihilation fictive de l’État et du droit, que Hobbes jugeait nécessaire à la démonstration génétique des principes du droit politique, est ainsi historicisée comme c’était déjà le cas chez Locke ou Pufendorf et comme cela le sera encore plus chez Rousseau.


L’état de guerre entraîne le droit à la défense naturelle. Grotius et Pufendorf condamnent l’attaque préventive, sauf si on a la certitude que l’autre a le pouvoir et la volonté de vous attaquer (Droit de la guerre et de la paix, II, 22, § 5). Selon un texte qui n’a pu entrer dans le Traité général des devoirs et qui est consacré à la conception hobbésienne du droit naturel, « il est faux que la défense entraîne nécessairement la nécessité d’attaquer » (Pensées, no 1266). C’est une position encore proche de celle de Grotius. En 1748, Hobbes n’est plus cité et l’accent est différent : l’état de guerre qui subsiste entre les États (et non au sein de chacun d’eux) fait que « le droit de défense naturelle entraîne quelquefois la nécessité d’attaquer » (EL, X, 2). La référence grotienne à une intention avérée de nuire ou d’attaquer disparaît : il suffit que l’attaque soit le seul moyen d’empêcher l’autre de vous détruire. 


Avant 1731, et la critique est de nouveau peu originale, Hobbes, selon Montesquieu, « a oublié son principe du droit naturel », l’obligation de respecter les pactes, en affirmant « que, le peuple ayant autorisé le prince, les actions du prince sont les actions du peuple, et, par conséquent, le peuple ne peut pas se plaindre du prince, ni lui demander aucun compte de ses actions, parce que le peuple ne peut se plaindre du peuple » (Pensées, no 224). C’est amalgamer des arguments de 1642 et de 1651, l’idée que, dans une monarchie, « le roi est le peuple » (De cive, chap. xii, § 8) et l’argument selon lequel « celui qui se plaint d’un tort commis par le souverain se plaint de ce dont il est lui-même l’auteur » (Léviathan, chap. xviii) : dans l’argument reconstitué, c’est le peuple et non, comme dans le Léviathan, chaque particulier qui autorise le prince. Comme d’autres avant lui (et en particulier Pufendorf), Montesquieu refuse de placer le souverain à l’extérieur de la convention qui l’établit : le prince a un pacte à honorer. De même le fait que le prince représente le peuple, qu’il soit son délégué – Hobbes parle bien d’un trust, d’une mission de confiance qui lui est confiée – est retourné contre l’absolutisme, l’idée d’une autorisation sans limites. Ce texte n’est pas repris dans L’Esprit des lois : Montesquieu préfère critiquer l’absolutisme sur un autre terrain, en développant positivement la théorie politique qui lui est propre : éclipse de la souveraineté au profit du gouvernement (voir l’article « Souveraineté » du présent dictionnaire), distinction de la monarchie et du gouvernement despotique (ce qui revient à l’évidence à s’opposer à la manière dont Hobbes récuse la distinction entre royauté et tyrannie et, plus généralement, la distinction aristotélicienne du politique et du despotique).


Au-delà de la morale, des principes du droit et de la politique, il y a des raisons philosophiques qui expliquent que Hobbes, beaucoup plus que Spinoza, soit un adversaire : son artificialisme, son volontarisme exagéré, sa manière de séparer (brutalement selon Montesquieu) l’homme du reste de la nature. Comme pour préparer la critique de Hobbes qui suit immédiatement, Montesquieu déclare dans un passage biffé du manuscrit de L’Esprit des lois que « c’est surtout chez eux [les animaux] qu’il faut aller chercher le droit naturel » (I, 2 ; OC, t. III, p. 8) ; « Hobbes dit que la curiosité est particulière à l’homme ; en quoi il se trompe, chaque animal l’ayant dans la sphère de ses connaissances » (Pensées, no 288). Il ne s’agit pas d’une divergence mineure : la curiosité est pour Hobbes ce qui manifeste la spécificité de l’animal humain, l’arrachement au présent qui détermine sans cesse de nouveaux désirs, ce que Montesquieu refuse de manière d’autant plus significative qu’il emprunte à Hobbes (peut-être par Locke interposé) l’idée que le comble de la félicité consiste à « former toujours de nouveaux désirs et les satisfaire à mesure qu’on les forme » (Pensées, no 69).

Terrel Jean , « Hobbes, Thomas », dans Dictionnaire Montesquieu [en ligne], sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, ENS de Lyon, septembre 2013. URL : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1377671021/fr

Bibliographie


Simone Goyard-Fabre, « Montesquieu adversaire de Hobbes », Paris, Minard, 1981, « Archives des Lettres modernes », 72 pages.

Benoît Le Roux, « Hobbes et Montesquieu », Analyses et réflexions sur Montesquieu De L’Esprit des lois, Paris, Ellipses, 1987, p. 162-168.

Annamaria Loche, « Le ragioni di una polemica : Montesquieu e Hobbes », Oxford, Voltaire Foundation, SVEC 190 (1980), p. 334-343.

Montesquieu était-il libéral? - Philosophie politique

La liberté politique chez Montesquieu - Dogma

 


 
Powered By Blogger