octobre 15, 2014

La génèse du libéralisme par JR ALCARAS (économiste) - "Gauche" Libérale ?

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

La naissance du libéralisme au 18ème siècle :
un projet de société indissociable de l’utopie des Lumières
 
La question du libéralisme est évidemment au coeur des conceptions contemporaines de la liberté… L’idée d’un régime prônant la liberté de tous et de chacun est généreuse ; la réalité est souvent plus discutable… mais pour se prononcer, il faut d’abord se poser la question de quel libéralisme parle-t-on ?
 
Jean-Robert Alcaras propose ici de revenir sur la genèse du libéralisme au 18ème siècle, comme libéralisme total (politique, moral et économique) indissociable de la philosophie des Lumières.


INTRODUCTION

Si la liberté se définit comme « puissance de la volonté » (c’est-à-dire vouloir et pouvoir faire ce que l’on veut), alors… comment vivre en paix et dans l’harmonie sociale dans une société constituée par des individus auxquels on accorde une grande liberté ? Autrement dit, la paix et la sécurité (des biens et des personnes) sont-elles compatibles avec un régime de libertés individuelles les plus étendues possibles ?

Cette question, c’est l’une des questions centrales — pour ne pas dire LA question — qui est au coeur de la problématique de la modernité.
Ce que je voudrais montrer, c’est que le libéralisme — pas seulement économique — est une des réponses possibles à cette question. Mieux encore : c’est peut-être même la seule réponse pragmatiquement faisable que la modernité ait réellement trouvé à ce problème — avec toutefois la possibilité de constater de grandes nuances entre les différentes versions qui se sont ensuite inspirées, au 19ème et au 20ème siècles, du projet libéral originel !!!

Je vous proposerai donc comme principale conclusion la proposition suivante : sauf exception notable (ce qui est le cas des anti-modernes ou du moins des pensées critiques face à la modernité, comme celle de H. Arendt), et contrairement à ce que l’on entend souvent en France, nous sommes (presque) tous des libéraux au sens originel du terme — même ceux qui parmi nous se définissent comme… des anti-libéraux !

Pour arriver à ces conclusions, il faudra d’abord que nous nous entendions sur les termes qui seront ici employés : de quel libéralisme parle-t-on ? A quelle modernité fais-je référence ?



1. Libéralisme ?
  Il n’y a pas qu’un libéralisme… et le mot est assez vague en soi, il est polysémique, c’est-à-dire qu’il évoque des choses différentes selon les moments, et selon les endroits aussi.
Ainsi, par exemple, le mot « libéral » qualifie clairement une attitude « de gauche » aux USA… et une attitude « de droite » en France ! Et cela ne provient pas seulement du caractère confus de la distinction droite-gauche, ni de la différence entre les conceptions politiques de part et d’autre de l’Atlantique… mais surtout d’un sens différent donné au même mot lui-même de part et d’autre de l’Atlantique.

Je vous parlerai ici du libéralisme originel, celui qui est né à la fin du 18ème siècle en Europe (à noter : c’est une idée franco-anglaise ! Comme quoi, l’entente cordiale…). Et je vous présenterai ce libéralisme originel comme une utopie sociale globale.

• Une utopie sociale, au sens où il s’agit d’un projet de société fondé sur un certain nombre d’hypothèses (notamment sur la capacité des hommes à vivre ensemble tout en étant libres) dont nous ne serons jamais sûr de les vérifier dans la réalité, mais qui nous montre la voie à suivre…
• Une utopie globale, dans la mesure où le libéralisme est un système qui est fondé sur l’hypothèse de la plus grande liberté pour tous, dans tous les domaines, de manière indissociable : libertés politiques, libertés de morales et de moeurs, libertés de comportement et de pensée, libertés économiques…
Et je vous demande aussi de bien faire la différence entre le libéralisme (originel) et le capitalisme !
• D’abord, ni la notion, ni la réalité qu’elle décrit n’existaient au moment où le libéralisme a été inventé ! Le capitalisme (comme notion et comme réalité) n’est apparu qu’au 19ème siècle ou à la toute fin du 18ème…
• Le capitalisme désigne une réalité (pas une utopie) : c’est un système économique qui, comme l’a souligné Karl Marx, repose fondamentalement sur le principe de l’appropriation privée des moyens de production (propriété privée du capital). Peut-être que le libéralisme n’a pu donner lieu qu’au capitalisme…

Et c’est au nom de l’écart entre la réalité capitaliste et l’utopie libérale qu’un certain nombre de contestations auront lieu au 19ème siècle (à commencer par celles des socialistes, des marxistes et des anarchistes.

2. Modernité ?
Apparue à partir de la renaissance, l’idée de modernité va se développer tout au long du 17ème et du 18ème siècles, et donner lieu à des changements qui vont se réaliser massivement, pour l’ensemble de la population, du 19ème au 20ème siècles.

La modernité naît d’une critique de l’ordre traditionnel à partir duquel s’organisait la société médiévale. Elle va contribuer notamment aux changements fondamentaux suivants :

• à remettre en cause le géocentrisme et les autorités traditionnelles (de Droit divin) — ce qui pousse l’homme à repousser toutes les frontières, à modifier ses repères pour percevoir l’espace et le temps, et à ne plus se considérer dans un monde fermé, limité…
• à ne plus fonder l’ordre social sur la foi et l’ordre naturel mais plutôt sur la raison et le progrès scientifique, technologique et matériel — ce qui pousse les hommes à être de plus en plus matérialistes, de moins en moins focalisés sur la spiritualité et l’idéalisme…
• à valoriser l’individu et sa raison (exemple du « cogito ergo sum » de Descartes) : chaque homme devient en quelque sorte un monde à lui tout seul, dont il nous faudrait respecter l’intégrité et les droits « naturels » (liberté, propriété…).

Dans ce monde nouveau, fondé sur cet homme nouveau, peut-on espérer une harmonie sociale ? Est-il possible de ne pas tendre inéluctablement vers le chaos et la violence généralisée ? Ceux qui répondent clairement « OUI » à cette question sont les libéraux (au
sens du libéralisme originel dont je vous parlerai ici) — et ce sont peut-être même les seuls à donner cette réponse, sans nuance ni réserve.
 
je tenterai de vous montrer la pertinence de cette analyse, que l’on peut retrouver en substance dans un livre de Pierre Rosanvallon « Le capitalisme utopique — Histoire de l’idée de marché » (Le Seuil, Point, 1979-1999), ainsi que les principales conséquences de cette idée.
 
Le libéralisme : naissance d’une utopie sociale globale au 18ème siècle

La modernité pose le problème fondamental de la possibilité de faire vivre ensemble, dans la paix et l’harmonie, des gens différents et libres de faire ce qu’ils veulent ! Autrement dit, peut-on instituer et faire fonctionner une société sur cette base d’individus libres, en se fondant sur la raison et non par sur le respect des autorités traditionnelles ?

I – La réponse des philosophes modernes qui précèdent les Lumières :

Pour répondre à cette question, les philosophes du 16ème & du 17ème siècles se placeront essentiellement sur le plan politique, en glissant progressivement d’une position assez autoritaire (limitant de fait les libertés individuelles pour rendre possible l’ordre social) vers une position plus respectueuse des libertés individuelles. Quelques exemples de cette progression :

1. Nicolas MACHIAVEL (1469-1527) : Dans « Le Prince » (1513), il développe une vision pragmatique de la politique, dans laquelle il donne naissance au concept moderne de la « raison d’Etat ». La politique a une fin (le bien général) et cette fin justifie les moyens qui vont être employés pour l’atteindre. Machiavel prône un gouvernement pragmatique, détaché de la morale et de la religion, ayant parfois recours au mensonge ou à la force dans le but d’apporter, à terme, le bien général. Cette attitude diffère profondément de la pensée médiévale, qui est encore contemporaine à Machiavel. Si sa question centrale n’est pas l’ordre social mais plutôt la pérennité de l’Etat, sa solution réside clairement dans la politique et dans l’affirmation de l’autorité — et des différents moyens, fussent-ils liberticides, de la réaliser, la « fin justifiant toujours les moyens »…

2. Thomas HOBBES (1588-1679) : Dans « Le Léviathan » (1651) il ouvre la voie à la philosophie politique moderne, qui alimentera la réflexion politique jusqu'à la Révolution française. Contrairement à ses nombreux prédécesseurs, Hobbes ne soulève plus la question du choix du meilleur régime, mais il contribue à fonder la politique sur la "vérité effective des choses", à la façon de Machiavel, et s'interroge sur l'obéissance légitime et par conséquent sur la souveraineté. L'état de nature qu'Hobbes décrit est un mode de vie impitoyable et insupportable : « Homo homini lupus » ; dans l’état de nature, c’est la guerre de tous contre tous et de chacun contre chacun ! Ainsi, les hommes, pour préserver leur vie et pour s'acheminer vers la paix, sont conduits à renoncer d'eux-mêmes à cet état de guerre et à choisir une autorité supérieure : le souverain. Celui-ci hérite de tout ce qui était propre aux individus dans l'état de nature pour en être le détenteur exclusif. Il incarne ainsi le « Léviathan », en référence au monstre biblique, détient un pouvoir absolu et illimité en échange de la paix civile apportée aux individus. C'est une organisation politique artificielle : elle est le résultat d'un contrat social passé entre les hommes. L'unité de ce "corps" politique est rendue possible par l'existence d'un représentant unique (le monarque) et non pas par les individus qui le composent.

Son âme est l'autorité politique. L’Etat est donc, pour Hobbes, fondé sur un double pacte : un pacte d’association (ce sont les individus qui, librement, consentent à la fondation de l’Etat) ET un pacte de soumission (l’Etat doit exercer une autorité forte pour contraindre les individus à la paix civile).

3. John LOCKE (1632-1704) : Dans ses « Deux Traités sur le gouvernement civil » (1689), il poursuit l’idée de Hobbes sur l’Etat comme pacte d’association pour rendre possible la
paix civile, tout en assouplissant ses positions concernant la nécessaire soumission des individus à l’autorité du souverain. Il pense notamment que les hommes sont par nature raisonnables, libres et égaux. L'usage de la raison permet et impose à chacun de se conserver en vie par ses propres moyens tout en veillant à ne pas entraver la liberté des autres. L’état de nature est présenté comme une période heureuse de communisme primitif : contrairement à Hobbes, Locke croit que l’homme est bon par nature, il est relativement pacifique, raisonnable et sociable. Cet état de nature n’est pas régi par la loi de la jungle, comme le pense Hobbes. L’homme a une totale liberté de disposer de lui-même et de ses biens : chacun est maître et propriétaire de sa propre personne et de son travail, chacun est seigneur absolu de sa personne et de ses possessions. En raison de l’égalité entre les hommes, un droit de nature minimum impose à chacun le respect des autres dans leur personne et dans leurs biens. Pour Locke, c’est l’absence d’un arbitre entre les hommes et non l’exercice de la violence qui caractérise l’état de nature.

L'homme naturel est un propriétaire avant la lettre, entouré de sa famille, travailleur et honnête. Pourquoi abandonne t- il alors cet état si heureux (sans arbitre) pour passer contrat avec d'autres et former une société (avec un Etat qui arbitre les conflits entre individus) ?
 
L’homme échange, et pour cela il crée, au sein même de l'état de nature, les deux instruments de l'échange que sont la monnaie et la capitalisation des marchandises. Par suite des hasards des récoltes successives ou par effet de la paresse et du mauvais vouloir de certains, les propriétés se modifient.

Certaines croissent, d'autres s'amenuisent ou disparaissent. Naturellement égaux devant le droit, les hommes deviennent insensiblement inégaux devant la fortune.
Cette inégalité engendre alors un danger, celui de la guerre civile entre les hommes. Il faut donc réactiver l'égalité naturelle, par les lois et la menace du châtiment : protéger par une "société d'assurance mutuelle" la grande majorité des individus contre ceux qui les contestent. Ainsi naît la société politique, fondée sur le contrat librement consenti et tacitement accepté par ceux-là même qui ne l'auraient point voulu (pacte d’association).
 
L’origine de la société civile ou du gouvernement civil résulte donc de la volonté des hommes de sauvegarder leurs droits naturels à la vie, à la liberté et à la possession légitime des biens — ce que Locke appelle "propriété". Ainsi, pour régler les différends communs qui naissent du pouvoir de l’homme de faire tout ce qui est nécessaire pour sa préservation et de la liberté où chacun est d’être juge de sa propre cause, les hommes, par un contrat social, consentent librement à ce que le gouvernement fasse les lois et l’autorise à les exécuter en vue du bien public.

II – La réponse des philosophes des Lumières :

La philosophie des Lumières peut alors, durant tout le 18ème siècle, se développer sur les bases posées par Locke : Voltaire, Rousseau, les encyclopédistes (Diderot, D’Alembert) et les physiocrates en France ; David Hume, Adam Ferguson ou… Adam Smith en GB ; E. Kant en Allemagne…

Dans son essai intitulé « Qu’est-ce que la philosophie des Lumières ? », Kant, en 1784, écrit : « Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d'un manque d'entendement, mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Se servir de sa raison pour sortir de la minorité, d’une sorte de « servitude volontaire », c’est-à-dire… pour être, pour devenir LIBRE !
Les idées essentielles des Lumières tournent donc autour de quelques mots-clefs :

La liberté : « Les hommes naissent tous libres. C'est le plus précieux de tous les biens que l'homme puisse posséder. Il ne peut ni se vendre ni se perdre » (selon l'Encyclopédie). LA LIBERTE, TOUTES LES LIBERTES…y compris les libertés politiques, morales, de moeurs, et les libertés économiques…
La raison : c'est le moyen d'acquérir des connaissances. Quesnay dit : « la raison est à l'âme ce que les yeux sont au corps : sans les yeux, l'homme ne peut jouir de la lumière, et sans la lumière, il ne peut rien voir ».
La tolérance : D'après Voltaire, on doit respecter la liberté et les opinions sociales, politique et religieuses d'autrui.
L'égalité : D'après Rousseau, « être libre, n'avoir que des égaux est la vraie vie, la vie naturelle de l'homme. Les hommes naissent égaux ». C’est d’une égalité en droit dont il s’agit, bien sûr…
Le progrès : ils sont pour le progrès de la société et pour
l'innovation scientifique & technologique, le progrès économique et du commerce…
Ils sont contre les abus de pouvoir, c'est pourquoi il veulent la séparation des pouvoirs : (Montesquieu, « De l'esprit des lois », 1748). On retrouve cette idée dans le libéralisme économique qui pourfend les monopoles (car ils ont trop de pouvoir), et qui présente l’Etat comme un contre-pouvoir qui doit se servir de sa puissance pour limiter le pouvoir excessif de quelques-uns.
Ils sont pour le rejet de la monarchie de droit divin et contre toutes les formes traditionnelles de gouvernement, même s’ils restent généralement favorable à un régime monarchique.
Mais ils ne sont pas pour une démocratie, sauf dans le cas de Rousseau.

Dans le cadre de la philosophie des Lumières, la question n’est plus vraiment celle de l’institution du social à partir d’individus libres : en quelque sorte, sur ce point, ils reprennent les bases de Locke (c’est notamment le cas de J. J. Rousseau (1712-1778) dans « Le contrat social », 1762, qui inspira tant les révolutionnaires en France). La vraie question de philosophie politique des Lumières consiste à questionner la régulation du social (son fonctionnement plutôt que son institution) : comment concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général dans une société composée d’individus déclarés libres et égaux ? Ainsi, Rousseau résume son projet de la manière suivante : « trouver une forme d’association qui
défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ».

Autrement dit, est-il possible de concilier liberté et sécurité ? Et ne nuit-on pas à autrui dès lors que l’on agit à sa guise et, inversement, n’entravons-nous pas notre liberté lorsque nous avons le souci du respect d’autrui ? A cette question, il y a deux réponses possibles dans la philosophie des Lumières :

1. La réponse de Rousseau (1712-1778) : l’idée de la « volonté générale » ! Chaque citoyen est capable de distinguer son intérêt particulier et l’intérêt général, qu’il se doit de défendre comme « associé » — ainsi du fameux consentement à payer librement l’impôt !!! Cette solution est donc une solution politique, fondée sur l’idée que l’homme serait fondamentalement un animal politique… Ne trouve-t-on pas dans cette première voie la tendance républicaine de la modernité ?

• Cette réponse, séduisante, a pourtant deux inconvénients majeurs :

o Elle repose sur une hypothèse discutable de capacité citoyenne de l’homme, difficile à diffuser correctement dans toute société : l’expression et la compréhension par chacun de la volonté générale n’est pas triviale !
o Elle peut éventuellement fonder la paix civile, mais quid de la paix entre les Nations ? Les citoyens du monde ne sont en effet liés, eux, par aucun pacte…

2. C’est pourquoi la deuxième réponse des Lumières est une solution économique, qui tend d’ailleurs à substituer l’économique au politique (le marché au contrat) pour réguler harmonieusement la société… C’est la tendance libérale totale de la modernité. Passer par des relations de type commercial entre les individus apparaît en effet comme une solution simple et universelle de pacifier les relations entre les individus.

Montesquieu parlait déjà du « doux commerce », qui apaise les moeurs !
Les physiocrates français demandaient au roi de respecter les lois de la nature, qui gouvernent l’économie : « Sire, ne faites rien ! » (Quesnay) ; « Laissez-faire ; laissez passer » (V. De Gournay).

Adam Smith ne fera que reprendre et développer cette idée : si nous confrontons les individus à partir de leurs seuls intérêts particuliers (économiques et commerciaux), il n’est pas nécessaire que chacun aime les autres ni même qu’il ait compris la volonté générale pour vivre en paix avec autrui ! Il lui suffit de comprendre qu’il a besoin des autres pour satisfaire ses propres besoins, de dire aux autres : « donne-moi ce dont tu as besoin et tu auras, en retour, ce dont tu as toi-même besoin » (dit Smith dans la « Richesse des Nations », 1776). En outre, la portée des relations marchandes est universelle, elle dépasse les frontières, elle ne nécessite pas de socle politique international pour favoriser la paix entre les Nations.

Qu’on s’entende bien : Smith est un philosophe des Lumières.
Il accepte donc la théorie du contrat social — fondée par Locke et reprise par Rousseau — pour ce qui est de l’institution du social.
Il ne dénie pas l’intérêt de l’Etat, qui a son rôle à jouer pour préserver les libertés individuelles… Mais c’est au niveau de la manière d’organiser la régulation du fonctionnement de la société qu’il préfère la solution marchande (libérale) à la solution politique (républicaine) :

• Elle a l’avantage d’être immédiate et de reposer sur des instincts « naturels » des êtres humains (plutôt que de supposer leur capacité à s’élever vers une volonté générale) ;
• Elle a aussi l’avantage d’être universelle et de dépasser les frontières ;
• Elle a enfin l’avantage de rendre cohérent tout le projet social des lumières :

o Si la nature est bien faite, si l’homme est naturellement bon, pourquoi le commerce qui est naturel aux hommes serait-il un mal pour eux ? Pourquoi les hommes seraient-ils mauvais lorsqu’ils sont naturellement égoïstes ?
o Cette hypothèse correspond bien à la façon dont les Lumières envisagent un Etat qui protège par des lois les libertés, un Etat arbitre, qui ne se substitue pas aux individus dans la régulation du social
o Pourquoi la liberté serait bonne pour le progrès de l’humanité dans tous les domaines, sauf le domaine économique ?

Mais on voit aussi que cette voie nous entraîne aussi vers une conception plus économique, plus matérialiste de la société, et vers une sorte d’extinction du politique dans sa capacité à organiser la société. Comme l’a dit H. Arendt, la modernité consiste essentiellement en une disparition de fait de la politique, telle que les grecs la concevaient… Mais c’est une autre histoire !

Si on devait classer politiquement le libéralisme originel des Lumières dans son contexte, il aurait été clairement à gauche (explications sur ce petit anachronisme)…
Dans ce libéralisme utopique originel, on ne peut distinguer le libéralisme économique du libéralisme politique, moral, … C’est un tout.

Comment donc être anti-libéral aujourd’hui, surtout lorsqu’on a ses affinités politiques à gauche ? N’est-ce pas contradictoire ? Ne veut-on pas dire plutôt qu’on est anti-capitaliste ?
 
Se déclarer antilibéral, n’est-ce pas prendre le risque de rejeter aussi tout ce qui nous attache aux droits de l’homme, à la défense des libertés individuelles… ? Si nous sommes attachés au projet et à l’utopie des Lumières, comment pourrait-on rejeter leur libéralisme ?
 
 
Bien sûr, ce qui se passera au 19ème siècle fera évoluer les conceptions du libéralisme (et donc de l’anti-libéralisme). Mais si le libéralisme économique se détache du projet des Lumières, c’est donc lui qu’on devrait accuser de ne pas être assez (ou vraiment) fidèle à ce projet… et donc de le trahir ! Plutôt que de se déclarer un peu trop vite anti-libéral, pourquoi ne pas plutôt accuser certains économistes (qui se disent « libéraux ») de ne pas être fidèles au libéralisme originel ? Ce sera d’ailleurs, en quelque sorte, la voie empruntée par Marx, qui critiquera les économistes libéraux sur ce plan…
 
Intervenant : Jean-Robert ALCARAS, Economiste
 



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