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mars 03, 2016

Géopolitique de la Culture: Décrypter Daech

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Daech d’où vient-il et que veut-il ?

Depuis son irruption sur la scène internationale, en juin 2014, lorsqu’il a annoncé son intention d’établir un califat sur les territoires qu’il occupait en Irak et en Syrie, Daech a stupéfait le monde entier par sa brutalité. Sa soudaine notoriété, du moins en apparence, a suscité de multiples hypothèses quant à ses origines. Quels sont les forces et les événements qui ont conduit à l’émergence de ce groupe djihadiste ? Dans cet article, premier d’une série sur la genèse de Daech, James Gelvin, spécialiste de l’Histoire moderne du Moyen-Orient, souligne qu’il ne faut pas se contenter de réponses simplistes : le fait qu’un événement en précède un autre ne signifie pas nécessairement qu’il en soit la cause. Il est bien plus intéressant d’examiner les interactions historiques et sociales, et de reconnaître que des groupes comme Daech tentent souvent de trouver a posteriori une justification idéologique à leurs actes et déclarations. Cette série d’articles tentera de faire l’inventaire objectif des divers forces et événements susceptibles d’avoir favorisé l’émergence de ce groupe djihadiste. Nous avons tenté d’être aussi complets que possible dans notre approche, mais nous n’avons évidemment pas la prétention d’être exhaustifs, ni d’apporter une explication définitive sur les origines de Daech. Dans les jours à venir, un panel de spécialistes de la religion et de l’histoire moderne et médiévale, issus du monde entier, apportera son expertise à ces débats afin de comprendre comment est né le groupe djihadiste le plus connu de ces dernières années. Jusqu’où faut-il remonter pour découvrir les racines du prétendu groupe État islamique (Daech) ? Au choc pétrolier de 1973-74, quand les pays producteurs du Golfe persique ont exploité l’immense excédent budgétaire en dollars dont ils disposaient pour financer la diffusion de leur interprétation rigoriste de l’islam ? À la fin de la Première Guerre mondiale, quand les vainqueurs de l’Entente ont fait naître un énorme ressentiment dans le monde arabe en dessinant des frontières artificielles au Moyen-Orient, dont nous entendons encore parler aujourd’hui ? Et pourquoi pas à l’an 632, date de la mort du prophète Mahomet, quand la communauté islamique naissante s’est divisée pour savoir qui lui succéderait – ce qui a conduit à la scission entre sunnites et chiites que Daech exploite aujourd’hui à son compte ? Les hypothèses, apparemment infinies, feraient presque penser, si le sujet n’était aussi macabre, au jeu des Six degrés de séparation – lequel laisse entendre que tous les habitants de la planète seraient reliés entre eux par un maximum de six personnes. En ne considérant les phénomènes historiques qu’à travers une succession de causes et d’effets, on en vient à ignorer le nombre presque infini de combinaisons qui peuvent en résulter. C’est aussi l’un des raisonnements les plus fallacieux auxquels doivent faire face les historiens : post hoc, ergo propter hoc (à la suite de cela, donc à cause de cela). Plutôt que de relier l’émergence de Daech à un ou plusieurs événements historiques, je suggère donc de recourir à une méthode différente. 

Une longue lignée
Mohammed Ahmed, l’un des innombrables rédempteurs autoproclamés de l’islam. Wikimedia Commons Daech est l’illustration d’un phénomène qui se produit dans la plupart des religions, et notamment au sein de toutes les religions monothéistes. Régulièrement, un groupe d’activistes surgit, prospère momentanément avant de disparaître dans les ténèbres. Il cède alors la place à un autre groupe qui a émergé au sein du même bouillon de culture. Au VIIe siècle, les Kharijites (la première secte islamique de l’Histoire) – une organisation puritaine radicale – ont assassiné deux des premiers califes. Comme Daech, ils prétendaient savoir mieux que quiconque qui respectait réellement, ou pas, les préceptes de l’islam. Au XVIIIe siècle, Mohammed ibn Saoud, le fondateur de la dynastie saoudienne, était l’un des disciples de Mohammed ibn ‘Abd al-Wahhab, un prédicateur originaire du centre de la péninsule arabique. Considérant que la vénération des saints et la construction de mausolées étaient des actes impies, ibn Saoud et son armée détruisirent des sites sacrés pour les sunnites et pour les chiites en Arabie ainsi que sur l’actuel territoire irakien. Des actes qui font écho à la destruction de sites antiques perpétrée aujourd’hui par Daech. Au XIXe siècle, Mohammed Ahmed s’est autoproclamé mahdi (rédempteur de l’islam) sur le territoire de ce qui est aujourd’hui le Soudan, comme Abou Bakr al-Baghdadi, fondateur et chef de Daech, s’est récemment autoproclamé calife (commandeur des musulmans), une fonction plus opérationnelle. Les hommes d’Ahmed envahirent Khartoum, où ils massacrèrent une garnison britannique et décapitèrent son commandant. Avant al-Baghdadi, bien d’autres leaders ont donc marché sur les traces de Mohammed Ahmed. Bien que l’idée soit tentante, il serait totalement erroné de considérer que chaque groupuscule a « engendré » le suivant, même si certains militants s’inspirent des actions de leurs aînés. Ce serait aussi absurde que de voir dans les Zélotes de l’Antiquité (une secte juive qui a combattu les Romains) les ancêtres des colons juifs d’aujourd’hui en Cisjordanie, ou de considérer que les Croisés ont donné naissance aux ultras chrétiens qui jettent des bombes sur les cliniques pratiquant l’avortement. 

À chacun sa marque
Dans toutes les religions, de temps à autre, et sans qu’il soit d’ailleurs possible de prédire quand cela va se produire, un fidèle imprime sa propre marque sur la tradition. Pour qu’elle soit durable, il faut qu’elle emporte l’adhésion d’une partie des croyants, qui tentent alors de la mettre en pratique. Certaines interprétations, comme celle des Wahhabites saoudiens, sont plus durables que d’autres. Non pas parce qu’elles seraient plus « fidèles » au dogme, mais parce que ceux qui s’en font l’écho se montrent plus capables que d’autres de mobiliser des ressources – un petit groupe de croyants dévoués, des forces militaires, une aide extérieure, etc. – pour les défendre. La plupart n’y parviennent pas. C’est le cas d’Al-Baghdadi (et du fondateur d’al-Qaïda, Oussama ben Laden). Son interprétation combine trois notions qui trouvent leur origine dans la tradition islamique. La première est khilafa (le califat). Pour Al- Baghdadi, l’islam exige la création d’un califat, c’est-à-dire d’un territoire où s’applique la loi islamique sous l’autorité d’un calife – un descendant juste et instruit du prophète. Quand ses hommes ont envahi Mossoul à l’été 2014, il s’est autoproclamé calife et, pour établir sa légitimité, est devenu le calife Ibrahim al-Qurachi al-Hachimi. Les deux derniers noms signifient qu’il fait partie de la tribu de Mahomet, et qu’il descend directement du prophète. La deuxième notion est celle de takfir, qui fait des musulmans n’adhérant pas à sa lecture stricte du Coran des apostats, un crime puni de mort. Ceci explique les massacres commis par Daech à l’encontre des chiites, massacres que le haut commandement d’al-Qaïda lui-même trouve contre-productifs, voire écœurants. Abu Musab al-Zarqaoui, fondateur de la branche irakienne d’al-Qaïda, a quant à lui eu l’idée de ressusciter le concept du takfir. Sa stratégie était de s’en servir pour renforcer les liens communautaires entre sunnites irakiens en les mobilisant contre les chiites, afin de rendre le pays ingouvernable après l’invasion américaine. Al-Baghdadi va encore plus loin : ce concept lui sert à purifier le territoire du califat qui, espère-t-il, s’étendra bientôt sur l’ensemble du monde islamique. Enfin, il y a l’hégire, l’émigration des musulmans du dar al-harb (le domaine de la guerre, c’est-à-dire les pays à majorité non-musulmane) vers dar al-islam (le domaine de la soumission à Dieu). Tout comme Mahomet et ses disciples avaient quitté La Mecque pour Médine, où ils avaient fondé la première communauté islamique permanente. Daech veut que les musulmans s’installent en masse dans le califat, parce que l’organisation a besoin de gestionnaires et de guerriers expérimentés, et qu’elle considère l’immigration vers les « terres musulmanes » comme un devoir religieux. 

Une distraction dangereuse
Certains commentateurs pensent qu’al-Baghdadi a intégré une quatrième notion, celle d’une vision apocalyptique. Ils s’appuient sur le nom du luxueux magazine de Daech, Dabiq – qui
fait allusion à un site du nord de la Syrie où, d’après la tradition islamique, aura lieu l’Armageddon, le combat final entre le bien et le mal –, mais aussi sur des articles publiés dans ce magazine, et des vidéos de propagande. Cette théorie de la vision apocalyptique de Daech est tout à fait plausible. Après tout, chaque religion monothéiste a ses radicaux, et sa propre vision de l’apocalypse. Cependant, je ne suis toujours pas convaincu qu’une telle notion joue un rôle significatif dans la vision du monde de Daech. Quoi que l’avenir nous réserve, Daech, comme certaines sectes apocalyptiques chrétiennes, s’est montré si doué sur le plan tactique et stratégique qu’il a de toute évidence renvoyé aux calendes grecques l’idée de « fin du monde » – comme al-Qaïda l’avait fait pour la notion de rétablissement du califat. De plus, une grande partie des cadres de Daech sont d’anciens officiers de l’armée baasiste irakienne, qui accordent probablement autant d’importance au concept d’apocalypse que les généraux d’Hitler n’en donnaient aux divagations des fanatiques du Parti nazi. Réduire Daech à sa vision apocalyptique permet de mettre en lumière le côté irrationnel, voire médiéval, de ce groupe terroriste. Mais c’est aussi un exercice dangereux car si l’histoire récente nous a appris quelque chose, c’est bien que Daech prospère quand ses adversaires sous-estiment sa capacité de nuisance. 
The Conversation
2 mars 2016
James L Gelvin
*Professor of Modern Middle Eastern History, University of California, Los Angeles 



La théologie musulmane dévoyée

Quelles idées et quels événements ont fait le lit de Daech ? Pour le savoir, notre série sur les origines du groupe djihadiste s’intéresse au jeu des forces historiques et sociales qui ont contribué à son avènement. Aujourd’hui, l’historien de l’islam Harith Bin Ramlin explique en quoi l’État islamique s’inscrit – ou non – dans la théologie musulmane. Ce faisant, il répond à une question à laquelle les musulmans d’Occident sont souvent renvoyés. Les musulmans du monde entier souffrent quotidiennement de voir l’islam assimilé à la cruauté et à l’inhumanité de ce prétendu État islamique. Il serait certes tentant de considérer Daech comme sortant totalement du cadre de l’islam, mais on prendrait alors le risque de faire son jeu. Depuis la mort du prophète Mahomet, en 632, les musulmans ne se sont jamais accordés sur une autorité unique. Non contente d’être en désaccord, la première génération de fidèles s’est déchirée pour savoir qui devrait lui succéder à la tête de la communauté. Ces divisions ont provoqué l’émergence du sunnisme et du chiisme – les deux principales théologies qui se sont imposées au fil du temps. Leurs affrontements sanglants ont suscité une forte inquiétude au sein du monde musulman sur les conséquences potentielles des divisions de type politique et théologique. Pourtant, la nécessité de respecter les différences a rapidement fait consensus parmi les fidèles du prophète. S’il convenait de se « désolidariser » de ceux qui ne partageaient pas le même point de vue sur les questions essentielles, les intéressés étaient toujours tenus pour musulmans dès lors qu’ils respectaient les principes fondamentaux de l’islam, comme l’unicité de Dieu ou la prophétie de Mahomet. 



Le précédent des Kharijites
Jadis, une secte a remis en question cette approche pluraliste : les Kharijites. Selon eux, les chefs musulmans dissidents ou corrompus n’étaient que des apostats. Au sein de cette secte, certaines factions ont progressivement étendu leur conception de l’apostasie à tous les musulmans qui seraient en désaccord avec eux. Déclarés infidèles, ceux-ci pouvaient dès lors être tués ou réduits en esclavage. Mais il est important de préciser que la violence de ces extrémistes n’a jamais séduit qu’une minorité de croyants. D’autres Kharijites ont adopté une position plus modérée, davantage en phase avec le consensus en formation. L’horreur provoquée par les premières divisions au sein de l’Oumma (la communauté des musulmans) et la terreur mise en œuvre par les extrémistes kharijites ont, par réaction, conforté au sein de l’islam la reconnaissance des divergences d’opinion. Celle-ci s’est accompagnée d’une culture du savoir fondée sur l’idée que la recherche du « vrai » sens des écritures était une aventure humaine au long cours et faillible. Au-delà des points faisant l’objet d’un consensus indiscutable, certaines divergences d’interprétation étaient donc tolérées. Daech ne se distingue pas réellement de l’islam traditionnel par l’usage des textes religieux auquel il se réfère. Pour justifier l’esclavage ou la guerre contre les non musulmans, l’organisation s’appuie sur des passages relativement connus du Coran, de la Sunna ou du droit, issus de la tradition islamique médiévale. Mais ces textes – sacrés ou non – ont toujours été lus en vertu d’une longue tradition d’interprétation théologique. Comme le souligne Sohaira Siddiqui, professeure adjointe de théologie à l’Université Georgetown, les groupes tels que Daech s’écartent de l’islam en rejetant cette culture d’interprétation savante et de pluralisme religieux. L’approche de Daech s’inspire principalement du wahhabisme, un mouvement né de l’interprétation radicale faite par un théologien du XIVe siècle, Ibn Taymiyya. À ses yeux, les musulmans qui ne souscrivaient pas à son interprétation stricte du monothéisme étaient tout simplement des apostats. On peut aussi la rattacher aux théoriciens politiques radicaux du XXe siècle tel que Sayyid Qutb, qui qualifiait d’« idolâtres » et non fondés sur la loi de Dieu l’État moderne et les idéologies s’y rattachant, le nationalisme et la démocratie compris. En restaurant le califat, Daech entend aujourd’hui susciter une alternative à l’ordre politique dominant. 

Les conséquences de la précipitation
« Avec ou contre nous ». Fort de ce slogan simpliste, Daech peut traiter les dirigeants musulmans de « tyrans » et les religieux qui les soutiennent de « savants de palais ». Plus généralement, les musulmans qui refusent de « se repentir » et d’adhérer au dogme sont menacés d’« apostasie », un crime puni de mort. Ce faisant, le groupe a ressuscité l’ancienne mouvance kharijite sous la forme d’une idéologie politique meurtrière. Daech a raison sur un point : la solution aux problèmes du monde musulman ne viendra pas du maintien du statu quo politique, ni de l’instrumentalisation hypocrite de la religion visant à soutenir des régimes corrompus et oppresseurs. Avec son projet de restauration du califat, Daech entend créer une alternative au système politique actuel. REUTERS/Umit Bektas Mais en faisant fi du pluralisme théologique et de la tolérance religieuse, Daech met son interprétation des écritures et de la tradition religieuse au service de ses objectifs politiques, et non l’inverse. Les plus hautes autorités religieuses musulmanes, tel que l’imam de la mosquée al-Azar au Caire, se sont abstenues d’accuser Daech d’« apostasie », tout en appelant à combattre la secte par les armes. Cette hésitation s’explique peut-être par le fait qu’une telle accusation abaisserait la communauté des musulmans au même niveau que Daech, comme cette dernière le souhaite. Au lieu de déclarer ce groupe non conforme à l’islam, le monde musulman ferait mieux de réaffirmer son attachement à sa culture du pluralisme. Ce faisant, il ouvrirait un débat aussi nécessaire qu’urgent sur les relations qu’entretiennent l’État et la religion au sein des sociétés musulmanes contemporaines. 

Hâter la volonté de Dieu
De nombreux musulmans partagent sans doute la conviction de Daech que de nombreux signes attestent de la fin prochaine des temps. La secte s’écarte cependant de l’eschatologie musulmane dominante à deux égards. D’abord, sa littérature omet toute référence au mahdi (le guide attendu) et au retour de Jésus, le fils de Marie, dont les hadiths annoncent qu’il triomphera de l’Imposteur (Dajjal ou Antéchrist). Ensuite, Daech s’arroge un rôle central dans le déroulement de ces événements, alors que le musulman moyen admet qu’il ne peut réellement les comprendre. Autrement dit, au lieu d’attendre que Dieu provoque la fin des temps, Daech espère la précipiter par ses agissements. À cet égard, la secte se rapproche des extrémistes chrétiens et juifs. Si l’on accorde le bénéfice du doute aux adeptes de Daech – hormis les criminels, bien sûr –, il apparaît que leur idéologie se nourrit de la volonté d’appliquer à la hâte celle de Dieu. Et d’un rejet encore plus hâtif de la démarche, plus humble et prudente, des autres musulmans. 

Comme le dit le Coran :

« L’homme a été créé impatient ». (Sourate 21, 37) et
« Tous les hommes sont perdus, sauf ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres, et s’enjoignent mutuellement la Vérité et la patience ». (Sourate 103, 2-3)

The Conversation
2 mars 2016
Harith Bin Ramli*
*Research Fellow, Cambridge Muslim College & Teaching Fellow, SOAS, University of London





Si l’EI se fonde sur la religion, pourquoi est-il si violent ? 



La soudaine notoriété de Daech (du moins en apparence) a suscité de multiples hypothèses quant à ses origines. Quels sont les forces et les événements qui ont conduit à l’émergence de ce groupe djihadiste ? Aujourd’hui, Aaron Hughes, spécialiste en sciences des religions, pose la question de savoir si sa violence est inhérente à l’islam. Malgré ce que l’on entend ici ou là, la religion n’est pas intrinsèquement pacifique. Ce présupposé repose largement sur l’idée, héritée du protestantisme, selon laquelle la religion est une pratique spirituelle, propre à chaque individu, et pervertie uniquement par des considérations bassement matérielles, notamment politiques. Pourtant, des gens tuent – et adorent – au nom de la religion.

Prétendre que le choix de l’une d’entre elles est plus juste que l’autre est non seulement problématique mais historiquement faux. Les croisades, les attentats contre les cliniques qui pratiquent l’avortement, certains assassinats politiques, et les attaques des colons israéliens contre des biens matériels appartenant aux Palestiniens – pour ne citer que quelques exemples – ont été, et sont encore, motivés par la religion. Ceci est dû au fait qu’elle repose sur la notion métaphysique de « croyant » et de « non-croyant » – une distinction fondée sur les concepts de bien et de mal, qui peut opportunément servir à justifier les actes de n’importe quel groupe. 


Un passé imaginaire
Daech, une organisation fondamentalement violente qui prétend refléter fidèlement l’islam du prophète Mahomet, fait partie de ceux-là. Elle s’apparente à d’autres courants réformistes islamiques qui cherchent à ressusciter, à l’époque moderne, l’idée qu’ils se font du système politique et social que Mahomet (570-632) et ses premiers fidèles instaurèrent et vécurent en Arabie au VIIe siècle après Jésus-Christ. Le problème, c’est que nous savons très peu de choses de ce système, si ce n’est par le biais de sources beaucoup plus tardives, comme la biographie (sira) de Mahomet ou les travaux d’historiens comme ceux d’al-Tabari (839- 923) . La restauration du califat est l’un des principes fondateurs de Daech. Cette entité géopolitique, synonyme de l’empire islamique qui s’étendait du Maroc et de l’Espagne, à l’ouest, jusqu’aux Indes à l’est, constitue le symbole l’apogée de l’islam. 

Quand il influait sur tout le Moyen-Orient et le pourtour méditerranéen, au VIIe siècle, l’islam propageait une vision résolument apocalyptique. De nombreuses sources, parmi les plus anciennes, évoquent ainsi la fin du monde. Citons notamment la lettre du deuxième calife, Oumar,à l’empereur byzantin Léon III, ainsi que des sources contemporaines non- musulmanes, tel le pamphlet Doctrina Jacobi (VIIe siècle) ou la version juive de l’apocalypse Les Secrets du rabbin Shimon bar Yohai (milieu du VIIIe siècle). La destruction du monde débuterait par une lutte entre les forces du bien (les musulmans) et celle du mal. Cette vision apocalyptique, Daech se l’est appropriée. Là encore, il est utile de rappeler deux choses. La première, c’est que la majorité des musulmans n’accorde aucun crédit à cette vision des choses. La seconde, c’est que cette notion de « fin du monde » n’est évidemment pas propre à l’islam. On la retrouve dans le judaïsme et le christianisme, où elle ne relève pas du tout de l’orthodoxie. 

Tolérance médiévale
Indépendamment du concept d’apocalypse, l’islam était-il particulièrement violent au VIIe siècle ? Sans émettre de jugement définitif sur ce sujet, on peut en tout cas rappeler les assassinats de trois des quatre premiers califes (successeurs) de Mahomet, ou les intenses débats théologiques de l’époque sur le fait de savoir qui était musulman ou non. Les débats se concentraient notamment sur l’âme des grands pécheurs. Ces derniers restaient-ils toujours musulmans, ou bien leurs péchés les avaient-ils exclus de la communauté des fidèles ? Dans la doctrine de la plupart des musulmans, c’est à Dieu de statuer, et non aux hommes. Cependant, des groupes comme Daech prétendent en décider à la place de Dieu, ce qui ne correspond en rien aux croyances de la majorité des musulmans orthodoxes. Un tel point de vue n’est certes pas incompatible avec l’islam, mais prétendre que des groupes comme Daech incarnent une interprétation médiévale de la doctrine islamique est injuste pour l’islam médiéval. 

Une bayt al-hikma (maison de sagesse ), construite au VIIIe siècle à Bagdad, symbolise ce que l’on a appelé l’âge d’or de la civilisation islamique. Pendant cette période de l’Histoire, des musulmans, des Juifs et des chrétiens étudiaient les textes philosophiques et scientifiques de la Grèce antique. Ces érudits ont contribué à faire progresser diverses disciplines, dont les mathématiques, l’astronomie, la médecine, l’alchimie ou la chimie, notamment. En un siècle à peine, l’islam était devenu un empire cosmopolite qui n’avait rien à voir avec l’interprétation stricte et dogmatique qu’en font des groupes comme Daech aujourd’hui. 

Un outil puissant
Les critiques occidentaux qui tentent de faire croire que l’islam est responsable des actions de Daech, et qui brandissent celles-ci comme une preuve supplémentaire de la violence intrinsèque de cette religion, négligent d’autres causes profondes, et très récentes. Parmi elles, citons le passé colonialiste européen dans la région, le soutien des États-Unis et de l’Europe à divers dictateurs impitoyables au Moyen-Orient et l’instabilité engendrée par l’invasion américaine en Irak après les attentats du 11-Septembre 2001. Sur la base de cette histoire moderne, Daech et d’autres groupes nourrissent un rêve « romantique », celui de ressusciter le règne idéalisé du puissant califat islamique. La capacité indéniable de la religion à ne pas s’embarrasser de nuances quand il s’agit de faire la différence entre «fidèles» et « infidèles », ou entre le « bien » et le « mal », en fait une idéologie puissante. Entre les mains de démagogues, le discours religieux – utilisé de manière sélective et manipulé afin d’atteindre des objectifs précis – s’avère redoutable. S’il est inexact de dire que la rhétorique de Daech est non-islamique, il importe de souligner ici qu’elle ne représente qu’un courant très particulier de l’islam, certainement pas le principal. 


The Conversation 
 2 mars 2016
Auteur : Aaron W Hughes*

Traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.




Le califat et le spectre des accords Sykes-Picot 


Depuis son arrivée sur la scène internationale en juin 2014, l’État islamique a stupéfait le monde entier par sa brutalité et par son intention d’établir un califat sur les territoires conquis en Irak et en Syrie. Dans une série d’articles, The Conversation analyse les forces historiques et culturelles qui expliquent la montée en puissance de ces djihadistes. Aujourd’hui, l’historien James Renton examine l’instrumentalisation des accords Sykes-Picot que l’État islamique a ostensiblement condamnés dans sa toute première vidéo. Depuis que le porte-parole de l’État islamique, Abou Mouhammad al-Adnani, a proclamé l’instauration d’un califat, le 29 juin 2014, les experts tentent de comprendre les origines et les objectifs du groupe. La majorité des analyses se focalisent sur la théologie des cadres de l’État islamique : une pensée apocalyptique appelant de ses vœux un retour à l’islam fantasmé des fondateurs de cette religion. Dans le même temps, l’analyse des objectifs politiques autoproclamés du groupe a été largement négligée. Or, indépendamment de la place qu’occupe la religion dans le fonctionnement et les justifications de l’État islamique, on ne peut comprendre le califat qu’en décortiquant les déclarations publiques, véritables manifestes modernistes, de ceux qui définissent sa ligne politique. Vu sous cet angle, le califat apparaît principalement comme une tentative de libérer l’oumma – la communauté mondiale des musulmans – de l’héritage du colonialisme européen. Pour les dirigeants de l’État islamique, le premier objectif du califat n’est donc pas théocratique, mais vise bien à s’émanciper du colonialisme. 

Retour aux sources
L’un des pseudonymes que le chef déclaré du califat s’est choisis est symptomatique de l’obsession qu’il manifeste à l’égard d’une mission spécifiquement religieuse, remontant aux premières années de l’islam. Ibrahim bin Awwad bin Ibrahim al-Badri al-Samarra’i (ou l’une des variantes de ce patronyme) a pris, bien avant l’été 2014, celui d’Abou Bakr, du nom du premier successeur de Mahomet, chef religieux et politique de l’oumma. 

Le Britannique Mark Sykes s’était entendu avec son homologue français, François Georges-Picot, pour que leurs pays respectifs se partagent le Moyen-Orient après la Première Guerre mondiale. Wikimedi Abou Bakr, qui dirigea l’oumma de 632 à 634, avait mis un terme à toute dissidence à l’encontre du nouveau système islamique dans les territoires qu’il administrait. D’après les sources dont nous disposons, il fit du califat un empire expansionniste qui mena des campagnes militaires sur les territoires actuels de la Syrie, l’Irak, la Jordanie et la Palestine- Israël. Le choix du nom d’Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, en plus de celui de « Calife Ibrahim » est révélateur des ambitions du nouveau califat. Dans sa proclamation, al- Adnani s’est d’ailleurs fait un devoir de célébrer les victoires militaires des premières décennies de l’islam, et de rappeler que l’oumma avait « fait régner la justice sur Terre [...] et dominé le monde pendant des siècles ». Ce succès, pense-t-il, résulte directement de la foi que les musulmans ont placée en Allah et de l’adhésion de l’oumma aux préceptes du prophète Mahomet. Mais la conquête territoriale et la création d’un empire musulman – ou d’un État, comme préfèrent l’appeler les auteurs du nouveau califat – n’est pas une fin en soi. Elles visent un objectif bien particulier. 

L’infamie franco-britannique
Selon al-Adnani, il est indispensable d’en finir avec la disgrâce dont est victime l’oumma, avec son humiliation et sa soumission aux gouvernements « les plus vils ». Deux jours après avoir été proclamé calife, al-Baghdadi a tenu des propos bien plus précis. La chute du dernier califat – et, avec lui, la perte d’un État – a conduit à l’humiliation et la perte d’autonomie des musulmans dans le monde entier, expliquait-il. Ce statut apatride a permis aux « infidèles » d’occuper les terres musulmanes, d’y installer des gouvernements autoritaires et de propager les mensonges des Occidentaux. Ce récit assez confus fait allusion à la dissolution, après la Première Guerre mondiale, de l’Empire ottoman, qui a régné sur la majeure partie de l’Asie de l’Ouest pendant quatre siècles. 

Le chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi
Les empires britannique et français se sont alors partagé des territoires considérables dans la région, qu’ils contrôlèrent pendant plusieurs décennies. Et quand ils durent y renoncer, ces États coloniaux ne ménagèrent pas leurs efforts pour mettre en place des régimes qui serviraient leurs intérêts et, plus généralement, ceux des Occidentaux. Pour les dirigeants de l’État islamique, ces agissements n’ont jamais cessé d’alimenter la stagnation de l’oumma, à qui l’on a ôté l’essence même du pouvoir contemporain : la souveraineté, c’est-à-dire une indépendance politique enracinée dans un territoire géographique donné. C’est la raison pour laquelle al-Baghdadi estime qu’il est urgent de ressusciter le califat afin de mettre un terme à cette absence funeste. Dans un tout autre état d’esprit, l’universitaire S. Sayyid, installé au Royaume-Uni, est parvenu à une conclusion similaire en 2014. La preuve la plus nette de la primauté de cet objectif politique dans l’agenda de l’État islamique apparaît clairement dans la propagande du nouveau califat, qui joue un rôle clé dans le projet de l’État islamique. À l’occasion de la proclamation de ce califat, ils ont publié une vidéo intitulée La Fin de Sykes- Picot. Signés en mai 1916, les accords secrets franco-britanniques, dits Sykes-Picot, prévoyaient le partage de l’Empire ottoman en zones d’influence et d’administration directe pour les deux empires européens. Mais les bolcheviks découvrirent une copie de cet accord dans les archives russes en novembre 1917, peu de temps après la Révolution, et en révélèrent l’existence au monde entier. 

Les accords Sykes-Picot
Contrairement à ce que suggère cette vidéo, les accords Sykes-Picot n’ont donc pas dessiné les frontières des États créés sur les décombres de l’ex-Empire ottoman. Mais cette erreur ne doit pas nous empêcher de mesurer l’importance qu’ont ces accords aux yeux de l’État islamique, ni la portée de ce qu’ils nous disent du califat. Au Moyen-Orient, ces accords sont en effet devenus les symboles de la trahison et du complot occidental dans la région, mais aussi de la manière dont les Européens se sont servis de leur empire colonial pour priver les peuples de la région de leur souveraineté. Le but avoué de l’État islamique est d’en finir avec cet héritage. Ce qui explique pourquoi « La Fin de Sykes-Picot », parmi tant d’autres sujets possibles, fit l’objet de la toute première vidéo accompagnant la proclamation du califat. Pour al-Baghdadi, islam et souveraineté sont indissociables – ce qui explique la nécessité d’un État islamique, et le choix précis de ce terme au détriment de celui d’« empire », qui décrit pourtant mieux les objectifs expansionnistes de son califat. Il ne s’agit pas, en effet, d’une simple question de sémantique : ce choix est au cœur de la raison d’être de l’État islamique. Le califat, soutiennent les dirigeants du groupe terroriste, est indispensable pour mettre fin aux conséquences de l’impérialisme et du colonialisme européens. Il s’agit donc d’une tentative de s’émanciper du joug colonial et d’accéder à une oumma post-colonialiste. Souveraineté et lutte pour l’indépendance vont souvent de pair. L’ordre mondial né des cendres de la Première Guerre mondiale, et incarné par la Ligue des Nations puis les Nations unies, place l’idée de souveraineté au cœur de notre concept de puissance. Dans ce système, l’absence d’État est synonyme d’absence de pouvoir. La défaite militaire de l’État islamique, et la perte des territoires conquis, anéantiraient toute notion de souveraineté, et donc de califat. Mais cette éventuelle défaite ne résoudrait pas la problématique du sentiment d’impuissance qui a nourri l’idée de califat en 2014. Au contraire, elle ne ferait que le renforcer. Les vrais défis qui se posent sur le long terme aux adversaires de l’État islamique ne concernent donc pas seulement la chute du califat – qui sera indubitablement compliquée – ni même une hypothétique victoire contre l’« extrémisme ». Il faudra surtout vaincre le cri de ralliement de l’État islamique : l’aliénation des musulmans dans l’ordre mondial. 
 
The Conversation
4 mars 2016
James Renton

Traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.



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décembre 10, 2015

Peur, désinformation et courage !!

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


 
Notre pays vit une période singulière et sordide de paranoïa aigue. Quand nous ne sommes pas angoissés par tous les maux de la planète véhiculés par nos médias, nous sommes harcelés par les cours de morale assénés par nos politiques. Le niveau de peur distillé et le lavage de cerveau ambiant sont devenus tout simplement ahurissants au regard de la réalité et insupportables pour une démocratie comme la nôtre. Pourtant, nous ne manquons pas de moyens d’information, mais il faut admettre que les niveaux de prise de recul sur l’actualité et de discernement sur la nature des risques que nous avons à assumer sont devenus consternants. Nous sommes de plus en plus dans le commentaire sur les plateaux TV, le suivisme dans les couloirs des décideurs et le fatalisme au sein de la population1

Nous avons l’impression d’être entrés dans le temps des calamités et surtout dans un modèle de société où il n’y a plus de raison d’espérer quoi que ce soit du présent et encore moins de l’avenir... Étonnante atmosphère dans laquelle nos clercs, affublés d’une meute d’imposteurs et de petits communicants, distillent au quotidien ces doses médicamenteuses de peurs et de désinformations qui inhibent inexorablement toute capacité de jugement et tout esprit critique. Cela leur permet de pouvoir gouverner en toute impunité et de maintenir les populations dans des biais de représentation qui s’avèrent malsains et de plus en plus mortifères. Certes, le monde se transforme à très grande vitesse et ne nous attend pas. Nous pourrions même préciser qu’il ne nous attend plus depuis longtemps! C’est regrettable, mais c’est ainsi et il serait temps de l’admettre plutôt que de le craindre inconsidérablement. Il se pourrait même qu’il soit un peu tard... Comme l’écrit Cocteau : « L’avenir n’appartient à personne, il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires ». En ce qui nous concerne, nous pourrions ajouter qu’il y a aussi « des agités et des perdants ». 

Il est convenu désormais de parler d’un « monde chaotique », sans trop savoir ce que l’on met derrière cette assertion. Cela permet à de nombreux experts, aux tonalités plus ou moins apocalyptiques, d’occuper la scène médiatique sur tout et n’importe quoi : de l’Ebola à l’Islamisme en passant bien entendu sur le plan géopolitique par les deux figures incontournables que sont devenus les deux pestes russes et syriennes... « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage... ». Cela évite de traiter nos véritables pathologies et ces cancers qui rongent de l’intérieur nos sociétés avec l’endettement et la faillite de l’Etat, le niveau du chômage et la perte réelle de compétitivité de nos économies, les radicalisations identitaires et religieuses, le désenchantement et la désespérance qui frappent nos populations... « Divide ut regnes2 » s’accorde très bien en termes de gouvernance avec peur et désinformation. 

Si nous nous référons à sa racine grecque, le terme chaos signifie « béance ». Dans la mythologie grecque, il s’agit de l’état initial qui précède l’origine du monde et l’arrivée des dieux3. Sans cette cause première, ou principe premier selon les écoles philosophiques, la matière ne peut pas se mettre en mouvement ni se transformer. Si nous restons fidèles à cette approche, il est clair que le monde vit depuis un demi-siècle une transformation considérable, voire radicale, des rapports de force et de puissance. Ces derniers en s’exprimant de plus en plus en dehors de notre rationalité et malgré nous, génèrent dans nos perceptions cette sensation de chaos. Mais ce que nous ressentons dans nos sanctuaires de riches comme l’émergence d’un désordre démoniaque n’est pas perçu de la même façon dans le reste du monde. Au contraire le reste de la planète considère cette phase de transition de l’Histoire comme une formidable opportunité pour s’imposer de nouveau dans les jeux d’acteurs. Avoir peur de la « béance » générée dans l’ordre du monde par ces transformations, ces changements de paradigmes, dont nous avons souvent été et paradoxalement à l’origine, ne changera strictement rien aux risques que nous devons anticiper et assumer si nous voulons espérer être dans les nouveaux jeux de demain. 

Au lieu d’essayer de transformer le présent et d’anticiper l’avenir, tout est désormais prétexte pour haranguer nos populations sur ces crises fatales qui nous submergent, ces acquis historiques qu’il faut défendre de façon suicidaire, ces méchants dirigeants à nos frontières qui n’obtempèrent pas à nos ultimatums et qui nous veulent forcément du mal. Ces peurs nous maintiennent en état de sidération et nous enferment petit à petit dans des formes de schizophrénie collective inquiétante qui expliquent les types d’implosion que nous constatons dans nos sociétés. Tout ceci nous maintient dans un infantilisme préoccupant et surtout dans un niveau de confusion et de soumission qui est assez inédit. Il est plus que temps de nous réveiller et de nous ressaisir pour aborder avec un peu plus de lucidité et de robustesse les rendez-vous qui sont devant nous. Il est également temps d’arrêter de nous saturer avec de fausses peurs et de nous prendre en permanence quotidiennement pour des imbéciles avec de faux problèmes. 

Nous savons que le monde que nous avons connu, celui qui a été façonné par le traité de Westphalie, redessiné par le traité de Versailles et sanctuarisé par Yalta est définitivement mort depuis plusieurs décennies. Certes, depuis 20 ans nous essayons de freiner la déconstruction de la matrice qui nous a assuré plusieurs siècles de maîtrise de l’Histoire. Les choses s’accélèrent ou du moins deviennent plus explicites. Mais nous refusons de les voir telles qu’elles sont. Nous pratiquons le déni. Les évènements en Ukraine, en Syrie, au Sahel, sans oublier ce qui se joue en mer de Chine, sont normaux. Ils ne font que s’inscrire dans ce lent processus de redécoupages identitaires et territoriaux que nous constatons sur toutes les lignes de tension civilisationnelle depuis les évènements du Liban, puis de l’ex-Yougoslavie, bien au-delà la chute du mur de Berlin et la désanctuarisation de l’Europe centrale. Cela commence toujours par des guerres civiles autour de questions identitaires, se poursuit avec des logiques séparatistes pour déboucher sur de nouvelles frontières. C’est la fin de tous les avenants du traité de Versailles4 notamment ceux de Sèvres5 et de Lausanne6 dans les Balkans et sur les marges orientales de l’Europe, c’est aussi la fin des accords Sykes-Picot7 au Levant et au Moyen-Orient, la fin de Balfour8 sur Israël avec l’inévitable reconnaissance de l’Etat palestinien, voire de façon sous-jacente la fin du pacte du Quincy9 avec la remise en cause de la donne énergétique au niveau mondial. Mais c’est aussi le retour des grands « empires centraux »10 avec la Turquie d’Erdogan, la Sainte Russie du tsar Poutine, la grande Perse, les deux puissances nationalistes que sont l’Inde sur l’Océan indien et le Japon sur le Pacifique nord, sans oublier la Chine qui a l’intention de redevenir dans les dix à vingt ans la première puissance mondiale, ce qu’elle fut déjà pendant des siècles! L’Histoire ne fait que reprendre ses droits et sa marche en avant. 

Pour conserver l’illusion d’un semblant de puissance et tenter de verrouiller nos facteurs de bien-être, nous nous sommes résignés à ne devenir qu’une petite pièce de l’incontestable surpuissance américaine, dont l’omnipotence sécuritaire repose sur une dette gigantesque et sur cette arme de destruction massive qu’est le dollar. Cet alignement nous oblige désormais à fondre nos intérêts dans la redéfinition de nouveaux jeux d’alliances et dans des traités de libre-échange qui ne sont pas soumis aux peuples. Pour cela, il nous faut accepter de nommer des adversaires, d’affirmer des menaces et d’accepter les standards anglo-saxons comme modèle absolu de vie et de pensée. Pour conserver notre statut et surtout notre niveau de vie, il nous faut obtempérer aux consignes des lobbies de Washington et nous soumettre à une lecture du bien et du mal assez simpliste. Il est évident que dans ce contexte des dirigeants comme Vladimir Poutine ou Bachar el Assad, voire des concepts comme l’islamisme, deviennent des boucs émissaires faciles à diaboliser pour tétaniser et conditionner les populations. Il est également clair qu’un contrôle total des systèmes d’information et de communication11 est devenu indispensable afin que la matrice puisse tenir face aux remises en cause des jeux de puissance, aux masses critiques en mouvement sur les plans démographiques, financiers et économiques ainsi qu’aux risques de fractalisation qui s’affirment de façon inexorable aux marges de l’Occident. 

C’est de bonne guerre ! Nos adversaires ne s’y prendraient pas autrement pour nous dominer, mais peut-être que dans le passé nous fumes un peu plus subtils et furtifs dans la manœuvre et moins pressés... Maintenant, il faut le reconnaître, les « castings » politiques n’étaient pas non plus du même niveau... Pour arriver à cette finalité, tout est bon, de l’instrumentalisation permanente des peurs ordinaires, en passant par l’Ebola, jusqu’à la réanimation des concepts de la « guerre froide » pour donner un second souffle à cette guerre contre le terrorisme qui a sous-tendu les « guerres justes » de ces dernières décennies. Personne n’a peur du ridicule, à commencer par les médias qui en abusent pour fabriquer de l’audience à forte rentabilité ! L’objectif est de maintenir l’opinion en état de sidération et de l’enfermer dans des logiques de persuasion, qui valent les bonnes méthodes de propagande du siècle dernier, mais en beaucoup plus subtil et virtuel avec la performance actuelle des vecteurs médiatiques. 

Dans ce contexte, les scénarios terrifiants pour 2015 ne manquent pas et la plupart sont vraisemblables. Comme d’habitude, il est probable que nous ayons d’autres réalités à assumer, les jeux d’acteurs n’étant pas figés dans le marbre. Le scénario qui nous concerne le plus est bien entendu l’hypothèse qui remonte à la surface d’une fin plus ou moins programmée de l’Euro. Tous les ingrédients sont là avec la panne de croissance et la vague de déflation qui s’installe sur la zone, les difficultés de Mario Draghi face à la banque centrale allemande pour lancer sa stratégie de rachat des dettes souveraines, l’instabilité politique grecque, voire italienne si Renzi n’arrive pas à faire passer ses réformes, et surtout le risque bancaire français qui est lié au risque pays italien. En plus de ces plaques à vent, la tentation pour Cameron de tenter une sortie par le haut du système européen est désormais très forte. Tout se joue avec en arrière plan une remontée des taux américains et du dollar sur un fond de guerre des monnaies et de l’énergie. Quant à l’Allemagne, le recentrage de ses intérêts sur son Mitteleuropa et de sa stratégie sur ses frontières orientales avec la Russie, la Turquie et l‘Eurasie ne laisse plus de place aux pas de clerc de nos petits énarques au pouvoir en quête de compromis pour essayer de gagner du temps. Ces mouvements de fond peuvent se traduire par une scission entre les 1812. Sans aller sur une fractalisation totale de l’Europe, comme certains l’imaginent ou la souhaitent, un système à deux vitesses entre germaniques et latins n’est pas inconcevable dans un premier temps. Cela ne se fera pas sans un peu de casse, c’est évident. 

Pour nous, Français, un tel scénario se traduirait instantanément par une perte de richesse globale de -20% à -30%. Et alors ! En tout état de cause, il faudra bien à un moment donné revenir à la vie réelle et arrêter de penser que nous pouvons continuer à financer notre indolence et notre nostalgie d’un passé révolu à coup d’endettement public comme nous le faisons de façon dispendieuse depuis 30 ans pour acheter la paix sociale et civile. Ce pourrait être la meilleure chose qui puisse nous arriver, puisque nous avons refusé collectivement de prendre les problèmes par le bon bout. Ce serait aussi la meilleure façon de sortir le plus vite possible de ces virtualités bureaucratiques et financières qui nous bercent avec de fausses assurances, anesthésient nos capacités de jugement, contraignent nos possibilités d’innovation et neutralisent toute prise de risque. Il est évident qu’aucun politique actuel, quel que soit le bord, ne peut porter un tel discours. Mais un -30% n’est pas la fin du monde, même si c’est la fin d’un monde. Il s’agit juste d’un peu moins de confort et d’un recalage que d’autres ont assumé avec courage et détermination, et pas seulement avec abdication. L’exemple espagnol, qui est à nos portes, est dans ce domaine assez éloquent13. De toute façon, quel que soit le scénario, ce sera à un moment donné le prix à payer pour revenir à des bases saines et nous obliger à sortir une fois pour toute de toutes ces prises d’otage sociales, fiscales, juridiques, institutionnelles que nous subissons et qui tuent lentement, mais sûrement, notre pays depuis 30 ans. 

A nouveau, arrêtons de dire aux français que la crise de l’Euro s’arrêtera à la frontière, que « l’Allemagne paiera », que nous sommes les plus vertueux et le seul modèle viable et durable de la zone européenne. Tout cela est faux ! La crise de l’Euro est devant nous, l’Allemagne n’a plus envie de payer et notre sort est désormais intimement lié au sort de l’Italie et non plus à l’inoxydable traité
de l’Elysée14. Le dernier déclassement de l’agence Fitch15, qui n’est en rien surprenant, n’est qu’une énième alerte du glissement du pays dont la résistance est quasiment nulle, notamment à cet effet de ciseau mortel que constituent la déflation et la hausse des taux d’intérêt sur les marchés. Il faut arrêter de nous dire tous les jours que « les courbes vont s’inverser » ! Toujours ce même « bourrage de crane16 » dérisoire pour tenter de gagner du temps. 

De la même manière, la communication sur les ravages de l’islamisme, la barbarie de Daesh, les menaces des terroristes qui écument la bande sahélienne sont exaspérantes. Tout est mis au même niveau, entretenant dans les modes inconscients de représentation collective l’idée que nous sommes à l’aube de la fin des temps. Même s’il est indéniable qu’il y a des vraies questions sécuritaires à traiter, tant sur notre territoire qu’à l’international, sur ces radicalisations religieuses et identitaires liées à des crises profondes au sein de l’Islam, il faut les proportionner à leur juste valeur. L’instrumentalisation de la menace a toujours été un biais de gouvernance pour donner au politique une apparence de légitimité martiale et pouvoir entretenir au niveau de la population un minimum de vigilance et d’adhésion en matière de sécurité collective (surtout lorsque l’on est membre du conseil de sécurité de l’ONU et que l’on détient l’arme nucléaire). Mais la crédibilité d’une posture repose sur une évaluation pondérée et sur une mobilisation de moyens adaptés aux enjeux. La sur-réaction ou le sous-dimensionnement se terminent toujours mal sur ces registres sécuritaires. Les affirmations péremptoires que nous avons connues sur le Mali, opération qui ne devait durer que trois mois, et sur la Syrie avec une éviction du pouvoir de Bachar el Assad qui devait se faire en trois semaines, laissent pantois sur l’arrogance politique de nos responsables... 

Pour ne prendre que la réalité du Sahel, nous avons un dispositif de l’ordre de 3 000 hommes et quelques avions pour faire de la guerre de raid sur une zone aussi grande que la Méditerranée. C’est tout à fait adapté au niveau de la menace et nos unités sur le terrain font très bien leur travail de chasse aux djhadistes qui sont, ne l’oublions pas, d’abord et avant tout des bandes bien connues de criminels, maffieux et trafiquants en tout genre. Ce qui change la nature du contexte, ce sont les appellations islamistes plus ou moins contrôlées qu’ils ont adoptées afin de faire monter les enchères, notamment médiatiques, sur la zone depuis l’effondrement de la Lybie. 3 000 soldats, c’est l’équivalent d’une demi-brigade ou de trois régiments. C’est à peu près ce que nous avons toujours eu depuis 30 ans pour gérer les pulsions de ce 35ème parallèle stratégique pour les intérêts de la France. Ce sont toujours les mêmes types d’unités, toujours aussi professionnelles et performantes qui arpentent ces régions désertiques avec les armées africaines. Il en est de même au Levant avec nos dispositifs au Liban, en Méditerranée orientale ou dans le golfe d’Oman. Ce sont les mêmes que nous retrouvons dans le dispositif de lutte anti Daesh qui vient d’être mis en place aux côtés des américains pour traiter les bandes de criminels d’Abou Bakr al-Baghdadi17, certes mieux organisées et armées, mais qui n’ont rien à voir avec des armées constituées. Bien entendu, on opposera à ce mode de raisonnement que les dérivées de l’influence de tous ces réseaux avec leurs émules dans nos banlieues ou actuellement dans les contrées du Liban, pour ne prendre que ce laboratoire18, sont considérables. Elle ne le sont pas plus que ne le fut le communisme pendant un siècle avec ses réseaux clandestins et ses millions d’adhérents qui ont tous rêvé du « grand soir19 » et milité pour la révolution au prix d’une bonne centaine de millions de morts dans le monde20... Aurions-nous oublié ce que fut réellement cette menace, avec des ogives nucléaires, sur nos libertés et nos démocraties, pour avoir peur de quelques « barbus » confus et maffieux avec leur pick-up et leurs fatwas d’un autre siècle21

Sans vouloir enlever la moindre valeur aux soldats qui sont sur le terrain ou parcelles de gloire qu’ils méritent, arrêtons de penser que ce qu’ils font est de l’ordre de l’inédit et de l’exceptionnel et de donner ainsi à nos politiques en perte d’adhésion populaire un semblant d’audience fugitive et dérisoire. Ils font ce pourquoi ils ont été formés et entraînés et le font très bien, avec des résultats éloquents, au même titre que nos services de sécurité sur le territoire national22! Ils le font même de mieux en mieux, quel que soit le pays allié, mais avec des dispositifs très pointus dotés de forces spéciales aguerries et de technologies très performantes23. Mais arrêtons de nous raconter des histoires, sur tous ces théâtres : Nous sommes loin des 940 000 hommes engagés en 1991 par les Américains en Irak24avec une coalition de 34 pays, des 50 à 60 000 hommes engagés en Ex-Yougoslavie (dont 6 000 à 7 000 français) ou des 60 000 à 100 000 hommes sur l’Afghanistan (dont 3 000 français) pendant plus de dix ans. La vraie question est de savoir si nous serions en mesure de faire face à d’autres types de menaces qui supposeraient un autre niveau d’engagement sur le plan militaire et d’adhésion de notre population25. Malheureusement, il est devenu interdit de parler de ces questions de défense avec une certaine liberté de ton, tout relevant de l’ordre du « domaine réservé », le choix des opérations comme les arbitrages sur le budget étant de l’ordre du « non discutable 26». Il est clair que l’on ne construit pas une défense sérieuse et durable avec de tels biais de gouvernance, surtout lorsque l’on sait dans quel état sont actuellement les budgets des armées et la réalité des opérations sur le terrain en termes de disponibilités des moyens, qu’ils soient humains ou techniques. Fermer le ban et respect aux soldats ! 

Certes, la propagande fait partie des outils de gouvernance mais quand cela devient une fin en soi il faut se poser des questions sur la vacuité du pouvoir. Le summum a été atteint au cours de l’été 2014 avec l’affaire ukrainienne et notre alignement inconditionnel et surréaliste sur Washington. Il n’est pas évident qu’Obama et Kerry nous aient demandé de faire autant de zèle... mais puisque nous nous sommes prêtés à ce jeu, pourquoi n’en profiteraient-ils pas pour nous sous- traiter quelques jeux tactiques de second ordre (au prix de deux BPC immobilisés à Saint-Nazaire...). Certes, Vladimir Poutine, comme Bachar el Assad, ne sont pas des enfants de chœur et la réalité de leurs contextes géostratégiques n’en font pas des démocrates, comme nous ne cessons de leur reprocher un peu naïvement, alors que nous sommes très éloignés de la realpolitik qu’ils ont à assumer sur le terrain. Mais pourquoi ne parle-t-on pas des méthodes mises en place par les occidentaux, et qui n’ont rien de démocratiques, pour essayer de maîtriser la confusion politique et la corruption qui règnent à Kiev. Pourquoi passe-t-on sous silence cette nomination étonnante le 2 décembre, d’une Américaine, d’un Géorgien et d’un Lituanien (tous naturalisés ukrainiens dans la matinée et directement liés aux lobbies américains, voire à la CIA) à des postes clés, et pas des moindres27, dans le nouveau gouvernement ukrainien ? Imaginons une telle décision chez nous ? Pourquoi ne dit-on pas sur un autre registre la vérité sur les financements réels des mouvements Daesh et Al Nosra qui égorgent musulmans et chrétiens d’Orient en Irak et en Syrie ? Là encore, nos compromis financiers avec les monarchies du Golfe, s’ils peuvent s’expliquer, ou se justifier selon les cénacles, pour assurer la couverture de nos dettes et du train de vie de l’Etat, ne sont pas des plus démocratiques... La vie internationale est cynique et impitoyable pour les faibles et les lâches. 

Où se situent le bien et le mal ? Qui est dépositaire de la vertu ? Arrêtons par ailleurs de nous faire peur avec un soi-disant retour de la « guerre froide » sous prétexte que quelques milliers de miliciens cagoulés dans le Donbass seraient sur le point de provoquer une guerre nucléaire dont personne ne veut, à commencer par les russes... Tout cela afin de permettre à l’OTAN d’imposer un nouveau cahier des charges aux lendemains de son retour d’Afghanistan et de maintenir ainsi l’alliance dans un niveau de dépenses élevées face au retour d’une « menace russe ». Cela a permis de relancer de nombreux contrats d’armements en souffrance, comme le bouclier anti missile, et d’équiper des pays frontaliers de la Russie qui sont ravis de cette manne du complexe militaro industriel américain28. On oublie de dire que cette posture tactique a permis à Poutine de relancer sa propre politique de défense et d’initier de nouveaux accords stratégiques avec la Chine, l’Inde, l’Iran et même la Turquie qui marginalisent l’Europe dans un certain nombres de nouveaux jeux émergents. Soyons sérieux, les quelques exactions de nos djhadistes sur le Sahel n’ont rien à voir avec les 500 000 morts des années noires en Algérie entre le FIS, le GIA et l’armée. Cela n’a rien à voir avec les millions de morts provoqués par la famine, la malnutrition, l’eau, les guerres tribales qui ont et continuent à meurtrir le Soudan, la corne de l’Afrique et la région des grands lacs en Afrique. L’hystérie sur l’Ebola29 et ses 4 000 victimes masque les vrais enjeux que nous avons sur d’autres fronts épidémiologiques avec le paludisme, la dingue, le Sida et ses millions de personnes concernées. Et arrêtons de penser que l’Ukraine est l’équivalent des 100 millions de morts qui ont été générés par le communisme. Soyons un peu plus décents dans nos évaluations. 

Les sujets ne manquent pas pour 2015. Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, le maréchal Sissi, Narendra Modi, Shinzo Abe, Benyamin Netanyahou... n’ont pas fini de nous surprendre. Obama, de son côté, va également vouloir, malgré un Congrès très remonté contre lui (avec notamment John Mac Cain à la présidence de la commission des forces armées), affirmer sa stratégie de repositionnement du leadership américain sur le pacifique nord en se retirant du Moyen-Orient et du glacis eurasien laissant à l’Iran et aux puissances centrales le soin de réguler la région30 .Xi Jinping pourrait de même être au devant de la scène avec l’éclatement des bulles spéculatives qui minent l’économie chinoise et mettent en danger une grande partie de la classe moyenne. Et que dire des BRICS31 qui veulent remettre en question la domination du dollar... 

Tous les jeux sont ouverts et la realpolitik s’impose partout. Le monde n’est ni bipolaire, ni multipolaire, il devient « apolaire »32 pour reprendre cette terminologie qui fait désormais recette dans les couloirs de nos chancelleries. Face à cet état des lieux, l’imposture n’est plus de mise. Il faut arrêter de nous saturer avec de fausses peurs et de nous laver le cerveau avec des effets de manche permanents. Il est urgent de dire aux Français la vérité et toute la vérité sur le niveau réel de notre endettement, de la faillite de l’Etat, de la vulnérabilité de notre système bancaire et de nos véritables forces et faiblesses. Il est plus que temps d’arrêter ce spectacle consternant qui nous est servi quotidiennement. Finalement, comme l’écrivait si bien Fénelon, « Il n’y a pas de plus dangereuse illusion que la notion par laquelle les gens s’imaginent éviter l’illusion »...


1Lire les autres articles écrits par l’auteur sur cette question des « peurs » et de l’évaluation des risques :
http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/pages/publi-articles- 42?OpenDocument&ticket=329DF6
2 « Divide ut regnes » : Diviser pour régner : stratégie visant à semer la discorde et à opposer les éléments d'un tout pour les affaiblir et à user de son pouvoir pour les influencer.
3 Définition du Chaos par les grecs: . http://www.mythologiegrecque.fr/13.html
4 Le traité de Versailles : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Versailles#Les_trait.C3.A9s_annexes 5 Le traité de Sèvres : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_S%C3%A8vres
6 Le traité de Lausanne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Lausanne_(1923)

7Les accords Sykes-Picot: http://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102 article de Henry Laurens dans le Monde diplomatique
8 La déclaration Balfour : http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_Balfour_de_1917
9 Le pacte de Quincy et l’histoire diplomatique du pétrole : http://www.geopolintel.fr/IMG/pdf/petrole_histoire.pdf

10 Les « empires centraux » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Empires_centraux
11 Cf. « l’affaire Snowden – comment les Etats-Unis espionnent le monde » - Antoine Lefebure – La découverte 20 fev 2014

12Voir « L’UE-28 et la zone euro à 18 » Par Charlotte Bezamat-Mantes : http://www.diploweb.com/L-UE-28-et- la-zone-euro-a-18.html
13 Lire «Courage et discipline : le modèle espagnol pour surmonter la crise » de Michel Pébereaux dans Enjeux les Echos du 11 décembre 2014: http://m.lesechos.fr/enjeux/courage-et-discipline-le-modele-espagnol-pour- surmonter-la-crise-0203968198763.htm
14 http://www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963,0029.html
15 L'agence de notation Fitch Ratings a dégradé la note de la dette de la France vendredi 12 décembre dans la soirée. La dette française est désormais notée AA, trois crans au-dessous de la note maximale, quand elle était jusqu'à présent de AA +. L'agence de notation avait prévenu la France le 14 octobre qu'elle plaçait sa dette sous surveillance négative, en raison de son incapacité à réduire son déficit. Les analystes de Fitch comme de Moody’s et de Standard and Poors sont assez convergents n’étant pas convaincu par les mesures du gouvernement en matière de réduction des déficits et surtout par la faible croissance du pays qui passe en dessous de la moyenne de la zone euro.
16 Lire d’Albert Londres « Contre le bourrage de crâne, recueil de reportages de 1917-1918 », Arléa Paris 1998. 17http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/30/qui-est-al-baghdadi-nouveau-calife- djihadiste_4447612_3218.html

18 Voir à ce propos le remarquable reportage de la réalisatrice canado-libanaise Katia Jarjoura : « Le Liban de fractureenfracture» http://www.arte.tv/guide/fr/053414-000/liban-de-fracture-en-fracture
19 Le « Grand Soir » est une notion communiste et téléologique qui correspond à un bouleversement social visant principalement au renversement du capitalisme mais également à celui de la société devant être remplacée par une société nouvelle. Pour Sarthe, il s’agit du dernier grand « mythe poétique » révolutionnaire en France...

20 Cf. « Le livre noir du communisme crimes, terreur et répression », éd Robert Laffont 1997 21Cf.http://fr.radiovaticana.va/storico/2013/09/26/a_damas%2C_une_fatwa_contre_les_chr%C3%A9tiens%2C _les_druzes_et_les_alaouites/fr1-732012
22 Voir émission de radio avec l’auteur http://www.youtube.com/watch?v=ZNgLj1mQTI8

23 Cf. http://www.lefigaro.fr/international/2014/11/24/01003-20141124ARTFIG00302-des-sas-britanniques- combattraient-l-etat-islamique-en-irak.php
24 Pour la France (Opération Daguet): 19 000 hommes (terre : 12 000, air : 1 160, mer: 2 400, réserves à Djibouti : 3400), 15 navires, 60 avions, 120 hélicoptères, 40 chars d'assaut, 100 chars légers, 600 blindés, 18 pièces d'artillerie.

25 « Esprit de défense : es-tu là ? », Xavier Guilhou revue Défense nationale septembre 2011 http://www.xavierguilhou.com/clients/guilhou/site_xavier.nsf/005546776102f9f0c1256d09002800c8/ff9cf89c 59f84c0dc125718000319cfe/$FILE/EspritDefenseEstuLa.pdf 26http://www.opex360.com/2014/10/30/depute-deplore-hemicycle-vide-pour-le-debat-portant-sur-le-budget- de-la-defense
27 Natalie Jaresko, une Américaine d'origine ukrainienne qui a travaillé pour le Département d'Etat américain et pour un fonds d'investissement ukrainien financé par le Congrès américain, se retrouve ainsi ministre des Finances. Le Lituanien Aivaras Abromavicius, co-dirigeant d'un fonds d'investissement suédois, devient ministre de l'Economie, et le Géorgien Alexander Kvitachvili, ex-ministre de la Santé en Géorgie, hérite du ministère de la Santé. Bien entendu interrogée sur cette nomination, la porte-parole du département d'Etat à Washington a assuré que les Etats-Unis «n'avaient rien à faire du tout avec cela». «C'est le choix du peuple ukrainien et de leurs représentants élus», a affirmé Marie Harf.
28 La Pologne vient de signer un contrat d’achat de 40 missiles de croisière américains pour ses avions de combat F16, pour quelque 250 millions de dollars. La crise en Ukraine lui a permis d’accélérer sa politique d’armement qui va bénéficier d’un budget de 33,5 milliards d’euros au cours des prochaines années. Comme la Pologne les pays baltes voisins ont déclaré leur intention de faire remonter leurs dépenses militaires à 2% du PIB.
29 « L’OMS et ses défaillances sur la gestion de l’alerte Ebola » : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/8aa71d00-822a-11e4-93e1-673e9b09404c
30La stratégie d’Obama ne va pas dans le sens des lobbies du complexe militaro industriels républicains et encore moins dans celui des monarchies du Golfe qui lui font d’ores et déjà payer le prix avec la chute des cours en-dessous des 60$ le baril afin de bloquer sa stratégie d’autonomie énergétique avec notamment les schistes bitumineux. Cette chute des cours est aussi destinée à Poutine pour casser sa stratégie de contrôle de la sécurité énergétique mondiale sur le nœud eurasien au dépend de la péninsule arabique. Ces réseaux proches des néoconservateurs mettent tout en œuvre pour neutraliser l’élection d’un nouveau démocrate à la Maison Blanche en 2016 et réaffirmer leur leadership sur ce verrou eurasien et moyen-oriental. Voir les analyses de l’auteur sur la Syrie et l’Ukraine et le rôle de ces réseaux dans ces conflits:
http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/pages/publi-diploweb?OpenDocument
31 Les BRICS créent leur propre banque de développement Le Figaro 16 juillet 2014 :
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/07/16/20002-20140716ARTFIG00001-les-cinq-grands-pays- emergents-defient-l-hegemonie-occidentale.php
32 Article de Laure Mandeville dans le Figaro : http://blog.lefigaro.fr/lettres-de-washington/2012/02/vers-un- monde-apolaire.html



L'histoire, qui est toujours tragique, montre que l'effondrement des civilisations n'est pas que l'affaire des politiques, elle est en premier lieu le résultat d’une lâcheté collective qui a permis à des imposteurs de gouverner et à des barbares de ramasser le pouvoir. Est-ce bien cela que nous voulons pour les générations futures ? Pourtant, c’est bien cette question qui nous est posée derrière ces attentats qui endeuillent la France ! La situation que nous devons désormais assumer est bien de l’ordre de la responsabilité globale, quels que soient les acteurs au sein de notre société, et pas uniquement de la simple responsabilité des boîtes à outils sécuritaires, judiciaires et administratives qui sont systématiquement instrumentalisées sur le plan médiatique. Même s’il faut le faire pour rassurer les populations, ne nous trompons pas ni dans le de quoi s’agit-il, ni dans l’identification des enjeux et encore moins dans la perception des conséquences pour notre pays1.
 
 Dans ce contexte, est-il vraiment judicieux de tenter de s'approprier des pouvoirs exceptionnels au niveau de l'exécutif parce qu’une dizaine de kamikazes a réussi à passer entre les mailles du filet sécuritaire avec le bilan que nous connaissons (et qui aurait pu être beaucoup plus sordide si les cibles programmées du stade de France avaient été atteintes) ? L'état d'urgence qui a été mis en œuvre pour permettre au monde sécuritaire de faire enfin son travail n’a finalement rien d’exceptionnel. C’est une décision qui s’impose d’elle- même pour palier à des années de laxisme et de non décision ! Avec l’adoption des lois sur le terrorisme et sur le renseignement n’avons-nous pas des bases suffisantes pour démanteler, neutraliser et éradiquer ces formes de radicalisme islamique qui instrumentalisent la haine et prônent la destruction de nos référentiels et de nos logiques de vie ? Faut-il vraiment aller plus loin sur la limitation des libertés individuelles ? 

Faut-il par ailleurs se contenter d’un discours budgétaire pour montrer que nous répondons à une menace globale par l'amélioration de la boîte à outils en jouant sur la seule augmentation des capacités ? Est-ce que ces décisions « cosmétiques » vont permettre une meilleure efficacité sur le terrain et contribuer réellement à mettre de l’intelligence dans la résolution des problèmes que nous avons à résoudre ? « Le pacte de sécurité contre le pacte de stabilité » est à cet égard un très bel effet de manche politico médiatique... C'est beau mais ce n'est pas la question que nous avons à traiter. 

Désormais, il faut que notre pays non seulement se ressaisisse mais encore s'organise à tous les niveaux pour faire face. Cela suppose dans un premier temps que le système judiciaire puisse véritablement fonctionner avec la fermeté, l’indépendance et l'autorité attendues dans une démocratie menacée d'intentions apocalyptiques (cf. "Le flot de tempête" annoncé dans la dernière revendication de Daesh). Or, tout le monde s’accorde sur l'échec de la politique judiciaire qui est menée depuis des années laissant à ces réseaux des capacités de gesticulation et de contamination inacceptables et dangereuses. Tant que le système judiciaire ne fonctionnera pas, et quel que soit notre environnement législatif, la lutte anti terroriste ne pourra pas fonctionner de façon optimale. 

Dans un second temps, il faut permettre au sécuritaire d'assumer ses missions de prévention, d'intervention, voire de neutralisation, et si besoin de destruction sans attendre une nouvelle catastrophe collective. Pour cela, il faut juste appliquer la loi, que la loi, rien que la loi mais avec des ordres clairs ! Ce qui ne fut pas le cas ces dernières années ! Nous en avons l'illustration depuis la tragédie de la nuit du 13 novembre, en l'espace de quelques jours ce sont des centaines de filières sensibles qui sont démantelées avec la saisie de stocks d’armes considérables et l’interpellation de djihadistes très dangereux. Pourquoi a-t-il fallu attendre 130 morts et 350 blessés pour prendre ces décisions de perquisitions et d’anticipation sur des risques identifiés et avérés ? Cela signifie aussi que nous avions des renseignements mais qu’ils ne pouvaient pas être exploités correctement... 

Par ailleurs, il faut monter sans attendre un dispositif complémentaire de sécurité intérieure mobilisable immédiatement dans le continuum de nos opérations extérieures, avec une véritable réserve militaire2 (garde nationale pour certains) qui soit en mesure de fournir des capacités d’intervention adaptées à ces nouvelles formes de risques terroristes. Seul un dispositif fortement militarisé et semi professionnalisé, de surcroit assis sur du volontariat,
permettra de traiter au plus près de la population cette exportation des formes de guerre que nous connaissons en Afghanistan, au Moyen orient ou au Sahel avec les EID, les voitures piégées, les kamikazes etc. Il faut arrêter de penser que ces menaces sont de l’ordre des séries virtuelles type « homeland » où tout se règle en 45 minutes sur un écran plat. Là, la moindre faiblesse se traduit par des vies abîmées ou déchiquetées. 

Enfin, il faut permettre à notre société d’être plus lucide à tous les niveaux et arrêter de se complaire dans une fausse neutralité multiculturelle. Ces réseaux, qui ne représentent rien en valeur absolue mais qui sont absolument déterminés pour nous détruire par tous les moyens, ne nous respectent pas. Ils nous méprisent et nous haïssent. Il n’y a rien à négocier avec eux. Est-ce que nous avons bien compris que ces réseaux vont tout utiliser pour nous égarer (cf. la Taqiya) et nous diviser (cf. la Fitna) ? 

Il nous faut en être conscients et être plus robustes au sein de nos organisations et plus résilients tant au niveau individuel que collectif3. Ce n’est pas une question de guerre, juste une absolue nécessité de survie. Pour cela, il faut admettre notre mortalité, la fragilité de notre humanité et les limites de notre universalité. Il faudra aller bien au-delà puisqu’ils nous interpellent sur nos convictions et nos valeurs profondes. Certes, chanter timidement la Marseillaise et allumer des cierges nous rassure, mais quels sont nos véritables antidotes pour éradiquer ces formes de barbarie dans une société déchristianisée et matérialiste qui ne croit plus en rien ? Avons-nous envie de nous soumettre à ces forces ténébreuses et apocalyptiques ? 

Notre pays est blessé profondément dans sa chair. Pour certains il y a une effroyable souffrance, pour d’autres il y a la tentation du renoncement, pour beaucoup il y a de la colère (pas forcément de la haine), mais cette fois-ci, à la différence du mois de janvier, les Français exigent une réponse claire et nette de la part des responsables du pays. La France a besoin de se redresser, elle veut résister, elle souhaite vivre ! Qu’attendons-nous pour réagir4? D’avoir notre jeunesse engagée malgré elle dans une guerre que Daesh veut nous imposer alors que nous avons encore les moyens et les capacités d’enrayer ce processus ? La guerre est la marque impitoyable d’un échec stratégique, elle signifie que nous n’avons pas su mettre de l’intelligence et de la fermeté quand et là où il le fallait. Mais pour cela, il faut un certain courage historique. Voilà ce que les Français réclament désormais en mémoire de leurs enfants tombés innocemment en ce funeste vendredi 13 novembre : du courage ! 

Xavier Guilhou
Novembre 2015 

1 Cf. qualification des attentats du 13 novembre. https://www.apm.fr/rencontres/actualite/2633/afficher.htm
2 Cf. « Surtout ne supprimez pas la réserve » Xavier Guilhou - Revue Défense Nationale n 340 mars 2013 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/005546776102f9f0c1256d09002800c8/ff9cf89c 59f84c0dc125718000319cfe/$FILE/Surtout,%20ne%20supprimez%20pas%20la%20R%C3%A9serve.pdf
Cf. « La réserve: faut-il la supprimer ou la réinventer? » Xavier Guilhou - Revue Agir n°13 Février 2003 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/005546776102f9f0c1256d09002800c8/ff9cf89c 59f84c0dc125718000319cfe/$FILE/la%20r%C3%A9serve%20%C3%A0%20supprimer%20ou%20%C3%A0%20r% C3%A9inventer.pdf
3 cf. « Admettre, résister et revivre » tribune du 20 novembre de Xavier Guilhou sur Jobsferic http://www.jobsferic.fr/Admettre-resister-et-revivre-.html
4 cf. « Quand la France réagira... » Xavier Guilhou - Eyrolles 2007



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