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octobre 03, 2025

Que se passe t-il en Europe, d'une histoire à une autre...Qu'elle en serait la différence ?

Sommaire:

A - l’UE : une machine impériale qui écrase les souverainetés nationales 

B - Histoire: Europa ! Les projets européens de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste

Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l'Union européenne depuis 2022 ?
Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l'Union européenne depuis 2022 ?
Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l'Union européenne depuis 2022 ?
Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l'Union européenne depuis 2022 ?
Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l'Union européenne depuis 2022 ?

C - Joute verbale entre Viktor Orbán (Hongrie) et Donald Tusk (Pologne)

D - «1200 milliards d’euros d’investissements en dix ans» : comment Bruxelles veut mobiliser l’épargne des Européens

 



A - l’UE : une machine impériale qui écrase les souverainetés nationales 

L’ingérence tous azimuts de l’UE : de la médecine au militaire

Dans un monde où les nations souveraines devraient primer, l’Union européenne (UE) s’est muée en un Léviathan bureaucratique, légiférant dans tous les domaines imaginables, de la médecine au militaire, avec des conséquences souvent tragiques.

Ce qui était autrefois présenté comme un projet de paix et de prospérité est devenu un instrument de contrôle centralisé, imposant ses diktats aux États membres et menant invariablement à la souffrance humaine – comme en témoigne la gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 et le soutien prolongé à la guerre en Ukraine. L’UE ne se contente plus de coopérer ; elle remplace et dicte les lois nationales, sapant l’essence même de la démocratie et de l’autodétermination.

Prenons la médecine et le militaire : deux domaines où l’ingérence de l’UE a directement conduit à des drames humains. Lors de la crise du COVID-19, Bruxelles a imposé des politiques uniformes, comme les contrats opaques pour l’achat de vaccins, forçant les nations à adopter des mesures draconiennes sans égard pour leurs spécificités locales. Des millions de personnes ont souffert de confinements prolongés, d’effets secondaires non anticipés et d’une économie ravagée, tout cela au nom d’une « solidarité européenne » qui a surtout profité aux géants pharmaceutiques. De même, dans le domaine militaire, l’UE pousse à une escalade en Ukraine, finançant des armes et des entraînements qui prolongent un conflit sanglant, avec des milliers de morts à la clé.

Au lieu de promouvoir la paix, l’UE alimente une machine de guerre, transformant l’Europe en un prolongement des intérêts atlantistes, avec la mort comme horizon inévitable – COVID pour la santé, Ukraine pour la géopolitique.

 

 

La supplantation des lois nationales par les diktats européens

Cette ingérence va plus loin : l’UE n’hésite pas à supplanter les lois nationales souveraines. Des amendements constitutionnels, comme celui récemment adopté en Slovaquie donnant priorité aux lois nationales sur le droit européen en matière d’identité, sont des réactions directes à cette usurpation.

Bruxelles dicte tout, des normes environnementales aux politiques migratoires, ignorant les volontés populaires et imposant un cadre supranational qui érode les identités culturelles et les choix démocratiques des peuples.

Ursula von der Leyen : une dirigeante non élue aux allures de dictateur

Au cœur de ce système autoritaire se trouve Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui n’a jamais été élue directement par les peuples européens. Nommée par un processus opaque au Parlement européen, elle se comporte comme un grand général, commandant aux dirigeants nationaux ce qu’ils doivent faire – de la gestion des fonds européens à l’alignement sur des agendas globaux comme le « Green Deal » ou le soutien militaire à l’Ukraine. Ses critiques la dépeignent comme une bureaucrate omnipotente et autoritaire, promouvant une « nouvelle Europe » (Neue Europa, de sinistre réputation) fondée sur le pouvoir centralisé, tout en masquant ses propres manquements à la transparence, comme ses échanges cachés avec Pfizer. Von der Leyen incarne l’essence antidémocratique de l’UE : une élite non élue qui dicte aux nations élues, transformant l’Europe en un empire technocratique où les voix dissidentes sont qualifiées de « désinformation ».

Le rejet français : un « non » clair à la confiscation des libertés

Les Français, en particulier, ont été clairs sur leur rejet de cette Europe intrusive. En 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, 55 % des votants ont dit « non » à une UE qui confisque les libertés fondamentales – liberté de penser, d’aller et venir, économique, et même culturelle. Ce « non » massif reflétait une peur légitime : celle de voir la France diluée dans un super-État qui impose des quotas migratoires, des taxes carbone punitives et des normes qui étouffent l’industrie nationale. Aujourd’hui, les Français refusent toujours que leurs libertés soient saisies au nom d’une « union » qui privilégie les intérêts globaux sur les besoins locaux, comme en témoigne la montée des partis souverainistes (L’UE coute plus cher aux Français, que ce qu’elle leur rapporte : – 10 milliards d’euros / an).

La montée des voix eurosceptiques : des dirigeants et peuples en rébellion

Et ils ne sont pas seuls. De plus en plus de voix s’élèvent contre cette UE impériale, avec des dirigeants et des peuples qui rejettent son emprise ou exigent de choisir ce qui convient à leurs nations. En Hongrie, Viktor Orbán mène une politique ouvertement eurosceptique, refusant les diktats de Bruxelles sur l’immigration et les valeurs sociétales, et participant même à des gouvernements où les eurosceptiques approchent la majorité. La Pologne, sous influence de partis critiques, a affirmé la supériorité de sa constitution sur les traités UE, entraînant des tensions et des sanctions financières. En Slovaquie, Robert Fico a qualifié un amendement anti-progressiste de « barrage » contre l’UE, alignant son pays sur une résistance accrue. Les Pays-Bas, avec Geert Wilders, ont vu des partis eurosceptiques remporter des élections, critiquant l’UE pour son ingérence. En Italie, Giorgia Meloni et ses alliés ont renforcé un euroscepticisme croissant, priorisant les intérêts nationaux sur les agendas bruxellois. Ces pays, rejoints par des mouvements en Suède et ailleurs, signalent une vague eurosceptique : en 2024-2025, 24 pays de l’UE ont élu au moins un membre d’un groupe eurosceptique au Parlement européen.

🛑 Bras de fer avec Bruxelles : la Slovaquie défie la primauté du droit européen ➡ https://wix.to/Hlhj0ox

 

Vers une reprise de contrôle par les peuples

L’UE, sous sa forme actuelle, n’est plus un partenariat ; c’est une menace pour les souverainetés. Il est temps que les peuples reprennent le contrôle, avant que cette machine ne les engloutisse définitivement dans son agenda mortifère.

https://multipol360.com/lue-une-machine-imperiale-qui-ecrase-les-souverainetes-nationales/ 

 


B - Histoire: Europa ! Les projets européens de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste

Ici, Georges-Henri Soutou1 soulève un point, qui, de prime abord, interpelle. En effet, contre toute attente, l’auteur traite du sujet de l’Europe entre 1939 et 1945, sujet ô combien discuté par Rome et Berlin ! Toutefois, l’auteur ne manque pas d’évoquer les différences idéologiques existant entre Hitler et Mussolini concernant l’Europe. En effet, si le führer entend étendre la domination du Reich sur l’ensemble du continent ; le duce pour sa part, profondément plus européen qu’Hitler, a une vision plus nationaliste et impérialiste de l’idée d’Europe.

Une Europe prédisposée

En effet, la fin du premier conflit mondial fait naître un climat hypernationaliste en Europe, parmi les vaincus, mais aussi en Italie, pays allié à la victoire « mutilée ». Cette déception transalpine sera à l’origine du fascisme. Alors qu’il sort de cette Première Guerre mondiale exsangue, meurtri dans sa chair et dans sa terre, le continent européen est frappé de plein fouet par une crise économique mondiale qui remet en cause les idéologies libérale et socialiste apparues au XIXsiècle.

Dès lors, de nouveaux courants de politiques, dépassant le clivage droite-gauche, apparaissaient en Europe. En réaction aux projets briandistes, d’inspiration libérale, les différents courants de pensée réactionnaires et antidémocratiques se renouvellent. Cependant, nazis et fascistes n’ont pas la même vision de l’Europe. Face à la volonté prométhéenne du nationaliste jacobin Mussolini, Hitler lui oppose un antilibéralisme antisémite et racial.

Malgré leurs divergences idéologiques, les deux régimes refusent l’ordre libéral et démocratique. Cette communauté de vues cimente cette union transnationale entre l’Allemagne et l’Italie. L’idée d’une Europe nouvelle, en rupture avec l’ordre établi à Versailles, est partagée dans nombre d’autres gouvernements, avec le soutien massif de leurs populations.

Le fascisme et l’Europe : un grand espace euro-méditerranéen

La politique extérieure italienne des années 30 est complexe. Si après-guerre, Rome a reçu des territoires, elle revendique toutefois des territoires balkaniques et va même jusqu’à occuper militairement Corfou. Pour autant, Mussolini soutient le projet de pacte des Quatre. Contre toute attente, l’accession de Hitler au pouvoir permet à l’Italie de jouer un rôle de puissance stabilisatrice en Europe.

Mussolini entend cependant organiser une Europe fasciste. Aussi entend-il exporter le fascisme autour de la Méditerranée et de l’Afrique. Le projet impérial et méditerranéen de Mussolini a comme pointe de rupture la guerre d’Éthiopie. Parallèlement, le duce apporte son soutien à Franco durant la guerre civile espagnole. Les deux dictateurs sont en effet proches idéologiquement, cependant, Mussolini craint que le fascisme européen qu’il prône ne profite qu’au régime nazi.

À la veille du second conflit mondial, Mussolini évoque l’axe Rome-Berlin, définissant les tâches de chacun : à l’Allemagne les régions danubiennes, à l’Italie la Méditerranée. Les idéologues allemands, pour leur part, évoquent les « grands espaces ». Aussi envisagent-ils l’Europe pour le Reich, la Méditerranée et le Moyen-Orient pour l’Italie. Hitler et Mussolini divergent sur leurs différentes orientations géopolitiques, lesquelles correspondent à leurs axes idéologiques propres.

Cependant, Rome ne peut mener à bien sa « guerre parallèle » à celle de Berlin, ses échecs militaires l’obligent à entrer inéluctablement dans l’orbite du Reich et, in fine, à sa conception européenne de « grand espace européen ».

Le Troisième Reich et l’Europe

Le thème de l’Europe apparaît plus tardivement en Allemagne qu’en Italie. La conception hitlérienne de l’Europe consiste à acquérir l’espace nécessaire pour les peuples germaniques : le Lebensraum. Pour ce faire, Hitler entend rayer de la carte la Tchécoslovaquie et la Pologne ainsi que les populations juives du continent. Le Reich souhaite voir disparaître les petits États-nations au profit d’ensembles politiques et de grands espaces économiques plus vastes, afin de faire obstacle au mondialisme libéral anglo-américain.

Le chancelier du Reich souhaite instaurer un nouveau système international autour de grands blocs continentaux : le Großraum. Cependant, à Berlin, l’idée de « Nouvelle Europe » oppose différents courants de pensée. Les conservateurs tout d’abord, — favorables à une Mitteleuropa — s’opposent aux nationalistes (SA et membres du parti nazi), tenants qu’une vision plus territoriale que raciale. Les SS enfin, considèrent que la recomposition raciale de l’Europe passe par la destruction des juifs et l’asservissement des Slaves, dans l’unique but de parvenir au Lebensraum.

Cependant, la notion la plus importante pour le IIIReich — après celle de la race — demeure le « grand espace européen ». Cette notion comporte des aspects à la fois politiques, économiques, mais aussi juridiques.

Le projet euro-méditerranéen initial (1940-1941)

Malgré leurs divergences de vues, Rome et Berlin souhaitent réorganiser l’Europe autour d’un projet euro-méditerranéen cohérent, dont la sécurité serait garantie par l’Allemagne et l’Italie, face au bloc formé par les Anglo-américains.

Une fois la Pologne envahie, Hitler entend proposer la création d’un vaste espace économique grand-allemand regroupant le Reich, la Bohème-Moravie, la Pologne, le Luxembourg, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark, le tout dans une union douanière et monétaire dirigée par Berlin.

L’Allemagne accepte de laisser la Méditerranée à l’Italie, à la seule condition que Mussolini accepte l’Anschluss et renonce à sa politique danubienne. Rome, Berlin et Madrid — dans une moindre mesure — entendent se partager le continent africain, n’en laissant qu’une infime part à la France de Vichy.

« Ventre mou » de la Nouvelle Europe, les Balkans sont au cœur des appétits communs de Rome et Berlin. Mussolini craint une éventuelle occupation allemande de cette région que l’Italie considère comme faisant partie de sa zone d’influence politico-économique. Finalement, un modus vivendi est arrêté et les Balkans divisés. La Yougoslavie et la Grèce reviennent à Rome, le reste revenant à Berlin.

Nonobstant, après la crise économique des années 30, l’influence allemande de ces régions ne cessera de s’accroître, au détriment de l’Italie. De plus, Hitler reprendra à son compte l’héritage de Guillaume II en s’alliant au Moyen-Orient musulman hostile aux Anglo-américains philosémites.

L’invariant hitlérien : un Germanisches Reich deutscher nation ?

Se voulant l’héritier du Reich bismarckien, Hitler entend rattacher à l’Allemagne, l’ensemble des nations germaniques. Pour ce faire, il entend rattacher au Reich les populations « germaniques » scandinaves et flamandes. Cependant, si la Scandinavie occupe une proximité culturelle et « raciale » avec l’Allemagne, elle n’est cependant pas au diapason du Reich. La question de l’intégration flamande au Reich, si elle est facilement envisageable pour les Pays-Bas, il n’en est pas de même pour la Belgique. Seule la Suisse n’est pas envahie par l’Allemagne. Jamais elle ne se ralliera au projet hitlérien d’Europe nouvelle.

À côté de ce Reich germanique est instauré le protectorat de Bohème-Moravie, après l’invasion des Sudètes et sa séparation d’avec la Slovaquie. Après avoir envahi la Pologne et annexé les territoires perdus en 1919, Hitler y instaure un Gouvernement général, colonisant le reste du territoire polonais pour y installer des colons allemands, une fois les populations juives et polonaises expulsées.

Cependant, l’invariant hitlérien n’est pas fiable. En effet l’Europe sous domination allemande manque de matières premières stratégiquement et économiquement primordiales, tels le pétrole, le charbon et la nourriture. De ce fait, le Reich ne peut faire face au poids stratégico-économique des Anglo-américains.

Pour faire face à ces derniers, le Reich n’a d’autre choix que d’englober l’Europe jusqu’à l’Oural, le Moyen-Orient ainsi que l’Afrique, le tout, en s’entendant avec l’Italie, la France, possiblement l’Espagne, pour contrôler conjointement le Moyen-Orient et le continent africain.

Vichy dans le « nouvel ordre européen »

L’adhésion du gouvernement de Vichy à l’« ordre nouveau » répond à deux facteurs : idéologique et stratégique. Si tout comme l’Allemagne, la France souhaite remplacer la SDN et voir le retour au concert européen des grandes puissances au XIXsiècle, elle sait aussi ne pas être en capacité de s’opposer au Reich.

La France et son Empire constituent un bloc de 100 millions d’habitants. Afin de ne pas déplaire au maître de Berlin, la France se désengage de son alliance diplomatique et militaire, au sein de la Petite Entente, pour se recentrer sur son Empire, tout en recherchant un compromis avec le Reich. Ainsi la France fait-elle le choix d’abandonner l’Europe centrale et orientale à l’Allemagne pour maintenir sa souveraineté en métropole et dans l’Empire, tout en s’associant par ailleurs au « nouvel ordre européen ».

Ce changement de politique extérieure permet à la France de bénéficier d’un armistice conciliant de la part de Rome et Berlin, qui, pragmatiques, souhaitent éviter que le gouvernement français ne poursuive la guerre outre-Manche, ou bien encore en Afrique du Nord.

Maître d’un tiers du territoire métropolitain, à la tête d’un Empire conservé et d’une armée de 100 000 hommes, le gouvernement de Vichy inaugure sa politique de « Révolution nationale », s’inscrivant pleinement dans l’ordre nouveau hitlérien.

Cette collaboration de l’État français au Reich ne se fait pas sans heurts. Deux conceptions s’opposent à Vichy. Une majoritaire — défendue par Laval — entend inscrire la France dans ce nouvel ordre européen dominé par l’Allemagne, et une minoritaire, plus traditionnelle et plus classique, qui appelle de ses vœux à un équilibre européen capable de faire contrepoids au Reich. Pétain se trouve enserré entre ces deux visions antagonistes.

Structures mentales de la « Nouvelle Europe »

Vaincue militairement, la France doit marcher sans réserve avec le Reich. Ainsi la collaboration d’État instaurée par Vichy doit-elle permettre de s’adapter au « nouvel ordre européen ».

Cette idéologie collaborationniste européenne, débutée avant-guerre, se poursuit durant celle-ci. La collaboration idéologique entre les deux fondateurs de l’Axe Rome Berlin est fondamentale. En effet, si l’Allemagne souhaite une Europe très unifiée, l’Italie est quant à elle plus favorable à une Europe plus souple et confédéraliste, dans un ensemble méditerranéen conduit par Rome. Cependant, les deux régimes convergent sur un point essentiel, celui de la culture comme moyen de contrôle social total des peuples.

Débutée dans les années 30, la collaboration idéologique entre les deux fondateurs de l’Axe Rome-Berlin se poursuit. Ainsi les deux États totalitaires tentent-ils d’élaborer des normes juridiques communes pour l’Europe future. In fine, cette coopération germano-italienne verra le duce s’aligner sur le führer.

Le grand espace économie européen, antécédents et prolégomènes

Frappées de plein fouet par la crise économique, les classes moyennes européennes de l’entre-deux-guerres rejettent massivement le modèle libéral américain. Devant cette crise économique des années 30, le Reich entend recentrer son économie sur l’Europe, notamment en augmentant ses échanges extérieurs avec l’Italie, ainsi qu’avec l’Europe danubienne et balkanique. Rejetant le modèle capitaliste libéral, Berlin lance un « nouveau plan » économique dès 1933.

Hitler place les considérations économiques au premier rang des paramètres de sa réflexion politico-stratégique. Dès juin 1940, l’Allemagne prépare un grand espace économique européen, vaste union douanière et économique européenne dirigée depuis Berlin.

Hitler et Mussolini entendent instaurer un espace économique européen indépendant du libéralisme anglo-américain et de l’économie planifiée soviétique. L’Italie mussolinienne dépasse l’espace économique européen; elle souhaite se suffire à elle-même économiquement et entend s’appuyer sur ses colonies pour y parvenir, à l’instar du Commonwealth britannique et de l’Empire français.

Cette orientation méditerranéo-africaine de l’Italie concourt à différencier les priorités économiques de Rome et de Berlin, en rivalité politique et économique, principalement dans les Balkans. Beaucoup à Berlin, considèrent que le véritable espace géostratégique pour le Reich doit dépasser l’Europe pour aboutir à l’Eurafrique.

Le grand espace économique, projets et réalisations

Pour mener à bien la guerre, le Reich doit s’approvisionner en matières premières. Pour contrer le blocus imposé par les alliés, l’Allemagne doit pouvoir diriger un grand espace économique comprenant l’Europe danubienne et balkanique, l’Europe du Nord, l’Espagne et l’Italie.

Pour ce faire, le Reich entend réorganiser l’économie et les échanges financiers de ce vaste espace économique européen. Pour Berlin, le Reichsmark doit former, avec les « monnaies vassales », un bloc monétaire cohérent. Les transactions économiques entre États sont encore possibles après l’établissement d’un clearing multilatéral. Le développement des échanges et des interpénétrations des économies de ce grand espace économique doit déboucher à terme, sur une union douanière et monétaire.

L’idée d’un grand espace économique européen, sous domination allemande, est favorablement accueillie par le monde de la finance du vieux continent. Passé l’idée d’autosuffisance de la Grande Europe en matière économique, le projet de grand espace européen revient après la bataille de Stalingrad. En effet, l’Allemagne tente de relancer l’idée d’un vaste ensemble économique capable d’assurer au continent son indépendance économique face aux alliés, au moment même où ces derniers échafaudent des projets pour l’Europe au sortir du conflit mondial armé. Les universitaires allemands réfléchissent quant à eux à une communauté économique européenne, une fois la paix mondiale recouvrée.

Toutefois, au sein du Reich, cette question divise. À ceux des idéologues qui prônent une forme de socialisme, s’opposent les réalistes, qui conçoivent l’économie de marché régulée et épaulée par l’État. Alors que la guerre est perdue pour les puissances de l’Axe, l’idée de grand espace économique européen pour contrer l’impérialisme anglo-américain est encore espérée. Les patronats allemand, italien et français, se préparent à l’économie d’après guerre.

L’Europe occidentale occupée dans le grand espace économique

L’Europe comme ensemble économique existe depuis toujours. Cependant, à partir de juillet 1940, les économies des pays occupés par les forces de l’Axe sont coupées de leurs fournisseurs anglo-américains.

Directement impactée, l’Allemagne tente de trouver un palliatif en faisant transférer sur son territoire, les machines ainsi que les matières premières des pays envahis, pour les utiliser à l’effort de guerre. La guerre à l’Est est beaucoup plus dure que prévu et se prolonge, le temps joue contre les forces de l’Axe. Le Reich durcit sa politique économique en réquisitionnant des milliers de travailleurs de toute l’Europe occupée.

Bientôt, le programme de grand espace économique du Reich devient moins un fait qu’une propagande. Pour autant, la coopération économique franco-allemande est intense. Les autres pays occupés : le Luxembourg, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark concourent à l’effort de guerre allemand, notamment en exportant leurs productions agricoles à destination du Reich.

Les projets sociaux de la Nouvelle Europe sous direction allemande

En complément d’un nouvel ordre économique européen, le Reich entend installer une nouvelle Europe sociale. Cependant, dans sa conception d’une Europe nouvelle sur le plan social, Hitler établit une différenciation au sein de l’Europe occupée. En effet, les territoires de l’Est sont des terres de colonisation allemande où les populations sont asservies. Celles-ci ne peuvent donc pas jouir des bienfaits de cette politique sociale aux contours flous, balançant entre archaïsme et modernité.

L’Allemagne a pour objectif d’homogénéiser la société européenne, sur une base à la fois raciale et sociale. Pour le régime national-socialiste, il s’agit de former un homme nouveau, national-socialiste, capable de se transcender pour servir aveuglement la « communauté du peuple » totalitaire. L’Allemagne reproche à l’Italie et à l’Espagne de ne pas la suivre dans sa volonté d’harmoniser économiquement, socialement et sociétalement le continent européen.

Toutefois, les régimes nazi et fasciste se rejoignent dans leur volonté corporatiste de dépasser la lutte des classes au profit de l’État et du parti. Rome et Berlin, mais aussi Vichy, se rejoignent sur la question raciale. Ainsi, des similitudes existent dans les législations raciales élaborées en Allemagne et en France concernant les Juifs.

Si le projet social européen instauré par le régime nazi est largement partagé en Europe centrale et occidentale, la guerre, l’occupation et la répression dans l’Europe occupée, rend irréalisable l’idée de tout projet social européen cohérent.

1941-1942 : l’Allemagne joue et perd

Les projets hitlériens de « nouvel ordre européen » et de création d’un Lebensraum à l’Est, aux dépens de la Pologne et de l’URSS, sont ruinés avec le déclenchement du plan Barbarossa.

Ab initio, Moscou n’écartait pas la possibilité d’adhérer au pacte quadripartite proposé par Berlin. Cependant, Hitler a pour objectif d’attaquer l’Union soviétique, non pour des raisons politiques ou économiques, mais dans un but de réorganisation raciale de l’Europe orientale. Une fois instaurées sur ces territoires, les colonies allemandes pourraient assurer au peuple allemand, l’espace vital nécessaire à son développement futur.

Toutefois, Mussolini craint de voir l’antisémite et l’anti-slavisme du Reich compromettre le projet d’une Europe nouvelle. L’idée fondamentale d’Hitler, au-delà de son anti-bolchevisme, est d’envahir le territoire soviétique afin de s’approprier les ressources nécessaires au peuple allemand et à son économie.

Alors qu’il devait répondre à un triple objectif : racial, colonisateur et économique, le plan Barbarossa va conduire à la perte du Reich. Si l’invasion de l’Ukraine permet à l’Allemagne de se ravitailler en matières premières, elle compromet les chances de succès de la première phase euro-méditerranéenne de son plan de guerre. Finalement incapable d’organiser un « nouvel ordre européen », le Reich et Rome ne pourront résister aux épreuves de la guerre.

 Vichy dans une Europe anti-bolchevique

L’invasion de l’URSS par l’Allemagne favorise l’esprit de collaboration de Vichy. Tout comme le Reich, la France de Pétain s’inscrit dans une Europe anti-bolchevique excluant l’Union soviétique.

Le gouvernement de Vichy agit avec pragmatisme. Avant-guerre, les relations diplomatiques entre Pars et Moscou devaient permettre un certain équilibre européen face à Berlin. La guerre perdue face à l’Allemagne, la France en rompant ses relations diplomatiques avec l’URSS, se fait bien voir de Berlin.

Le gouvernement de Vichy va plus loin encore avec les « protocoles de Paris », qui prévoient une collaboration militaire étendue en Afrique du Nord et au Levant. Le but est d’inscrire la France dans l’ordre nouveau et de lutter, aux côtés de l’Allemagne, contre le Royaume-Uni.

Les protocoles de Paris vont plus loin encore et proclament que le gouvernement français poursuit son œuvre de Révolution nationale, qui repose sur un pouvoir autoritaire, à large assise populaire, à l’instar des gouvernements allemand et italien.

En s’associant pleinement avec l’Axe, le gouvernement de Vichy entend donner à la France, la meilleure place possible dans l’Europe nouvelle. Moins idéologue que pragmatique et persuadé de la victoire prochaine du Reich, Laval poursuit sa politique de collaboration après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Dès lors, Vichy s’enfonce inéluctablement dans une position de collaboration totale, antibolchevique dont elle ne pourra plus changer l’orientation.

1943-1944 : Reich « grand-germanique » ou Europe ?

Lorsqu’il élabore le plan Barborssa, Hitler entend d’abord occuper l’URSS jusqu’à l’Oural, avant de retourner les populations victimes du traitement que leur inflige Staline, pour mettre à bas l’URSS. Une fois ces peuples « libérés du joug soviétique », Berlin entend les intégrer dans des États autonomes vassaux du Reich.

La bataille de Stalingrad scelle le destin de l’Axe. Mussolini insiste auprès d’Hitler pour qu’une paix séparée soit signée avec l’URSS, pour milieux résister aux Anglo-américains, après leur débarquement en Afrique du Nord. La proposition du duce n’est pas suivie d’effet.

L’enlisement militaire de l’Axe sur le front russe oblige Berlin à revenir sur le thème de l’Europe. Stratégiquement, l’Allemagne appelle l’Europe à dépasser les nationalismes, pour s’unir dans un grand espace organisé autour de Berlin, pour lutter à la fois contre l’interventionnisme britannique, le capitalisme américain, et le bolchevisme soviétique.

Si le Reich entend réorganiser le continent de façon hiérarchique, il doit cependant faire face à sa propre complexité structurelle. En effet, la vision d’une Europe « germanique » antisémite et antilibérale des SS, ne correspond en rien à la vision nationaliste et révisionniste des SA et des membres du NSDAP, beaucoup plus proche idéologiquement des fascistes italiens.

Après Stalingrad, les dirigeants du Reich changent donc de vision européenne. Ainsi Ribbentrop conçoit-il le projet d’une confédération européenne, répondant ainsi aux sollicitations de Mussolini, Antonescu et Laval. Cette confédération serait alors sans limites de temps et composée d’États souverains mutuellement garants de leur indépendance.

Conscient de l’échec de sa « guerre parallèle », Mussolini tente lui aussi de relancer le projet européen. Nonobstant, l’Italie est totalement dépassée par la question, alors même que l’Allemagne reprend la main sur les Balkans.

Alors que la victoire des Alliés n’est plus qu’une question de mois, les régimes nazi et fasciste se radicalisent et projettent de créer une Europe homogène, radicale, antibolchevique et antilibérale capables de se dresser à la fois contre les Juifs, les États-Unis et l’URSS.

Fin et rémanence de l’Europe et de l’Axe

Dans ce dernier chapitre, l’auteur pointe du doigt la polémique actuelle, sur le fait que l’Europe de l’Axe aurait été la matrice de l’actuelle Union européenne.

Dès la fin de l’année 1943, nombreux sont ceux à comprendre que l’Axe a perdu la guerre. Certains secteurs de l’économie allemande préparent l’après-guerre. Déjà se dessine le projet de renouer les relations d’avant-guerre.

L’Allemagne hitlérienne voit la constitution de trois grands ensembles, une fois la paix mondiale recouvrée : l’Eurafrique, le monde anglo-américain, enfin l’URSS. Aussi l’idée de fonder un grand espace économique européen, autour d’un bloc douanier et monétaire, demeure prégnante dans de nombreuses capitales du vieux continent, notamment à Berlin.

L’idée d’une Europe fédérale trouve son apogée lors du Congrès européen de La Haye, en 1948. Mené par les adversaires de la démocratie libérale, ce congrès reprend à son compte les idées conservatrices des années 30 et fixe des objectifs qui seront ceux de l’actuelle Union européenne. Paradoxalement, pourtant considérés comme pro-européens, les démocrates-chrétiens ne parviennent pas à s’accorder sur un sujet cohérent de construction européenne.

Pays vaincu, se trouvant dans une situation difficile au sortir de la guerre, l’Italie parvient contre toute attente à se moderniser économiquement et socialement. Cela permet à Rome de participer pleinement à la construction européenne.

Finalement, comme le conclut Georges-Henri Soutou, la politique européenne de l’Axe s’inscrit dans les courants généraux de son époque et non comme un accident de l’histoire.

Georges-Henri Soutou

Tallandier, Collection Texto, 2022. 618 p., 13,50 €

 Voir aussi sur ce même blog:

Le programme Jean Monnet de l’UE ( Toute une histoire parfois oublié, entre ses États Unis de l'Europe et sa divergence avec De Gaulle ) & l’affaire Evghenia Gutul

 Le programme Jean Monnet de l’UE : excellence académique ou outil de propagande ?

 


C - Joute verbale entre Viktor Orbán (Hongrie) et Donald Tusk (Pologne)

Dans un échange virulent sur la plateforme X, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a sévèrement répondu à son homologue polonais Donald Tusk, révélant les fractures profondes au sein de l’Union européenne sur la gestion du conflit en Ukraine.

Cet épisode illustre le clivage entre une Hongrie pragmatique, tournée vers la paix, et une UE de plus en plus belliciste, emmenée par des affidés comme Tusk qui poussent à l’escalade au risque d’un embrasement continental.

L’échange qui met le feu aux poudres

Tout a commencé par une déclaration provocatrice de Donald Tusk lors d’un sommet à Copenhague. Le Premier ministre polonais, fervent défenseur d’une ligne dure contre la Russie, a affirmé que l’Europe entière était « en guerre » avec Moscou, accusant implicitement Orbán de minimiser la menace.

« C’est la Russie qui a déclenché la guerre contre l’Ukraine. C’est elle qui a décidé que nous étions en guerre. Et dans une telle situation, la seule question est de savoir de quel côté vous êtes » , a lancé Tusk.

La réponse d’Orbán ne s’est pas fait attendre :

« La Russie est en guerre. L’Ukraine est en guerre. La Hongrie ne l’est pas. Je comprends que vous soutenez fermement l’Ukraine. Sachez que nous soutenons fermement la Hongrie ! Votre question est de savoir qui va gagner la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ma question est de savoir comment nous pouvons mettre fin à la guerre, sauver des dizaines de milliers de vies et assurer la sécurité des Hongrois ! Vous cherchez à gagner une guerre que vous croyez être la vôtre. Je veux que la paix règne ! »

Cette réplique, qualifiée de « magistrale » par beaucoup d’observateurs de la scène géopolitique, met en lumière le fossé idéologique : d’un côté, un bellicisme effréné qui voit dans le conflit une croisade européenne ; de l’autre, un appel rationnel à la négociation pour éviter une catastrophe humaine et économique.

Le bellicisme de l’UE et de ses vassaux : une escalade dangereuse

Cet échange n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série de tensions au sein de l’UE, où la Hongrie, souvent isolée, bloque des paquets d’aide militaire à l’Ukraine et plaide pour des pourparlers directs avec la Russie. Orbán accuse Bruxelles de « jouer un jeu dangereux » avec la sécurité européenne, en escaladant le conflit au lieu de le désamorcer. En effet, l’UE, sous l’influence de figures comme Tusk, multiplie les sanctions et les livraisons d’armes (ne parlons pas des fausses accusations, suivies de rétro-pédalage, concernant des hypothétiques attaques de drones), ignorant les risques d’une confrontation directe avec la Russie. À Copenhague, Orbán a rappelé que les dépenses militaires de l’UE surpassent largement celles de Moscou, questionnant : « Pourquoi avons-nous peur ? Nous sommes plus forts économiquement, pourquoi ne pas prioriser la désescalade ? »

Les affidés de Bruxelles, comme la Pologne de Tusk, incarnent ce virage belliciste. Varsovie pousse à des sanctions plus sévères et à un soutien accru à Kiev, au risque d’entraîner l’Europe dans un conflit prolongé. Cette posture n’est pas seulement idéologique : elle masque une dépendance croissante à des puissances extérieures, comme les États-Unis, qui profitent de l’instabilité pour vendre leur énergie et leurs armes. Tusk, en accusant Orbán de « financer indirectement » la Russie via des achats de pétrole, ignore hypocritement que sa propre politique aligne la Pologne sur Washington, au détriment d’une souveraineté énergétique européenne autonome.

La dépendance énergétique de la Hongrie : un faux reproche

On ne saurait reprocher à la Hongrie sa dépendance au gaz et au pétrole russes, car ce pays, comme la Pologne d’ailleurs, est dépourvu de ressources énergétiques propres. Cette coopération avec Moscou existait bien avant l’opération spéciale en Ukraine en 2022, et s’inscrivait dans une logique pragmatique de diversification des approvisionnements. Orbán l’a rappelé : Budapest n’a pas les moyens de pivoter brutalement vers d’autres fournisseurs sans risquer un effondrement économique.

A contrario, on pourrait tout aussi légitimement reprocher à la Pologne d’acheter de l’énergie aux États-Unis, une dépendance qui renforce l’influence américaine en Europe et alimente un complexe militaro-industriel outre-Atlantique. Pourquoi critiquer la Hongrie pour une relation historique avec la Russie, tout en fermant les yeux sur l’alignement polonais sur Washington ?

Cette incohérence révèle le deux poids, deux mesures d’une UE qui privilégie l’idéologie atlantiste au détriment des intérêts nationaux.

 

 

Vers une Europe de paix ou de guerre ?

Cet épisode souligne les divisions croissantes au sein de l’UE, amplifiées par des sommets comme celui de Copenhague, où les avancées russes en Ukraine exacerbent les tensions entre une Hongrie « pro-paix » et une Pologne « pro-Ukraine ». Orbán avertit que le soutien inconditionnel à Kiev pourrait coûter des millions de vies européennes et mener à un collapse économique. Face à ce bellicisme, la position hongroise apparaît comme un rempart de bon sens : prioriser la négociation pour sauver des vies et préserver la stabilité continentale.

En fin de compte, l’échange entre Orbán et Tusk n’est pas qu’une joute verbale ; c’est un appel à réveiller l’Europe d’un sommeil guerrier imposé par Bruxelles et ses alliés. La paix n’est pas une faiblesse, mais la seule voie viable pour un continent déjà fragilisé.

Enfin, n’oublions pas que l’on a rarement vu un chef d’État mourir sur le champ de bataille malgré son bellicisme…

https://x.com/PM_ViktorOrban/status/1973716698336203101 

https://x.com/donaldtusk/status/1973697060512956874

 https://multipol360.com/joutes-verbales-entre-viktor-orban-hongrie-et-donald-tusk-pologne/

 


 

D - «1200 milliards d’euros d’investissements en dix ans» : comment Bruxelles veut mobiliser l’épargne des Européens

Après avoir annoncé à maintes reprises l’union des capitaux, la commission européenne veut passer à l’action pour drainer l’épargne soi-disant dormante des citoyens de l’Union.

Et si l’Union européenne disposait d’un trésor caché ? Selon la commission européenne, environ 70% de l’épargne des ménages des États membres - soit quelque «10.000 milliards d’euros» - seraient immobilisés sur des livrets d’épargne «sûrs et faciles d’accès» mais généralement peu rémunérateurs. Des économies qui pourraient être employées autrement, y compris pour financer l’économie et participer à l’essor du continent, selon Bruxelles, qui a annoncé cette semaine vouloir «aider les citoyens à prendre des décisions financières judicieuses» afin d’améliorer leur «bien-être, leur sécurité financière et leur indépendance».

De fait, de nombreux citoyens européens placent leurs réserves sur un compte bancaire ou dans des fonds en euros dont les taux de rémunération dépassent tout juste l’inflation. Résultat

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/1200-milliards-d-euros-d-investissements-en-dix-ans-comment-bruxelles-veut-mobiliser-l-epargne-des-europeens-20251003

 

 

septembre 19, 2025

Le programme Jean Monnet de l’UE ( Toute une histoire parfois oublié, entre ses États Unis de l'Europe et sa divergence avec De Gaulle ) & l’affaire Evghenia Gutul

 

Le programme Jean Monnet de l’UE : excellence académique ou outil de propagande ?

Un rapport publié cette semaine par le centre de réflexion MCC Brussels accuse le programme Jean Monnet de l’Union européenne (UE) d’être une « machine de propagande » financée par les contribuables, transformant les universités en vecteurs d’influence pro-UE. Intitulé Professors of Propaganda: How the EU’s Jean Monnet Programme Corrodes Academia, ce document rédigé par le journaliste Thomas Fazi soulève un débat vif sur la frontière entre soutien à la recherche et ingérence idéologique. Alors que l’UE vante le programme Jean Monnet comme un pilier de l’éducation européenne, ses détracteurs y voient une menace pour la liberté académique. Retour sur cette polémique, alimentée par des financements massifs et des critiques récurrentes.


Qu’est-ce que le programme Jean Monnet ?

Lancé en 1989 et intégré depuis 2014 au programme Erasmus+, ce programme vise à promouvoir l’enseignement, la recherche et le débat sur l’intégration européenne dans les établissements d’enseignement supérieur du monde entier. Selon le site officiel d’Erasmus+, il soutient des chaires, modules et centres d’excellence dédiés aux études sur l’UE, ses institutions, sa politique et son histoire, avec un budget annuel estimé à 25 millions d’euros.

L’objectif déclaré est de « stimuler l’enseignement et la recherche sur l’intégration européenne » et de « sensibiliser les étudiants et la société aux enjeux de l’UE ».

Parmi ses réalisations, le programme a financé plus de 2.500 projets dans plus de 100 pays, formant des milliers d’académiciens et étudiants. Des initiatives comme les chaires Jean Monnet – attribuées à des professeurs pour développer des cours sur l’UE – ou les réseaux d’excellence sont présentées comme des outils pour « favoriser l’excellence dans les études européennes ». Par exemple, l’Université d’Oradea en Roumanie ou l’Université d’État de Sumy en Ukraine mettent en avant son rôle dans l’élévation du niveau de connaissance sur l’UE. L’UE insiste sur le fait que ces actions ne sont pas limitées aux États membres, mais visent une diplomatie publique globale, en transformant les professeurs en « ambassadeurs » de l’intégration européenne.

Les accusations de propagande : un rapport qui fait des vagues

Le rapport de Thomas Fazi, publié le 17 septembre 2025 par MCC Brussels – un think tank proche du gouvernement hongrois de Viktor Orbán –, dépeint le programme Jean Monnet comme un « réseau mondial de propagande financé par les contribuables ».

L’auteur argue que ce programme, loin d’être neutre, injecte des narratifs pro-UE dans les salles de classe, en alignant la recherche sur les priorités de Bruxelles et en marginalisant les voix dissidentes, comme l’euro-scepticisme ou les critiques de l’intégration.

« Ce n’est pas une initiative académique neutre, mais un instrument puissant pour ancrer la propagande pro-UE », écrit Thomas Fazi, soulignant que les fonds publics – environ 25 millions d’euros par an – transforment les universités en « véhicules de propagande institutionnelle ».

Thomas Fazi dénonce un « complexe UE-ONG-médias-académie » où le programme récompense la conformité idéologique : les projets financés doivent promouvoir une « identité européenne » et combattre la « désinformation » anti-UE, au détriment de l’enquête critique. Il cite des exemples de chaires qui intègrent des thèmes comme la lutte contre le populisme ou la promotion de l’unité européenne, arguant que cela érode la liberté académique en décourageant les recherches non alignées. Le rapport s’appuie sur des analyses antérieures, comme celles de l’auteur sur la « hijacking » de l’Europe par une élite, et appelle implicitement à une révision du financement public pour préserver l’intégrité scientifique.

Sur les réseaux sociaux, le rapport a rapidement fait le buzz, avec de nombreux partages et  commentaires qui le relie à des critiques plus larges sur l’autonomie des universités. Certains ironisent sur le fait que « personne n’est surpris » par ces allégations.

Réponses et contre-critiques

Le rapport n’a pas tardé à susciter des réactions vives. Alberto Alemanno, professeur « Jean Monnet » en droit européen à HEC Paris, l’a qualifié de « pseudo-rapport » issu de la « machine de propagande de Viktor Orbán », accusant MCC Brussels de discréditer systématiquement les initiatives pro-UE. « Ne manquez pas cela : la machine de propagande d’Orbán a publié un rapport pseudo-scientifique qualifiant tous les professeurs Jean Monnet de ‘propagandistes' », a-t-il tweeté le 18 septembre. (Voici tout de même son pédigee : Alberto a été nommé Young Global Leader par le Forum économique mondial de Davos en 2015, Ashoka Fellow en 2019 et Social Innovation Thought Leader par la Fondation Schwab pour l’entrepreneuriat social en 2022 – Source).

Cette critique n’est pas isolée. Un article des Times Higher Education de 2004 rapportait des appels à « fermer les outlets de propagande euro » financés par les universités et les contribuables. Des études académiques, comme celle de Federica Bicchi sur le rôle du Jean Monnet en diplomatie publique, admettent que le programme utilise les professeurs comme « proxies » pour promouvoir l’UE, mais le présentent comme un outil légitime de soft power plutôt que de la propagande.

D’un autre côté, un rapport du Parlement européen de 2023 sur la liberté académique dans l’UE ne mentionne pas explicitement le Jean Monnet comme une menace, mais souligne des pressions plus larges sur l’autonomie universitaire, y compris via des financements européens. Des défenseurs du programme, comme le site de la Cultural Relations Platform, insistent sur son impact positif : promotion de l’excellence et sensibilisation sociétale sans contrainte idéologique (SIC).

Un débat plus large sur le financement et la neutralité

Cette polémique s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes autour du financement public de la recherche. Alors que l’UE alloue des milliards via Horizon Europe et Erasmus+ pour des priorités stratégiques – comme la transition verte ou la souveraineté numérique –, des voix critiques y voient une forme de conditionnalité idéologique. Le programme Jean Monnet, avec son focus flagrant sur l’intégration européenne, cristallise ces débats : est-il un vecteur d’éducation ou un moyen de « combattre l’euro-scepticisme » au prix de la pluralité ?

De son côté, l’UE maintient que le programme est évalué sur des critères d’excellence et non d’alignement politique.

En conclusion, comme le met en lumière le rapport de Fazi, le programme Jean Monnet opère comme un réseau de propagande financé par les contribuables, érodant la liberté académique en favorisant une conformité idéologique pro-UE au détriment des perspectives critiques et pluralistes.

Cette instrumentalisation des universités appelle à une révision urgente des financements privés et publics pour restaurer l’intégrité et la neutralité de la recherche académique.

https://multipol360.com/le-programme-jean-monnet-de-lue-excellence-academique-ou-outil-de-propagande/ 

Histoire: Qui est Jean Monnet ? 

Jean Monnet est né le 9 novembre 1888 à Cognac en Charente dans une famille de négociants en cognac. Son père Jean-Gabriel, fils de viticulteurs, s’était hissé au rang convoité de négociant et avait pris la tête en 1897 d’une coopérative de petits producteurs qu’il avait progressivement rachetée pour former une société familiale, JG Monnet Cie.

La Charente est ouverte sur l’extérieur depuis le 12éme siècle, exportant très tôt du sel puis du vin vers les îles Britanniques. Depuis le 19ème siècle, ses eaux-de vie sont appréciées à travers le monde et il est significatif que les principaux producteurs de l’époque, Hennessy et Martell, sont tous deux d’origine Britannique. La région de Cognac avait donc très tôt pris conscience de la taille du monde. On y était naturellement plus intéressé aux affaires internationales, dont dépendait le commerce, qu’à ce qui pouvait se passer en France.

C’est dans ce cadre que grandit le jeune Jean Monnet. Il voit défiler à la table familiale clients et associés de tous horizons, parlant toutes les langues et rapportant des nouvelles du monde. L’adolescent est fasciné par leurs récits d’autant que, bien que bon élève, il goûte peu l’apprentissage théorique des choses.

1905 – Découverte du Nouveau Monde

En 1905, à tout juste seize ans, Jean Monnet part pour « la City » de Londres où il se forme à l’anglais et aux affaires auprès de l’agent local de son père. A dix-huit ans, le jeune homme se sent prêt à affronter l’Amérique et s’embarque pour la première de ces grandes traversées transatlantiques qu’il affectionnera toute sa vie. Son père lui conseille : «N’emporte pas de livres. Personne ne peut réfléchir pour toi. Regarde par la fenêtre. Parle aux gens ».

L’Amérique est une révélation pour le jeune Jean : les espaces infinis, la simplicité des contacts, l’esprit d’entreprise le fascinent. Il y tisse tôt des liens d’amitié et de confiance et s’y découvre de grands talents de négociateur. A 22 ans, le jeune Monnet signe pour les cognacs familiaux un important contrat de distribution exclusive sur l’ouest du Canada avec la puissante Hudson Bay Company. Il établit à cette occasion des liens personnels forts avec les dirigeants de cette société qui dispose notamment de ressources financières conséquentes et d’une importante flotte de navires marchands.

1914 – Les comités interalliés

C’est en juillet 1914 en gare de Poitiers, de retour du Canada, que Jean Monnet apprend la mobilisation générale. Réformé en 1908 pour des problèmes pulmonaires, il n’est pas mobilisable, mais il entend contribuer comme il le peut à l’effort de guerre. Fort de son expérience d’affréteur et de sa connaissance de l’Angleterre, le jeune négociant constate l’utilisation désordonnée et non concertée des flottes marchandes françaises et anglaises, catastrophique gâchis en ces temps de guerre. Il est convaincu d’être capable de proposer des solutions et de mettre à profit ses relations avec la Hudson Bay Company. Son père, auquel il confie son constat et son intention de rencontrer le Président du Conseil René Viviani pour lui exposer ses vues, tente de le raisonner : « Même si tu avais tout à fait raison, ce n’est pas à ton âge, ni à Cognac, que tu changeras ce que nos grands chefs décident à Paris ».

La suite lui donna tort car après avoir obtenu une audience en pleine bataille de la Marne auprès de René Viviani replié à Bordeaux, le jeune Monnet se retrouve propulsé à Londres pour mettre ses idées en œuvre et la Hudson Bay Company signe un important contrat d’assistance maritime et financière avec le gouvernement français. Jean Monnet se consacre alors à la mise en place, à partir de Londres, de comités d’approvisionnement franco-anglais, action dont Jean-Baptiste Duroselle n’hésite pas à écrire dans La grande guerre des français : « En un sens, on peut dire que la flamboyante victoire de Foch a été facilitée et même rendue possible par l’action obscure de Jean Monnet».

A la fin de la guerre, Jean Monnet tente, en vain, de préserver l’organisation économique de guerre pour organiser la transition entre la guerre et la paix.  Il regrette de voir les comités alliés démantelés car il est convaincu que les structures de coordination franco-britanniques si utiles en temps de guerre peuvent également l’être à l’heure de la reconstruction.  Ayant acquis en quelques années une solide réputation d’organisateur et une grande influence, Monnet se voit confier des nouvelles fonctions dans le cadre du problème de ravitaillement de l’Allemagne vaincue et de l’administration de la Rhénanie occupée.   

1919 – La Société des Nations

Dés 1919, Jean Monnet contribue à la création de la Société Des Nations, voulue par le Président américain Woodrow Wilson, première organisation internationale consacrée au maintien de la Paix. A sa création en 1920, le jeune homme âgé alors de trente et un an, est nommé Secrétaire Général Adjoint de l’organisation. Il en est le numéro deux en charge de son fonctionnement opérationnel, sa véritable cheville ouvrière. Monnet s’attache en particulier à régler le conflit entre l’Allemagne et la Pologne portant sur la délimitation des bassins charbonniers de la Silésie et de la Sarre et travaille au sauvetage économique de l’Autriche.

Cependant, le Secrétaire Général Adjoint est déçu du fonctionnement de l’organisation qu’il anime. Il regrette que les gouvernements et leurs représentants recherchent plus la défense de leurs intérêts propres que la résolution des problèmes communs auxquels ils sont confrontés. Le droit de véto est pour lui le symbole et la cause de l’impuissance à dépasser les égoïsmes nationaux.

 


 

1926 – Banquier aux Etats-Unis

C’est sans amertume que Jean Monnet démissionne de la SDN en décembre 1922 pour rejoindre Cognac et aider son père à remonter l’affaire familiale mise à mal par la prohibition américaine. Sa jeune soeur Marie-Louise l’ayant convaincu que son retour était indispensable, l’ancien dirigeant de la SDN trouve effectivement à Cognac une situation difficile. Son père Jean-Gabriel rechigne à se défaire de ses vieux cognacs qui n’ont plus la faveur d’un public à la recherche d’eaux de vie plus jeunes et moins chères. En quelques mois, aidé par la reprise des cours, Monnet remet l’entreprise familiale sur pied en sacrifiant notamment le vieux stock de cognac de son père au profit d’eaux de vie plus jeunes.

Très vite, les affaires de Cognac ne lui suffisent plus, et lorsqu’il est approché en 1926, par une banque d’investissement américaine, Blair & Co, pour monter un bureau à Paris, Monnet n’hésite pas longtemps. Les banques américaines, en pleine expansion, souhaitaient alors profiter de la période de reconstruction en Europe pour financer des grands emprunts industriels et nationaux. Jean Monnet a le profil parfait. Il a participé à des programmes de sauvetage d’économies et de monnaies nationales dans le cadre de la SDN, en Autriche notamment, comprend le fonctionnement des administrations, et il bénéficie d’un réseau et d’une réputation solides. C’est donc dans le cadre de la banque Blair & Co que le jeune banquier (il n’a pas encore quarante ans) est amené à jouer un rôle déterminant dans le sauvetage du Zloty de Pologne et du Leu de Roumanie.

En 1929, avant le crash d’Octobre, Jean Monnet part aux Etats-Unis pour prendre la vice-présidence d’une banque américaine résultant de la fusion de sa banque et d’une grande banque locale, la Transamerica. En quelques mois, il gagne puis perd beaucoup d’argent. On lui attribue ce mot à propos de cette période : « j’ai gagné beaucoup d’argent sans plaisir et je l’ai perdu sans regret ». Il retient de la crise de 1929, dont les risques étaient visibles de longue date, que « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise ».  Jean Monnet continue ses activités de banquier aux Etats-Unis jusqu’en 1934, fonde un cabinet d’affaire, Murnane & Co, puis part pour Shanghai. 

Il se rend en Chine à la demande de TV Soong, Ministre des Finances, pour mettre sur pied un plan de reconstruction capable d’attirer des capitaux chinois et étrangers.  Mais lorsqu’il part pour Shanghai, sa vie a radicalement changé. Il s’apprête à épouser Silvia de Bondini, une jeune italienne de dix neuf ans sa cadette, rencontrée à Paris en 1929. 

 


1929 – Mariage à Moscou

En août 1929, à quelques mois de la grande crise, Jean Monnet avait fait la rencontre qui allait changer sa vie. Lors d’un diner chez lui à Paris auquel participe René Pleven, il avait rencontré Silvia, la jeune femme d’un homme d’affaire italien. L’affaire est compliquée car Silvia est mariée sous la loi italienne et son mari lui refuse le divorce. La solution proposée par son ami Ludwig Rajchman, ancien directeur de la section d’hygiène de la SDN,  est audacieuse : il s’agit pour la jeune Silvia de se rendre à Moscou, prendre la nationalité soviétique, profiter d’une disposition de la loi russe pour divorcer unilatéralement, et épouser Jean Monnet. C’est ainsi que l’affaire se déroule. Monnet arrive à Moscou de Shanghai par le transsibérien en avril 1934 pour épouser Silvia. Jean Monnet qualifiera dans ses Mémoires cet épisode de “plus belle affaire de sa vie”.  En effet, l’union de Jean et Silvia Monnet dura 45 ans, jusqu’à sa mort en 1979 et fût une source essentielle de bonheur, de stabilité et de sérénité.  Ensemble, il eurent deux filles : Anna née en 1931 et Marianne née à Washington DC en 1941.

 


 

1934 – Conseiller de Tchang Kai-Chek

La mission de Jean Monnet en Chine aurait pu se dérouler sous l’égide de la Société des Nations mais le Japon s’y oppose et Jean Monnet part pour Shanghai à titre privé sous la raison sociale Monnet-Murnane & Co., société créée pour l’occasion avec George Murnane, un ami américain. Dans ce cadre privé, Monnet continue néanmoins à collaborer étroitement avec des anciens de la SDN comme ses amis Arthur Salter et Ludwig Rajchman. En Chine, la question fondamentale est la même que celle à laquelle Monnet a été confronté dans d’autres entreprises financières de redressement ou de reconstruction : comment créer localement les conditions d’émission d’emprunts internationaux à même d’attirer les capitaux étrangers nécessaires à la reconstruction de l’industrie et des infrastructures chinoises. Pour cela il facilite la création de la China Finance Development Corporation (CFDC) à laquelle il rallie les plus grandes banques chinoises.  L’objectif est de drainer des capitaux étrangers sous forme de crédits et de les allouer aux secteurs privé et public chinois. C’est un succès, la  CFDC se développe et obtient de nombreux soutiens, notamment pour le financement des chemins de fer.  Sa progression n’est stoppée que par la guerre en 1939.

L’expérience est riche pour Jean Monnet, la Chine est un nouvel horizon. Il y côtoie les personnalités les plus influentes du pays : T.V.Soong, Ministre des Finances, ses trois sœurs dont deux sont mariées à Sun Yat Sen (fondateur du parti nationaliste chinois) et à Tchang Kai-chek.  Tchang Kai-chek lui-même exerce alors son pouvoir sur la Chine et rien ne se fait sans son soutien. Jean Monnet établit peu à peu une relation de confiance avec le dirigeant chinois qui lui confie un jour « qu’il ferait un bon général s’il n’était pas si faible avec ses amis » et – ultime compliment – qu’il y a « quelque chose de chinois en lui ».  Monnet développa au cours de ce séjour à Shanghai une grande admiration pour la Chine et pour les Chinois dont il écrira dans ses Mémoires qu’il lui parurent «beaucoup plus intelligents et subtils que les Occidentaux ».  Il admettra cependant aussi ne jamais les avoir vraiment compris. 

1938 – Des avions pour la France

A son retour de Chine en 1936, Jean Monnet s’installe en famille aux Etats-Unis. Depuis 1933, il connait bien l’administration Roosevelt au sein de laquelle il compte de nombreux amis. Monnet est convaincu depuis plusieurs années de la menace que pose Hitler et dès 1938 il s’inquiète comme d’autres de l’infériorité manifeste de l’aviation française. Il est clair que seule une aide américaine conséquente permettra à la France de combler ce retard. Le profil de Monnet le destine naturellement à jouer un rôle d’intermédiaire entre le gouvernement français et l’administration Roosevelt. Sur les conseils de l’Ambassadeur William Bullitt, il est chargé par Edouard Daladier, Président du Conseil, de négocier l’achat d’avions américains. Jean Monnet rencontre à cette occasion le Président Franklin Delano Roosevelt pour la première fois. Il lui est présenté par Bullitt, comme « l’homme qualifié pour traiter cette question d’avion, ami intime de longue date en qui j’ai confiance comme en un frère». Monnet doit convaincre les américains de contourner le Neutrality Act qui les contraint et trouver en France les moyens de financer ces achats. Roosevelt obtient la levée de l’Act et une solution audacieuse est identifiée pour le financement des avions : réquisitionner l’or non-déclaré détenu par les français aux Etats-Unis.

Jean Monnet parviendra à commander plus de 400 avions après les accords de Munich, qui ouvriront la voie à d’autres commandes, mais jusqu’à la déclaration de guerre la France ne parviendra hélas pas à se procurer des avions en quantité suffisante. Il reste que Jean Monnet est maintenant rentré de plein pied dans la guerre et dans l’action publique qu’il ne quittera plus. Dans la continuité du rôle qu’il a joué pendant la première guerre, Monnet préside, à partir de décembre 1939, le comité franco-anglais d’approvisionnement. Hélas, le temps manque et lorsque Hitler lance son offensive le 10 mai 1940, la France manque encore d’avions.

 


 

1940 – L’Union totale franco-britannique

En Juin 1940, Jean Monnet refuse la défaite. Lui qui a depuis la première guerre mondiale le réflexe de l’action collective reprend à son compte une proposition aussi audacieuse que désespérée. Par une note intitulée « Anglo French Unity », il convainc Churchill, son cabinet, et de Gaulle, acculés par la debâcle, de l’intérêt d’une fusion immédiate et totale de la France et du Royaume-Uni. Un seul Parlement et une seule armée pour faire face ensemble à l’Allemagne.  Le dimanche 16 juin, le général de Gaulle en mission à Londres dicte lui-même au téléphone le texte de la note à Paul Reynaud, Président du Conseil. Mais le projet est enterré rapidement car le même jour, Paul Reynaud est remplacé par Philippe Pétain, et celui-ci propose l’armistice à Hitler.

Dans ses Mémoires, Jean Monnet note à propos de cet épisode : « Si c’est sans romantisme que j’envisageais la fusion de deux pays et la citoyenneté commune de leurs habitants (…) ces jours de 1940 agirent fortement sur ma conception de l’action internationale ». Il avait fait à nouveau l’expérience, de façon plus cruelle encore qu’à la SDN, des limites de la seule coordination quand l’union totale est nécessaire. Sur le plan de la méthode, Monnet avait une nouvelle fois démontré sa capacité à se saisir d’une idée radicale – fût elle déjà formulée par d’autres – à la formaliser et à s’atteler à convaincre au moment précis où il sait que les esprits seront prêts à l’accepter.

Le lendemain, le 17 juin au soir, Jean Monnet reçoit à son domicile londonien le général de Gaulle, qui prépare son appel du 18 juin. Les deux hommes refusent tous deux la défaite mais ils ont  une appréciation différente de la situation et tout les oppose sur le plan de la personnalité. Le général de Gaulle voit son propre destin dans celui de la France alors que Jean Monnet cherche une solution globale au conflit, dont il sait qu’elle inclura les alliés.

L’armistice de juin 1940 a rendu caduque le Comité franco-anglais d’approvisionnement que dirige Jean Monnet.  Il offre alors ses services à Winston Churchill. Le Premier Ministre Britannique lui demande de repartir pour Washington pour y reprendre sa tâche d’approvisionnent, cette fois au nom de son gouvernement qui continue le combat contre l’Allemagne nazie.

1941 – Le Victory Program

En Août 1940, Jean Monnet arrive à Washington. Il y retrouve une Amérique isolationniste qui ne dispose à l’évidence pas de l’appareil industriel nécessaire à la production d’armes en quantités suffisantes pour assurer la victoire des Alliés. La production d’avions notamment n’est pas au niveau compte tenu de la supériorité de la Luftwaffe.  Se pose également à nouveau la question du financement des approvisionnements.

 


 

Jean Monnet, son équipe et ses amis de l’administration Roosevelt s’attachent à évaluer précisément les besoins de matériel et à les comparer aux capacités de production américaines pour faire apparaitre clairement le déficit à combler. Ils utilisent pour cela un outil que Monnet mettra en œuvre à de nombreuses reprises dans sa carrière : la fameuse « Balance Sheet ». La conclusion est sans appel : les programmes de production américains sont insuffisants, et il faut au moins les doubler.  Jean Monnet, loin d’être lui-même un technicien, se fait l’apôtre de la production à outrance et répète sans cesse qu’il vaut mieux avoir dix mille chars de trop qu’un de manquant.  Il convainc ainsi l’administration américaine de doubler leur programme de production, ce qui fera des Etats-Unis, selon le mot du Président Rooselvelt, « l’arsenal des démocraties ».   Monnet joue également un rôle essentiel dans la mise en place du « Combined Production and Ressources Board », un système d’optimisation des allocations de matériel entre Américains et Britanniques sur les mêmes principes que ceux qui avaient été mis en place dans les conseils Franco-Britanniques de 1916 et  1939. 

Le rôle de Jean Monnet dans le succès du Victory Program a été décisif.  L’économiste anglais John M. Keynes dira de Monnet qu’il avait par son action à Washington en 1941 probablement raccourci la guerre d’un an. Felix Frankfurter, alors juge à la cour suprême qualifiera Monnet de «  force créative et dynamisante dans le développement de notre programme de défense » et un autre haut fonctionnaire américain en poste en 1941 jugera que « Jean Monnet fut un maître à penser pour notre département de la défense ».


 

1943 – Le Comité Français de la Libération Nationale d’Alger

Le débarquement des alliés en Afrique du Nord en Novembre 1942, marque le début de la phase de libération. Jean Monnet est convaincu que l’aide américaine sera essentielle à la reconstruction de la France et de l’Europe et qu’il faut rassurer les Etats-Unis sur le caractère légitime et démocratique de l’entité qui sera amenée à assumer le pouvoir en France au moment de la libération. A cet égard, ni l’Amiral Darlan récemment rallié à Alger, ni le Général de Gaulle toujours basé à Londres, ne font l’affaire aux yeux de Jean Monnet et du Président Roosevelt.

Le Général Giraud semble initialement un bon compromis ; il commande les forces françaises d’Afrique du Nord et a les faveurs de l’administration américaine.  Par contraste, celle-ci se méfie du Général de Gaulle dont elle craint les tendances autoritaires.  Après l’assassinat de Darlan, le Général Giraud prend la tête du « commandement en chef civil et militaire ». C’est à ce moment que Jean Monnet arrive à Alger, mandaté par le Président Roosevelt avec l’accord de Churchill, afin de s’assurer que sont réunies les conditions du soutien américain au nouveau commandement français. En particulier, la question des références continues au gouvernement de Pétain et du maintien de certaines lois antisémites, inacceptable pour Jean Monnet, sont des questions à régler en priorité. Monnet a l’avantage aux yeux des Américains et les Britanniques d’être un civil neutre n’aspirant à aucun pouvoir pour lui-même et, selon l’expression de Roosevelt « un homme représentant le mieux en Amérique du Nord la France et l’esprit français».

D’abord bien disposé vis-à-vis du général Giraud, Monnet le juge assez rapidement avec sévérité : il se révèle être un piètre politique et ses idées sont jugées réactionnaires.  Lorsque de Gaulle se rend finalement à Alger, le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN) est établi, co-présidé par les deux généraux.  Jean Monnet en devient membre, en charge du ravitaillement et du réarmement. Là, il se rend progressivement à l’évidence : en dépit de ses réserves sur le personnage, seul le général de Gaulle est à la hauteur de la tâche qui demande stature et sens politique. Dés lors, Jean Monnet s’attèle à faciliter le processus de stabilisation du Comité au  profit de de Gaulle dont il continue néanmoins de regretter la conception éminemment personnalisée du pouvoir. De cet épisode d’Alger, Monnet écrira dans ses Mémoires «J’ai fait cent fois dans ma vie l’expérience que les questions de personnes étaient des obstacles majeurs à l’organisation commune et au progrès de l’action ».

 


 

Dés cette époque, les divergences de vue sur l’Europe deviennent claires entre Jean Monnet et le général de Gaulle. En 1944, Jean Monnet repart à Washington pour y obtenir l’aide prêt-bail, l’aide dont la France aura besoin pour sa reconstruction et solliciter la reconnaissance du gouvernement provisoire du général de Gaulle par l’administration Roosevelt. Il s’agit également d’exprimer clairement aux Américains – au nom du gouvernement provisoire – le refus des Français de les voir exercer une quelconque tutelle sur la France à la libération. Monnet s’oppose en particulier aux plans américains d’imprimer les billets qui seront mis en circulation en France à la libération. Se joignent à Monnet à Washington des Français sur lesquels il s’appuiera largement plus tard, comme René Mayer, Hervé Alphand, et Robert Marjolin. Ensemble, ils oeuvrent, non sans difficulté, à la reconnaissance par les Etats-Unis du gouvernement provisoire et négocient puis supervisent des accords d’approvisionnement d’une valeur fabuleuse pour l’époque de 2.5 milliards de dollars.  Le 8 mai 1945, l’Allemagne est vaincue et le temps de la reconstruction commence. Le gouvernement provisoire, dirigé par de Gaulle, prend les rênes du pays.

C’est à Alger que Jean Monnet formule pour la première fois ses convictions – largement muries à Washington en 1942 au sein de la communauté européenne qui s’y trouvait – sur la façon dont les nations européennes doivent se reconstruire pour assurer leur prospérité future et éviter que ne se reproduisent les drames du passé : « Il n’y aura pas de paix en Europe si les Etats se reconstruisent sur une base de souveraineté nationale » écrit-il dans une note fondatrice datée du 5 août 1943. Dans cette note, il exprime également sa conviction que « les pays d’Europe sont trop étroits pour assurer à leurs peuples la prospérité (…) et qu’il leur faut des marchés plus larges (…) ». Et de conclure : « De la solution du problème européen dépend la vie de la France ».

 


 

1945 – Reconstruire et moderniser la France

Après la guerre, le temps est à la construction. Jean Monnet recommande au général de Gaulle de mettre en place un plan ambitieux de reconstruction et de modernisation de l’économie française. : «vous parlez de grandeur, lui dit-il, mais aujourd’hui la France est toute petite». Malgré leurs différences passées, le général de Gaulle a confiance dans les talents d’organisation de Monnet et il le nomme Commissaire Général du Plan. Jean Monnet s’installe dans sa maison d’Houjarray dans les Yvelines où il vivra jusqu’à a mort en 1979.

La vision que Monnet et sa petite équipe élaborent, consiste à se fonder sur des analyses chiffrées inattaquables, identifier les quelques secteurs clé sur lesquels se concentrer, et organiser le travail en commun des partenaires sociaux et des techniciens du plan. C’est la naissance de ce que l’on appellera « la planification souple à la française ». La rigueur de la méthode et la clarté des plans contribueront à l’attribution des aides Marshall à la France d’après-guerre.

janvier 1947, après une longue série de consultations, souvent confidentielles avec près d’un millier d’acteurs de l’économie (patrons, syndicalistes et fonctionnaires), un plan est présenté au gouvernement de Léon Blum. La force de ce plan, c’est d’être l’affaire de tous et d’être soutenu par tous les syndicats ouvriers (CGT, CFTC), les syndicats agricoles et le CNPF.  Le succès du modèle repose en grande partie sur l’adhésion de tous les acteurs économiques du pays unis derrière un but unique : reconstruire la France et relancer son outil de production. Jean Monnet fait à nouveau, dans un contexte très différent, l’expérience de la force de l’action collective concertée et de la façon dont les hommes peuvent oublier leurs différences, lorsqu’ils s’attèlent ensemble à un but commun.

Le plan Monnet a largement contribué à la reconstruction et à la modernisation de la France, à la reprise de la croissance et la réduction du chômage pendant la période d’après-guerre. D’après France Stratégie, l’héritier du Commissariat au Plan, « les objectifs du premier Plan, ou Plan Monnet ont été largement atteints et la priorité accordée aux secteurs de base s’est révélée efficace. (…) Le Plan a insufflé un nouvel état d’esprit parmi les chefs d’entreprise, sans porter atteinte à l’initiative privée »[1].

1950 – La CECA – L’Europe en marche

Pendant ces années d’après-guerre, Jean Monnet se rend souvent aux Etats-Unis pour faire valoir le plan français de modernisation et solliciter des aides car la situation économique française reste extrêmement précaire. Il réalise et s’inquiète de la dépendance extrême dans laquelle la France et l’Europe se trouvent vis-à-vis des Etats-Unis. L’administration Truman de son côté s’inquiète de voir les pays européens affaiblis à la merci du communisme soviétique et commence à considérer la renaissance de l’Allemagne de l’Ouest comme un gage de stabilité future.

Monnet exprime à nouveau en 1948 sa conviction que pour faire face aux périls et défis auxquels les pays européens sont confrontés, et qui peuvent faire craindre l’imminence d’un nouveau conflit, les mécanismes de coordination intergouvernementale du passé sont insuffisants. La renaissance d’une Allemagne forte et potentiellement à nouveau dominante l’inquiète, de même que le déséquilibre des forces avec les Etats-Unis et l’émergence de nouveaux blocs face auxquels une Europe désunie pèsera peu.  Monnet est convaincu que le moment est venu pour les pays d’Europe de prendre leur destin en  main, de s’unir et de créer ensemble les conditions d’une paix durable et prospère. Il est temps, par une action décisive, d’enclencher ce processus d’unification. Monnet se rapproche d’abord naturellement de la très familière Grande Bretagne à laquelle il propose en 1949 une gestion commune, supranationale, des aides Marshall. Devant le refus des Britanniques, très arrimés aux Etats-Unis, fiers de leur Empire et jaloux de leur souveraineté, Monnet se tourne vers l’Allemagne. Il a conscience de la nécessité de trouver une solution à la question de la renaissance rapide de l’Allemagne qui engendre des tensions grandissantes en Europe. Les Américains eux-mêmes, qui financent largement la reconstruction européenne et rappellent volontiers qu’ils sont déjà intervenus par deux fois pour régler des conflits mondiaux d’origine franco-allemande, sont soucieux de trouver un moyen d’opérer un rapprochement entre les deux nations.

Avec ce sens du moment qui lui est inné, Jean Monnet saisit cette opportunité pour proposer à Robert Schuman la mise en commun des ressources de charbon et d’acier des deux ennemis d’hier, sous l’autorité d’une entité indépendante. Cette proposition, qui donnera naissance à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) est rédigée par Jean Monnet avec ses collaborateurs à l’occasion d’une longue séance de travail dans sa maison d’Houjarray dans les Yvelines.  Evoquant les obstacles se dressant sur la voie de l’union, cette note historique à Robert Schuman, datée du 28 avril 1950, explique : «La voie pour les surmonter est de porter immédiatement l’action sur un point limité mais décisif : la mise en commun de production de charbon et d’acier assurerait immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la fédération européenne (…) ».  Le Ministre des Affaires Etrangères voit tout de suite la portée historique de cette proposition et accepte de la porter politiquement et auprès de l’opinion publique. Du côté allemand, l’offre est inespérée : elle équivaut à une réintroduction instantanée de l’ennemi d’hier dans le camp des nations « fréquentables », fut-ce au prix de concessions importantes.  En effet, le plan donne accès à la France et aux autres signataires futurs du traité à d’importantes ressources allemandes. Le chancelier Adenauer perçoit néanmoins lui aussi la portée historique de la proposition et l’accepte immédiatement.
 
 

 

Le 9 mai 1950, Robert Schuman fait une déclaration solennelle annonçant le projet de CECA et invitant tous les pays intéressés à poser avec la France et l’Allemagne « les premières bases concrètes d’une fédération européenne ». L’Italie et les pays de Benelux se joignent à eux pour créer la première communauté européenne. Le traité de Paris de 1951 entérine la création de la Haute Autorité, l’Assemblée des Six, une Cour de Justice qui veille au respect du Traité, et un Conseil des Ministres qui assure l’harmonisation des politiques des États membres. Les bases institutionnelles de la première communauté européenne sont jetées, et la méthode communautaire aussi appelée méthode Monnet ou Monnet-Schuman, est née.

 


 

Jean Monnet devient en août 1952 le premier président de la Haute Autorité de la CECA installée à Luxembourg. Dès 1953, le charbon et l’acier circulent librement en Europe pour le plus grand avantage des consommateurs et des producteurs. A tous Monnet répète inlassablement le fond de sa méthode : « nous sommes là pour accomplir une œuvre commune, (…) non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans l’avantage commun». Jean Monnet conçoit la CECA comme le début de l’unification européenne qu’il appelait de ses vœux dans la note d’Alger du 5 août 1943. Il ne s’y trompe pas, comme l’indique une note personnelle manuscrite daté du 5 août 1953 dans laquelle il écrit « Ma vie commence seulement maintenant, tout à présent n’a été qu’essais, tentatives, éducation ».

 


 

1954 – L’échec de la CED

Jean Monnet et son équipe prévoyaient que le principe de fonctionnement de la CECA s’étendrait en temps voulu à d’autres secteurs, créant des solidarités de fait menant progressivement à une fédération européenne. La question de l’armée est bien sûr dans leur esprit, mais ils n’anticipaient pas que cette question si sensible se poserait aussi tôt. L’invasion de la Corée du Sud du 25 juin 1950 vient accélérer les choses. Elle attise encore la crainte d’une invasion soviétique et pose de façon plus pressante la question de la participation de l’Allemagne de l’Ouest à la défense européenne.  La France et les autres pays d’Europe ne sont pas encore prêts à accepter la renaissance d’une armée allemande et Jean Monnet propose à René Pleven, Président du Conseil, de porter le projet de la mise en place d’une armée européenne dans le cadre d’une Communauté Européenne de Défense (CED).

Le projet est délicat, d’autant qu’il progresse en parallèle de celui de la CECA dont rien ne doit venir menacer la ratification.  La CED entraine des débats et des déchirements politiques à la mesure de l’enjeu de la création d’une armée européenne si tôt après la fin de la guerre et en pleine guerre d’Indochine. Approuvée par quatre des six pays de la Communauté dont l’Allemagne, le projet est finalement rejeté par le Parlement français en 1954. Devant cet échec dont il jugea qu’il était probablement dû à ce que l’idée était prématurée, Monnet éprouve de la déception. Il mesure à nouveau la difficulté inhérente au principe consistant à « demander à la souveraineté de déléguer la souveraineté » en dehors d’une situation de crise se prêtant à des solutions extrêmes. Sans doute les esprits n’étaient-ils pas encore prêts pour une telle initiative, que l’absence de communauté politique aurait rendu en tout état de cause très difficile à mettre en œuvre.

Pour ce qui est de Jean Monnet, l’échec de la CED lui signale la nécessité de se consacrer tout entier à la construction de l’édifice européen. Il démissionne donc de son poste à la Haute Autorité en déclarant à ses collaborateurs : « Ce qui est en voie de réussir pour le charbon et l’acier des six pays de notre communauté, il faut le poursuivre jusqu’à son aboutissement : les Etats-Unis d’Europe (…). Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l’échelle des moyens techniques modernes, de l’Amérique et de la Russie d’aujourd’hui, de la Chine et de l’Inde demain ».

 


 

1955 – Le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe

Jean Monnet avait constaté au Plan puis à la CECA la puissance de l’approche consistant à s’appuyer sur les forces organisées de la nation pour élaborer puis exécuter un plan commun. C’est la même idée qui sous-tend la composition du Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe. Fort de son immense crédit, Jean Monnet convainc en quelques mois la grande majorité des partis progressistes et syndicats représentatifs des six pays membres d’adhérer au Comité et de participer à ses travaux. En France, seuls les communistes et le gaullistes ne s’y joignent pas. Ce que certains appelleront plus tard le « miracle » du Comité est pour Monnet une formule très simple : il s’agit de créer les conditions de débats constructifs entre des hommes que tout sépare dans leur vie politique nationale en leur faisant oublier leurs oppositions pour les faire travailler à l’identification de solutions communes à des problèmes communs.

Pour faire fonctionner le comité, Monnet réunit autour de lui une équipe légère de collaborateurs fidèles et efficaces, aux premiers rangs desquels François Fontaine, Max Kohnstamm, François Duchêne et Jacques van Helmont. La petite équipe s’installe dans un appartement de l’avenue Foch prêté par le frère de Silvia Monnet. Le principe de fonctionnement du comité est d’être principalement financé par ses membres, ce qui garantit son indépendance. Ses statuts lui permettent néanmoins d’accepter des dons et des legs extérieurs.  Ainsi par exemple la Fondation Ford, qui finance à cette époque de nombreuses initiatives européennes dans le domaine de la recherche en sciences sociales et économiques (dont par exemple le CERI, organe du CNRS), contribuera également indirectement aux travaux du comité à travers de subventions versées au centre de documentation du comité établi à Lausanne par le Professeur Rieben.

La première séance du comité d’action se tient en janvier 1956. Le dossier auquel ils s’attaque est celui d’Euratom dont l’objectif est d’unir les forces européennes sur le modèle de la CECA pour combler le retard nucléaire de l’Europe par rapport aux grandes puissances et faciliter sa future indépendance énergétique. Convaincu que les deux traités doivent être signés simultanément, le comité d’action s’attache à faire progresser en parallèle celui du Marché Commun. Les deux traités, Euratom et le Marché Commun, sont signés à Rome le 25 mars 1957 et ratifiés par l’Allemagne le 5 juillet.  La France ratifie les deux traités peu après.  Selon Monnet, la réconciliation franco-allemande était à cette date « scellée dans toutes ses parties».

En cette fin 1957, les problèmes purement français rattrapent Jean Monnet : les finances du pays sont exsangues et le jeune Président du Conseil Félix Gaillard se tourne naturellement vers Jean Monnet, son ancien mentor, pour l’aider à solliciter des crédits américains. La mission de Jean Monnet à Washington est couronnée de succès et à son retour, il exprime dans une note de mars 1958 à Félix Gaillard une certitude qui inspirera le Système Monétaire Européen de 1972: « l’objectif serait la création d’un marché financier et monétaire européen, avec une banque et un fonds de réserve européen, l’utilisation en commun d’une partie des réserves nationales, la convertibilité des monnaies européennes, le libre mouvement des capitaux entre les pays de la Communauté, enfin l’établissement d’une politique financière commune». Comme beaucoup d’idées lancées par le comité d’action de Monnet, elle chemina longtemps avant de trouver le bon moment pour s’exprimer.

 


 

Monnet-de Gaulle, deux visions opposées de l’Europe

Les années 1957-1959 sont des années de relative convergence entre Jean Monnet et le général de Gaulle. Le général soutient le Marché Commun, Jean Monnet de son côté soutient le retour du général, vote en faveur de la cinquième République, et approuve l’approche de la question algérienne. Ce rapprochement ne résistera pas au volontarisme de Monnet sur les questions européennes. Après la ratification d’Euratom et du Marché Commun, le comité d’action de Monnet se concentre sur trois objectifs : l’élargissement de la Communauté à la Grande Bretagne, le développement de nouveaux domaines d’action (comme l’agriculture), et la construction politique de la Communauté dont les principes sont résumés dans cette formule simple : « délégation de souveraineté et exercice en commun de cette souveraineté déléguée ». Les bases d’une confrontation avec le général de Gaulle sont jetées. Celui-ci appelle en effet ouvertement de ses vœux une construction européenne basée sur la souveraineté inaliénable des Etats.

La conférence de Paris de 1961, présidée par le gaulliste Christian Fouchet, et consacrée à la façon d’institutionaliser l’union politique des six, n’aboutit pas malgré des débuts prometteurs. En mai 1962, De Gaulle fait une déclaration dans laquelle il rappelle son soutien à une Europe des nations et suggère que le modèle d’intégration soutenu par le comité de Monnet est inspiré par les Etats-Unis, véritable « fédérateur de l’Europe » et qu’il va à l’encontre des intérêts des pays européens. Plusieurs ministres, dont Pierre Pflimlin, démissionnent pour exprimer leur désaccord avec les déclarations du général de Gaulle. Le comité d’action de Jean Monnet jouit à ce moment d’un grand prestige et d’une forte influence du fait des personnalités que Monnet y a associées et qui considèrent véritablement le Comité comme l’instrument de la réalisation de leur vision du monde et de l’Europe. Les vues du comité sont solidement représentées au sein du large éventail de partis et de syndicats européens qui le composent.

Le comité se doit donc de réagir contre la caricature gaullienne de son action et il publie en juin 1962 une déclaration qui se veut pédagogique et a un grand retentissement. Dans celle-ci, il explique son approche et sa méthode.  « La méthode d’action communautaire est un dialogue permanent entre un organisme européen responsable de proposer des solutions aux problèmes communs et les gouvernements nationaux qui expriment les points de vue nationaux (…).. C’est cette méthode qui est le véritable fédérateur de l’Europe. En dehors de ce cheminement difficile et peut-être lent mais inéluctable et sûr, le comité considère qu’il n’ y a pour nos pays séparés qu’aventure et maintien de l’esprit de supériorité et de domination qui a failli hier entraîner l’Europe à sa perte et pourrait maintenant y entrainer le monde »

Bien sûr, Monnet apprécie que demander à des pouvoirs nationaux de partager volontairement une partie de leur souveraineté est une tâche ardue qui prendra du temps. Mais il est également convaincu que la méthode est la bonne et il n’est pas pressé.

La crise provoquée en juin 1965 par le Général de Gaulle, dite « de la chaise vide » pour s’opposer à la mise en place de la politique agricole commune et du vote à la majorité met à nouveau la construction européenne à l’épreuve. Jean Monnet annonce publiquement son intention de ne pas voter pour le général de Gaulle aux élections présidentielles de décembre 1965 qui le verront soutenir Jean Lecanuet au premier tour et François Mitterrand au second.

Pour Monnet, la politique de de Gaulle était fondamentalement contradictoire : elle affaiblissait l’Europe et en affaiblissant l’Europe elle affaiblissait cette France même qu’il voulait forte.

 


 

La Grande Bretagne et la Communauté

Jean Monnet, anglophile depuis son adolescence passée à Londres, a toujours souhaité et n’a jamais douté du ralliement ultime du Royaume-Uni au processus d’intégration, dès lors que celui-ci aurait prouvé son efficacité. La Grande Bretagne doit à son sens apporter à l’Europe sa vue mondiale, sa science du gouvernement, ses capacités inventives, et ses ressources. Il a conservé un lien fort avec l’administration britannique et maintenu un dialogue continu et patient, qui laisse la porte ouverte à une adhésion au moment opportun. Les Britanniques de leur côté s’étaient ralliés au principe d’une zone de libre-échange mais restaient méfiants vis-à-vis de la Communauté dont ils observaient pourtant les premiers succès. Pour Monnet, la tentation d’un libre-échange «sauvage» non régulé est dangereuse et peut mener à une tentation de domination de l’Angleterre en Europe. Il conçoit la Communauté comme une méthode pour réunir les peuples alors que le libre-échange n’est qu’un arrangement commercial. En 1961, les Britanniques déclarent être prêts à déposer une demande d’adhésion et les négociations commencent, menées par Edward Heath. Alors que les discussions progressent, de Gaulle prend ouvertement et unilatéralement position contre l’adhésion du Royaume Uni à la Communauté. Jean Monnet, choqué par ce qu’il perçoit comme de la désinvolture de la part du général de Gaulle écrit pour lui-même : « Nous sommes entrés dans le temps de la patience ».

Au printemps 1967, la Grande Bretagne renouvelle sa candidature à l’entrée au Marché Commun. A nouveau de Gaulle se prononce contre son adhésion mais le comité d’action formule une résolution approuvée par les parlements des six et ouvrant la voie aux négociations. Le départ du leader de la France Libre et l’arrivée de Georges Pompidou en 1969 marquent une reprise de la dynamique européenne. L’accession de Willy Brandt à la Chancellerie allemande est également un facteur positif ; il apporte son soutien à plusieurs propositions importantes du comité d’action, dont l’union économique et monétaire, le fonds monétaire européen, et le commencement d’une union politique.

L’adhésion de la Grande Bretagne à la Communauté, signée en 1972 et finalement acquise par un vote populaire en 1975, n’aura pas été chose facile. Les Britanniques eux-mêmes avaient longtemps hésité et souvent douté. Dans ses Mémoires, Jean Monnet relate cet épisode qui peut paraitre aujourd’hui prémonitoire : « Un douanier anglais me reconnût un jour et me demanda : ‘Je voudrais être sûr de ceci monsieur : lorsque nous serons rentrés dans votre Europe, pourrons-nous en sortir’ ? »  Cette question traduisait pour Monnet une crainte atavique britannique de l’engagement.

 


 

Structurer les relations Europe – Etats-Unis

Les obstacles rencontrées en France dans les années 60 par le comité d’action de Monnet sur le front de l’adhésion du Royaume Uni et de la construction d’une Europe politique sont l’occasion de se focaliser sur les Etats-Unis. Jean Monnet pense que les relations entre l’Europe et les Etats-Unis doivent être plus structurées et prendre la forme d’un partenariat entre entités distinctes mais de puissance égale. Monnet continue à se rendre souvent à Washington où il compte de nombreux amis et il retrouve dans la nouvelle administration Kennedy l’ambiance stimulante et dynamique de l’administration Roosevelt.  Le Président Kennedy le séduit ; il est jeune, simple, direct, intelligent et très bien disposé vis-à-vis de la construction européenne. Au retour de l’une de ses visites à Washington, Jean Monnet partage ainsi avec Konrad Adenauer : « Tout le monde aux Etats-Unis est désormais convaincu que l’organisation de l’Ouest est nécessaire et urgente pour régler les grands problèmes du monde et que la Communauté européenne doit en être l’armature ». Deux conditions cependant, qui rejoignent les objectifs du comité d’action : que l’Europe s’organise politiquement et que la Grande Bretagne la rejoigne.

L’assassinat du Président Kennedy, aux obsèques duquel il se rend, affecte énormément Jean Monnet. Le jeune président américain dans lequel il avait mis beaucoup d’espoir lui avait écrit ces mots chaleureux en début d’année : « sous votre inspiration, l’Europe a en moins de vingt ans  progressé vers l’unité plus qu’elle ne l’avait fait depuis mille ans ». Avec la mort de Kennedy s’envole l’espoir de Jean Monnet de créer avant longtemps le partenariat Europe-Etats-Unis qu’il souhaite si ardemment

1970 – Relance de l’Europe politique

Le début des années 70 est propice à une relance de l’union politique en Europe. Les dirigeants Pompidou et Brandt soutiennent la construction européenne, et l’opinion publique française est majoritairement favorable à l’idée d’un gouvernement européen et à l’élection du Parlement Européen au suffrage universel. En Octobre 1972, la Conférence de l’Europe reprend à son compte les propositions du comité d’action de Monnet pour une union économique et monétaire et pour la création d’un fonds monétaire européen. Ces propositions se heurtent cependant au Conseil des Ministres des pays membres qui, pour Monnet, agissent en les rejetant non pas dans l’intérêt commun de l’Europe mais en fonction de leurs seuls intérêts nationaux.

En 1974, Jean Monnet soutient avec succès l’idée, puissamment soutenue par le nouveau Président français Valéry Giscard d’Estaing, de la formalisation d’un Conseil Européen des Chefs d’Etat décidant à la majorité et le principe de l’élection du Parlement Européen au suffrage universel. Pour lui, une étape fondamentale vient d’être franchie sur le chemin de l’union politique de l’Europe. Sans doute voit-il à ce moment-là en Helmut Schmidt, le chancelier allemand, et Valéry Giscard d’Estaing, le Président français, les hommes qui seront en mesure de continuer son œuvre, redonner un élan à la construction européenne et réaliser sa vision.

 


 

Citoyen d’Honneur de l’Europe

anniversaire de la Déclaration Schuman, le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe est officiellement dissout. Jean Monnet a 87 ans et il se retire dans sa maison d’Houjarray pour y écrire ses Mémoires. François Fontaine l’assiste assidûment et sans doute le livre n’aurait-il jamais vu le jour sans lui. Le but des Mémoires n’est pas pour Monnet de relater les évènements de sa vie, qu’il rechigne à partager, ni de jeter un regard nostalgique vers le passé. Le but du livre est de «tenter, comme il l’écrit, d’éclairer ceux qui vont (le) lire demain sur la nécessité profonde de l’unification européenne dont les progrès se poursuivent sans relâche à travers les difficultés ».  

Quand on a accumulé une certaine expérience de l’action, écrit-il, c’est encore agir que de s’efforcer de la transmettre aux autres et le moment arrive où le mieux qu’on puisse faire est d’enseigner à d’autres ce qu’on croit être bien. Il y a une méthode pour construire l’Europe – il n’y en a pas deux dans un temps donné. Nous ne sommes pas sortis du temps de la Communauté européenne, du temps de la délégation de souveraineté à des institutions communes, seul moyen d’assurer le progrès et l’indépendance de nos peuples et la paix de cette partie du monde ».

En 1976, Jean Monnet reçoit le titre de Citoyen d’Honneur de l’Europe, titre décerné depuis à Helmut Kohl et Jacques Delors.  Il décède le 16 mars 1979 dans sa maison d’Houjarray et ses cendres sont transférées au Panthéon en 1988.

 


 

Bibliographie :

Gérard Bossuat, Andreas Wilkens, Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.

Gérard Bossuat (dir.), Jean Monnet et l’économie, Bruxelles, Peter Lang, 2018.

François Duchêne, the First Statesman of Interdependence, New-York, Londres, Norton, 1994.

Pascal Fontaine, Jean Monnet, l’Inspirateur, Paris, Grancher, 1988.

Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard 1976.

Clifford P. Hackett, A Jean Monnet chronology 1888-1950, Washington DC, Jean Monnet Council 2008.

Richard Mayne (compiled by Clifford Hackett), The Father of Europe. The life and times of Jean Monnet, Lausanne, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, 2019.

Eric Roussel, Jean Monnet , Paris, Fayard, 1996.

A l’écoute de Jean Monnet, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausanne, 2004.


[1] https://www.strategie.gouv.fr/actualites/premier-plan-de-modernisation-dequipement#_ftn3

 https://institutjeanmonnet.eu/jeanmonnet/biographie/

 

L’UE poursuit sa purge en Moldavie : l’affaire Evghenia Gutul

Le 10 septembre 2025, une conférence de presse a été organisée à l’hôtel Napoléon, dans le 8e arrondissement de Paris, pour alerter l’opinion internationale sur le sort d’Evghenia Gutul, gouverneur de la région autonome de Gagauzia en Moldavie. Animée par ses avocats, Maître William Julier et Gonzalo Boyer, cette initiative vise à dénoncer des violations graves des droits fondamentaux lors de son procès en première instance. Condamnée à sept ans de prison pour des allégations de financement illégal de campagne électorale, la dirigeante moldave conteste une décision qu’elle qualifie de persécution politique.

Cette affaire, qui oppose une région pro-russe à un gouvernement central pro-européen, met en lumière les tensions géopolitiques en Europe de l’Est.

Un contexte géopolitique tendu en Moldavie

La Moldavie, pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, est au cœur des rivalités entre l’Union européenne (UE) et la Russie. À la chute du Mur de Berlin en 1989 et à la dissolution de l’Union soviétique en 1991, de nombreux pays d’ex-URSS se sont retrouvés orphelins, sans le cadre politique et économique qui les unissait auparavant.

Ces États ont alors été courtisés par deux camps : d’un côté, la Russie, soucieuse de conserver de bonnes relations et une influence sur ses anciens satellites pour maintenir une sphère d’influence post-soviétique ; de l’autre, l’Union européenne, qui a vu une opportunité d’étendre son empire, renforçant ainsi sa suprématie économique et politique, et surtout celle de l’OTAN, en intégrant ces nations dans des structures occidentales pour contrer l’influence russe.

Ce tiraillement géopolitique, amplifiée par la guerre en Ukraine, divise des pays comme la Moldavie, la Géorgie ou l’Arménie entre orientations pro-est et pro-ouest.

En Moldavie, ces tensions se manifestent au niveau national. L’ancien président Igor Dodon, au pouvoir de 2016 à 2020 et leader du Parti des Socialistes, avait opté pour une position neutre, cherchant à équilibrer les relations avec la Russie et l’UE en travaillant avec les deux camps pour préserver la souveraineté moldave. Souvent perçu comme russophile, Igor Dodon a été écarté du pouvoir lors de l’élection présidentielle de 2020, perdue face à Maia Sandu, sur fond d’accusations de corruption et de scandales qui ont mené à des poursuites judiciaires post-mandat. Ces procédés, qualifiés par beaucoup de « persécutions juridiques », sont dorénavant devenus courants dans les « transitions pro-européennes », où des opposants jugés pro-russes font face à des enquêtes et procès politiquement motivés pour consolider le virage vers l’Occident.

Depuis l’élection de la présidente Maia Sandu en 2020 sur un programme pro-européen, le pays s’oriente vers une intégration à l’UE, soutenue récemment par des visites de dirigeants comme Emmanuel Macron, le chancelier allemand et le Premier ministre polonais. Cependant, cette trajectoire n’est pas partagée par tous. La région autonome de Gagauzia, située à l’extrême est du pays et frontalière de l’Ukraine, bénéficie d’un statut spécial depuis 1994, garanti par la Constitution moldave. Cette province à majorité turcophone et russophone abrite une population qui rejette massivement l’adhésion à l’UE.

Élue gouverneur fin 2023, Evghenia Gutul incarne cette opposition. Deux référendums locaux ont révélé que près de 95 % des habitants de Gagauzia ne souhaitent pas rejoindre l’UE. Proche d’Ilan Shor, un leader politique moldave exilé et accusé d’ingérences russes, Evghenia Gutul est vue comme une figure de la dissidence. Son parti, dissous en 2023 par les autorités moldaves, représentait un électorat prorusse. Arrêtée en mars 2025 et condamnée le 5 août suivant à sept ans d’emprisonnement pour complicité dans le financement de campagnes par une organisation criminelle, elle reste légalement en fonction. Ni son élection ni son mandat n’ont été invalidés, mais son incarcération l’empêche d’exercer ses responsabilités, après une période d’assignation à résidence pendant le procès.

Des violations flagrantes du droit à un procès équitable

Maître William Julier, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit pénal international et droits de l’homme, dénonce un procès biaisé. L’enquête, menée sur près de trois ans depuis fin 2021, a abouti à un dossier de 16.000 pages. Lors de la mise en accusation, les avocats de Evghenia Gutul n’ont eu que 15 jours pour le consulter sur place, sans copies numériques autorisées (Rappelant la marque de fabrique de l’UE pour la consultation des contrats Pfizer par les eurodéputés de l’opposition à von der Leyen …)

« C’est une façon d’empêcher la défense de s’exercer », insiste Maître Julier, citant une condamnation récente de la Turquie par la Cour européenne des droits de l’homme pour un cas similaire impliquant 17.000 pièces en 20 jours.

Le procès, qui a duré un an et demi, a été marqué par d’autres irrégularités. Sur 200 témoins demandés par la défense, seuls 18 à 20 ont été entendus, sans justification pour les refus. Le jugement de 400 pages consacre 200 pages aux preuves de l’accusation, contre une fraction pour celles de la défense. Evghenia Gutul est accusée non seulement d’infractions électorales – comme des dons anonymes ou étrangers, interdits en Moldavie comme en France – mais aussi de liens avec une « organisation criminelle », une qualification vague pointant vers le cercle d’Ilan Shor. Pour William Julier, ces poursuites relèvent d’une « chasse aux sorcières » contre les opposants à l’intégration européenne.

Au-delà du cas individuel, des discriminations systémiques touchent Gagauzia : suppression de la langue locale dans l’enseignement, réduction des fonds publics pour les infrastructures, et atteintes à l’autonomie judiciaire, comme la dissolution de la cour d’appel régionale ou la nomination d’un procureur centralisé. Ces mesures rappellent les tensions en Ukraine, où les régions russophones de l’Est ont subi des restrictions linguistiques et culturelles avant le conflit de 2014, menant à des mouvements séparatistes.

Une ligne de crête entre politique et justice

Maître Julier insiste sur le caractère non politique de sa défense : « Nous militons pour le respect des droits fondamentaux, c’est notre éthique. » Pourtant, le dossier illustre un glissement vers la « gouvernance des juges » pour régler des comptes politiques, comme en Roumanie avec l’éviction récente de Călin Georgescu, candidat souverainiste. La Moldavie, qui aspire à l’UE et à ses prétendues valeurs démocratiques, est accusée d’hypocrisie : « Les actes doivent correspondre au discours« , martèle l’avocat, appelant à un appel équitable avec observateurs internationaux.

Un nouveau procès est attendu dans les semaines à venir à Chișinău. La conférence de Paris (ci-dessous) et des interventions médiatiques visent à mobiliser l’attention internationale pour « redresser le cap ». En pleine ère de polarisation Est-Ouest, l’affaire Evghenia Gutul pose une question cruciale : la justice peut-elle rester impartiale face aux enjeux géopolitiques ?

Maître William Julié et Maître Gonzalo Boye commentent la situation de l'une de leurs clientes, Madame Evghenia Gutul, gouverneure de Gagauzie en Moldavie, condamnée à une peine de sept ans d'emprisonnement aux termes d'une procédure marquée par de graves atteintes à ses droits fondamentaux

https://www.youtube.com/watch?v=LY1iczUUI48 

https://multipol360.com/lue-poursuit-sa-purge-en-moldavie-laffaire-evghenia-gutul/

 

 

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